Marjolaine (Adolphe D’ENNERY - Eugène CORMON)

Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 18 janvier 1844.

 

Personnages

 

MARJOLAINE

LA COMTESSE

NICOLAS

LE VICOMTE

PETIT-JEAN

 

La scène se passe dans la ferme de Marjolaine.

 

Une chambre rustique ; au fond une grande porte donnant sur la campagne. À droite du spectateur, une fenêtre et une grande porte donnant dans la ferme. À gauche, premier plan, un vieux bahut avec une petite glace ; deuxième plan, une porte conduisant dans l’intérieur ; accessoires rustiques.

 

 

Scène première

 

PETIT-JEAN, seul

 

Il vanne sur l’avant-scène de gauche.

Nicolas !... Y a donc personne ici pour m’aider... Nicolas !... Gageons qu’il est encore à faire le joli cœur auprès de Marjolaine... Si je le savais !...

Il dépose à terre son van, et il va regarder au fond.

Non, ma foi !... v’là la bourgeoise qui bat son beurre tout en jasant avec c’ beau seigneur qui est arrivé à la ferme avant-z’hier...

Il redescend avec colère.

Mais quoi qu’il vient faire ici, c’vicomte de malheur ?... pourquoi qu’il a amené c’te grande dame qu’il appelle une comtesse ?... et pourquoi qu’il est toujours après Marjolaine ?... C’est vrai... d’puis qu’tout l’monde la courtise ici... elle n’ fait plus attention à moi... et ça m’donne comme des envies d’allonger des calottes.

On entend le bruit d’un soufflet.

 Oh ! en v’là une bonne par là, de calotte... j’ai reconnu la main à la bourgeoise !...

 

 

Scène II

 

PETIT-JEAN, LE VICOMTE, puis LA COMTESSE

 

LE VICOMTE, au fond, et riant.

Ah... ah ! très bien !... c’est charmant !

PETIT-JEAN.

C’est lui qui a cueilli la giroflée !... tant mieux !

LE VICOMTE, entrant.

Ce léger soufflet m’en rappelle un que je reçus de la Guimard... un soir, qu’en badinant, je laser-raide trop près !...

À Petit-Jean, qui le regarde.

 Qu’est-ce ?... tu as le front de me rire au nez ?

PETIT-JEAN.

Elle était bien touchée, pas vrai ?

LE VICOMTE.

Silence !... manant !... Ah ! dis-moi ?... sais-tu où est la comtesse ?

PETIT-JEAN.

Ma foi, non.

LE VICOMTE.

Sans doute dans sa chambre... Ses pieds délicats n’osent pas fouler le sol ignoble de la ferme.

LA COMTESSE, qui est entrée pendant ces derniers mots.

Vous vous trompez, vicomte ; je me promène comme une simple villageoise ; et la preuve, c’est que j’étais dans le petit bosquet lorsque Marjolaine a répondu à vos gentillesses par un...

LE VICOMTE.

Ah ! vous l’avez vu ?

LA COMTESSE.

Et entendu.

LE VICOMTE, riant.

C’est très amusant, pas vrai ?

PETIT-JEAN, à part.

Il rit jaune.

LA COMTESSE.

Vicomte... renvoyez ce vilain.

LE VICOMTE.

Sors, vilain !...

 

 

Scène III

 

LA COMTESSE, LE VICOMTE

 

LA COMTESSE.

Eh bien !... où en est notre complot ?... marchons-nous ?

LE VICOMTE.

Supérieurement !... la pauvre Marjolaine est aux abois ; je l’ai éblouie... fascinée...

LA COMTESSE.

Je vous avoue que je ne l’aurais pas cru, à voir la façon dont elle vous reçoit.

LE VICOMTE.

Elle m’évite... premier indice de son amour...

LA COMTESSE.

Ah ! oui... c’est le premier indice... et le soufflet... c’est la confirmation.

LE VICOMTE.

Ne riez pas, belle comtesse ; je suis certain de triompher.

LA COMTESSE.

Vous m’aurez rendu un grand service.

LE VICOMTE.

Vous m’avez dit venez !... je suis venu... séduisez !... j’ai séduit. Mais je ne comprends pas encore quel intérêt vous pouvez avoir à la défaite de Marjolaine. Le mot, je vous en prie, le mot de l’énigme ?

LA COMTESSE.

Connaissez-vous mon cousin, le chevalier de Beaugency ?

LE VICOMTE.

Oui, sans doute ; mais de nom seulement.

LA COMTESSE.

C’est comme moi... nous ne nous sommes pas revus depuis l’enfance.

LE VICOMTE.

Il a, dit-on, paru à Versailles deux ou trois fois l’hiver dernier ; mais depuis, il s’est éloigné de l’horizon du beau monde. J’ai entendu dire qu’il voyageait en Allemagne.

LA COMTESSE.

En effet... son père a exigé qu’il quittât la France pendant six mois.

LE VICOMTE.

Pourquoi ?

LA COMTESSE.

En peu de patience... Mon veuvage venait à peine d’expirer, lorsque j’appris que ma famille avait préparé pour moi un mariage avec mon cousin, qui allait quitter le service et revenir à Paris. Je songeai d’abord à me fâcher de cette précipitation ; mais on m’objecta qu’Armand était jeune, aimable... Je me souvins que ses succès à l’armée m’avaient toujours vivement intéressée. Enfin le jour de la présentation était fixé, lorsque... le croiriez-vous ?... son père vint m’annoncer que notre mariage devait être retardé.

LE VICOMTE.

C’est inouï.

LA COMTESSE.

Je crus qu’il était arrivé un malheur à Armand ; je pressai son père de questions, et il finit par m’avouer que son fils était amoureux... mais amoureux fou d’une de ses fermières.

LE VICOMTE.

Allons donc !...

LA COMTESSE.

Qu’il voulait absolument l’épouser...

LE VICOMTE.

Oh ! quelle faute !...

LA COMTESSE.

Et cette fermière... ma rivale, c’est... Marjolaine !

LE VICOMTE.

Marjolaine !... J’espère au moins que monsieur de Beaugency a refusé son consentement ?

LA COMTESSE.

Craignant que cet amour ridicule ne s’accrût par les obstacles, le baron exigea de son fils un voyage de six mois, promettant de se laisser fléchir si cette grande passion survivait à l’absence.

LE VICOMTE.

Excellente idée !... Le chevalier est sans doute guéri ?

LA COMTESSE.

Au contraire ; il a écrit qu’il revenait dans huit jours, et plus amoureux que jamais !

LE VICOMTE.

Oh ! c’est fabuleux !

LA COMTESSE.

Vous comprenez que le dépit, la jalousie durent s’emparer de mon âme... Je voulus voir cette rivale à laquelle j’étais sacrifiée... puis tout à coup, au moment de partir, je songeai que vous pouviez m’être utile... vous que l’on cite à la cour pour vos bonnes fortunes ; il devait vous être facile de triompher d’une petite paysanne... Voilà pourquoi, vicomte, je vous ai prié de m’accompagner ici... il faut qu’à son retour le chevalier de Beaugency trouve ma rivale infidèle...

LE VICOMTE.

Et sa charmante cousine mariée à l’heureux vainqueur de la pauvre Marjolaine !

LA COMTESSE.

Quelle folie !

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, LE VICOMTE, NICOLAS, arrivant du fond avec une faux et un râteau à foin sur l’épaule

 

NICOLAS chante à pleine voix.

Les moutons dans la plaine
Sont en danger du loup.

LE VICOMTE.

C’est cet imbécile de Nicolas.

NICOLAS.

Pardon, excuse, monsieur, madame, d’vous avoir dérangés... c’est que j’avons de la besogne par ici !

LA COMTESSE.

Dieu ! que ce garçon a l’air bête !

NICOLAS, entrant à gauche.

Et vous et vous, ô ma tendre bergère,
Vous ne vivez que de langueur.

LE VICOMTE.

Au revoir, chère comtesse.

Ensemble.

Air du Duc d’Olonne.

Comptez sur moi ! pour vaincre Marjolaine
Un jour suffit !... le succès est certain !
Oui, pour vous plaire, à mon char je l’enchaîne,
Puis à vos pieds je viens mettre ma main.

LA COMTESSE.

Oui, je vous crois, pour vaincre Marjolaine
Un jour suffit... Et grâce à vous enfin,
Dès à présent ma vengeance est certaine,
Je vais punir mon perfide cousin.

 

 

Scène V

 

LA COMTESSE, NICOLAS

 

LA COMTESSE, à elle-même.

Le vicomte est trop sûr de lui !... ça me fait trembler... Cette petite Marjolaine a refusé les offres les plus brillantes... elle a repoussé les hommages du chevalier, si aimable, dit-on, et si spirituel...

NICOLAS, ressortant de la grange et chantant.

Les moutons vivent d’herbe,
Les papillons de fleurs...
Et vous...

Il s’arrête.

LA COMTESSE.

Eh bien !... pourquoi t’arrêter ?

NICOLAS.

Ah ! dam... c’est qu’ vous me regardez.

LA COMTESSE.

Ça t’empêche de chanter ?

NICOLAS.

Ça m’ rend tout bête quand on me regarde.

LA COMTESSE, à part.

Je crois qu’il n’y a pas besoin de ça.

Haut.

Est-ce que les femmes l’effraient, par hasard ?

NICOLAS.

Al n’ m’effraient pas... al m’font peur... et pis ça m’fait un effet tout drôle quand j’ vois leurs p’tits œils qui m’ dévisagent comme v’là vous, madame la comtesse.

LA COMTESSE.

Hein ?... qu’est-ce ?...

NICOLAS.

Ah ! c’est qu’ les vôtres sont encore pus futés qu’ ceux à nos paysannes, donc... et ils sont pus caressants itou... Ah ! qué jolis œils... qué charmants œils !...

LA COMTESSE, souriant.

Il paraît que tu es connaisseur !

NICOLAS, riant bêtement.

Eh ! eh ! eh !... j’ my connaissons un brin !

LA COMTESSE, à part.

Eh ! mais... il me vient une idée.

Haut.

L’ami, ton nom ?

NICOLAS.

Mon p’tit nom ?... Nicolas.

LA COMTESSE.

Écoute, Nicolas, est-il vrai que tous les garçons du village aient été amoureux de Marjolaine ?

NICOLAS.

Ils y ont tous passé à la queue leuleu, comme les moutons... et al leux y a fait la révérence.

LA COMTESSE.

Et tu n’as pas été mieux traité que les autres ?

NICOLAS.

J’y ai tant seul’ment pas dit que j’la trouvais à m’n idée !

LA COMTESSE.

Et pourquoi ça ?

NICOLAS.

J’aurais pas osé, donc.

LA COMTESSE.

Imbécile !

NICOLAS.

Ah ! c’est que la bourgeoise vous, a un p’tit air pas aisé... et pis quand j’la vois, ça m’ chatouille l’cœur... ça m’bat dans la cervelle comme si j’aurais bu un coup d’trop !

LA COMTESSE.

Écoute, Nicolas, veux-tu gagner cent louis ?

NICOLAS.

Et deux cents itou !

LA COMTESSE.

Eh bien ! il faut pour cela que tu fasses la cour à Marjolaine, qu’elle t’aime et que tu l’épouses !

NICOLAS.

Ah ben !... ah ben... comme vous y allez, mane la comtesse !...

LA COMTESSE.

Je te donne huit jours !

NICOLAS.

Ah ! j’ pourrai jamais.

LA COMTESSE.

Et pourquoi donc ? un beau garçon comme toi doit plaire à toutes les femmes...

NICOLAS, d’un air malin.

À toutes, mane la comtesse ?

LA COMTESSE.

À toutes les paysannes, sans doute... D’ailleurs on essaie... pour cent louis...

NICOLAS.

Vous avez dit deux...

LA COMTESSE.

Et s’il le faut, je te donnerai des leçons.

NICOLAS.

Des leçons ?... des leçons pour et’ malin et futai... Ah ! mane la comtesse, sans vous commander... donnez-moi-z’en une toute d’suite...

LA COMTESSE.

Chut !... on vient !... songe à garder le secret !

NICOLAS.

Oh !... Il fait le geste de jurer.

 

 

Scène VI

 

LA COMTESSE, NICOLAS, MARJOLAINE, puis LE VICOMTE, puis PETIT-JEAN, entrant le dernier

 

MARJOLAINE, au fond et s’adressant au vicomte, que l’on ne voit pas encore.

Allons donc, monsieur le vicomte, un peu de courage... nous y voilà.

Entrant.

Vot’servante, mane la comtesse.

LA COMTESSE, d’un ton protecteur.

Bonjour, bonjour petite !

MARJOLAINE, allant vers le fond.

Allons donc, monsieur le vicomte !

LE VICOMTE, entrant et portant une grande terrine pleine de lait.

Me voilà, ma charmante, me voilà.

MARJOLAINE, riant.

Ha ! bal ha ! ha !...

LA COMTESSE.

Que vois-je.

Riant.

Ha ! ha ! ha !

MARJOLAINE.

Comment, vous n’êtes pas plus fort que ça ?...

LE VICOMTE, riant.

Ha ! ha ! ha !... C’est charmant, c’est adorable... Mais voyez... voyez donc... elle me fait porter son lait !

LA COMTESSE.

Le vicomte de Chabanne métamorphosé en laitière... c’est fort plaisant en effet !

MARJOLAINE.

Petit-Jean, débarrasse donc monsieur le vicomte.

PETIT-JEAN, à part, en prenant la terrine.

En v’là un que j’abomine.

LE VICOMTE.

J’en rirai longtemps !

À part.

Ouf ! je suis en nage !

MARJOLAINE.

Et vous, manie la comtesse, vous n’êtes pas tentée d’essayer un peu des travaux de la campagne ?

LA COMTESSE.

Grand merci ! ma mie, je laisse ce plaisir à M. le vicomte... il y met tant de grâce !

LE VICOMTE.

Que voulez-vous ?... ce petit lutin-là me fera faire mille extravagances.

MARJOLAINE.

Ah ! monsieur le vicomte, ça sera bien de l’honneur pour moi !

LE VICOMTE.

Et concevez-vous qu’avec un minois pareil on puisse avoir un cœur de roc ?...

LA COMTESSE.

Expliquez-nous donc ce prodige, Marjolaine.

MARJOLAINE.

Ah ! mon Dieu, mane la comtesse, c’est bien simple... j’ai une mère infirme à soigner... deux petites sœurs à élever... la ferme à conduire !... L’amour, ça me prendrait trop de temps...

Air de la Fille du lac.

Dans les soins du ménage
Je trouve mon plaisir ;
Le matin à l’ouvrage
On me voit accourir ;
Le soir ma bonne mère
M’embrasse, me bénit ;
Et pour moi sur la terre
Un tel bonheur suffit...
Passez sans amours,
Passez, mes beaux jours...
L’amour s’efface.
Et sa trace
Souvent laisse au cœur
Regrets et douleur.
Aimer n’est pas le bonheur !

LE VICOMTE, bas à la Comtesse.

Je la laisse dire, et, sans en avoir l’air, je mine la place.

MARJOLAINE.

Eh bien ! Nicolas... tu restes là les bras croisés ? il n’y a donc rien à faire ici ?

PETIT-JEAN.

Lui !... il bâille aux corneilles.

MARJOLAINE.

Mêle-toi de ton ouvrage, Petit-Jean, et garde tes réflexions pour une autre fois.

PETIT-JEAN.

Oui, la bourgeoise.

Il se retire en montrant le poing à Nicolas.

MARJOLAINE.

Toi, Nicolas, range ces outils, et vivement !... j’aime pas les paresseux.

NICOLAS.

Oui, la bourgeoise.

MARJOLAINE.

Monsieur le vicomte, passez-moi donc c’te botte de foin ?

LE VICOMTE, allant prendre une botte de foin.

Avec plaisir, mon petit ange... voilà...

À la Comtesse.

Hein ? Comme elle fait marcher tous ces imbéciles !...

Il va porter la botte de foin à droite.

LA COMTESSE, bas à Nicolas.

Je vais te laisser avec elle... songe aux cent louis !

NICOLAS.

Vous avez dit deux.

MARJOLAINE.

Manie la comtesse, n’oubliez pas que c’est fête ce soir... on danse sur la grande pelouse, et vous verrez Petit-Jean... c’est un ménétrier qui n’a pas son pareil.

PETIT-JEAN, avec feu.

Ah ! dam !... pour vous faire danser... pour tâcher d’vous plaire... je m’ mettrais dans l’feu !...

MARJOLAINE, à part.

Pauvre garçon !... c’est l’plus bête... Eh bien, c’est p’t-être celui qui m’aime le mieux.

Haut, à Petit-Jean

Allons, va-t’en.

LA COMTESSE.

Air de la Péri.

Avec vous, gentille Marjolaine,
J’irai me distraire ce soir.

MARJOLAINE.

Ah ! du bal c’est vous qui s’rez la reine.

LA COMTESSE.

Adieu, petite, au revoir !

MARJOLAINE.

Des seigneurs daigneront sous l’ombrage
Partager les plaisirs du village ;
Pour nous quell’ faveur !
Mes amis, quel bonheur !
Et surtout quel honneur !
Ah !

Ensemble.

LA COMTESSE et LE VICOMTE.

Avec vous, gentille Marjolaine,
J’irai me distraire ce soir.
Pour vous tous, manants, la bonne aubaine !
Nous daignerons aller vous voir !

MARJOLAINE, NICOLAS, PETIT-JEAN.

Ah ! du bal c’est vous qui s’rez la reine ;
Venez vous distraire ce soir.
Pour nous tous, mes amis, quelle aubaine !
Des seigneurs viendront nous voir !

La Comtesse sort en donnant le bras au Vicomte. Petit-Jean sort parle fond. Nicolas reste sur l’avant-scène, et semble chercher ce qu’il va dire. Marjolaine remet un meuble à sa place.

 

 

Scène VII

 

NICOLAS, MARJOLAINE

 

Nicolas, après avoir regardé si tout le monde est parti, se rapproche de Marjolaine et change tout à coup de langage et de manières.

NICOLAS.

Eh bien, Marjolaine, vous connaissez maintenant ma cousine... beauté, noblesse, fortune... elle a tout pour plaire, et je vous la sacrifie !

MARJOLAINE.

Ah ça, mais, monsieur le chevalier, vous ne l’aviez donc jamais vue ?...

NICOLAS.

Pas depuis son enfance...

MARJOLAINE.

Mais c’est qu’elle est jolie comme un petit cœur... Et puis ces grandes dames vous ont des petites manières de marcher et de vous regarder...

Elle penche sa tête, s’évente avec sa main et fait deux ou trois pas d’un air d’importance comme la marquise.

Bonjour... bonjour, petite...

D’un ton naturel.

Ah ! vrai, vous feriez bien mieux d’être amoureux d’une belle personne comme la comtesse et de vous désenticher d’une paysanne de rien du tout comme vot’servante.

NICOLAS.

Renoncer à toi, Marjolaine !...

MARJOLAINE.

Voyons, monsieur le chevalier, parlons raison un petit instant. Il y a six mois, quand vous êtes venu me supplier de vous prendre à la ferme, j’ai pas osé vous refuser, parce que le fils de not’seigneur... fallait avoir des égards... Et puis vous aviez l’air si malheureux... si amoureux... ça flatte toujours une femme... Enfin, je vous promis le secret, et dès le lendemain Nicolas conduisait la charrue !

NICOLAS.

Et j’espère que je m’en acquittais bien pour un officier de dragons !

MARJOLAINE.

Dieu ! que j’ai ri des fois en vous regardant !

NICOLAS.

Méchante !

MARJOLAINE.

Vous poussiez des soupirs à fendre les pierres... et partout où j’allais, j’étais sûre de vous trouver sur mes talons. Mais tu n’ m’attraperas pas, Nicolas !... que je me chantais tout bas ; Marjolaine ne sera pas si niaise que de t’écouter !... Et puis j’espérais toujours que le temps vous guérirait de votre folie.

NICOLAS.

Eh bien ! tu t’es trompée, Marjolaine, car je t’aime comme le premier jour !

MARJOLAINE, à part.

C’est vrai que le temps n’l’a pas changé.

NICOLAS.

Et toi, tu es restée insensible !

MARJOLAINE.

Oui, parce qu’une pauvre fille comme moi n’est pas faite pour un riche seigneur comme vous... parce que je ne voulais pas qu’il m’arrivât ce qui est arrivé à la pauvre Jeannette.

NICOLAS.

Jeannette ?

MARJOLAINE.

Air : Les yeux d’une mère.

On enviait sa beauté, son bonheur ;
Chacun disait en la voyant si sage :
Oui, c’est vraiment la perle du village ;
Heureux celui qui gagnera son cœur...
Mais, jour fatal pour la pauvrette !
Un beau seigneur vint, hélas ! au pays,
Jura de n’aimer que Jeannette ;
Puis ils partirent pour Paris.
Quant vint l’instant de quitter sa chaumière
Et d’embrasser sa bonne vieille mère,
Elle pleura... pleura pendant un jour...
Puis elle oublia tout... oui, tout, pour son amour !

NICOLAS.

Eh bien ?

MARJOLAINE.

Deuxième couplet.

Deux ans après, sur le bord d’un chemin,
Une femme, un enfant couchés dans la poussière
Mouraient tous deux de froid et de misère ;
Le vieux pasteur les voit, leur tend la main...
Ah ! qu’ai-je vu !... c’est Jeannette... c’est elle !...
Quel changement !... parle donc... dis ?... pourquoi ?...
– Il m’a trompée ! ô douleur éternelle !...
Vite, au hameau, guidez-moi.
Vous vous taisez !... hélas ! dans ma chaumière
Pour me chérir n’aurais-je plus de mère ?
Pleure, enfant, pleure à présent chaque jour,
Car Dieu t’a tout repris, ta mère et ton amour !

NICOLAS.

Mais moi, Marjolaine, je n’ai jamais songé à te tromper, et si tu avais consenti à m’aimer un peu, ce n’est pas ma maîtresse, c’est ma femme que j’aurais conduite à Paris.

MARJOLAINE, émue.

M’épouser !... vous !... Ah !... vous savez bien que c’est impossible... on se moquerait trop de moi et de mes manières à Paris... Tenez, monsieur le chevalier, vous êtes comme tous les autres, vous m’aimez parce que je ne veux aimer personne, et si, quelque jour, je vous disais oui, c’est vous alors qui diriez non !

NICOLAS.

Peux-tu le croire, quand, pour te plaire, je m’expose à devenir la risée de tous mes camarades, si l’on apprend que sous ce costume j’ai passé six mois à soupirer comme un recrue ?

MARJOLAINE.

Bah !... laissez donc, ils en feraient tous autant.

NICOLAS.

Et ce maudit vicomte... quand il me rencontrera... il en fera des gorges chaudes.

MARJOLAINE.

Lui !... soyez donc sans crainte... Et tenez, s’il ne faut que cela pour vous rassurer, je promets qu’avant ce soir il aura fait comme vous.

NICOLAS.

Lui... oh ! tu ne le connais pas.

MARJOLAINE.

Vous m’en défiez... Eh bien ! vous verrez !

NICOLAS, voyant la Comtesse qui paraît au fond et les observe, bas.

Chut !... la comtesse.

MARJOLAINE.

La comtesse !

NICOLAS, haut d’un ton paysan.

La bourgeoise !... si vous vouliez m’aimer tant seulement une miette ?

Bas.

Vite, un bon soufflet.

MARJOLAINE, à part.

Un soufflet !... je n’ose pas.

NICOLAS.

La bourgeoise, je suis comme un gros tas de braise.

Bas.

La voilà, la voilà.

MARJOLAINE, hésitant.

Eh bien...

NICOLAS, bas.

Allons donc... allons donc !

MARJOLAINE.

Tiens, voilà pour te rafraîchir, imbécile.

Elle lui donne un soufflet, puis elle sort.

 

 

Scène VIII

 

NICOLAS, LA COMTESSE

 

NICOLAS.

Oh ! saperlotte ! qué calotte !

LA COMTESSE, s’avançant.

C’est bien fait... tu n’as que ce que tu mérites.

NICOLAS.

C’est qu’al a tapé dru !

LA COMTESSE.

Oh ! que ces gens-là sont donc bornés !

NICOLAS, à part.

Cette chère cousine qui, pour me ramener à elle, veut absolument que j’en épouse une autre...

LA COMTESSE, à part.

Et cependant une paysanne ne devrait pas être si difficile... car enfin, malgré sa gaucherie, ce rustre n’est vraiment pas mal... Oui, mais c’est bête !...

NICOLAS, qui a entendu.

Ah ! oui, pour ce qui est de ça, oui... Je le suis fièrement, allez... on pourrait p’t-être en trouver des plus malins, mais des plus bêtas que moi, jamais.

LA COMTESSE, l’imitant.

Des plus bêtas, jamais !

NICOLAS.

Jamais !... jamais !

LA COMTESSE, à part.

Dégourdissez donc un sauvage pareil !

NICOLAS, à part.

Si elle se doutait...

Il rencontre le regard de la Comtesse, il baisse aussitôt les yeux et roule son bonnet entre ses doigts.

LA COMTESSE, lui faisant signe d’approcher.

Allons, arrive ici... Tu n’as donc jamais aimé ?... Tu ne l’as donc jamais dit à personne ?...

NICOLAS.

Bédame... non...

LA COMTESSE.

Si tu es de cette force-là, tu ne réussiras jamais auprès de Marjolaine.

NICOLAS.

Mame la comtesse m’avait promis de me donner un p’tit coup de fion...

LA COMTESSE.

Tu auras peut-être encore peur !

NICOLAS.

Avec vous ?... j’crois qu’ non !

LA COMTESSE.

Je te remercie de la préférence ! Enfin !... voyons... Figure-toi que je suis une simple paysanne et que lu m’aimes ?...

NICOLAS.

Il faut que j’vous aime ?

LA COMTESSE.

Oui... un instant.

NICOLAS.

J’aimerais mieux toujours !

LA COMTESSE.

Eh mais, pas mal, vraiment... c’est presque de la galanterie. Allons, continue. Tu me rencontres... ici, par exemple... dans la ferme...

NICOLAS.

J’aimerais mieux dans le bocage, c’est pus solitaire.

LA COMTESSE.

N’importe !... Tu t’approches...

NICOLAS.

Pus près que ça ?

LA COMTESSE.

Mais non... Tu t’approches convenablement, et tu me dis...

NICOLAS.

Mame la comtesse.

LA COMTESSE.

Imbécile !... Puisque je suis une paysanne...

NICOLAS.

Ah ! tiens... c’est vrai... alors... Javotte !

LA COMTESSE.

Mais oui, va donc !

NICOLAS.

Belle Javotte !

LA COMTESSE, jouant la paysanne.

Monsieur Nicolas.

NICOLAS, riant bêtement.

Eh ! eh ! ça va bien ?

LA COMTESSE.

Pas mal... et vous, monsieur Nicolas ?

NICOLAS.

Vous êtes ben honnête, mamzelle Javotte... Eh ! eh !... qué jolie petite tournure que vous avez donc, manuelle Javotte !

LA COMTESSE, l’encourageant.

C’est ça... continue !...

NICOLAS.

Et c’t amour de p’tit pied donc... c’est comme l’pied d’une biche... Oh ! la bourgeoise l’a ben gentil, mais vous l’avez mieux qu’elle...

À part.

C’est vrai elle l’a mieux qu’elle.

Haut.

Mamzelle Javotte ?...

LA COMTESSE.

Monsieur Nicolas !

NICOLAS.

Êtes-vous comme moi, vous ?

LA COMTESSE.

Dam... comment que vous êtes ?

NICOLAS.

Quand j’sis près de vous, ça m’bat, ça m’bat... ça vous bat-y, à vous ?

LA COMTESSE.

Je n’sais pas si je dois vous le dire, monsieur Nicolas.

NICOLAS.

Eh ! ben, n’ me 1’dites pas... mais laissez-moi y voir !

Il lui met doucement la main sur le cœur.

Oh ! ça bat !... ça bat !

LA COMTESSE, à part, en se reculant.

Du tout ! du tout !

À part.

C’est peut-être vrai !... Ce que c’est que de baisser les yeux ! on ne voit plus à qui l’on a affaire !

NICOLAS.

Est-ce que je vous aurais offensée, mame la comtesse ?

LA COMTESSE.

Non, mon garçon ; au contraire... je vois avec plaisir que tu te formes.

NICOLAS.

Vrai ?... ça vient ?

LA COMTESSE.

Mais oui...

NICOLAS.

C’est la leçon, mane la comtesse, c’est la leçon...

LA COMTESSE.

Et si tu avais parlé à Marjolaine aussi bien qu’à Javotte...

NICOLAS, vivement.

Ô Dieu !

LA COMTESSE.

Quoi donc ?

NICOLAS.

C’est des idées, des belles phrases qui me poussent, que pas une femme n’ pourrait y résister.

LA COMTESSE.

Eh ! je suis curieuse de les entendre.

NICOLAS.

C’est que j’oserais pas les dire à mane la comtesse.

LA COMTESSE.

Et à Javotte ?

NICOLAS.

Oh ! j’y dirais... Javotte !... t’as des belles petites mains blanches comme les saintes dans les tableaux... T’as des grands yeux qui reluisent comme des étoiles...

À part.

Une main délicieuse... Des yeux ravissants... Et j’ai refusé tout cela !...

Haut.

Oh !... n’ sois pas méchante... Javotte... regarde-moi, rien qu’un petit peu, Javotte... Oh ! Javotte !... Javotte !...

Changeant de ton.

Faudrait me r’garder... mane la comtesse ; sans quoi, bonsoir mon éloquence.

LA COMTESSE, à part.

Au fait, puisque j’ai commencé...

Elle le regarde tendrement.

Est-ce bien ?

NICOLAS.

Mazette !...

Air du Baiser de la promise.

Je m’ sens inspiré !...

LA COMTESSE.

Laissez-moi, j’vous l’ordonne !

NICOLAS.

Si t’as un p’tit cou si blanc, si rondelet,
C’est pas pour des prun’s, ma Javotte, ma mignonne,
C’est pour qu’on l’embrass’.

LA COMTESSE, à part.

Comment ! il oserait !

NICOLAS.

Bah ! rien qu’un baiser, ça n’ fait d’mal à personne,
Et tu ne sais pas tout l’ plaisir que ça fait !...

LA COMTESSE.

Ce baiser, Nicolas,
Crois en ma parole,
Ce baiser tu l’auras
Quand tu m’attrap’ras.

Elle va pour s’éloigner.

NICOLAS, la saisissant par le bras.

Ce baiser n’ le r’fus’ pas,
Ou sans ça je l’ vole ;
Ce baiser n’ le r’fus’ pas
Au pauv’ Nicolas !

Il veut l’embrasser.

LA COMTESSE, se fâchant.

Nicolas !

NICOLAS, l’embrassant.

Ça y est !... ça y est ?... Oh ! qu’ c’est bon !

LA COMTESSE.

Insolent !

NICOLAS, à genoux.

Oh ! pardon... mane la comtesse ! J’ai cru que c’était Javotte.

LA COMTESSE.

C’est juste.

 

 

Scène IX

 

NICOLAS, LA COMTESSE, LE VICOMTE

 

LE VICOMTE.

Oh ! qu’est-ce que je vois !... Ce rustre aux genoux de la comtesse !... Il faut que je châtie le manant...

LA COMTESSE, troublée.

Arrêtez, mon cher vicomte ; c’est une leçon que je donnai à Nicolas... Oui, comme je me méfie beaucoup de votre succès auprès de Marjolaine, je forme un autre ennemi pour attaquer la petite... et prenez garde, je le crois plus dangereux que vous.

LE VICOMTE.

Allons donc, belle comtesse, vous voulez rire...

NICOLAS, à part.

Mais c’est qu’elle est ravissante ma cousine, et c’est pour Marjolaine, pour Marjolaine, qui me repousse, que je la dédaignais !

MARJOLAINE, en dehors.

Dépêche-toi, Petit-Jean !... Tu n’auras jamais fini pour l’heure de la danse.

PETIT-JEAN.

Oui, la bourgeoise.

LE VICOMTE.

C’est elle !... Ah ! palsembleu !... Je vais employer les grands moyens ! Oui, je me sens en verve... et pour obtenir une faveur décisive je ne demande qu’un simple quart d’heure !...

À part.

La Guimard m’avait appelé monstre au bout de dix minutes !

LA COMTESSE.

Enfin !... sur les deux, il y en aura peut-être un.

Ensemble.

Air : Quadrille de Musard.

LE VICOMTE.

Oui, ne craignez rien,
Il sera facile
De réussir, tout ira bien !
À l’instant je veux,
Séducteur habile,
Triompher et combler vos vœux !

LA COMTESSE.

Non, je ne crains rien,
Vous êtes habile,
Et, je vous crois, tout ira bien !

À part.

Et pour l’un des deux
Il sera facile
De combler ici tous mes vœux !

NICOLAS, à part.

Non, je ne crains rien,
Il sera facile
De l’emporter... tout ira bien !
Tu te crois heureux,
Séducteur habile !
Mais, gare à toi, nous sommes deux !

Pendant l’ensemble, le Vicomte conduit la Comtesse jusqu’à la porte.

LE VICOMTE, à Nicolas.

Va-t’en donc, animal !

NICOLAS, à part.

Je saurai ce que tu vas lui dire.

Il se dirige vers le fond.

LE VICOMTE.

À la porte, paysan ! à la porte !

Nicolas disparaît.

 

 

Scène X

 

LE VICOMTE, MARJOLAINE

 

MARJOLAINE, à elle-même, pendant que le Vicomte l’admire.

Sa femme ! Je pourrais être sa femme... il l’a dit !... non !... non... c’est une folie... et il faut l’oublier !

LE VICOMTE, s’approchant et lui prenant la taille.

Eh bien !...

MARJOLAINE, surprise.

Ah !

LE VICOMTE.

À quoi penses-tu donc, friponne ?

MARJOLAINE.

Mais dam... peut-être bien à vous, monsieur le vicomte !...

LE VICOMTE.

Si je le croyais, je tomberais à tes pieds pour ne plus me relever.

MARJOLAINE.

Ça serait trop fatigant, vous n’pourriez pas y tenir.

LE VICOMTE.

Foi de gentilhomme, si tu le veux, dès ce soir je t’emmène à Paris.

MARJOLAINE.

À Paris !...

À part.

Et lui aussi !

LE VICOMTE.

Je t’installe dans un riche hôtel ; tu auras des laquais, des voitures, de magnifiques toilettes ; puis, je te donnerai des maîtres de musique et de danse, et je suis certain qu’en moins de quelques mois tu serais présentable dans le monde, où chacun t’entourerait d’hommages.

MARJOLAINE, vivement.

Comment !... vous croyez qu’une simple paysanne comme moi pourrait...

LE VICOMTE.

Eh parbleu !... je connais plus d’une grande dame qui est partie de plus bas... La duchesse d’Elbée, par exemple, était fille de ferme... son mari l’a formée, et maintenant c’est l’idole de Paris.

MARJOLAINE.

Mais alors, moi aussi je pourrais espérer tout cela, aimée d’un gentilhomme jeune, aimable, spirituel...

LE VICOMTE, flatté.

Ah ! Marjolaine...

MARJOLAINE.

Mon seul vœu, mon seul désir serait de me rendre digne de lui ; je travaillerais pour qu’il ne rougît pas de moi ; je travaillerais pour lui plaire... et je sens là que je réussirais !

LE VICOMTE.

Ah ! Marjolaine !... Marjolaine !...

À part.

Comme ça marche !... et je parie qu’il n’y a pas cinq minutes !...

MARJOLAINE, apercevant le chevalier, à part.

Le chevalier !... Souvenons-nous de ma promesse.

LE VICOMTE.

Eh bien... tu ne me réponds pas ?

MARJOLAINE.

Dam... je ne suis toujours qu’une paysanne, moi ; et vos beaux habits me font peur... car ce qu’il nous faut, à nous... c’est un amoureux sans façon, qui, les jours de fête, nous fasse sauter sur l’herbe... tant pis si on tombe.

LE VICOMTE.

Eh bien... si ce soir je me mettais à ton niveau... si je te faisais sauter sur l’herbe ?

MARJOLAINE.

Mais comme vous voilà !... laissez donc !

LE VICOMTE.

Si je m’enpaysannais ?

MARJOLAINE, à part.

Il y vient !

Haut.

Ah ! dam... alors...

Elle aperçoit Nicolas qui paraît au fond, et qui l’encourage du geste.

Mais vous n’oseriez pas !...

LE VICOMTE.

J’oserai, palsembleu... j’oserai... mais à une condition : c’est qu’avant la danse tu m’accorderas un petit rendez-vous... en tapinois...

MARJOLAINE.

Ah ! monsieur le vicomte...

LE VICOMTE.

Dans un quart d’heure, à la brune, j’irai t’attendre sous les grands marronniers au bout de l’avenue... Tu viendras, n’est-ce pas ?

MARJOLAINE.

Ah ! dam... je ne dis ni oui, ni non... mais je vas me préparer.

LE VICOMTE, à part.

Et moi je vais m’encanailler.

Apercevant Nicolas, qui redescend la scène.

Eh ! parbleu !... voilà mon affaire... Approche ici, Nicolas ; tu vas me prêter tes habits.

MARJOLAINE, ôtant son tablier de ferme.

Hein ? comment ?...

NICOLAS.

M’s habits, à moi ?... Faites excuse... j’n’avons que ceux-là.

LE VICOMTE.

Ah ! diable !

NICOLAS.

Faudrait donc alors qu’ monsieur le vicomte me prêtît les siens.

LE VICOMTE, riant.

Pouf !... toi en gentilhomme ?...

MARJOLAINE, de même.

Lui !... en gentilhomme ?... Ah ! par exemple !... je voudrais voir ça.

Elle prend dans une armoire un tablier de soie, et elle le met.

LE VICOMTE.

Eh bien !... va comme il est dit !... j’y consens.

NICOLAS, à part.

Au fait... je ne serais pas fâché que la comtesse...

LE VICOMTE, regardant Marjolaine, et à lui-même.

Ce malheureux chevalier !... il soupire six mois, tandis que, en un jour, je lui enlève sa maîtresse et j’épouse sa prétendue.

NICOLAS, qui a prêté l’oreille.

Hein !... l’épouser ?... ma jolie cousine !... Oh ! c’est ce que nous verrons.

 

 

Scène XI

 

LE VICOMTE, MARJOLAINE, PETIT-JEAN, entrant par le fond avec une musette sous le bras, et jouant la fin d’un air de danse villageoise

 

PETIT-JEAN.

Venez-vous t’y à la danse, la bourgeoise ?

MARJOLAINE.

Va toujours, Petit-Jean... je te rejoindrai.

NICOLAS, tirant Petit-Jean à part.

Va toujou, va toujou, mon bonhomme...

Bas.

Elle a ben un aut’ cavalier qu’ toi !

PETIT-JEAN, de même.

Un autre ?

NICOLAS.

Et qu’a z’un rendez-vous.

PETIT-JEAN.

C’est pas vrai !

NICOLAS.

Si tu veux en être sùr, va l’ guetter sous les grands marronniers... tout à l’heure, à la brune, il y sera.

PETIT-JEAN.

Qui donc qu’c’est ?

NICOLAS.

Connais-tu c’te grande veste et c’grand chapiau ?...

PETIT-JEAN.

Ça s’rait toi ?

NICOLAS, d’un air malin.

J’ai pas dit ça !

PETIT-JEAN.

Oui, que j’y vas aller... mais je vas prendre par là queuqu’chose... et si t’en approche... va, sous les marronniers !... je ne te perds pas de l’œil !

Il fait un geste qui indique le moulinet d’un bâton.

NICOLAS, à part.

C’est bien là-dessus que je comptais.

LE VICOMTE.

Eh bien ! Nicolas ?

NICOLAS.

Me v’là, monsieur le vicomte !...

Bas.

Je n’ demandons pas mieux que d’troquer d’habit avec vous !...

Ensemble.

Air de la Péri. (Valse.)

LE VICOMTE.

Prudence,
Silence !...
De ton petit cœur,
Ma belle,
Cruelle,
Je serai vainqueur !

NICOLAS, à part.

Prudence !
La chance
Tourne en ma faveur...
Ta belle,
Cruelle,
Gardera son cœur !

MARJOLAINE.

Prudence,
Silence !
Mon noble seigneur !

À part.

Ta belle,
Cruelle,
Gardera son cœur !

PETIT-JEAN, à part.

Prudence,
Silence !
Et si le bonheur
T’appelle
Près d’elle,
Je fais un malheur !

Le Vicomte entre à gauche, Nicolas après lui. Petit-Jean entre dans la grange. Au même instant la Comtesse sort de chez elle.

 

 

Scène XII

 

LA COMTESSE, MARJOLAINE

 

LA COMTESSE.

Comme te voilà parée, petite ! tu vas à la danse ?

MARJOLAINE.

Oui, madame la comtesse ; mais avant, je suis bien aise de vous voir... j’ voudrais vous demander un conseil.

LA COMTESSE.

Si je puis t’en donner un bon, compte sur moi.

MARJOLAINE.

C’est-y vrai, madame la comtesse, qu’il y a à Paris une grande dame qui, avant d’être duchesse, aurait été tout bonnement une paysanne ?...

LA COMTESSE.

Ah ! la duchesse d’Elbée ?... c’était une fille de ferme.

MARJOLAINE.

Et c’est-y vrai aussi qu’elle est maintenant ben éduquée ; qu’elle a pris les manières du beau monde, si bien qu’on ne se douterait pas d’où elle vient ?

LA COMTESSE, à part.

Elle pense au chevalier.

Haut.

Ma chère, une paysanne est toujours une paysanne, même quand elle cache sa cornette sous une couronne de duchesse.

MARJOLAINE.

Ah ! vous croyez ?...

LA COMTESSE.

Sois franche, petite... tu rêves un brillant mariage... c’est un tort... et puisque tu voulais me demander un conseil, je te donnerai celui d’oublier le chevalier de Beaugency... Tu es gentille... il a pu, un instant, vouloir t’épouser... mais il a renoncé à cette folie.

MARJOLAINE, troublée.

Il vous l’a dit ?...

LA COMTESSE.

Tu sais bien qu’il voyage... qu’il est en Allemagne... Il me l’a écrit !...

MARJOLAINE, se remettant.

Ah ! il vous l’a écrit ?

LA COMTESSE.

Oui.

MARJOLAINE.

Écrit d’Allemagne ?

LA COMTESSE.

En m’annonçant aussi son prochain retour...

MARJOLAINE.

Et il revient bientôt ?

LA COMTESSE.

Oui, mon enfant ; il faut être raisonnable.

MARJOLAINE.

Oh !... j’me consolerai facilement... et je vous remercie bien de vos bons conseils... j’en profiterai... la preuve c’est que j’vas aller à la danse.

LA COMTESSE.

Le vicomte ne doit-il pas s’y trouver ?

MARJOLAINE.

Le vicomte ?... Mais entre nous, tout grand seigneur qu’il est... je me moque un peu de lui.

LA COMTESSE, avec hauteur.

Comment !...

MARJOLAINE.

Hélas ! oui, madame la comtesse ; on se moque quelquefois des grands seigneurs... et celui que je vais rejoindre c’est... c’est... Nicolas.

LA COMTESSE.

Ah ! Nicolas... un de tes amoureux... un beau garçon ?...

MARJOLAINE.

N’est-ce pas ?... il est très bien !... et les bons conseils que madame la comtesse m’a donnés me décident tout à fait en faveur de Nicolas. Y aurait pas de mal à écouler celui-là... pas vrai, madame la comtesse ?...

LA COMTESSE.

Au contraire... je t’y engage beaucoup, ma chère Marjolaine ; et si tu l’épouses... je me chargerai de la dot avec grand plaisir...

MARJOLAINE.

Ah ! que vous êtes bonne !... Eh bien, madame la comtesse, je crois que je l’épouserais quand ça ne serait que pour vous plaire... Au revoir, madame la comtesse... je vas retrouver Nicolas...

Elle sort par le fond.

 

 

Scène XIII

 

LA COMTESSE, puis LE VICOMTE

 

LA COMTESSE.

Ah ! enfin, j’ai réussi !... c’est Nicolas qu’elle épousera... Nicolas, un

beau garçon, vraiment ; et cette petite sotte n’est pas à plaindre.

La nuit arrive au fond. Le Vicomte, en paysan, entre mystérieusement par la gauche.

LE VICOMTE.

Voici l’heure du berger... Ah ! la comtesse...

LA COMTESSE.

Que vois-je !...

LE VICOMTE.

Chut !... je cours où le bonheur m’attend... j’ai un rendez-vous... la comtesse, riant. Et c’est pour y aller !... Il ne fallait pas vous donner tant de peine... Marjolaine se moque de vous.

LE VICOMTE.

Allons donc !... Si vous saviez à qui elle me préfère... si vous saviez quel est ce Nicolas...

LA COMTESSE.

Nicolas... mais c’est lui qu’elle aime, au contraire... et la preuve c’est qu’elle doit l’épouser.

LE VICOMTE.

L’épouser !...

LA COMTESSE.

Et c’est moi qui ai su arranger ce mariage.

LE VICOMTE.

Vous ?...

LA COMTESSE.

Pour l’enlever à jamais au chevalier.

LE VICOMTE.

Et vous avez joliment réussi ! Tenez... lisez les lettres contenues dans ce portefeuille.

LA COMTESSE.

Ce portefeuille...

LE VICOMTE.

Je l’ai trouvé dans cette poche, en changeant d’habits avec Nicolas... ce Nicolas dont vous voulez faire le mari de Marjolaine !... Heureusement pour vous que je suis là... et que je cours à mon rendez-vous... car je ne désespère pas, comtesse... en amour je ne désespère jamais !

Il enfonce son chapeau sur ses yeux, puis il sort par le fond. Aussitôt Petit-Jean, un bâton à la main sort de la grange et suit à pas de loup les traces du Vicomte. La Comtesse sur l’avant-scène, ouvre le portefeuille et regarde les papiers qu’il contient.

 

 

Scène XIV

 

LA COMTESSE, seule, et dans la plus vive agitation

 

Le chevalier !... c’était le chevalier !... Ah ! j’étouffe !... Ainsi, quand j’enseignais à Nicolas les moyens de plaire... quand j’engageais Marjolaine à écouter l’amour de ce paysan... j’étais leur dupe à tous les deux !... Ah ! quelle école !... quelle école !... Non... non... je ne resterai pas dans cette ferme un instant de plus... je ne donnerai pas an chevalier le plaisir de...

Elle aperçoit Nicolas qui entre.

Ciel !... c’est lui !... il a repris des habits de gentilhomme !... je tiens ma vengeance.

Elle cache le portefeuille et redescend sur l’avant-scène.

 

 

Scène XV

 

LA COMTESSE, NICOLAS, avec les habits du Vicomte

 

NICOLAS, à part.

La voilà !... Puisque Nicolas n’avait pas déplu à la comtesse, espérons que le chevalier...

LA COMTESSE, à part, le regardant du coin de l’œil.

Mais c’est qu’il est très bien ainsi.

NICOLAS, à part.

Approchons.

Haut.

Madame la comtesse...

LA COMTESSE, affectant de ne pas le regarder.

Hein ? qui est là ?

NICOLAS.

C’est moi, madame la comtesse.

LA COMTESSE, jouant avec son éventail.

Ah ! c’est toi, Nicolas ? Eh bien, où en es-tu de ta conquête ?

NICOLAS.

Ma conquête, madame la comtesse ?

LA COMTESSE.

Oui ; la petite Marjolaine se laisse-t-elle enfin toucher, et gagneras-tu mes cent louis ?

NICOLAS.

Vos cent louis ?

LA COMTESSE, avec moquerie.

J’avais dit deux cents, je crois.

NICOLAS.

J’avoue que maintenant je ne songe plus guère à cette petite...

LA COMTESSE.

Hein ?...

NICOLAS.

Et quant à vos cent louis, je les donnerais volontiers avec tout l’or du monde pour un sourire, pour un regard d’une autre personne...

LA COMTESSE.

Eh mais c’est fort joli ce que tu me dis là, Nicolas.

NICOLAS, à part.

Nicolas... Nicolas... Est-ce que décidément elle ne va pas me regarder ?

Haut.

Madame la comtesse... vous seriez peut-être moins étonnée de mes paroles si vous daigniez jeter les yeux de mon côté...

LA COMTESSE.

Comment !...

Elle le regarde et se met à rire.

Ah ! mon Dieu !... Ha ! ha ! ha !

NICOLAS, à part.

Hein !... elle rit.

LA COMTESSE, riant.

Mon pauvre Nicolas... Ha ! ha ! ha ! Mais qui donc, qui donc, t’a affublé de la sorte ?

NICOLAS.

Affublé ?... Il me semblait, madame, que je pourrais comme un autre porter cet habit et sans qu’on s’étonnât beaucoup de cette métamorphose.

LA COMTESSE, riant.

Mé... ta... morphose. Et le langage... le langage aussi ! c’est adorable !... Mais va, crois-moi, mon ami, reste ce que tu étais, reprends ta veste, tes sabots ; avec ça du moins tu ne sembleras pas gauche, embarrassé.

NICOLAS.

Gauche... embarrassé !...

LA COMTESSE.

Tu étais là-dedans comme chez toi, tandis que sous ce costume...

NICOLAS.

Ce costume, belle dame, on a trouvé quelquefois que je le portais aussi bien qu’un autre, et personne n’a jamais pensé que le chevalier de Beaugency...

LA COMTESSE.

Ah ! le chevalier !... Bon ! bon !... J’y suis... je comprends tout !

NICOLAS.

Ah ! enfin !...

LA COMTESSE.

C’est le chevalier...

NICOLAS.

Oui, madame...

LA COMTESSE.

C’est mon cousin...

NICOLAS.

Oui, madame...

LA COMTESSE.

Qui t’a appris ces belles phrases, quand il demeurait ici.

NICOLAS.

Plaît-il ?

LA COMTESSE.

C’est lui qui t’a habitué à porter ce vêtement.

NICOLAS.

Mais, madame...

LA COMTESSE.

Mais il aurait dû te dire que le chapeau se lance gracieusement sous le bras et ne se jette pas comme tu viens de le faire...

NICOLAS.

Eh ! madame !...

LA COMTESSE.

Il aurait dû t’apprendre que le jabot se froisse légèrement du bout des doigts et ne se déchire pas comme tu le fais en ce moment.

NICOLAS.

Mais, au nom du ciel ! madame...

LA COMTESSE.

Allons, allons, ne le fâche pas, Nicolas... Monsieur le chevalier le corrigera bien vite de ces petits défauts, lui, si aimable et si brillant... il t’apprendra à plaire, à séduire... lui qui dédaigne la tendresse d’une parente, lui qui n’a pas craint, par un refus honteux, de déchirer le cœur de son amie d’enfance.

NICOLAS, à part.

Que dit-elle ?

LA COMTESSE.

Et en échange de ces bons conseils, tu lui en donneras un autre... tu lui diras de se montrer plus prudent et plus sage... et quand il veut garder l’incognito, de ne pas laisser ses papiers et son nom dans la veste dont il se défait !

Elle les lui montre.

NICOLAS.

Mes papiers !... mes tablettes ! ah !... Je vois... je comprends... Vous saviez...

LA COMTESSE.

Je savais, chevalier, votre amour pour Marjolaine...

NICOLAS.

Mon amour !... Dites ma folie... car je ne vous avais pas vue, vous, que je voulais fuir... car je ne vous connaissais pas, vous, dont j’admire à présent l’esprit et la grâce... vous, que je jure d’adorer toute ma vie...

Il tombe à ses genoux.

LA COMTESSE.

Allons donc, chevalier, il était écrit que vous y tomberiez deux fois aujourd’hui !

 

 

Scène XVI

 

LA COMTESSE, NICOLAS, MARJOLAINE, paraissant au fond

 

MARJOLAINE.

Que vois-je ?... Lui !... aux genoux de la comtesse ! Nicolas, se relevant. Marjolaine !

MARJOLAINE, s’avançant entre eux.

Oh ! ne vous éloignez pas, monsieur le chevalier... je vous le disais bien : si j’avais été assez folle pour accepter vos offres... c’est vous à votre tour qui m’auriez refusée.

LA COMTESSE.

Comment !... Tu ne l’aimais donc pas !

MARJOLAINE.

Moi, madame !... Non... non... heureusement, car si j’avais cru à ses paroles d’amour, si je l’avais aimé, que resterait-il à présent à la pauvre Marjolaine ?... des regrets, de la douleur et des larmes ! LA COMTESSE, à Nicolas.

Marjolaine !

MARJOLAINE, avec gaieté.

Mais rassurez-vous, monsieur le chevalier.

Air de la Fille du Lac.

Retournez à la ville,
Et moi je resterai ;
Sous mon chaume tranquille
Heureuse je vivrai,
Quand une douce chaîne
Tous deux vous unira,
En secret Marjolaine
Ici répétera :
Passez, mes beaux jours,
Passez sans amours.
L’amour s’efface.
Et sa trace
Souvent laisse au cœur
Regrets et douleur.
Aimer n’est pas le bonheur !

 

 

Scène XVII

 

LA COMTESSE, NICOLAS, MARJOLAINE, LE VICOMTE, PETIT-JEAN

 

LE VICOMTE, descendant à toutes jambes la petite montagne et suivi à trois pas de distance par Petit-Jean.

Au secours !... sauvez-moi de cet enragé !

PETIT-JEAN.

Ah ! tu auras beau courir...

LA COMTESSE, au chevalier.

Qu’est-ce donc ? Qu’y a-t-il ?

NICOLAS.

Ce n’est rien, je sais ce que c’est.

PETIT-JEAN, s’arrêtant tout court en reconnaissant le vicomte.

Ah ! monsieur le vicomte... je croyais que c’était Nicolas.

LE VICOMTE.

Eh ! drôle !... quand c’eût été Nicolas, il ne fallait pas taper si fort !

LA COMTESSE.

Mais enfin ? pourquoi cette colère... cette querelle ?...

PETIT-JEAN.

C’est c’ grand coquin d’Nicolas qui m’avait dit qu’il avait un rendez-vous d’amour avec la bourgeoise... et dam, moi... qui l’aime tant... et si fort...

MARJOLAINE, à part.

Pauvre garçon !

LE VICOMTE.

Ah ! tu as eu l’audace d’aimer... tu iras te guérir de cette passion en prison.

MARJOLAINE, à part.

En prison !... Et c’est son amour pour moi qui serait cause...

Haut.

Soyez généreux, monseigneur... Voilà Nicolas qui nous quitte, vous suivrez sans doute madame la comtesse... et de tous mes adorateurs, il ne me restera plus que Petit-Jean.

LE VICOMTE.

Oh ! quant à lui...

MARJOLAINE.

Ne le faites pas enfermer, monsieur le vicomte, c’est tout ce qu’il me reste pour en faire un mari.

TOUS.

Hein ?... son mari !

PETIT-JEAN.

Son mari !... moi !...

LE VICOMTE.

Son mari !... Comment ! moi vicomte de Chabanne... j’aurais été le jouet...

NICOLAS.

Allons, vicomte, c’est sur moi seul que votre colère doit tomber... car c’est moi qui ai mis Petit-Jean sur vos traces on lui laissant ignorer notre substitution.

LE VICOMTE.

Eh bien, alors, monsieur le chevalier, vous me rendrez raison...

LA COMTESSE.

Ah ! vicomte... vous ne voudriez pas tuer ce pauvre Nicolas... car c’est tout ce qui me reste pour en faire un mari.

CHŒUR.

Ici-bas le plus sage
Est l’homme plein d’ardeur,
Qui sait dans le voyage
Saisir le bonheur !

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