Céphale et Procris (DANCOURT)

Comédie en trois actes et un prologue, en vers

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 17 octobre 1711.

 

Personnages du Prologue

 

MOMUS

THALIE, muse de la Comédie

 

Personnages de la Comédie

 

L’AURORE, amoureuse de Céphale

CÉPHALE, aimé de l’Aurore

PROCRIS, femme de Céphale

MERCURE

CALLITÉE, nymphe, confidente de l’Aurore

PHILACTE, confident de Céphale

DIONE, suivante de Procris

FAUNES et NYMPHES de la suite de l’Aurore

 

La scène est sur le Mont Hymette.

 

 

PROLOGUE

 

Le Théâtre représente un Palais magnifique, où conduisent de longues allées d’arbres et de jardins.

 

THALIE, MOMUS

 

THALIE.

Je n’ai point eu, Momus, une espérance vaine,

La loi du Souverain, l’équité de Thémis,

Par un ordre absolu, m’ont mis

En droit de soutenir les honneurs de la scène ;

J’ai triomphé d’un monde d’ennemis,

Et malgré d’injustes cabales,

Avec les Muses triviales,

On ne reverra plus Thalie en compromis.

MOMUS.

Je suis instruit de cette réussite,

Muse charmante, et vous en félicite.

Pour vous tirer d’un pareil embarras,

Il vous fallait au moins cette double puissance,

Et le Public, piqué de votre négligence,

Se plaisait à vous voir dans un si mauvais pas.

J’en étais fâché, moi ; mais s’il faut vous le dire,         

Ce n’était pas un violent chagrin,

J’en riais quelquefois parce que j’aime à rire,

Et je prévoyais bien quelle en serait la fin.

Elle est telle qu’on la désire,

Tout réussit au gré de vos souhaits.      

Pour répondre à tant de bienfaits,

Que la protection, le bon droit vous attire,

Quels soins prenez-vous ? quels projets

Jusqu’à présent avez-vous faits !

Car il est des faveurs que l’on doit reconnaître.          

THALIE.

Vous en serez surpris peut-être ;

Au bruit de ce succès heureux

Tel qui n’osait me consacrer ses veilles,

Va désormais m’adresser tous ses vœux.

Les Racines et les Corneilles,

Momus, auront des successeurs ;

Et tels des modernes Auteurs,

Qui, par mes conseils, pour matière

Ont pris la critique des mœurs,

Suivront, quoique de loin, les traces de Molière.        

Quand on ne peut atteindre au suprême degré,

Il ne faut point rougir qu’un autre nous surmonte,

À ce mortel illustre on peut céder sans honte,

Et dans le second rang voir son nom consacré.

MOMUS.

Que ces modernes Auteurs tâchent       

De ne céder qu’à ce fameux Auteur.

THALIE.

Il en est entre eux qui s’attachent

À ce dessein avec ardeur.

MOMUS.

Tant mieux ; mais laissons les Poètes,

Et parlons un peu des Acteurs.

Par eux, sur le dégoût qu’ont eu les Spectateurs,

Quelques réflexions ont-elles été faites ?

Je ne prétends en critiquer aucun,

Du Public en cela j’évite la conduite ;

Il n’en est point qui soit sans talent, sans mérite ;       

Et sans vouloir flatter, je n’en connais pas un,

Qui, s’il demeurait dans sa sphère,

Ne pût être placé dans quelque caractère

À s’attirer des applaudissements.

Nous en voyons l’exemple à tous moments ;

Mais ce qui déplaît d’ordinaire,

Ce sont certains dérangements

Qu’on devrait éviter de faire.

THALIE.

Vous en parlez bien aisément.

MOMUS.

Je redis ce qu’on dit tout naturellement.

Quand un Acteur néglige de paraître,

S’imagine-t-il que celui

Qui s’expose à jouer pour lui,

En porte seul l’iniquité ? Peut-être.

S’il le croit, il est dans l’erreur ;

Il ne faut pas qu’on s’y méprenne,

L’un est l’objet de la mauvaise humeur,

Et l’autre celui de la haine.

THALIE.

Que voulez-vous que l’on fasse à cela ?

Quelque droit que l’on ait d’y trouver à redire,          

Un Acteur bien souvent ne saurait pas suffire

À jouer tous les jours tous les rôles qu’il a.

On a la poitrine échauffée.

MOMUS.

D’un souper quelquefois poussé jusqu’au matin.

THALIE.

Quelque migraine, ou la voix étouffée.

MOMUS.

Ou quelque autre raison bonne ou mauvaise enfin :

Les Spectacles comme les vôtres.

Des Peuples en tout temps feraient tous les désirs,

Si vos Acteurs ne prenaient leurs plaisirs

Qu’après avoir fait ceux des autres.       

THALIE.

Momus n’est point adulateur,

Il aime à critiquer, à blâmer et médire.

MOMUS.

Je fais profession de n’être point flatteur :

Mais je ne veux lâcher aucun trait de satire ;

Si ma morale vous déplaît,          

Restons-en là pour éviter querelle.

De vos Acteurs vous prenez l’intérêt ;

C’est bien fait. Avez-vous quelque Pièce nouvelle,

Pour soutenir la Scène avec honneur,

Et du Public mériter la faveur ?

C’est ce que tout Paris attend de votre zèle.

THALIE.

Oui, Céphale et Procris, un sujet fort connu.

MOMUS.

En sa faveur je suis mal prévenu.

Sur la Scène à nos yeux quand un Poète étale

Et l’amour dont l’Aurore a brûlé pour Céphale,

Et mes faiblesses de Procris,

Forcé de débiter une étrange morale,

Il s’embarrasse en un fâcheux Dédale ;

Et s’il s’en tire bien, je serai fort surpris.

THALIE.

Vous blâmer le sujet ?

MOMUS.

J’en aurais pris un autre.

Je puis pourtant me tromper là-dessus.

THALIE.

Mais par quelle raison, Momus ?

Pour moi je n’en sais point, expliquez-moi la vôtre.

MOMUS.

Je vous la dis.

THALIE.

Plaisante imagination !

Si l’on s’effarouchait ainsi du caractère,

Jamais ni Plaute ni Molière

N’auraient traité l’Amphitryon.

MOMUS.

Le grand malheur ! ils auraient pu mieux faire.

THALIE.

Je ne suis pas de votre opinion.

Mais vous, n’auriez-vous point, pour décrier la Pièce,         

Quelque motif secret ? Parlez-moi franchement.

MOMUS.

Non, Je vous dis mon sentiment.

Avec trop peu de politesse

Peut-être, mais du moins avec sincérité :

Foi de Dieu et de probité,

Sans en garantir la justesse,

J’en garantis la vérité.

THALIE.

Le sujet est plaisant.

MOMUS.

Pas trop.

THALIE.

Il intéresse.

MOMUS.

Soit. Mais s’il faut vous parler net,

Je vous avoue avec franchise,

Que sur votre Théâtre un semblable sujet

Me révolte et me scandalise.

Pourquoi prendre parmi les Dieux,

Sans égard pour ce que nous sommes,

De quoi faire rire les hommes,

Et nous donner nous-mêmes en spectacle à leurs yeux ?

Pensez-vous que la foule idolâtre

De quelques pénétrants mortels,

En nous voyant sur leur Théâtre,

Ait du respect pour nos autels ?

Et surtout au moment qu’on nous y fait paraître

Ridicules, et souvent tels

Qu’eux-mêmes rougiraient de l’être ?

THALIE.

Savez-vous que le sérieux,

Momus, vous sied fort mal ? C’est le style comique,

Sans contredit, qui vous convient le mieux ;

Laissez donc là le pathétique,

Et ne prenez point tant la querelle des Dieux.

Ce n’est point moi qui rends leur conduite publique,

On la connaît partout, en Terre, et dans les Cieux ;

Hé qui d’entre eux à la cacher s’applique ?

Ils semblent au contraire en faire vanité.

À l’exemple des Dieux nous voyons les Déesses,

Vouloir pour des vertus nous donner leurs faiblesses,

À l’ombre de leur dignité.

Jupiter a rempli le Ciel de ses maîtresses.

La Mère des Amours, des Grâces et des Ris,

D’entre les bras du Dieu de Thrace,

Sans honte et sans scrupule passe

Dans les bras du jeune Adonis,

Dont Anchise bientôt vient occuper la place.

Par le malheureux Actéon

Diane dans le bain surprise,

En fait grand bruit, d’abord rude punition ;

Deux jours après d’un fol amour éprise,

Elle passe des nuits avec Endymion.

L’Aurore sans peur de scandale

Quitte Titon son vieux mari,

Dans ses beaux jours si tendrement chéri,

Et tient ménage avec Céphale.

De ces intrigues-là tout le monde est instruit,

Chacun sait ce qu’il en doit croire,

Et les défauts des Dieux ne font pas plus de bruit

Sur la scène que dans l’histoire.

MOMUS.

Mais vous qui hasardez d’en raisonner ainsi

D’une façon si peu polie,

Dites-moi, divine Thalie,

N’avez-vous rien sur votre compte aussi ?

Il est bon d’être exempt des défauts qu’on condamne.

THALIE.

On m’a voulu donner Ménandre, Aristophane,          

Et tous deux ont été mes favoris, dit-on :

Mais l’esprit seul eut part à ces intrigues.

MOMUS.

Bon.

Vous et vos sœurs les vertueuses,

Vous vous retranchez sue l’esprit :

Mais, si l’on croit ce qu’on en dit,

Vous n’êtes pas fort scrupuleuses.

THALIE.

Du moins sommes-nous bienheureuses

Qu’il n’y paraisse pas ; et si nous choisissons

Des favoris, des nourrissons,

D’aucun enfant (fruit ordinaire

Des amoureuses passions)

Nulle de nous n’est encore mère.

MOMUS.

Vous avez de l’esprit, et vous vous en servez

Pour mieux cacher vos intrigues secrètes.

Ces nourrissons que vous avez,

Ces favoris, ce nombre de Poètes ?

THALIE.

On eût pu soupçonner quelqu’un d’eux autrefois

De nous devoir leur origine :

Mais pour ceux d’à présent, je crois

Qu’il en est peu qu’on s’imagine

Être issu de race divine.

MOMUS.

Ils se disent pourtant tous enfants d’Apollon.

THALIE.

Le mensonge est leur apanage ;

Du Dieu des Vers enfants ou non,

Ils usurpent ce droit dans le sacré vallon,        

La plupart aujourd’hui n’ont point d’autre héritage.

MOMUS.

C’est vous, c’est Apollon qu’on blâme de cela.

THALIE.

Nous ? Ce sont des enfants sans aveu, sans mérite,

Qu’Apollon méconnaît, ou bien qu’il déshérite.

MOMUS.

Hé ! Madame Thalie, holà,           

Doucement, s’il vous plaît, la belle :

Quoi ! vous allez donner une Pièce nouvelle,

Et vous choquez ces Messieurs-là ?

THALIE.

Je ne prétends choquer personne, je vous jure ;

Au reste, je soumets l’ouvrage à la censure

Des esprits solides et bons,

Qui savent décider par de justes raisons,

Louer, ou critiquer avec poids et mesure,

Pénétrer, et connaître à fonds

Les traits de l’art, et ceux de la belle nature.

Voilà les juges que je prends ;

Je me fais un bonheur, un devoir de leur plaire,

Je recherche avec soin leurs applaudissements :

Mais pour un tas de frondeurs pétulants,

Critiques indiscrets, nation indocile,

Usurpateurs du nom de beaux esprits du temps...

MOMUS.

Muse, halte-là, ce sont mes partisans ;

Je les protège, et vous l’apprends.

Ils sont tous d’humeur peu facile,

Mauvais railleurs, et dangereux plaisants ;      

En leur faveur modérez votre style.

THALIE.

Les irriter n’est point ce que je veux ;

Me préserve Apollon d’une pareille audace.

Mais vous, prévenez-les, et tâchez qu’auprès d’eux

Cette nouveauté puisse aujourd’hui trouver grâce.

MOMUS.

Volontiers, il n’est rien que pour vous je ne fasse,

Et si je réussis, je me tiens fort heureux.

Mais j’entends un grand bruit, c’est un retour de chasse :

De votre Pièce apparemment

C’est l’ouverture ?

THALIE.

Justement.

MOMUS.

À vos Acteurs il faut céder la place :

Vous avez posté vos amis

Pour applaudir, battre des mains, et rire ?

THALIE.

Moi ?

MOMUS.

C’est un usage permis,

Je vais tâcher des miens d’arrêter la satire,       

De votre part les prier poliment,

Pour aujourd’hui de ne rien dire,

Pas même après le dénouement ;

Mais demain...

THALIE.

Liberté de parler et d’écrire ;

À leur critique, au jugement        

Qu’ils rendront, avec modestie

Je me soumets aveuglément.

MOMUS.

Et vous faites fort sagement.

THALIE.

Jusqu’au revoir, Momus.

MOMUS.

Jusqu’à demain, Thalie.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

PHILACTE, seul

 

Quel air pur et tranquille on respire en ces lieux !     

Que Céphale à son gré s’y livre à ses alarmes,

Ce beau séjour pour moi n’en a pas moins de charmes,

Séjour favorisé des Dieux,

Que mon Maître pour toi n’a-t-il les mêmes yeux !

Dans les plus beaux jardins d’Athènes

On ne voit point tant de diverses fleurs,

Elles n’exhalent point de si douces odeurs,

Et nos forêts n’ont point de chênes

Qui fournissent au voyageur

Tant d’ombre, ni tant de fraîcheur.         

Quelle main a percé ces longues avenues,

Dont les arbres touchent les nues !

Que ces bois sont délicieux !

Mais ici franchement ce que j’aime le mieux,

Ce sont les manières paisibles

De certains animaux partout ailleurs terribles.

Dans la dure nécessité

De suivre Céphale à la chasse,

J’avais toujours besoin ou de ruse, ou d’audace :

Mais ici de tout soin je me trouve exempté.

Un Sanglier, animal redouté,

Dont l’aspect seul suffit pour le défendre,

Comme un Lièvre à l’instant vient de se laisser prendre.

De mille objets charmants l’esprit ici flatté,

Ne craint dans les plaisirs que la facilité,         

Ordinaire poison des âmes,

Par qui le vrai plaisir est fort souvent gâté.

Ô l’aimable pays ! L’heureux séjour ! les femmes

Y sont d’un agrément, d’une docilité...

Quand par grand malheur de le mienne          

Le hasard veut que je me ressouvienne,

Quel plaisir je ressens de m’en voir écarté !

Mais j’aperçois une jeune beauté,

Avec qui tout d’abord j’ai lié connaissance ;

Assez content de mon premier début,

Jusqu’au bout, s’il se peut, poussons sa complaisance.

 

 

Scène II

 

PHILACTE, CALLITÉE

 

CALLITÉE.

Au gracieux Philacte, honneur, joie et salut.

PHILACTE.

Très humble serviteur, charmante Callitée.

CALLITÉE.

Mais n’ai-je point troublé le tendre souvenir

De quelqu’aimable objet, dont votre âme flattée        

Se plaisait à s’entretenir ?

De quelque agréable pensée

Je vous distrais peut-être en ce moment ?

PHILACTE.

N’en soyez point embarrassée,

Je pense toujours, moi, fort agréablement :      

Mais on ne jouit pas toujours de l’agrément

D’un entretien comme le vôtre ;

J’en connais le prix mieux qu’un autre.

CALLITÉE.

Philacte est tout à fait galant.

PHILACTE.

Je fais profession de l’être,

C’est mon premier métier, et mon plus beau talent,

Et sans trop me flatter, j’y suis assez bon maître :

Mais d’un objet charmant la vue et l’entretien,

Fait qu’on a moins de peine encore à le paraître,

Et la beauté ne gâte jamais rien.

CALLITÉE.

En vérité je suis ravie

De vous trouver pour moi de pareils sentiments :

Mais laissons là les compliments,

Bannissons la cérémonie.

PHILACTE.

C’est fort bien dit.

CALLITÉE.

Il ne tiendra qu’à vous

Que désormais, tous deux d’intelligence,

Nous n’ayons de concert un commerce entre nous

D’entretien et de confiance,

Et que par un retour sincère et mutuel...

PHILACTE.

Hélas très volontiers, je ne suis point cruel,

Et jusqu’où vous voudrez nous pousserons l’affaire ;

Je ne m’en dédis point, et je ne puis m’en taire,

Voici le plus charmant séjour...

CALLITÉE.

Que dites-vous ?

PHILACTE.

Je n’en fais point mystère,

Je dis que c’est ici pour moi le plus beau jour,

Que je suis le mortel le plus heureux...

CALLITÉE.

Peut-être.

Ne puis-pas, car je sais me connaître,

Vous faire un bonheur tel que vous le souhaitez,

Ou tel que vous le méritez ?

Mais, et vous le savez, je sers une maîtresse.

PHILACTE.

Vous vous moquez de moi vraiment.

CALLITÉE.

Non, je parle sincèrement ;

Il ne tiendra qu’à vous qu’elle ne s’intéresse...

PHILACTE.

Mais fi donc, vous n’y songez pas :

Le Ciel entre nous deux a mis trop d’intervalle          

Pour... Baste, elle fera le bonheur de Céphale,

Et... chargez-vous du mien, je ne m’en plaindrai pas.

CALLITÉE.

Nous y travaillerons de concert l’un et l’autre :

Mais comme vous pouvez contribuer au nôtre,

Je voudrais apprendre de vous...

PHILACTE.

Je veux aussi de vous savoir certaine chose.

CALLITÉE.

Très volontiers : mais la loi que j’impose,

C’est que la bonne foi surtout règne entre nous.

PHILACTE.

D’accord, soit.

CALLITÉE.

Je veux pour vous marquer la mienne,

Être la première à parler :

Mais prenez garde ensuite à ne me rien celer.

PHILACTE.

Non, je vous le promets.

CALLITÉE.

Bon, qu’il vous en souvienne.

Quand on m’ose mentir, je sais le démêler,

Je vois fort clair.

PHILACTE.

Tant mieux, c’est votre affaire,

Et la mienne est à moi, que vous soyez sincère ;         

Soyez-le donc si vous pouvez.

Le Prince Céphale, mon maître,

Est un garçon bien fait, comme vous le savez,

Mais modeste, fort sage, et des plus réservés,

Comme vous l’ignorez peut-être.

Fort bien. C’est là ce qui fait naître,

Le goût que je crois qu’aujourd’hui

Votre maîtresse a pris pour lui.

CALLITÉE.

Cela se pourrait bien, une coquette habile,

Qui cherche des plaisirs solides et certains,

Préfère la sagesse indolente et tranquille,

Fût-ce même d’un imbécile,

Au dangereux brillant des fameux libertins.

PHILACTE.

Ce n’est pas là le caractère

Du maître que je sers. Mais s’il ne faut rien taire,       

Ce qui nous arrive en ces lieux

Nous surprend, et donne à tous deux

Une certaine défiance...

CALLITÉE.

C’est là ce qui le rend si retenu, je pense ?

PHILACTE.

Justement.

CALLITÉE.

Ainsi donc tous deux embarrassés...

PHILACTE.

Nous le sommes, ma foi, plus que vous ne pensez...

Hé ! Qui ne le serait ? Au pied du Mont Hymette,

De nombre de chasseurs Céphale accompagné,

Se trouve au rendez-vous qu’il avait désigné :

Le Cerf débuche, et gagne un bosquet sur la droite ;

Nos chiens après : nous suivons, nous allons

De rochers en rochers, de vallons en vallons :

Puis, par une route connue,

Nous coupons dans la plaine où nous chassons à vue.

Le Cerf regagne les hauteurs ;

Nos chiens presque tous hors d’haleine

Perdent la voie et chassent avec peine :

La force manque aux plus hardis chasseurs.

L’air s’obscurcit, le ciel se couvre d’un nuage,

Chacun cherche à se mettre à couvert de l’orage,        

Nous restons seuls mon maître et moi ;

Lui plein d’audace, et moi transi d’effroi.

Les chiens près de nous se rassemblent,

Je crois m’apercevoir qu’ils tremblent,

Et cet incident-là ne me rassure pas :

Je ne fus de ma vie en pareil embarras.

Mais le Soleil écarte enfin la nue,

Plus beau, plus vif il reparaît :

Quels prodiges alors s’offrent à notre vue !

Nous ne connaissons plus ni route, ni forêt,

Les rochers, les coteaux, tout a changé de place,

Tout est perdu pour nous, les chasseurs et la chasse,

Le Mont Hymette a disparu.

Comment, par où retourner dans Athènes ?

Nous suivons quelque temps des routes incertaines ;

Puis après avoir bien couru,

Plus fatigué d’inquiétude

Que de la course la plus rude,

Tristes, rêveurs, près d’un étang,

S’offre à nos yeux une biche au poil blanc.       

Nous, malgré notre lassitude,

De la suivre dans le moment,

Elle de fuir, mais lentement,

Comme en craignant qu’on la perdît de vue.

Elle nous guide aux bords d’un superbe canal,

Dont l’onde baigne une longue avenue.

Là, sur un roc d’où sort un torrent de cristal,

De Diane on voit la Statue :

Le roc lui sert de piédestal.

Quoique faiblement poursuivie

La biche fuit vers le rocher,

Comme si pour sauver sa vie

Il suffisait d’en approcher.

La Statue aussitôt cesse d’être immobile,

Elle semble baisser le bras           

Pour montrer qu’elle donne asile

À l’animal tremblant dont nous suivons les pas.

Cette biche, ô surprise extrême !

Devient marbre à l’instant sans changer sa couleur ;

Et nos chiens, transformés de même,

Gardent les taches de la leur.

Moi, de cette étrange aventure

Moins surpris que mortifié,

Je me tâtais partout, et croyais je vous jure,

Que j’avais déjà la peau dure,

Et que j’allais bientôt être marbrifié.

Je ne sais pas quelle figure

Faisait mon maître alors de son côté ;

Mais je crois bien en vérité

Qu’en lui, tout comme en moi, souffrait dame nature.          

Je ne vous dirai pas comment le reste alla,

Je ne vis point comment votre aimable maîtresse

Avec sa suite arriva là :

Je tombai, je pense, en faiblesse,

Et me trouvai le soir dans ce Palais,      

Où nous avons sans doute une charmante hôtesse,

Qui pour nous régaler ne prend point garde aux frais ;

Où mille doux plaisirs se présentent sans cesse ;

Où vous m’offrez le plus heureux destin,

Séjour digne des Dieux, et trop beau pour les hommes ;      

Où nous nous plairions fort enfin,

Si nous n’ignorions où nous sommes.

CALLITÉE.

Le grand malheur ! Au milieu des plaisirs,

Qu’importe en quels lieux on les prenne ?

Curiosité sotte et vaine.

Hé ! que peut-il ici manquer à vos désirs ?

PHILACTE.

Notre maison, nos Dieux, notre Patrie.

CALLITÉE.

La plaisante bizarrerie !

La patrie est là où l’on est bien.

L’homme est un habitant du monde :

Et croyez-moi, partout où le plaisir abonde

Un sage ne souhaite rien.

PHILACTE.

Faut-il vous avouer le sujet de nos peines ?

Mon maître et moi nous sommes fort connus,

Et l’on ne sait aujourd’hui dans Athènes          

Ce que nous sommes devenus :

On fait, pour nous trouver, mille recherches vaines,

Peut-être y passons-nous pour de francs libertins ;

Quand les gens sont absents vous savez comme on cause.

Et si... l’esprit frappé de quelque faux soupçon,         

Nos femmes... car enfin quelquefois que sait-on ?

De notre égarement croyant savoir la cause,

Allaient... pour éviter la suite de la chose,

Il est bon qu’à notre retour,

(Car nous les reverrons peut-être quelque jour,)        

Nous puissions tout au moins leur dire

Quel lieu nous avons habité,

Avec qui nous aurons été.

Daignez, s’il vous plaît, m’en instruire,

Contentez là-dessus ma curiosité ;         

Vous ne sauriez vous en dédire,

Et vous m’avez promis de la sincérité.

CALLITÉE.

Je veux bien satisfaire au désir qui vous presse :

Mais...

PHILACTE.

Ne craignez rien.

CALLITÉE.

Ma maîtresse

Sent pour Céphale un violent amour.

PHILACTE.

C’est parler net et sans détour,

Et ceci n’est point bagatelle ;

J’y prends, moi, pour mon compte, un notable intérêt.

Mais expliquons-nous, s’il vous plaît :

Cette maîtresse, quelle est-elle ?

Nous autres gens de qualité

Nous connaissons sans vanité

Les bonnes maisons de la Grèce,

Et je n’y sais point de Princesse

Ni d’une pareille beauté,

Ni d’une si grande richesse.

CALLITÉE.

Elle a moins de fortune encore que d’appas,

Il n’est point de beauté comparable à la sienne,

Pour Princesse elle ne l’est pas.

PHILACTE.

Que diable est-elle donc ? Quelque Magicienne,       

Qui par enchantement cherche à se faire aimer ?

Nous savons tout ce qu’on publie

Des charmes de la Thessalie,

Et nous ne sommes point gens à nous laisser charmer.

Il est des vieilles dans Larisse

Qui ne font point d’autre métier

Que de plaire par artifice :

Je me connais en semblable gibier,

Et mon maître n’est pas novice.

CALLITÉE.

Oh bien, il n’est ici question sûrement

De vieille ni d’enchantement.

PHILACTE.

Je n’en répondrais pas. Depuis notre arrivée

Je l’ai quelque fouis observée.

CALLITÉE.

Hé ! Pour prendre un soupçon pareil,

Qu’avez-vous vu ?

PHILACTE.

Qu’avant le lever du Soleil,

À petit bruit sans suite aucune,

Mystérieusement elle sort du Palais ;

Et puis quelques moments après

J’ai remarqué qu’on voit pâlir la Lune :

Ce sont là des enchantements

Les effets les plus ordinaires.

CALLITÉE.

Fort bien.

PHILACTE.

Je ne me trompe guères,

Elle revient au bout de quelque temps ;

À son retour elle rentre en cachette        

Dans un appartement des bains,

Elle s’y met à sa toilette ;

Et si mes soupçons ne sont vains,

Ses charmes les plus forts sont dans une cassette.

Vous riez ? hem.

CALLITÉE.

Je ris des sentiments humains,

Dans quel aveuglement l’apparence les jette,

À combien de soupçons divers

Les expose une erreur funeste ?

La Divinité que je sers...

PHILACTE.

Une Divinité, dites-vous ? malepeste.

CALLITÉE.

Ouvre la barrière du jour ;

Enfin, c’est l’Aurore elle-même,

Qui pour Céphale a tant d’amour.

Il est sûr d’un bonheur extrême,

S’il devient sensible à son tour :

Mais lorsqu’il apprendra que la Déesse l’aime,

S’il tarde à répondre à ses vœux,

Il peut compter que pour peu qu’il diffère...

PHILACTE.

Différer, lui ? Je réponds du contraire,

Et vous le garantis tout d’abord amoureux.

Voilà ce qui s’appelle une bonne fortune :

L’Aurore... n’en déplaise, à l’éclat du haut rang,

Il est des Déesses pourtant

De qui la passion pourrait être importune ;

Mais ici tout promet le plus charmant bonheur ;        

Grâces, jeunesse, attraits, et de l’amour encore.

Tudieu, quelle éveillée est Madame l’Aurore,

Et quels droits sa beauté lui donne sur un cœur !

Vous qui servez cette aimable maîtresse,

Vous êtes Nymphe ?

CALLITÉE.

Justement.

PHILACTE.

Et favorite, apparemment ?

CALLITÉE.

J’ai le secret de la Déesse.

PHILACTE.

Diantre. Si par hasard il vous prenait pour moi

Le même goût qu’elle a pris pour mon maître ?

CALLITÉE.

Je ne risquerais rien de le faire connaître,         

Vous auriez la bonté d’y répondre.

PHILACTE.

Oui, ma foi.

CALLITÉE.

Je le crois : mais enfin, vous savez quelle loi

Nous nous venons d’imposer l’un à l’autre,

J’ai tenu ma parole, il faut tenir la vôtre,

Et me parler sincèrement.

PHILACTE.

Interrogez en assurance.

CALLITÉE.

Céphale n’a-t-il point de tendre engagement ?

Est-il libre ?

PHILACTE.

Comment ? vous vous moquez, je pense ?

Fi donc.

CALLITÉE.

Quoi ! là-dessus vous gardez le silence ?

Il vous sied bien, vraiment, de faire le discret.

PHILACTE.

Dans le cœur des mortels, est-il quelque secret

Que ne pénètre une Déesse ?

CALLITÉE.

Oui, quand par goût, ou par faiblesse

Le cœur d’une Divinité

Se livre tout à la tendresse,          

Alors celui de son amant,

Est impénétrable pour elle ;

Elle n’y voit pas plus qu’une simple mortelle,

Et la loi du destin les traite également :

C’est là, depuis trois jours, ce qui fait que l’Aurore

Hésite à découvrir son rang et son ardeur ;

Et vous l’ignoreriez encore,

Si je vous croyais un causeur.

PHILACTE.

Hé, de quelle vaine frayeur

L’Aurore est-elle inquiétée ?       

CALLITÉE.

Céphale aime, dit-on, la fille d’Érechthée.

PHILACTE.

Procris ? Fi, donc.

CALLITÉE.

D’où vient que vous vous récriez ?

PHILACTE.

Vous n’avez rien à craindre, ils sont...

CALLITÉE.

Quoi ?

PHILACTE.

Mariés.

CALLITÉE.

Et c’est là ce qui doit intriguer davantage.

PHILACTE.

Leur tendresse a fini son cours ;

Trois semaines de mariage,

Emportent le beau des amours,

Le mois n’est pas fini qu’on a plus rien dans l’âme,

Dès le lendemain, moi, je haïssais ma femme,

Et ma haine ne fait qu’augmenter tous les jours.        

CALLITÉE.

Si votre maître aimait encore la sienne,

L’Aurore...

PHILACTE.

Là-dessus que rien ne la retienne ;

Hé, que doit craindre un cœur comme le sien ?

Peut-être elle ressent quelque petite honte

À débaucher ainsi, dans l’ardeur qui la dompte,        

Un nouveau marié ? Cela n’est pas trop bien,

Dans le fond : mais au bout du compte,

On n’est pas Déesse pour rien,

Chez les mortels à des bornes étroites

La morale restreint : mais les Dieux ont leurs droits,

Et la sévérité des lois

N’est pas pour ceux qui les ont faites.

CALLITÉE.

Il faut bien que le rang excuse quelquefois.

PHILACTE.

Le vôtre porte aussi son excuse.

CALLITÉE.

Sans doute.

PHILACTE.

Et vous en profitez de votre mieux.

CALLITÉE.

D’accord :

La haute qualité dans les plaisirs qu’on goûte,

Embarrasse souvent très fort.

En de certains moments trouvez-vous qu’on ait tort,

De regagner un peu d’ailleurs ce qu’il en coûte ?

Mais Céphale vient en ces lieux ;

Il ignore encore sa conquête :

Il est sombre, rêveur ; qu’aurait-il dans la tête ?

PHILACTE.

Toujours notre aventure est présente à ses yeux.

CALLITÉE.

Observons-le un moment, nous en jugerons mieux.

 

 

Scène III

 

CÉPHALE, CALLITÉE, PHILACTE

 

CÉPHALE.

Par quelle puissance secrète        

En ces lieux suis-je retenu ?

Quelles mains sur le mont Hymette

A placé ces jardins, ce Palais inconnu ?

Non, mes craintes ne sont point vaines,

J’éprouve un juste courroux.

Du bonheur que l’hymen m’avait fait dans Athènes,

Les Dieux sont devenus jaloux,

Que dois-je présumer d’une telle aventure ?

Veulent-ils donc me rendre infidèle, parjure ?

Pensent-ils que sensible à de nouveaux appas...

Hé, qui des Immortels faudra-t-il que j’implore

Dans le trouble qui me dévore ?

Si quelqu’un d’eux peut-être ici retient mes pas

Pour m’enlever l’épouse que j’adore.

PHILACTE.

Cette cervelle-là n’est pas sans embarras,         

S’il poursuit sur ce ton, quels maux il nous apprête.

CALLITÉE.

L’embarras est au cœur beaucoup plus qu’à la tête,

Et l’Amour seul peut ainsi l’occuper.

PHILACTE.

Vous pourriez ne vous pas tromper,

Je vous crois là-dessus beaucoup de connaissance.

CÉPHALE.

Pour un cœur vivement épris,

Quel affreux tourment que l’absence,

Procris, adorable Procris !

CALLITÉE.

Il parle de Procris, je pense.

PHILACTE.

Oui, j’entends marmotter quelque chose à peu près,

Fi, le vilain, il est amoureux de sa femme.

CALLITÉE.

Il se songe qu’à ses attraits,

Toujours la même ardeur l’enflamme.

CÉPHALE.

Procris, si quelque Dieu devenu votre amant,

Dans ces lieux malgré moi m’arrête,

Pour profiter de mon éloignement,

Il s’efforcera vainement

De vous faire un jour sa conquête :

Je ne crains point, au mépris de ma foi,

Que vous le préfériez à moi.       

PHILACTE.

Trouvez-vous que de sa personne

Il ait mauvaise opinion ?

CALLITÉE.

Tout au contraire, il l’a très bonne,

Ses discours en sont caution.

CÉPHALE.

Soyez aussi, Procris, sûre de ma constance :

Vénus, la mère de l’Amour,

M’arrêterait en vain dans ce charmant séjour ;

Pour vous ravir un cœur à vous par préférence,

Je verrais tout l’Olympe à mes vœux opposé,

Que je vous répondrais de ma persévérance.

CALLITÉE.

Voilà pour ma maîtresse un cœur bien disposé.

PHILACTE.

Les gens qui parlent seuls parlent avec franchise ;

Je crois que d’un pareil discours

Nous ne ferons pas mal d’en interrompre le cours,

Il pourrait bien encore lâcher quelque sottise :

Je connais ces amoureux-là.

Hom, hom.

CÉPHALE.

C’est toi, Philacte ?

PHILACTE.

Oui, Seigneur, me voilà.

Mais je ne suis pas seul, et l’on doit prendre garde

Quand on rêve tout haut à ce que l’on hasarde ;

Ce que l’on pense ainsi rarement est secret,

Rêver tout bas est plus discret :

Ce sont ménagements que la raison demande,

Et c’est comme j’ai, moi, coutume d’en agir.

CÉPHALE.

Quand de ses sentiments on n’a point à rougir,

On ne craint pas qu’on les entende.       

CALLITÉE.

On n’a point à rougir, Seigneur, d’être amoureux :

Mais permettez que j’ose vous le dire,

De cette ardeur qui vous inspire

L’aveu dans ce séjour peut-être dangereux ;

Non qu’aux traits de l’amour on veuille ici prétendre

Ferme votre cœur et vos yeux,

Il sied bien d’avoir un cœur tendre,

Et vous ne pouvez faire mieux...

CÉPHALE.

Achevez un discours que j’ai peine à comprendre.

CALLITÉE.

Vous paraissez surpris ?

CÉPHALE.

Ce n’est pas sans sujet.

CALLITÉE.

Plus clairement je vais me faire entendre :

Aimez, Seigneur, c’est fort bien fait,

Gardez-vous de vous en défendre ;

Mais songez à changer d’objet ;

En suivant mes conseils vous pouvez vous attendre

À jouir d’un bonheur parfait.

PHILACTE.

Ne parlez point de ces extravagances,

Je saurai par mes remontrances

Le remettre dans son devoir.

 

 

Scène IV

 

CÉPHALE, PHILACTE

 

CÉPHALE.

Quel est donc ce bonheur qu’on me fait entrevoir ?

PHILACTE.

Un bonheur qu’entre nous vous ne méritez guères.

CÉPHALE.

Comment ?

PHILACTE.

La chose est sérieuse, au moins.

CÉPHALE.

Explique-toi.

PHILACTE.

Ceci mérite assez nos soins.

CÉPHALE.

Mais...

PHILACTE.

Ce ne sont pas des chimères.

CÉPHALE.

Mais encore ?

PHILACTE.

Si je n’eusse interrompu le cours

De vos extravagants discours,

Vous faisiez de belles affaires.

CÉPHALE.

Hé, qui te fait m’oser parler ainsi ?

PHILACTE.

Parbleu, c’est un excès de zèle,

Savez-vous bien, Monsieur l’époux fidèle,      

Chez qui nous nous trouvons ici ?

CÉPHALE.

Moi ? Non, Philacte, je l’ignore.

PHILACTE.

On m’a bien défendu de vous en dire rien.

CÉPHALE.

Apprends-le-moi, n’importe.

PHILACTE.

Il n’est pas temps encore ;

Et le secret pourtant déjà m’étouffe.

CÉPHALE.

Hé bien ?

PHILACTE.

Je vous le dis à vous par forme d’entretien,

N’en parlez pas.

CÉPHALE.

Non, non.

PHILACTE.

Nous sommes chez l’Aurore.

CÉPHALE.

Chez l’Aurore !

PHILACTE.

Oui, vous y voilà ;

C’est une bonne auberge, au moins, que celle-là,

Si vous saviez pour vous jusqu’où va sa folie ?

CÉPHALE.

L’Aurore ! Ah, Ciel, quelle fatalité !

PHILACTE.

Sa Nymphe d’honneur est jolie,

Elle a pour moi du faible aussi de son côté.

CÉPHALE.

On prétend en vain que j’oublie

Vos attraits, charmante Procris.

PHILACTE.

Les oublier ! Oh, je vous en défie,

La peste, à trop bon droit vous en êtes épris !

Mais n’en disons mot, je vous prie ;

L’Aurore est à ma fantaisie

Une aimable Divinité,

Avec qui sans cérémonie,

Sans crainte, sans difficulté,

Sans nuire, sans tracasserie ;

Et sans trop déranger cette fidélité

Dont pour Procris vous faites vanité,

Vous pourriez bien d’amour lier quelque partie,

J’en serais fort content, car je suis fort tenté,

Lorsqu’aux plaisirs ici tout nous convie,

De faire pour en prendre une société.

Cette maîtresse Nymphe est faite à faire envie,           

Et je lui crois pour moi de la docilité.

Mais la Déesse approche, et je la vois paraître :

C’est à nous qu’on en veut, on nous abordera ;

Et pour voir ce qu’on nous dira,

Feignons d’abord de ne la pas connaître.         

 

 

Scène V

 

L’AURORE, CÉPHALE, CALLITÉE, PHILACTE

 

CÉPHALE, à part.

Ciel, de quel mouvement je me trouve agité !

Est-ce respect, crainte ou faiblesse ?

Ah ! cachons pour Procris jusqu’où va ma tendresse,

Et tâchons, en flattant les vœux de la Déesse,

De recouvrer ma liberté.

L’AURORE.

Quoi, Céphale ! en ces lieux vous n’avez d’autres soins,

Que de chercher la solitude ?

Ce qui doit vous toucher vous occupe le moins,

Et tout entier à votre inquiétude,

Vous craignez d’en avoir nos regards pour témoins.

Rien ne s’est-il ici offert à votre vue

Digne de votre attention ?

Et de tout autre objet votre âme prévenue,

Voit-elle sans émotion

Les effets que produit dans cette occasion,      

De quelque Dieu la puissance absolue ?

CÉPHALE.

Madame, le trouble où je suis

Ne me laisse point à moi-même,

Et dans une surprise extrême,

Plein de respect, me taire est tout ce que je puis,       

Un triste souvenir dont j’ai l’âme remplie...

L’AURORE.

Ah ! Si cette mélancolie

N’était qu’un simple effet de votre étonnement,

Pour vous en tirer aisément,

Le moindre effort serait utile,

Rien ne vous troublerait ici :

Si votre cœur était tranquille,

Votre esprit le serait aussi.

CÉPHALE.

L’un ni l’autre ne peuvent l’être ;

De tout ce que je vois interdit et confus,

Je fais des efforts superflus

Pour cacher des chagrins dont je ne suis pas maître,

Contraint de les laisser à regret éclater...

L’AURORE.

Quelle fortune, heureux Céphale,

Si vous saviez la mériter,

À la vôtre serait égale ?

Ce superbe Palais, ces jardins et ces bois,

Qui tiennent aujourd’hui la place

De ces autres forêts, que l’ardeur de la chasse

Vous fit parcourir tant de fois ;

Ce changement qui vous fait méconnaître

En quels climats vous habitez,

Et les lieux les plus fréquentés

Où vous aviez coutume d’être ;

La pureté de l’air qu’ici vous respirez,

Cette puissance invisible et suprême,

Qui sait par des ressorts, des mortels ignorés,

Vous retenir malgré vous-même,

Mes regards ; tout enfin vous laisse-t-il douter

Des sentiments d’une Immortelle,          

Qui tâche de vous arrêter

Dans une demeure si belle,

Et qui ne craindrait point de laisser éclater

Ce qu’elle sent pour vous, si vous brûliez pour elle ?

PHILACTE, bas à Céphale.

Le compliment est bien écrit,

Seigneur, on attend la réponse.

CALLITÉE, bas à l’Aurore.

Il se tait, il est interdit,

Madame, quel succès son trouble nous annonce !

L’AURORE.

Vous pâlissez, vous vous troublez :

Cet embarras, ce long silence,

Cette incertitude m’offense,

Céphale, expliquez-vous, parlez :

Je ne sais point des cœurs pénétrer le mystère,

Et n’ai nul droit de les contraindre en rien.

Êtes-vous maître encor du vôtre, et peut-il faire         

L’attachement, les délices du mien ?

CÉPHALE, à genoux.

Sur le cœur des mortels quels droits n’a point, Madame,

Une aimable Divinité ?

En est-il que votre beauté

Des feux les plus ardents n’enflamme ?

Vous rallumez ceux du flambeau du jour,

L’Univers vous doit la lumière,

Vous pouvez de ceux de l’amour

Embraser la nature entière ;

Maîtresse de nos libertés,

De tous nos vœux arbitre souveraine...

L’AURORE.

Céphale, levez-vous, tant de respect me gêne,

Et l’amour n’admet point ces inégalités

Entre deux cœurs unis d’une égale tendresse.

PHILACTE, à part.

La bonne pâte de Déesse !

CÉPHALE.

De tout ce que j’entends charmé, quoique incertain,

Dans quel trouble nouveau tant de faveurs me plonge ?

Tout ceci me paraît un songe

Dont je tremble de voir la fin.

Ah ! c’en est un sans doute, et ce bonheur insigne...

PHILACTE.

Dépêchez-vous d’en faire une réalité.

CÉPHALE.

Un simple mortel n’est pas digne

Qu’il devienne une vérité.

L’AURORE.

Aimez, Céphale, aimez, mais avec confiance ;

Méritez par vos soins et par votre constance,

D’être l’unique objet de mes vœux les plus doux :

Je ne veux être aimable que pour vous.

Et si l’auteur de la lumière,

Le Soleil, le plus beau des Dieux,

À qui tous les matins, pour sa vaste carrière,

J’ouvre la barrière des Cieux,

M’offrait ses soins et ses plus tendres vœux,

Céphale aurait sur lui la préférence entière.

CÉPHALE.

Et moi, Déesse, et moi, comblé de vos bontés,

Par quel encens, par quelle offrande,

Puis-je payer jamais une faveur si grande ?

Je vous consacrerai toutes mes volontés.

Dans tous les lieux soumis à ma puissance

Je vous élèverai des temples, des autels,

Où mes Peuples chargés de ma reconnaissance,        

Iront vous adresser leurs vœux par préférence

À tous les autres Immortels :

Ouvrez-moi les routes d’Athènes,

Et dès le même instant que j’y suis de retour...

L’AURORE.

Céphale, quels discours, quelles promesses vaines ?

Vous me parlez d’encens, je vous parle d’amour :

C’est votre cœur que je demande,

Temples, autels, sans lui rien ne me peut flatter,

Je dédaigne toute autre offrande,

C’est la seule envers moi qui vous puisse acquitter.

CÉPHALE.

Madame...

L’AURORE.

De l’amour le plus vif, le plus tendre

Je vous ai fait Céphale, un indiscret aveu ;

Songez bien au parti que vous avez à prendre.

CÉPHALE.

Ah ! Si jamais ce cœur...

L’AURORE.

Laissez-moi seule. Adieu.

PHILACTE.

Le brutal ! Quels regards la Déesse nous jette,

Elle est dans un fort grand courroux ;

Tout allait bien d’abord, j’ai cru l’affaire faite :

Madame, au moins...

L’AURORE.

Retirez-vous.

PHILACTE.

Ciel ! Comment réparerons-nous

L’impertinence qu’il a faite ?

 

 

Scène VI

 

L’AURORE, CALLITÉE

 

L’AURORE.

J’aime un mortel qui ne sent rien pour moi !

De quel dépit cruel je me sens agitée :

Je l’avais prévu, Callitée ;

À mes pressentiments que n’ai-je ajouté foi !

On me préfère la fille d’Érechthée ?       

L’ingrat Céphale instruit de mon amour

Ne prend nulle part à mes peines,

Pour lui ces lieux charmants sont un affreux séjour,

Tous ses soins, tous ses vœux l’emportent vers Athènes,

Il ne songe qu’à son retour.          

CALLITÉE.

Je ne sais, mais, Madame, ou je suis fort trompée,

Ou je crois que dans peu de temps,

De quelques soins plus importants,

Nous lui verrons l’âme occupée :

Vos yeux en le quittant ont lancé certains traits :        

Eût-on le cœur le moins sensible,

Madame, il est presque impossible

De résister à tant d’attraits.

L’AURORE.

Ah ! cesse de vanter des charmes

Pour qui l’on n’a que du mépris,

Ils cèdent à ceux de Procris.

CALLITÉE.

Vous prenez de vaines alarmes,

Point de dépit, point de langueur,

De Céphale aujourd’hui nous réduirons le cœur :

Il balance déjà, peut-être il délibère,

Aux feux d’une Déesse on fait attention.

Il se rendra, vous dis-je, et j’en suis caution ;

Je m’y connais. C’est moi qui conduisis l’affaire

De Diane et d’Endymion,

Qui d’abord n’était pas moins difficile à faire.

L’AURORE.

À ta conduite, à ta discrétion,

Je m’abandonne toute entière.

Mais quel mortel est assez téméraire

Pour approcher d’ici sans ma permission ?

CALLITÉE.

Ce n’est pont un mortel, c’est un Dieu, c’est Mercure.

 

 

Scène VII

 

L’AURORE, CALLITÉE, MERCURE

 

MERCURE.

C’est moi-même, il est vrai, vous avez de bons yeux.

L’AURORE.

Hé ! par quelle heureuse aventure

Voit-on Mercure dans ces lieux ?

MERCURE.

L’aventure n’a rien qui soit fort gracieux,

Et j’aurais bien voulu m’épargner le voyage.

L’AURORE.

Comment donc ! et quel est ce lugubre équipage ?

MERCURE.

Il vous paraît tous des plus sérieux,

Aussi l’est-il.

L’AURORE.

Et de mauvais augure.

MERCURE.

Il est vrai, vous avez raison :

Mais il faut malgré moi prendre cette figure,

Toutes les fois que chez Pluton

Je vais des morts conduire la voiture

Jusques à la barque de Caron.

Pour aujourd’hui m’en voilà quitte.

L’AURORE.

Mais des défunts le discret conducteur,

Au retour des bords du Cocyte,

Eût pu changer d’habits pour me faire l’honneur

De me venir rendre visite.

MERCURE.

Je n’ai pas eu le temps d’aller chez le baigneur,

Jupiter m’a chargé de faire diligence,

Et d’aller au plutôt lui faire le récit

De tout ce que vous m’aurez dit.

L’AURORE.

Moi ?

MERCURE.

Vous.

L’AURORE.

À quel propos ?

MERCURE.

Un peu de patience.

L’AURORE.

C’est tenir en suspens trop longtemps mon esprit.

MERCURE.

Vous apprendrez la chose encore trop tôt, je gage,

Et vous allez trouver l’habit

Moins lugubre que le message.

L’AURORE.

Ceci commence à me lasser.

Qu’avez-vous donc de si funeste,

Seigneur Mercure, à m’annoncer ?         

MERCURE.

Au conseil de la Cour céleste

On a porté des plaintes contre vous :

L’orgueilleuse Junon, et la bonne Cybèle,

Et la prude Pallas ont par excès de zèle,

Mis le grand Jupiter dans un fort grand courroux.

L’AURORE.

À quel sujet ?

MERCURE.

Pour une bagatelle,

Un bruit mal à propos peut-être répandu.

Une jeune prude d’Athènes

Que depuis peu de temps l’Hymen tient dans ses chaînes,

Et qui se targue fort d’une austère vertu,         

Fait un vacarme affreux pour un mari perdu :

C’est, je crois, Procris qu’on la nomme,

Et le mari Céphale, un fort joli jeune homme.

Connaissez-vous cela ?

CALLITÉE.

Si nous le connaissons ?

L’AURORE.

Callitée ?

MERCURE.

Hem, plaît-il ?

L’AURORE.

Hé, mais...

MERCURE.

Que de façon,

Parlez.

CALLITÉE.

Il est un peu de notre connaissance.

MERCURE.

J’en ai jugé d’abord ainsi sur l’apparence.

CALLITÉE.

Mais connaître les gens, ce n’est pas les aimer,

Il en faut, s’il vous plaît, faire la différence ;

Sur un sincère aveu n’allez pas présumer.       

MERCURE.

Non, non, j’en sais la conséquence :

Mais Minerve a là-haut fait entendre aujourd’hui

Que vous le reteniez en ces lieux malgré lui.

Quelques Déesses surannées

Traitent cela d’enlèvement,          

Et contre vous sont très fort déchaînées,

De vous voir à leur barbe ainsi prendre un amant.

Jupiter prend le fait très sérieusement,

Et de sa part je viens vous dire

Que sans retardement

À ses ordres il faut souscrire.

L’AURORE.

Hé bien ses ordres sont ?

MERCURE.

Que très diligemment

Vous ayez à lâcher le beau Monsieur Céphale ;

Faute de quoi, dût-on causer quelque scandale,

Et supprimer l’aube du jour,

Les souterrains de la cabale

Vous feront éloigner du céleste séjour.

À vous perdre elle est animée,

Si vous n’obéissez vous serez enfermée.

L’AURORE.

Me bannir du Ciel, moi ?

CALLITÉE.

Vous enfermer ! Comment ?

Il est bon là, Madame, quelle injure ?

Si j’étais comme vous déesse, assurément

Votre cabale impunément

Ne m’outragerait pas, c’est moi qui vous le jure.

L’AURORE.

Voilà sans doute un joli compliment

Que me fait le Seigneur Mercure.

MERCURE.

Ne confondons rien, s’il vous plaît,

Ce compliment vient de la part du maître :

Je ne sais comme il vous paraît,

Mais je sais bien comme il doit vous paraître.

L’AURORE.

Si sur les temps passés Cybèle

Voulait être de bonne foi,

Elle réfléchirait sur elle,

Et n’aigrirait point tant Jupiter contre moi :

Il lui sied bien de jouer un tel rôle,        

Elle qu’on vit jadis autour du mont Ida,

Pour son Atys courir comme une folle.

MERCURE.

Vous vous souvenez de cela ?

Ce sont égarements que le temps doit prescrire.

L’AURORE.

Et qu’on s’attache à ne point oublier ;

À l’égard de Junon j’ai peu de chose à dire,

Et ce qu’elle est l’autorise à crier.

Femme et jalouse elle s’oppose

Aux faiblesses que l’amour cause ;

Elle a raison : mais elle aurait bien pu

Passer en ma faveur quelque petite chose,

Sans trop blesser sa farouche vertu ;

Dans le besoin fort aise qu’on la serve,

Chez elle le bienfait n’est pas toujours nouveau.

Quand Jupiter de son cerveau

S’avisa de tirer Minerve,

Junon voulut, pour s’en venger,

De son côté, sans lui, faire pareille affaire,

Sans son secours devenir mère :

Je m’empressai de l’obliger,        

Mars par mes soins naquit d’elle sans père,

Et cela lui fit un honneur

Qu’elle n’eût jamais eu peut-être

Sans le secours d’une certaine fleur

Que mes regards avaient fait naître.

MERCURE.

Junon a tort assurément,

Comme Déesse bonne et sage,

En faveur d’une fleur d’un si charmant usage,

Elle eût pu vous passer celui d’un jeune amant.

L’AURORE.

Pour Pallas c’est une guerrière,

À qui sans doute il sied d’être fière,

Et de blâmer les erreurs de l’amour ;

Elle y serait sujette elle-même à son tour,

Si quelque aimable amant s’efforçait de lui plaire.

Mais comme en terre et dans les Cieux

On néglige assez de le faire,

Qu’entre les mortels et les Dieux,

Vulcain seul a brûlé pour elle,

Je ne vois pas que sa fierté

Doive tirer beaucoup de vanité,

Pour un tel soupirant d’avoir été cruelle.

MERCURE.

Je suis bien aise en vérité

De vous voir ainsi penser d’elle.

CALLITÉE.

Nous pensons assez sensément,

Et nous nous conduirons de même assurément.         

Céphale est en votre puissance,

Vous l’aimez, on le sait, prenez votre parti ;

Nous en avons fait la dépense,

Madame, il n’en faut pas avoir le démenti

MERCURE.

La petite Nymphe est gaillarde.

L’AURORE.

N’a-t-elle pas raison ? Qu’est-ce que je hasarde ?

Conseillez-moi, qu’en dites-vous ?

MERCURE.

Je dis

Que je suis porteur d’ordre, et non donneur d’avis :

S’il vous en faut pourtant donner un pour vous plaire,

Je ne sais s’il vous conviendra :

Mais je vous conseille de faire,

Sans beaucoup réfléchir, tout ce qu’il vous plaira.

CALLITÉE.

Voyez quel excès de prudence,

De politesse et de discrétion,

De nous donner sans remontrance         

Un conseil si conforme à notre intention,

Que nous suivrons sans répugnance !

Madame, que Mercure est bon,

Et que ce n’est pas sans raison,

Que l’on le reconnaît pour Dieu de l’Éloquence !       

Je le sens bien dans ce moment,

Qu’il nous persuade aisément !

Pour lui marquer la déférence,

Que nous avons pour ses sages avis,

Faisons-lui voir en sa présence

Avec quel zèle ils sont suivis.

Restez ici, Seigneur Mercure.

MERCURE.

Je ne saurais, je vous assure.

L’AURORE.

Elle a raison, demeurez parmi nous,

Vous passerez ici les moments les plus doux.

CALLITÉE.

On vous régalera de friande ambroisie,

Nous avons quantité de nectar excellent,

Force glace surtout, et bonne symphonie.

MERCURE.

Vous me tentez très fort : mais Jupiter m’attend.

CALLITÉE.

Il vous attend, mais sans impatience :

L’intérêt de Procris ne le touche pas tant,

Qu’il exige de vous si grande diligence.

Le fait n’est pas fort important,

Vous pouvez lentement conduire cette affaire,

Et nous donner le temps de faire

Ce que Jupiter nous défend.

Lorsqu’en ces lieux on vous arrête,

Vous jugez bien que c’est de bonne foi,

Et jamais Mercure, ni moi,

N’avons gâté de tête à tête.          

MERCURE.

Ce n’est pas mon défaut de me faire prier,

Je suis trop facile, au contraire.

CALLITÉE.

Bon, tant mieux, aujourd’hui c’est la grande manière :

L’inspirer est votre métier,

Et ce qu’aux autres on fait faire,

Par soi-même il est bon de le justifier.

MERCURE.

Mais enfin s’il s’impatiente ?

CALLITÉE.

Le grand malheur ! Il est le maître...

MERCURE.

Hé bien,

Je reste : mais enfin si l’on trouvait moyen

Pour quelques jours de faire taire          

Cette braillarde de Procris,

Et d’interrompre au moins ses plaintes et ses cris,

Ce serait une bonne affaire.

CALLITÉE.

Sans contredit.

L’AURORE.

Assurément.

Ne vous vient-il rien dans l’idée ?          

MERCURE.

Cela vient-il dans le moment ?

L’AURORE.

Imagine un peu Callitée,

Toi qui penses si finement.

CALLITÉE.

Ma foi, Madame, imaginez vous-même :

Vous aimez, et de tous les Dieux

Si l’Amour est le plus ingénieux,

L’esprit doit venir inventif quand on aime.

MERCURE.

Par ma foi, sans être amoureux,

Il me vient dans la tête un petit stratagème.

Attendez... Non... si fait. Le tour serait heureux :        

C’est le meilleur qu’on puisse imaginer sans doute.

CALLITÉE.

Céphale vient dans cette route.

L’AURORE.

Que je sache.

MERCURE.

Évitez-le, entrons dans ces bosquets :

Il ne faut pas qu’on nous écoute,

Et je ne crains rien tant que les mauvais caquets.       

L’AURORE, à Callitée.

Demeure ici, toi, je te prie,

Et par de doux amusements,

Tâche de le distraire, au moins quelques moments,

De l’objet de sa rêverie.

CALLITÉE.

J’aurai soin de vos intérêts :         

Par votre ordre en ces lieux comme vous je commande,

Et les plaisirs sont toujours prêts

Au moment que je les demande.

 

 

Divertissement du première acte

 

PLUSIEURS FAUNES et NYMPHES avancent sur le Théâtre, et chantent les couplets qui suivent

 

UNE NYMPHE chante.

Au Dieu qui fait aimer tout fait ici la cour,
Le Zéphyr et Flore,
Amis de l’Aurore,
S’y caressent nuit et jour ;
Et les fleurs qu’en ce beau séjour
À chaque instant on voit éclore,
Sont les doux fruits de leur amour.        

UN FAUNE chante.

Les Dieux des bois sous ces ombrages
Folâtrent sur les verts gazons,
Et leurs amoureuses chansons,
Font retentir tous ces bocages
Des plus tendres, des plus doux sons.

Entrée.

UN FAUNE et UNE NYMPHE chantent.

Aimez, aimez, heureux Céphale,
Hâtez-vous d’être inconstant :
Quel sort égale
L’heureux destin qui vous attend ?
Aimez, aimez, heureux Céphale,
Hâtez-vous d’être inconstant.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

CÉPHALE, PHILACTE

 

PHILACTE.

Nous avons entendu d’assez bonne musique,

Et l’on nous a donné des conseils excellents ;

Mais si vous négligez de les mettre en pratique,

Cela ne fera pas d’honneur à vos talents.          

CÉPHALE.

Crois-tu donc que toujours à Procris trop fidèle,

Aux charmes d’une ardeur nouvelle,

Mon cœur soit pour jamais fermé ?

Philacte, ce cœur est charmé

De voir celui d’une Déesse          

Des feux les plus vifs enflammé,

Je goûte avec transport, avec délicatesse,

Tout le bonheur d’en être aimé.

À quel excès en moi par sa vive tendresse,

L’ambition, la vanité,        

L’amour-propre est flatté !

PHILACTE.

L’agrément de cette aventure,

M’est pour le moins sensible autant qu’à vous,

Quoiqu’à parler franchement entre nous,

J’y fasse moins bonne figure,

J’espère m’en tirer pourtant avec honneur.

Tout ce qui pourrait m’en déplaire,

C’est que je crois, dans cette affaire

Si nous sommes heureux, que sur notre bonheur,

On exigera du mystère,

Et franchement j’ai quelque peur

D’avoir grande peine à me taire.

Naturellement, moi, je suis un peu jaseur ;

C’est ce qu’on trouve d’incommode,

En aimant les Divinités :

Elles ont la sotte méthode

De cacher leurs fragilités,

Et parmi de simples beautés,

Vous savez, comme moi, qu’aujourd’hui c’est la mode

De faire éclat de ses félicités.       

À garder un secret je souffre le martyre,

Est-ce être heureux que de ne l’oser dire ;

Mais vous redevenez rêveur.

CÉPHALE.

Quel trouble règne dans mon cœur !

De tout ceci quelle sera la suite ?

PHILACTE.

Elle est facile à concevoir,

Par avance déjà je vous en félicite,

Et je crois aussi m’en devoir

Un petit compliment. Tous deux pleins de mérite,

Jeunes, galants, ben faits, nous n’avons qu’à vouloir.

Mais réglez-vous sur ma conduite,

Ne nous faisons point trop valoir :

Que servent les talents à moins qu’on en profite ?

À nous laisser aimer ici tout nous invite :

Rendez-vous, et je vous imite,

Ou je me rends, moi, vous n’avez qu’à voir.

CÉPHALE.

Conçois-tu bien le désespoir

Où peut-être Procris est à présent réduite ?

PHILACTE.

Il est bien maintenant question de cela,

Toujours Procris ; oubliez-la,

M’embarrassé-je, moi, de ce que fait ma femme ?

CÉPHALE.

Par combien de discours, de soupçons de ma foi,

On tâche de jeter dans son âme,

Des dispositions à douter de ma flamme,

Pour me ravir un cœur qui doit n’être qu’à moi ?

PHILACTE.

Ce n’est pas chose bien facile ;

De quoi diantre vous alarmer ?

On ferait pour s’en faire aimer

Une tentative inutile ;

Votre épouse a trop de vertu,

Quelque effort que l’on fasse, et quelque soin qu’on prenne,

Son cœur est pour vous seul de bontés revêtu,

Plût au Ciel en pouvoir dire autant de la mienne.

CÉPHALE.

Je fais peut-être en ce moment

L’entretien de toute la Grèce,

Et d’un si prompt éloignement

On fait mille contes sans cesse.

PHILACTE.

Que diable nous doit importer

Ou qu’en parle, ou qu’on s’en taise,

Tandis qu’ici-bas à notre aise

Nous pouvons rire et caqueter.

CÉPHALE.

Peut-être sait-on que l’Aurore

A fait choix en moi d’un amant,

Et l’on se garde bien de dire assurément,

Que mon cœur lui résiste encore.

PHILACTE.

Parbleu comment le dirait-on ?

Il n’est personne au monde assez fou que je pense,

Pour avoir un tel soupçon ;

Comment pour s’obstiner à tant de résistance ?

Et négliger un sort si doux,          

Il faut être aussi fou que vous.

CÉPHALE.

Que tu pénètres mal le fond de ma pensée,

Philacte, et de combien de divers mouvements

Je me sens l’âme embarrassée !

PHILACTE.

J’entre assez dans vos sentiments.          

CÉPHALE.

De l’Aurore, crois-moi, je connais tous les charmes,

Mon cœur est prêt à lui rendre les armes ;

Mais de Procris outrageant les appas,

Perfide époux, insensible à ses larmes...

PHILACTE.

Procris est femme forte, et ne pleurera pas,

Courage, allons.

CÉPHALE.

Des plus cruelles peines

Accabler le cœur de Procris !

Oser briser avec mépris

Les nœuds d’hymen, les saintes chaînes

Dont pour garants nous avons pris        

Les Dieux protecteurs d’Athènes !

PHILACTE.

Hé bien soit. Pensez-vous que Neptune et Pallas

De Procris prendront la querelle,

Et qu’ils ne se prêteront pas

Aux faiblesses d’une Immortelle ?         

Comme entre gens de qualité,

On aime entre les Dieux à se rendre service ;

Le faible a pour lui la justice,

Mais dans sa plainte il n’est guère écouté.

CÉPHALE.

En cédant à l’amour quel blâme je m’attire !

Que ferai-je penser de moi,

Et d’un pareil manque de foi,

Dans la Grèce que va-t-on dire ?

PHILACTE.

Ce n’est donc plus que sur ce qu’on dira,

Seigneur, qu’à présent vous en êtes ?

Les affaires sont bientôt faites.

Quand la Déesses paraîtra,

Un regard, un souris, votre cœur se rendra.

 

 

Scène II

 

CÉPHALE, PHILACTE, CALLITÉE

 

CALLITÉE.

Je viens vous avertir, Seigneur, que la Déesse

Vous cherche avec empressement,         

C’est pour vous dire apparemment

Quelque secret qui l’intéresse.

CÉPHALE.

Où pourrai-je la rencontrer ?

Dites-le-moi, Nymphe charmante :

Du bien de la revoir mon âme impatiente        

Le voit à regret différer,

Je brûle de savoir ce qu’elle me veut dire.

PHILACTE, à Callitée.

Ne vous l’avais-je pas bien dit,

Que tôt ou tard je saurais le réduire ?

Sur son cœur et sur son esprit

Nous avons, grâce au Ciel, quelque peu de crédit.

CALLITÉE.

Je m’en réjouis fort.

CÉPHALE.

Oui, belle Callitée,

Je sens de mon bonheur à présent tout le prix.

Et dans les doux transports dont j’ai l’âme agitée,

De mon aveuglement et confus et surpris,

Je ne puis assez tôt aux pieds de la Déesse

Tâcher d’expier la faiblesse

Qui dans un cœur encor trop vivement épris,

A par scrupule, ou par délicatesse,

Soutenu trop longtemps l’intérêt de Procris.

CALLITÉE.

À parler franchement, une pareille offense

À des Divinités, Seigneur, ne convient pas,

Quand elles font les premiers pas,

Tant pis pour qui fait résistance.

PHILACTE.

Oh ! la nôtre n’a pas duré :           

Par un prompt repentir une offense s’efface,

Et tout sera bien réparé.

Belle Nymphe, allons, grâce, grâce,

Un mot à la Déesse agréablement dit...

CALLITÉE.

Ce n’est nullement son dépit

Qui m’inquiète et m’embarrasse ;

Le plus grand mal de tout ceci,

C’est que Procris vient d’arriver ici.

CÉPHALE.

Procris !

PHILACTE.

Voilà, ne vous déplaise,

Un contretemps assez fâcheux,

Dont la suite à coup sûr ne peut qu’être mauvaise.

Je vous plains.

CÉPHALE.

Procris en ces lieux,

Philacte !

PHILACTE.

C’est la jalousie

Qui sur vos pas l’a fait ainsi courir :

Quand une femme en est saisie,

L’époux en a diablement à souffrir.

Mais tout coup vaille, il faut faire tête à l’orage ;

Plus on est mal...

CALLITÉE.

Te crois-tu mieux,

Philacte ?

PHILACTE.

Moi ?

CALLITÉE.

Ta femme est aussi du voyage.

PHILACTE.

Quoi ma femme ?

CALLITÉE.

Oui, Dione.

PHILACTE.

Ah, Dieux !

CALLITÉE.

Pour toi sa tendresse est extrême,

De te venir chercher avec tant de transport ;

Et la tienne est pour elle apparemment de mérite ?

PHILACTE.

Oh oui, nous nous aimons très fort :

Elle aurait cependant pu m’épargner la peine.

Maudit soit qui nous les ramène.

CALLITÉE.

Ciel !

PHILACTE.

Vous voilà fâché vous-même : mais enfin,

Pourquoi mal-à-propos se livrer au chagrin ?

Renvoyons-les, Seigneur. Hé quoi donc ! Les Déesses

Ne sont-elles pas maîtresses ?

Oui, l’Aurore n’a qu’à parler :

Il serait beau qu’une Mortelle

La relançât jusques chez elle,

Et que dans ses plaisirs elle osât la troubler.

CALLITÉE.

L’entreprise est assez hardie.

PHILACTE.

Nymphe, allez, qu’on les congédie.

CÉPHALE.

Amour, vous implorer est tout ce que je puis :

Venez à mon secours, et daignez me prescrire

Tout ce que je dois faire, et comment me conduire

Pour me tirer de la peine où je suis.

 

 

Scène III

 

CÉPHALE, L’AURORE, PHILACTE, CALLITÉE

 

L’AURORE.

Je ne puis pour Procris blâmer votre constance :

Sensible à votre éloignement,

Inquiète de votre absence,

Elle vient d’arriver ici dans le moment.

Pour une épouse et si jeune et si belle,

On ne saurait assurément

Trop louer votre attachement :

Vous seriez criminel de n’être pas fidèle.

PHILACTE.

Elle plaisante, au moins, Seigneur, gardez-vous d’elle.

CÉPHALE.

Vous avez dans ces lieux un absolu pouvoir,

Madame, et quand Procris en approche sans peine,

Il est aisé de concevoir

Qu’en s’y rendant elle est certaine

De l’aveu de la Souveraine.

L’AURORE.

Vos yeux ont été les témoins

De l’état de mon cœur, Céphale :

Hé ! Pouvez-vous penser que je donne mes soins

Pour vous rejoindre à ma rivale ?

Mais peut-être quelqu’un des Dieux,

Qu’elle a touché par sa douleur extrême,         

Par ses prières, par ses vœux,

Ou que dans les transports d’un cœur bien amoureux

Vous avez imploré vous-même,

Se sert de son pouvoir suprême

Pour vous la rendre dans ces lieux.       

PHILACTE.

Elle a mal pris le moment du voyage,

Et mon maître est devenu sage.

L’AURORE.

De deux amants unis des plus parfaits liens,

Je ne veux point par ma présence

Troubler les tendres entretiens.

Voyez pour vous quelle est ma complaisance.

PHILACTE.

Elle est trop grande, par ma foi.

L’AURORE.

De ce Palais je vous laisse le maître,

À mes Nymphes ici vous donnerez la loi ;

Des Sylvains la troupe champêtre          

Vous obéira comme à moi :

Tous à l’envi s’efforceront de plaire

À la beauté qui vous est chère,

Et peut-être son cœur sera-t-il satisfait

Du sacrifice que lui fait

Un époux qui pouvait mieux faire.

PHILACTE.

On se moque de vous, je vous en avertis.

CÉPHALE.

J’ai mérité ces reproches, Déesse :

Mais je ne rougis point de mes feux pour Procris ;

À son mérite, à sa tendresse,

Je dois les plus tendres égards.

Mais hélas ! dans quel temps la fortune cruelle

La vient offrir à mes regards !

L’AURORE.

Au moment que toujours fidèle

Vous faites vanité de l’aimer constamment.

CÉPHALE.

Que je crains de la voir en ce fatal moment !

Le devoir me parle pour elle :

Mais l’amour s’explique autrement.

L’AURORE.

Si sa beauté vous la rendit aimable,

N’en est-il point qui lui soit comparable ?       

Et si cette fidélité

Qui vous tient dans ses fers par devoir arrêté,

À l’abri des discours que le mensonge invente,

À jusqu’à ce moment été

De certains soupçons exempte,

Pensez-vous qu’aux vœux d’un amant,

Son cœur pour vous fidèle, à tout autre inflexible,

Piqué de votre éloignement,

Eût tant de peine à devenir sensible ?

CÉPHALE.

Madame ?

L’AURORE.

Je vous parle ici confidemment.

Je crois Procris aussi sage que belle :

Mais l’incertitude est cruelle ;

Et quand on peut savoir les choses sûrement...

À Procris vous n’osez, Céphale, être infidèle,

Aurait-elle pour vous le même attachement.

PHILACTE.

Peste, quel éclaircissement !

CÉPHALE.

En ce moment j’ai peine à me croire,

Je souffre tout ce que l’on peut souffrir :

Ces soupçons de la foi. Ciel !

L’AURORE.

Je ne les fais naître,

Céphale, que pour les guérir.

PHILACTE.

Fort bien.

L’AURORE.

Contre Procris vous présumez peut-être

Que mon cœur cherche à vous aigrir ?

À vous mettre pour elle en quelque défiance ?

PHILACTE.

On le croirait.

L’AURORE.

Vous-même en ce Palais

Vous en pouvez par vous faire l’expérience.

CÉPHALE.

Par moi !

L’AURORE.

Par vous. Trouverez-vous jamais

Plus belle occasion d’éprouver sa constance ?

Procris croit retrouver Céphale dans ces lieux ;

Sous des traits différents qu’il paraisse à ses yeux,

D’un seul mot à l’instant, sans forcer la nature,           

Je puis pour les regards humains

Vous donner une autre figure ;

Je puis remettre dans vos mains

Tous les trésors dont je suis la maîtresse,

Et de cette immense richesse,

De tant de biens des mortels si chéris

Vous ferez hommage à Procris.

Rival alors, et rival de lui-même,

Sous d’autres traits Céphale ainsi

De son sort peut être éclairci,

Et savoir sûrement à quel point Procris l’aime.

Vous balancez ? votre front obscurci...

De quel crime envers moi ce trouble vous accuse ?

Vous craignez de ne plus aimer

L’objet qui sût trop vous charmer,         

Et ne méritez pas que je vous désabuse.

CÉPHALE.

Hélas, Déesse, hélas ! ordonnez, disposez,

De mon destin vous êtes la maîtresse :

Mais regardez l’état où vous me réduisez.

L’AURORE.

Autant que vous votre sort m’intéresse,

Et mon unique objet est de le rendre heureux :

Mais il faut que pour vous mon pouvoir se signale.

Donc cessez d’être Céphale,

Paraissez au gré de vos vœux

Tout ce que vous voudrez paraître,       

Qu’aucun mortel surtout ne vous puisse connaître.

CÉPHALE.

Quel mouvement se fait en moi !

PHILACTE.

Seigneur, holà donc : par ma foi

Ce changement pour moi n’était pas nécessaire.

L’AURORE.

Dans l’instant que vous le voudrez        

Vous reprendrez votre forme ordinaire,

Et pour Procris vous paraîtrez

Tel que vous le souhaiterez.

 

 

Scène IV

 

CÉPHALE, PHILACTE

 

PHILACTE.

Comment donc, vous voilà tout autre !

Malepeste, quel changement

De ce nouveau visage au vôtre !

Tournez-vous, s’il vous plaît, tenez-vous un moment.

À cette physionomie

Il faut un peu m’accoutumer.

Parbleu, vous êtes à charmer ;

Je n’ai rien vu de pareil en ma vie :

Un front ouvert, des yeux vifs, bien fendus,

Le nez bien fait et la bouche vermeille.

Pour cela, c’est une merveille ;

Et l’on ne se peut trop récrier là-dessus ;          

Pour raccommoder un visage,

La Déesse a, Seigneur, des secrets excellents.

Combien de coquettes du temps

Voudraient avoir de son ouvrage,

Et mettre à profit ses talents !

Quelque part qu’elle ouvrit boutique,

Je puis vous être caution

Qu’elle aurait bien de la pratique.

CÉPHALE.

Dans quelle situation

Philacte, est-ce que je me trouve !

PHILACTE.

Elle est délicate, et j’approuve

Que vous vous conduisiez avec précaution.

CÉPHALE.

Tromper Procris ! chercher à la surprendre !

PHILACTE.

Il est tard de vous en défendre,

Vous connaîtrez à fond son cœur.          

CÉPHALE.

Je sais ce que j’en dois attendre,

Elle a pour moi la plus sincère ardeur,

Un cœur tout entier à Céphale.

PHILACTE.

Si l’on en croit ce que dit sa rivale,

Rien n’est sûr : mais on peut douter.

CÉPHALE.

En ce moment je me sens agiter

D’un trouble affreux que rien n’égale.

Ah ! curiosité qui me sera fatale,

Et que pourtant je ne puis surmonter,

Si sous ces traits nouveaux je venais à lui plaire !      

PHILACTE.

Le grand malheur ! Vous la planterez-là,

Et l’Aurore pour vous sera

Le pis-aller de cette affaire.

CÉPHALE.

Et si je fais d’inutiles efforts ?

PHILACTE.

Oh, l’embarras pour vous sera plus grand alors.        

CÉPHALE.

De quel front la trahir en la trouvant fidèle ?

PHILACTE.

De quel front, de quel front ? Plaisante bagatelle !

Cela doit-il vous arrêter si fort ?

Livrez-vous sans scrupule au feu qui vous enflamme ;

Et comptez qu’avec une femme,

Quelque raison qu’elle ait d’abord,

Dans la suite un mari ne saurait avoir tort.

 

 

Scène V

 

CÉPHALE, PHILACTE, CALLITÉE

 

CALLITÉE.

La Déesse, Seigneur, m’a chargée de vous dire

Que Procris vient de ce côté.

CÉPHALE.

Soumis aux lois qu’elle a su me prescrire,       

Je ferai tout ce qu’elle a souhaité.

Je vais employer l’artifice

Pour toucher le cœur de Procris,

Heureux de n’y trouver que froideur et mépris,

Pour faire à la Déesse un plus grand sacrifice.

PHILACTE.

Un petit mot de conversation.

CALLITÉE.

Qu’est-ce ?

PHILACTE.

Madame Callitée,

Tout à l’heure en rêvant j’ai fait réflexion,

Que faute de précaution,

L’affaire par hasard pourrait être gâtée.

CÉPHALE.

Quel soin prends-tu dans cette occasion ?

PHILACTE.

J’ai mes raisons, laissez faire, et pour cause.

CALLITÉE.

Hé bien ?

PHILACTE.

Si l’on me connaît, moi,

En qui vous n’avez point fait de métamorphose ?

Là, croyez-vous, de bonne foi,

Que ce ne serait point un obstacle à la chose.

CÉPHALE.

Il pense juste.

CALLITÉE.

Il faut te métamorphoser,

Tien en ceci ne périclite encore :

Du changement sur moi tu peux te reposer,

J’ai le même pouvoir pour cela que l’Aurore.

PHILACTE.

Métamorphosez donc, je m’abandonne à vous,

Point de malice, au moins, ni de supercherie ;

À ma femme je veux faire aussi les yeux doux,

C’est pourquoi, travaillez promptement, je vous prie.

La malepeste, quels efforts !        

La peau du visage me tire,

Et je ressens par tout le corps

Certains frémissements que je ne saurais dire...

Charmante Nymphe, s’il vous plaît,

Faites ici de bon ouvrage,

Il y va de votre intérêt ;

Et si par cas fortuit j’engage

Ma femme à cesser d’être sage,

En bonne foi je vous promets

Que je suis à vous pour jamais.

CALLITÉE.

La promesse est fort engageante.

PHILACTE.

J’ai, comme vous voyez, l’âme reconnaissante.

CALLITÉE.

Adieu, le charme est accompli.

 

 

Scène VI

 

CÉPHALE, PHILACTE

 

PHILACTE.

Suis-je beau ?

CÉPHALE.

Non, mais fort joli.

PHILACTE.

Fort joli !

CÉPHALE.

Tout de bon, tu n’es pas connaissable ?

La taille fine et le visage aimable,

Un port noble, un air dégagé.

PHILACTE.

Parbleu, sur ce pied-là je ne suis point changé.

CÉPHALE.

Je vois Procris.

PHILACTE.

Et moi, Dione.

CÉPHALE.

Un reproche secret et m’alarme et m’étonne.

PHILACTE.

On me reconnaîtra, Seigneur.

CÉPHALE.

Rassure-toi,

Tu ne dois là-dessus avoir aucune crainte,

Mais pour quelques moments éloignons-nous, suis-moi :

Disposons mon cœur à la feinte,

Puisqu’on m’en impose la loi.

 

 

Scène VII

 

PROCRIS, DIONE

 

PROCRIS.

Quelle peine, Dione, à la mienne est égale ?

C’est pour amuser ma douleur

Que l’amour a flatté mon cœur

De l’espoir qu’en ces lieux je reverrais Céphale.

DIONE.

À se laisser amuser par l’amour

On ne perd rien, je vous assure,

Il arrête nos pas ici dans un séjour

Le plus charmant qui soit dans la nature :

Voyez de ce Palais la noble architecture,

De ces jardins admirez la beauté.

Ah ! c’est ici, sans doute un pays enchanté :

Et pour moi de cette aventure

Je conçois un heureux augure,

L’amour a pour vous des desseins

Qui s’éclairciront dans la suite.

PROCRIS.

Je viens ici sous sa conduite,

Ma chère Dione, et je crains.

Un noir pressentiment me saisit et m’agite ;

De tout ce qui s’offre à tes yeux

De beau, de grand, de gracieux,

Je ne vois rien, l’absence de Céphale

Occupe seule mon esprit.

DIONE.

Rare et charmant effet de l’amour conjugale,

Elle est trop vive en vous, et je vous ai prédit...

PROCRIS.

Suis-je en état ni de voir, ni d’entendre ?          

Céans certains moments sur ce que l’on nous dit

Est-ce qu’un cœur prévenu réfléchit ?

DIONE.

Pour un absent votre cœur est trop tendre,

Non que je blâme en vous un pareil sentiment,

Mais vous traitez cela trop sérieusement ;       

Que ne m’imitez-vous ? ma conduite est toute autre ;

Mon mari s’est perdu, dit-on, avec le vôtre,

Est-ce lui que je viens chercher ?

Et pour le retrouver ai-je fait afficher ?

Comme vous m’a-t-on vue étaler mes faiblesses ?      

Depuis qu’ils sont partis employer mal mon temps

À fatiguer Dieux et Déesses ?

Et près de ces Dieux sourds, ou peut-être impuissants,

Prendre mes vœux et mon encens ?

Ce ne sont point là mes allures ;

Mon cœur est droit, mes intentions pures.

Mon mari part sans m’en parler,

Il faut bien le laisser aller,

N’est-il pas maître du ménage ?

Suis-je en droit de le retenir ?

Mais s’il lui prend un jour en gré de revenir,

Je serai peut-être en voyage.

PROCRIS.

Philacte après un tel aveu

Ne doit pas trop compter sur l’excès de ta flamme.

DIONE.

Ce n’est pas mon défaut, Madame,        

D’aimer beaucoup les gens qui m’aiment peu.

PROCRIS.

On t’aime plus que tu ne penses ;

Mais finissons ces vains discours.

DIONE.

C’est fort bien dit. Ho, ça, voulez-vous donc toujours

Dans les pleurs et les doléances

Passer les plus beaux de vos jours ?

Depuis un certain temps, sensible à votre peine,

Je partage votre douleur :

Livrez-vous à ma bonne humeur,

Que le penchant du sexe au plaisir vous entraîne.     

PROCRIS.

Ah ! vous extravaguez, Dione, en vérité.

DIONE.

Oui, vous commencez à sourire ?

À la droite raison nous saurons vous réduire ;

Contre elle votre cœur n’est pas si révolté,

Qu’il ne se laisse enfin conduire

Au plaisir, ou du moins à la tranquillité.

PROCRIS.

Céphale seul peut me la rendre.

DIONE.

S’il est ici nous l’y verrons,

S’il ne s’y trouve pas nous nous en passerons :

Mais l’endroit est du moins commode pour attendre.

PROCRIS.

Ces jardins sont délicieux,

Et ce Palais paraît superbe et magnifique.

DIONE.

Vous retrouvez l’usage de vos yeux ;

C’est une marque spécifique

Que votre esprit se porte mieux.

PROCRIS.

Que tout me charmerait, Dione, en ces beaux lieux,

Si toujours sûre d’être aimée,

Les Dieux m’y rendaient mon époux !

Mais dis-moi, chez qui sommes-nous

Ne t’en es-tu point informée ?

DIONE.

Pour cela non. L’Amour s’est bien voulu charger

De nous conduire ici : j’y viens en confiance

Qu’il aura soin de nous loger

Chez quelqu’un de sa connaissance ;

C’est à lui de nous héberger,

Quelle que soit l’hôtellerie,

Il faudra s’en accommoder ;

Mais on cherche à vous aborder.

Quel air ! Quel port ! Regardez, je vous prie.

PROCRIS.

Ah, Dione, je suis trahie !

Céphale, que je cherche de toutes parts,

Ne s’offre point à mes regards.

 

 

Scène VIII

 

PROCRIS, CÉPHALE, DIONE, PHILACTE

 

CÉPHALE.

Je ne m’offense point, Madame,

Que dans ces lieux où tout est sous ma loi,

Vous cherchiez un autre que moi.          

Je sais pour votre époux quelle ardeur vous enflamme.

PROCRIS.

Je vois que mon malheur, seigneur, vous est connu,

Et je ne puis cacher le trouble de mon âme.

Hélas, Céphale, hélas ! Qu’êtes-vous devenu !

PHILACTE, à Dione.

Vous cherchez Philacte, peut-être ?       

Ce n’est pas moi, sur mon honneur.

DIONE.

Il est aisé de le connaître.

PHILACTE, à Céphale.

Courage, tout va bien, Seigneur.

CÉPHALE.

Belle Procris, (car la douleur

N’a rien altéré de vos charmes,)

Si d’un époux qui fait couler vos larmes

Vous pouviez pour un temps perdre le souvenir,

Et que dans ce Palais on put vous retenir,

Que ne ferait-on point pour calmer vos alarmes ?

PROCRIS.

Vos soins, Seigneur, m’offrent un vain secours ;         

L’excès de mes malheurs permet-il que j’espère

Qu’aucun mortel en suspende le cours ?

À mes justes désirs le sort est trop contraire.

Ah ! Si jamais l’amour a touché votre cœur

D’une ardeur vive et mutuelle,

Si vous avez senti sa charmante douceur,

Concevez la peine cruelle

Que souffre un cœur bien enflammé,

Quand le sort injuste et barbare

Peut-être pour jamais l’écarte et le sépare        

D’un objet tendrement aimé.

CÉPHALE.

Je suis touché de votre peine,

Vous m’en voyez pénétré comme vous :

Mais cessez la recherche vaine

Que vous faites de votre époux.

PROCRIS.

Vous condamnez, Seigneur, un soin si légitime,

Et je le prends, dites-vous, vainement ?

CÉPHALE.

Ah ! Que de cet époux je plains l’aveuglement !

S’il s’éloigne de vous sans crime,

Qu’il est coupable en ce moment !         

PROCRIS.

Seigneur.

CÉPHALE.

Possesseur de vos charmes

Autant aimé peut-être qu’amoureux,

Il a gémi d’abord, il a versé des larmes,

L’absence a redoublé ses feux ;

Mais...

PROCRIS.

Achevez, Seigneur.

CÉPHALE.

Une flamme nouvelle

A saisi son cœur malgré lui,

Et le rend moins digne aujourd’hui

Des tendres soins d’une épouse fidèle.

PROCRIS.

Ah ! de quel coup mortel venez-vous me frapper ?

L’ingrat... Mais non, Dione, on cherche à me tromper.           

Pardonnez aux transports d’une épouse insensée,

L’injurieux soupçon qu’elle prend contre vous :

Mais enfin, d’un perfide époux

Qui vous a donc, Seigneur, expliqué la pensée ?

Où le retient-on ? en quel lieu

Se cache-t-il ? Quelle est cette beauté qu’il aime ?

Ah ! si son cœur brûle d’un nouveau feu,

Ose-t-il l’avouer ?... N’êtes-vous pas un Dieu

Qui pénétrez ses secrets par vous-même ?

Si vous êtes, Seigneur, une Divinité,

Comme j’ai tout sujet de le penser...

CÉPHALE.

Madame.

PROCRIS.

Car un simple mortel avec facilité

Ne sait point lire au fond d’une âme :

Hé qui peut vous avoir appris

Que trop d’amour pour un perfide        

Près de vous en ces lieux me guide,

Que je cherche Céphale, et que je suis Procris ?

Protégez une infortunée,

Servez-vous de votre pouvoir

Pour adoucir ma destinée.

Que je parle à l’ingrat, que je puisse le voir,

Qu’il me rende son cœur, et dans l’instant j’oublie

Les maux qu’il m’a causés par son éloignement ;

Ou s’il s’obstine au changement,

De grâce punissez, Seigneur, sa perfidie.         

CÉPHALE.

Si vous saviez à quels remords

Cette infidélité l’expose,

Vous modéreriez les transports

Que son égarement vous cause.

D’un trouble égal au vôtre il se sent agiter ;

Vous l’aimez, Madame, il vous aime,

Quels reproches secrets il se fait à lui-même !

PROCRIS.

Hé ! devrait-il les mériter ?

CÉPHALE.

C’est une puissance suprême

Qui le force de vous quitter.        

PROCRIS.

Ainsi, le Ciel auteur de l’injustice,

Approuve l’infidélité :

Il permet donc qu’avec impunité

L’ingrat Céphale me trahisse :

C’est lui que je cherche en ces lieux,

Je ne l’y trouve point ; souffrez que dans Athènes

J’aille cacher à tous les yeux

Ma honte et l’excès de mes peines.

CÉPHALE.

Non, Madame, dans ce Palais

C’est l’Amour qui vous a conduite,       

Ce Dieu n’approuve pas une si prompte fuite,

Il veut de votre sort prendre soin désormais.

PROCRIS.

Prendre soin de mon sort ? Quelle pitié fatale !

Ah ! pour le rendre heureux qu’il me rende Céphale.

CÉPHALE.

Je ne pénètre point les desseins de l’Amour :

Mais, Madame, dans ce séjour

Daignez vous arrêter, c’est lui qui vous en prie,

À vos peines, à vos tourments,

Vous trouverez ici plus d’adoucissement

Qu’au milieu de votre Patrie.

Par de tendres amusements

Les hôtes de ces bois chercheront à vous plaire :

Heureux si pour quelques moments

De vos chagrins ils pouvaient vous distraire.

PROCRIS.

Dans l’état où je suis, Seigneur,

Le devoir et la bienséance,

Mon repos même et mon honneur

En d’autres lieux demandent ma présence.

CÉPHALE.

Et moi, Madame, et moi, j’ose exiger de vous

Que vous différiez de vous rendre,       

En des lieux, qui de votre époux

Pourraient vous rappeler un souvenir trop tendre ;

Pour l’oublier demeurez parmi nous,

La raison, tout vous y convie ;

Dans ce Palais vous ne serez servie       

Que par des Nymphes, dont le soin,

L’unique objet, la principale étude

Seront de vous sauver la moindre inquiétude.

DIONE.

De ce soin-là nous avons grand besoin,

Nous pouvons l’accepter sans trop de complaisance.

PROCRIS.

Seigneur...

CÉPHALE.

Souffrez qu’en ma faveur

J’ose expliquer votre silence,

Et qu’ici tout s’empresse à mériter l’honneur

D’y jouir de votre présence.

 

 

Scène IX

 

PROCRIS, DIONE, PHILACTE

 

PHILACTE, à part.

La Princesse Procris, où je m’y connais mal,

Ne sera pas inconsolable,

Et sous de nouveaux traits devenu plus aimable,

Céphale est pour lui-même un dangereux rival :

Les suites de ceci pourront être funestes.

Pour mieux éclaircir mes soupçons,

Caché derrière ces buissons

Écoutons leurs discours, ou devinons leurs gestes.

 

 

Scène X

 

PROCRIS, DIONE

 

DIONE.

Que dites-vous de ce jeune Seigneur,

Qui s’éloigne à regret de l’endroit où nous sommes ?

Peut-être suis-je dans l’erreur :

Mais je le crois d’un rang fort au-dessus des hommes.

Avez-vous remarqué certain air de grandeur

Qui règne en toute sa personne ?

Une fierté qui plaît au moment qu’elle étonne ?

Quelle douceur ! quel charmant entretien !      

Son abord seul est d’un heureux présage,

Et pour moi j’augure très bien

Des suites de notre voyage.

PROCRIS.

Et moi, je fais, Dione, un effort impuissant

Pour calmer les chagrins que mon âme ressent :         

Dans Athènes ma peine était bien moins cruelle,

J’y regrettais Céphale absent,

J’ignorais qu’il fût infidèle.

DIONE.

Oui : mais avec quel art on vous a révélé

Tout ce qui dans son cœur se passe !

Avec quelle prudence, avec combien de grâce

Cet hôte si charmant vous en a-t-il parlé !

Il cherchait une excuse à sa nouvelle flamme ;

De peur de vous trop irriter,

Attentif à vous arrêter,

Quel prétexte obligeant il a saisi, Madame !

Quelle politesse ! quel tour !

C’est dit-il, l’ordre de l’Amour.

Si ce n’est qu’un mortel, les aimables manières !

Et si c’était un Dieu, je crois qu’il n’en est guères,      

N’en déplaise pourtant à tous les autres Dieux,

De si charmant, ni de si gracieux.

Tout cela, comme moi, ne vous a point frappés ?

PROCRIS.

Non, Dione.

DIONE.

Mais là, parlons de bonne foi.

PROCRIS.

De ma seule douleur je suis toute occupée.

DIONE.

Ouais, je me suis donc trompée.

En le voyant j’ai senti, moi,

D’abord je ne sais quoi,

Qu’il me semblait que vous sentiez de même,

Pas tout à fait si fort pourtant,

Mais presque dans le même instant.

Examinez-vous bien.

PROCRIS.

Ton erreur est extrême.

DIONE.

Hé bien, j’avais d’abord compris,

Quoique pour un volage un cœur soit trop épris,

Qu’il est des pertes dans la vie

Qu’on peut aisément réparer,

Que souvent des plaisirs la tristesse est suivie,

Qu’il est bon d’être lente à se désespérer,

Que l’on ne doit point trop se piquer de constance :

Enfin j’approuvais fort le peu de résistance

Que vous avez paru faire pour demeurer.

PROCRIS.

Pour tes conseils j’ai de la déférence,

J’espère ici revoir Céphale à tout moment.

DIONE.

Je donne des conseils fort bons, assurément,

Et rien ne flatte tant qu’une duce espérance.

PROCRIS.

C’est le seul bien qui m’est resté.

DIONE.

D’autres viendront bientôt s’offrir à vous, je pense.

PROCRIS.

Tes discours sont pour moi remplis d’obscurité.

DIONE.

Céphale est un perfide, un ingrat, un volage ;

On vous l’a dit, et c’est la vérité.

Il en sera puni, je gage.

PROCRIS.

Vous perdez l’esprit et le sens.

DIONE.

Non, je ne perds ni l’un ni l’autre,

Je porte un cœur comme le vôtre,

Et vous sentez tout ce que je ressens.

Pour moi si je courais après un infidèle,

Et que je rencontre un tel hôte en chemin,

Loin d’appeler la fortune cruelle,

Je rendrais grâce à mon destin ;

Dans une demeure si belle          

Je croirais ne pouvoir faire un trop long séjour,

Et je ferais courir l’infidèle à son tour.

PROCRIS.

Votre extravagance m’étonne,

De dépit contre vous je me sens enflammer :

Vous vous ferez haïr, Dione.

DIONE.

Et vous vous laisserez aimer,

Je m’y connais mieux que personne.

PROCRIS.

Encor ?

DIONE.

Point de courroux, il peut arriver pis ;

Vous aimerez vous-même, et je vous le prédis.

PROCRIS.

Ah ! c’en est trop ; ôtez-vous de ma vue,          

Dione, et ne vous y montrez

Que lorsque la raison vous sera revenue.

DIONE.

Dans peu de temps vous me pardonnerez :

Mais vous l’aurez alors, vous, tout à fait perdue.

 

 

Scène XI

 

DIONE, seule

 

Je ne sais si l’époux voyageur

Sera content de son voyage :

Mais pour le nôtre, j’ai grand’peur

Qu’il ne soit pas fort à son avantage.

 

 

Scène XII

 

DIONE, PHILACTE

 

PHILACTE.

La Princesse paraît s’éloigner en courroux.

DIONE.

Comme à vous, c’est ce qui me semble.

PHILACTE.

Se serait-il passé quelque chose entre vous ?

Auriez-vous eu quelque dispute ensemble ?

DIONE.

Ce sont de petits mouvements

Qui ne durent pas d’ordinaire,

Et je m’étonne peu de la voir en colère.

PHILACTE.

Je vous en fais mes compliments.

Dans l’état où la met l’absence de Céphale,

Vous vous prêtez à sa mauvaise humeur.

DIONE.

Elle a beau faire, il faut bien qu’elle avale

Cette pilule avec douceur.

PHILACTE.

Je la plains ; mais pour vous, que je vous trouve heureuse !

Tandis que la Princesse en pleurs

S’abandonne aux chagrins, aux plus vives douleurs,

Vous n’en êtes pas moins joyeuse,

N’est-ce pas ?

DIONE.

Pourquoi non ? Je le crois bien vraiment ;      

Entre Procris et moi grande est la différence,

Procris est sensible à l’absence

D’un époux aimé tendrement.

PHILACTE.

Je croyais, moi, la chose égale,

Je vous en demande pardon ;

Le bruit courait qu’avec Céphale

Votre mari Philacte, disait-on,

Avait fait aussi le voyage,

Et qu’assez brusquement d’avec vous séparé...

DIONE.

Ah ! je crois qu’il n’est qu’égaré,

Je le retrouverai sans chercher, j’en enrage.

Que mon bonheur serait parfait,

S’il était perdu tout à fait ;

C’est le seul bien qu’aux Dieux ma piété demande.

PHILACTE.

Son absence aurait beau durer,

Votre douleur, je crois, n’en serait pas plus grande ?

DIONE.

Pour cela non, je puis vous en jurer ;

C’est son retour que j’appréhende.

PHILACTE.

Le bon esprit, l’heureux tempérament,

L’aimable petit cœur de femme !

Quoi, si comme Céphale, il ressentait dans l’âme

Pour quelque autre que vous un tendre mouvement ?

DIONE.

Pour le coup j’en rirais de tout mon cœur.

PHILACTE.

Comment ?

DIONE.

Il peut en faire la folie ;

Tous les cœurs sont soumis au pouvoir de l’Amour ;

Mais pour se faire aimer, et pour plaire à son tour,

Oh, par ma foi je l’en défie.

PHILACTE.

Hé, pourquoi donc ?

DIONE.

C’est bien le plus grand animal,

Le plus impertinent visage :

Il faudrait, pour s’en faire une parfaite image,

Avoir connu l’original.

PHILACTE.

Par les sentiments où vous êtes,

Je comprends fort qu’il n’est pas regretté,

Et le portrait que vous en faites...

DIONE.

Hé bien, c’est un portrait flatté,

Le croiriez-vous ?

PHILACTE.

Moi, non, cela n’est pas croyable ;

J’en ai ouï dire tant de bien :

Il est d’un aimable entretien.

DIONE.

Avec des débauchés on dit qu’il brille à table,

Pour se faire valoir c’est là son seul moyen,

C’est un fort bon ivrogne.

PHILACTE.

Hé bien,

Un bon ivrogne n’est-ce rien ?

C’est le talent le plus aimable...

DIONE.

Fi donc.

PHILACTE.

Il a du cœur.

DIONE.

Pour cet article, non :

Du cœur ? C’est le plus grand poltron...

Quand il suit Céphale à la chasse

Tout lui fait peur, tout l’embarrasse ;

Une feuille, une mouche, un faon de biche, un daim,

Le plus faible animal qui passe

L’oblige à rebrousser chemin,

Tout lui paraît une bête effroyable,

Quelque sanglier redoutable.

PHILACTE, bas.

Elle a quelque raison...

Haut.

Je ne le blâme pas

D’éviter des périls sans gloire ;

Le bel honneur d’aller affronter le trépas         

Sans mériter de vivre dans l’histoire !

Mais pour courir à la victoire

S’il fallait de Céphale accompagner les pas,

Alors comme un foudre de guerre,

Ardeur au milieu des combats,

Plus redouté que le tonnerre...

DIONE.

Lui ! Quel conte ! À l’hymen il ne s’est engagé

Que pour mieux s’assurer un éternel congé.

PHILACTE.

Il est vrai...

Bas.

Que je suis en bonne renommée !

DIONE.

Son emploi de la Cour nous l’avons acheté,

Il en pouvait avoir un dans l’armée

Qui ne nous aurait rien coûté.

PHILACTE.

D’accord.

DIONE.

À tel excès son procédé m’irrite.

PHILACTE.

Moi, j’approuve fort sa conduite,

C’est un homme de très bon sens

Qui veut se conserver pour vous, pour ses enfants,

Et qui vous aime.

DIONE.

Oh, je l’en quitte.

PHILACTE, à part.

Parbleu, je m’en tiens quitte aussi, sur mon honneur.

Haut.

Près du Prince il est en faveur,

Vous, de Procris la favorite.        

DIONE.

C’est au hasard qu’il doit tout son bonheur,

Et le hasard donne-t-il du mérite ?

PHILACTE.

De l’air dont vous parler de Monsieur votre époux,

Ou mes conjectures sont vaines,

Ou votre ménage entre nous,

N’est pas le plus heureux d’Athènes.

DIONE.

C’est un des bons, le croiriez-vous ?

Cela choque la vraisemblance :

Mais vous comprenez bien que jusqu’aujourd’hui,

Je n’ai point à Philacte encire fait confidence

Des sentiments que j’ai pour lui.

PHILACTE.

C’est se conduire avec prudence.

DIONE.

Si par hasard il les savait, je pense

Qu’il ne m’en saurait pas bon gré.

PHILACTE.

Pour cela non, j’en suis très assuré,        

Mais votre cœur paraît n’être ouvert qu’à la haine,

Et les femmes pourtant sont faites pour aimer :

Quelque autre que Philacte aura su vous charmer.

DIONE.

Non, je vous l’avouerais sans peine,

Vous paraissez galant homme et discret,         

On vous peut sans péril confier un secret :

Inaccessible à la tendresse,

Mon cœur jamais n’a ressenti d’amour,

Et Philacte est haï sans que j’aime.

PHILACTE, à part.

Encore est-ce.

DIONE.

Cela pourrait fort bien venir peut-être un jour :          

Mais on a tant d’amants que le choix embarrasse,

Le goût qu’on prend pour l’un par un autre s’efface,

Un troisième s’offre à son tour,

Quelque autre le dérange avant qu’il soit en place ;

Ainsi le temps de moment en moment

Dans l’incertitude se passe

Sans que l’on puisse, quoi qu’on fasse,

Prendre un solide attachement.

PHILACTE.

À votre époux c’est faire grâce :

Mais il faut espérer que cela changera,

L’incertitude finira,

Défendez-vous que l’on espère ?

DIONE.

Je ne défends rien, on verra.

Hé, qui peut deviner ce que le cœur dira ?

PHILACTE.

Profitons du séjour qu’ici vous allez faire,       

Consultez-vous un peu sur cette affaire,

Tâchez de vous armer de résolution,

Et que je sache sans mystère,

L’effet qu’aura produit la consultation.

DIONE.

Où vous reverrai-je ?

PHILACTE.

Ici.

DIONE.

Bon.

Je m’y rendrai.

 

 

Scène XIII

 

PHILACTE, seul

 

Que malencontre avienne

À qui fit naître en moi la curiosité :

Si mon maître de même est payé de la sienne,

Il n’en fera pas vanité.

Avec Procris je le vois qui s’avance,      

Les Nymphes viennent rendre hommage à ses attraits,

Et vont avec magnificence

La conduire au Palais.

 

 

Divertissement du deuxième acte

 

TROUPE DE FAUNES et DE NYMPHES

 

Marche.

UNE NYMPHE chante.

Les plaisirs, les ris et les jeux
Habitent dans ces retraites,          
Vénus y demeure avec eux,
Le Dieu des amours les a faites
Pour ceux qu’il veut rendre heureux.

Dans ces beaux lieux l’aimable Philomèle,
De ses maux perd le souvenir,
Et le deuil de la Tourterelle
La plus fidèle
Ne tarde pas à finir.

UNE AUTRE NYMPHE chante.

Vos yeux ne sont point faits pour répandre des larmes,
Il est pour eux un emploi bien plus doux,       
Belle Procris, vous avez trop de charmes
Pour regretter si longtemps un époux.

Entrée.

DEUX NYMPHES chantent.

Triomphez, jeune Princesse,
Triomphez des Dieux et des Rois,
Livrez-vous à la tendresse,          
Tout suivra vos lois,
L’Amour s’intéresse
À vous voir faire un nouveau choix,
Aimez, changez autant de fois
Qu’il vous en presse.        

Entrée.

Branle.

UNE NYMPHE chante.

Qui cherche un époux volage,
Et rencontre un tendre amant,
Des fatigues du voyage,
Se dédommage aisément.

UNE AUTRE NYMPHE chante.

Un perfide époux vous change,
Il est doux d’en faire autant ;
C’est ainsi que l’on se venge
Du mépris d’un inconstant.

UNE AUTRE NYMPHE chante.

Pour cette douce vengeance
Songez bien qu’il n’est qu’un temps,
Prudente qui la commence
Au plus beau de son printemps.

UNE AUTRE NYMPHE chante.

On perd tout quand on diffère,
Et rien n’est à négliger,
Les moments où l’on sait plaire,
Sont ceux de se bien venger.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

L’AURORE, CALLITÉE

 

L’AURORE.

Ah ! que Procris m’a paru belle,

Callitée, et pourquoi les Dieux

Ornent-ils donc une simple mortelle

De leurs dons les plus précieux ?

Quoi n’est-ce pas fournir des armes

Contre leurs propres libertés,

De prodiguer ainsi tant d’attraits et de charmes

Qu’ils devraient réserver pour des Divinités ?

CALLITÉE.

Vous en parlez bien à votre aise,

Et pour penser ainsi vous avez vos raisons :

Mais les Dieux, ne vous en déplaise,

N’ont pas si grand tort au fonds.

Si les Déesses en partage

Avaient tous les attraits et toute la beauté,       

Croyez-vous qu’un tel avantage

N’ajoutât pas beaucoup encore à leur fierté ?

Quand par hasard quelques-unes d’entr’elles

Veulent trop faire les cruelles,

Sur la terre les Dieux ont de quoi s’en venger.

Qu’ils font bien de se ménager,

Loin de l’Olympe, auprès des belles,

L’occasion de se dédommager

Du sot orgueil des Immortelles ;

Car vous savez qu’il en est entre nous

De ridicules, d’intraitables ;

Et sans vous flatter, comme vous

Toutes ne sont pas raisonnables.

L’AURORE.

Je pardonne à ta bonne humeur

De plaisanter ainsi de ma faiblesse :

Mais trop légèrement ton zèle s’intéresse

À l’état violent où se trouve mon cœur.

CALLITÉE.

Pardonnez-moi, je vous assure,

Je suis très attentive à tous vos sentiments,

Autant que vous j’y prends part, je vous jure :

Mais enfin de cette aventure

Je ne prévois pour vous que des plaisirs charmants :

Sans crainte de Procris je vois briller les charmes,

Les vôtres doivent lui causer

Plus de soucis et plus d’alarmes.

Sur la foi de l’Amour on peut s’en reposer,

Puisque en faveur de votre flamme

Notre ami Mercure a, Madame,

Pris grand soin de le disposer.

L’AURORE.

Tu rassures un peu mon âme.

CALLITÉE.

Contre Procris tout doit vous rassurer ;

Vous êtes amante, elle est femme,

Quelle raison pour espérer !

L’AURORE.

Il est vrai : mais enfin, ma chère Callitée,

Mercure dans l’Olympe est allé faire un tour,

Et je suis fort inquiétée

De ne le point voir de retour.

CALLITÉE.

Avez-vous peur qu’il ne s’égare ?

L’AURORE.

Non : mais des mouvements de la céleste Cour

Je crains, je l’avouerai, quelque suite bizarre ;

De Minerve, Procris a la protection :

Junon dans son humeur jalouse,

Sans trop savoir pourquoi, prend avec passion

Le fait et cause d’une épouse.

CALLITÉE.

C’est un faible crédit que celui de Junon.         

L’AURORE.

Cybèle est malfaisante, et Jupiter est bon,

À te dire le vrai, tout cela m’inquiète,

Callitée, et j’ai grand regret

Que cette affaire-ci n’ait point été secrète.

CALLITÉE.

Cela serait mieux en effet :           

Mais comment empêcher que le bruit ne soit fait ?

Le meilleur parti qu’on peut prendre,

C’est de laisser faire, et d’attendre ;

Vous verrez à la fin que Procris aura tort.

Hé fi, c’est une tracassière,           

Qui près des Dieux a fait grand bruit d’abord.

Jupiter a chargé Mercure de l’affaire :

De concert avec nous par Mercure l’Amour,

Procris dans ce palais conduite,

Y fait pour elle un dangereux séjour,

Dont nous verrons bientôt la suite.

Son époux tend un piège à sa fidélité :

Par les appas d’une feinte tendresse

Son cœur frémit, ou son dépit flatté

Feront succomber sa fierté.          

Acte aussitôt de sa faiblesse,

Temples, accès fermés pour elle auprès des Dieux,

Nul secours, assistance aucune ;

Mercure à Jupiter fera voir clairement

Qu’on ne doit vous blâmer en ceci nullement ;

La dolente Procris devenue importune

Ira chercher ailleurs fortune ;

Et son époux tranquillement,

Sans qu’on ose en gloser, restera votre amant.

Ainsi tout ira bien, Déesse.          

L’AURORE.

Le plaisir dans mon cœur succède à la tristesse.

CALLITÉE.

Voilà comme parmi les Dieux

Se mènent bien souvent la plupart des affaires ;

Et si chez mes mortels elles vont un peu mieux,

Je pense que ce n’est de guères.

Ne craignez rien, Mercure avec empressement

Vous apporte quelque nouvelle.

 

 

Scène II

 

L’AURORE, MERCURE, CALLITÉE

 

L’AURORE.

Quel trouble tout-à-coup m’agite en ce moment ?

MERCURE.

Rassurez-vous, trop charmante Immortelle,

Du haut des Cieux j’arrive à tire d’aile,

Ce n’est pas pour vous faire un mauvais compliment.

CALLITÉE.

Je vous le disais bien.

MERCURE.

Tout va le mieux du monde.

Le dessein que nous avons pris

D’attirer en ces lieux Procris,

Pour calmer sa douleur profonde,

Ou pour suspendre au moins ses plaintes et ses cris,

Dans l’Olympe, où d’abord parmi tous les esprits

Sur toute nouveauté la pétulance abonde,

A fait un merveilleux effet.          

CALLITÉE.

Hé voyez ce que c’est qu’un bon conseil, Madame.

L’AURORE.

Donné par un ami parfait.

CALLITÉE.

Qui s’intéresse à servir votre flamme.

MERCURE.

Personne n’y prend tant de part ;

Et pour donner un bon tour à l’affaire,

Je m’y suis pris aussi de la bonne manière.

Arrivé comme par hasard,

De votre part pourtant j’ai d’abord été faire

À Junon, Cybèle et Pallas,

Des compliments qu’elles n’attendaient pas.

L’AURORE.

Elles qui contre moi sans raison déclarées ?...

MERCURE.

Et voilà pourquoi justement

J’ai cru qu’il était bon que pour le compliment

Elles fussent les préférées.

CALLITÉE.

Que Mercure est un bon politique !       

MERCURE.

Oui, vraiment,

Celles qui sont de nos amies

Sans soins à nous servir se laissent engager :

Ce ne sont que les ennemies

Qu’avec art il faut ménager.

L’AURORE.

Cette conduite est tout-à-fait louable :

Mais enfin, quel succès est-ce qu’elle a produit ?

MERCURE.

Elle a produit un succès admirable,

Dont j’ai la peine, et vous le fruit.

L’AURORE.

Mais encor dites-moi.

MERCURE.

Procris disgraciée,

Chez les Divinités a perdu son crédit.

L’AURORE.

Hé ! de quelle façon ?

MERCURE.

J’ai mis dans leur esprit.

L’AURORE.

Quoi ?

MERCURE.

Que de leur puissance elle s’est défiée,

Qu’elle a mis dans ses intérêts

Vénus, les Grâces, la Jeunesse,

Les Ris, les Jeux, les Plaisirs.

CALLITÉE.

Quelle adresse !

MERCURE.

Qu’à la servir aussi les amours sont tous prêts ;

Qu’enfin elle est autorisée

Par toute la cabale à la leur opposée.

L’AURORE.

Hé bien ?

MERCURE.

Hé bien dans le moment

Les voilà dans l’emportement.

Je ne m’étonne pas, a dit d’abord Cybèle,

Si je n’entends plus parler d’elle.

Dans mon Temple, a repris Junon,

Elle n’a depuis hier fait offrandes ni don.

Ah vraiment, a crié Minerve,

Cette folle prend bien son temps

Pour nous retrancher notre encens ;

Croit-elle donc que pour rien on la serve ?

Hé ! pensez-vous donc que ce soit votre appui,

Ai-je répondu, moi, qu’elle cherche aujourd’hui ?     

Loin de s’intéresser à retrouver Céphale,

Éprise d’une ardeur égale,

Elle court comme lui la campagne à présent.

L’AURORE.

Ah ! C’est être trop médisant.

MERCURE.

Oh ! vous placez mal le scrupule,

Madame l’Aurore ; comptez,

Pour épargner le moindre ridicule

À certaines Divinités,

Qu’il n’est médisance, imposture

Dont ne soit capable Mercure ;

Et qu’enfin pour sauver votre honneur combattu,

Il faut immoler tout, et même la vertu.

CALLITÉE.

Quel zèle !

L’AURORE.

Il va plus loin encor que ses promesses.

MERCURE.

Enfin voyant les trois Déesses

L’esprit aigri de colère, et le cœur

À peu près au point de fureur

Qu’on pouvait souhaiter, c’est-à-dire, enragées

Comme des prudes outragées,

J’ai dans l’instant saisi l’occasion,

Je me suis assuré de leur protection,

Pour faire recevoir Céphale

À demander aux Dieux la séparation,

En cas de malversation

De la part de votre rivale.

Cela vaut fait.

CALLITÉE.

Fort bien.

MERCURE.

Ce n’est pas tout encor.

L’AURORE.

Qu’avez-vous fait de plus ?

MERCURE.

Plutus, le Dieu de l’or,

Que vous connaissez bien, je pense,

M’a de fort bonne grâce et sans nul intérêt,

Malgré le temps qui court, prêté quelque finance,

Que vous lui rendrez, s’il vous plaît,

Et cela pour donner à quelques secrétaires,

À des confidents ordinaires

De quelques Dieux de peu de poids,

Mais qui pourtant dans les affaires

Ne laissent pas d’avoir leur voix.           

L’AURORE.

Vous avez fort bien fait.

MERCURE.

Dans le siècle où nous sommes,

Chez les Dieux comme chez les hommes

Les présents font taire les lois.

L’AURORE.

D’accord.

MERCURE.

Quant à Momus, trois ou quatre bouteilles

D’un nectar le premier cuvé,

Par mon maître d’hôtel avec soin conservé,

L’ont engagé pour vous à faire des merveilles :

Le Dieu critique en a bu tout son sou,

Puis, devant Jupiter, des fausses pruderies

Il a fait cent plaisanteries ;

Le grand Maître des Dieux en a ri comme un fou :

Enfin ce qui d’abord chez la Troupe immortelle,

Ou par malice, ou par prévention,

Paraissait mériter si grande attention,

Leur paraît maintenant la moindre bagatelle ; 

Et sur ma foi je vous fais caution,

Que de Procris pour peu que la vertu chancelle,

Il n’en sera plus mention.

CALLITÉE.

N’est-ce pas une chose étrange

De voir qu’en terre et dabs les Cieux,

Parmi les mortels et les Dieux,

On soit sujet à prendre ainsi le change ?

L’AURORE.

Tout ceci ne méritait pas

L’éclat qu’on en a voulu faire.

CALLITÉE.

D’accord : mais en donnant un bon tour à l’affaire,

Mercure cependant nous sort d’un mauvais pas.

L’AURORE.

Je n’en serai jamais ingrate,

Et Mercure sur moi peut compter.

MERCURE.

Je m’en flatte ;

Mais à le mériter je suis intéressé.

Voici Philacte, je vous laisse,      

Et vais près de Procris employer soins, adresse,

Pour achever ce que j’ai commencé.

 

 

Scène III

 

L’AURORE, CALLITÉE, PHILACTE

 

CALLITÉE.

Philacte est occupé de quelque rêverie,

Qui lui cause un secret ennui.

L’AURORE.

Faisons-le approcher, je te prie,

Je veux savoir un quelque chose de lui.

CALLITÉE.

Philacte.

PHILACTE.

Ah, ah ! c’est vous.

L’AURORE.

Que fait Céphale ?

PHILACTE.

Pour vous plaire, à votre rivale

Par vos ordres il fait les honneurs du Palais,

Comme s’il en était le maître ;

Et si je sais me connaître en souhaits,

Je crois qu’il voudrait déjà l’être.

L’AURORE.

Près de Procris il est fort empressé ?

PHILACTE.

Tantôt oui, tantôt non, Madame.

L’AURORE.

Comment ?

PHILACTE.

Il a d’abord assez bien commencé,         

Et dans l’esprit et le cœur de la Dame

Il m’a paru fort avancé,

Puis ensuite il s’est déplacé ;

Je ne sais quel remords le gêne au fond de l’âme.

L’AURORE.

Ainsi toujours de Procris amoureux...

PHILACTE.

Ce n’est point l’amour qui l’enflamme :

Mais sous de nouveaux traits il est bien dangereux

De faire l’amant de sa femme ;

Vous éprouvez son cœur par un terrible endroit,

L’entreprise est hardie, et délicate, et grande ;

Pardonnez-lui s’il appréhende

D’être aimé plus qu’il ne voudrait.

CALLITÉE.

La situation à coup sûr est gênante.

L’AURORE.

Et c’est pourtant le seul moyen

De calmer les soupçons que mon cœur a du sien.      

PHILACTE.

Hé ! de grâce, soyez contente

D’allumer dans son cœur une flamme constante,

Madame, et par-delà ne lui demandez rien.

Je sais par moi ce qu’il en coûte

Pour certains éclaircissements.

CALLITÉE.

As-tu vu ta femme ?

PHILACTE.

Sans doute.

CALLITÉE.

Tu sais pour moi quels sont ses sentiments ?

PHILACTE.

Oh, vraiment oui, c’est bien le plus grand fonds de haine,

Le plus parfait mépris. Je m’en doutais un peu :

Mais, grâce à vous, la chose est à présent certaine,     

Et d’en douter encor je n’ai plus aucun lieu.

Si par hasard mon maître allait savoir de même...

L’AURORE.

Non, pour lui de Procris la tendresse est extrême,

Il n’en doit redouter ni haine, ni mépris,

Céphale est seul objet de sa plus tendre flamme.       

PHILACTE.

Je n’en répondrais pas, Madame,

C’est son épouse, que Procris ;

L’hymen fait des effets qu’on ne saurait comprendre ;

Moi, qui n’ai pas sujet de m’en louer,

Et qui suis fort humain, fort tendre,

À la pauvre Princesse... Osai-je l’avouer ?

J’ai par deux fois été tenté d’apprendre

Le mauvais tour qu’on voulait lui jouer,

Mais la crainte de vous déplaire.

L’AURORE.

À ton bon naturel je ne m’oppose pas,

Tu peux en parler ou te taire,

Mais il s’agit dans cette affaire

Du secret, ou d’un prompt trépas.

PHILACTE.

Je me tairai.

L’AURORE.

Tu ne saurais mieux faire,

Et si Procris en apprends jamais rien,

Tu cesseras de vivre au même instant.

PHILACTE.

Fort bien.

 

 

Scène IV

 

PHILACTE, CALLITÉE

 

PHILACTE.

Tudieu, la dangereuse chose

Que d’avoir le secret des Grands !

Que ce soit vous, ou quelque autre qui cause,

Il faut en être les garants.

Ce séjour si charmant commence à me déplaire ;

De grâce, donnez-moi les moyens d’en sortir,

L’Aurore est un peu trop en colère.

CALLITÉE.

Je n’ai garde d’y consentir.

PHILACTE.

Quoi donc, si pour me faire pièce          

On va révéler le secret ?

CALLITÉE.

Tu sais l’ordre de la Déesse,

Point de quartier.

PHILACTE.

Je suis votre valet,

Vous donnez à son ordre un peu trop d’étendue ;

Si ce n’est pas ma faute à moi ?

CALLITÉE.

N’importe, immuable est la loi.

PHILACTE.

Parbleu, pour éviter qu’on fasse une bévue,

Ou laissez-moi partir, ou qu’on me garde à vue.

CALLITÉE.

Rien ne t’arrête donc en ces lieux ?

PHILACTE.

Non, ma foi ;

L’amour m’y retiendrait, mais la crainte m’en chasse.           

Mettez-vous vous-même en ma place.

CALLITÉE.

À la Divinité je répondrai de toi.

PHILACTE.

Je demeure, et c’est une grâce

Que je ressens comme je dois.

CALLITÉE.

Va rejoindre Céphale, et dis-lui qu’il se presse

De mériter le cœur de la Déesse ;

Pour rompre avec Procris qu’il ne ménage rien.

PHILACTE.

Quel espoir m’est permis ?

CALLITÉE.

Moi-même je l’ignore.

Mais unissons d’abord Céphale avec l’Aurore,

Leur sort décidera du tien.          

 

 

Scène V

 

CALLITÉE, seule

 

Si je puis sainement juger de l’aventure,

La Déesse et Céphale, à ce que je prévois,

S’accorderont mieux que Philacte et moi.

Mais que vois-je, Seigneur Mercure ?

Quel est donc ce déguisement ?

 

 

Scène VI

 

CALLITÉE, MERCURE, en vieille

 

MERCURE.

Connaissez-vous les traits de Sténopé ?

CALLITÉE.

Oui, vraiment,

Nourrice de Procris, je pense.

MERCURE.

Son tout, sa gouvernante aussi.

CALLITÉE.

Oui, justement.

MERCURE.

Ai-je bien pris la ressemblance ?

Qu’en dites-vous ?

CALLITÉE.

On ne peut rien de mieux ;          

Voilà son air, ses traits, sa taille et son visage ;

Sans être tout au moins du rang des demi-Dieux,

On vous méconnaîtrait, je gage,

Et ce déguisement peut tromper tous les yeux.

MERCURE.

Je vois de Procris la Suivante,

Adieu. Comme nourrice, avec la confidente,

Je vais au plutôt achever

D’abattre une fierté déjà bien chancelante.

 

 

Scène VII

 

MERCURE, DIONE

 

DIONE.

Rien n’est moins naturel que tout ce que je vois,

Chaque instant, chaque pas à ma surprise ajoute,      

Vous sommes chez un Dieu, sans doute ;

Mais ne vois-je pas ? Non, si fait, pardonnez-moi :

Je ne me trompe point, Sténopé !

MERCURE.

C’est Dione !

Que je ressens de joie en ce moment !

DIONE.

Par excès d’amitié la bonne Vieille donne        

L’embrassade aussi vivement...

MERCURE.

Je suis, ma chère enfant, dans de cruelles peines.

Quoi ! sans Procris vous trouver seule ici ?

Pour la chercher je viens exprès d’Athènes.

DIONE.

Et vous venez à propos, la voici.

 

 

Scène VIII

 

MERCURE, PROCRIS, DIONE

 

PROCRIS.

Que fais-je ? Où suis-je, infortunée ?

Est-ce donc mon époux que j’attends en ces lieux ?

Quelle y sera ma destinée !

Mais, quel objet se présente à mes yeux !

Sténopé ! Hélas ! vous m’avez donc suivie ?

En quel état me trouvez-vous ?

MERCURE.

Dans un état à faire envie,

Si quand l’Amour vous y convie

Vous suiviez un juste courroux.

PROCRIS.

Quoi ! de concert avec Dione,

Sténopé, mes chagrins par vous sont redoublés ?

Est-ce donc vous qui me parlez ?

MERCURE.

Ce sont des conseils qu’on vous donne,

Servez-vous-en si vous voulez.

PROCRIS.

Qu’entends-je ? Quels discours ? Leur nouveauté m’étonne !

Quoi ! Lorsque la raison peut-être m’abandonne,

Est-ce ainsi dans mes maux que vous me consolez. ?

MERCURE.

Ces traîtres de maris, ce parjure Céphale,

C’est l’âme la plus déloyale...

PROCRIS.

Dit-on l’objet de son égarement ?

MERCURE.

Oui, l’on sait toutes ses fredaines ;

Il est à présent dans Athènes

Dans un joli prédicamment.

PROCRIS.

Sténopé, instruisez-moi de tout ce qui se passe,         

Pour aigrir mon ressentiment.

MERCURE.

Ho, c’est bien mon dessein, vraiment.

Sous prétexte d’aimer la chasse,

Tous les jours le perfide allait dès le matin

En rendez-vous avec l’Aurore.

PROCRIS.

Avec l’Aurore !

DIONE.

Et mon vilain

Ne m’en avait rien dit encore :

Le double traître !

MERCURE.

Autre coquin.

Le drôle avait aussi ses raisons pour se taire.

DIONE.

Le pendard !

MERCURE.

Voilà bien de quoi vous étonner ;        

L’exemple est dangereux, on fait ce qu’on voit faire.

Il s’était laissé suborner

Par une Nymphe bocagère,

Dont ils empruntaient la chaumière

Pour apprêter le déjeuner.

DIONE.

Je le reconnais bien, il ne sait qu’ivrogner,

Toujours à table, ou près de quelque aventurière.

PROCRIS.

Mais quoi, la Déesses du jour

Se rendrait-elle aussi dans ce vilain séjour ?

MERCURE.

En quel lieu, dites-moi, dans leurs folles tendresses

Ne vont point et Dieux et Déesses ?

PROCRIS.

Avec Céphale de concert

Votre époux nous trompait, Dione.

DIONE.

Vengeons-nous en de même. Hé, de quoi sert

D’être fidèle à qui nous abandonne ?

MERCURE.

On n’en est pas mieux, car enfin,

Ce que l’on n’a pas fait, on croit qu’on l’a pu le faire.

DIONE.

Et la contrainte ainsi ne sert de guère.

MERCURE.

Non vraiment. Il n’est point de plus sotte manière,

C’est être raisonnable en vain.

PROCRIS.

Quelle ardeur coule dans mes veines !

Le trouble, le dépit, la fureur tour à tour...

Quels avant-coureurs de l’amour !

Il fallait...précautions vaines,

Quand j’aurais évité ce dangereux séjour,       

Sténopé, suivez-moi, prenez pitié des peines

Que je ressens dans ce funeste jour.

DIONE.

Cette affaire-ci prend le tour

Que j’ai prévu d’abord. Vous suivrai-je, Madame ?

MERCURE.

Non.

DIONE.

C’est moins le dépit que l’amour qui l’enflamme.      

 

 

Scène IX

 

DIONE, PHILACTE

 

PHILACTE, à part.

Je ne puis retrouver Céphale dans ces lieux.

Heureux amant sans se faire connaître,

Et malheureux mari ; peut-être

De honte en ce moment il se cache à mes yeux,

Mais je vois ma femme, et j’enrage,       

Qu’ici mal-à-propos me voilà revenu !

DIONE.

Voici, je crois, mon inconnu.

PHILACTE, à part.

Au rendez-vous la coquine est exacte,

Et par ma foi, je n’en suis point surpris.

DIONE.

Il est moins beau que l’amant de Procris,         

Mais il est bien au-dessus de Philacte.

PHILACTE, à part.

Philacte ! Elle parle de moi,

Et n’en dit pas de bien sur ma parole.

Éloignons-nous d’ici, je crois

Que j’y jouerais un assez mauvais rôle.

DIONE.

Vous semblez vouloir m’éviter,

Ma présence vous embarrasse,

Vous qui tantôt dans cette même place

Avec plaisir paraissiez m’arrêter.

PHILACTE.

J’appréhende de vous distraire,

Et de troubler des occupations

Qui, comme je présume, ont plus de quoi vous plaire

Que l’entretien que nous aurions.

DIONE.

Je consultais mon cœur sur la petite affaire

Dont tantôt vous m’avez parlé.

PHILACTE.

Aux conseils volontiers un bon esprit défère

Quand il se croit bien conseillé.

DIONE.

Avec plaisir vous apprendrez peut-être

Le résultat de la réflexion,

J’ai pris ma résolution.

PHILACTE.

Ne me la faites point encore sitôt connaître.

Et dans mon cœur laissez durer

La charmante douceur de pouvoir espérer...

DIONE.

Ah ! Puisqu’à cet espoir vous êtes si sensible,

Apprenez pour le mieux flatter,

Que mon traître m’a fait un outrage terrible.

PHILACTE.

Philacte ?

DIONE.

Je le sais à n’en pouvoir douter.

PHILACTE.

Lui ? quel conte ?

DIONE.

Par l’infidèle

Le cœur d’une Nymphe surpris,

Hé, quelle Nymphe, encore.

PHILACTE.

Chansons.

DIONE.

Non.

PHILACTE.

Bagatelle.

DIONE.

Je vous dis qu’il est aimé d’elle,

Plus encore qu’il n’en est épris.

PHILACTE, à part.

J’en tiens. Pour ne se pas contraindre,

La masque est sans sujet la première à se plaindre,

Et voilà le prétexte pris.

DIONE.

Je vous trouve rêveur, inquiet, et surpris.

PHILACTE.

Sur mon compte par Callitée

Chemin faisant n’a-t-elle rien appris ?

DIONE.

Je suis à tel point irritée...

PHILACTE.

Tranquillisez un peu vos sens.

DIONE.

Contre moi de l’ingrat vous prenez la défense ?

PHILACTE.

Non pas vraiment : mais la prudence

Ne permet pas sur des faits importants

De trop croire la médisance ;

La plupart des époux sont de si bonnes gens,

Qui méprisent d’entrer dans de certains mystères :

Si comme vous ils étaient pétulants,

On verrait de belles affaires.

DIONE.

Je souffrirai qu’avec impunité

Ce vilain, ce magot m’outrage ?

PHILACTE.

Oui, vous êtes et bonne et sage.

DIONE.

Moi sage ! je l’ai trop été,

Je crèverais plutôt que de l’être davantage.

PHILACTE.

Bon, voilà mon fait arrêté :

Hom, chienne.

DIONE.

Quel discours ! L’impudence m’étonne,

Hé, qui vous autorise à me parler ainsi.

PHILACTE.

Vous le saurez bientôt, mignonne,

Pour moi je ne veux pas être plus éclairci ;

Je m’en tiens là. Procris s’avance.

DIONE.

Quelle confusion ? Que faut-il que je pense ?

 

 

Scène X

 

CÉPHALE, PROCRIS, PHILACTE, DIONE

 

PROCRIS.

Quoi donc, seule avec vous, Seigneur,

Sténopé en ces jardins me laisse ?

CÉPHALE.

N’en appréhendez rien qui blesse

La bienséance ni l’honneur :        

Mon respect est pour vous égal à ma tendresse,

Et quand on aime infiniment

On aime avec délicatesse.

Je me suis aperçu de son éloignement,

Madame, et depuis ce moment

À mon cœur j’ai fait violence.

Timides pendant son absence,

Mes feux ont craint de s’exhaler,

J’ai forcé ma bouche au silence,

Et mes yeux seuls ont osé vous parler

Du plus ardent amour dont on puisse brûler.

PROCRIS.

Ce langage pour moi n’est point intelligible,

On ne m’a point instruite à l’expliquer, Seigneur,

Et les yeux, la bouche et le cœur

À qui porte une âme sensible,

Parlent en vain de la plus vive ardeur.

CÉPHALE.

Ainsi donc tout espoir m’est interdit, Madame ?

Pour vous faire approuver ma flamme,

Je fais des efforts superflus ?

Parlez.

PROCRIS.

Qu’exigez-vous, et que puis-je vous dire,   

Seigneur ? je ne me connais plus,

Tout est nouveau pour moi dans votre empire,

Mon esprit y pense autrement,

C’est un autre air que j’y respire,

Mon cœur agit différemment,

Il me semble que tout conspire

À me faire sentir ce fatal changement.

À mes intérêts si fidèle,

Sténopé si prudente et si sage autrefois,

Par des conseils indignes d’elle,

Irrite encore le trouble où je me vois :

Sa complaisance criminelle,

Prête aux traits que j’évite une force nouvelle

Pour m’asservir sous de funestes lois.

Fuyons, n’attendons pas qu’un Dieu cruel s’unisse

À tant d’efforts que l’on fait contre moi.

Quoique Céphale me trahisse,

Souvenons-nous de ce que je me dois :

Il est parjure, il me manque de foi,

Que ma fidélité fasse un jour son supplice.     

CÉPHALE.

Mérite-t-il, Procris, ce tendre attachement ?

Malgré ses ardeurs insensées

Vous l’aimez toujours constamment,

Toujours présent à vos pensées...

PROCRIS.

Qu’il les occupe en ce moment.

CÉPHALE.

Instruit de sa perfidie,

Que lui-même partout prend soin de publier,

Vous savez qu’il vous a trahie,

Et vous ne pouvez l’oublier ?

PROCRIS.

Ce serait manquer à ma haine,

Que d’oublier qu’il a pu me trahir ;

Laissez-moi cet objet dont ma mémoire est pleine,

Je ne l’y retiendrai que pour mieux le haïr.

CÉPHALE.

Dans cette haine encore mal assurée,

Le haïssez-vous tant, Procris ?

PROCRIS.

Cette haine, seigneur, aura peu de durée,

Elle fera bientôt place au mépris.

CÉPHALE.

Le mépris : quoi déjà ?...

PROCRIS.

C’est la seule vengeance

Que contre lui se permet ma douleur :

N’est-il pas temps qu’elle commence

Au moment que je sais l’offense ?

Je contrains mon dépit et ma juste fureur ;

Et n’opposer à l’inconstance

Que mépris et qu’indifférence,

C’est se venger avec douceur.

CÉPHALE.

Ah ! De quel doux espoir je sens flatter ma peine !

La haine succède à l’amour,

Le mépris va suivre la haine,

Et ce grand changement est l’ouvrage d’un jour.

Que la trahison de Céphale         

Mérite bien le sort que vous lui préparer !

PROCRIS.

Hélas, Seigneur !

CÉPHALE.

Vous soupirez.

PROCRIS.

À mon repos trahison trop fatale,

À quels tourments vous me livrez ?

Seigneur, soyez sensible à mon malheur extrême,     

Souffrez que je me rende à la Grèce, moi-même.

CÉPHALE.

Vous préférez, Procris, le Palais odieux

D’un époux volage et parjure

À cet asile glorieux ?

Vengez-vous ainsi votre injure ?

Les pleurs qui coulent de vos yeux,

Font trop voir à quel point il vous est cher encore,

Cet infidèle époux, cet Amant de l’Aurore.

PROCRIS.

Seigneur ?

CÉPHALE.

Que pouvez-vous souhaiter en ces lieux ?

Demi-Dieux, Nymphes, tout s’empresse à vous y plaire.     

Comme soumise et tributaire

De ces dons précieux,

La nature cherche à vous faire

Un hommage digne des Dieux.

Je ne veux qu’un seul mot, et pour vous satisfaire     

J’assemble en ce Palais mille trésors divers

Qu’enferment dans leur sein et la terre et les mers,

Ils sont à vous, Procris, permettez que j’espère.

PROCRIS.

Les richesses ne touchent guère,

Seigneur, un cœur comme le mien,        

Et c’est mal en juger de croire

Qu’aux offres des trésors il soit sensible.

CÉPHALE.

Hé bien,

Si du moins il l’est pour la gloire,

Peut-être dépend-il de moi

De vous mettre au-dessus du sort d’une mortelle.

PROCRIS.

Vous pouvez tout, et je le crois ;

Mais pour nous rendre heureux la grandeur suffit-elle ?

Non, l’immortalité, Seigneur, me déplairait,

Si l’amour de celui qui me l’assurerait

Comme lui, comme moi n’était pas éternelle.

CÉPHALE.

Ah ! Je ne cesserai jamais d’être constant.

PROCRIS.

Céphale m’en jurait autant.

CÉPHALE.

Par quels serments faut-il qu’on vous rassure ?

Qui peut mieux garantir la foi de ces serments,

Que l’adorable objet de mes empressements ?

C’est par vous-même que j’en jure.

PROCRIS.

Et mon perfide époux, Seigneur,

Verrait-il à regret ma gloire et ma grandeur ?

La honte et le remords de m’avoir outragée,

Troubleraient-ils son infidèle cœur ?

CÉPHALE.

Que vous doit importer sa joie ou sa douleur,

Pourvu que vous soyez vengée ?

PROCRIS.

Hé ! puis-je l’être sans savoir

Que je lui cause un mortel désespoir ?

CÉPHALE.

Et vous le haïssez ! Malgré son inconstance

Que Céphale est encore heureux !

Et moi, je ne devrais le succès de mes vœux

Qu’à ce seul désir de vengeance ?

PROCRIS.

Ne suffirait-il pas qu’ils fussent écoutés ?

CÉPHALE.

Non, ce n’est pas assez, et ma délicatesse         

Voudrait devoir toute ma tendresse,

Procris, à vos seules bontés.

PROCRIS.

Que vous êtres cruel ! Que mon trouble est extrême !

Pourquoi réduire un cœur à la nécessité

De vous avouer, s’il vous aime,

Que vous le devez moins à l’infidélité

D’un volage époux, qu’à vous-même ?

CÉPHALE.

Procris, sortez de votre erreur ;

Céphale balançait à vous être infidèle,

Et s’il n’eût point connu votre perfide cœur,

Il n’aurait point brûlé d’une flamme nouvelle.

Reconnaissez-le cet époux,

Fuyez, évitez son courroux.

PROCRIS, fuyant.

C’est Céphale. Grands dieux ! Ah ! Qu’ai-je fait, Dione ?

DIONE.

C’est lui, Madame ?

PHILACTE.

Et moi, Madame la friponne,

Qui suis-je, s’il vous plaît ?

DIONE.

Mon traître de mari !

Ah !

PHILACTE.

Nous ferons un jour un beau charivari :

Aujourd’hui, doucement, il faut boire la chose.

Ma foi, Seigneur, nous nous serions tous deux

Fort bien passés de la métamorphose.

CÉPHALE.

Ah, Déesse ! à quel prix vous me rendez heureux.

 

 

Scène XI

 

L’AMOUR, L’AURORE, CÉPHALE, PHILACTE

 

L’AMOUR.

Aux doux plaisirs qu’on vous offre en ces lieux,

Vous pouvez vous livrer sans scrupule et sans crainte,

Céphale, Procris de ses plaintes

N’importunera plus les Dieux.

L’AURORE.

Jupiter approuve nos feux,

Jouissez de la gloire où mon choix vous appelle,

Et rendons tous deux grâce à Mercure, à l’Amour,

Dont l’adresse et les soins vous ont fait en ce jour

Connaître à fond le cœur d’une infidèle.          

 

 

Divertissement au troisième acte

 

PLUSIEURS FAUNES et NYMPHES

 

Marche.

UNE NYMPHE chante.

Petits Oiseaux, courtisans de l’Aurore,
Chantez le glorieux destin
Du Prince charmant qu’elle adore ;
Et pour lui plaire mieux encore,
Ne l’éveillez plus si matin.          

Branle.

UNE AUTRE NYMPHE chante.

Les faveurs d’une Déesse,
Font un Mortel égal aux Dieux :
L’amour n’est point une faiblesse,
Quand il s’élève jusqu’aux Cieux.         

DEUX NYMPHES chantent.

Est-ce un grand bonheur de vivre,
Si l’on ne vit pas heureux ?
L’est-on si l’on ne se livre
À ce qui flatte nos vœux ?
Pour engager les plaisirs à nous suivre
Il faut aller au-devant d’eux.

Branle.

UNE NYMPHE chante.

Ne traitons point de folie
Tout ce qui mène au plaisir :
Trop heureux qui peut s’en saisir,         
C’est le seul plaisir de la vie.

Sans l’amour Jupiter même
S’ennuierait au haut des Cieux.
Dans l’Olympe, en terre, en tous lieux
On n’est heureux qu’autant qu’on aime.

UN FAUNE chante.

Les plaisirs que l’amour donne
Touchent faiblement nos sens ;
Ce sont des plaisirs languissants
Si Bacchus ne les assaisonne.

PHILACTE.

Aux plaisirs sans préférence,
Sans dispute livrons-nous ;
Et quand nous les aurons pris tous,
Nous en ferons la différence.

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