Polichinelle aux Eaux d’Enghien (Francis baron D’ALLARDE - Armand D’ARTOIS - Joseph-Xavier Boniface SAINTINE)

Tableau-vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 8 juillet 1823.

 

Personnages

 

MONSIEUR FONTAINE, médecin des eaux, propriétaire de l’établissement

DUPUIS, propriétaire à Enghien

GUSTAVE, son neveu, caricature parisienne

FORMEN, jeune veuve anglaise, amoureuse de Gustave

MILORD COTTENCOTT, riche anglais, amoureux de milady Formen

SEMOUILLE, fabricant de fécule de pommes de terre

MADAME SEMOUILLE, sa femme

MADAME VIRGINIE, vieille femme à la mode

EMMA, sa fille

LA BARONNE DE KERKORKIRMANN, jeune dame allemande

MADAME COSAKOFF, jeune russe

MADAME DE VERNEUIL, jeune française

MONSIEUR DUNOYAU, distillateur

MONSIEUR POIL-DE-CHÈVRE, négociant

CHONCHON, servante des bains

L’HIRONDELLE, cocher des Célérifères

 

La scène se passe à Enghien-Montmorency, dans la salle commune de l’établissement des pains. On aperçoit par les fenêtres du fond l’étang et le pavillon qui est au milieu.

 

 

Scène première

 

CHONCHON

 

CHŒUR dans les cabinets.

À boire, à boire, à boire,
Je suis dans ma baignoire.

CHONCHON.

C’est ça, quand on souffre beaucoup,
Il faut bien vite buire un coup.

On sonne.

Ils vont briser les sonnettes ! eh ! Robinet !... un consommé au n° 9... une côtelette au 13, et un verre d’eau au 20.

On sonne.

Oh ! voilà le n° 60 qui fait le carillon !...

Au cabinet.

J’y vais tout de suite !

Revenant à la scène.

C’est monsieur et madame Semouille, qui tiennent la manufacture de fécule de pommes de terre... de vieux cassés comm’ ça, qui ont au moins un siècle à eux deux, c’est plus impatient que des jeunes gens ; ça voudrait avoir des enfants, et la croit qu’ les eaux d’Enghien...

 

 

Scène II

 

CHONCHON, L’HIRONDELLE

 

CHONCHON.

Tiens ! voici l’Hirondelle.

L’HIRONDELLE.

Bonjour, Colombe.

CHONCHON.

Bonjour, l’Hirondelle.

On sonne.

Par ici maintenant... ah ! c’est madame Virginie ; faut pas la faire attendre celle-là.

L’HIRONDELLE.

Elle est donc bien malade ?

CHONCHON, revenant.

Ah ! bien oui, malade ! c’est elle qui est joliment drôle ! elle a de la santé pour quatre, mais elle dit qu’elle souffre ; moi, je l’ veux bien. Aussi, faut la servir à la minute, si je la faisais attendre quand elle sonne !... et sa petite fille, mamzelle Emma, est-elle cocasse ?... ça parle déjà comme une mère de famille, et ça devrait encore jouer à la poupée. Eh ! bien, comment vont les Célérifères ?

L’HIRONDELLE.

Ça va comme le vent ! et je vous amène une fameuse cargaison de malades ! V’là ma feuille : deux anglais, trois marchandes de modes, un turc et quatre Danaïdes de la Porte Saint-Martin ; et au milieu de tout ça, un farceur qui n’a pas la langue dans sa poche. Pendant tout le chemin il n’a fait qu’rire et chanter ; il a mis en gaité jusqu’à mes chevaux, qui ont pensé prendre le mors aux dents en passant le pont de Saint-Denis. C’est une espèce de caricature, qui court après une mi lady, dont il est amoureux ; en parlant d’amour, aimable Chonchon, à quand not’ mariage ?

CHONCHON.

Tu sais bien que mon parrain, M. Fontaine, le médecin des bains, a promis de nous marier aussitôt que son établissement serait en pleine prospérité. C’est qu’mon parrain n’est pas un médecin comme un autre ! c’est un petit-maître, qui va tous les soirs au spectacle, qui parle anglais, chante l’italien, et recommande, surtout, à ses malades, les plaisirs, les eaux et les parties d’ânes ; enfin, c’est un docteur qui fait la médecine à la mode, aussi, c’est à qui sera malade polir suivre son régime. Ça irait bien sans ce maudit propriétaire qui est là à côté... M. Dupuis.

L’HIRONDELLE.

Ah ! ce misanthrope !

CHONCHON.

C’est pas un misanthrope, c’est un sournois ; depuis dix ans qu’il habite ce petit hermitage, là, à deux pas de la source, il est comme un enragé après les eaux ! il crie comme un canard.

L’HIRONDELLE.

Oui ! eh ! bien, laisse-moi faire, la première fois qu’il mont’ra dans ma voiture, crac !...

CHONCHON.

C’est ça, fais-lui faire un fameux plongeon au canard ; il faut le forcer de prendre les eaux pour son compte. Mais tu m’fais jaser, et je suis pressée... oh ! c’est que je suis leste au coup de sonnette, moi !

L’HIRONDELLE.

Eh ! bien, va à ton devoir, mais ne perdons pas de vue l’hyménée ; c’est une chose conséquente pour moi.

Air : On dit que je suis malice.

Lorsque je conduisais le fiacre,
On disait qu’j’étais un massacre,
Mes ch’vaux n’allaient qu’au petit trot,
Ils mangeaient peu, je buvais trop.

CHONCHON.

Parmi les cochers d’la banlieue,
Tu fus bien longtemps à la queue ;
Mais si tu deviens mon époux,
Tu s’ras à têt des coucous.

Oui, tu y seras, foi de Chonchon, mais j’entends mes malades, files bien vite.

L’HIRONDELLE.

Au revoir.

 

 

Scène III

 

MADAME DE VERNEUIL, LA BARONNE DE KERKORKIRMANN, MADAME COSAKOFF, MONSIEUR DUNOYAU, BAIGNEURS et BAIGNEUSES, MONSIEUR POIL-DE-CHÈVRE

 

CHŒUR, en entrant.

Air connu.

Ah ! quel plaisir d’être aux
Eaux !
On s’y porte, c’est un délire !
Pour tout dire,
En peu de mots,
On y guérit de tous les maux.

MADAME DE VERNEUIL.

La fraîcheur des champs.

MADAME COSAKOFF.

Des oiseaux les chants.

DUNOYAU.

Les paysannes,
Les ânes,
L’esprit s’y trouve bien !

LA BARONNE.

On y mange bien.

POIL-DE-CHÈVRE.

Et l’on y pense à rien.

CHŒUR.

Ah ! quel plaisir d’être aux
Eaux,
etc.

DUNOYAU.

Eh ! bien, mesdames, n’est--ce pas que les bains d’Enghien sont aimables ? qu’en dites-vous, M. Poil-de-chèvre ?

POIL-DE-CHÈVRE.

Mais, c’est fort beau ! vous devriez, M. Dunoyau, transporter ici votre magasin de liqueurs de la rue des Lombards.

MADAME DE VERNEUIL.

Monsieur est distillateur ? voilà madame la Baronne de Kerkorkirmann qui vous promet sa pratique, n’est-ce pas, ma bonne amie ?

LA BARONNE.

Ya, ya !

MADAME DE VERNEUIL.

Et madame de Cosakoff, jeune veuve Russe.

MADAME COSAKOFF.

Oh ! non, je déleste toutes les liqueurs, à cause de mes nerfs ; je ne bois que du Schnaps.

POIL-DE-CHÈVRE, à part.

La bégueule !

VIRGINIE, dans la coulisse.

Chonchon ! Chonchon !

MADAME DE VERNEUIL.

Ah ! voilà ma chère Virginie avec sa petite fille, hier soir elle se plaignait beaucoup de la poitrine.

 

 

Scène IV

 

LES MÊMES, VIRGINIE, EMMA

 

VIRGINIE, entrant.

Ah ! vous êtes déjà réunis ! je n’ai pas été de votre promenade ce matin, l’air était un peu vif, et j’ai la poitrine si délicate !

EMMA.

Oui, l’atmosphère était un peu refroidi ; hier soir le vent a changé deux fois ; et ce matin il était au nord-ouest.

POIL-DE-CHÈVRE.

Ça n’est pas il fait mauvais parce qu’il a plu le jour de la Saint-Médard ; nous en avons pour quarante jours.

EMMA.

Mesdames, avez-vous vu les journaux ! du tout ça,

TOUTES.

Pas encore.

VIRGINIE, appelant.

Chonchon ! Chonchon ! les journaux.

CHONCHON, arrivant.

Lequel, madame ?

VIRGINIE.

Tous !

CHONCHON, apportant une brassée de journaux.

Je suis joliment chargée, j’espère.

VIRGINIE.

À moi le journal des modes.

EMMA.

À moi le moniteur.

Chacun prend un journal.

CHONCHON, à la Baronne.

Madame la Baronne lit-elle le journal ?

LA BARONNE.

Ya.

CHONCHON.

Tenez... v’là les p’tites affiches, c’est le plus amusant...

Ils s’asseyent tous, et chacun se met à lire de son coté.

DUNOYAU, lisant.

Ah ! ah ! la rente est montée de vingt-cinq centimes !

POIL-DE-CHÈVRE, lisant.

L’Ambigu a donné un nouveau mélodrame.

MADAME COSAKOFF, lisant.

On porte beaucoup de pantalons à la Russe.

VIRGINIE, lisant.

On voit de nouveaux marabouts.

EMMA.

Ah ! voilà le grand turc qui augmente le nombre de ses janissaires ! ça va déranger la balance de l’Europe.

 

 

Scène V

 

LES MÊMES, MONSIEUR et MADAME SEMOUILLE

 

MADAME SEMOUILLE, dans la coulisse.

Allons donc, M. Semouille, allons donc !

SEMOUILLE, dans la coulisse.

Me voilà, ma poule, me voilà !

VIRGINIE.

Ah ! c’est M. Semouille avec sa femme, vous savez, ce fabricant de fécule de pommes de terre ! Nous allons nous amuser.

EMMA, à Virginie.

Tu vas encore faire l’enfant.

SEMOUILLE, entrant.

Doucement, ma femme, doucement ; est-ce que tu as du salpêtre dans les jambes ?

VIRGINIE.

Vous voilà bien tard, madame Semouille.

MADAME SEMOUILLE.

Que voulez-vous, monsieur n’en finit pas ; il est sans cesse à réchauffer son bain.

SEMOUILLE.

C’est cela, c’est moi qui vous ai retardée, vous ne vouliez pas sortir de votre baignoire, et vous m’avez usé deux briques de savon de Windsor et une caisse d’eau de Cologne.

MADAME SEMOUILLE.

Dieu ! que vous êtes vilain ! mon mari ! n’avez-vous pas votre commerce de fécule pour rattraper cela.

Air : Vaudeville du Courtisan.

Mais en vérité tu te gâtes,
À rien maintenant tu n’es bon :
Je parierais que de nos pâtes
Tu n’as pas un échantillon.

SEMOUILLE.

En faut-il donc un kilogramme !
J’en porte tant, que j’en suis las.
Quand je sors avec toi, ma femme,
J’ai toujours un paquet sous l’ bras.

Il pose un paquet sur la table.

Voilà des échantillons pour les amateurs, et des prospectus pour démontrer l’efficacité de mes pâtes.

DUNOYAU.

Madame est ce matin d’une fraîcheur...

SEMOUILLE.

Parbleu, si l’on n’était pas frais ici !

MADAME SEMOUILLE.

Il est vrai que ces eaux produisent sur moi un merveilleux effet ; tous les matins je rajeunis de dix ans.

EMMA.

Alors, depuis cinq jours que vous êtes ici, vous ne devez guère avoir que quinze ans.

MADAME SEMOUILLE, piquée.

J’ai ce que j’ai, et si M. Semouille ressentait la même efficacité...

SEMOUILLE.

Allons, allons, ma femme, vas-tu mettre tout le monde dans la confidence de nos petits démêlés conjugaux, que diable ! le régime des eaux ne me va pas du tout à moi, et je crois qu’un vin généreux...

MADAME SEMOUILLE.

Mauvaise excuse, M. Semouille ! Au surplus, si vous voulez, retournez à Paris.

SEMOUILLE.

Tu sais bien que cela n’est pas possible, et que l’autre jour, en sortant de la représentation des Cuisinières tu as mis la tienne à la porte.

MADAME SEMOUILLE.

Et j’ai bien fait. J’en fais juges ces dames : indépendamment que monsieur la soutenait toujours, je me suis aperçue qu’elle avait un amoureux dans le 15e d’infanterie légère, et qu’elle lui passait des bouillons par la fenêtre de la cuisine ; votre fécule de pommes de terre, j’en suis sûre, servait à faire de la semouille pour tout le régiment.

TOUS, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah !

EMMA.

Vous riez, mesdames, cependant il est bien cruel pour une maîtresse de maison, d’être pillée par ses domestiques ; et quant aux regrets de madame Semouille, je les conçois : il’ est si doux pour des époux, bien unis, de se voir revivre dans d’aimables enfants... ah ! le véritable bonheur est dans le cœur d’une mère de famille.

SEMOUILLE.

Voilà une petite mère de famille qui mériterait d’être corrigée d’importance.

MILORD COTTENCOTT, dans la coulisse.

Goddem ! la coquine de garçon !

Tout le monde se lève.

SEMOUILLE.

C’est milord Cottencott... il est furieux !

 

 

Scène VI

 

LES MÊMES, MILORD COTTENCOTT, MILADY FORMEN

 

MILORD, arrive la figure toute rouge.

Scélérat de Robinet !... si je tenais toi !

MILADY, arrivant du coté opposé.

God ! god ! qu’est-ce que vous avez donc à faire ce ramage milord Cottencott, vous étiez en emportement ?

MILORD, voulant retenir sa colère.

Oh ! oh ! oh ! Milady, du tout, je vous assure, j’étais dans le calme anglais.

MILADY, le regardant avec surprise.

Oh ! Milord, le figure elle était dans la rougeur ; voyez donc, mesdames, que Milord il était laid !

Ensemble (Les Français, Milady et la Baronne).

TOUSLES FRANÇAIS, le regardant.

Ah ! mon dieu ! qu’il est laid !

MILADY.

God ! god ! qu’il était affreux !

LA BARONNE.

Jésus mengod ! il être pien vilain !

MILORD.

C’était l’effet du bain ; je m’avais laissé dormir dedans, et le robinet d’eau chaude il était resté ouvert... de manière qu’en me réveillant j’étais bouilli.

TOUT LE MONDE, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah !

MILORD, se retournant.

Messieurs, je risais jamais, moi, quand je parlais aux dames, et surtout quand c’était avec milady Formen, que je poursuivais en mariage.

POIL-DE-CHÈVRE.

En mariage ?

MILORD.

Oui, messieurs, j’étais venu ici pour prendre une femme avec des eaux.

MILADY.

Milord, cependant...

MILORD.

Milady, il n’y avait pas de cependant.

MILADY.

Je disais à vous que puisque j’avais le bonheur d’être veuve de milord Formen, que j’avais épousé par amour national, je voulais autre chose à présent.

Air : Ça n’peut pas prendre.

De l’Angleterre,
Le pays il était chéri ;
Ses lois, ses mœurs savent me plaire,
Mais dieu me garde d’un mari
De l’Angleterre.

EMMA, prenant la main de Milady.

Deuxième Couplet.

En Angleterre,
On trouve encor des cours épris,
Aussi nos danseuses, ma chère,
Vont toutes chercher des maris
En Angleterre.

N’est-ce pas, mesdames ?

VIRGINIE.

Oui.

MILADY.

Yes.

LA BARONNE.

Ya.

MILORD.

God ! god ! nous étions bien aimables, bien agréables, bien gentils.

LA BARONNE.

Ya, ya, les anglais ils aimaient argent comptant, mais les bremiers de tous pour faire gombrendre l’amour, c’être le français.

MILORD.

Very well, very well ! what do you say gentlemen Semouille ?

SEMOUILLE.

Je ne comprends rien à votre baragouin.

MILORD.

Baragouin vous-même, entendez-vous, M. Fécule !

SEMOUILLE.

Qu’appelez-vous Fécule, M. Biffeteck ?

MILORD, agitant ses poings.

Biffeteck... moi, goddem !

SEMOUILLE, se met en garde avec son parapluie qu’il ouvre.

En avant le bouclier !

MADAME SEMOUILLE, se mettant devant son mari.

M. Semouille, ah ! ciel !

VIRGINIE.

Au secours ! on va boxer !

MILADY, retenant Milord.

Allons donc, Milord.

MILORD.

C’est que j’entendais pas les plaisanteries sur les biffetecks ; ces messieurs ils se moquaient toujours de notre parlement.

CHONCHON, accourant.

Qu’est-ce qu’il y a donc par ici ?... Milord, est-ce que vous vous fâchez ?

MILORD, se retenant.

Non, non, petite garçonne, j’étais tout doux.

À part.

god ! god ! je renfonce le fureur en dedans de moi.

DUPUIS, dans la coulisse.

Le docteur est sorti, c’est égal, je l’attendrai.

CHONCHON.

Eh ! bien, v’là M. Dupuis, c’vieux bougonneur, on n’va plus s’entendre ici.

 

 

Scène VII

 

LES MÊMES, DUPUIS

 

DUPUIS, à la cantonade.

C’est affreux, c’est à faire déserter le pays !

À demi-voix.

Ma cave est pleine d’eau sulfureuse.

VIRGINIE, saluant M. Dupuis.

Eh ! bonjour, M. Dupuis !

DUPUIS, avec humeur.

Votre serviteur, mesdames et messieurs.

Il s’assied avec un air d’impatience.

EMMA.

M. Dupuis n’a pas l’air d’aimer beaucoup la société.

DUPUIS.

Je n’aime que ce que je connais, je ne hais que ce qui me nuit, je ne tiens qu’au lieu que j’habite, et tout l’univers pour moi commence à Enghien et finit à Montmorency.

VIRGINIE.

Eh ! bien, votre univers est charmant ; aussi je vous en supplie, mon cher monsieur, ne nous désenchantez pas ; maman me disait toujours : « Virginie, conserve tes illusions, tu es d’une complexion faible, le chagrin te tuerait ».

DUPUIS.

Eh ! madame, qui songe à vous désenchanter ?

VIRGINIE.

Ah ! monsieur ! c’est que j’ai une sensibilité !...

DUPUIS.

À notre âge, madame, la sensibilité rentre dans les maladies chroniques, on n’a plus besoin de médecin.

VIRGINIE.

À notre âge !

SEMOUILLE.

Vous avez beau dire, monsieur, Enghien est un séjour délicieux.

DUPUIS.

Détestable !

Air : Voulant par ses œuvres complètes.

L’eau sulfureuse en cent manières
Y coule partout sur les fleurs,
Et la ville, dans nos chaumières
Semble avoir répandu ses mœurs.
Enfin aujourd’hui dans ce gouffre,
Les villageoises ont un busc,
Les paysans sentent le musc,
Et les fleurs y sentent le souffre.

CHONCHON, s’approchant.

Ah ! ça dites-donc, n’faut pas avoir l’air d’attaquer les villageoises, entendez-vous, c’est que je suis d’Enghien, moi, et je ne porte pas de busc, et je sommes toutes innocentes ici, demandez plutôt à l’Hirondelle...

TOUS.

Elle a raison.

DUPUIS, avec chaleur.

Et moi, je vous dis qu’elle a tort. Écoutez mon histoire, et vous le verrez. Après avoir été vingt ans de ma vie dans les cotons, j’étais établi rue des Bourdonnais, à la barbe d’or. L’amour de la campagne, qui m’avait toujours suivi même dans mon comptoir, au milieu des ballots et du fracas du commerce, vînt me saisir avec plus de force que jamais ; j’avais amassé quatre bonnes mille livres de rentes, je n’avais ni femme, ni enfants, je pouvais vivre heureux et tranquille, et je vins m’établir à Enghien-Montmorency, village charmant alors, où les mœurs étaient simples, la vie agréable et peu dispendieuse, le lait pur et l’eau excellente, toutes choses indispensables à mes plaisirs et à ma santé. Mon entrée dans le village, produisit le plus grand effet, et lorsqu’on me vit passer dans ma carriole d’osier, tout le monde était aux portes, les mères appelaient leurs enfants pour les faire jouir d’un tel spectacle ; j’avais l’air d’un receveur particulier, traversant son arrondissement, j’avais la redingote à basques, et un superbe trois-cornes, qui imposait le respect à tout le pays ; j’étais le richard de l’endroit, l’oracle du canton. Je fis bâtir une petite habitation dans le dernier genre d’alors, maison à deux étages, cheminée à la prussienne, j’avais même un jardin anglais, une montagne plus haute que moi, une forêt de cinquante pieds carrés, plantée à neuf, et qui dans quinze ans m’aurait donné un ombrage délicieux.

SEMOUILLE.

Est-ce que les grandes pluies ont enlevé votre montagne et renversé votre forêt ?

DUPUIS.

Eh ! non, monsieur ! tout cela y est encore, mais on découvrit à côté, une espèce de source qu’on fit mousser dans les journaux ; tous les malades à la mode inondèrent bientôt le pays, on fit bâtir autour de ma superbe maison à deux étages, des forteresses pour la santé, qui me masquèrent entièrement la vue du paysage ; la capitale envahit nos champs, les restaurateurs arrivèrent, nos paysans devinrent commerçants, nos laitières, d’après la coutume de Paris, firent contracter un hymen criminel entre le lait et l’eau, etc. les élégants firent des parties pour être malades, et les calèches, les landaus brillants, forcèrent ma modeste carriole de prendre le bas côté du pavé, mon trois-cornes lui-même devînt le but de toutes les railleries des étrangers et mêmes des indigènes d’Enghien ; il me fallut adopter le bolivar, et grâce à l’enchérissement des vivres, je suis obligé, avec mes quatre mille livres de rentes, de vivoter dans les mêmes lieux où deux ans auparavant, j’étalais tout le luxe de l’opulence ; maintenant, voyez si je dois être l’en nemi déclaré des eaux sulfureuses, source première de tous mes malheurs.

CHONCHON.

Le v’là qui revient sur l’eau, c’est de la calomnie ! 

VIRGINIE.

C’est affreux, de venir décrier les eaux devant des personnes malades !

DUPUIS.

Eh ! madame ! vous n’êtes pas plus malade que moi.

VIRGINIE.

Je ne suis pas malade ! je ne suis pas malade ! ah ! mes nerfs ! mes nerfs !

LA BARONNE.

Ya mein herr !

EMMA.

Et s’il nous plait à nous d’être malades.

CHONCHON.

Oui, si ça leur fait plaisir ! est-ce qu’on est pas libre ?

VIRGINIE.

Et les distractions, monsieur, croyez-vous qu’on peut se passer de distractions ?

DUPUIS.

Eh ! madame ! quand on veut des distractions, on va à Paris ! on у trouve les bals, les concerts, les spectacles !

CHONCHON.

Oh ! le spectacle. L’autre jour, j’y ai tété avec ma nourrice, au théâtre français. Ça m’aurait bien diverti, si j’y avais compris queuqu’chose. Il y avait là une dame, qui dieu me pardonne, était amoureuse de monsieur son fils. Un beau brun, qui s’appelait Polyte, et qui était habillé avec une petite blouse en calicot. C’était son costume de chasse. Mais lui, il n’voulait pas être amoureux d’sa mère, parce que c’était mal, et qu’elle était plus âgée que lui. Elle lui disait, car j’ai de la mémoire moi, je n’perds rien quand j’vais au spectacle.

« Oui, prince, je languis, j’suis tout’ flamme pour Thésée.

Thésée, c’était son mari, un bon homme.

« Je l’aime, non pas tel qu’on l’a vu dans l’enfer,
« Brûler à petit feu pour madame Lucifer.

Fallait qu’il eut l’diable au corps, par exemple.

« Mais tendre, doucereux et sensible et farouche,
« Les yeux bien amoureux et même un p’tit peu louches,
« Charmant, jeune, bien ais, en pantalon chamois,
« Tel qu’on dépeint nos dieux, et tel que je vous vois.
« Il avait votre nez, vot’ toupet, vot’ langage...

V’là tout c’que j’ai r’tenu, je n’en sais pas davantage.

CHŒUR.

Air : Vaudeville du Comte Ory.

C’est charmant,
Quel talent
Tragique,
Comique,
C’est vraiment
Fort amusant,
Et surtout très ressemblant.

DUPUIS.

Paix donc, mesdames ! cette petite fille ne va-t-elle pas se figurer aussi qu’elle est comédienne ! ah ! comme le dit sou vent un financier de mes amis : « Messieurs les jeunes gens qui suivent le théâtre s’imaginent qu’ils ont tout ce qu’il faut pour jouer la comédie. Ils ne se doutent pas que pour avoir du talent, il faut du naturel, de la chaleur, et surtout une prononciation pure. Et les gestes, les gestes. Je connais tel comédien, par exemple, qui ne peut jouer une scène sans frapper du pied et sans se battre le ventre. Messieurs, messieurs, disait ce comédien de mes amis, ce n’est pas comme cela qu’on joue la comédie. »

CHŒUR.

Même air.

C’est charmant !
Quel talent
Unique,
Comique,
Ce serait plus amusant,
Si c’était moins ressemblant.

DUPUIS.

Tenez, en ce moment, on voit à Paris une merveille, qui fait l’admiration de tous les gens de goût. Il n’est qu’un cri dans la Chaussée d’Antin, voire même dans le Faubourg Saint-Germain, sur le Polichinelle vampire de la Porte Saint-Martin !

TOUS.

Polichinelle !

CHONCHON.

Ah ! ça, c’est vrai, l’Hirondelle l’a été voir ; il m’en a dit des choses !... il fait des sauts, des écarts ! il va à cloche pied sur une échasse, il fait l’coq, et puis on lui coupe la tête ! oh ! c’est bien amusant.

DUPUIS.

L’acteur par excellence, c’est Polichinelle vampire ! toutes les femmes en raffolent ; c’est lui qui est un fameux médecin ; à vous, madame, il vous faut de la distraction, allez voir Polichinelle ; à vous, il vous faut des émotions, courrez voir Polichinelle ; vous, Milady, vous voulez rire, allez voir Polichinelle ; Polichinelle, et toujours Polichinelle.

MILADY.

Alors, je voulais voir Polichinelle.

MILORD.

Me voilà prêt.

LA BARONNE.

Et moi ya !

DUPUIS.

Les Célérifères vont partir. Bon voyage.

Il sort. Milord et Milady sortent aussi.

CHONCHON.

Eh ! bien, v’là mon mariage qui tombe dans l’eau.

 

 

Scène VIII

 

LA BARONNE, MADAME COSAKOFF, VIRGINIE, EMMA, POIL-DE-CHÈVRE, MONSIEUR et MADAME SEMOUILLE, DUNOYAU, BAIGNEURS et BAIGNEUSES, LE DOCTEUR FONTAINE

 

LE DOCTEUR, en dehors.

Me voilà ! me voilà !

CHONCHON.

Ah ! voilà le docteur ; il arrive à propos.

LE DOCTEUR, entrant.

Serviteur à mes aimables malades.

TOUS, se pressant autour du docteur.

Ah ! mon cher docteur !

LE DOCTEUR, les regardant.

Je sais ce que vous avez.

SEMOUILLE.

C’est que...

LE DOCTEUR, se tournant de son côté.

Je sais ce que vous avez, vous dis-je ? Voyons le pouls.

Il commence par la première personne à droite.

Le pouls est vif, prenez des eaux ; le pouls est lent, prenez des eaux ; le pouls est assez réglé, il faut prendre des eaux ; le pouls est inégal, des eaux ; le pouls est fort, des eaux ; le pouls est faible, des eaux.

SEMOULLE.

C’est donc un remède universel ?

LE DOCTEUR.

Universel est le mot.

CHONCHON.

Croyez ça et buvez de l’eau.

LE DOCTEUR.

Air : Vaudeville de la route de Poissy.

Les eaux, les eaux,
Vivent les eaux !
Que tout le monde,
À la ronde,
Pour se guérir de tous ses maux,
Vienne ici prendre les eaux.
Oui, ce remède est sans égal ;
Il guérit toute maladie,
Et surtout cette épidémie
Qu’on appelle ennui conjugal.
Quand un pareil mal assiège
Deux époux, je dis soudain :
Que l’un parte pour Barège,
L’autre pour les eaux d’Enghien.

Les eaux, les eaux, etc.

De langueurs tout à coup surpris,
Quelquefois on tendron novice
S’enveloppe de sa pelisse,
Et pour les eaux quitte Paris ;
Puis des eaux à la sourdine,
La belle prenant congé,
Revient la taille plus fine,
Et d’un air plus dégagé.

Les eaux, les eaux, etc.

Va-t-on voir un peu trop matin
À Paris aimable coquette,
Une adroite et jeune soubrette
Vous répond : madame est au bain.
Lorsqu’on craint une disgrâce,
On tient le même propos ;
On ne perd jamais sa place,
Mais on va prendre les eaux.

Les eaux, les eaux,
Vivent les eaux !
Que tout le monde,
À la ronde,
Pour se guérir de tous ses maux,
Vienne ici prendre les eaux.

CHONCHON.

Mais, M. Fontaine, vous ne savez donc pas que tout le monde vous quitte ; ils veulent partir pour Paris, lâchez de les guérir de cette maladie-là.

LE DOCTEUR.

Comment ! comment, vous partez ! et vos santés.

CHONCHON.

Il s’agit bien de santé ! il s’agit de voir Polichinelle !

VIRGINIE.

Oui, M. Fontaine, nous vous quittons pour Polichinelle.

LE DOCTEUR.

Pour Polichinelle !...

CHONCHON.

Laissez-les partir, l’Hirondelle vient de vous en amener d’autres ; en v’là la liste.

LE DOCTEUR.

Voyons.

Il lit.

Que vois-je ! Gustave ici ? je le croyais brouillé avec son oncle Dupuis ; oh ! la bonne idée pour les arrêter ! Eh ! bien, mesdames, sacrifiez votre santé, quittez mon établissement sanitaire, allez à Paris pour voir Polichinelle ; mais vous ne l’y trouverez plus.

TOUS.

Comment ?

LE DOCTEUR.

Il vient d’arriver tout à l’heure à Enghien.

TOUS.

Polichinelle est ici ?...

CHONCHON, au docteur.

C’est donc ce farceur que l’Hirondelle a amené ce matin ?

LE DOCTEUR.

C’est lui-même.

CHONCHON.

Je l’ai vu à la source.

VIRGINIE.

Alors, nous restons.

Ils reviennent tous.

CHONCHON.

V’là qu’est joliment heureux.

Regardant à la cantonade.

Eh ! mais tenez le v’là qui vient par ici.

LE DOCTEUR, à part avec embarras.

Ah ! diable ! il n’est averti de rien. Mesdames, je dois vous dire qu’il est ici incognito, ainsi qu’il ne s’aperçoive pas que j’ai trahi son secret.

À part.

Voilà du moins leur départ retardé.

Haut.

À ce soir.

Il sort en chantant.

Allons tout employer pour les retenir.

 

 

Scène IX

 

LES MÊMES, excepté FONTAINE, GUSTAVE

 

Au moment où Gustave entre, toutes les personnes en scène se retirent à gauche et l’examinent avec curiosité.

GUSTAVE, en entrant.

C’est charmant ! c’est enchanteur ! l’étang, les barques, les cygnes, les baigneurs, les canards, les paysans, et une vue !... oh ! une vue ravissante.

Il lorgne et aperçoit les dames.

Ah ! voilà des dames qui me paraissent fort bien pour des malades. Mais je ne vois pas mon anglaise !

CHONCHON, à part.

C’est comme un homme naturel.

GUSTAVE, s’approchant des dames.

Pardon, mesdames, je ne vous avais pas aperçues ; je vois que le rendez-vous des eaux est le rendez-vous des grâces.

VIRGINIE.

Ah ! monsieur !

Bas aux autres femmes.

Il a de l’esprit.

EMMA.

Oui, pour un danseur.

MADAME SEMOUILLE.

Ah ! monsieur, ne vous gênez pas, nous vous en prions.

GUSTAVE.

Je sais qu’ici l’on excuse quelques libertés ; ce n’est pas comme à Paris.

VIRGINIE.

Paris est un séjour bien agréable.

GUSTAVE.

L’hiver ; mais dans cette saison il est insupportable, et surtout depuis l’invention du gaz : on retourne toutes les rues pour y placer des tuyaux, et l’on risque, à chaque instant, de tomber dans quelqu’ornière. Vous me direz : au bout du fosse la culbute.

MADAME SEMOUILLE.

Oh ! pour les culbutes vous ne devez pas les craindre. !

SEMOUILLE.

Quand on a votre jarret !

POIL-DE-CHÈVRE.

La plaisanterie s’y trouve.

GUSTAVE.

Et les entrepreneurs de bâtiments qui prennent toutes les rues avec leurs échafaudages.

SEMOUILLE.

En fait-on des maisons ! en fait-on !

EMMA.

Ça n’empêche pas les loyers d’être hors de prix.

POIL-DE-CHEVRE.

Parlez-moi des bâtiments utiles ! la bourse, par exemple.

GUSTAVE.

Oh ! ça sera beau, quand ça sera fini.

Air : Vaudeville de la robe et les bottes.

Cette superbe architecture,
Ce monument justement admiré,
À Thémis ainsi qu’à Mercure,
Par le commerce est consacré.

SEMOUILLE.

Espérons, dans cet édifice,
Si tous deux viennent se loger,
Que le commerce et la justice
Ne voudront plus déménager.

CHONCHON, aux autres femmes.

Dites-donc, il parle bien quoique ça pour un Polichinelle ; si nous lui demandions ?...

VIRGINIE.

Ah ! je n’ose pas moi, ma timidité...

CHONCHON.

Attendez.

À Gustave.

Dites-donc, monsieur ?

GUSTAVE.

Qu’est-ce, mon ange ?

CHONCHON.

Est-ce que vous venez ici... faire vos farces ? sauf vot’ respect.

GUSTAVE.

Mes farces ! vous me connaissez-donc ?

TOUTES LES FEMMES.

Oui, oui, certainement.

EMMA.

Votre réputation n’est-elle pas répandue partout aujourd’hui.

GUSTAVE.

Comment, mesdames ? j’avoue que j’ai fait de bons tours dans ma vie, mais l’homme le plus sage ne peut blâmer quelques écarts.

EMMA.

Surtout lorsqu’on les fait comme vous, monsieur.

GUSTAVE.

Trop charmante, en vérité ; je conviens que je me ris un peu du décorum ; mais aussi je ne puis pas toujours être monté sur des échasses.

CHONCHON.

Pardine, j’ crois ben, ça doit être fatiguant. Dites-donc, si vous étiez bien aimable, vous nous feriez quelque chose ?

GUSTAVE, étonné.

Que diable voulez-vous que je vous fasse ?

CHONCHON.

Vous n’ devez pas voyager sans vos bosses, promettez-nous queuqu’ chose pour ce soir ?

GUSTAVE.

Pour ce soir ?

EMMA.

Nous ne vous laisserons pas tranquille sans cela.

GUSTAVE.

Oui, eh ! bien ? je vous promets quelque chose pour ce soir.

À part.

C’est le seul moyen de m’en débarrasser.

MADAME SEMOUILLE.

Air : Venez chez moi chercher l’amour. (la dame des belles cousines.)

Voilà de la galanterie,
Ah ! monsieur, je vous remercie ;
Avant de quitter ce séjour,
Faites-nous quelque joli tour...
Nous vous tenons quitte aussitôt ;
Mais seulement un petit saut.
(bis.)

GUSTAVE, à part.

Est-ce qu’elles ont le cerveau dérangé ?

EMMA, même air.

Allons, un peu de complaisance,
Ne craignez point notre présence,
Faites-nous voir votre talent ;
Et du coq, imitant le chant,
Mon cœur sensible fait toc toc,
Lorsque j’entends le chant du coq,
Et vous faites si bien le coq...

GUSTAVE, à part.

Le coq ! définitivement, elles sont ici pour prendre des douches !

VIRGINIE, même air.

Cédez au désir qui nous presse ;
Nous connaissons votre souplesse,
Daignez nous donner, par égard,
Un échantillon de votre art.
De grâce, avant votre départ,
Allons, monsieur, le grand écart.

TOUS.

À ce soir donc le grand écart !

Ils sortent tous.

 

 

Scène X

 

GUSTAVE, CHONCHON

 

CHONCHON.

Comme ça aime à s’faire prier, les grands talents ! c’est vilain à vous, quoique ça.

GUSTAVE.

À l’autre, maintenant.

CHONCHON.

Si vous vouliez être bien gentil, vous vous feriez couper la tête.

GUSTAVE.

Au diable !

CHONCHON.

Rien qu’une fois ; vous y mettez de la mauvaise volonté.

MILADY, dans la coulisse.

M. Policinelle était ici ?

CHONCHON.

Tenez, milady, le voilà.

GUSTAVE.

Polichinelle ! mais c’est mon anglaise.

MILADY, entrant.

Que vois-je ?

GUSTAVE, avec un grand mouvement de joie.

C’est elle !

On sonne.

CHONCHON.

V’là qu’il va sauter ! ne commencez pas sans moi, je reviens de suite.

À part.

Je vais avertir les autres.

Elle sort.

 

 

Scène XI

 

GUSTAVE, MILADY

 

MILADY, riant.

Ah ! ah ! ah ! c’était bien plaisant, toujours.

GUSTAVE.

Et vous aussi, vous me direz, charmante Milady, pour qui l’on me prend ici.

MILADY, riant.

On vous prenait pour M. Polichinelle, celui qui faisait des danses si extraordinaires sur la Porte Saint-Martin.

GUSTAVE.

Polichinelle Vampire ! c’est charmant, je ne m’étonne plus si l’on me demandait des sauts et des écarts.

MILADY, riant.

Yes, yes, c’était fort drôle, et c’était le docteur M. Fontaine, qui pour nous empêcher d’aller à Paris, nous avait dit que vous étiez Polichinelle.

GUSTAVE.

Le docteur ? je le reconnais bien là ? mais je me félicite de sa ruse, puisqu’elle a contribué à me faire retrouver la jolie milady Formen.

MILADY.

Vous m’aimez donc toujours ?

GUSTAVE.

Plus que jamais, je me suis anglaisé pour vous plaire.

MILADY.

Je suis fâchée pourtant que vous ne soyez pas M. Polichinelle, ça m’aurait beaucoup touchée d’avoir un mari Polichinelle.

GUSTAVE.

En vérité !

Air : Je regardais.

Pour vous toucher, femme sensible,
S’il n’est vraiment que ce moyen,
À l’amour rien n’est impossible,
Et je vous le prouverai bien !

Près d’ici le devoir m’appelle ;
Mais mon retour sera bien doux,
Je vous retrouverai fidèle...

MILADY.

Ah ! mon ami, dépêchez-vous...

Ensemble.

GUSTAVE.

Pour vous toucher, etc.

MILADY.

Oui, pour toucher mon cœur sensible,
Je crois qu’il trouve le moyen ;
À l’amour rien n’est impossible,
Et là déjà je le sens bien.

Gustave sort.

 

 

Scène XII

 

MILADY, DUPUIS

 

MILADY.

Ce français, il était bien plus aimable que milord Cottencott.

DUPUIS, à la cantonade.

Oui, oui, le Célérifère tout entier pour ces dames ! j’ai détrompé tout le monde... vous verrons si elles ne partent pas !

MILADY.

Qu’avez-vous donc, M. Dupuis, vous avez l’air d’une folle.

DUPUIS.

J’ai... j’ai... que je suis furieux contre M. Fontaine, qui vous a trompés tous, et que le Polichinelle qu’il dit être ici, n’est autre que mon coquin de neveu... mais je vais lui faire voir que nous n’avons jamais eu de Polichinelle dans la famille !

MILADY.

Ah ! monsieur, votre neveu était un garçon bien agréable.

DUPUIS.

C’est un fou... qui suit les modes les plus ridicules, et qui s’amourache de la première venue.

MILADY.

De la première venue... monsieur, apprenez que j’avais jamais été une première venue ! entendez-vous, et que vous êtes une méchante langue bavarde.

 

 

Scène XIII

 

MILADY, DUPUIS, TOUS LES BAIGNEURS

 

Les femmes arrivent avec des cartons, les hommes avec des paquets.

CHŒUR, en arrivant.

Air : De Joconde.

Allons, mettons-nous en voyage !
Voilà déjà tout mon bagage !
Partons tous, amis, partons,
Emportons
Tous nos cartons ;
Mes amis, Paris nous appelle,
Allons-y voir Polichinelle.

 

 

Scène XIV

 

LES MÊMES, CHONCHON, LE DOCTEUR

 

LE DOCTEUR, entrant.

Eh ! bien, eh ! bien, pourquoi ces apprêts de départ ?

TOUS.

Air connu.

Adieu docteur ! nous partons tous !

LE DOCTEUR.

Point de courroux,
Apaisez-vous !

Ensemble.

TOUTES LES FEMMES.

Non pas sur mon âme !
Je suis une femme,
Vous le savez bien,
Qui parle
(ter) et qui n’écoute rien.

TOUS LES HOMMES.

Non pas sur mon âme,
Je vaux une femme,
Vous le savez bien,
Je parle
(ter) et je n’écoute rien.

LE DOCTEUR.

Je soutiens que le personnage en question est ici.

DUPUIS.

Et moi je soutiens qu’il n’y est pas.

LE DOCTEUR, bas à Chonchon.

Chonchon, cours trouver M. Gustave, et dis-lui qu’il se dépêche, je l’attends.

Haut.

Mesdames, avant de nous quitter, daignez du moins jeter les yeux sur toutes ces jolies choses.

TOUS.

Qu’est-ce donc, docteur ?

LE DOCTEUR, faisant signe à un domestique qui entre avec des cartons.

Les commissions dont vous m’aviez chargé, conformément à mes ordonnances.

Le domestique distribue divers objets de modes.

Eh ! bien, mesdames, comment trouvez-vous mon régime.

VIRGINIE, regardant son cachemire.

Il est dans le dernier genre.

LE DOCTEUR.

Rondeau de Rossini.

Des médecins,
Moi je crains
La méthode ;
J’ai pour guérir,
Le code
Du plaisir.
De Gallien,
Qu’un ancien
S’accommode ;
Je suis en tout,
Et la mode
Et le goût.

J’ai traité mainte grisette,
Rien qu’avec quelques rubans,
Pour guérir une coquette,
J’ordonne les diamants.

Des médecins, etc.

Pour les perfs, j’ai des fleurs,
Des sautoirs pour les rhumes,
Pour la fièvre, j’ai des plumes,
Des brillants pour les vapeurs.

S’il survient un frisson,
Si le mal soudain empire,
Bayadères, cachemire,
Achèvent la guérison.

Vous voyez, jeunes beautés,
Que je soigne et que j’admire,
Qu’un marchand de nouveautés
Vaut les quatre facultés.

Des médecins, etc.

TOUTES.

Il est charmant ! il est charmant !

MILADY.

Mais, docteur, qu’est-ce que c’était que cela ?

EMMA.

Est-ce encore une ordonnance ?

LE DOCTEUR.

Précisément... c’est un nouveau nocturne à quatre voir de Rossini.

TOUS.

Rossini !

MILADY.

Oh ! le Rossini avant le Polichinelle !

VIRGINIE.

Oh ! Rossini ? ce nom seul me subjugue.

EMMA.

Il faut l’exécuter avant de partir.

TOUTES.

Oui, tout de suite !

LE DOCTEUR, leur remettant de la musique.

Mesdames, si vous le permettez, je ferai ma partie ?

EMMA.

Air arrangé par M. Dche.

Elle chante avec des roulades à la manière italienne.

Grenadiere quanto m’aflligi ! } (bis.)
Nel sentire la tua partenza.   } 
Va dal tuo capitano,
Dire cheti las ci con me chio saro
Contenta,
Felice,
Allegra,
Di veder t’in garnigione.

Milord et Milady reprennent le même air, avec l’accent anglais. Après ce duo, Emma, les deux anglais et le docteur recommencent le même air avec les mêmes paroles.

TOUTES LES FEMMES, après le quatuor.

C’est divin ! c’est divin !

VIRGINIE.

C’est du Rossini tout pur. Ah ! pauvero guernadiero !

DUPUIS.

Rossini ! Rossini ! voilà plus de quinze jours que ma cuisinière me chante cela !

MADAME SEMOUILLE.

Il nous trompait encore !

MILORD.

Nous donner de la cuisine pour du Rossini.

TOUS.

C’est affreux !

MILORD.

Et du neveu de monsieur pour du Polichinelle.

Gustave, dans la coulisse, fait un cri de polichinelle.

TOUS.

Qu’entends-je !

LE DOCTEUR.

Eh ! bien, mesdames, vous avais-je trompées ?

 

 

Scène XV

 

LES MÊMES, GUSTAVE, en polichinelle

 

Danse de polichinelle.

MILADY, après la danse.

Que vois-je ?... M. Gustave !

DUPUIS.

Mon neveu !

CHŒUR.

Air connu.

La plaisante aventure !
C’était une gageure !
Longtemps ou en rira,
Ah ! ah ! ah ! ah !
Le bon tour que voilà !
Il faut être aux eaux pour voir ça !

DUPUIS, à Gustave.

Comment, mauvais sujet...

À part en se retournant.

Et moi qui disais qu’il n’y avait pas de Polichinelle dans notre famille.

GUSTAVE.

Mon oncle, je ne suis plus un mauvais sujet ; voici Milady qui a de la fortune, que j’épouse, et quand on est riche, on est toujours plein de vertu et de sentiments.

MILORD.

Goddem ! mon amour, il était bien malade.

CHONCHON.

Il faut lui faire prendre les eaux.

MILADY.

La noce se fera ici, et tout le monde y sera.

LE DOCTEUR.

Chonchon, je te donne l’Hirondelle.

CHONCHON.

Alors, les deux noces se feront en même temps !

MILORD.

Yes, goddem ! M. Fontaine, nous allons bien manger et bien boire.

LE DOCTEUR.

Oui, mais aussitôt après nous nous remettrons à l’eau !

DUPUIS.

Pour moi, je puis bien dire : Fontaine, je ne boirai pas de ton eau.

CHONCHON, à l’Hirondelle.

Je suis bien sûr que celui-là ne laissera pas ses os aux eaux.

Vaudeville.

FONTAINE.

Air De Doche.

Ah ! combien de Polichinelles
Qui savent se tenir debout !
Que l’on voit danser sans ficelles,
Et qui sautent par-dessus tout.

POIL-DE-CHÈVRE.

Chez nous, des pantins, des paillasses,
Le nombre paraît s’augmenter ;
Car partout, dans toutes les places,
On voit toujours quelqu’un sauter.

MILORD.

Je n’ai pu chez vous, mon cher hôte,
Faire sauter jeune beauté ;
Mais comm’ j’aimais tout ce qui saute,
Je vais prendre un biffeteck sauté.

DUPUIS.

Sauter est la règle commune ;
Mais sachons dompter notre ardeur.
Malheur à qui fait sa fortune
En sautant par-dessus l’honneur.

SEMOUILLE.

Au bal, je vais avec madame ;
L’écarté m’appelle à l’instant,
Et quand l’un fait sauter ma femme,
L’autre fait sauter mon argent.

FONTAINE.

L’amour fait sauter l’innocence,
L’anglais fait sauter le Chablis,
Et toujours les soldats de France
Feront sauter les ennemis.

EMMA.

Pour moi, ma raison est trop hante,
Pour songer à me divertir,
Aussi quelque jour si je saute,
Ce sera pour faire plaisir.

CHONCHON.

Voyez l’zenfants par ribambelles,
Avec leurs cordes s’agiter ;
À peine les p’tit’s fill’s marchent-elles,
Qu’on veut leur apprendre à sauter.

CHŒUR.

Ah ! combien, etc.

GUSTAVE, au public.

On court aux scènes imprévues
D’un Polichinell’ sans défaut ;
Mais comm’ lui, pour aller aux dues,
Il faudrait sauter un peu haut.

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