Le Shérif (Denis DIDEROT)

Plan d’une tragédie.

1769.

 

Personnages

LE SHÉRIF

LE JUGE

LA FILLE DU JUGE

UN SECRÉTAIRE DU JUGE

DES PRÊTRES

DES BOURREAUX

DES SOLDATS

LES HABITANTS DU HAMEAU

 

 

NOTICE PRÉLIMINAIRE

 

Le plan de l’ouvrage suivant est tout ce qui nous reste d’un travail qui paraît avoir préoccupé Diderot fortement, à diverses époques. C’est surtout en 1769, au moment de la reprise du Père de famille par le Théâtre-Français, et dans toute la joie d’un succès plus grand qu’il ne l’espérait, qu’il pensa à reprendre la plume de l’auteur dramatique. Il écrivait alors (2 septembre 1769) à Mlle Voland : « Puisque je me plais tant à lire les ouvrages des autres, c’est qu’apparemment le temps d’en faire est passé. Nous verrons pourtant : j’ai un certain Shérif par la tête et dont il faudra bien que je me délivre, ainsi que des importuns qui me le demandent. En attendant, j’ai de la besogne jusque par-dessus les oreilles ; je suis trois ou quatre jours de suite enfermé dans la robe de chambre. »

Le détail de ses occupations prouve qu’il ne disait rien de trop en se donnant comme accablé sous le poids de son travail propre et plus encore de celui que lui demandaient Ses amis. C’est en effet l’époque où il a fourni le plus d’articles à la Correspondance de Grimm ; c’est aussi celle où d’Holbach le pressait de lire, pour y mettre la dernière main, le Système de la nature et où Galiani le priait de revoir et d’éditer ses Dialogues sur le commerce des blés. Ce qui ne l’empêchait pas de composer le Dialogue avec d’Alembert et de suivre avec Falconet une correspondance des plus sérieuses. On comprend que le Shérif ait été quelquefois oublié dans cette bagarre ; mais le plan en est resté et l’on peut juger par là de ce que Diderot se proposait d’y mettre de situations fortes et comment il s’y serait pris pour montrer la pernicieuse influence de l’intervention du bras séculier dans les querelles religieuses.

Les éditeurs des Mémoires, Correspondance et Ouvrages inédits de Diderot (1831) paraissent avoir possédé ce plan, ou tout au moins en avoir connu l’existence, mais ils ne l’ont pas publié et c’est d’après le manuscrit de l’Ermitage que nous le donnons.

Nous sommes sûr, par la date consignée dans la Correspondance, que Diderot s’est occupé du Shérif en 1769, mais le plan pourrait bien être de beaucoup antérieur. En effet, le 1er décembre de cette même année, Grimm, à propos de la nouvelle : Sylvia et Molhésof, publiée par Dorat, à la suite des Deux Reines, dit : « M. Dorat a pris ce sujet à M. Diderot. Il y a plus de douze ans que je connais à ce philosophe un projet de tragédie intitulée le Shérif, où une fille se prostitue pour sauver la vie à son père, qu’elle trouve pendu en sortant des bras du scélérat qui lui avait vendu la vie de son père aux dépens de son honneur. Ce fait est historique ; mais le philosophe n’a pas imaginé de le traiter pour le plaisir de mettre une action horrible sur la scène, il a su associer à cette horreur un but philosophique et utile ; il s’agissait de montrer et de faire abhorrer l’absurdité et l’atrocité des persécutions religieuses. M. Dorat, ainsi qu’une foule d’autres frelons, va quelquefois se fourrer dans la ruche de l’abeille ; ils lui emportent son miel et s’imaginent qu’ils vont en faire comme elle et ils ne savent pas seulement ce qu’on peut faire de celui qu’ils ont emporté. L’abeille de son côté, qui se sent riche et inépuisable, ouvre sa ruche à tous ces frelons et ne sent pas que le miel qu’ils dérobent est perdu et que pendant qu’ils bourdonnent autour d’elle, elle perd elle-même le temps de faire son miel. Voilà l’histoire du philosophe Diderot, livré par sa bonhomie et la facilité de son caractère à l’indiscrétion de tous les importuns de Paris ; voilà pourquoi le Shérif et vingt autres ouvrages de génie ne sont et ne seront pas faits, et voilà pourquoi son ami se meurt de douleur et de regrets. »

On peut supposer en outre que Diderot avait l’intention, dans le développement des caractères, de faire du père le Juge dont il parle dans le Discours sur la Poésie dramatique.

Dans le Paradoxe sur le Comédien, Diderot ajoute quelques détails à ceux qui sont consignés dans ce plan.

 

 

Jacques second fut très attaché au culte de l’Église romaine, et il employa toute son autorité à le rétablir dans son royaume d’Angleterre, où il avait été aboli.

Pour cet effet, il fit choix d’hommes superstitieux, ambitieux et cruels, qu’il envoya clans les différentes provinces, où ils exerçaient contre les non-conformistes la persécution la plus violente. Ils ouvraient la bouche, et il en sortait des arrêts de mort.

On leur abandonnait une partie des biens de ceux qu’ils faisaient mourir. On les récompensait de leurs forfaits en les élevant aux premières places de l’État. En un mot, ils se conciliaient la faveur du prince en satisfaisant leurs haines particulières sous prétexte de religion.

Or, il arriva que celui de ces shérifs ou commissaires qu’on envoya dans un petit hameau de la province de Kent n’était pas seulement le plus méchant d’entre eux, mais peut-être le plus méchant des hommes.

Il était né dans ce hameau et il en avait été chassé autrefois pour ses mauvaises actions.

Il y revenait le cœur plein de fureur contre les habitants du hameau et revêtu de toute la puissance nécessaire pour faire le mal qu’il voudrait.

Celui qu’il menaçait entre tous dans sa pensée cruelle, c’était un vieillard qui lui avait refusé sa fille en mariage lorsqu’il vivait clans le hameau et qui avait été un de ses juges lorsqu’il en avait été chassé.

Ce vieillard était un homme de bien. Le premier du hameau. Également chéri des catholiques et des non-conformistes parce qu’il ne faisait aucune distinction de culte dans l’exercice de sa charge de juge, donnant tort à celui qui avait tort et raison à celui qui avait raison à quelque Église qu’il fût attaché. Il était riche ; mais de toutes ses richesses, la plus grande c’était sa fille. Il l’avait promise à un jeune homme qui l’aimait et qu’elle était sur le point d’épouser lorsque l’homme terrible de la cour vint les précipiter dans le malheur.

Tout le hameau est dans la consternation. Le shérif y est attendu, et c’est à cet instant que la pièce commence.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

La fille seule ; elle sort, au point du jour, de la maison de son père ; elle s’avance vers l’église. L’inquiétude l’a empêchée de se reposer. Son inquiétude. Elle vient implorer le ciel. Elle se présente à la porte de l’église. Elle prie pour son père, pour son amant, pour elle, pour les habitants du bourg. Commencement d’exposition.

 

 

Scène II

 

Son amant entre. Il est surpris de la voir si matin. Suite des inquiétudes de la fille. Sa vision. Il la rassure par lui, par elle, par son père, par le culte commun.

 

 

Scène III

 

La frayeur fait arriver des habitants et des habitantes du hameau. On attend le shérif. Ils pressentent leurs malheurs. Ils interrogent la fille de leur juge. Ils se plaignent... Que leur demande-t-on ? Que leur veut-on ? Le juge entre.

 

 

Scène IV

 

Le bonhomme les rassure et les console.

 

 

Scène V

 

Celui qu’il avait envoyé pour savoir ce que c’était que ce shérif arrive. Il dit ce qu’il sait. Il jette la consternation dans le père, dans la fille, dans l’amant, dans les habitants. Ils sont perdus. Ils se lamentent. Le juge les rassure encore ; les résigne à la volonté de Dieu, aux lois de l’État, à l’obéissance due au souverain, etc. Il les renvoie et il reste avec sa fille et l’amant de sa fille.

 

 

Scène VI

 

La fille et l’amant conseillent au juge de s’éloigner, lui, eux et quelques habitants qui les suivront ; ils lui représentent le danger qu’il court, ils le conjurent ; il s’y refuse.

 

 

Scène VII

 

L’émissaire du juge rentre. Le shérif est arrivé. Tout le hameau est dans le tumulte et dans la consternation. La persécution est commencée. Quelques habitants sont déjà emprisonnés. Le hameau est investi. Les maisons pleines de prêtres et de soldats. La sienne n’a pas été respectée. Le shérif le demande. On le cherche. Le juge dit : J’y vais.

 

 

Scène VIII

 

La fille, l’amant de sa fille le retiennent. Il s’arrache de leurs bras avec violence. Son devoir et le malheur de ses habitants l’appellent et il va.

 

 

Scène IX

 

L’amant et la fille restent. Scène de tendresse forte et honnête. L’amant connaît le shérif. Ils ont été liés. Il l’a sauvé de plusieurs dangers. Mais ce shérif a aimé la fille du juge ; s’il reprenait de la tendresse ? Serment de ne se jamais désunir et fin du premier acte.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

Le shérif entre avec ses satellites, soldats, prêtres et autres. Il les encourage au désordre. Il les envoie à leurs cruelles fonctions. Ils y vont.

 

 

Scène II

 

Il reste seul. Il parle. Il est plein de fureur. Il se rappelle les injures du père, les mépris de la fille. Il lance des regards terribles sur le hameau. Il n’en sortira point sans l’avoir inondé de sang, ruiné. Il nomme ceux qu’il a proscrits dans son cœur. Le juge et sa fille ne sont pas oubliés. Il a déjà donné des ordres sanglants. Ils sont exécutés. Il en va donner de nouveaux.

 

 

Scène III

 

Le shérif et l’amant. Scène tranquille d’abord ; d’amis qui se reconnaissent ; puis violente.

 

 

Scène IV

 

Le shérif, l’amant et le père. Le père lui reproche la conduite de ses satellites, lui demande quelles sont ses qualités, ce qu’il veut faire. Scène de tolérance.

 

 

Scène V

 

Le peuple entre avec les satellites, les prêtres. Le shérif se place. Son secrétaire lit les arrêts. Le juge et sa fille présents. Le juge est accusé, interrogé. Son apologie. Il est sommé de souscrire à la formule. Il s’y refuse. Il est saisi, lié, emmené. Cris du peuple, cris de la fille, cris de l’amant ; peuple dispersé par les soldats. L’amant chassé par le shérif. La fille veut suivre son père. Le shérif la fait retenir.

 

 

Scène VI

 

Le shérif et la fille. Elle demeure seule avec lui en silence d’abord. Elle lui plaît toujours. Il l’éloigné. Il la rappelle. Il ordonne qu’on la saisisse. On la saisit et on l’emmène.

 

 

Scène VII

 

Le shérif seul. Il se reproche sa faiblesse. Il s’endurcit. Il combine son projet de scélératesse contre le père, contre la fille, contre ramant. Il l’expose et sort, et fin du second acte.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

Le shérif et son secrétaire. Il lui donne ses ordres. Publier la mort du père, préparer l’appareil de son supplice ; observer le moment où il sera seul avec la fille ; venir presser la mort de son père et remplir son esprit de terreur.

 

 

Scène II

 

Le shérif seul. Il attend l’amant qui lui a fait demander audience. Il attend la fille.

 

 

Scène III

 

L’amant entre. Scène violente. Il met le poignard sur la gorge du juge. Il est arrêté.

 

 

Scène IV

 

La fille entre. Elle voit son amant arrêté. Elle pleure, elle demande grâce. Ironies du juge sur le père, la fille et l’amant.

 

 

Scène V

 

Les habitants entrent ; ils demandent la grâce de leur juge, leur vie, leur fortune. Ils ne sont point écoutés. On les chasse. On sépare l’amant de la fille. Leur séparation.

 

 

Scène VI

 

Le shérif et la fille. Il la traite assez doucement. Elle parle. Il l’écoute plus favorablement. Elle est liée ; il la délie. Elle prend quelque lueur d’espérance qui ne dure pas. Elle apprend à quel prix elle peut sauver son père. Elle le traite comme un scélérat.

 

 

Scène VII

 

Le secrétaire ou un satellite qui annonce que tout est prêt pour la mort du père. Les prêtres la demandent. On n’attend que son ordre.

 

 

Scène VIII

 

Que devient cette malheureuse ? Elle pleure. Elle se désespère. Elle sollicite. Le shérif revient à son indigne proposition. Elle demande à mourir avec son père.

 

 

Scène IX

 

Le secrétaire, le même satellite, ou un prêtre rentre. Il demande qu’on leur livre leur victime. Le shérif donne l’ordre de mort. La fille arrête le satellite, se prosterne aux pieds du juge, se roule à terre. Le prêtre insiste. La fille demande à voir son père. Le shérif y consent. La fille sort. Le shérif reste.

 

 

Scène X

 

Le shérif et un prêtre qui vient de la part du père demander à la voir.

 

 

Scène XI

 

Le shérif seul. Elle ne s’ouvrira point à son père. Cette vue ne peut que la toucher. Ce qu’il a projeté sur le père, sur elle et sur l’amant, et fin du troisième acte.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

L’amant seul. Il a assassiné ses gardes. Il s’est introduit dans la maison du shérif ; il avait résolu de l’assassiner ; mais il n’a pu y réussir. Les habitants qu’il avait rassemblés se sont dispersés. Il ne sait pourquoi. L’exécution du père est suspendue ; pourquoi sa maîtresse est libre ? Il est nuit. Il vient. Il cherche sa maîtresse. Où est-elle ? Il entend du bruit : il se retire.

 

 

Scène II

 

L’amant et le prêtre.

 

 

Scène III

 

La fille et le prêtre.

 

 

Scène IV

 

La fille seule à la porte de la prison de son père. Elle y trouve quelques habitants et quelques habitantes. Elle les renvoie.

 

 

Scène V

 

Elle s’assied là seule.

 

 

Scène VI

 

Son amant rentre.

 

 

Scène VII

 

On vient ouvrir les portes de la prison du père. L’amant se retire.

 

 

Scène VIII

 

Les portes sont ouvertes. L’amant rentre. La fille et l’amant s’approchent de la porte de la prison. Ils entendent la plainte du père. Ils s’arrêtent. Ou entend cette plainte, mais on ne voit point le père. L’amant entre. Le père le prend pour un satellite qui vient lui annoncer son supplice et lui parle. L’amant et le père sont dans la prison. La fille reste à la porte.

 

 

Scène IX

 

Le père et l’amant sortent. Le père, la fille, l’amant. Quelle scène !

 

 

Scène X

 

La scène du prêtre. Le père veut les marier. Le père le veut. L’amant presse. La fille refuse. Douleur du père. Désespoir de l’amant.

 

 

Scène XI

 

On vient de la part du shérif les séparer. L’amant se retire.

 

 

Scène XII

 

L’amant rentre. Le père va mourir dans un moment. Sa prière, ses adieux, ses conseils.

 

 

Scène XIII

 

La fille seule. On l’appelle plusieurs fois de la part du shérif. Elle ne peut se résoudre à aller. Ses transes. Ses douleurs. Son désespoir. Sa prière. Quelques mots de son père qu’elle se rappelle, lorsqu’il parlait dans la prison, lorsqu’il priait. On l’appelle encore. Elle va incertaine. Elle retrouve son amant sur le fond.

 

 

Scène XIV

 

La scène du poignard.

 

 

Scène XV

 

L’émissaire entre et le jeune homme. Les habitants sont dispersés ; il va tâcher de les rassembler. Le jeune homme a engagé sa parole. Il ne fait rien, mais il n’empêche rien.

 

 

Scène XVI

 

Elle sort la tête troublée ; et le jeune homme reste. Fin du quatrième acte.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

Le secrétaire. Les projets du shérif sont accomplis. Le père est mort. Récit de sa mort. Conversion du secrétaire.

 

 

Scène II

 

Des femmes du bourg qui accourent éplorées, qui appellent du secours et qui annoncent le malheur arrivé à la fille.

 

 

Scène III

 

La fille ; elle entre conduite par une habitante et accompagnée de quelques autres. On lui a crevé les yeux. Le secrétaire tombe à ses pieds. Elle le renvoie et lui fait des souhaits. Elle se fait conduire sur le tombeau de sa mère. Elle renvoie celles qui la conduisaient. Elles s’éloignent.

 

 

Scène IV

 

La fille seule sur le tombeau de sa mère.

 

 

Scène V

 

L’amant et la fille. Elle tient son amant. Elle demande son père. Elle apprend qu’il est mort. Elle dit ce qu’elle a souffert pour le sauver.

 

 

Scène VI

 

On entend du bruit ; c’est le shérif poursuivi par les habitants. L’amant l’assassine. Le peuple le charge d’imprécations. La fille s’évanouit. L’amant veut se tuer. On emporte la fille. On retient l’amant. On les entraîne l’un et l’autre, et le cinquième acte et la pièce finit.

 

 

OBSERVATIONS SUR LES CARACTÈRES DE LA PIÈCE

 

Le père est un vieillard charitable, juste, ferme, équitable, tranquille, serein et tolérant. Il a servi avec honneur. Il est riche. Il s’est retiré dans le hameau. Il y fait depuis longtemps la fonction de juge. Il est pieux. Il est attaché à ses sentiments. Il est non-conformiste. Il est veuf. Sa femme était catholique. Sa fille est aussi catholique.

Le shérif est un homme atroce, sans mœurs, sans probité, sans honneur, sans religion ; ministre de l’intolérance. Né dans le hameau, chassé de là pour ses forfaits ; amant autrefois méprisé de la fille du juge.

La fille est catholique ; d’un caractère tendre, honnête, timide, aimant passionnément son père, passionnément son amant, pieuse aussi, mais tolérante.

L’amant, jeune homme violent, plein de confiance dans l’innocence, autrefois lié avec le shérif à qui il a rendu de grands services ; aimant très tendrement et très tendrement aimé de la fille du juge, qu’il était sur le point d’épouser, le temps que...

Le manuscrit s’arrête là.

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