Ninon, Molière et Tartuffe (Henri SIMON)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 26 avril 1815.

 

Personnages

 

NINON DE LENCLOS

LE MARQUIS DE LACHÂTRE

LE CHEVALIER DE GOURVILLE

MOLIÈRE

TARTUFFE, précepteur du fils de Monsieur de Villarceaux

ANNETTE, servante de Ninon

DEUX CHAMBRIÈRES

 

La Scène se passe au Marais, dans le Salon de Ninon.

 

 

Scène première

 

ANNETTE, DEUX CHAMBRIÈRES

 

CHŒUR.

Balayons (bis), vives chambrières,
Rangeons le salon
De mademoiselle Ninon ;
Préparons
(bis) fauteuils et bergères,
Où tous les lundis
R’pos’nt les beaux esprits.
De Paris.

ANNETTE.

Qu’un petit bourgeois se pique
D’avoir des jockeys anglais,
Qu’un autre pour domestique
Ait un nègre aux ch’veux épais ;
Qu’une duchesse soit fière
Du luxe d’ses grands laquais,
Plus d’un seigneur préfère
Les servant’s du Marais.

CHŒUR.

Balayons, etc.

UNE CHAMBRIÈRE.

V’là qu’est fait, mademoiselle Annette.

ANNETTE.

Avez-vous mis des sièges pour tout le monde ?

UNE CHAMBRIÈRE.

Voyez plutôt.

ANNETTE,

C’est ça.

Air : J’ai vu le Parnasse.

Corneille se plaira sans peine
Entre Molière et Desmaret,
Chapelle s’ra loin d’Lafontaine,
Et Chaulieu tout près du buffet ;
C’est bien... agissons d’bonne sorte,
Afin qu’chacun soit en son lieu ;
Mettons les pédants à la porte
Et les amoureux près du feu.

Ah ! ça, v’là l’heure ou mamselle de l’Enclos a fait sa toilette ; partez.

UNE CHAMBRIÈRE.

C’est dit.

CHŒUR, en sortant.

Balayons, etc.

 

 

Scène II

 

ANNETTE, seule

 

La nouvelle du r’tour d’monsieur de Gourville m’a donné du cœur à l’ouvrage aujourd’hui ; j’ai eu fini deux heures plutôt que de coutume. Dam ! il est si bon, si aimable, ce cher monsieur de Gourville... ma maîtresse l’aimait tant ayant qu’il n’partit... je n’crois pas qu’il soit v’nu une seule fois ici sans m’faire quelque petit cadeau, on sans amener son valet Lafleur qui, j’en suis sûre, va m’dire encore les plus belles choses du monde.

Air de Doche.

À quoi sert dans notr’ Picardie
Qu’une fille ait quelques attraits,
Les hommes n’ lui disent jamais
Le plus p’tit mot d’ galanterie.
Chez Ninon ce n’est pas ainsi
Qu’ces messieurs nous rendent hommage,
On dit bien des choses ici
Qu’on ne dit pas dans not’ village.

Même air.

Chez nous les femm’s les plus jolies
À leurs époux gardent leurs cœurs ;
D’un régiment d’adorateurs
On ne les voit jamais suivies.
Chez Ninon ce n’est pas ainsi
Qu’on agit avant l’mariage,
On fait bien des choses ici
Qu’on ne fait pas dans not’ village.

Et monsieur Tartuffe, qui vient aussi me parler d’amour, avec son air câlin. Mais, j’entends quelqu’un... Tiens, c’est monsieur le marquis de Lachâtre ! Ah ! mon Dieu, comme il a l’air effaré !

 

 

Scène III

 

LACHÂTRE, ANNETTE

 

LACHÂTRE.

Bonjour, Annette.

ANNETTE.

Vot’ servante, monsieur.

LACHÂTRE.

Où est ta maîtresse ?

ANNETTE.

À sa toilette.

LACHÂTRE.

Elle se désole, je gage ?

ANNETTE.

Au contraire, je ne l’ai jamais vue si gaie.

LACHÂTRE.

Pourquoi donc ?

ANNETTE.

À cause du retour prochain de monsieur de Gourville.

LACHÂTRE.

Gourville, ô ciel !

ANNETTE.

Il arrive.

LACHÂTRE.

Et moi, je pars.

ANNETTE.

Comment, vous partez ?

LACHÂTRE.

Aujourd’hui même.

ANNETTE.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que va dire mademoiselle ?

LACHÂTRE.

Je l’ignore.

Air : Du partage de la richesse.

Loin de Ninon et de la France,
Quand Gourville fut exilé,
De la douleur de son absence
Ce fut moi qui la consolai ;
Mais aujourd’hui qu’on le rappelle,
Juge quel doit être mon sort...

ANNETTE.

C’est vrai, j’crois qu’auprès d’mad’moiselle
Vous savez que les absents ont tort.

LACHÂTRE.

Heureux Gourville, tout lui réussit.

ANNETTE.

Vous ne disiez pas cela, monsieur, lorsqu’il fut, comme vous, obligé de nous quitter il y a six mois.

LACHÂTRE.

Quelle différence ! Gourville aimait à peine Ninon, aussi elle ne le regretta pas, comme je suis sûr qu’elle me regrettera.

ANNETTE.

C’est possible.

Air de Dorilas.

D’abord en proie à la tristesse
Qu’un si prompt départ nous causait,
En ces lieux nous parlions sans cesse,
Ell’ du maître et moi da valet.
J’ignor’c’que vous avez pu faire
Pour rendre ses r’grets moins aigus,
Mais d’puis un mois elle n’en parle guère.

LACHÂTRE.

Depuis huit jours elle n’en parle plus.

On entend Ninon.

ANNETTE.

La voici.

LACHÂTRE.

Elle me semble encore plus belle en ce moment.

ANNETTE, sortant.

C’est l’effet de votre départ, ça, monsieur.

 

 

Scène IV

 

LACHÂTRE, NINON

 

NINON.

Air : En attraits, en beauté.

Sage comme Caton,
Qu’une jeune fillette
Se fâche sans raison
Au seul mot d’amourette ;
Eh ! bon, bon, bon,
Ce n’est pas là Ninette,
Eh ! non, non, non,
Ce n’est pas là Ninon.

LACHÂTRE.

Ah ! mademoiselle, si vous saviez...

NINON.

Même air.

Disciple de Platon,
Qu’une autre moins discrète
Promette à Cupidon
Fidélité parfaite ;
Eh ! bon,
etc.

LACHÂTRE.

En vérité, Ninon, vous prenez bien mal votre temps, pour chanter de pareilles folies.

NINON.

Cela devrait-il vous étonner quand vous êtes auprès de moi ?

LACHÂTRE.

Ah ! Ninon, je n’étais pas fait pour jouir longtemps de ce bonheur.

NINON.

Eh bien ! j’aime cette franchise, vous vous rendez justice.

LACHÂTRE.

Ignorez-vous le malheur qui m’accable ?

NINON.

Quel malheur, marquis, auriez-vous éprouvé... Quelques pertes ? Parlez... vous savez que j’ai toujours une année de mon revenu au service de mes amis.

LACHÂTRE.

Plût au ciel !

NINON.

Eh bien ! vous vous taisez ?

LACHÂTRE.

Il faut nous séparer, Ninon.

NINON.

Vous me quittez ?...

LACHÂTRE.

Hélas, je viens d’obtenir un régiment.

Air : Que d’établissements nouveaux.

Mon pays réclame mon bras,
De gloire un Français est avide.

NINON.

Partez, marquis, ne tardez pas ;
Loin de moi, quand l’honneur vous guide,
Bientôt, j’espère, j’apprendrai
Une victoire bien complète.

LACHÂTRE.

Moi, loin de vous, quand je serai,
Je crains d’apprendre une défaite.

NINON.

Comment ?

LACHÂTRE.

Vous êtes parfaitement tranquille, vous, Ninon... Vos charmes mes serments, le souvenir de mon honneur, tout vous répond de la constance de mon amour.

NINON.

Et vous n’avez pas aussi bonne opinion de moi, n’est-ce pas ?

LACHÂTRE.

Je l’avouerai... Jeune et belle comme vous l’êtes... enivrée d’hommages qui ne tendent qu’à égarer votre cour, il est presqu’impossible que vous soyez constante.

NINON.

Voilà bien les hommes !... ils nous font un crime un jour des torts dont ils ont été les premiers à profiter.

LACHÂTRE.

Tenez, Ninon, je crois avoir trouvé le moyen de vous fixer.

NINON.

Vous vous flattez, marquis.

LACHÂTRE.

Air : Quand Vénus sortit de l’onde.

Calmant ma peine cruelle
Jurez-moi d’être fidèle.

NINON.

Mon amour vous le promet.

LACHÂTRE.

Oui ; mais j’en veux un billet.

NINON.

Un billet ?

LACHÂTRE.

De votre flamme
Cet écrit me répondra.

NINON.

Marquis, est-ce qu’une femme
Peut signer ces choses-là ?

LACHÂTRE.

Vous me refusez ?

NINON.

Je le dois.

LACHÂTRE.

Cruelle !

NINON.

Vous ne me connaissez pas... Je suis franche... Écoutez : « Aussitôt que je ne vous aimerai plus, je vous promets de vous l’écrire. »

LACHÂTRE.

Vive Dieu ! ce n’est pas cela que je demande.

Duo de Doche.

Accordez-moi, je vous supplie,
Cette promesse si jolie.

NINON.

Mais, marquis, c’est une folie,
Je ne puis me rendre à vos vœux.

LACHÂTRE.

Non, ce n’est point une folie,
Si je l’obtiens, je pars heureux.

NINON.

Comment, vous partiriez heureux
Si je cédais à votre envie ?

LACHÂTRE.

Oui, cruelle, d’un mot tu peux
Faire le bonheur de ma vie.

NINON.

Dictez-moi donc, je signerai.

LACHÂTRE.

Fort bien !

NINON.

Attendez, je vous prie,
Pour rendre encore plus sacré
Ce petit acte de folie,
Faisons-le sur papier timbré.

LACHÂTRE.

Eh bien ! soit sur papier timbré.
Écrivez : « Moi, Ninon, aujourd’hui m’engage
« Envers Lachâtre, mon amant,
« À ne jamais être volage,
« À l’aimer toujours constamment. »

NINON.

Constamment.

LACHÂTRE, à part.

Bravo, bravo, de sa constance
Je m’assure par ce traité.

NINON, à part.

Ce billet, avant l’échéance,
Pourrait bien être protesté.

Haut.

Tenez, marquis, de ma tendresse
Conservez bien cette promesse.

LACHÂTRE.

J’en fais serment ! Ô jour heureux,
Je puis partir en assurance.

NINON.

Quoi ! sitôt vous quittez ces lieux ?

LACHÂTRE.

Oui, Ninon, de votre constance
Avec moi j’emporte l’assurance ;
Veuillez recevoir mes adieux.

NINON.

Adieu, marquis, soyez heureux.

Ensemble.

NINON, à part.

En vérité, je ris d’avance
Du destin d’un pareil traité,
Ce billet, avant l’échéance,
Pourrait bien être protesté.

LACHÂTRE, à part.

Oh ! c’est charmant !... de sa constance
Je m’assure par ce traité ;
Et par elle, à son échéance,
Ce billet doit être acquitté.

 

 

Scène V

 

NINON, seule

 

Ce cher marquis, grâce à ma promesse, il s’en va le plus content du monde.

Air : Honorine bien méchante.

Je viens de calmer sa peine
En cédant à ses efforts ;
Mais un tel billet n’entraine
Pas toujours prise de corps.
Pour ne pas briser la chaine
Où l’amour mit tant d’appas,
Si toutes les femmes, hélas !
À chaque amant, de leur constance
Faisaient un billet séparé,
On n’aurait jamais en France
Assez de papier timbré.

N’importe, je serai fidèle à mon billet... Aussi, après le retour de Gourville, que je ne pourrai guère m’empêcher de recevoir de temps en temps, Chaulieu, Molière et quelques amis intimes seront les seules personnes que je verrai habituellement.

Elle va pour ouvrir des lettres qui sont sur sa table.

 

 

Scène VI

 

NINON, ANNETTE

 

ANNETTE.

Mademoiselle ?

NINON.

Qu’est-ce ?

ANNETTE.

Il y a là un monsieur...

NINON, sans se retourner.

Je n’y suis pour personne.

ANNETTE.

C’est le précepteur du fils de monsieur de Villarceaux.

NINON.

Monsieur Tartuffe ?

ANNETTE.

Lui-même.

NINON, à elle-même.

Oh ! celui-là n’est pas dangereux.

ANNETTE.

Je vas le congédier.

NINON, allant à elle.

Hé ! non, vraiment, je ne saurais trop m’ennuyer dans la position où je me trouve.

ANNETTE.

Mais si mademoiselle dit qu’elle n’y est pas...

NINON.

Tu ne veux donc pas m’entendre ?

Air : Les portraits à la mode.

Puisqu’à vivre en paix mon cœur est résigné,
Pour toujours, Annette, ici j’ai consigné
Deffiat, Villarceaux, Grammont et Sévigné.

ANNETTE.

Votre rigueur est sans seconde.

NINON.

Mais pour n’être pas dans un désert affreux,
Tu n’as qu’à laisser pénétrer en ces lieux
Des pédants, des sots et quelques ennuyeux.

ANNETTE.

Vous verrez encor bien du monde.

Voilà déjà monsieur Tartuffe.

 

 

Scène VII

 

NINON, TARTUFFE

 

TARTUFFE.

Air : Un forfait qui m’épouvante.

Voyez le sort qui menace
Tout le peuple latin,
Une barbare main
Vient d’insulter, sur ma face,
Sénèque, Virgile et Lucain.

NINON.

Hé ! quelle est cette personne ?

TARTUFFE.

C’est le roi de Babylone.

NINON.

Que dites-vous là ?

TARTUFFE, montrant sa joue.

Mon Dieu ! voilà
La preuve de cet affront-là.

NINON.

Mais ce pauvre homme, en effet,
A le visage tout défait !

TARTUFFE.

Cher et malheureux Suétone !
Quand ton Apollon
Te fit un nom,
S’attendait-on
Qu’il recevrait
Un semblable soufflet ?

NINON.

Un soufflet... Expliquez-vous, monsieur Tartuffe. Qui a pu vous maltraiter de la sorte ?

TARTUFFE.

Mais, je vous l’ai dit, mademoiselle, je ne puis guère m’en prendre qu’au roi de Babylone ou à vous.

NINON.

À moi ?...

TARTUFFE.

Oui. Vous vous rappelez, sans doute, qu’il y a environ un an vous aviez une estime toute particulière pour monsieur le marquis de Villarceaux.

NINON.

Je sais cela ; après ?

TARTUFFE.

Dans le nombre des cadeaux que vous lui fîtes alors, vous eûtes la bonté de me donner à lui en qualité de précepteur pour monsieur son fils.

NINON.

Eh bien ! la place est bonne.

TARTUFFE.

Excellente... du moins jusqu’à ce jour.

Air : Ah ! que je sens d’impatience.

Afin de montrer le génie
De l’élève qu’on m’a remis,
Madame, en grande compagnie,
Ce matin fit venir son fils ;
Chacun le questionne,
Avec grâce il raisonne ;
Aussi l’on applaudit
À son esprit.
De mieux en mieux, comme il s’explique,
Et répond selon mes souhaits,
Je poursuis exprès,
Et je me promets
De nouveaux succès ;
Mais
Quels regrets !

Monsieur le marquis, ai-je eu le malheur de dire à mon jeune élève : « Quem habuit successorem Belus, rex Assyriorum ? C’est comme qui dirait, mademoiselle : Quel fut le successeur de Belus, roi des Assyriens. » L’aimable enfant se recueille un instant, puis avec une assurance vraiment scientifique, il répond : Ninum. À ce nom si semblable au vôtre, madame de Villarceaux devient furieuse, me reproche d’entretenir son fils des folies de son mari ; et au moment où j’allais lui dire à qui ce mot s’appliquait, cette femme méchante

Suite de l’air.

M’applique (bis)
Le meilleur des soufflets.

NINON, riant.

Ah ! ah ! ah !... la méprise est excellente !

TARTUFFE.

Eh ! mademoiselle, je ne trouve pas cela si plaisant, moi, me voilà sans place.

NINON.

Comment, monsieur Tartuffe, vous n’êtes donc pas riche ?

TARTUFFE.

On a tant de plaisir à donner.

NINON.

On parle beaucoup de votre charité.

TARTUFFE.

Ce que j’ai ne m’appartient pas.

NINON.

C’est ce qu’on dit.

TARTUFFE.

J’ai le cœur sur la main.

NINON.

Et vous avez souvent la main fermée ! Mais, dites-moi... qu’enseignez-vous ?

TARTUFFE.

Le grec, le latin.

NINON.

Est-ce là tout ?

TARTUFFE.

La logique, la rhétorique, la métaphysique.

NINON.

C’est charmant.

TARTUFFE.

Je me mêle aussi par fois de littérature.

NINON.

À merveille... Savez-vous lire ?

TARTUFFE.

Couramment.

NINON.

Et vous écrivez ?

TARTUFFE.

Lisiblement.

NINON, lui montrant la table.

Je vous ai trouvé une place, mettez-vous là.

TARTUFFE.

Comment ?

NINON.

Je vous fais mon secrétaire ; en attendant mieux, vous ferez ma correspondance.

TARTUFFE.

Mais, mademoiselle... mon caractère ?...

NINON.

Il se formera... Vous n’avez peut-être jamais écrit de billets doux ?

TARTUFFE.

Il est vrai... et mes principes...

NINON.

Mettez-vous là ; nous allons répondre à ces lettres.

TARTUFFE, s’asseyant.

Ne la contrarions pas, j’ai besoin d’elle.

NINON.

Voyons d’abord celle-ci. Ah ! c’est du marquis de Sévigné.

TARTUFFE, à part.

Cela commence bien.

NINON.

Des reproches, des conseils, de la morale !... c’est un traité complet, il faut y répondre ; il serait trop plaisant que Ninon fût convertie par un sermon de Sévigné... écrivez... « Mon cher marquis.

TATUFFE, à part.

L’expression est familière.

NINON, dictant.

« Vos reproches me touchent sensiblement ; mais ignorez-vous qu’après avoir examiné lequel des deux sexes avait le plus beau rôle, je me suis aperçue que le meilleur ne nous était pas échu, et...

Air : Vent brûlant d’Arabie.

Dans le fond de mon âme,
Un jour m’apercevant
Que le rôle de femme
N’avait rien d’attrayant,
D’un sexe qu’on renomme
J’empruntai quelques traits,
Et je me suis faite homme.

TARTUFFE, à part.

À quelque chose près.

NINON, ouvrant une autre lettre.

Que vois-je ! Gourville est à Paris depuis quatre jours ?

TARTUFFE, à part, avec étonnement.

Monsieur Gourville ! Fâcheux contretemps.

NINON.

Et il n’est pas encore venu me voir !

TARTUFFE, à part.

Il va me redemander l’a gent qu’il a déposé entre mes mains.

NINON.

C’est fort mal ! Vous irez le trouver, monsieur Tartuffe.

TARTUFFE, effrayé.

Qui ? moi ?

À part.

Dieu m’en garde.

NINON.

Vous lui ferez sentir toute son impolitesse.

TARTUFFE, s’en défendant.

Je ferai mal la commission, je vous assure.

NINON.

Eh bien ! en ce cas, écrivez.

TARTUFFE, incertain.

Mais, mademoiselle...

NINON, dictant, sans l’écouter.

« Je vous en veux ; je suis piquée ; votre procédé est affreux...

TARTUFFE, croyant qu’elle lui parle.

Diable ! Est-ce qu’elle saurait le dépôt ?

NINON, dictant encore.

« Si j’étais moins votre amie, je ne vous reverrais de la vie.

TARTUFFE, de même.

Mais, comment ai-je pu mériter...

NINON.

Vous êtes un sot... écrivez donc.

TARTUFFE.

Faut-il écrire cela ?

NINON, dictant.

L’imbécile ! Eh ! non... « Je suis indulgente, et je vous pardonne à condition que vous viendrez sur-le-champ m’embrasser. »

TARTUFFE, se levant et allant à elle les bras ouverts.

Ah ! mademoiselle, cette faveur...

NINON, le repoussant.

Eh bien ! après qui en avez vous donc ?

TARTUFFE.

Comment ?

Air : Quand l’Amour naquit à Cythère.

J’ai cru que vos lèvres charmantes
N’ayant rien à me refuser,
Comme dans les Femmes savantes,
Allaient m’accorder un baiser.

NINON.

Loin d’imiter ces prudes qu’on renomme,
Pour un pédant mon cœur est sec.
Hé ! monsieur, quand j’embrasse un homme
Ce n’est pas pour l’amour du grec.

Monsieur Tartuffe, voici une idée qui n’est pas d’accord avec la rigidité de vos principes !

Annette arrive.

 

 

Scène VIII

 

NINON, TARTUFFE, ANNETTE

 

ANNETTE.

Voilà monsieur Molière.

TARTUFFE.

Molière ! je me retire.

NINON.

Comment ? Est-ce que mes amis vous font peur ?

TARTUFFE.

Non, mais mes principes me défendent de me trouver avec celui-ci.

NINON.

Restez.

ANNETTE.

Le voici.

 

 

Scène IX

 

NINON, TARTUFFE, ANNETTE, MOLIÈRE

 

MOLIÈRE.

Eh bien ! Ninon, la faveur l’emporte... Je suis à la veille de voir fermer mon théâtre.

NINON.

Serait-il possible ?

ANNETTE.

Ah ! mon dieu ! où donc c’que j’irai maintenant tous les dimanches ?

TARTUFFE.

Les mœurs triomphent.

MOLIÈRE.

Ce n’était pas assez d’exciter l’envie des Boursault, des Devise et de tant d’autres, on a su que je travaillais à ma comédie de l’Imposteur, et tous les faux dévots se sont réunis contre moi !

NINON.

Comment cet ouvrage dont nous avions admiré le plan, l’Imposteur ne sera point représenté ?

MOLIÈRE.

Monsieur le président ne veut pas qu’on le joue.

TARTUFFE.

Il a raison, nous avons les mêmes principes.

MOLIÈRE.

Les honnêtes gens, monsieur, ne sont pas ceux qui font tant de grimaces.

TARTUFFE.

Le ciel connaît ma sincérité.

NINON.

Air : Quinault est mon ami, mon frère.

Qu’importe un arrêt où domine
La sottise ou la passion ?
Bien des gens, naguère à Racine,
N’ont-ils pas préféré Pradon ?
De votre muse trop hardie
On craint les pinceaux peu flatteurs ;
Si vous aviez moins de génie,
Vous auriez plus d’admirateurs.

MOLIÈRE.

Oh ! je ne me tiens pas pour battu, je m’adresserai, s’il le faut, au roi ; il est juste, il me protégera.

NINON.

N’en doutez pas.

TARTUFFE.

Hé ! mon Dieu ! monsieur le comédien, où serait donc le malheur, quand nous n’aurions pas de théâtre en France ?

MOLIÈRE.

Pas de théâtre, monsieur le précepteur ; et qui corrigerait vos petits maîtres effrontés, vos parvenus insolents, vos femmes coquettes ?

TARTUFFE.

La comédie ne corrige personne.

ANNETTE.

Pardonnez-moi, monsieur ! depuis que j’ai vu l’École des femmes, je sais bien maintenant comment il faut faire pour tromper un mari...

MOLIÈRE.

Hé ! d’ailleurs,

Air de la Rosière.

Jeunesse hardie,
Vieillesse étourdie ;
Dans la comédie
Trouvent des leçons.
Son fouet qui fustige,
Opère un prodige,
Et souvent corrige
Mieux que vos sermons.
Dans son échoppe
Sous l’enveloppe
D’un misanthrope,
Tel homme s’aigrit ;
Son âme atteinte
S’exhale en plainte,
Il voit Philinte
Et soudain guérit.
Mon Jourdain crédule
Fait du ridicule
Sentir la férule
Aux bourgeois d’aujourd’hui.
Un autre accapare
L’or dont il s’empare ;
En voyant l’Avare
Il rougit malgré lui.
Les mœurs frivoles
De maintes folles,
Dans mes Écoles,
Frappent tous les yeux.
Des sots qu’on fronde,
La race immonde
Est moins féconde
Depuis mes Fâcheux,
Graves ignorantes,
Mes Femmes savantes
Ont, à nos pédantes,
Rendu la raison.
Et mes Précieuses,
Encor plus heureuses,
Ont, des merveilleuses,
Banni le jargon.
Gente assassine,
La médecine
À sa doctrine
Craint de se fier.
Et ses blessures
Sont bien moins sûres
Depuis les cures
De mon Fagotier.
En vain l’hypocrite
Contre moi s’agite,
Mon art qu’on irrite
Va le signaler ;
Sa honte commence,
Son portrait s’avance,
Et sa ressemblance
Vous fera trembler.

TARTUFFE, à part.

Il me fait peur.

NINON.

Mon ami, j’ai quelque crédit chez le premier ministre... voulez-vous que je vous y conduise ?

MOLIÈRE.

Vous, Ninon ?... je vous croyais mal ensemble.

NINON.

Parce que j’ai résisté à son amour !... raison de plus pour que je réussisse... quand nous avons la force de refuser tout aux hommes, ils ont la faiblesse de ne nous refuser rien.

MOLIÈRE.

Air : Vaudeville de Gilles en deuil.

Je crains fort pour la réussite.

NINON.

Vous devez toujours réussir,
Le ministre est plein de mérite,
Je me charge de l’attendrir.
Par caprices, non par malices,
Je fus cruelle à cet amant.

TARTUFFE, à part.

On doit lui passer ces caprices,
Ils ne lui prennent pas souvent.

NINON et MOLIÈRE.

Chez le ministre allons bien vite,
Nous pouvons encor réussir,
Le cardinal a du mérite,
Je me charge                         }
Vous vous chargez } de l’attendrir.

Ninon, Molière et Annette sortent.

 

 

Scène X

 

TARTUFFE, seul

 

Ah ! mon Dieu ! ce monsieur de Gourville avait bien besoin de revenir de l’armée ! il va me redemander ses vingt-cinq mille livres !... ce serait si bon à garder... personne ne sait que j’ai ce dépôt entre les mains !... maudit retour !

 

 

Scène XI

 

TARTUFFE, ANNETTE

 

ANNETTE, accourant.

Que je suis heureuse !... que je suis heureuse !... il ya arriver.

TARTUFFE.

Qui ?

ANNETTE.

Monsieur de Gourville.

TARTUFFE, avec hypocrisie.

Ah ! je priais chaque jour le ciel de nous le rendre bientôt.

ANNETTE.

Vous êtes si bon !

TARTUFFE.

Et vous si jolie !... votre jeunesse, vos grâces, vos attraits...

ANNETTE.

Allons donc, monsieur le précepteur, est-ce qu’un homme comme vous doit faire attention à ces choses-là.

TARTUFFE.

Ah ! mademoiselle, je suis bien excusable !

Air de Doche.

Sans le savoir, (bis.)
Quand l’amour blesse un sage qu’on renomme,
Sur ce cœur neuf il étend son pouvoir ;
Et l’on s’aperçoit qu’on est homme
Sans le savoir.

ANNETTE.

C’est bien honnête ça, monsieur le précepteur, mais...

Même air.

Sans le vouloir, (bis.)
Quand un barbon poursuit fille gentille,
Un feu si beau ne saurait l’émouvoir,
Et la pauvrette reste fille
Sans le vouloir.

TARTUFFE.

Cela ne vous empêcherait pas de prendre un mari.

ANNETTE.

Oui, mais ça n’serait pas bien, j’l’ai encore entendu dire dimanche dernier au sermon.

TARTUFFE.

« Il est avec le ciel des accommodements. »

Air : Vaudeville de Partie carrée.

Ne craignez rien, vous savez ma prudence,
Si vous m’aimez, aucun ne le saura ;
On peut pêcher lorsqu’on pêche en silence.

ANNETTE.

Jamais les femm’s ne pèch’nt comm’ ça !

TARTUFFE.

Un tel discours peut vous paraître étrange,
Il vous effarouche déjà ;
Mais, après tout, je ne suis pas un ange.

ANNETTE.

Vous êt’s trop laid pour ça.

TARTUFFE.

Ah ! vous n’êtes pas si cruelle pour tout le monde.

ANNETTE.

Lafleur n’est pas tout le monde.

TARTUFFE.

Un valet de chambre !

ANNETTE.

Je ne suis qu’une servante, il n’y a pas de mésalliance.

TARTUFFE.

Un homme qui n’a rien !

ANNETTE.

Je suis aussi riche que lui.

TARTUFFE.

Air : Mon père était pot.

Montrez plus de bénignité
Pour ma flamme efficace,
Et daignez, par pure bonté,
Me donner avec grâce
Ce que mon amour
Mérite en ce jour,
Ô suave merveille !

ANNETTE.

Puisque ça vous plaît,
Prenez ce soufflet,
Je les donne à merveille.

Elle lui donne un soufflet.

TARTUFFE.

Et de deux !

ANNETTE.

Ah ! ah ! monsieur l’hypocrite !

GOURVILLE, en dehors.

Comment, Ninon est déjà sortie !

TARTUFFE.

Qu’entends-je ?... c’est monsieur de Gourville.

ANNETTE.

Recevez-le, monsieur Tartuffe, moi je vais recevoir Lafleur.

Elle sort.

 

 

Scène XII

 

TARTUFFE, GOURVILLE

 

GOURVILLE, entrant.

Eh ! mais c’est monsieur Tartuffe !

TARTUFFE, à part.

Je suis pris !

GOURVILLE.

J’ai passé chez vous.

TARTUFFE.

Quoi ! vous vous êtes donné cette peine ! si je vous avais su à Paris, je me serais empressé d’aller vous voir... je sais tout ce que je dois... à monsieur le chevalier de Gourville !

GOURVILLE, à part.

Allons, c’est un brave homme ! j’ai bien fait de me fier à lui... il va me payer.

TARTUFFE, à part.

Payons d’effronterie !

GOURVILLE.

Vous savez que nous avons ensemble...

TARTUFFE.

Vous arrivez de l’armée à ce que je crois ?

GOURVILLE.

Oui, monsieur Tartuffe, et j’aurais besoin...

TARTUFFE.

De repos... oh ! je le crois bien ! ah ! monsieur ! que je bénis le ciel qu’il ne vous soit rien arrivé ! un honnête homme est sitôt tué !... on vous avait dit mort !... je vous avais bien pleuré !...

GOURVILLE, à part.

Cet homme-là mérite sa réputation.

TARTUFFE.

Air : Vous reconnaîtrez les bontés.

Quand j’appris que vous n’étiez plus,
Que de pleurs on m’a vu répandre ;
Je vantais partout vos vertus,
C’était un plaisir de m’entendre ;
Ah ! comme je fus éloquent
Dans cet éloge si célèbre ;
Je croyais bien, en ce moment,
Faire votre oraison funèbre.

GOURVILLE, à part.

Tant de sensibilité n’est pas naturelle...

Haut.

Oui, mais ce que je vous ai remis...

TARTUFFE.

Que de traits de bravoure cette campagne doit encore avoir fournis !

GOURVILLE, s’impatientant.

Monsieur Tartuffe !

TARTUFFE.

Les Vauban, les Lafare, les Boufflers, les Gourville...

GOURVILLE.

Monsieur Tartuffe !

TARTUFFE.

Si vous vouliez avoir la complaisance de me raconter...

GOURVILLE.

Monsieur Tartuffe ! au moment où il me fallut quitter Paris, je me trouvais avoir une somme de vingt-cinq mille livres ! et je l’ai déposée...

TARTUFFE.

Je ne me souviens pas de cela, monsieur...

GOURVILLE.

Vive Dieu ! il me prend envie de vous donner de la mémoire.

TARTUFFE.

Je n’en ai pas besoin, monsieur, donnez-moi plutôt des nouvelles.

GOURVILLE.

Vous êtes un fripon !

TARTUFFE.

Ce n’est pas une nouvelle ça, monsieur... mais la guerre ?...

GOURVILLE.

Je vous ferai pendre.

TARTUFFE.

La volonté du ciel soit faite en toute chose.

GOURVILLE

Oser me nier un dépôt aussi sacré !

TARTUFFE.

Qui ? moi, monsieur, je ne nie rien. Je conviens que des personnes charitables, comme vous, par exemple, me remettent souvent des sommes... que je distribue de suite aux pauvres ! et il serait possible que votre argent...

GOURVILLE.

Qu’est-ce à dire ? auriez-vous fait l’aumône à mes dépens, expliquez-vous !...

TARTUFFE, tirant sa montre.

Il est trois heures et demie, monsieur, les malheureux me réclament.

GOURVILLE, l’arrêtant.

Air de la Légère.

Ô surprises (bis.)
Quelles fautes j’ai commises !
Ô surprises !
(bis.)
Fripon
J’en aurai raison.
Fourbe, tu gardes mon bien !

TARTUFFE.

Vous me dites des sottises ;
Mais moi je suis bon chrétien,
Et je ne vous rendrai rien.

Ensemble.

GOURVILLE.

Ô surprises ! (bis.)
Quelles fautes j’ai commises !
Ô surprises !
(bis.)
Fripon
J’en aurai raison.

TARTUFFE.

Quelles crises ! (bis.)
Sortons, je crains les surprises...
Quelles crises !
(bis.)
Pourquoi donc
Suis-je un fripon.

Tartuffe sort.

 

 

Scène XIII

 

GOURVILLE, seul

 

Voilà donc l’homme qui jouit ici d’une si grande réputation de vertu et de probité... le fourbe ! La somme que j’ai confiée à Ninon à la même époque est probablement aussi perdue pour moi, si, comme je le présume, quelques circonstances l’ont forcée d’y avoir recours ; elle ne manquera pas sans doute de bonnes raisons pour éviter de me la rendre... la voici... je ne veux seulement pas lui en parler.

 

 

Scène XIV

 

GOURVILLE, NINON

 

NINON.

Air de la Boulangère.

Ma légèreté, franchement,
Eut toujours l’art de plaire ;
Jamais aux rendez-vous d’amant
Je ne viens la dernière.
Quand c’est un ami qui m’attend
Je suis bien plus légère.
Vraiment,
Je suis bien plus légère.

GOURVILLE.

Toujours aussi gaie que jolie.

NINON.

Mon cher Gourville, vous n’imaginez pas combien j’ai de plaisir à vous revoir.

GOURVILLE.

Il y a bientôt six mois que nous sommes séparés.

NINON.

Que de choses se sont passées depuis ce temps-là ! que de lauriers vous avez moissonnés !

GOURVILLE, à part.

Nous y voilà ! elle va me parler aussi de mes victoires.

NINON.

Vous me raconterez vos campagnes, vos dangers, vos périls, n’est-ce pas ? je veux connaître jusqu’au plus petit détail.

GOURVILLE, à part.

On dirait qu’ils se sont donné le mot.

NINON.

Je suis sûre que vous avez fait mille traits de valeur.

GOURVILLE, avec humeur.

Eh ! mon Dieu ! mademoiselle, je n’ai fait que mon devoir et je ne mérite pas...

NINON.

Qu’est-ce que vous dites donc ?

Air du Pot du fleur.

Un guerrier jamais ne s’effraie
D’être loué quand il revient vainqueur,
C’est une dette que l’on paie
Avec plaisir à sa valeur ;
Par ma louange peu commune,
Envers vous je m’acquitte ici.

GOURVILLE.

Les guerriers que l’on paie ainsi
Ne doivent pas faire fortune.

NINON.

Ah ! mon ami, je n’ai pas été aussi heureuse que vous, et pendant votre absence...

GOURVILLE, à part.

C’est cela.

Haut.

Eh bien ! pendant mon absence ?...

NINON.

Il m’est arrivé un malheur.

GOURVILLE.

Je m’y attendais.

NINON, surprise.

Vous vous y attendiez ?... comment vous savez que j’ai perdu...

GOURVILLE.

Hé ! mon Dieu ! oui.

À part.

Adieu mon argent.

NINON.

Hélas ! oui, j’ai perdu le goût que j’avais pour vous ; mais je n’ai pas perdu la mémoire.

GOURVILLE.

Que voulez-vous dire ?

NINON.

J’ai là le portefeuille que vous m’avez confié en partant, et je vous le rends tel que vous me l’avez donné... je ne l’ai pas même ouvert.

Elle le lui donne.

GOURVILLE.

Serait-il possible ?

NINON.

Mais certainement, on dirait que ce que je fais là vous étonne.

GOURVILLE.

Oh ! non, tout ce qui plaît, ravit, enchante, vous est si naturel... je ne devais pas moins attendre de vous... c’est seulement par l’assemblage des plus belles qualités et des caprices les plus aimables que vous pouvez nous étonner.

Air : Vaudeville de l’Un pour l’Autre.

Épris de vous depuis longtemps,
Mon cœur vous a rendu les armes ;
Quand je revois vos yeux touchants,
Puis-je renoncer à vos charmes ?
Non, Gourville, de tant d’attraits,
Plus que jamais est idolâtre...

NINON.

Réprimez des feux indiscrets,
Je suis sensible à vos veux, mais...

À part.

Songeons au billet qu’a Lachâtre.

GOURVILLE, transporté.

Même air.

En vain vous avez espéré
Que j’oublierais ma tendre amie ;
Cruelle, par un nœud sacré
Mon âme à la vôtre est unie.
Que de mille baisers bien doux
Je couvre cette main d’albâtre !...

Il veut lui prendre la main.

NINON, émue.

Cher Gourville, que faites-vous ?
Je cède à des transports si doux.

Elle lui donne sa main à baiser. À part, tandis que Gourville lui baise la main.

Ah ! le bon billet qu’a Lachâtre.

GOURVILLE.

Que parlez-vous de monsieur Lachâtre ?

NINON, riant.

Oh ! rien ; figurez-vous qu’il m’a fait signer...

ANNETTE, annonçant.

Monsieur Molière.

NINON, à elle-même.

Il arrive à propos.

 

 

Scène XV

 

GOURVILLE, NINON, MOLIÈRE

 

GOURVILLE.

Venez, mon ami, venez joindre votre admiration à la mienne.

MOLIÈRE.

Ninon possède aussi toute ma reconnaissance, mon théâtre ne fermera pas.

Air : Malgré mes soixante ans qu’on blâme.

« L’indulgente et sage nature
« A formé l’âme de Ninon,
« De la volupté d’Épicure,
« Et de la vertu de Caton. »

NINON.

Je crois qu’un jour, si l’histoire me vante,
Elle dira, dans ses doctes écrits :
« Pour ses amants Ninon fut inconstante,
« Et fut fidèle à ses amis. »

GOURVILLE.

Remerciez-la, monsieur, elle vient de faire un trait qui peut fournir le sujet d’une excellente comédie.

NINON, l’arrêtant.

Gourville !...

MOLIÈRE.

Dites, je suis justement arrêté par une scène dont les détails m’embarrassent un peu.

NINON.

Hé ! mon Dieu ! messieurs, quel mérite y a-t-il donc à rendre fidèlement un dépôt ?

GOURVILLE.

À la bonne heure ; mais vous conviendrez, au moins, que je pouvais craindre, puisque tout le monde n’a pas eu la même délicatesse.

NINON.

Comment ?

MOLIÈRE.

Expliquez-vous.

GOURVILLE.

Le lendemain du jour où je déposai chez vous l’argent que vous venez de me rendre, un de mes amis me rapporta vingt-cinq mille livres que je lui avais prêtées ; j’allais monter en voiture pour me rendre au lieu que le ministre m’avait assigné ; vous étiez à Picpus ; ne sachant à qui confier cette somme, je me rappelai ce précepteur que j’avais vu souvent chez vous et dont tout le monde vantait la probité et le zèle charitable.

NINON.

Qui ? Tartuffe ?

GOURVILLE.

Lui-même.

MOLIÈRE.

Le pauvre homme !

GOURVILLE.

L’hôtel de Villarceaux n’était qu’à deux pas, j’y cours, et je lui remets mon argent qu’il prend avec des transports de joie inexprimables.

NINON.

Qui ? Tartuffe ?

GOURVILLE.

Lui-même.

MOLIÈRE.

Le pauvre homme !

GOURVILLE.

À mon retour j’allai chez mon dépositaire, afin de lui redemander ce que je lui avais confié ; il était absent ; le hasard me l’a fait rencontrer ici ; ma présence l’a d’abord un peu embarrassé.

NINON.

Tartuffe ?

GOURVILLE.

Lui-même.

MOLIÈRE.

Le pauvre homme !

GOURVILLE.

Mais enfin reprenant bientôt son assurance, il me soutint effrontément qu’il n’avait jamais reçu aucun dépôt de moi, et il sortit en me laissant stupéfait de sa mauvaise foi.

NINON.

Tartuffe ?

GOURVILLE.

Lui-même.

MOLIÈRE.

Le pauvre homme !

NINON.

Comme il m’a trompée.

MOLIÈRE.

Voilà un trait qui doit enrichir ma comédie.

GOURVILLE.

Vive Dieu ! il me coûte assez cher pour cela.

MOLIÈRE.

Air : Vaudeville de Turenne.

Mes amis, de cet hypocrite
Signalons le regard trompeur ;
Dévoilons partout sa conduite
Et la bassesse de son cœur :
Oui, dans l’ardeur qui nous enflamme,
Démasquons cet homme odieux,
Qui montre le ciel dans ses yeux
Et cache l’enfer dans son âme.

Mais êtes-vous bien sûr ?... faire voir tant d’hypocrisie !

GOURVILLE.

Je l’ai vu !... ce qui s’appelle vu !

NINON.

Chevalier, je veux qu’il vous rende ce dépôt.

GOURVILLE.

Sans témoins, sans titres, comment pourrez-vous le forcer ?

NINON.

C’est mon affaire... Holà, quelqu’un !

À un domestique qui paraît.

Faites venir monsieur Tartuffe. Vous, messieurs, passez dans le jardin.

MOLIÈRE.

Mais je ne puis croire encore...

NINON.

Vous êtes incrédule... Cachez-vous sous cette table... vous, entendrez et vous croirez !

MOLIÈRE.

Parbleu ! je vous prends au mot...

GOURVILLE.

Mais expliquez-nous...

MOLIÈRE.

Allez, chevalier... Si elle a autant de talent pour les dénouements que pour les scènes d’amour, votre succès est certain.

Gourville sort, Molière se cache sous la table.

 

 

Scène XVI

 

NINON, MOLIÈRE sous la table

 

NINON.

Êtes-vous à votre rôle ?

MOLIÈRE, de dessous la table.

J’y suis... vous pouvez commencer.

Ninon baisse le tapis.

 

 

Scène XVII

 

NINON, TARTUFFE, MOLIÈRE caché

 

TARTUFFE, à part.

Que me veut Ninon ? Bon, Gourville est parti.

NINON, pleurant.

Hélas !

TARTUFFE, à part.

Hé ! mais elle pleure, je crois.

NINON.

Quel tour affreux... Ah !

TARTUFFE.

Est-ce qu’elle saurait...

NINON.

Ah ! c’est vous, mon cher Tartuffe ?

TARTUFFE.

Elle ne sait rien.

NINON.

Vous voyez une femme au désespoir.

TARTUFFE.

Qu’est-il donc arrivé ?

NINON.

Je vais vous quitter, mon cher ami.

TARTUFFE.

Me quitter ?

À part.

Il paraît qu’elle tient beaucoup à moi.

NINON.

On m’accuse d’avoir tenu des discours indiscrets sur le ministre... vous savez que les femmes parlent.

TARTUFFE.

Beaucoup, c’est vrai.

NINON.

Je suis exilée.

TARTUFFE.

Exilée !

À part.

Ah ! mon Dieu ! si j’allais être compromis !

Il veut sortir.

NINON, l’arrêtant.

Arrêtez ! Toutes les démarches que vous pourriez faire seraient inutiles ; le ministre est inexorable.

TARTUFFE, voulant sortir.

Mais ce n’est pas...

NINON.

Ah ! je vous reconnais bien là. Mais vous ne réussirez pas ; mon ami, on voulait me mettre dans un couvent.

TARTUFFE.

Air : Voulant par ses œuvres complètes.

Cet asile devait vous plaire,
C’est là que, par le Ciel, touché,
On se montre toujours sévère,
Et qu’on évite le péché.
On y vit sans inquiétudes
Avec des femmes seulement.

NINON.

Il m’eût fallu, dans un couvent,
Changer toutes mes habitudes.

Aussi j’ai obtenu la permission de passer en Angleterre.

TARTUFFE.

Et vous partez ?

NINON.

Dans une heure. Vous sentez qu’un tel voyage exige de grandes dépenses.

TARTUFFE, à part.

Elle va m’emprunter de l’argent.

NINON.

Et cependant je ne crois pas prudent de me charger d’une trop forte somme.

TARTUFFE, vivement.

Non, sans doute, et pourvu que vous ayez quelques louis.

NINON.

C’est bien assez, n’est-ce pas ?

TARTUFFE.

Oui, vraiment, et je vous laisse faire vos dispositions.

NINON.

Attendez, j’ai besoin d’un ami... Je ne sais que faire d’une soixantaine de mille francs que l’ai là dans mon cabinet.

TARTUFFE, se rapprochant.

Soixante mille francs ? 

NINON.

En or.

Air : Prenons d’abord l’air bien méchant.

Il me faudrait, en ce moment,
Trouver un parfait honnête homme
À qui je passe, en m’éloignant,
Confier cette forte somme.
En dépit du sort en courroux.
J’ai trouvé mon dépositaire ;
Mon ami, j’ai compté sur vous
Pour aller me chercher Molière.

TARTUFFE, fâché.

Molière !

NINON.

C’est à lui que je veux remettre cet argent.

TARTUFFE.

Monsieur Molière est-il digne d’une pareille confiance ?... Un homme qui se moque de tout le monde ; qui dit du mal des savants, des avares des médecins... Tenez, mademoiselle, се damné comédien peint trop bien les vices pour n’en pas avoir quelques-uns į il garderait votre dépôt.

NINON, à part.

Je le tiens !

TARTUFFE.

Hé ! d’ailleurs, je ne saurais le trouver, il vient de partir pour Versailles.

NINON.

Vous croyez ?

TARTUFFE, vivement.

Je l’ai vu monter en voiture.

NINON, à part.

Le fourbe !

Haut.

L’heure me presse, à qui pourrais-je alors ?...

TARTUFFE.

Mais parmi les personnes qui vous entourent.

NINON.

Je ne vois que vous.

TARTUFFE.

Ah ! mademoiselle, cette marque d’estime...

NINON.

Vous est due... Mais vous ne voudriez pas vous charger de ce dépôt ?

TARTUFFE.

Vous me connaissez bien mal.

NINON.

Dois-je vous causer cet embarras ?

TARTUFFE.

L’argent n’embarrasse jamais.

NINON.

Et puis je tiens à ce que l’affaire soit secrète, voyez-vous ; je ne veux ni billet, ni reconnaissance.

TARTUFFE.

Vous avez bien raison.

NINON.

Je veux même joindre à ce dépôt un projet de testament, qui, en cas d’accident, vous instituera légataire cette somme...

TARTUFFE.

Tout comme il vous plaira.

NINON.

Parce que les dangers du voyage... la traversée.

TARTUFFE.

Ah ! ne parlez donc pas de ça.

NINON.

Souvent on fait naufrage...

TARTUFFE.

Au port.

NINON.

Comme vous dites.

À part.

Il est pris.

Haut.

Passez dans mon cabinet, vous prendrez sur mon bureau...

TARTUFFE.

Les soixante mille francs ?

NINON.

Non, non. Quelques papiers qui sont nécessaires à la rédaction de l’acte dont je vous ai parlé.

TARTUFFE.

J’y cours.

À part.

Ô trop heureux Tartuffe !

 

 

Scène XVIII

 

NINON, MOLIÈRE, ensuite GOURVILLE

 

MOLIÈRE, sortant de dessous la table.

Voilà, je vous l’avoue, un abominable homme.

NINON.

Remettez-vous.

Appelant.

Gourville, Gourville !

GOURVILLE.

Eh bien ?

NINON.

Il va venir ; attendez-le ici, et demandez-lui hardiment votre dépôt ; surtout ne dites pas que vous m’avez vue.

GOURVILLE.

Mais...

NINON, sortant.

Silence !...

 

 

Scène XIX

 

GOURVILLE, ensuite, TARTUFFE, MOLIÈRE, sous la table

 

TARTUFFE, sortant du cabinet.

Mademoiselle, voilà tous les papiers ; il ne manque plus que votre signature... Que vois-je ?

GOURVILLE.

Gourville !...

TARTUFFE.

C’est le diable !

Il met les papiers dans son sein.

GOURVILLE.

Eh bien ! monsieur le précepteur, la mémoire vous est-elle revenue ?

TARTUFFE.

Mais, oui ; je crois avoir quelque idée...

À part.

Ah ! mon Dieu ! si Ninon allait venir !

GOURVILLE.

Rien ne vous empêche alors de me rendre ce que vous me devez.

TARTUFFE.

Le ciel me préserve de vouloir le retenir.

À part.

Je vais perdre la confiance de Ninon.

GOURVILLE.

Je ne sors pas d’ici, monsieur, sans avoir mon argent, ou je vous fais connaître pour ce que vous êtes.

TARTUFFE.

Ma conscience est pure.

GOURVILLE, à part.

Comme il est changé.

Haut.

Ah ! vous croyez retenir ainsi mes vingt cinq mille livres.

TARTUFFE, à part.

Il va m’en faire perdre soixante.

Haut.

Pourquoi crier si fort, j’ai toujours eu l’intention de vous payer.

GOURVILLE, plus haut.

Ah ! coquin ! ah ! fripon !

TARTUFFE.

Dites donc cela plus bas.

GOURVILLE.

Restituez d’abord, ou j’appelle.

TARTUFFE.

Mais, monsieur, je ne les ai pas.

GOURVILLE, bien haut.

Ah ! vous ne les avez pas ; je vais devant Ninon...

TARTUFFE, effrayé.

Non, monsieur, je ne les ai pas... sur moi, mais je puis, grâce au ciel, vous en faire un billet.

GOURVILLE.

Ah ! c’est différent. Voilà justement tout ce qu’il nous faut.

TARTUFFE, s’asseyant.

C’est, dites-vous, vingt mille...

GOURVILLE.

Non pas, c’est vingt cinq mille livres.

TARTUFFE.

Ah ! monsieur, quelle mémoire vous avez !

Ninon paraît dans le fond.

GOURVILLE.

Air : Ces postillons sont d’une maladresse.

Pour votre honneur je veux qu’on vous renomme,
Le mot : fripon, tantôt sut m’échapper ;
Mais à présent je vous crois honnête homme.

TARTUFFE.

Voyez pourtant comme on peut se tromper !

GOURVILLE.

Un jour, pour prix d’une vertu si grande,
Le Ciel vous récompensera.

TARTUFFE.

Ah ! c’est monsieur plus que je ne demande,
Ma récompense est là.

Il touche les papiers qu’il a dans son sein.

Êtes-vous content, monsieur ?

Il lui donne le billet.

GOURVILLE.

Enchanté.

 

 

Scène XX

 

GOURVILLE, TARTUFFE, MOLIÈRE, NINON

 

NINON.

Ravie,

Riant.

ah ! ah ! ah !

TARTUFFE.

Ah ! mon Dieu ! comme elle est gaie maintenant.

MOLIÈRE, sortant de dessous la table.

Ah ! ah ! monsieur l’homme de bien.

TARTUFFE.

Molière !

MOLIÈRE.

Lui-même, qui arrive de Versailles.

TARTUFFE.

Je suis joué.

MOLIÈRE, le ramenant.

Non, pas encore tout à fait, monsieur ; il me manquait quelques traits, mais, grâce à vous, j’espère avant un mois offrir au public ma comédie de l’Imposteur.

TARTUFFE, avec hypocrisie.

Vos injures ne peuvent me toucher, je sais tout souffrir pour le ciel...

MOLIÈRE.

Oh ! monsieur, nous savons à quoi nous en tenir là-dessus,

TARTUFFE, vivement.

Eh bien ! risquez-la, votre comédie, nous la ferons siffler.

MOLIÈRE.

Le public me vengera.

TARTUFFE.

Nous la ferons défendre.

TOUS.

Ô ciel !

MOLIÈRE.

« Remettez-vous, amis, d’une alarme aussi chaude,
« Nous vivons sous un prince ennemi de la fraude ;
« Un prince dont les yeux se font jour dans les cœurs,
« Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs. »

TARTUFFE.

Voilà mon troisième soufflet d’aujourd’hui.

Il sort.

NINON.

Nous en voilà débarrassés.

GOURVILLE.

Ne songeons plus qu’au plaisir, et que l’amour...

Il s’approche de Ninon.

 

 

Scène XXI

 

GOURVILLE, TARTUFFE, MOLIÈRE, NINON, ANNETTE, ensuite LACHÂTRE

 

ANNETTE, accourant.

Mademoiselle, mademoiselle, monsieur de Lachâtre n’est pas parti.

NINON.

Serait-il possible ?

LACHÂTRE.

Je viens de recevoir contre-ordre... mon régiment reste à Paris et j’accours vous présenter mon billet.

NINON, embarrassée.

Déjà ?...

LACHÂTRE.

Air : Un homme pour faire un tableau.

Par ce billet, si bien acquis,
Votre tendresse m’est prouvée.

NINON.

L’échéance, mon cher marquis,
N’en peut être encore arrivée.

LACHÂTRE.

Pardon, je me presse en effet ;
Mais pour vous, dont l’âme est connue,
Je croyais qu’un pareil billet
Était toujours payable à vue.

GOURVILLE.

Comment ! Vous avez fait un billet, Ninon ? vous savez que je suis en fonds ; je puis le rembourser...

NINON.

Non pas... cela ne ferait pas le compte de monsieur de Lachâtre... vous jugerez si je dois payer.

MOLIÈRE.

C’est une affaire que nous arrangerons à l’amiable.

GOURVILLE.

Et nous songerons de suite à l’union d’Annette avec mon Lafleur ; ils s’aiment depuis trois ans.

NINON.

C’est trop beau pour qu’on ne les en récompense pas.

GOURVILLE.

Je me charge de la dot.

ANNETTE.

Vivat ! je ne serai pas tartuffiée.

MOLIÈRE.

Comment dis-tu ?

ANNETTE.

Tartuffiée, monsieur.

MOLIÈRE.

Je n’oublierai pas ce mot-là dans ma comédie, et Tartuffe en sera le titre.

ANNETTE.

Ah ! c’est un fier sournois ; je vous raconterai comment il fait l’amour.

MOLIÈRE.

Bravo ! cela me fournira une bonne scène.

Vaudeville.

GOURVILLE.

Air de Doche.

Quand un homme trompe une femme,
Chose assez rare en général,
Tout le monde aussitôt le blâme,
C’est toujours mal.
Mais désirant qu’on la renomme,
Chaque jour, sans redouter rien,
Quand une femme trompe un homme,
C’est toujours bien.

LACHÂTRE.

Quand des auteurs trop téméraires
Veulent, par un orgueil fatal,
Nous tracer de grands caractères,
C’est toujours mal.
Mais Molière est, dans chaque ouvrage,
Admirable, je le soutien ;
Et l’on peut dire à chaque page,
C’est toujours bien.

ANNETTE.

Lorsque l’époux d’un’ grande dame
Lui peint son amour conjugal,
Quoi qu’il fass’ pour plaire à sa femme,
C’est toujours mal.
À mon mari, moi sans finesse,
J’dirai, si dans chaque entretien
Il sait me prouver sa tendresse,
C’est toujours bien.

MOLIÈRE.

Sourd aux cris de sa conscience,
Pour de l’argent, ce vil métal,
Quand un écrivain loue, encense,
C’est toujours mal.
Mais quand c’est l’honneur qui l’anime,
Lorsqu’affranchi de tout lien,
C’est d’après son cœur qu’il s’exprime,
C’est toujours bien.

NINON.

En jugeant une ouvre légère,
Messieurs, par un bruit trop fatal
Vouloir signaler sa colère,
C’est toujours mal.
Mais n’écoutant que l’indulgence,
Applaudir sans ménager rien,
Même un peu fort... en conscience,
C’est toujours bien.

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