Mademoiselle Hamilton (Thomas SAUVAGE - Jean-Henri DUPIN)

Comédie en un acte et en vaudevilles.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 5 juillet 1817.

 

Personnages

 

LE CHEVALIER DE GRAMMONT

LE COMTE DEBUSSY-RABUTIN

MADEMOISELLE HAMILTON, amante du Chevalier

TERMES, valet du Chevalier

DAVID, aubergiste

NICETTE, sa fille

LEDOUX, caporal du Guet

CHŒUR DE CURIEUX

CHŒUR DE SOLDATS

 

La Scène est d Paris, chez David.

 

Le Théâtre représente une salle commune de l’auberge ; des Portes de chaque côté et au fond.

 

 

Scène première

 

TERMES, CHŒUR DE CURIEUX

 

CHŒUR.

Air du vaudeville de la Chaumière moscovite.

Quel doux espoir !
Nous allons voir
Dans un moment paraître
Ce grand devin
Dont l’art certain
Dévoile le destin !

TERMES.

Devant vos yeux, jamais, peut-être,
Rien d’aussi grand ne s’est offert.
Messieurs, apprenez que mon maître
Est petit-fils du grand Albert !

CHŒUR, parlé

Du grand Albert !

Quel doux’ espoir ! etc.

TERMES.

Oui, Messieurs, je ne crains pas de vous le dire, mon maître est un véritable puits de science, un abîme de connaissance ; il arrive d’Angleterre, et apporte des secrets merveilleux pour tout.

Air : Le curé de Pomponne.

Oui, sa renommée, à présent,
De bouche en bouche vole.
Qui douterait de son talent ?
À l’époux bénévole
Il dit ce qu’il arrivera,
Si sa femme est jolie...
J’espère que voilà,
Lalira,
De la sorcellerie !

CHŒUR.

J’espère que voilà,
Lalira,
De la sorcellerie !

TERMES.

Même air.

Lorsque, dans un moment d’erreur,
Jeune fille, en cachette,
Prêta l’oreille au séducteur,
Il dit à la pauvrette :
Avant un an chacun saura
Votre secret, ma mie !...
J’espère que voilà,
Lalira,
De la sorcellerie !

CHŒUR.

J’espère, etc.

UN CURIEUX.

Allons-nous le voir bientôt ?

TERMES, à part.

Air : La signora malade.

Mon maître dort, je pense ;
Éloignons ces gens-là.

Haut et ouvrant la porte de Grammont.

Chut ! qu’on fasse silence.
C’est bien lui ; le voilà !
Qui, je l’entends, notre sorcier
Parle à son démon familier...
De tout mon corps je tremble...
Ah ! laissons-les ensemble.
Partez, partez soudain,
Et revenez demain.

LE CHŒUR, se retirant.

Partons, partons soudain,
Et revenons demain.

 

 

Scène II

 

TERMES, seul

 

Les voilà partis !... Ah ! Monsieur le chevalier de Grammont, mon cher maître, j’attends aujourd’hui une visite qui vous fera, je crois, plus de plaisir... Mais le voici.

 

 

Scène III

 

GRAMMONT, TERMES

 

GRAMMONT, une baguette à la main, une robe d’astrologue entr’ouverte, barbe postiche.

Air : Ah ! qu’il est doux de vendanger.

La baguette est un talisman
D’un effet surprenant ;
Plus d’un époux contrarié,
Usant de la recette,
Fait taire sa moitié
D’un seul coup de baguette.

Même air.

L’amour, que l’on dit enfant,
Lui doit tout son talent,
Et ce petit sorcier, vraiment,
Près de jeune fillette,
Fait bien du changement
D’un seul coup de baguette.

Quel était ce bruit que j’entendais ?

TERMES.

Monsieur le chevalier, ce sont les curieux que votre réputation attire.

GRAMMONT.

Je m’en étais douté ; aussi j’avais revêtu le costume ; mais il paraît que tu m’en as débarrassé... Eh bien ! Termes, que dis-tu de la nouvelle condition ?

TERMES.

Air : Vaudeville de Jadis et Aujourd’hui.

Servir un astrologue habile,
Un maître qui lit dans les yeux,
Pour un valet à main subtile,
Le poste paraît périlleux ;
Mais je reprends un peu courage ;
Car mon maître, pour étonner,
À tous les talents eu partage
Excepté l’art de deviner.

Ce qui me console un peu dans notre infortune, c’est la petite Nicette, la fille de notre aubergiste... Vous conviendrez pourtant qu’il est fort désagréable de se cacher ainsi...

GRAMMONT.

N’y suis je pas forcé ?... Madame de Saint Chaumont, ma très chère sœur, sur un mot du Roi, qu’elle interprète mal, s’imagine que j’ai ma grâce ; dans l’espoir de revoir ma patrie, je quitte Londres, j’abandonne l’aimable Hamilton... En arrivant, j’apprends que le Roi m’ordonne de repartir à l’instant... Il y avait de quoi se désespérer ! moi je m’en console : sous le costume d’un astrologue, et ne gardant que toi, je m’installe ici, où j’ai la satisfaction de rire aux dépens de la ville et de la cour qui viennent me consulter.

TERMES.

Mais si l’on nous découvrait ?

GRAMMONT.

Oh ! alors...

Air : Du Ménage de Garçon.

Vers Londres, comme à l’ordinaire,
Il faudra bien nous diriger,
Puisque ce n’est qu’en Angleterre
Qu’il m’est permis de voyager,
Comme pour un trait de satire,
Au Louvre on m’a fait mon procès,
Les traîtres, pour m’apprendre à rire,
M’ont exilé chez les Anglais.

D’ailleurs, ne dois-je pas y revoir mademoiselle Hamilton ? Depuis deux mois que je suis séparé d’elle, je n’ai d’autre plaisir que de contempler cette bague que je reçus de sa main la veille de mon départ.

Grammont va s’asseoir près d’une table, sur le côté du Théâtre, et tire la bague de son doigt.

TERMES, à part.

Mon maître ignore que le comte Hamilton vient d’amener sa sœur à Paris, et que, grâce à mon adresse, elle doit venir aussi consulter l’Astrologue.

 

 

Scène IV

 

GRAMMONT, TERMES, NICETTE, DAVID

 

DAVID, à Nicette.

Tu as beau dire, Nicette, je me défie de ces gens-là.

NICETTE.

Ah ! mon père, le valet est pourtant un bien honnête garçon.

DAVID.

Nous allons voir s’ils payeront d’avance ce mois-ci comme l’autre.

À Grammont.

Monsieur, voilà des lettres que l’on m’a remises pour vous.

GRAMMONT, prenant les lettres.

Que de consultations !

TERMES.

Bonjour, mademoiselle Nicette.

DAVID.

Passez par ici, Mademoiselle.

Bas.

Tu le vois, il ne parle pas d’argent.

Haut.

Monsieur doit être content ; je reçois toujours des compliments, et pourtant dans ce quartier voisin du Louvre, je ne vois que des gens comme il faut.

Air : Si Dorilas n’en parlait guère.

Mes confrères sont d’ordinaire
Moitié coquins, moitié fripons ;
Chez eux on fait mauvaise chère,
Et leurs vins ne sont jamais bons.
Moi, je suis sûr de tous ceux que j’avance ;
Car j’y mets moi-même la main ;
J’ai du vin franc, et j’ai la conscience
Presqu’aussi franche que mon vin.

À part.

Il fait la sourde oreille.

TERMES.

Eh bien ! comment va votre auberge, M. David ?

DAVID.

Ah, ah !... comme ça... L’argent est si rare, le crédit nous tue.

GRAMMONT, remarquant ce que dit David.

Ah diable ! c’était hier le premier du mois !

Il se lève et lui donne une bourse.

Tenez, Monsieur David, je m’aperçois que vous avez besoin d’argent.

DAVID, le reconduisant jusqu’à son appartement.

On voit bien que monsieur est un grand devin, et ceci doit confondre les plus incrédules.

TERMES, bas à Nicette.

Je reviendrai quand le papa sera parti.

NICETTE.

Bon !

Grammont et Termes sortent.

 

 

Scène V

 

NICETTE, DAVID

 

DAVID, regardant l’argent.

Tu avais raison, Nicette, cet astrologue est un homme d’un mérite fort rare ; il paie très exactement... arrête son mémoire.

 

 

Scène VI

 

NICETTE, DAVID, LEDOUX

 

LEDOUX, à la cantonade.

C’est bon, c’est bon ! qu’on le mène chez le commissaire, il s’expliquera, s’il peut ; puis on le fera pendre, s’il y a lieu...

En scène.

Ah ! voilà ma future ! Charmante Nicette, recevez mes hommages respectueux.

DAVID.

Ah ! c’est vous, monsieur Ledoux, comment ça va-t-il ?

LEDOUX.

Tout doucement, tout doucement.

NICETTE.

Vous avez l’air fatigué.

LEDOUX.

Air de la Catacoua.

L’exercice est très salutaire ;
Mais s’il faut parler sans mentir,
À force d’en prendre, beau-père,
Je ne puis plus me soutenir.
Quoique l’on ait les pieds ingambes,
Les chemins sont très fatigants,
Les mauvais temps,
Les ouragans,
Je ne saurais y résister longtemps ;
Car rester toujours sur ses jambes,
Ça met un homme sur les dents,

Et pendant que je puis encore me porter, je suis venu vous dire

Le tirant à l’écart.

Vous permettez, Mademoiselle...

Bas.

Je suis venu vous dire que le valet de l’Astrologue, votre locataire, fait la cour à votre fille ma prétendue.

NICETTE, à part.

Si je pouvais entendre.

DAVID, à Nicette.

Écrivez, Mademoiselle.

À Ledoux.

Eh bien ! moi, je vous dirai bien mieux, c’est que je crois qu’elle approuve son amour.

LEDOUX.

Ah ça ! plaisantez-vous ?

DAVID.

Non.

LEDOUX, s’échauffant peu à peu.

Vous voulez donc causer un malheur ?

DAVID.

Comment ça ?

LEDOUX.

Vous voulez nous faire couper la gorge... à moi, Benigne Ledoux, militaire, caporal du gué à pied ; à moi, à qui vous avez promis votre fille en mariage ; à moi qui l’adore, vous venez me conter le succès de mon rival ! Ah !

Se calmant tout à coup.

Mais rassurez-vous, il n’arrivera rien... rien du tout.

Air : Ce Boudoir est mon Parnasse.

Oui, mon courroux doit se taire ;
Ledoux, prudent et discret,
Se souvient dans sa colère
Qu’il est caporal du guet,
Si, par malheur, j’allais faire
Du bruit dans votre maison,
Je serais forcé, beau-père,
De me conduire en prison.

DAVID, après un moment de réflexion.

C’est vrai !

LEDOUX.

Mais il est un moyen de chasser ce valet ; renvoyez le maître.

DAVID.

Ah !

LEDOUX.

On trouve des prétextes... Que sais-je, moi ?... Je ne connais pas cet homme, je ne l’ai jamais vu...

DAVID.

Je le connais, moi, monsieur Ledoux !... et encore plus son argent et je ne veux me brouiller ni avec l’un, ni avec l’autre.

LEDOUX, d’un air mystérieux.

C’est un sorcier ! Et le Parlement ne badine pas là dessus... Au moins, défendez à mademoiselle Nicette de parler à ce valet.

DAVID.

À la bonne heure.

À Nicette.

Ma fille, je vous défends d’écouter les propos galants du valet de l’Astrologue, et je vous ordonne de ne trouver, dans toutes les personnes qui viennent ici, que monsieur Ledoux d’aimable.

NICETTE.

Ah ! mon père... c’est-il possible ?

DAVID.

Vous connaissez mes intentions... Je vais sortir, je compte sur votre obéissance.

LEDOUX.

Air du vaudeville du Bouquet du Roi.

J’attendrai votre retour
En causant avec ma belle,
Et je vais à la cruelle
Dire un petit mot d’amour.

DAVID.

Nicette, qu’on me seconde,
Et fais ce que je t’ai dit ;
Sois polie avec le monde,
Mais ne fais pas de crédit !

Ensemble.

LEDOUX.

J’attendrai votre retour, etc.

NICETTE, à part.

Ah ! lui seul à mon amour,
Je veux lui rester fidèle,
Et pour tout autre cruelle,
N’accorder aucun retour.

DAVID.

Oui jusques à mon retour
Causez avec votre belle,
Je prétends que moins rebelle,
Elle écoute votre amour.

David sort.

 

 

Scène VII

 

NICETTE, LEDOUX, TERMES

 

Terme sort de l’appartement du Chevalier.

NICETTE, apercevant Termes.

Ah mon dieu ! le voilà... comment faire ?

LEDOUX.

Enfin, Mademoiselle, je vais donc avoir l’avantage de vous dire que...

Voyant Termes.

Encore ce valet de sorcier !

TERMES, à Nicette.

Air : Le briquet frappe la pierre.

Près de vous, de l’art de plaire,
Je viens prendre une leçon.

LEDOUX, à part.

Eh bien ! il est sans façon.

NICETTE, à part.

Pour obéir à mon père,
Hélas ! ne répondons pas.

TERMES.

Quoi ! vous ne répondez pas ?

LEDOUX, à part.

Ah ! pour eux quel embarras !

TERMES.

Vous obstiner à vous taire,
C’est provoquer un baiser.

LEDOUX.

Oh ciel ! il pourrait oser !...

TERMES.

Ce doux silence, ma chère,
Je l’interprète à présent.

L’embrassant.

Et qui ne dit mot consent.

Ensemble.

Allons, qui ne dit mot consent.

NICETTE.

Ah ! mon Dieu, qu’il est imprudent !

LEDOUX.

En voilà un qui est un peu fort ! Comment, ! Mademoiselle, vous souffrez une pareille offense ?

NICETTE.

Air : Le beau Lycas aimait Thémire. (Des Artistes par occasion.)

Premier couplet.

Mon père, d’être complaisante,
Devant vous m’a prescrit la loi ;
Avec lui dois-je être méchante,
Quand il est si doux avec moi ?
Eh ! pourquoi donc éviter sa présence ? (bis)
Il est discret, il est galant,
Il ne s’exprime qu’en tremblant...      }
Jamais, Monsieur, on ne m’offense,  } (bis)
Quand on s’y prend bien poliment.   }

Deuxième couplet.

Vous seul excitez ma colère,
Vous qui, dans votre folle ardeur,
Demandez ma main à mon père,
Sans venir consulter mon cœur.
Sur lui, Monsieur, plutôt prenez modèle ; (bis)
Il veut me plaire auparavant,
Il vient m’embrasser fort souvent...   }
On n’offense point une belle             } (bis)
Quand on s’y prend bien poliment.   }

LEDOUX.

C’est à moi de me montrer. Monsieur, savez-vous que c’est moi que M. David a choisi pour son gendre ?

TERMES.

Je le crois.

LEDOUX.

Savez-vous que Mademoiselle m’adore ?

TERMES.

Je ne crois pas.

NICETTE.

Vous avez bien raison ; c’est un menteur.

Air : Tu n’auras pas, petit polisson.

Je ne paierai pas de retour
Le sot amour
Que vous faites paraître ;
Et, je vous le déclare ici,
Non, vous ne serez jamais mon mari.

LEDOUX, à part.

Je sors, c’en est fait,
Mais j’ai mon projet,
Et bientôt Ledoux pourra faire connaître
À certain valet,
Par un bon arrêt,
Quel est le pouvoir d’un caporal du guet !

Haut, en sortant.

Ensemble.

Quoi ! ne pas payer de retour
Le tendre amour
Qu’ici je fais paraître !
Oser me déclarer ici
Que je ne serai jamais son mari !

NICETTE.

Je ne paierai pas de retour, etc.

TERMES.

Quoi ! ne pas payer de retour
Le tendre amour
Que Monsieur fait paraître !
Ici
Pour moi plus de souci,
Puisqu’il ne sera jamais son mari.

Ledoux sort en menaçant.

 

 

Scène VIII

 

TERMES, NICETTE

 

TERMES.

Ah ! je puis donc enfin vous parler de mon amour !

NICETTE, qui a suivi Ledoux jusqu’à la porte.

Tenez, regardez donc quel beau monsieur...

TERMES, regardant.

Que vois-je ?

À part.

Le comte de Bussy !

Haut.

C’est sans doute mon maître qu’il demande, je vais l’avertir.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

NICETTE, BUSSY-RABUTIN

 

BUSSY.

Pourrait-on consulter l’illustre astrologue qui demeure dans cette auberge ?

NICETTE.

Oui, Monsieur, et son valet est allé le prévenir.

BUSSY.

Comment, c’est ici la retraité de ce fameux Nécromancien ?... Où sont donc les attributs de son art ?

Air : C’est grâce à vos soins protecteurs. (De Crispin financier.)

Le sorcier a donc oublié
L’appareil pompeux des oracles ?
Comment, sans autel, sans trépied,
Son démon pourra-t-il opérer des miracles ?
Rien d’effrayant ne m’arrête en ces lieux.
Je vois ici, pour tout augure,
Des yeux malins, où je serais heureux
De lire ma bonne aventure.

NICETTE.

Vous êtes bien honnête, Monsieur... Mais, voici l’Astrologue.

En sortant.

Comme tous ces Messieurs de la Cour ça vous dit de jolies choses !

Elle sort.

 

 

Scène X

 

BUSSY-RABUTIN, GRAMMONT

 

BUSSY, ironiquement.

Serviteur à l’illustre successeur de Merlin et de Nostradamus.

GRAMMONT, avec emphase.

Versé dans les secrets les plus impénétrables de la nature, possesseur de l’art difficile...

BUSSY, l’interrompant.

Ah ! mon ami, épargne-toi la peine de faire tes grandes phrases, je sais bien que c’est le fin du métier ; mais avec moi, elles sont inutiles. D’ailleurs, je ne viens pas me faire dire la bonne aventure : c’est une de ces folies humaines que je ne partage pas.

Air : En deux moitiés, dit-on, le sort.

Sur le sort qu’il nous faut subir,
Laissons le voile du mystère ;
À quoi bon percer l’avenir ?
Trop souvent il nous est contraire ;
Et si de venir nous trouver,
Quelque jour le bonheur s’avise,
Pourquoi donc vouloir se priver
Du doux plaisir de la surprise ?

Mais, puisque tu es si savant, tu dois savoir qui je suis ?

GRAMMONT.

Sans doute, aimable, galant, brave...

BUSY, riant.

Ah ! ah ! le beau sorcier !... sans craindre de mentir, j’en dirais autant de tous les militaires français.

GRAMMONT.

Si le Seigneur qui se présente devant moi, continue ses écrits satyriques, il pourra bien aller joindre certain chevalier de ses amis,

BUSSY.

Eh quoi ?... Aurais-tu lu ?...

GRAMMONT.

Les Amours des Gaules, les Heures de la Cour...

BUSSY.

Chut ! chut !... Tu me connais donc ?

GRAMMONT, ôtant sa barbe.

Comme toi-même.

BUSSY.

Comment !... c’est toi !... ah ! mon ami, embrassons-nous !... combien de fois j’ai regretté ton absence !

Air du Roi et le Pèlerin.

L’amant qui perd une maîtresse
Peut contracter des nœuds plus doux ;
La veuve, oubliant sa tristesse,
Bientôt retrouve un autre époux ;
Mais mon ami, qui pourra me le rendre ?
De moi-même c’est la moitié ;
Rien ne console une âme tendre
Du veuvage de l’amitié.

Mais, que diable fais-tu sous ce déguisement ?

GRAMMONT.

Tu le vois, je m’amuse. Ennuyé de mon exil, où le Roi me laisse trop longtemps, j’ai pris mon parti, et j’attends à. Paris, qu’il plaise à Sa Majesté de m’y rappeler. Et toi, mon cher Comte, jadis mon rival préféré, car je n’ai pas oublié que tu m’enlevas autrefois madame de Montglas ?

BUSSY, avec fatuité.

Que veux-tu ? Ce n’est pas ma faute.

GRAMMONT.

Dis-moi, qui me procure ta visite ?

BUSSY.

Le comte Hamilton est à Paris depuis huit jours ; il a amené avec lui sa charmante sœur.

GRAMMONT.

Mademoiselle Hamilton est ici ?

BUSSY.

Oui, mon cher, pour mon bonheur, et, ma foi, pour le sien.

GRAMMONT.

Comment ?...

BUSSY.

Dès qu’elle a paru, nos jeunes seigneurs se sont empressés de lui présenter leurs hommages... Ils ont tous été éconduits... Moi seul...

GRAMMONT.

Tu as réussi ?...

BUSSY.

Mais... à peu près.

GRAMMONT.

Tu as des preuves sans doute ?

BUSSY.

Certainement... Elle est triste... rêveuse, ses yeux expriment la douce langueur, de l’amour, et tu penses bien que si elle aime quelqu’un, ce ne peut être que moi.

GRAMMONT.

Toujours la même confiance dans ton mérite ! Et... c’est là tout ? ·

BUSSY.

N’est-ce pas charmant ? J’ai su par certaine suivante, que mademoiselle Hamilton a reçu dernièrement une lettre, et que depuis ce moment, elle a formé le dessein de venir consulter l’astrologue fameux.

GRAMMONT, vivement.

Elle viendrait ici ?

BUSSY.

Mais comme elle craint la médisance, elle se déguise. Au reste, tu dois la reconnaître, tu l’as vue en Angleterre.

GRAMMONT.

Oui, je l’ai vue en Angleterre... Elle viendrait ici !

 

 

Scène XI

 

GRAMMONT, BUSSY-RABUTIN, NICETTE

 

NICETTE.

Monsieur l’Astrologue, monsieur l’Astrologue, il y a deux jeunes filles qui demandent à vous consulter.

GRAMMONT.

Ma chère Nicette, faites entrer ; mais selon l’usage, l’une après l’autre.

BUSSY.

C’est sans doute mademoiselle Hamilton... Ah ça ! il faut lui conseiller, avec un air paternel, de m’aimer beaucoup.

GRAMMONT, agité.

C’est convenu...

À part.

Je vais la revoir, quel bonheur !

BUSSY.

De quel côté sortir ?

GRAMMONT.

Par ce cabinet, il donne sur un escalier dérobé.

À part.

Elle va se plaindre de mon départ... Elle est si bonne, elle est si bonne ! elle me pardonnera.

BUSSY, à part.

Ma présence l’embarrasse ;
Comme il se parle tout bas !
Feignons de quitter la place ;
Mais ne nous éloignons pas.

Haut.

Peins-lui l’amour qui m’agite.

GRAMMONT.

Mais retire-toi d’ici.

BUSSY.

Peins-lui surtout mon mérite.

GRAMMONT.

Tu devrais être parti !
Quoi ! tu n’es pas encore parti ?

Ensemble.

BUSSY, entrant dans le cabinet.

Ma présence, etc.

GRAMMONT.

Sa présence m’embarrasse ;
Pourtant ne nous troublons pas.
Ici j’obtiendrai ma grâce,
L’amour me le dit tout bas.

Ah parbleu ! Monsieur le Comte, il n’en sera pas de celle : ci comme de l’autre, et j’espère bien y mettre bon ordre.

 

 

Scène XII

 

GRAMMONT, MADEMOISELLE HAMILTON, NICETTE

 

Grammont est assis dans un grand fauteuil, mademoiselle Hamilton est sur le côté ; elle entre d’un air effrayé.

MADEMOISELLE HAMILTON.

Ah ! mon dieu ! Mon dieu ! Mademoiselle, pourquoi ne voulez-vous pas laisser entrer ma femme... ma compagne ?

NICETTE.

C’est l’usage. Vous sentez bien que le secret qu’exigent certaines révélations... Mais rassurez-vous, elle va rester là...

Elle sort.

 

 

Scène XIII

 

GRAMMONT, MADEMOISELLE HAMILTON

 

MADEMOISELLE HAMILTON, à part.

Comme il me regarde ! J’ai presque peur... Pourquoi aussi m’occuper de ce billet mystérieux, qui me promet que ce sorcier me donnera des nouvelles de Grammont !

GRAMMONT, la contemplant, à part.

Qu’elle est jolie, sous cet habit !

MADEMOISELLE HAMILTON, à part.

Mais, si ce billet disait vrai... Allons... allons... du courage...

Haut.

Monsieur... Combien faut-il vous donner ! Car les sorciers, on dit que ça se paye d’avance.

GRAMMONT.

Air : J’ai vu partout dans mes voyages.

Ici, nous ne taxons personne,
Nous ne fixons aucun paiement ;
Nous recevons ce qu’on nous donne :
Du pauvre le remerciement,
Les révérences d’un poète
L’argent du riche financier,
Un baiser de jeune fillette ;
Et c’est moi qui suis le caissier.

Allons, approchez, mon enfant, approchez.

MADEMOISELLE HAMILTON, à part.

Cette voix ne m’est pas inconnue.

GRAMMONT.

Qu’attendez-vous de mon art ? Venez-vous me demander si vous aurez bientôt un mari ? Voulez-vous savoir...

MADEMOISELLE HAMILTON.

Air : Oui, les Garçons de ce pays. (Des deux Précepteurs.)

Premier couplet.

Pour nous dévoiler le destin,
On dit votre science parfaite ;
Moi, du talent du grand devin,
Jusqu’à présent j’doute un p’tit brin.
Dam ! c’est qu’pour lir’ dans le cœur d’une fillette,
Il faut vraiment, Monsieur, être bien savant.

Deuxième couplet.

Mais si vous ne m’apprenez pas
C’qu’un’ fill‘ veut savoir à mon âge,
Vers une autre, je vous l’dis tout bas,
Aussitôt je porte mes pas ;
Car pour instruire les fillettes d’village,
Paris, vraiment,
Renferme plus d’un savant.

GRAMMONT.

Je devrais vous punir de votre peu de confiance en mon art ; mais l’incrédulité est permise aux jolies filles, on les trompe si souvent ! Quelle preuve puis-je vous donner ? Deviner votre pensée ?

MADEMOISELLE HAMILTON.

Ah ! oui ; je serions curieuse...

GRAMMONT.

Donnez-moi votre main.

MADEMOISELLE HAMILTON.

Ma main !

GRAMMONT.

Oui, votre main.

MADEMOISELLE HAMILTON, hésitant.

La voici.

GRAMMONT, lui baisant la main.

Elle est charmante !

MADEMOISELLE HAMILTON, avec dignité.

Insolent !

GRAMMONT.

Tu te fâches ! Quel air de dignité ! vraiment, il ne te va pas mal.

MADEMOISELLE HAMILTON, à part.

J’allais oublier mon rôle.

Haut.

Pardon, excuse, Monsieur, la voilà.

Grammont lui prend la main. À part.

Que vois-je ? la bague que j’ai donnée à Grammont.

GRAMMONT fait des cérémonies grotesques, puis se lève tout à coup.

Ah ! malheureux ! Qu’ai-je fait !

MADEMOISELLE HAMILTON, s’éloignant.

Eh bien ! Quoi que vous avez donc ?

GRAMMONT, se rapprochant.

Ah ! Madame, pardon de la liberté avec laquelle je vous ai parlé !... J’ignorais votre rang.

MADEMOISELLE HAMILTON.

Vous le connaissez maintenant ?

GRAMMONT.

Air : Quand vous jugez que je ne suis pus belle.

Oui, je connais, malgré tout ce mystère,
Votre patrie, et même votre nom :
Je vois en vous l’orgueil de l’Angleterre,
Je vois enfin, l’adorable Hamilton.

Mademoiselle Hamilton recule étonnée.

Rassurez-vous ; car bientôt sur vos traces
Vous allez voir les plaisirs voltiger.
Paris toujours fut le séjour des grâces ;
Vous n’êtes pas en pays étranger.

MADEMOISELLE HAMILTON, à part.

C’est lui.

Haut.

Allons, je vous reconnais...

Ici, Bussy-Rabutin entr’ouvre la porte.

pour un véritable sorcier : ayant deviné qui je suis, vous devez savoir aussi ce que je viens vous demander.

GRAMMONT.

Certainement.

Air : Vaudeville du Petit Courrier.

Mon art m’apprend votre secret :
Un jeune Français veut vous plaire ;
Il est aimable, il est sincère ;
Il est modeste, il est discret.
À la douce et tendre éloquence,
Il joint l’enjouement, l’esprit.

MADEMOISELLE HAMILTON, souriant.

Il ne dit jamais ce qu’il pense.

GRAMMONT.

Mais on croit toujours ce qu’il dit.

Et vous venez me demander s’il est fidèle ?

MADEMOISELLE HAMILTON.

Justement.

À part.

Amusons-nous à mon tour.

Haut.

Depuis que je suis en France, il m’a témoigné tant d’amour, que je l’ai distingué parmi tous ceux qui cherchent à me plaire.

GRAMMONT.

Depuis que vous êtes en France ? Vous aviez un amant en Angleterre... mon art me l’apprend... Il vous aimait...

MADEMOISELLE HAMILTON.

Ah ! j’en doute.

GRAMMONT.

Serait-il possible ?

MADEMOISELLE HAMILTON.

Comment croire à la constance d’un homme qui ma quittée sans me dire adieu. Je crois bien plus à la sincérité de celui dont je reçois les hommages maintenant.

GRAMMONT.

Quoi ! madame, vous seriez infidèle ?...

MADEMOISELLE HAMILTON.

Ah ça ! monsieur le sorcier, je crois que nous changeons de rôle.

GRAMMONT.

Comment ?

MADEMOISELLE HAMILTON.

Oui, c’est moi qui suis venue pour vous consulter, et vous m’interrogez ; mais je veux bien satisfaire votre curiosité.

GRAMMONT.

Eh bien ! Madame, cet heureux amant, vous lui avez sans doute avoué !...

MADEMOISELLE HAMILTON.

Air : Ah ! mon dieu, quelle différence. (De Lulli et Quinault.)

Non, jamais ; à moins qu’un sourire
Par hasard n’ait trahi mes feux,
Ce que la bouche n’ose dire,
Souvent on le lit dans les yeux ;
De notre cœur l’amour dispose,
Et du trouble que l’on sent là,
Lorsqu’hélas ! nous cherchons la cause
L’amant aimé la sait déjà.

BUSSY, à part.

Quel aveu charmant !

GRAMMONT, à part.

La perfide ! Quel triomphe pour le comte, s’il était là.

 

 

Scène XIV

 

GRAMMONT, MADEMOISELLE HAMILTON, BUSSY-RABUTIN, qui pendant la scène précédente a de temps en temps ouvert la porte du cabinet, sort tout à fait, et reste au fond du théâtre

 

Trio.

Air : du Renégat (de Piccini.)

MADEMOISELLE HAMILTON, à part.

En France, on disait que l’amour
Ne résistait pas à l’absence :
Mais sa jalousie en ce jour,
Est la preuve de sa constance.

GRAMMONT.

Oui, puisqu’un autre est plus heureux que moi,
Quittons ces lieux, l’honneur m’en fait la loi,

Ensemble.

BUSSY.

J’ai peine à cacher mon ivresse ;
La belle m’adore, ma foi !
J’obtiens l’aveu de sa tendresse,
On n’est pas plus heureux que moi.

GRAMMONT.

Oublions l’ingrate maîtresse
Qui trahit ses serments, sa foi :
Puisqu’un autre obtient sa tendresse,
Fuyons, l’honneur m’en fait la loi.

MADEMOISELLE HAMILTON.

J’ai peine à cacher mon ivresse.
Que ce moment est doux pour moi !
Il est digne de ma tendresse ;
Je le vois, il n’aime que moi.

 

 

Scène XV

 

MADEMOISELLE HAMILTON, BUSSY-RAGUTIN

 

MADEMOISELLE HAMILTON, à part.

Eh bien ! il est parti... mais je n’ai pas tout dit.

BUSSY, s’avançant.

J’en ai assez entendu, belle Hamilton.

MADEMOISELLE HAMILTON.

Ciel ! le comte de Bussy ! Vous ici, monsieur le comte, par quel hasard !

BUSSY.

Oh ! ne rendez pas grâce au hasard, ce n’est pas lui qui m’a conduit ici... Mais quel charmant costume ! Un déguisement, du mystère, c’est délicieux !

MADEMOISELLE HAMILTON, sévèrement.

Pourquoi, je vous prie, m’obséder ainsi... Monsieur ?

BUSSY.

Parce que je vous aime, parce que vous répondez à mon amour.

MADEMOISELLE HAMILTON.

Moi, Monsieur !

BUSSY.

Certainement votre cœur a parlé.

Montrant le cabinet.

J’étais là pendant votre conversation avec l’Astrologue,

Air ; Il est trop tard (de Blangini.)

Il est trop tard
Pour faire résistance ;
Il n’est plus temps d’ordonner mon départ,
Ah ! bannissez cet air d’indifférence,
Pour affecter ce sévère regard,
Il est trop tard.

 

 

Scène XVI

 

BUSSY-RABUTIN, MADEMOISELLE HAMILTON, NICETTE, LEDOUX, GARDES

 

LEROUX.

Où est-il, mademoiselle, où est il, cet astrologue ?

NICETTE.

Comment, vous venez pour l’arrêter ?

LEDOUX.

Et son valet aussi, comme complice.

NICETTE, à part.

Ah mon dieu ! si je pouvais le sauver !

LEDOUX, apercevant Bussy.

Ah ! ah ! le voilà sans doute qui est occupé à quelques consultations.

NICETTE.

Ce Monsieur ? Oui, oui, c’est lui-même.

LEDOUX, à sa troupe.

Avancez, vous autres.

À part.

Une fois que nous tiendrons le maître, il faudra bien que le valet le suive.

NICETTE, à part.

Ma foi, ce Monsieur s’en tirera comme il pourra, je vais avertir l’astrologue et mon amoureux de se cacher.

Elle sort.

 

 

Scène XVII

 

BUSSY-RABUTIN, MADEMOISELLE HAMILTON, LEDOUX, GARDES

 

BUSSY.

Que veulent ses gens ?

LEDOUX, à sa troupe.

Gardez bien la porte, pour qu’il ne s’échappe pas.

À Bussy.

De par le Roi, je vous arrête.

BUSSY.

Moi !

LEDOUX.

Pour crime de sorcellerie.

MADEMOISELLE HAMILTON, à part.

Cet homme est arrivé fort à propos.

BUSSY, à part.

C’est sans doute ce pauvre Grammont.

Haut.

Mon ami, vous vous trompez.

LEDOUX.

Sans doute, Monsieur, sans doute : tous ceux que j’arrête m’en disent autant.

Air : Vaudeville du Printemps.

Je reconnais bien le langage
De ceux qui passent par mes mains ;
Vous allez nier, c’est l’usage :
Ainsi font messieurs les coquins,
Oui, tous à l’interrogatoire,
Prétendent prouver leur vertu
Et si l’on voulait les en croire
Pas un seul ne serait pendu,

Allons, Monsieur, partons.

BUSSY, à Mademoiselle Hamilton.

Eh bien ! Madame, que dites vous de cette aventure ?

MADEMOISELLE HAMILTON.

Ah ! je dis que vous êtes bien dangereux.

LEDOUX.

Dangereux ? je prends acte de la déposition.

BUSSY.

Mon ami, je suis le comte Bussy-Rabutin !

LEDOUX.

Vous, le comte de Bussy-Rabutin ! Ah ! ah ! vous, le comte Bussy-Rabutin ! imposteur !... Comment osez-vous prendre le nom d’un seigneur comme celui-là ! Je sais bien, soit dit entre nous, que monsieur le comte Bussy-Rabutin, que je n’ai pas l’honneur de connaître, a la réputation d’être un peu mauvais sujet, un peu libertin ; mais il ne vient pas dans une auberge... Allons, le piège est trop grossier pour attraper un homme comme moi...

Air : Du Vaudeville de Rien de trop.

Je vois bien que ce langage
Ne vous paraît pas plaisant ;
Mais il faut plier bagage
Et déloger à l’instant.

BUSSY, à Mademoiselle Hamilton.

On pourrait vous reconnaitre,
Madame ; je dois sortir,

À Ledoux.

Toi, de ta méprise, traître,
Tu pourras te repentir.

Il sort.

Ensemble.

MADEMOISELLE HAMILTON.

De cet homme, le langage
Doit lui sembler surprenant ;
Il ne croyait pas, je gage,
Me quitter si brusquement.

LEDOUX.

Je vois bien que se langage, etc.

Ledoux et sa troupe emmènent le comte de Bussy.

 

 

Scène XVIII

 

MADEMOISELLE HAMILTON, seule

 

La méprise de cet homme ne tire d’un très grand embarras.

 

 

Scène XIX

 

MADEMOISELLE HAMILTON, GRAMMONT

 

GRAMMONT, en habit ordinaire.

C’en est fait, retournons en exil.

Apercevant mademoiselle Hamilton.

Vous ici, Madame ?

MADEMOISELLE HAMILTON, gaiement.

Vous y êtes bien, Chevalier.

GRAMMONT.

Sous ce costume, qu’y venez-vous faire ?

MADEMOISELLE HAMILTON, avec ironie.

Pouvez-vous l’ignorer ? l’Astrologue fameux !...

GRAMMONT.

Ainsi, vous savez que c’était à moi-même que vous faisiez confidence de votre infidélité ?

MADEMOISELLE HAMILTON.

Rassurez-vous, je vous avais reconnu. Cette bagne... et surtout l’éloge que vous avez fait de vous-même, vous avait trahi, j’ai dû prendre ma revanche.

Air ; Il reçut au sein de la gloire (d’Aline).

Vous étiez banni de la France,
Mais vous étiez toujours Français,
Et malgré toute ma constance,
Vous m’avez quitté sans regrets.
La vengeance était une dette,
Ici je l’avouerai tout bas,
Un moment j’ai fait la coquette... (bis)
Mais quelle femme ne l’est pas ?
Dans son amour extrême,
Quand l’Anglaise dit j’aime !
C’est pour toujours (ter), et je voulais
Me venger d’un volage
Avant le mariage...
Pour ne pas m’en venger après.

GRAMMONT.

Ah ! moi seul j’étais coupable.

MADEMOISELLE HAMILTON.

Mais vous m’apprendrez à votre tour, Chevalier, comment le comte de Bussy s’est trouvé là.

GRAMMONT.

Bussy ! Ah ! le traître !

 

 

Scène XX

 

GRAMMONT, MADEMOISELLE HAMILTON, TERMES, LEDOUX, DAVID, NICETTE, SOLDATS

 

TERMES.

Monsieur, monsieur, en voilà bien d’une autre, on vient pour nous arrêter.

LEDOUX, avec colère.

Ah ! le voilà donc enfin, cet Astrologue et son digne valet. Vous ne m’échapperez pas ! Me faire arrêter un grand seigneur pour un faquin ! Je le conduisais tranquillement avec mon escouade, nous rencontrons la voiture de monseigneur le Chancelier. Son Excellence aperçoit mon prisonnier : Eh quoi ! monsieur de Bussy, lui dit-il, vous vous faites arrêter par le guet ? – On m’accuse d’être sorcier. – Son Excellence rit... me regarde... rit encore, me demande si je veux lui confier mon prisonnier. – Ah !... le comte monte dans la voiture, et je reste au milieu de la rue avec mon escouade, exposé à la risée publique... Allons, qu’on me suive...

NICETTE.

C’est affreux, arrêter nos pratiques !

LEDOUX.

Je ne veux rien entendre.

Morceau d’ensemble de M. Doche.

MADEMOISELLE HAMILTON, à Grammont.

Il n’est plus temps de le taire,
Découvrez tout le mystère.

GRAMMONT.

Monsieur, je suis Grammont.

TERMES, MADEMOISELLE HAMILTON.

C’est le chevalier de Grammont !

DAVID, NICETTE.

Quoi ! le chevalier de Grammont !

LEDOUX.

Voilà parbleu qui me confond,
Mais le chevalier de Grammont,
Si ma mémoire est fidèle...
Vraiment oui, je me rappelle...
Attendez un moment,
J’ai là certain renseignement.

Il cherche et lit un papier.

« Malgré l’ordre qui l’exile,
« Le chevalier de Grammont
« Est, dit-on,
« Caché dans notre ville.
« De la part des maréchaux,
« On ordonne
« À tous prévôts
« De se saisir de sa personne. »

TOUS.

De se saisir de sa personne !

LEDOUX.

C’est vraiment fort malheureux ;
Mais au lieu d’un seul ordre, j’en ai deux.

TOUS.

Quel sort rigoureux !

LEDOUX.

C’est fort malheureux.

Faisant signe à Grammont de le suivre.

Je dois remplir mon ministère.

 

 

Scène XXI

 

GRAMMONT, MADEMOISELLE HAMILTON, TERMES, LEDOUX, DAVID, NICETTE, SOLDATS, BUSSY-RABUTIN

 

Suite du morceau d’ensemble.

BUSSY.

J’arrive à temps, Dieu merci !

GRAMMONT, MADEMOISELLE HAMILTON.

Le comte ici !
Que vient-il faire ?

BUSSY.

Pénétré de la manière
Dont l’amitié tendre et sincère,
Auprès de la beauté pour moi vient de plaider,
À mon tour j’ai su décider
Un prince à se montrer aujourd’hui moins sévère,
Et je vous apporte ici
La grâce de mon ami.

TOUS.

Quoi ! vous apportez ici
La grâce de votre ami !

BUSSY.

J’ai annoncé en même temps à la cour, que je venais de remporter une nouvelle victoire sur la beauté, et que renonçant à son indifférence, Madame allait enfin choisir un époux.

MADEMOISELLE HAMILTON.

Oui, monsieur le comte, et c’est le chevalier de Grammont.

BUSSY.

Grammont ! Mais, tantôt...

MADEMOISELLE HAMILTON.

Voilà ce que c’est que d’écouter aux portes... Je me vengeais du chevalier, maintenant je dois récompenser sa fidélité.

GRAMMONT, à Bussy, malicieusement.

Que veux-tu ? ce n’est pas ma faute. Dans le récit que je veux faire au Roi de toutes mes aventures, parlerai-je de la tienne ?

BUSSY.

Je t’en dispense.

LEDOUX.

Si vous vouliez, papa, pour que je puisse arrêter quelque choses, arrêter le jour de mon mariage avec votre fille.

DAVID.

Elle est pour Termes... J’irais la donner à un homme qui arrête mes locataires, et qui prend un grand seigneur pour un sorcier !

Vaudeville.

Air de M. de Beaupland. 

GRAMMONT.

Pour moi, le bonheur devait naître
D’un objet aimable et joli :
Hamilton, je vous vois paraître,
Et voilà l’oracle accompli.

TERMES.

D’après certaine prophétie,
Je dois être fêté, chéri...
Je prends une femme jolie,
Et voilà l’oracle accompli.

NICETTE, à Termes.

On dit qu’l’hymen qui nous rassemble,
D’un accident sera suivi :
Ah ! c’est pour toi seul que je tremble,
Si cet oracle est accompli.

LEDOUX.

Si j’en crois une Pythonisse,
Je vivrai longtemps, Dieu merci !
Dans le guet j’ai pris du service,
Et voilà l’oracle accompli.

DAVID.

On m’a prédit que, dans mon âme,
Le calme serait rétabli ;
Un beau jour je perdis ma femme,
Et voilà l’oracle accompli.

BUSSY.

L’on disait que dans nos prairies
Renaîtrait l’olivier chéri ;
Les Bourbons sont aux Tuileries,
Et voilà l’oracle accompli.

MADEMOISELLE HAMILTON, au Public.

Grâces à nous, l’auteur espère
Qu’il sera ce soir applaudi ;
Beaucoup d’indulgence au parterre,
Et voilà l’oracle accompli.

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