Procris (Alexandre HARDY)

Sous-titre : la jalousie infortunée

Tragi-comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en 1605.

 

Personnages

 

L’AURORE

CÉPHALE

PROCIS

POLIDAME

THITON

PRITANNE

 

 

ARGUMENT DE LA TRAGI-COMÉDIE

 

Céphale gendre d’Aristée, Roi d’Athènes, et mari de Procris, chasseur perpétuel, est aimé de l’Aurore : Et sollicité par sa déesse d’une réciproque amitié, lui qui d’abord persévère obstinément en la première fidélité jurée à sa Procris, se laisse toutefois aller à la paction proposée par l’Aurore, qu’au cas que déguisé en habit de marchand étranger, il puisse avec un appas de présente corrompre la chaste volonté de sa femme déçue, il contentera la passion de sa corrivale : venant donc à l’épreuve, Procris qui commencent à chanceler sous le faix des présents est relevée par la répréhension du mari qui découvre la fourbe : elle à même temps implore et impètre la grâce d’un adultère commis en la volonté. Céphale tient sa promesse à l’Aurore, se vouant du tout à son service : or pendant la jouissance de leurs amours, un paysan les surprend d’aventure sur le fait, avertit Procris de ce qui se passe à son désavantage, et l’emplit d’une rage de jalousie jusques à vouloir en personne reconnaître la vérité de l’affaire sur les lieux. Si bien qu’embusquée dans un buisson, Céphale qui la juge au mouvoir du feuillage, quelque bête sauvage, l’atteint mortellement d’un dard fatal qu’il lance a l’aventure : catastrophe, qui finit la Tragédie par les regrets du misérable, sur le corps mourant de sa chère moitié, et les consolations de l’Aurore qui se trouve à point nommé pour le divertir du meurtre de soi-même qu’il allait exécuter en expiation de l’imprudence commise.

 

 

ACTE I

 

L’AURORE, CÉPHALE

 

L’AURORE.

Mortels, ambitieux d’un céleste destin,

Qui dites votre vie un renaissant butin

Des malheurs obstinés, et pervers au courage,

Murmurez contre lui d’un inique servage,

Profanes désormais plus sages, désistés

D’envier le malheur de nos félicités,

Que l’immortalité, les vœux, et l’ambrosie,

N’impriment cet erreur en votre fantaisie,

Un tyran nous maîtrise, un enfant factieux.

Successeur des Titans s’est emparé des Cieux :

Jupiter arraché de son trône à toute heure

De vos filles ressent l’amoureuse blessure,

Quitte sa Majesté, son foudre, et son pouvoir,

Afin de les aller esclave décevoir :

Mars jette son écu, ses batailles oublie,

Aux pieds de ce garçon superbe s’humilie,

Neptune le redoute au profond de la mer,

Et Pluton n’oserait encontre lui s’armer,

Nous de ce nombre saint Déesses reconnues,

Nous d’un peuple grossier impassibles tenues,

Tour à tour n’attendons que son trait assassin ;

Hé ! quoi si l’impiteux a traversé le sein,

Qui mêmes l’allaita : s’il n’épargne sa mère,

Quelle grâce de lui faudra-t-il qu’on espère ?

Jadis le déloyal allumant mon désir,

Un mal sortable époux me força de choisir,

Pour éviter le bruit d’amante forcenée,

Je colorai mes feux d’un furtif hyménée,

L’alliance impétrant de mon père tâché.

(Car son nom vénérable en demeurait tâché)

Lui qui seul se ressemble, et qui porte le foudre,

Voulait comme Sémélé, en cendre le résoudre ;

Ma prière abattit son courroux, et depuis

Cuidant me garantir du désastre où je suis,

Prosternée aux genoux des trois Vierges fatales,

Leur serment j’engageai des ondes stygiales,

« Témoignage sacré d’une vraie amitié,

Qu’elles me trancheraient le fil de ma moitié,

Mais non pas que le cours des glissantes années

Ne vint envelopper mes liesses bornées.

Il ombrage ma couche ainsi que les ormeaux,

Qui sans fruit au passant abondent en rameaux,

Encor la fraicheur de sa soif diminue,

Où près de lui la mienne augmente continue,

Où sa glace m’échauffe, et vide de douceur,

L’Idée me remet de ce jeune chasseur.

Beau chasseur qui mon nom innocemment réclame,

Laissant au soir les bois possesseurs de son âme ;

C’est lui, c’est ce Céphale, à qui dorénavant

De ma mouche je vais les faveurs réservant,

Lui qui de mon vieillard suppléera la faiblesse,

C’est de son trait vainqueur que Cupidon me blesse,

La loi de l’équité me permet de l’aimer,

Et l’on ne m’en doit pas moins pudique estimer,

Attendu qu’un époux à l’âge décrépite,

En ce forcènement mon âme précipite,

Que de son impuissance il cause le forfait,

Et que sa volonté n’a plus aucun effet.

Allons donc l’épier en la forêt épaisse,

Allons donc lui offrir l’amour d’une Déesse ;

L’heure nous y semond ; je pense ouïr sa voix,

Déjà de mon retour importuner les bois.

CÉPHALE.

Princesse de clartés où est-tu belle Aurore ?

Faut-il qu’un vieil jaloux t’arrête au lit encore ?

Trouves-tu tant de goût en ses embrassements ?

Tant d’appas en un corps perclus de mouvements ?

Que le monde orphelin de sa douce lumière,

Ne te puisse aujourd’hui mouvoir par sa prière,

Le laboureur t’attend à fendre tes guérets,

Moi plein d’impatience à brosser les forêts,

À relancer un cerf, que tu sais inhumaine,

Hier avoir frustré les plaisirs de ma peine,

Viens donc je te supplie, ô fourrière du jour ;

Mais Dieux ! quelle clarté s’épand ici autour ?

Quel visage divin sous ce feuillage sombre

Dissipe m’abordant l’obscurité de l’ombre ?

L’AURORE.

Céphale ne crains point, le charme de tes yeux,

M’a fait descendre ici de la voûte des Cieux ;

Je suis celle qui viens ta prière écoutée

Redonner aux humains la clarté souhaitée,

Je suis celle qui viens requérir ta beauté,

D’être à ma passion conforme en loyauté,

D’accepter en mon lit une seconde place,

Ainsi que ton objet tous les autres efface,

Ainsi que tu as mieux ce bonheur mérité,

Qu’un vieillard engourdi la même infirmité.

CÉPHALE.

Déesse l’honneur de la troupe immortelle,

Tu m’ingères à tort une arrogance telle,

Tu as mal entendu le dessein de mes vœux,

Autre chose de toi que le jour je ne veux,

Le jour qui coule ici mon innocente vie,

Loin du bruit des cités où habite l’envie,

Esclave de la Parque oserai-je attenter

Ce forfait envers toi fille de Jupiter ?

L’AURORE.

Laissons-la le respect, et douteux n’imagine,

Jaçoit que différent de sort, à d’origine,

Jaçoit que l’Orient fertile de trésors,

Sur toutes Déités me révère en ces bords,

Qu’à bon droit je pouvais de beauté comparée,

Disputer le présent de la pomme dorée,

N’estime que pourtant je te feigne mon cœur,

Que ce que je t’ai dit soit un appas moqueur,

Derechef, derechef, par la douce lumière,

Qui le monde sous moi réjouit la première,

Je jure que tu es le plus de mon souci,

Je jure que tu m’as le courage transi,

Je jure que tu es mon unique pensée,

Et que pour toi d’amour je péris insensée,

Demandes-tu le temps ? hélas ! tu sais de quand,

Veneur perpétuel tu me vas invoquant,

Depuis j’ai peu a peu couvé les étincelles,

Qui fortes maintenant dévorent mes moelles,

Depuis je t’idolâtre, et ce spectre d’époux

Plus odieux cent fois je ne vois qu’en courroux,

Depuis mon lit au lieu de roses printanières,

N’a que des aiguillons que pointes meurtrières,

Où je laisse ronfler cette masse de chair

Que plus qu’un basilic je crains à l’approcher ;

Que je dédaigne autant comme je te désire,

Ores en quoi peux-tu douteux me contredire ?

Ores en quoi veux-tu plus engager la foi

D’une divinité qui se soumet a toi,

Ce n’est pas elle hélas ! amour, amour se venge,

Sans offense sur moi, de cette sorte étrange ;

Vengeance toutefois agréable, pourvu,

Que tu ne sois rebelle a sa puissance vu.

CÉPHALE.

Me conseillerez-vous qu’inconstant et parjure,

À ma chaste Procris il face telle injure ?

L’AURORE.

Chaste qu’aucun ne prie, hé ! qui ne le serait ?

CÉPHALE.

Dans la glace plutost le feu s’allumerait.

Que vivant quel qu’il fut par aucune manière,

L’induisit à souiller notre couche nopcière.

L’AURORE.

Plus de sa fermeté tu as opinion,

Et plus de te tromper est en son option.

CÉPHALE.

Quel sujet se faisant ingrate prendrait-elle,

Je ne lui fus jamais qu’un exemple fidèle.

L’AURORE.

« Un exemple mauvais de nature se prend,

« Le vice familier aux hommes elle rend,

« Ils l’acceptent trop tôt inconnu pour leur hôte,

« Chez eux trop tôt il entre, et trop tard il s’en ôte :

L’appétit que l’on trouve au change lui suffît,

Où la cupidité d’un avare profit,

Du crédule, je puis faire d’expérience,

Que tu démentiras ta folle confiance,

En récompense après j’entends te posséder,

À quel plus juste pacte pourrais-tu t’accorder ?

CÉPHALE.

« Ne m’imputez Déesse une erreur imbécile,

Hors ce point je vous crois toute chose facile.

L’AURORE.

Accepter seulement le parti présenté.

CÉPHALE.

Sans doute je serais de la suivre tenté,

L’incomparable honneur de votre amitié sainte,

À ma foi donnerait une profonde atteinte,

Alors estimerai-je aucunement permis,

De venger déloyal son parjure commis,

Mais comme le pilote avisé, qui remarque

Les écueils où un autre aura froissé sa barque,

Mortel je ne dois pas non même dispenser,

Au loin de ces faveurs un profane penser :

L’accointance divine aux humains défendue,

Tient toujours sur leur tête une mort suspendue,

Les foudres élancez du Monarque des Cieux,

S’émoussent justement sur tels audacieux,

Madame exceptez moi de ce bonheur insigne,

Transportez-le en un lieu plus aimable, et plus digne.

L’AURORE.

Louche de jugement, et faible de raison,

Tu sais mal adapter une comparaison,

Encores alliée à la semence humaine,

Je ne cours point du change à un autre incertaine,

Épouse d’un mortel j’ai racheté sa mort,

Nourri pudiquement un mutuel accord,

Durable a tout jamais, si le fardeau de l’âge

Ores ne demandait quelqu’un qui le soulage ;

Quelqu’un que je pouvais élire de là-haut,

Mais je t’aime bien mieux suppléer au défaut,

Mon destin me conjoint aux hommes débonnaire,

Témoin cet astre doux qui premier les éclaire,

Qui réjouit la terre, et les Cieux obscurcis,

Et ce qui te doit plus abréger de soucis,

Mars ne surviendra point d’une rage malade,

Dresser me visitant d’homicide embuscade,

Ni supplier sa sœur de te faire mourir,

Nul danger en mes bras tu ne peux encourir,

Or, comment de ta femme éprouver l’inconstance,

Écoute, et en cela reçois mon assistance,

D’un marchand étranger tu prendras le semblant,

(Moi d’un nuage épais la face t’affublant,)

Que le bruit épandu de sa beauté si rare,

Lui amené enchaîné d’une rive barbare,

Chargé d’or, et de dons voués à son amour ;

As-tu vu quelque fois l’Épervier, où l’Autour

S’élancer haut en l’air sur sa proie aperçue,

Tu verras le maintien de ta Procris déçue,

Elle fera soudain banqueroute à sa foi,

Plus éprise de l’or qu’elle ne l’est de toi :

Et du doute éclairci reprenant ta figure,

Corrige de propos son infâme luxure,

Alors dispensé de tenir favori

La place en mon endroit d’un impuissant mari,

Ne le consens-tu pas, répons mon espérance,

Répons, et un baiser me donne d’assurance.

CÉPHALE.

Je vous obéirai, c’est un point résolu,

Si tôt que son brasier paraissant dissolu,

M’absoudra du serment acéré de l’hyménée,

Dût le Ciel à vos pieds borner ma destinée.

L’AURORE.

Mon âme ne craint point, il n’y aura danger,

Que d’un soin prévoyant je ne sache étranger :

Va tirer de ce pas reprenne de mon dire.

Tandis que ton retour en langueur je respire,

CÉPHALE.

Je vous retournerai demain au même lieu.

L’AURORE.

Qu’un autre baiser donc ferme ce triste adieu.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

THITON, PRITANNE

 

THITON.

Pritanne il est trop vrai, je gagerai la tête,

Que ma femme adultère à un rival se prête,

J’en ai des arguments infaillibles, et tant,

Qu’on voit la vérité au travers éclatant,

Qu’on la voit resplendir misérable à ma honte,

De moi premièrement elle ne tient plus compte,

Son discours me dédaigne, et d’un œil courroucé

Je suis de ses faveurs les moindres repoussé :

S’il m’advient de vouloir prendre dedans la couche,

« Reste de mon soulas, un baiser de sa bouche,

La mauvaise me fuit, son courage rebours

Le recevrait plutôt d’un serpent, où d’un ours.

Hélas ! hélas ! voilà qu’apporte la vieillesse,

Comme elles font de nous, quand la vigueur nous laisse,

Après avoir séché la fleur de nos printemps,

Malpropres à fournir leurs lascifs passetemps,

Voilà comment ce sexe au Ciel et en la terre

Son venin contre nous indifférent desserre,

Il court insatiable après la nouveauté,

Depuis que la vigueur nous manque, et la beauté,

Encore mon malheur est d’autant plus extrême,

Que je ne puis mourir toujours en état même.

PRITANNE.

Coupable d’un défaut possible que la peur

Vous amasse en l’esprit ce nuage trompeur,

Vous fait imaginer d’elle toute autre chose,

Que pudique et loyale elle ne se propose.

THITON.

Tu te trompes, je n’ai qu’à la force pensé,

Mon immuable amour si mal récompensé,

Oncques la jalousie en moi ne trouva place,

Et c est a mon avis ce qui l’enfle d’audace.

PRITANNE.

Plus on cuide empêcher leurs amoureux larcins,

Plus vous les animez à semblables desseins,

Le naturel malin de la femme n’affecte,

Que ce qu’on lui défend où ce poison l’infecte.

THITON.

À ce compte il faudrait lui donner sans égard,

Licence de tout perdre, et tout mettre au hasard.

PRITANNE.

J’en userais ainsi, qu’est-ce du mariage,

Autre chose qu’un jeu hasardeux au plus sage ?

THITON.

À moi par dessus tous, à moi qui mal accort

La fin ne sus prévoir d’un inégal accort ;

Ô jour sombre, et fatal, ennemi de mon aise !

Ô astres regorgeons d’influence mauvaise !

Qu’inique vous m’avez dans ces lacs empiégé

Pires que le fuseau de mes jours abrégé.

PRITANNE.

S’affliger néanmoins dessus l’incertitude,

Attacher au soupçon tant de sollicitude,

Blesser notre prudence, il est bon de savoir,

La vérité du fait, et après y pourvoir.

THITON.

Pourvoir à ce scandale, hélas ! de quelle sorte,

Vu qu’à grand’peine un pied devant l’autre je porte ?

PRITANNE.

La patience donc vous serve de bouclier,

Un incurable mal voyez à pallier.

THITON.

Et si je la pouvais en dommage surprendre,

Jupiter, et les Dieux à témoin j’irais prendre.

PRITANNE.

Abus ; car sa Junon prise dessus le fait,

Il faudrait sous silence écouler le forfait.

THITON.

Pourquoi ?

PRITANNE.

Les cornes sont jointes à l’hyménée,

Et croit de puanteur ta bourbe retournée.

THITON.

La honte peut beaucoup.

PRITANNE.

La honte volontiers,

Lorsqu’un Vulcan retint ensemble prisonniers

L’adultère de Thrace, et sa femme parjure,

Les a bien empêchez de poursuivre l’injure.

THITON.

Ce désespoir me tue.

PRITANNE.

Allez-y de douceur,

Regagnant son amour d’un appas blandisseur.

THITON.

Elles ne passent point leurs désirs de paroles,

User de remontrances a ces prétide folles,

N’augmente que la soif de l’impudicité.

PRITANNE.

Qu’un tiers donc vous secoure en telle adversité,

Un qui de plain pouvoir sa prière autorise,

Qu’elle craigne, et de qui elle s’aime reprise.

TRITON.

Je le ferai, sachant le nom de l’effronté,

Qui s’est à mon honneur traitement affronté,

De grâce prends-y garde, épie où elle dresse,

Au sortir de mon lit sa course laronnesse,

Longtemps auparavant qu’il lui convienne aller

Chez l’humide Thétis le Soleil appeler,

Accompagne ses pas, à rapporteur fidèle

Retire mon esprit d’une gêne éternelle.

PRITANNE.

Ha ! que vous me charges faible d’un pesant fais !

Toutefois à cela j’aurai l’œil désormais.

 

 

Scène II

 

PROCRIS, CÉPHALE, déguisé

 

PROCRIS.

Procris infortunée, en la rondeur du monde,

Est-il une douleur à la tienne seconde ?

Un hymen si stérile, un époux si cruel

Que celui qui ton deuil file perpétuel,

S’absente plus charmé des plaisirs de la chasse,

Que de ta loyauté, de tes feux, de ta grâce...

L’inhumain n’attend pas que la pointe du jour

Le Ciel que nous voyons bigarre a son retour,

Qu’enivré des plaisirs d’une agréable peine,

Avecques-lui mon cœur aux forêts il n’emmène,

Équipe de sa trompe, et suivi d’un limier,

Qui souvent importun l’éveillera premier :

Il s’écoule de moi, de moi chétive, à l’heure

Que l’enfant de Cypris nous procure meilleure,

À l’heure que mes bras le cuidant accoler,

Frustrés de leur espoir ne trouvent que de l’air :

Se détordent mutins contre ce sein d’albâtre,

Tantôt contre le Ciel auteur de mon désastre :

Céphale impitoyable, es-tu point encor las,

Où préside l’horreur d’y chercher ton soûlas ?

Si ta vie impassible à mes tendres prières,

Si je verse sans fruit à tes pieds deux rivières,

Au moins souvienne toi barbare, du danger

Qu’encourut un Adon, pour vouloir négliger,

Pour ne croire un conseil a ses jours salutaire :

Ces bois sont de Cloton l’effroyable repaire,

Elle cache au profond des antres bocagers

Les carquois funéreux de ses traits plus légers,

Un lion que la faim dévore impitoyable

D’un sanglier écumeux la défense effroyable

Menacent ton destin, de moment en moment,

Tes ébats sont penchés au bord du monument,

Où mon sein te convie, et hors de toute crainte

T’offre les vrais plaisirs dont tu n’as que la feinte,

Ha ! Céphale aveuglé retourne en ton bon sens,

Débouche ton oreille à mes piteux accents,

Viens cueillir en ton champ une moisson sacrée,

Laissant celle des bois aux ferrés consacrée,

Des rais de ton Soleil viens mes larmes sécher,

Mais ! quel homme là-bas aperçois-je approcher ?

CÉPHALE.

Conduit de ta beauté par le monde semée,

J’apporte ici les vœux de mon âme enflammée,

Zélé de telle sorte, et ardent de pouvoir

Un miracle amoureux en ce visage voir,

Qu’étrange séparé de l’un des bouts du monde,

Les travaux de la terre, et les périls de l’onde

Ne m’ont peu détourner du voyage entrepris,

Labeur, dont je recueille à usure le pris,

Dont je suis trop content, puisqu’à ta vive idole

L’honneur m’est concédé d’adresser ma parole.

D’abord ta me mettras au rang des impudents,

Mais, célestes Dieux ! qui lirait là-dedans,

Si ces foudres d’amour pénétraient ma pensée,

Alors qui ne tiendrait ma prière exaucée,

Ma sainte affection te gagnerait le cœur,

Et du vainqueur des Dieux je deviendrai vainqueur :

Trouver au demeurant étrange l’entreprise,

Il n’y a pas de quoi, l’audace que j’ai prise

Le fort Thirinthien s’usurpa devant moi,

Quand des impiétés le vengeur, à l’effroi,

Il voyageait le monde, à en chaque contrée,

Sa poitrine sentait du même trait outrée,

Captif en divers lieux de diverses beautés,

Ainsi n’ai-je péché qu’après les Déités,

Ainsi ne me dois-tu refuser ton asile,

À ma fidélité exorable et facile.

PROCRIS.

N’était certain respect de l’hospitalité,

Ta reste répondrait de ta témérité,

Sur le champ suborneur je te ferais apprendre,

Qu’il ne faut envers moi si lourdement méprendre,

Va, le Ciel te confonde, achève ton chemin.

CÉPHALE.

Ôte belle Procris, ce courroux inhumain.

PROCRIS.

Quel prodige est ceci, qu’un inconnu me nomme ?

CÉPHALE.

Ignorerai-je un nom que l’univers renomme,

Un si célèbre nom, si aimable, et si doux,

J’excuse la fureur de ce petit courroux,

Je l’excuse, hé bons Dieux ! quelle espèce d’outrage

Ne voudrai-je à ma foi servir de témoignage ?

Pour entrer en ta grâce, il n’y aurait tourment

Qui ne me résultât à un contentement.

PROCRIS.

Déclare, qui de moi t’a donné connaissance ?

CÉPHALE.

Demande si je sais la sacrilège offense

D’un ingrat, qui préfère au fruit de ta beauté

Le plaisir de la chasse, (extrême cruauté)

Qui lassé du travail enduré la journée,

N’emplît que de sommeil ta couche infortunée,

Te laisse des l’Aurore, et s’en retourne encor

Les Nymphes des forêts éveiller de son cor :

Où possible chéri de quelqu’une d’icelles,

Lui porter ces larcins dont la douleur tu celles.

PROCRIS.

Ne te travaille point d’un deuil qui m’appartient.

CÉPHALE.

Ce n’est que la pitié de ton mal qui me tient.

PROCRIS.

La pitié que tu feins de l’honneur homicide,

N’imite que les pleurs du fier monstre Nilide.

CÉPHALE.

Que ma pitié soit-feinte, et feinte ma langueur,

Doncques toujours le Ciel me regarde en rigueur,

Toujours me soyez-vous implacable et cruelle,

Que la mort que je sens dure perpétuelle.

PROCRIS.

Ô folle que je suis ! folle d’entretenir

Un discours que l’on dût en commençant finir !

CÉPHALE.

Finissons-le mon cœur, et venons ma chère âme,

À l’effet désiré d’une amoureuse flamme,

M’acceptant tu t’acquiers un roc de fermeté,

Un pour qui ne sera moindre ta chasteté,

Tu t’acquiers d’abondant, non (ma belle) pour faire

Des présents que voici, ton amour mercenaire,

Un gage seulement de mon affection

Ains à ta Déité première oblation.

PROCRIS.

Certes ta gentillesse aurait plus d’efficace,

Que tout autre présent, mais une froide glace

Me saisit, redoutant que Céphale averti,

Comme il est dangereux, nous fit mauvais parti.

CÉPHALE.

Tu as trop de prudence, et moi trop de courage

Pour souffrir de sa part ni honte, ne dommage,

Seulement donne-moi par avance un baiser.

PROCRIS.

Le charme de ta voix ne se peut refuser.

CÉPHALE.

Dis, qu’un charme de dons t’attire à ma cordelle,

À la fin t’a séduite, ô cent fois infidèle,

Avare qui t’allais légère abandonner.

PROCRIS.

Hé ! Céphale merci, veuille-moi pardonner.

CÉPHALE.

Perfide lève toi, désormais assurée,

Tant que je jouirai de la lampe éthérée,

Que jusqu’au col plongée en tes feux dissolus,

Je ne t’empêcherai, ne te revoyant plus.

PROCRIS.

Ne me revoyant plus ? ô cruelle sentence !

Propose-moi plutôt la mort de pénitence.

CÉPHALE.

Qu’est-ce que d’une mort ? il faut que le remords

T’engendre à tout moment du forfait mille morts.

PROCRIS.

Las ! que ta main me tue, effaçant ce reproche,

« Sans tomber, de la chute on est souvent bien proche.

CÉPHALE.

Pour un léger effort, si facile à broncher,

L’espoir de mon honneur je n’ai plus où ficher.

PROCRIS.

Hélas ! remets au pis l’offense, et la châtie,

Pourvu que je te sois une placable hostie.

CÉPHALE.

Voilà ce parangon de l’amour conjugal,

Ce miroir, ce portrait, de constance inégal,

Voilà l’effet trompeur de ce serment parjure,

De ces baisers reçus terminez en murmure,

Qui ne doivent jamais respirer qu’un désir,

Qui ne pouvaient jamais repaître qu’un plaisir,

Ô ingrate, ô légère !

PROCRIS.

Apaise-toi ma vie,

Et quand me reprendra cette damnable envie,

Que le Ciel, que la terre, et l’enfer attentés,

M’appliquent leurs tourments qui sont plus redoutés,

Ne me pardonne plus, que ta dextre ennemie

Dans mon sang criminel lave mon infamie.

CÉPHALE.

Crois que je le ferai, s’il advient cependant,

Si ta contagion m’apporte l’accident,

Si j’étais d’aventure entaché de ton crime,

Prends l’exemple donné d’excuse légitime.

PROCRIS.

Je n’en ai point de peur, ta magnanimité

A beaucoup moins de fiel, que moi d’infirmité.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

L’AURORE, CÉPHALE

 

L’AURORE.

Un peu de trêve, amour, tempère je te prie,

Tempère dedans moi l’excès de ta furie,

Épargne ta germaine, et ne lui survient pas

Ton secours, si prochain de cent mille trépas,

Ainsi que toi je suis de la nature amie,

De ta mère le n’ai procuré l’infamie,

Ni révélé tes feux, quand tu fus attaché

De tes propres liens au giron de Psyché :

Donne moi pitoyable un moment de relâche,

Attendant à revoir mon Soleil qui se cache,

Soleil qui luit unique aux mortelles beautés,

Et qui de l’autre dût précéder les clartés,

À regret maintenant je lui prête ma peine,

Et me vaudrait bien mieux une fortune humaine,

Et me vaudrait bien mieux hôtesse d’un hameau,

Que le char du matin conduire mon troupeau,

Tout à moi, ne penser Céphale, qu’à te plaire,

Passer les nuits ensemble, et les jours d’ordinaire,

Tantôt dans une grotte, et tantôt sur les fleurs,

Que le deuil de mon fils émaille de mes pleurs :

Céphale voudrais-tu me manquer de parole ?

Tu vois que j’ai déjà chassé l’ombre du pôle,

Qu’il n’y a plus de feux qu’à la mère d’Amour,

Tu entend les oiseaux gazouiller mon retour,

Ha ! dure impatience, attente rigoureuse !

Paravant que t’ouvrir ma pensée amoureuse,

Le butin prétendu d’un cerf au front rameux,

La quête d’un chevreuil où d’un porc écumeux

M’adressaient suppliant l’honneur de ta prière,

Et la mienne à présent tu rejettes en arrière,

De ma prise tu lais (brutale ambition !)

Moins d’état que d’un d’eux en ta possession,

C’est la coutume, hélas ! c’est un mal sans remède,

« Le mépris orgueilleux à la beauté succède,

Me mépriser qui suis, haï je le vois venir,

Paresseux qui te peut cri longtemps retenir ?

Si longtemps séparer de ces forêts aimées ?

Tu voulais renflammer mes plaies enflammées,

Par le labeur me rendre aimable sa moisson,

Et contrebalancer mon bonheur d’un soupçon,

Mais, dis-moi, je te prie ? as-tu trouvé ta femme.

Ce roc de chasteté, qu’autre que toi n’enflamme ?

CÉPHALE.

Votre oracle, Prophète, a trompé mon espoir,

L’avarice ayant plus que la foi de pouvoir.

L’AURORE.

Si bien que te voilà délivré de scrupule,

Prêt de me réparer un outrage incrédule.

CÉPHALE.

Vous me voyez, Déesse à vos pieds prosterné,

Qui veux par mes désirs n’être plus gouverné ;

Qui consacre dévot à vos faveurs insignes,

Mon cœur, mes volontés, bien que choses indignes :

Qui dessous votre enseigne amoureuse rangé,

Une timide crainte en courage ai changé.

L’AURORE.

Persiste mon souci seulement d’assurance,

Couronne ton amour d’une persévérance,

Et jamais il n’y eût condition d’amant,

En bonheur comparable, et en contentement :

Jamais couple ne fût approchant de notre aise,

Ça, prête-moi ta bouche, afin que je la baise ?

Afin que j’enhardisse à plus de privauté

Le respect qui te tient surpris de nouveauté,

Que t’ensemble y a-t-il aux baisers des mortelles,

Des pointes d’appétit, des douceurs qui soient telles ?

CÉPHALE.

Ha ! je pâme, je meurs, Déesse je ne puis

Plus soutenir ce corps en l’état où je suis,

Mourir, non ce baiser tout confit d’ambrosie,

Une immortalité grave en ma fantaisie,

La Parque désormais ne peut rien dessus moi.

L’AURORE.

De grâce maintenant pour arrêts de ta foi,

Dis-nous comment tu as l’infidèle abordée,

Si ta requête elle a difficile accordée ?

CÉPHALE.

Déesse, fléchissant sous votre volonté,

Je ferai le récit de cette acte effronté,

Inconnu de l’habit d’un pèlerin de l’onde,

D’un marchand qui trafique en divers lieux du monde,

Sur le seuil je l’accoste, à l’heure que Vesper

Voit Phœbus travaillé dans les flots se tremper,

S’entend que vous aviez ébloui d’un nuage,

Ses yeux ne discernant le vrai de mon image,

Ainsi saura jadis du Troïque brasier

La Déesse d’amour son preux aventurier :

Donc en peu de discours lui offrant mon service,

Elle s’en reculait comme d’un précipice,

Ne répondant sinon qu’en propos menaçants,

En propos qui d’amour me réchauffent les sens,

Presque désespéré de l’attraper au piège,

Et presque réputant pire qu’un sacrilège

L’assaut qui se donnait à sa fidélité,

Voilà que réservez à une extrémité,

Mes présents je lui offre, alors ardente, et prompte,

Brisant en moins de rien les liens de la honte,

Du même mouvement que vous m’aviez prédit,

(Car tel est le pouvoir de ce métal maudit)

Elle change l’aigreur de sa réponse fière

En un miel qui semblait devancer ma prière,

Pâlie de l’appas de mon discours charmeur,

L’avarice accordante à sa perverse humeur :

Dieux puissants ! que devint ma voix à ces paroles,

Pareil à un tronc d’arbre, où aux bacchantes folles,

À qui la fureur sainte a étoupé la voix ;

De lui rien répliquer la force je n’avais ;

Un long espace ainsi à la fin de ce songe

Éveillé je retourne, où soudain je la plonge,

Soudain que découvert elle m’eût reconnu,

Son front de couleur morte et de constance nu,

L’œil se baignant de pleurs, les mains entrelacées,

La voix casse, débile, et les grues baissées,

Ma clémence elle implore, et de son repentir

Fait la voûte des Cieux piteuse retentir,

L’atteste avec la terre, et la cohorte noire

Qu’enferme de ses plis le père de victoire,

N’avoir que cette fois attenté le délit,

Que cette fois voulu maculer notre lit,

Qu’elle en était la source, et la fin tout ensemble,

Là-dessus mon conseil en moi-même Rassemble,

Où la pitié préside, où vaincu de ses pleurs,

En me représentant nos infirmes malheurs

Je lui remets l’offense, à tel si, qu’elle prenne

La même patience, au cas qu’elle m’advienne,

C’est trop tenir Déesse un discours envieux :

L’AURORE.

Tu dis la vérité lumière de mes yeux,

Laissons tout autre soin, que celui qui contente

D’une jeune amitié la langoureuse attente,

Nouveaux soldats d’amour, encommençons hardis

Un duel de baisers à toute peine ourdis,

La robuste droiteur qui moule ce corsage,

D’un bon commencement me promet davantage,

M’augure combattant qui proche de la mort,

Contre son ennemi se redresse plus fort.

CÉPHALE.

L’épreuve en fera foi qui ne trompe personne,

Puis que votre faveur la licence me donne.

L’AURORE.

Ô licence agréable ! allons ma vie, allons

Sous le frais écarté de ces ombreux vallons,

Sous ces ormes ombreux entourez de fleurettes,

Les prémices cueillir de nos flammes secrètes.

 

 

Scène II

 

POLIDAME, seul

 

Jupiter, que le sort du peuple des humains

Est inégalement dispersé de tes mains,

Qu’aux uns tu es propice, et aux autres sévère,

Aux uns impitoyable, et aux autres bon père,

Ceux-ci trouvent naissants au recoi des cités,

Autant d’heur et d’honneur que nous d’adversités ;

Nous de qui le travail entretient les délices,

Qui n’avons innocents de plus doux exercices

Qu’à cultiver la terre, à tout le long d’un jour,

Du contre sur son dos arranger le retour,

Qu’à mener les troupeaux aux campagnes herbues,

En Juillet pour l’hiver avec la faux tondues,

La plante de Bacchus déchausser, et tailler,

Et en mille façons sans cesse travailler,

Cependant si le Ciel veut décocher son ire,

Ce sont ce sont nos chefs, que les premiers il mire,

Soit que l’air se mutine, où vienne injurieux

Notre espoir avancé moissonner à nos yeux ;

Ou il arrivera qu’une grêle impourvue,

Qui l’épargne d’un an ravit à notre vue,

Telle qu’à moi chétif, qui hersoir dans ces bois,

Égarai traversant deux miens bœufs à la fois,

Bœufs retournez du joug plus tard que de coutume,

(Et comme d’apparence incertain je présume,)

La hâte que j’avais en l’obscur de la nuit,

Égarez du troupeau ce dommage a produit ;

Sur mes bras rebroussant je cherche depuis l’heure,

Voyons dans ce vallon solitaire demeure,

Où broutant ils pourraient la nuit avoir passé,

Quelqu’un plus matineux m’a la sente tracé,

Voilà des pas nouveaux imprimes sur l’herbage,

J’entends aussi du bruit ébranler le feuillage,

Approche de lys près, Dieu ! qu’ai-je découvert ?

Deux amants entassés dessus le gazon vert,

Serrés flanc contre flanc, et bouche contre bouche :

Las ! une froide peur la parole me bouche,

Ce sont des Déités ; une vive splendeur

Démontre le pouvoir de leur sainte grandeur ;

C’est mit, c’est fait de moi, je suis perdu profane,

Pan jouit en ce lieu des beautés de Diane,

Pan est d’une autre forme, il faut donc que ce soit

Le chasseur Orion qu’en ces baisers reçoit

Diane, je le crois, et mon œil ne me trompe,

Un chien est auprès d’elle, un dard, à une trompe,

Toutefois à ses mains, et à son front vermeil,

On la dirait plutôt fourrière du Soleil ;

Déesse pardonnez à ma soif curieuse,

La coupe est imprudente, et non malicieuse,

Je la commets surpris d’un prodige nouveau,

Mais, Céphale ressemble à l’heureux jouvenceau,

D’assurance c’est lui ; ô âme déloyale

Fais-tu si peu de cas de la foi nuptiale ?

De ta chaste Procris, trop chaste pour souffrir

Un autre à tes ardeurs en sa place s’offrir ?

M’advienne que pourra de la rancœur céleste,

Je m’en vais le forfait lui rendre manifeste.

 

 

Scène III

 

L’AURORE, CÉPHALE

 

L’AURORE.

Contente de l’essai je te donne le pris

Des meilleurs champions que couronne Cypris,

L’heureuse élection faite de ton service,

Qui ne sent rien de lourd, rien d’un simple novice,

Augmente à l’infini mon aise, et mon amour ;

Mais comme nos plaisirs sont sujets au retour,

Sujets à recevoir de telle part qu’il vienne,

Un fâcheux contrepoids, mon cœur, et t’en souvienne,

L’absence de tes yeux me fera remourir.

Mais sanglots loin de toi ne se pourront tarir,

Et l’attente de l’une à l’autre de mes courses,

Débondera mes yeux en éternelles sources,

Règle donc ta revue à une heure, a un point

Qui toujours s’entresuive, et ne me manque point,

Promets en ce lieu même, avant que je te quitte,

Venir tous les matins revoir ta favorite,

Et plus dedans la nuit tu viendras vigilant,

Plus nous éviterons le murmure insolent

Du soupçonneux vulgaire, et plus j’aurai d’espace

À me distribuer les faveurs de ta grâce,

Et plus près de porter aux humains la clarté,

Nos devis amoureux auront de liberté.

CÉPHALE.

Premier œil de nos jours, Déité débonnaire,

Des langoureux mortels le recours ordinaire,

Qui les corps r’animés d’une molle fraîcheur,

M’estiviez-vous de roc ou de glace le cœur ?

Estimez-vous qu’au lit m’attache la paresse,

Attendu dans le sein d’une telle maîtresse ?

Las ! votre peur me tué, et déjà dans les os

L’impatience bout, me privant de repos,

Je ne vis plus qu’en vous, et de vous yeux bannie

Mon âme de son corps se perdra désunie,

Sèchera de douleur, comme vous attendant

On voit le temps des fleurs toucher son occident :

Que ne puis je tandis où bien cesser de vivre,

Où vos pas désirez adorer, et les suivre.

L’AURORE.

Le feu flambe plus clair étant un peu couvé,

Et notre amour ainsi plus ardent retrouvé

De l’espace entremis réparera la perte,

Or avant que partir, prends de ma main offerte

Cette sorte de dard, chef-d’œuvre Lemnien,

Duquel au coup brandi ne se dérobe rien,

Il assassine tout de si loin qu’on le darde,

Et indifféremment tout ce que l’œil regarde,

Je te fais de ce chien davantage présent,

À dépeupler les bois des Feres suffisant,

Melampe en est le nom, procréé d’une race,

Qui les loups, les sangliers, et les lions terrasse,

Tien l’un et l’autre chers plus pour l’amour de moi,

Que d’aucune vertu qui soit digne de toi.

CÉPHALE.

Si je les tiendrai chers, tous le pouvez bien croire,

Gage d’une amitié, le comble de ma gloire,

Présents dignes de vous, et dignes d’un chasseur.

L’AURORE

Adieu, car le séjour ne nous serait pas sûr,

Retourne mon Soleil vers Procris, et me baise.

CÉPHALE

Hé ! je meurs r’enflammé d’une nouvelle braise.

 

 

ACTE IV

 

PROCRIS, POLIDAME et CÉPHALE

 

PROCRIS.

Incertaine, confuse, et manque de raison,

Je vous atteste Dieux, contre une trahison,

Je vous invoque tous de mes forfaits arbitres,

Et vous de leur justice implacable ministres,

Tisiphone, Alecton, Mégère, et vos flambeaux,

Vos fouets ensanglantez, vos sifflants couleuvreaux,

Vous rages sur le seuil de l’Orque résidantes,

Vous fureurs des décrets d’Æaque dépendantes,

Je vous prends à témoins, et vous invoque tous,

Satrapes destinez de l’infernal courroux,

Et surtout qui vengez une foi parjurée,

Qui savez du remords ma faute réparée,

Qui savez d’un erreur quel fut mon repentir,

Faites au déloyal vos colères sentir,

Et toi grande Junon, toi féconde Lucine,

Toi hymen, de mes maux la première origine,

Soutenez ma querelle, embrassez mon bon droit,

Car qui plus obliger à vos lois se voudrait ?

Qui plus épouvanté de ces mauvais exemples,

Se viendrait suppliant prosterner à vos temples ?

Qui leur apporterait la victime, et l’encens,

Si vous laissiez ainsi fouler les innocents :

Ah ! chétive Procris, à qui se font tes plaintes,

La Justice, et les lois des Déités enfreintes,

Celle qui corrivale a séduit ton époux,

Se tient en sureté de l’adultère absous,

Autorise Déesse, une illicite flamme,

Qui doncques que la mort faut il que je réclame ?

Qui sera désormais pitoyable à tes cris,

Que l’impiteuse mort, misérable Procris ?

Encore suis-je en doute, et encore incertaine,

Le passé me retient cette créance vaine,

Céphale me trahir, inconstant pratiquer

Une amitié nouvelle, à sa foi révoquer,

Céphale des vertus le Phœnix, le modèle,

En un moment changé devenir infidèle,

Je crains que tu te sois mépris, où qu’un démon

Jaloux de notre paix et de son chaste nom,

N’ait sa face emprunté pour décevoir ta vue,

Ta vue de frayeur surprise à l’impourvue.

POLIDAME.

Madame je serais fâché que mon rapport

Téméraire semât votre lit de discord,

Il me déplaît assez qu’il soit trop véritable.

PROCRIS.

Ô désespoir horrible ! ô rage insupportable !

Que tu les as de près contemples à loisir ?

POLIDAME.

Plus près à plus longtemps que je n’avais désir.

PROCRIS.

Qu’ils s’embrassaient.

POLIDAME.

Ainsi que font l’homme et la femme.

PROCRIS.

Et pendant Jupiter une ocieuse flamme,

Demeurait en ta dextre, et tu n’as foudroyé

Ce couple en ces plaisirs exécrables noyé,

Ô injustice grande ! ô terre, ô terre mère,

Ne devais-tu crever sous ce couple adultère ?

Trébucher au profond des gouffres de Pluton

Ces monstres criminels la proie d’Alecton,

Quels discours avoient-ils ensemble, je te prie ?

POLIDAME.

Ceux que l’amour pressait d’une extrême furie,

Pour l’heure ont préféré aux paroles l’effet.

PROCRIS.

Donc tu n’attendis pas accomplir le forfait.

POLIDAME.

Éperonné de crainte, et rouge de leur honte,

Les ayant découverts je pris la fuite prompte.

PROCRIS.

Tu m’as dit néanmoins que ce fut avant jour.

POLIDAME.

Une ardante lueur s’épandait tout autour,

Lueur qui les cernait ainsi qu’un diadème,

Et comme on la remarque au front du Soleil même,

La divine beauté qu’il possédait alors.

PROCRIS.

Hélas ! de mon esprit frénétique je sors,

Un tançon de fureur me maîtrise, et m’emporte,

Or tu tiens son amante au jour ouvrir la porte ?

POLIDAME.

Elle a les doigts de rose, et a le front vermeil,

Et en fin à l’Aurore il n’est rien si pareil.

PROCRIS.

Dieux ! mille fois cruels, iniques destinées,

Hé ! du moins abrégez le cours de mes années,

Faites que la douleur m’étouffe en lamentant,

Exaucez, exaucez les vœux de l’inconstant,

Je ne dois espérer de liesse en ce monde,

La vie que je traine est une mort seconde,

Me voilà le mépris, la fable et le dédain

D’un mari déloyal, et d’une orde putain,

D’une que le méchant sous ombre de la chasse,

« Il y a jà longtemps, de déshonneur pourchasse,

Elle est seule des Dieux qu’il soûlait réclamer,

Mais eussai-je pensé que ce fût pour l’aimer,

Mais eussai-je pensé les Déités lascives,

S’allier aux mortels de leurs fiâmes captives :

Aux femmes mêmement soustraire leurs époux,

Crime du simple nom abominable à tous,

Venus est excusable accolant son Anchise,

Et de l’enfant du Myrrhe enchaînant la franchise,

Cela n’était au pris rien qu’un léger ébat,

Car l’un et l’autre d’eux vivait en célibat,

Où toi de ton essence et de ton grade indigne,

Sans pudeur ma moitié me subornes maligne,

Où toi qui du forfait le dusses châtier,

Souffles de son amour l’adultère brasier,

Attire son larcin receleuse indiscrète,

Parjure à ton vieillard que le sommeil arrête.

POLIDAME.

Surseez vos regrets, j’entends quelqu’un venir.

PROCRIS.

Ôte-toi je le veux accorte entretenir,

Lui parler seul à seul, et lui faire ma plainte,

Comme si du futur je n’avais que la crainte.

POLIDAME.

Derechef je vous prie que le nom soit celé

De celui qui vous a ses amours relevé.

PROCRIS.

Va, je te le promets, esquive de vitesse ?

CÉPHALE.

D’où provient mon désir l’apparente tristesse

Qui flotte sur ta face et ternit sa couleur ?

Dis-le-moi pour partir entre nous la douleur.

PROCRIS.

Vous savez le motif de mon cruel martyre,

Mieux que le crève-cœur ne me permet de dire :

Hélas ! vous savez trop la cause de mon deuil, 

Deuil qui me conduira bien tôt dans le cercueil.

CÉPHALE.

Savoir qui te moleste, à au cœur te demeure,

Si je le sais mon heur, présentement je meure.

PROCRIS.

Ces surnoms d’amitié je ne mérite pas,

Depuis que mon honneur approcha le trépas.

CÉPHALE.

Pourquoi m’estimes-tu la poitrine fardée,

Qui couve une vindicte en ma haine gardée.

PROCRIS.

Coupable d’un délit je n’ose m’assurer.

Et m’en ressouvenant ne fais que soupirer.

CÉPHALE.

Je te l’ai pardonné de bon cœur, et pardonne.

PROCRIS.

Cela n’empêche pas que Procris ne soupçonne.

CÉPHALE.

Hé ! que soupçonnes-tu ?

PROCRIS.

Que justement vengé,

Votre premier amour ne me soit étrange.

CÉPHALE.

Soupçonner sans sujet procède de folie.

PROCRIS.

Un pertinent sujet a ce soupçon me lie.

CÉPHALE.

T’ai-je depuis usé de pire traitement ?

PROCRIS.

Vous ne m’avez traité que trop discrètement.

CÉPHALE.

Ce trop discrètement sous une pointe aiguë,

Pourtant mal à propos d’inconstance m’argue.

PROCRIS.

Il n’y a que les Dieux, et vous qui le savez,

Et bien qu’il fût ainsi, de droit vous le pouvez.

CÉPHALE.

« Tout exemple mauvais aucun ne licencie,

« Notre gloire à le suivre en demeure obscurcie.

PROCRIS.

Ô vertueux propos s’il répondait d’effet !

CÉPHALE.

Qui coupable vers toi du contraire me fait ?

PROCRIS.

Une chasse maudite, vue chasse obstinée,

Chasse qui tranchera bientôt ma destinée.

CÉPHALE.

L’habitude que j’ai prise de ce plaisir,

Où j’applique le temps d’un honnête loisir,

Plus que par le passé craintive te tient-elle,

Craintive que je sois à nos feux infidèle ?

PROCRIS.

Il perd chez vous le nom de plaisir désormais,

C’est une rage ardente, où il n’en fut jamais,

Un erreur forcené, bourreau de votre vie,

Si l’âme de l’autre part ne paissait son envie.

CÉPHALE.

Penses-tu le soûlas, et le contentement

Du travail des forêts, le doux enchantement,

Alors qu’en attendant le retour de l’Aurore.

PROCRIS.

Ah ! combien lentement il se la remémore !

CÉPHALE.

Qu’étendu sur l’émail du fleurage odoreux,

On oit des oisillons le concert amoureux,

Et puis le jour poignant par les forêts ramées,

Que l’on va discernant les laisses des fumées,

Qu’un grand cerf découvert abandonne son fort

Pour aller à l’égail tremblant de crainte sort,

Qu’il s’arrête tout court, et l’oreille attendue

Hume le son plaisant d’une roue plaintive,

Tantôt voir le sanglier courir aux bleds nouveaux,

Voir sur l’herbe trotter connils, et lapereaux,

Maintenant attiser la louve qui s’apprête

Pour nourrir ses petits, et se jeter en quête,

Outre mille plaisirs, à mille autres ébats

Qu’au cours d’un siècle entier je ne nombrerai pas,

T’émerveilles-tu donc si tes bois j’idolâtre,

Et si dans leurs plaisirs je reste opiniâtre ?

PROCRIS.

Oublieux néanmoins, tu as omis de tous,

L’appas plus attrayant, et le charme plus doux,

Quelque fois le dénis des Nymphes forestières,

Sonnent les Otites aux chasseurs familières :

La Diane enflamma la glace d’Hynolit,

Et les baisers d’Adon Éricine cueillit,

En ce libre séjour, là tu es je m’assure,

Attendu tôt ou tard de pareille aventure.

CÉPHALE.

Comme un songé moqueur fait voir ce qui n’est point,

La jalousie ainsi frénétique t’espoint,

Te fait imaginer des choses impossibles,

Joint que ton sexe n’a d’injures plus sensibles,

Et joint qu’un bon amour dont je te sens tenu,

Veut son feu de ce bois toujours entretenu.

PROCRIS.

Hélas ! hélas ! je sais plus que je n’ose dire,

Contrainte d’un respect je ronge mon martyre,

Mais Céphale mon-heur, pourvu qu’à l’avenir

Sous les lois de l’hymen te plaise revenir,

Qu’il te plaise n’en plus répéter de vengeance,

Mon mal ne prendra pas, il a pris allégeance,

La source de mes yeux tarira pour jamais,

Et ne te semblerai jalouse désormais,

Autrement résolu de m’aimer de langage,

De me laisser sans plus la parole de gage,

De violer les lois de la sainte Junon,

Me réservant pipeur de compagne le nom,

Résolu de tromper l’innocente peu caute,

Venge-toi, venge-toi tout d’un coup de ma faute,

Transperce-moi la gorge, où le sein de ce dard,

Je l’endurerai mieux, et la mort m’est à tard.

CÉPHALE.

Le teins te montrera sage d’expérience,

Qu’à tort tu as conçu semblable défiance,

Entrons je te supplie, et laissons ce propos,

De la chasse recru j’ai besoin de repos.

PROCRIS, seule.

J’ai touché déloyal au vif de ton ulcère,

C’est la raison pourquoi tu te tires arrière,

C’est pourquoi te contient surprendre sur le fait,

Tous les moyens ôtés de couvrir ton forfait,

Secrète te suivant pas à pas à la trace,

Et par ton délateur conduite sur la place,

Où t’attend ma rivale, où tu cours avant jour,

Détremper les ardeurs d’un adultère amour.

 

 

ACTE V

 

CÉPHALE, PROCRIS, POLIDAME, L’AURORE

 

CÉPHALE.

Qu’attends-tu paresseux ? ta promesse te somme,

Et encor Morphée de ses pavots t’assomme,

Le sein d’une Déesse est-il point suffisant

De secouer le joug de ce sommeil pesant ?

Le sein d’une Déesse ouvert à tes délices,

Faut-il que sur la plume attaché tu croupisses ?

Ô indigne cent fois de l’honneur ! hâte-toi

La perte que tu fais négligent ramentoi,

Songe, songe combien sur sa bouche de rose,

Sur sa bouche sacrée, et à demi déclose :

Tu aurais moissonné de ces baisers qui font

Des esprits attirez un extase profond,

Baisers qui départis d’une bouche si belle

Peuvent plus que ne font ceux de la colombelle,

Milles petits amours enfantent à la fois,

Capables de courber le monde sous ses lois :

L’indiscret Phrygien ne permet que je die

Le plus de ses faveurs d’une langue hardie,

Un mystère sacré défend les révéler.

Qui ne veux imprudent sa ruine appeler

Juste punition, vu que la plus commune

N’aime pas que le bruit vulgaire l’importune,

Vu que taire un bienfait est le moindre loyer,

Qu’en le reconnaissant nous puissions employer.

Allons, car le discours un effet nous demande,

Ains des félicités humaines la plus grande.

PROCRIS.

Le faussaire s’en va, de mon lit échappé,

Comme le criminel de ses fers détrapé,

Glissé d’auprès de moi qui faisais rendormie,

Pour courir au giron de sa nouvelle amie,

Lui porter ce qu’il m’a dérobé le voleur,

Lui porter ce qu’il a d’amour, et de chaleur,

Le barbare m’a-t-il la nuit favorisée

De la moindre caresse, et seulement baisée ?

Pour une infinité de pleurs et de sanglots,

Seulement, seulement la paupière déclos ?

Seulement retourné sa masse appesantie,

Ains que telle il feignait l’âme ailleurs divertie,

Et du simple dénis ma douleur consoler,

Daigné d’un peu de dons mon fiel entremêler,

Quoique le médecin n’applique le remède,

À son sage conseil l’impatience cède :

Or ne faut-il le temps dissiper en discours,

À ta conduite j’ai (Polidame) recours,

Viens me mener au heu, me montrer la retraite

De leurs honteux larcins, que je me tienne prête,

Que j’aille en ce délit mon traitre appréhender,

Et horrible à l’instant d’injures l’aborder,

Mille poignants brocards vomis contre l’infâme,

Qui sa couche, son nom, et sa troupe diffame,

Hâtons-nous cher ami ? l’attente n’y vaut rien,

Ce n’est qu’autant laisser dépérir de mon bien,

POLIDAME.

Madame suivez-moi, si je ne vous les livre

Ainsi que désirez, que je cesse de vivre.

PROCRIS.

Ô désir misérable ! ô étrange désir !

Tu accrois mon dommage en me faisant plaisir.

CÉPHALE.

Je te rends grâce Amour du plus pur de mon âme,

Qui m’as fait prévenir le retour de Madame,

Du devoir comparable au brave combattant,

Qui le son martial des trompettes n’attend,

À se ruer vaillant, et chatouillé de gloire,

Là part où l’étranger dispute sa victoire :

De même au rendez-vous le premier arrivé,

Elle verra comment je n’ai point rétine

Lorsque pour champ ouvert sa poitrine d’albâtre,

D’où jamais Cupidon ne décampe idolâtre,

Me le voudra permettre, ha ! qu’à l’heure employé

L’honneur de la servir ne m’est-il octroyé,

Afin de traverser l’ennui de son absence,

Je vais de quelque cerf épier l’innocence,

Prêter de fort en fort, l’œil et l’oreille au bruit,

Ô cieux ! à point-nommé le bonheur me conduit

Dans ce buisson prochain j’entends frémir la bête,

Tenons-lui de ce dard la pointe toute prête.

PROCRIS.

Retire-toi soudain, j’entends quelqu’un venir ?

POLIDAME.

Ce les sont, ce les sont, il n’y a que tenir.

PROCRIS.

Esquive, que plus près tant soit peu je m’approche.

CÉPHALE.

Elle sort, sus mon bras de ta force décoche.

PROCRIS.

À l’aide, je suis morte, hélas ! Céphale, hélas !

Pardonne à ta Procris, pardomne mon soûlas.

CÉPHALE.

Ma Procris, ô malheur ! ce nom, ce nom me tue,

C’est fait, je l’aperçois chanceler abattue.

PROCRIS.

Mon cœur, je te voie avant que trépasser,

Que j’aie encor un coup cet heur de t’embrasser.

CÉPHALE.

M’embrasser scélérat, m’embrasser homicide,

O cruauté du sort ! ô Déité perfide !

PROCRIS.

Ma jalousie est cause, et non toi du malheur,

Ne rengrege donc point de plaintes ma douleur.

CÉPHALE.

Hélas ? tu as raison, les plaintes importunes

Doivent s’approprier aux moindres infortunes,

Les plaintes m’argüeraient d’extrême lâcheté,

Autre peine n’ayant contre moi décrété,

Mais montre-moi l’endroit où tu te sens blessée.

PROCRIS.

Pour la seconde fois dans le cœur traversée,

Une fois de tes yeux, à l’autre de ce dard,

Dard, qui de nos moitiés va faire le départ.

CÉPHALE.

Hé ! Dieux ! ce traître dard m’accuse plus coupable,

Il me rendra le Ciel, et la terre implacable.

PROCRIS.

Tu veux, désespéré me donner une mort

Plus cruelle cent fois, au lieu de réconfort.

CÉPHALE.

(Je veux, je t’en conjure, à je te le commande,

Non cuidant réparer une faute si grande,

Cent supplices cruels ne vengent l’assassin,)

Que de ce même fer tu traverses mon sein,

Où si tu n’as la force, impuissante, profère

D’un clin d’œil ma sentence, et puis me laisse faire.

PROCRIS.

Ô Parque avance-toi, clos mes yeux, et ma voix !

Qui d’agréable rien n’entends plus, et ne vois.

CÉPHALE.

Procris, hé ! voudrons- tu, voudrais-tu chère épouse

Que le ruisseau vermeil de ta plaie m’arrouse ?

Que le meurtre de toi, en moi-même commis,

De lamenter chétif il ne me soit permis ?

Voudrais-tu bien mourir, et que je ne mourusse ?

Un dommage encourir nue je ne l’encourusse,

Que servirait l’aimant de l’antique amitié ?

Où serait la constance, où serait la pitié ?

Tu crois (je le sais bien) mes regrets une feinte,

Et mes vœux à présent chercher une autre sainte

Je me confesse atteint de quelque nouveauté,

Mais d’avoir conspiré si lâche cruauté,

Tué de guet apens la moitié de mon âme,

Un trépas généreux étouffera ce blâme.

PROCRIS.

Jamais donques Minos juge de l’Orque noir,

Devant lequel je suis proche de comparoir,

Ne me soit exorable, à, que jamais Mercure,

De descendre là bas mon esprit n’aie cure :

Qu’il erre après cent ans aux rives d’Acheron,

Du passage fatal refusé par Charon,

Si je te tien coupable en aucune manière,

Si ce coup désastreux au sort je ne réfère,

Coup heureux, qui te laisse à ton contentement,

D’une grande Déesse aimé parfaitement,

Coup que je méritais, profane, curieuse.

D’inepte jalousie ardente, et furieuse,

Coup de soi favorable, et mille fois humain,

Pour gage donne-moi ave je baise ta main,

Adieu Céphale, Adieu, je n’ai plus de parole,

Permets que mon esprit sur ta lèvre s’envole,

Permets que je trépasse entre tes bras aimés,

Adieu, voilà mes vœux de tout point consommés.

CÉPHALE.

Elle meurt, elle meurt ; hélas ! elle est passée,

Un sanglot sa belle âme a dans l’air dispersée ?

Procris, chère Procris, je ne te dis Adieu,

Je veux du même fer mourir au même lieu,

Je veux malgré l’envie, et du Ciel, à des astres,

En un brave trépas vaincre tous mes désastres,

Vaincre chère Procris la cruauté du sort, 

Qui me fait l’innocent organe de ta mort,

Je veux, je veux te suivre en dépit de leur haine,

Je veux finir ma honte, en finissant ma peine ;

Ils ne désuniront ce que l’amour unit,

« Un bon commencement encore mieux finit,

La tache de ma foi dedans mon sang lavée

Ne paraîtra non plus qu’entière conservée,

Que diffères-tu donc, couard, que tardes-tu ?

Montre, montre en ce coup une mâle vertu.

L’AURORE.

Ha ! demeure félon, demeure, qu’à la face

D’une divinité tel meurtre ne te face,

Je ne le permettrai, rend ce qui m’appartient,

Et vois de sens rassis celle qui te retient.

CÉPHALE.

Las ! Déesse, voyez que tel présent m’apporte,

Voilà par son moyen mon espérance morte,

Voilà, voilà l’effet d’une infâme rancœur,

Votre dard de Procris ayant percé le cœur.

L’AURORE.

Je pardonne au tourment de ta douleur extrême,

L’énorme impiété vomie en ce blasphème,

Mais comment t’est ici l’esclandre survenu ?

CÉPHALE.

D’un palissant martel son esprit détenu,

L’avait à son malheur de me suivre inspirée,

Dans le buisson prochain d’embuscade attirée :

Moi oui vous attendais la jugeant au branler,

Hélas ! ce corps vous dit le surplus sans parler.

L’AURORE.

Quel remède à cela ? c’est un coup d’aventure.

CÉPHALE.

C’est l’exécrable fruit de ma flamme parjure.

L’AURORE.

Tu n’es qu’exécuteur de l’arrêt du destin.

CÉPHALE.

Je ne suis que d’un feu l’exécrable butin.

L’AURORE.

Les sœurs avoient filé sa trame de la sorte.

CÉPHALE.

Les sœurs veulent aussi que je la suive morte.

L’AURORE.

Tu la suivras, ton cours naturel arrivé.

CÉPHALE.

Après avoir le sien de ce bonheur privé.

L’AURORE.

« Celui ne pèche point, qui pèche d’imprudence.

CÉPHALE.

Toujours ma perfidie est motif de l’offense.

L’AURORE.

Jaçoit que les défunts ne convienne blâmer,

Elle t’avait appris l’inconstance d’aimer.

CÉPHALE.

Son repentir assez récompensa la faute,

Où mes allèchements l’attirèrent peu caute.

L’AURORE.

Ton repentir égal la doit donc contenter ?

CÉPHALE.

Je dois comme les siens mes jours ensanglanter.

L’AURORE.

Non tu ne le dois pas, et ne le saurais faire.

CÉPHALE

Hé ! qui m’empêchera, résolu du contraire ?

L’AURORE.

La foi, que de nouveau consacre à ton amour,

Au lieu de ta Procris, la Princesse du jour,

Conforme à tes désirs, à tes humeurs réduite,

Humble à l’extrémité pardessus ton mérite,

Par-dessus ton espoir, qui représentera

Ta femme remuante, et te contentera,

Ne t’en ai-je déjà les arres avancées,

Capables d’assoupir ces plaintes élancées ?

CÉPHALE.

Certes, sans vous aussi mes yeux n’ont plus d’objet,

Qui de languir ici leur donne aucun sujet,

Le Soleil odieux reluit à ma paupière,

Je foule dédaigneux la terre notre mère,

Je ne respire Pair qu’a regret, je ne suis

Qu’un gouffre de malheurs, vue bute d’ennuis,

Un enfer de tourments, un homme qui demeure

Mort entre les vivants, n’ayant plus de bonne heure.

L’AURORE.

Ce vieillard empenné, qui racle de sa faux,

Par la longueur des jours le souvenir des maux,

Éteindra les douleurs de ton âme angoissée,

Or moi de te quitter en cet accès forcée,

Attendant mon retour, te prie derechef

Prendre patiemment ce destiné méchef,

Croire que dans le cœur je déplore ta perte,

Et qu’en moi toutefois elle t’est recouverte :

Adieu jusqu’au revoir, le Soleil malcontent,

Monté dessus son char dans les ondes m’attend,

Va ce corps enfermer d’un sépulcre honorable,

En quoi dorénavant tu lui es secourable.

CÉPHALE.

Corps, jadis le palais des plus rares vertus,

La douleur me défend tes actes ramentus,

L’univers les connaît, les chante, les célèbre,

Tout le monde fera ta harangue funèbre,

Tout le monde orphelin bâtira ton cercueil,

Que je précéderai d’un véritable deuil,

Confessant devant tous la grandeur de mon crime,

Et de tous requérant la piété magnanime,

Vouloir juste expier mon horrible forfait,

Qui ce chef-d’œuvre saint de nature a défait ?

PDF