Monsieur Bonnefoi (Pierre CARMOUCHE - Michel-Nicolas Balisson de ROUGEMONT - Joseph-Xavier Boniface SAINTINE)

Comédie en un acte, mêlée de vaudevilles.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Porte Saint-Martin, le 8 juillet 1823

 

Personnages

 

MONSIEUR BERMOND

ERNESTINE, sa fille

SOPHIE DERLANGE, amie d’Ernestine

DERLANGE, son frère

BONNEFOI, menteur

LÉTOURNEAU, valet de Bonnefoi

MADEMOISELLE BERNARD, domestique de monsieur Bermond

 

La scène se passe chez monsieur Bermond.

 

Le Théâtre représente un salon meublé.

 

 

Scène première

 

MADEMOISELLE BERNARD, SOPHIE, DERLANGE

 

SOPHIE.

Et M. Bermond n’est pas chez lui ?

MADEMOISELLE BERNARD.

Non, mademoiselle, il est parti pour aller à la ville voisine, à la rencontre de son gendre futur, qui arrive par la voiture de l’ambassadeur de Naples.

SOPHIE, bas à Derlange.

Vous voyez ! vous n’avez pas voulu parler, et le gendre futur arrive.

Haut à Mlle Bernard.

Et ma chère Ernestine ?

MADEMOISELLE BERNARD.

Elle est à sa toilette... lorsqu’on attend un futur, qui arrive par la voiture de l’ambassadeur de Naples... Mais si mademoiselle voulait me dire son nom ?

SOPHIE.

Sophie Derlange.

MADEMOISELLE BERNARD.

Ah ! c’est mademoiselle qui est... oh ! je la connais parfaitement de réputation ; c’est mademoiselle qui jouait la comédie à la pension et qui s’est, je crois, mariée depuis peu à Rémicourt... C’est à la campagne de madame votre mère que notre jeune maîtresse a passé l’été dernier... monsieur sera désolé ; mais c’est sans doute là monsieur votre époux ?

SOPHIE.

C’est mon frère.

MADEMOISELLE BERNARD, faisant la révérence.

Monsieur, j’ai l’honneur... Si vous voulez attendre un petit moment, j’irai avertir ma jeune maîtresse.

SOPHIE.

Volontiers...

MADEMOISELLE BERNARD.

Mais c’est qu’elle sera enchantée de vous revoir ! monsieur et madame j’ai bien l’honneur... dans cinq minutes je reviens.

Elle sort.

 

 

Scène II

 

DERLANGE, SOPHIE

 

SOPHIE.

Eh ! bien, monsieur mon frère, pour la première fois que vous vous avisez d’être timide...

DERLANGE.

Cela ne me réussit pas.

Air : Ils sont les mieux placés. (l’Artiste.)

Près des belles sans cesse
Voltigeant tour à tour,
Bien souvent sans tendresse,
Je sus parler d’amour ;
Mais, ma sœur, quand on trouve
Celle qui plaît, hélas !...
Ou le sent, on l’éprouve,
Et l’on n’en parle pas.

SOPHIE.

Un amant nous adore,
Avec âme il le dit,
Et l’on en doute encore ;
Malgré tout son esprit,
Ton amour se fait gloire
De soupirer tout bas ;
Mais pourrait-on y croire,
Quand tu n’en parle pas.

DERLANGE.

Je crains bien...

SOPHIE.

Tout n’est pas désespéré... il y a de l’intérêt et de l’amour propre flatté dans ce mariage dont on vient de nous parler... il pourrait fort bien être du goût du père et non de celui de la fille... mais il faut te décider à parler.

DERLANGE.

Moi !

SOPHIE.

Un officier de hussards, qui a fait trois campagnes... je ne te reconnais plus.

DERLANGE.

C’est qu’il y a une si grande différence entre l’intérêt que m’inspire ton amie et les sentiments qui m’ont autrefois animé.

Air : Il se croira dans un parterre.

Quand la victoire avait pour nous des ailes,
Quand nous étions en cent lieux répandus ;
Et les ennemis et les belles
Par nous alors étaient vaincus.
Poussant plus loin nos vastes entreprises,
Derrière nous nous laissions éperdus,
Les places qui s’étaient soumises
Et les cœurs qui s’étaient rendus.

SOPHIE.

Mais si tu ne te déclare point.

DERLANGE, lui montrant un papier.

Ne te fâche pus... j’ai ma déclaration en poche.

SOPHIE, lisant.

Comment des vers... des couplets !... tu possèdes donc tous les talents ! poète, peintre... ah ! mon dieu, peintre, cela me fait penser à mon pauvre portrait.

DERLANGE.

Je t’en promets un autre.

SOPHIE.

Celui-là était si ressemblant... le perdre, et dans une auberge encore.

DERLANGE.

Tu n’es pas habituée à te trouver en si mauvaise compagnie.

SOPHIE.

Ernestine va paraître, remets-lui tes couplets.

DERLANGE.

Air : Du vaudeville de la robe et les bottes.

Ce conseil... je n’ose le suivre.

SOPHIE.

Quelle frayeur pour un ancien soldat.

DERLANGE, montrant un livre sur la table.

Je vais les placer dans ce livre.

SOPHIE, ouvrant le livre.

Que vois-je !... c’est le Renégat !
Mets-les tout près de la première page,
J’ai mes raisons pour te dire cela ;
Si tu les mets à la fin de l’ouvrage,
Jamais ou ne les trouvera.

Derlange place le billet.

 

 

Scène III

 

DERLANGE, SOPHIE, ERNESTINE, MADEMOISELLE BERNARD

 

ERNESTINE, accourant.

Comment ma Sophie serait ici... où est-elle que je l’embrasse... chère Sophie, quel bonheur de te revoir !

SOPHIE.

Bonjour, ma chère Ernestine !

DERLANGE, saluant.

Mademoiselle !...

ERNESTINE, baissant les yeux.

Monsieur !...

SOPHIE.

Tu ne remets pas ton ancien cavalier servant... mon frère, que tu as vu à Rémicourt...

ERNESTINE.

Oh ! je me souviens parfaitement...

SOPHIE, avec malice.

Un garçon d’esprit... il ne faut pas en juger par ce qu’il vient de te dire, quand il est auprès de toi ce n’est plus le même homme... il fait des couplets charmants !... Tu sais que mon mari vient d’acheter une terre dans ce pays... une espèce de château... nous serons voisins... À propos, qu’est-ce qu’on m’a dit, tu veux te marier !

ERNESTINE.

Mon père le désire.

SOPHIE.

J’ai entendu parler d’un futur, qui vient tout exprès par la voiture de l’ambassadeur de Naples.

ERNESTINE.

On le dit... moi, je ne le connais pas.

SOPHIE.

Tu... ne connais pas ton futur.

Bas à Derlange.

Mon ami, tu ne dois pas t’effrayer d’un rival comme celui-là.

MADEMOISELLE BERNARD.

Quand mademoiselle verra M. Bonnefoi...

DERLANGE.

Bonnefoi...

ERNESTINE.

C’est le fils de l’ancien associé de mon père, qui était allé s’établir en province.

DERLANGE.

Bonnefoi, de Bordeaux.

MADEMOISELLE BERNARD.

Un aimable jeune homme... je l’ai élevé jusqu’à l’âge de trois ans... et s’il a toujours profité...

SOPHIE.

Ah ! c’est M. Bonnefoi.

ERNESTINE.

Tu le connais !...

SOPHIE.

Par mon frère... qui m’en a fait un portrait singulier...

DERLANGE.

C’est le plus grand ennemi de la vérité.

MADEMOISELLE BERNARD.

Ne croyez pas cela, mademoiselle !

DERLANGE.

C’est un homme qui ment avec une assurance... je l’ai vu vingt fois dans les positions les plus désobligeantes...

MADEMOISELLE BERNARD.

Cela ne se peut pas, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, je l’ai élevé jusqu’à trois ans... et s’il avait eu quelques dispositions à mentir, je m’en serais bien aperçue.

SOPHIE.

Ce que te dit Derlange est très vrai, il m’a raconté de ce M. Bonnefoi des mensonges incroyables.

MADEMOISELLE BERNARD.

D’ailleurs, il est jeune, et avec l’âge on se corrige.

SOPHIE.

Détrompez-vous.

Air : De la Valse des deux sœurs ou des comédiens.

Quand de mentir on s’est fait une étude,
De ce travers on ne peut s’affranchir,
On ment par goût, par ton, par habitude,
Et sans besoin, on ment pour son plaisir !
Un tel défaut répugnera, sans doute,
À l’homme franc, qui craint de s’avilir ;
Mais du succès le mensonge est la route,
Que de menteurs nous voyons réussir !...

Ce financier, à la fois riche et bête,
Fier d’un crédit que votre or a payé,
Prétend qu’il peut partout lever la tête,
Et le soir même il lèvera le pied !...

Cet avocat proclame à l’audience
La probité de son client puissant,
Et ses poumons, malgré sa conscience,
D’un fournisseur ont fait un innocent.

Cet Adonis, qui parle de tendresse,
D’amour constant et de fidélité,
Ment tendrement à sa jeune maîtresse...
Qui ne dit pas toujours la vérité !

Le gascon ment avec effronterie,
Le courtisan ment avec vanité,
Le séducteur avec galanterie,
Et l’innocence avec timidité.

Dans tous les lieux que le soleil éclaire,
Qui le mensonge a trouvé des échos,
Et du palais jusques à la chaumière,
On ment partout... même dans les journaux.

Quand de mentir on s’est fait une étude,
De ce travers on ne peut s’affranchir,
On ment par goût, par ton, par habitude,
Et sans besoin on ment pour son plaisir.

ERNESTINE.

Mais es-tu bien certaine !...

DERLANGE.

Un de mes amis a manqué d’avoir une affaire avec lui.

MADEMOISELLE BERNARD.

Une affaire avec Lolo... ah ! ciel !...

DERLANGE.

Mais grâces à monsieur Lolo, elle n’a pas eu de suites fâcheuses...

SOPHIE, bas à Ernestine.

Ainsi, tu n’es pas folle du futur.

ERNESTINE, bas.

Moi... ah ! si je pouvais ne pas l’épouser.

SOPHIE.

Rassure-toi.

Air : Du vaudeville des marieurs écossais.

Nous reviendrons en ces lieux,
Je veux moi-même à ton père,
Ici présenter mon frère,
Et causer toutes les deux.

DERLANGE, s’avançant.

À vous sortir d’embarras,
Je mettrai mon bien suprême.

SOPHIE.

Grands lieux ! quelle audace extrême,
Il a fait le premier pas.

Ensemble.

SOPHIE.

Nous reviendrons en ces lieux,
Je veux moi-même à ton père,
Ici présenter mon frère,
Et causer toutes les deux.

ERNESTINE.

Ah ! revenez en ces lieux,
Je veux moi-même à mon père,
Ici présenter ton frère,
Et causer toutes les deux.

DERLANGE, à part.

Nous reviendrons en ces lieux,
Bonnefoi ne peut lui plaire,
Et mon amour, je l’espère,
Trouvera grâce à ses yeux.

SOPHIE, gaiement.

En attendant notre retour, lis un chapitre du Renégat, cela te distraira, adieu.

Elle sort avec Ernestine.

 

 

Scène IV

 

MADEMOISELLE BERNARD, ERNESTINE, elle rentre en scène un peu plus tard

 

MADEMOISELLE BERNARD.

Ah ! bien oui, lire des romans ! c’est bon pour monsieur son père, que ça amuse, et pour moi que cela intéresse !

Air : Vaudeville de Vadé.

Ces livres-là m’plaisent toujours ;
Moi, plus j’en lis, plus j’eu veux lire.
Dans les aventur’s des amours,
Fille à tout âge aime à s’instruire,
Les romans enseignent l’devoir ;
Si par hasard un amant tendre
À mes genoux tombait quelqu’soir,
On est bien aise de savoir
Comment on fait pour se défendre.

ERNESTINE, rentrant.

Ah ! mon dieu, ma bonne, je crois que voilà mon père.

MADEMOISELLE BERNARD.

Que signifie cette frayeur-là.

ERNESTINE.

Ah ! il est seul.

 

 

Scène V

 

ERNESTINE, BERMOND, MADEMOISELLE BERNARD

 

BERMOND.

Air : Du village voisin.

Je viens morbleu de courir ventre à terre,
J’ai parcouru trois ou quatre cantons.
J’ai débouché douze ou quinze flacons ;
Toujours en chemin je m’altère.
Lorsqu’on entendait
Mon pauvre bidet,
Chacun s’écriait :
Arrivez donc, compère.
Eh ! quoi, vous voilà,
Mettez-vous donc là,
Avalez moi ça,
Ça vous soutiendra,
Tenez, c’est d’mon crû,
Si j’les avais cru,
J’ai tant bu, ma foi,
Que je n’osais plus, moi,

Passer devant l’octroi.

BERNARD.

Et vous revenez seul, monsieur ?

BERMOND.

Tout seul... je ne sais pas comment diable mon gendre s’est arrangé ; on m’a dit que l’ambassadeur de Naples était passé il y a trois jours... et cependant il était parti avec lui.

MADEMOISELLE BERNARD.

Vous devez être bien fatigué... et cette pauvre Cocotte aussi.

BERMOND.

Dam’ Cocotte est venue à pied, elle, et moi à cheval.

MADEMOISELLE BERNARD.

À propos, monsieur, le libraire vous a envoyé des livres.

BERMOND, regardant les livres sur la table sans les toucher.

Ah ! ah ! le Renégat... bon auteur... fameux gaillard, c’est un homme qu’on ne saurait trop relire... j’ai lu trois fois son Solitaire, et il y a encore des choses que je ne comprends pas bien.

ERNESTINE.

M. Derlange et sa sœur sont venus vous faire une visite.

BERMOND.

Je serais bien aise de les connaître ; mais ce diable de Bonnefoi m’inquiète, qu’est-il devenu ? eh ! eh ! j’entends du bruit... des étrangers dans la cour... c’est lui.

ERNESTINE, vivement.

Permettez que je me retire.

BERMOND.

Y penses-tu ? il faut que tu sois présente à la réception de ton futur... justement le voilà.

 

 

Scène VI

 

ERNESTINE, BERMOND, MADEMOISELLE BERNARD, BONNEFOI, LÉTOURNEAU

 

BONNEFOI, fredonnant l’air de Jean de Paris.

Quel plaisir d’être en voyage !
Jamais l’œil n’est en repos.

BERMOND.

Eh ! c’est lui, mon cher Bonnefoi !

BONNEFOI.

C’est le papa Bermond... ma foi, je ne vous aurais pas reconnu... vous êtes rajeuni.

BERMOND.

C’est une galanterie.

BONNEFOI.

Du tout, demandez à... c’est la charmante Ernestine, pour elle, je l’ai reconnue à son air de famille.

BERMOND.

Vous trouvez qu’elle me ressemble ?

BONNEFOI.

À s’y méprendre !

BERMOND.

Vous êtes le premier.

MADEMOISELLE BERNARD.

Et moi, M. Lolo, me reconnaissez-vous aussi ?

BONNEFOI.

Parbleu, si je vous... comment vous appelez-vous ?

MADEMOISELLE BERNARD.

Mademoiselle Bernard, je vous ai élevé... bercé... jusqu’à trois ans,

BONNEFOI.

Juste, je n’ai fait que parler de vous tout le long de la route.

Chantant.

Berce, berce, belle nourrice,
Berce, berce, ton bel enfant.

Petite romance que j’ai composée !

BERMOND.

Je connais ça.

BONNEFOI.

Tous mes ouvrages sont très connus.

BERMOND.

Mon gendre, vous êtes fatigué, n’est-ce pas ; vous seriez bien aise de vous reposer ; mademoiselle Bernard, faites préparer la chambre verte.

ERNESTINE, vivement.

Je vais vous aider, ma bonne !

BONNEFOI.

Flatteuse attention !

 

 

Scène VII

 

BERMOND, BONNEFOI, LÉTOURNEAU

 

BERMOND.

Eh ! bien, mon cher Bonnefoi, vous n’êtes donc pas venu avec l’ambassadeur.

LÉTOURNEAU, à part.

J’crois bien... l’s ambassadeurs vont pas en patache.

BONNEFOI.

Comment, l’ambassadeur ?...

BERMOND.

Vous m’avez écrit que vous viendriez avec l’ambassadeur de Naples.

BONNEFOI.

Ah ! un italien... si parbleu... nous avons voyagé ensemble, et nous avons fait le plus joli voyage...

LÉTOURNEAU, à part.

Joliment... je n’sais pas comment je n’tombe pas en morceau... j’suis brisé.

BERMOND.

Cependant on m’a dit que son excellence avait traversé la ville, il y a trois jours.

BONNEFOI.

Qu’est-ce qui vous a dit ça ?

BERMOND.

Tout le monde !

LÉTOURNEAU, à part.

R’tire toi-d’là.

BONNEFOI.

Eh ! ben, c’est vrai... c’est une chose que je voulais vous cacher... mais puisque tout le monde vous l’a dit... nous sommes passés ici il y a trois jours, et l’ambassadeur n’a jamais voulu s’arrêter.

BERMOND.

Bah ! pourquoi ça ?

BONNEFOI.

Il ne voulait pas que je le quittasse... nous avons eu là dessus des discussions vigoureuses ; monseigneur, lui ai-je dit... je lui parle familièrement, monseigneur, je supplie votre excellence de s’arrêter.

Baragouinant.

Z’y veux pasque vi m’aban donniez.

Naturellement.

Monseigneur, je viens me marier.

Baragouinant.

J’y vi marierai, moi.

Naturellement.

Monseigneur, toujours familièrement, j’ai l’honneur de représenter à votre excellence, que c’est une jeune personne que j’aime.

Baragouinant.

Qué vi z’aimez, et perdiou ze vi donnerai ma cousine, la grande douzesse.

Naturellement.

Monseigneur, je n’épouserai pas la grande duchesse.

Baragouinant.

La petite markėse.

Naturellement.

Je n’épouserai pas la petite marquise.

Baragouinant.

Ah ! mon gaillard, ze vois qui vi velez... ze vi donnerai la grosse comtesse.

Naturellement.

Monseigneur, j’aime beaucoup les grosses comtesses, mais j’ai donné ma parole.

Baragouinant.

Vi ne descendrez pas.

Naturellement.

Je descendrai ! là dessus nous nous querellons... d’amitié, parce qu’avec les ambassadeurs... il fut un signe au cocher, le cocher fouette les chevaux... les chevaux prennent le mers aux dents, ils partent comme l’éclair, nous traversons la ville au galop, et vous ne nous sommes arrêtés qu’à une lieue de la ville ; cela a fait un bruit.

BERMOND.

Eh ! bien, en voilà la première nouvelle... mais pourquoi n’être pas venu le même jour ?

BONNEFOI.

Pourquoi... pourquoi... ça, c’est encore une autre histoire...

À son valet.

Létourneau.

LÉTOURNEAU.

Plaît-y, bourgeois ?

BONNEFOI.

Raconte à mon beau-père ce qui m’est arrivé, quand j’ai quitté l’ambassadeur.

LÉTOURNEAU.

Moi !

BONNEFOI.

Sans doute... est-ce que tu n’y étais pas ?

LÉTOURNEAU.

Si... si que j’y étais.

BONNEFOI.

Eh ! bien ?

LÉTOURNEAU.

Eh ! bien, comptez-y, vous... vous arrangerez ça mieux que moi !

BONNEFOI.

Imbécile... Mon cher beau-père faites-moi l’amitié de jeter les yeux sur ce portrait-là...

Fredonnant.

Portrait charmant, portrait de mon amie.

LÉTOURNEAU, à part.

Allons, le portrait de l’auberge va jouer un rôle.

BERMOND.

Voilà une figure charmante.

BONNEFOI.

Ah !... à qui le dites vous... eh ! bien, cette figure charmante a voulu vous enlever votre gendre.

LÉTOURNEAU, bas à son maître.

Ne fourrez donc pas des femmes dans vos contes.

BERMOND.

Ah ! ah ! nous sommes un gaillard.

BONNEFOI.

J’ai eu le malheur d’inspirer à cette jeune fille une passion qui n’avait pas le sens commun... Je pars de Bordeaux, sans lui dire adieu, comme de raison ; de mauvaises langues lui apprennent que je vais me marier... elle prend la diligence, emmène avec elle un cousin... un militaire, bel homme comme nous deux... et voilà qu’en quittant l’ambassadeur, je mie trouve arrêté par ce couple furibond.

BERMOND.

Le désespoir... les pleurs... je vois ça.

BONNEFOI.

Pour me débarrasser de la petite femme

Simulant un duel.

une... deux... conte de tierce... engagez le fer... ah !... j’ai été obligé de blesser le cousin... je ne pouvais pas faire mieux.

BERMOND.

Quand l’honneur parle !...

BONNEFOI, lui donnant le portrait.

Ne parlons pas de ça ; faites-moi l’amitié de garder ce portrait ; c’est un sacrifice que je fais à l’aimable Ernestine, une fois marié... adieu l’amour.

BERMOND.

C’est fort bien, mon gendre, j’aime qu’on s’exprime franchement ; je hais le mensonge à la mort... eh ! morbleu, j’ai eu mon temps aussi, et je m’en souviens...

Air : À soixante ans.

Tous les plaisirs goûtés dans la jeunesse,
Pour le vieillard ne sont jamais perdus ;
De tous côtés ils reviennent sans cesse,
Par la mémoire ils nous sont tous rendus.
Quand le présent par fois me désespère,
Par le passé je puis me consoler ;
Ah ! quels bons tours je sais me rappeler !
Oui le chagrin de n’en pouvoir plus faire,
Cède au plaisir de toujours en parler.

BONNEFOI.

Nous en parlerons... oh ! moi, en fait d’histoire, je suis votre homme...

BERMOND.

Et, je ne pense pas que vous êtes peut-être à jeun.

BONNEFOI.

Nous !... nous avons déjeuné à une auberge, là bas, à droite... un perdreau... un flacon de vin de Champagne... c’est ce drôle qui a...

LÉTOURNEAU, à part.

Ah ! dieu, être obligé d’avaler tout ça.

BERMOND.

Vous prendrez bien un verre de Malaga ?

BONNEFOI.

Puisque vous le voulez absolument, un morceau de pain, une aile de volaille, des fruits, un rien... c’est pour ce drôle...

BERMOND.

Dans deux minutes je suis à vous.

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

BONNEFOI, LÉTOURNEAU

 

LÉTOURNEAU.

Il faut avouer, monsieur, que vous mentez d’la bonne force !

BONNEFOI.

Moi !

LÉTOURNEAU.

C’t’ histoire de l’ambassadeur.

BONNEFOI.

Veux-tu que j’aille dire à ce brave homme que nous sommes venus par les Pataches.

LÉTOURNEAU.

C’est vrai qu’ nos affaires sont pas brillantes, la succession a joliment file.

BONNEFOI.

C’est ça, s’il m’avait demandé des nouvelles de mes revenus, j’aurais été obligé de lui déguiser la vérité ; au lieu que mon histoire de l’ambassadeur lui donne de la confiance en moi. Il ne me fera aucune question sur ma fortune, et cette histoire-là me dispense de mentir.

LÉTOURNEAU.

Ce duel...

BONNEFOI.

Est-ce que ça ne pouvait pas arriver ?... est-ce que je n’ai pas manqué d’en avoir un à Bordeaux ? et si le jeune homme s’était trouvé au rendez-vous...

LÉTOURNEAU.

C’est vous qui n’y êtes pas venu ! 

BONNEFOI.

Est-ce moi !... pardi, je crois bien, le diable n’y aurait pas été... c’est le jour de mon entrevue avec qui donc ?

LÉTOURNEAU, gouaillant.

Avec l’original du portrait, peut-être ?

BONNEFOI.

Imbécile... Il faut bien, quand on a une querelle, l’avoir pour quelqu’un, et ce portrait qui m’est tombé entre les mains...

LÉTOURNEAU.

Au fait... la providence vous disait : tu l’as, sers toi z’en.

BONNEFOI.

Tu vois donc que ce ne sont pas positivement des mensonges.

LÉTOURNEAU.

J’entends bien !

BONNEFOI.

C’est tout bonnement...

LÉTOURNEAU.

Des menteries, n’est-ce pas !

BONNEFOI.

Eh ! non, ce sont des fictions ! depuis un mois que tu es sorti de ton village, tu n’es pas encore au fait...

LÉTOURNEAU.

Eh ! bien, je veux m’en régaler, aussi, de flictions, moi !

 

 

Scène IX

 

BONNEFOI, LÉTOURNEAU, MADEMOISELLE BERNARD

 

MADEMOISELLE BERNARD.

Monsieur, votre appartement est prêt.

BONNEFOI.

Cette bonne demoiselle...

LÉTOURNEAU, lui soufflant.

Bernard !

BONNEFOI.

Bernard... il y avait longtemps que nous nous étions vus... et dire que je pensais toujours à elle.

LÉTOURNEAU.

La petite mère... elle est ben ronde et ben appétissante.

BONNEFOI.

Comment vous trouvez-vous ici ?... hein !...

MADEMOISELLE BERNARD.

Monsieur est si bon... la maison est si bien tenue, que j’espère y finir mes jours, quoique par mes économies, je pourrais...

LÉTOURNEAU.

Des économies ! comme ça m’irait... faut que j’ly dise quelque chose.

À Mademoiselle Bernard.

Nous allons déjeuner, p’tite mère ! hein !

Il sort.

BONNEFOI, à mademoiselle Bernard.

Garçon de mérite !... oh !... faites bien attention à ce qu’il vous a dit, je ne vous en dis pas davantage.

Il sort.

 

 

Scène X

 

MADEMOISELLE BERNARD, seule

 

Eh ! bien, qu’est-ce qu’il a donc ce garçon ! il m’a fait des yeux... j’en suis toute renversée.

 

 

Scène XI

 

BERMOND, ERNESTINE, MADEMOISELLE BERNARD

 

ERNESTINE.

Oui, mon papa, oui, on m’a dit sur M. Bonnefoi, des choses qui me donnent de son caractère la plus mauvaise opinion.

BERMOND.

Qui a pu le calomnier ainsi ?

ERNESTINE.

Sophie, ma bonne amie... qui le connait...

BERMOND.

Je voudrais bien savoir de quel droit mademoiselle Derlange...

MADEMOISELLE BERNARD.

Elle et monsieur son frère ont inventé un tas de choses contre ce pauvre Bonnefoi.

BERMOND.

Mon enfant, rassure-toi... Bonnefoi est d’une franchise rare, d’un caractère charmant... brave comme son épée.

ERNESTINE.

Il n’en porte pas.

BERMOND.

Beaucoup de femmes voudraient être à ta place... sais-tu qu’il te fait le sacrifice d’une fort jolie femme qui était folle de lui... j’ai vu son portrait, une tête charmante, des yeux.

 

 

Scène XII

 

BERMOND, ERNESTINE, MADEMOISELLE BERNARD, SOPHIE, entre pendant la phrase de Bermond

 

BERMOND, la regardant.

Eh ! mais... mais...

SOPHIE.

C’est à M. Bermond que j’ai l’honneur de parler ?

ERNESTINE.

Papa, c’est ma bonne amie !

Air : Je reconnais ce militaire.

Je te présente mon amie,
Pour moi c’est vraiment une sœur.

SOPHIE.

Puisqu’en ce jour on la marie,
Je viens partager son bonheur.

BERMOND, à part, en la comparant avec le portrait qu’il a dans sa poche.

Que vois-je ! quelle ressemblance !
Du portrait c’est l’original.

SOPHIE.

Je retiens ton époux d’avance,
Tous deux nous ouvrirons le bal,

Ensemble.

Que l’amitié de ta Sophie
Vienne ici consoler ton cœur ;
Je connais quelqu’un, chère amie,
Qui voudrait te savoir ma sœur.

BERMOND, à part.

Elle savait qu’il se marie,
Elle vient troubler son bonheur.

À Ernestine.

Laisse-nous seuls, ma bonne amie,
Ici je veux sonder son cœur.

ERNESTINE.

Que l’amitié de ma Sophie
Vienne ici consoler mon cœur ;
Car je sens là que pour la vie,
Je voudrais bien être sa sœur.

MADEMOISELLE BERNARD.

Cette demoiselle Sophie,
De me plair’ n’a pas le bonheur.
À Bonnefoi, je le parie,
Elle cherche à porter malheur.

Mademoiselle Bernard et Ernestine sortent.

 

 

Scène XIII

 

BERMOND, SOPHIE

 

SOPHIE.

Que veut dire ce tête-à-tête ?

BERMOND.

Mademoiselle connait Bordeaux ?

SOPHIE.

Oui, monsieur, j’y ai même des parents.

BERMOND.

Fort bien... Mademoiselle s’est fait peindre ?

SOPHIE.

Une fois... une petite miniature...

BERMOND.

Fort ressemblante.

SOPHIE.

Comment... est-ce que vous sauriez ce qu’elle est devenue ?

BERMOND.

Je sais tout, mademoiselle.

SOPHIE.

Tout !... je voudrais bien en savoir autant !

BERMOND.

Air : Sans mentir. (des Landes.)

Eh ! quoi, sur la grande route,
Vous compromettre à ce point !

SOPHIE.

Vous avez raison, sans doute...
Mais je ne vous comprends point.

BERMOND.

Et faire un pareil esclandre
Pour un amant inconstant !...

SOPHIE.

J’écoute sans rien comprendre...

BERMOND.

Je parle français pourtant !...

SOPHIE.

Je le crois, (bis.)
Mais c’est de l’hébreu pour moi !

BERMOND.

Chercher à porter le désordre dans le ménage de votre amie.

SOPHIE, à part.

Ah ! mon dieu, il veut parler de l’amour de mon frère.

BERMOND, à part.

Elle se trouble !

SOPHIE.

Je conçois, monsieur, que vous preniez la défense de votre gendre.

BERMOND.

Oui, mademoiselle, et très fortement.

SOPHIE.

Mais je doute que l’hymen qu’il projette fasse le bonheur d’Ernestine... et je crois, entre nous, que vous auriez pu mieux placer votre amitié.

BERMOND.

Dans la situation où vous êtes, je ne dois pas m’attendre à vous entendre louer ce pauvre Bonnefoi.

SOPHIE.

Non, sans doute.

BERMOND.

Quand on a voulu faire tuer les gens.

SOPHIE.

Comment !... moi... tuer des gens ?

BERMOND.

Eh ! sans doute, ce duel pouvait avoir des suites sérieuses.

SOPHIE.

Un duel...

BERMOND.

Avec le jeune homme qui vous accompagne !

SOPHIE.

Mon frère !

BERMOND.

Raison de plus... si Bonnefoi n’avait pas blessé le jeune homme... car enfin il l’a blessé... Bonnefoi aurait pu être tué.

SOPHIE, gaiement.

C’est une obligation que m’aurait eue Ernestine !

BERMOND.

À quoi sert de tourmenter ce pauvre Bonnefoi, non seulement il a cessé de vous aimer ; mais ce matin il voulait faire le sacrifice de votre portrait à ma fille, ce qui prouve de sa part une renonciation complète.

SOPHIE.

C’est donc M. Bonnefoi qui avait mon portrait ?

BERMOND.

Sans doute !

SOPHIE.

C’est lui qui vous a annoncé le duel ?

BERMOND.

Lui-même.

SOPHIE.

C’est charmant... Ah ! je l’aime... je l’adore... je cours après lui.

BERMOND.

Ah ! vous en convenez donc ?...

SOPHIE, comme ayant une idée subite.

Eh ! bien oui, monsieur, j’en étais folle, et puisqu’il n’a pas eu la discrétion de vous cacher nos amours... c’est un scélérat... un monstre...

BERMOND.

Allons, allons, un peu de douceur... jeune et jolie comme vous l’êtes, pouvez-vous regretter Bonnefoi... croyez qu’il n’y a pas d’homme qui ne s’empressât de mettre à vos pieds... el, moi-même, si je n’avais que vingt-cinq ans...

SOPHIE.

Rassurez-vous, monsieur, je veux contribuer au bonheur d’Ernestine.

BERMOND.

Voilà parler.

Air : ... (Fille et Garçon.)

Je compte sur cette assurance,
Ne trompez pas mon espérance,
Et respectez une alliance
Qui demain comblera mes vœux !...

SOPHIE.

Je m’éloignerai de ces lieux,
En emportant l’espoir délicieux,
Que grâce à moi, les plus doux nœuds
Auront ici fait deux heureux !...

Ensemble.

BERMOND.

Je compte sur cette assurance, etc.

SOPHIE.

Oui, comptez sur cette assurance,
J’ose vous promettre d’avance,
De respecter une alliance
Qui demain comblera vos vœux !

Bermond sort.

 

 

Scène XIV

 

SOPHIE, ERNESTINE

 

ERNESTINE, accourant.

Papa te quitte... que t’a-t-il dit ?

SOPHIE.

Des choses singulières, qui me permettent d’espérer que tu ne seras pas madame Bonnefoi.

ERNESTINE.

Vraiment !

SOPHIE.

Chère Ernestine, j’ai lu dans ton cœur ; depuis longtemps je soupçonne que Derlange... pourquoi rougir... de nous aimons nous pas déjà comme deux sœurs ?

ERNESTINE.

Oh ! sans doute.

SOPHIE.

Un peu de confiance, moi, j’en ai beaucoup... adieu, mon amie... je te quitte pour m’occuper de toi... prends courage, rien n’est encore désespéré.

Elle sort.

 

 

Scène XV

 

ERNESTINE, seule

 

Que veut-elle dire ? Ah ! pourquoi la présence de son frère est-elle venue m’enlever la soumission que j’avais résolue d’apporter aux volontés de mon père ?

 

 

Scène XVI

 

BONNEFOI, LÉTOURNEAU, ERNESTINE et BERMOND

 

BONNEFOI.

Voilà la meilleure maison que nous ayons rencontré sur la route !

ERNESTINE, sans le voir.

Jamais je ne me résoudrai à épouser ce M. Bonnefoi.

BONNEFOI.

Hein ! tu vois que j’occupe déjà sa pensée.

ERNESTINE, sans le voir.

Un pareil hymen me conduirait...

BONNEFOI, se montrant.

Au comble de la félicité !...

ERNESTINE.

Ah ! vous m’avez fait une peur...

BONNEFOI.

Voilà comme je suis... dès que je parais, le cœur bat aux jeunes filles.

LÉTOURNEAU.

Oui, voilà comme il est... moi aussi, je leux у fais peur tout de même.

Bermond entre.

BONNEFOI.

Ah ! charmante Ernestine, combien cette émotion a de charmes pour un homme qui vous adore depuis trois ans.

ERNESTINE.

Trois ans !

BERMOND.

Plaisantez-vous ?

BONNEFOI.

Tout autant... demandez à ce drôle-là... hein !

LÉTOURNEAU.

Oui, oui, oui.

BERMOND.

Mais, il y a trois ans, ma fille était à Paris.

BONNEFOI.

Eh ! bien, c’est justement à Paris, dans la capitale.

ERNESTINE.

Vous m’y auriez vue ?

BONNEFOI.

Pas une fois... mais dix... n’est-ce pas, Létourneau ?

LÉTOURNEAU.

Dix, onze, douze, treize, je sais pas combien.

BONNEFOI.

Air : Vaudeville de Turenne.

Je vous voyais au lever de l’aurore,
Comme une ombre pleine d’appas.
Je vous voyais dans mes songes encore,
Je vous voyais même où vous n’étiez pas.

BERMOND.

Il te voyait même où tu n’étais pas...

ERNESTINE.

Dans vos songes cela peut être ;
Mais si toujours vous m’avez vue ainsi,
Vous risquez, monsieur, aujourd’hui
De ne pouvoir me reconnaître.

BONNEFOI.

Pardon, la première fois que je vous vis à Paris ; c’était...

ERNESTINE.

À la promenade, sans doute... car il était impossible...

BONNEFOI.

Allons, vous m’avez remarqué !...

ERNESTINE, vivement.

Du tout.

BONNEFOI.

Vous m’avez remarqué... eh ! comment ne l’auriez-vous pas fait ?... songez-donc que j’y étais toujours à la promenade... une fois que vous rentriez, je ne quittais pas les murs de votre pension... j’étais là du matin au soir, épiant un regard, un geste, un soupir... ô dieu ! quand j’entendais quel qu’un soupirer... enfin j’en ai fait une maladie.

BERMOND.

Vous en avez fait... c’est une plaisanterie !

BONNEFOI.

Demandez à Létourneau ? hein ! hein !

LÉTOURNEAU.

C’est vrai, monsieur, qu’il en a fait un gros rhume... il y en reste encore quelque chose.

BONNEFOI.

Au surplus, l’amour veillait sur mon existence ; grâce à lui et au premier médecin de la cour, eu moins de huit mois j’ai eu le bonheur d’entrer dans une convalescence fort longue... mais extrêmement agréable, par rapport à la société ; tout ce que la capitale avait de plus distingué en grands seigneurs, en artistes, en escamoteurs, venait égayer les heures de ma convalescence, par des fêtes en l’honneur de la charmante Ernestine.

ERNESTINE.

Quoi ! monsieur, vous avez osé...

BONNEFOI.

Il n’a jamais été question de vous, que sous un nom supposé.

LÉTOURNEAU.

C’est vrai... jamais question de vous.

BONNEFOI.

Eh ! comment aurais-je eu l’indiscrétion de révéler le nom de l’adorable objet, qu’un sort fortuné destine à semer de fleurs la carrière d’un homme qui ne peut compter de jours heureux que par un hymen, dont les nœuds indissolubles, formés par l’amour, et cimentés par l’estime, doivent donner l’idée exacte de la suprême félicité qu’un mortel est appelé à goûter loin des régions célestes.

Il s’enroue et tousse naturellement.

LÉTOURNEAU.

Ah ! ça, mademoiselle, c’est la pure vérité.

BERMOND.

Ah ! bravo, bravo, mon gendre.

Air : Adieu, je te fuis bois charmant.

Quel style brillant, enchanteur !
Mais vraiment c’est un homme unique ;
S’il voulait, il serait auteur
Et même écrivain romantique.
Ses discours sont si ravissants,
Que je croyais dans ma folie,
Entendre encore les accents
Du Solitaire et d’Élodie.

En disant cela, il a pris le volume, et fait tomber le billet que Derlange y a glissé.

BERMOND.

Qu’est-ce que c’est que cela... un papier... des vers...

ERNESTINE.

Dans ce livre !

BERMOND.

Ils te sont adressés.

ERNESTINE.

À moi, mon papa...

BERMOND.

Pas de nom... l’écriture m’est inconnue...

BONNEFOI.

Vous n’en soupçonnez pas l’auteur ?

BERMOND.

Eh ! mais... est-ce que par hasard mon gendre, qui s’avise de faire des vers...

BONNEFOI.

Je me mêle quelquefois de poésie... mais je ne dis pas que ces vers... cependant s’ils parlent d’amour à la belle Ernestine, s’ils peignent le bonheur de lui plaire, alors il se pourrait...

BERMOND.

Pas de modestie, ils sont de vous.

ERNESTINE.

Quoi ! papa, vous croyez...

BERMOND.

Ils sont de vous.

BONNEFOI.

Je voulais vous le cacher... eh ! bien oui, ils sont de moi... et la musique aussi.

BERMOND.

Cependant il y a quelque chose qui ne vous va pas.

BONNEFOI, à part.

Ah ! diable !

LÉTOURNEAU, à part.

Le v’là encore dans le pétrin.

BERMOND.

Chantez-nous ça, voyons.

Lisant.

Qu’avec plaisir j’ai gardé la mémoire
Des courts instants passés auprès de vous.

BONNEFOI, chantant ces deux vers sur le refrain de l’air il me faudra quitter l’empire.

Qu’avec plaisir j’ai gardé la mémoire
Des courts instants passés auprès de vous.

Je les sais par cœur... qu’avec plaisir... cela s’accorde parfaitement avec Paris, le pensionnat et les trois ans...

BERMOND.

C’est juste... mais ceux-ci...

Et dans les camps, les combats et la gloire
N’ont рu chasser des souvenirs si doux.

Comment, dans les camps ?

BONNEFOI.

Métaphore... allégorie... dans les camps, les combats et la gloire... cela vaut mieux que de dire chez moi, à mon bureau.

BERMOND.

Oui, oui, la poésie vit d’image... mais en voici une un peu forte...

Enfant de Mars, je me ris de la guerre.

Eh ! bien ?

ERNESTINE, à part.

Je devine ! c’est Derlange !

LÉTOURNEAU, à part.

V’là la bombe qui tombe !

BONNEFOI, avec emphase.

Eh ! bien oui, adorable Ernestine, estimable baron, je ne dois pas vous le taire plus longtemps, je suis militaire...

BERMOND.

Eh ! quel vertigo vous a passé par la tête d’aller vous engager.

BONNEFOI.

C’est ce diable d’ambassadeur de Naples qui est cause de tout cela... et puis je voulais plaire à la belle Ernestine.

ERNESTINE.

Voyons, voyons la suite.

BERMOND.

Ah ! ah ! vous y prenez goût, ma fille !

BONNEFOI, à part.

Elle est subjuguée.

BERMOND.

Enfant de Mars, je me ris de la guerre ;
Mais mon rival sait bien plus m’alarmer.

ERNESTINE.

Pauvre Derlange... un rival.

BONNEFOI.

Un rival !... c’est une figure de rhétorique... et puis tout cela se chante...

BERMOND.

Mon gendre, tenez en affaire, il faut aller rondement et franchement... des vers, des chansons ne sont bons à rien, qu’à tout embrouiller... et vous, mademoiselle, je veux que vous m’expliquiez un peu ce que c’est que ce rival.

BONNEFOI.

Air : Du vaudeville de la Visite.

Votre fille est sans défauts,
Et quand on la voit si belle,
Un amant tendre et fidèle
Doit redouter les rivaux.

BERMOND.

Sur cette rivalité,
On s’expliquera peut-être,
Je saurai la vérité.

LÉTOURNEAU, à part.

Ça ne s’ra pas par mon maître !

Ensemble.

BONNEFOI.

Personne aussi bien que moi
Ne sait se tirer d’affaire,
Et chaque soleil éclaire
Un succès de Bonnefoi.

BERMOND.

Mon Ernestine, suis-moi,
En confidence, à ton père,
Tu nommeras, je l’espère,
Le rival de Bonnefoi.

ERNESTINE.

J’obéirai, malgré moi,
Aux volontés de mon père ;
Un seul homme m’a su plaire,
Et ce n’est pas Bonnefoi.

LÉTOURNEAU.

Cette affaire, selon moi,
Ne me paraît pas trop claire ;
Ce mensonge-là peut faire
Du tort à monsieur Bonnefoi.

 

 

Scène XVII

 

BONNEFOI, LÉTOURNEAU

 

BONNEFOI.

Si cela continue, mon mariage me coûtera une extinction de voix.

LÉTOURNEAU.

Avec la dot vous achèterez de la jujube... mais faut vous souvenir, voyez-vous... prenez garde, parce qu’avec tout cela vous pourriez faire des embrouillamini... et ce serait dommage, parce que la maison a l’air fameuse, et puis... j’ai aussi d’s’envies de m’établir... j’ai r’luqué c’te grosse mademoiselle Brenard...

BONNFFOI.

Diable ! c’est un parti... excellent parti... d’après les calculs que je me suis amusé à faire sur les bénéfices que l’on pouvait faire dans cette maison, l’ordre et l’arrangement de mademoiselle Bernard, et puis ce qu’elle a de son patrimoine, ce qu’elle attendait d’un vieil oncle, tout cela additionné, donne un total de soixante mille francs.

LÉTOURNEAU.

Monsieur, monsieur... vous ne vous apercevez pas que c’est moi... c’est moi que je suis là, et vous me faites des flictions.

BONNEFOI.

Eh ! que diable, je ne savais plus déjà à qui je parlais... tu me fais bavarder...

LÉTOURNEAU, apercevant mademoiselle Bernard.

Oh ! la v’là, la v’là elle-même... je vas y faire une déclaration.

BONNEFOI.

Ne fait pas de gaucherie.

LÉTOURNEAU.

Vous voirez...

BONNEFOI.

Moi, je vas transcrire sur mon calpin, tout ce que j’ai dit au beau-père, pour ne plus être exposé à me tromper.

Il s’assied.

 

 

Scène XVIII

 

BONNEFOI, LÉTOURNEAU, MADEMOISELLE BERNARD

 

MADEMOISELLE BERNARD.

Excusez, messieurs, ma jeune maîtresse n’est pas ici ?...

BONNEFOI.

Hum... pardon, c’est que j’écris à mon banquier.

MADEMOISELLE BERNARD.

Je me retire !

LÉTOURNEAU.

Allons, ferme.

Arrêtant mademoiselle Bernard.

Non, adorable Brenard, vous ne vous éloignerez pas d’un amant z’enflammé.

MADEMOISELLE BERNARD.

Eh ! bien... qu’est-ce qu’il a donc ?

BONNEFOI, à part.

Au reçu de ma lettre, envoyez-moi cinquante mille francs.

LÉTOURNEAU.

Faut que je tâte aussi de la fliction.

À mademoiselle Bernard.

Apprenez que sous ce déguisement...

BERNARD.

Comment, déguisé...

LÉTOURNEAU.

Oui, sous c’déguisement emprunté, j’ai voulu auprès de vous, belle Brenard... pour vous dire, amour, fidélité.

MADEMOISELLE BERNARD.

Ah ! mon dieu, c’est comme dans ce roman, qui...

Haut.

Serait-il possible... quoi, vous seriez...

LÉTOURNEAU, toussant.

Demandez plutôt à mon ami... hum ! hum !

BONNEFOI, à part.

Le drôle, est-il effronté.

LÉTOURNEAU.

Oui, je suis un prince italien.

MADEMOISELLE BERNARD.

Un prince italien... c’est donc ça que vous ne parlez pas français.

LÉTOURNEAU.

Demandez plutôt... hum ! hum ! je suis un chevalier d’amour.

Il tombe à ses genoux.

BERNARD.

Dieux ! s’il est vrai...

Air : Des gardes-marines.

Ah ! grands dieux ! quelle aventure !
Je ne puis le croire encor...

LÉTOURNEAU.

J’ai des habits, pleins d’dorure,
J’ai des palais tout en or.

BONNEFOI.

Peut-on mentir de la sorte.

LÉTOURNEAU.

C’est vrai, le diable m’emporte,
Je suis prince et chevalier.

BONNEFOI.

C’est un vrai gâte-métier.

MADEMOISELLE BERNARD.

Mais, ô ciel ! on vient vers nous,
Ah ! cher prince, levez-vous.

Ensemble.

MADEMOISELLE BERNARD.

C’est charmant, (bis.)
Que dira-t-on par la ville,
Quarante ans, en femme habile,
Si mon cœur fut difficile,
C’est qu’j’avais l’pressentiment
De ce grand évènement.

BONNEFOI.

Mais vraiment, (bis)
Il s’en tire en homme habile ;
Quand un mensonge est utile,
L’homme le plus difficile,
Pour réussir promptement,
Mentirait à chaque instant.

LÉTOURNEAU.

Ah ! vraiment,
Oui vraiment,
Je m’en tire eu homme habile ;
Un mensonge est bien facile,
Et comm’ ça peut être utile,
Je prétends dorénavant
Mentir à chaque moment.

LÉTOURNEAU.

Tout d’même elle est dedans avec ma fliction.

Il la suit.

 

 

Scène XIX

 

BONNEFOI, BERMOND, ERNESTINE

 

BERMOND.

Ah ! mon cher ami... le diable est déchaîné contre vous.

BONNEFOI.

Est-ce que la voiture de l’ambassadeur est repassée !

BERMOND.

Pis que cela... cette malheureuse petite femme qui vous a donné son portrait.

BONNEFOI.

Eh ! bien ?

BERMOND.

Elle est ici.

BONNEFOI.

Allons donc, pas possible... vous voulez aussi !...

BERMOND.

Elle est furieuse... elle vous cherche... j’ai voulu l’apaiser... ah ! bien oui... je veux le voir, le confondre, criait-elle... vous ne m’aviez pas dit qu’elle était si près de vous ?

BONNEFOI.

Je veux être pendu si je le savais...

 

 

Scène XX

 

BONNEFOI, BERMOND, ERNESTINE, SOPHIE

 

BERMOND.

Ah ! mon dieu, elle va faire une scène.

SOPHIE.

Vous voilà donc, homme faux et perfide !

BONNEFOI.

Madame, j’ai bien l’honneur...

SOPHIE.

Le temps de la politesse est passé ; monsieur, vous savez ce qui m’amène ?

BONNEFOI.

Moi, madame... c’est très vrai, elle ressemble au portrait.

SOPHIE.

Ingrat, tu ne s’attendais pas à me trouver ici... mais je ne te quitterai plus, je m’attache à toi comme ton ombre...

Tendrement.

Parjure, tu m’as pourtant aimé.

BONNEFOI.

Moi, pardon, vous me prenez pour un autre, j’ai aimé des personnes de distinction, mais...

BERMOND.

Mon gendre, pas de faux-fuyants... il faut toujours de la franchise en affaire... elle seule peut vous tirer d’embarras.

ERNESTINE.

Oui, monsieur, expliquez-vous franchement.

BONNEFOI.

Quand je vous dis, beau-père...

SOPHIE.

Qu’est-ce que tu diras, traitre... nieras-tu ton amour pour moi, ma tendresse, le don de mon portrait.

BONNEFOI.

Maudit portrait !... ou diable ai-je été...

SOPHIE.

Tu te tais, le voilà confondu... ne crois pas m’échapper, ne crois pas que je laisse tromper l’estimable famille Bermond, que je respecte, sa jeune fille que j’aime !

BONNEFOI.

Eh ! mon dieu, madame, je n’ai pas l’honneur de vous connaître.

SOPHIE.

Tu ne me connais monstre !

Air : Comme il m’aimait.

Me connais-tu ?
C’est moi que ton cœur a proscrite,
Me connais-tu ?
Pour toi, j’oubliai ma vertu ;
Je te poursuivis dans la fuite,
Tu m’adorais, tu m’as séduite,
Me connais-tu ?

BONNEFOI.

Pas davantage, je vous le répète...

SOPHIE.

N’est-ce pas moi qui ai interrompu ton voyage avec l’ambassadeur de Naples.

BONNEFOI.

Avec l’ambassadeur, en voilà une bonne !

BERMOND.

Allons, Bonnefoi, je ne souffrirai pas que vous mentiez ainsi...

BONNEFOI.

Si je mens, je ne suis pas le seul, et madame ne s’en acquitte pas mal.

BERMOND.

Je connais votre voyage, je sais vos relations avec madame... vous ne m’en avez pas fait mystère.

SOPHIE.

Et trahir ma confiance, divulguer ma faiblesse, sacrifier mon portrait.

BONNEFOI.

Madame est en train d’en conter, à ce qu’il paraît.

BERMOND.

Tout cela est vrai, monsieur.

SOPHIE.

Sois tranquille, celui qui a déjà cherché à me venger, que tu as blessé...

BERMOND.

C’est encore vrai.

SOPHIE.

Ne tardera pas à se montrer, pour me venger de nouveau.

BONNEFOI.

Oui, ah ! vous le prenez sur ce ton-là, vous voulez tous en imposer... eh ! bien, je vous dirai que vous ne pouvez pas voir l’homme avec lequel je me suis battu ; je vous ai dit que je l’avais blessé... eh ! bien, ce n’est pas vrai !...

BERMOND.

Encore...

BONNEFOI.

Je ne lui ai pas fait la moindre égratignure, pas la moindre, je l’ai tué roide, je l’ai laissé pour mort sur la place, et si je n’avais pas été indisposé, il n’en aurait pas été quitte à si bon marché.

 

 

Scène XXI

 

BONNEFOI, BERMOND, ERNESTINE, SOPHIE, DERLANGE, enveloppé d’un manteau qui cache deux épaulettes

 

DERLANGE.

Eh ! bien, monsieur, je vous attends.

TOUS.

Comment...

BONNEFOI.

Encore un... qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?

DERLANGE.

C’est moi que vous avez laissé pour mort.

BONNEFOI.

Qui est-ce qui vous a dit cela !

DERLANGE.

Vous-même, tout à l’heure.

BONNEFOI.

Eh ! bien, que demandez-vous de plus ?

DERLANGE.

Je veux prendre ma revanche, marchons...

BERMOND.

C’est juste !...

BONNEFOI.

Marchez tout seul si vous voulez.

BERMOND.

Vous reculez... un militaire comme vous.

BONNEFOI.

C’est précisément un militaire comme moi qui ne se bat pas... d’ailleurs, j’ai des millions de raisons que vous approuveriez toutes, si je vous les disais... d’abord par égard pour vous, monsieur Bermond.

BERMOND.

Moi ! je vous sers de second, si vous le désirez.

BONNEFOI.

Trop honnête... mais votre charmante fille, certainement s’opposerait à ce que j’allasse me couper la gorge...

ERNESTINE.

Monsieur, vous êtes parfaitement libre.

SOPHIE.

Le lâche... il n’a de courage que pour séduire.

BONNEFOI.

Et puis au reste, je ne les connais ni l’un, ni l’autre, et je ne me bats qu’avec mes amis.

BERMOND, se fâchant.

Vous ne les connaissez pas, ah ! corbleu, c’est mentir trop effrontément.

BONNEFOI.

Mais écoutez donc ?

TOUS, l’un après l’autre.

Vous mentez...

BERMOND.

Que diable, je sais bien que vous les connaissez.

BONNEFOI.

Ne nous fâchons pas ; la preuve que je ne suis pas un menteur, c’est que dans tout ce que je vous ai dit ce matin, il n’y avait pas un mot de vrai... là ! me croirez-vous maintenant !

Air : Cœur infidèle, cœur volage.

Mais au moins veuillez donc m’entendre,
Nul ici ne veut me comprendre.
Je n’ai point voulu vous duper ;
Mais enfin on peut se tromper.

Ensemble.

BERMOND.

L’imposteur... que viens-je d’entendre ?
Non, tu ne seras point mon gendre.
Ai-je pu me laisser duper,
Va, n’espère plus me tromper.

SOPHIE.

Eh ! quoi, me faire un tel esclandre
Pour payer un amour si tendre.
L’ingrat, il a beau me tromper,
Qu’il n’espère point m’échapper.

DERLANGE.

Dois-je donc toujours vous attendre ;
Au rendez-vous il faut vous rendre,
Marchons, croyez-vous me tromper,
Ah ! n’espérez point m’échapper.

ERNESTINE.

À leur piège il s’est laissé prendre,
Tout mon bonheur peut en dépendre.
Mon père va se détromper,
Au malheur puissé-je échapper.

BONNEFOI.

Je n’y tiens plus... dites tout ce qu’il vous plaira, je ne vous aimerai pas... je ne me battrai pas... et je n’épouserai pas... et vous, M. Bermond, c’est indigne, si vous vouliez retirer votre parole, il fallait vous y prendre plutôt... j’ai refusé, il y a quinze jours, la fille du plus riche banquier d’Allemagne, une femme superbe, 5 pieds, 8 pouces.

BERMOND.

Eh ! bien, courez après.

SOPHIE.

Maintenant, monsieur... je dois à la vérité de déclarer qu’effectivement je ne connaissais pas monsieur.

BONNEFOI.

Là, quand on leur dit la vérité, ils ne veulent pas vous croire.

SOPHIE.

J’ajoute que monsieur ne me connaissait pas davantage, lorsqu’il faisait si galamment les honneurs de mon portrait, laissé par mon frère dans une auberge à quelques lieues d’ici.

BERMOND.

Parbleu, je suis bien aise que vous ne le connaissiez pas. !

DERLANGE.

C’est au désir de ma sœur, que je me suis prêté à une ruse, dont l’objet était de garantir mademoiselle d’un hymen qui pouvait faire le malheur de sa vie.

SOPHIE, bas à M. Bermond.

Et dans ce cas... je vous avertis, monsieur, que le service de mon frère n’a pas été tout à fait désintéressé.

BERMOND, gaiement.

Vraiment... eh ! bien, nous verrons.

DERLANGE.

Ah ! monsieur.

BONNEFOI.

Eh ! bien, puisqu’il faut être franc... je savais que mon sieur était mon rival... et tout ce que j’ai dit, était pour que vous me rendissiez ma parole... parce que j’y tiens, à ma parole.

 

 

Scène XXII

 

BONNEFOI, BERMOND, ERNESTINE, SOPHIE, DERLANGE, MADEMOISELLE BERNARD, LÉTOURNEAU

 

MADEMOISELLE BERNARD.

Allons, monsieur le chevalier... voilà tout le monde rassemblé, parlez.

LÉTOURNEAU.

J’peux pas.

TOUS, riant.

Comment ! un chevalier !

MADEMOISELLE BERNARD.

Déguisé.

DERLANGE, gaiement.

Et le valet aussi... voilà deux grands menteurs.

MADEMOISELLE BERNARD.

Comment deux menteurs !... est-ce que vous n’êtes pas...

LÉTOURNEAU.

Si parbleu... mais d’après ce que je vois, m’est avis qu’il faut que je garde l’incognito.

MADEMOISELLE BERNARD.

Ah ! quelle indignité !

BONNEFOI.

Comment, monsieur le drôle, vous en imposez aux dames !

SOPHIE.

La force de l’exemple !

LÉTOURNEAU.

Une petite fliction !

BERMOND.

Mon cher Bonnefoi, de tous les défauts, le mensonge est selon moi le plus affreux... croyez-moi, la franchise est toujours le meilleur moyen de réussir.

BONNEFOI.

Oui, monsieur Bermond... la leçon est bonne, et je dis qu’à l’avenir... car enfin, voilà où peut conduire le plus petit mensonge... j’ai perdu une femme charmante, qui du reste ne m’aimait pas, une dot que j’aurais beaucoup aimée, et tout cela, parce que je n’ai pas voulu dire franchement que j’étais venu en chaise de poste.

LÉTOURNEAU.

Dites donc en patache !

BONNEFOI.

Mais elle allait joliment vite !

Vaudeville.

CHŒUR FINAL.

Air : Honneur à la musique !

Célébrons la franchise,
L’honneur, la loyauté,
Et toujours pour devise
Prenons la vérité !
(bis en chœur.)

BERMOND.

Air : Le luth galant qui chanta les amours.

Si l’on vous dit dans un nouveau journal
Qu’on l’écrira d’un style impartial,
Qu’on n’y verra pas trop
D’épigrammes cruelles,
Qu’il aura chaque jour des pages immortelles,
Et qu’il ne donnera point de fausses nouvelles,
N’en croyez pas un mot.

BERNARD.

Si l’on vous dit qu’enfin la probité
Tiendra le rang de la duplicité ;
Qu’une agues en sabot,
À Paris sera sage ;
Et que, malgré son rouge, et malgré son visage,
Quelque antique beauté dit franchement son âge,
N’en croyez pas un mot.

LÉTOURNEAU.

Si l’on vous dit que l’hymen à Paris,
Pour les époux est un vrai paradis ;
Que la femme d’un sot,
Au sein du mariage,
Comptant sur le plaisir dans son triste ménage,
Sans collaborateur sera fidèle et sage,
N’en croyez pas un mot.

DERLANGE.

Si l’on vous dit que tout était bien mieux
Aux jours passés qu’ont vus nos bons aïeux ;
Qu’aujourd’hui notre lot
Est de vivre sans gloire,
Que nos arts n’iront pas au temple de mémoire,
Que ne pouvons plus remporter la victoire...
N’en croyez pas un mot.

BONNEFOI, au Public.

Si je vous dis à la fin du menteur
Que cet ouvrage est d’un très bon auteur ;
Que son style enchanteur
Séduit, charme l’oreille ;
Qu’on ne peut voir trop tôt
Une pièce pareille,
Et qu’elle est digne enfin du Menteur de Corneille...

SOPHIE, s’avançant.

N’en croyez pas un mot.

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