L’Inconstance d’Hylas (André MARESCHAL)

Tragi-comédie pastorale en cinq actes et en vers.

1635.

 

Personnages

 

HYLAS, Amant de toutes

PÉRIANDRE, Amant de Dorinde

DORINDE, Compagne de Florice

FLORICE, Compagne de Dorinde

ALCANDRE, Père de Florice

PAGE

CORYLAS, Berger

STELLE, Bergère

ADAMAS, Druide

TROUPE DE BERGERS

 

La Scène est à Lyon.

 

 

À TRÈS HAUT ET PUISSANT PRINCE MONSEIGNEUR HENRY DE LORRAINE,

Archevêque et Duc de Reims, Premier Pair de France, Légat né du Saint Siège Apostolique, Abbé de Saint-Denis en France, Saint-Rémy, Fécamp, Occamp, Corbie, Montierander, Saint-Martin lez Pontoise, etc.

 

MONSEIGNEUR,

 

Si j’avais à traiter avec un esprit moindre que le vôtre, je rechercherais quelques vaines flatteries et ces beaux mots affectés, qui font le plus souvent tous les ornements d’une Lettre, et ne demanderais que les portes de vos oreilles pour entrer en votre cœur. Mais comme je sais que c’est un Autel qui ne reçoit point de fumée en sacrifice, et qu’on ne peut gagner vos affections sans parler à votre jugement, qui est un juge qu’on ne peut corrompre ; je m’adresse à lui sans pompe et sans fard, et ne le veux tenter que par la vérité, qui parle mieux que le mensonge le plus éloquent. Je n’irai pas la chercher dans l’Histoire, ni dans le Tombeau vénérable de tant de Héros qui ont rempli et l’un et l’autre ; puisqu’on vous peut louer à moins de bruit que d’éveiller les Morts, et de faire sonner les plus claires trompettes de la plus vieille et nouvelle Renommée. Je laisse donc à part cette illustre Maison, qui est venue par tant de triomphes et d’honneur des premiers siècles jusqu’au nôtre, qui malgré tous les vents ne doit tomber qu’en la chute du Monde, et qu’on ne saurait ignorer tant qu’il y aura des Aigles à Rome, des Lys en France, et des Croix dans la Palestine. Que d’autres se plaisent à l’ombre ; cette vieille Souche en a fait une si grande qu’elle a couvert l’Europe et l’Asie : pour moi je ressemble à ces Économes plus ménagers que voluptueux, j’estime l’arbre par le fruit. Je regarde votre mérite plutôt que cet éclat que vous tirez de votre naissance ; vous avez vos vertus à part aussi bien que vos Aïeux : ils vous ont moins laissé que vous ne leur avez déjà rendu ; et pour estimer plus noblement, j’admire votre Grandeur seulement du côté qu’elle vient de vous. Voilà, MONSEIGNEUR, comme je vous traite : je ne veux point vous donner de louanges empruntées ; et si je voulais croire votre modestie, je ne vous en donnerais point du tout. Mais il est impossible, à moins que de se taire ; et parler simplement de vous, c’est louer, c’est bénir, c’est exalter ; puisque vous n’avez point de qualités ni de perfections de qui l’on puisse discourir en d’autres termes. C’est par où le me trouve dans cette contrainte glorieuse qui fait la plus douce félicité des Esprits célestes ; qui n’ayant pour objets de leurs pensées et de leurs paroles que des vertus et des grâces, n’ont de voix aussi que pour adorer, et qui ne soient en effet des louanges et des hymnes. Toutefois, MONSEIGNEUR, pour obéir à la secrète et sévère défense que votre discrétion me fait de passer outre, et de peur de vous donner sur un bon dessein de mauvaises paroles, mon respect les finirait et me fermerait la bouche, n’était qu’Hylas dedans son humeur libre se plaint hautement que je l’ai oublié, et semble me faire un juste reproche, de ce qu’en le présentant à votre Grandeur, il ne m’est pas échappé seulement un mot en sa faveur. C’est contre la coutume je l’avoue, il faut estimer le présent qu’on donne, quand ce ne serait que pour le faire trouver, et plus digne et plus agréable. Ce dessein est fort juste : mais outre que l’on en abuse, et qu’en vantant ces dons d’esprit on se regarde plutôt que ceux à qui on les offre ; de peur de tomber dans ce vice si commun, je me suis tellement attaché à vous seul, et vos vertus ont si fort rempli ma pensée, qu’en vous admirant je n’ai pu la tourner vers un autre. Qu’Hylas s’en offense autant qu’il voudra : il m’était impossible de parler à vous, et de songer à lui ; je ne l’ai point abandonné, mais je vous ai suivi : je n’ai point manqué d’amitié pour lui, mais j’ai plus eu encore de respect pour vous. Ce lui est un témoignage assuré de mon amour de ce que je m’oblige peut-être à rougir pour lui, et que je ne feins point de l’offrir à votre Grandeur, à qui l’on ne devrait donner que l’Écarlate, et la Tiare. Qu’il vienne paré de ses grâces naturelles, qui l’ont fait souvent admirer sur le Théâtre, et dans les plus beaux Cabinets ; qu’il se serve, afin de vous aborder plus honorablement, des applaudissements qu’il a reçus de tous Paris, et d’une vieille réputation continuée de cinq à six ans ; mais qu’il n’attende de moi ni de vanité pour le louer, ni d’ambition et d’effronterie à le produire. C’est assez MONSEIGNEUR, que je lui aie donné connaissances des lumières est des rares perfections dont votre esprit est rempli, à qui il n’est rien de caché en ce genre d’écrire ; où vous-même excellez, et dont vous avez donné depuis peu de nouveaux témoignages, qui sont trop beaux pour demeurer entièrement secrets : il est suffisamment instruit de ce qu’il doit ou espérer ou craindre de votre capacité ; il sait que vous connaissez également le bien et le mal ; qu’il n’est point de défauts si cachés qu’un trait d’œil ne vous découvre ; et qu’en un lieu où il cherche son Protecteur, il trouvera son Juge. Cela devait l’avoir intimidé, et ne lui a toutefois qu’enflé le courage : il ne serait pas cet Hylas, de qui l’humeur et l’esprit ont paru si agréables à toute la Cour, s’il craignait l’entretien du plus poli et plus parfait des Princes : et sur la foi qu’on peut tirer de tant de douces inclinations qui vous portent à aimer les honnêtes gens, j’ai bien osé tout discret que je suis, lui faire espérer ce votre bonté un accueil favorable, si sa réputation n’est point fausse, et s’il est de vrai aussi honnête homme que je suis parfaitement,

 

MONSEIGNEUR,

 

De votre Grandeur,

Le très Humble et très obéissant serviteur,

 

A. MARESCHAL.

 

 

AU LECTEUR

 

N’attends point de longue Préface au front de cette pièce, pour la rendre plus recommandable, ou pour me faire louer hautement par un Ami. Après l’applaudissement général et l’honneur qu’elle a reçu dessus un Théâtre de cinq ans, je m’imagine que son titre lui sert de recommandation ; et je ne suis pas assez vain, pour faire tomber un Ami dans cette lâcheté de me flatter. C’est tout dire en deux mots : VOICI HYLAS. Tous ceux qui l’ont connu l’attendent depuis un long temps avec impatience ; et ceux qui ne l’attendent point ne pourront s’empêcher de le connaître, s’ils se hasardent de le regarder ou de l’écouter un moment. Ce n’est pas qu’il ait l’esprit excellent, il touche de trop près au mien : mais c’est qu’il est de bonne humeur : éprouve-le, si tu ne m’en veux croire, et ne crains point de t’ennuyer.

 

 

ARGUMENT DE L’INCONSTANCE D’HYLAS

 

HYLAS, le plus gentil esprit de la Province des Romains, et sorti de la meilleure famille de ces anciens Pâtres qui habitaient l’Île de Camargues, passa les premiers ans de sa jeunesse dans la ville d’Arles ; d’où l’amour la liberté et son inconstance le tirèrent, ou plutôt une honte d’avoir manqué Styliane, après avoir quitté Carlys sa première Maîtresse. Pour aller à Lyon il se mit sur le Rhône dans un Bateau de convoi, avecque nombre de personnes : où selon son humeur, moins par amour que par divertissement il en conta à Aymée, qu’il trouva plus sévère qu’il ne se l’était persuadé. Ce convoi branlant près d’une Île, on les déchargea sur le pré, où après avoir atteint à la course ; Floriante qui l’y avait attiré par jeu, il la fouetta, et dans la gentillesse de cette folâtre oublia la sévérité d’Aymée. Celle-là ne dura pas plus que celle-ci en son esprit : il se figura des appas dans la tristesse de Cloris ; dont les regrets qu’elle faisait sur le malheur de son Mari, qu’elle croyait bien plus blessé qu’il n’était en effet, furent le fondement d’une autre amour, que la compassion avait fait naître, et qui finit aussitôt que le sujet de ses plaintes. Ses plaintes en effet, ni la passion d’Hylas qui semblaient devoir être éternelles, n’allèrent que jusqu’à Lyon ; où la guérison de son mari commença sa joie, sa joie termina l’affection d’Hylas. Il devint depuis amoureux de la voix de Cyrcène dans le Temple, où il s’était laissé enfermer la nuit avecque les filles, bien que la loi en défendit l’entrée aux hommes sous punition de mort ; et qu’il eût sans doute encourue, si Palinice à qui il se découvrit par mégarde ne l’en eût retiré par pitié, en le cachant dessous son voile. Cette discrète charité sembla obliger Hylas à une autre, qui fut de lui donner son cœur, que Cyrcène ne tenait qu’à demi, et qu’elle eut tout entier, lorsque l’abordant quelque temps après pour parler en faveur de Clorian frère de Palinice, Hylas à son visage reconnut que c’était celle qu’il avait ouï chanter dedans le Temple, et lui adressa pour soi-même les prières qu’il devait porter pour son Ami. Une aventure depuis lui ravit Cyrcène, plutôt que son intention : lui, pour témoigner son amour pour elle, en un tournoi avait fait peindre pour devise une Syrène, afin de faire quelque rapport au nom de Cyrcène, et Ulysse attaché dans son vaisseau. Cette Syrène fut prise pour Parthénope jeune fille de Lyon, sur la rencontre de son nom avecque celui d’une des Syrènes qui s’appelle ainsi ; et Hylas qui n’y avait pas songé, ne fut point mari de confirmer la créance qu’on en avait prise, par les paroles d’amour qu’il lui tint à la première vue. Il les perdit toutes deux par la jalousie de Cyrcène, qui l’obligea de retourner à Palinice qu’il ne garda pas longtemps, pour se jeter dans l’amour de Florice qui dura quelque peu davantage. Elle fit toutefois un si grand bruit parmi toutes les compagnies de Lyon, que pour l’éteindre et apaiser les plaintes de son père Alcandre, Florice conjura Hylas de feindre d’en aimer une autre. Dorinde fut choisie à cet effet, qui pour lors était recherchée d’un Amant appelé Périandre, à qui Hylas sous couleur d’amitié qu’ils vont jurer ensemble dessus le Tombeau des deux Amis, ravit cette Maîtresse presque avant que d’avoir eu le loisir de l’aimer. Son dessein réussit par l’artifice d’un miroir, qu’il avait fait vendre à Dorinde, et qu’il fait croire à Périandre être porté par elle en sa faveur, comme un présent qu’elle avait désiré, avecque son portrait qu’il lui avait envoyé dedans ce miroir. Périandre le casse, voit le portrait d’Hylas, dit adieu à Dorinde, et par désespoir se retire dans un bois, tant pour ne troubler point son ami dedans la possession des faveurs de Dorinde, que pour fuir les lieux et les objets de son malheur. Dorinde éclate contre Hylas : il l’apaise et la jette dans l’amour ; dont Florice devient jalouse par la connaissance que lui en donne une lettre qu’elle dérobe à Hylas, comme ils s’entretiennent tous trois dedans un cabinet. Elle communique à Dorinde cette lettre, avecque beaucoup d’autres qu’Hylas lui avait données d’elle au commencement de sa feinte ; et ne pouvant par ce moyen ni la perdre auprès de Dorinde, dont il rabat la colère, ni le porter à revenir par jalousie, elle est enfin mariée à Théombre, de qui elle avait feint d’agréer la recherche, afin de réveiller l’amour d’Hylas par l’opposition de ce Rival. Son amour continue dans son mariage : Hylas qui n’appréhendait que ce seul lien, après s’être vengé revient à elle qui l’appelle, et qui l’oblige comme ils sont remis en bonne intelligence, de faire un affront à Dorinde, tant pour assouvir sa haine contre elle, que pour assurer son amour auprès de lui. C’est ce qu’il fait en la présence de son Ami Périandre, qui n’ayant pu souffrir l’absence de Dorinde était déjà retourné à Lyon, et avait reçu sa Maîtresse de la même main qui la lui avait dérobée. Pour se venger de cet affront et rendre le même à Florice, Dorinde en fait tenir une lettre à Théombre, qui l’alarme à un point qu’il emmène sa femme aux champs. Ainsi Hylas les ayant perdu toutes deux, et depuis Chryséide aussi, qui le laisse au commencement d’une nouvelle amour, il quitte Lyon comme un séjour odieux ; et sur le chemin pour aller dans le Forêts, fait reconnaître son inconstance à Laonice et Madonthe qu’il aime l’une après l’autre. Berger, il est pris, et commence par Phyllis ; continue sa façon d’aimer avec Alexis, qui était Céladon déguisé en fille, Druide, se pique d’amour pour le même dessous les habits d’Astrée ; et finit le cours de ses diverses amours par les vœux qu’il adresse à Stelle la plus inconstante des Bergères de Forêts. Il la reçoit des mains de Corylas, qu’elle avait autrefois aimé, par conséquent trompé, le laissant pour les mêmes Lysis et Semyre qu’elle avait quitté pour lui. Ce pair d’Inconstants autorise ses amours sous des conditions les plus étranges que la liberté puisse donner à leur humeur ; qui les joint sans lien par un Oracle qu’Amour rend, et qu’Adamas explique dans l’esprit d’Hylas ; qui s’accorde à la volonté des Dieux ; pourvu qu’elle ne soit pas contraire à la sienne.

 

 

À MONSIEUR MARESCHAL

Sur son Inconstance d’Hylas,

Par son intime Ami

 

Qu’Hylas a de raison, tout Inconstant qu’il est !

Que sa façon d’aimer est aimable, et me plaît !

Peut-on voir, MARESCHAL, une plus douce vie ?

Tes vers et son humeur ravissent mes esprits,

Et me donnent l’envie

De pouvoir l’imiter comme tu la décris.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

PÉRIANDRE, DORINDE

 

PÉRIANDRE parle à Dorinde qu’il mène par la main et masquée.

Dorinde, avouez-moi que par un vain souci

La laideur enseigna de voiler ainsi ;

Quelque lustre emprunté que recherche un visage,

Le Soleil est plus beau quand il est sans nuage.

DORINDE.

Qu’entendez-vous de là ?

PÉRIANDRE.

Qu’un masque injurieux

Offense vos appas, et fait tort à nos yeux ;

Qu’il se montre indiscret en trahissant notre aise,

Il nous cache ce front, et pourtant il le baise :

Quel crime auraient commis nos cœurs et la beauté,

Qu’on la tienne en prison, et nous sans liberté ?

Et quoi ? doit-on traiter en esclave une Reine ?

Qu’on te rende captive, ô Beauté souveraine.

DORINDE, levant le masque.

Voyez que pour flatter vos discours et vos sens

Cette Reine obéit...

PÉRIANDRE.

À mes vœux innocents :

Dans le respect qu’on porte à la plus retenue

L’on peut en cet endroit voir une Dame nue ;

C’est assez qu’une loi nous retienne caché

Ce que sans votre faute on eût vu sans péché ;

Il est vrai que l’erreur en est plus grande à l’homme

D’avoir ainsi quitté ce fruit pour une pomme ;

Voilà notre défaite, et suivant ce dessein

Les Dames ont depuis deux pommes dans le sein ;

Notre douceur a mis leur rigueur en usage,

Aujourd’hui l’on nous cache encore le visage,

Elles auront d’un jour jusques au lendemain

Les cheveux sous la coiffe et les gants sur la main :

La Nature est plus belle et sans art et sans voile ;

Qui la déguise, oppose au Soleil une Étoile,

Jette l’eau dans la mer, et peint un corps vivant,

Ne couvre un beau Palais que de poudre et de vent.

DORINDE.

Périandre, aujourd’hui m’avez-vous entreprise ?

PÉRIANDRE.

Non, j’accuse une erreur...

DORINDE.

Que je n’ai pas apprise ;

De quel art supposé pouvez-vous m’accusez ?

PÉRIANDRE.

D’avoir tant de beautés, et si mal en user,

Qu’on cache tant de traits par une humeur fantasque

Les unes sous le fard, et vous dessous le masque :

Pour voir en son éclat un visage si beau

Vos yeux feraient quitter à l’amour son bandeau ;

Et vous, pour le cacher à celui qui vous aime

Vous nous voilez l’Amour en vous voilant vous-même.

DORINDE.

Si j’en ai le bandeau, je n’en ai pas les traits.

PÉRIANDRE.

Et que font tant d’appas, et que font tant d’attraits

Qui dans mon cœur atteint font de si douces brèches ?

Vos yeux et vos sourcils font son arc et ses flèches.

DORINDE.

Serait-ce eux qui vous font le mal que vous plaignez ?

PÉRIANDRE.

Eux-mêmes, et ce front...

DORINDE.

Ah ! si vous le craignez,

Vraiment c’est la raison qu’un masque vous le cache.

PÉRIANDRE.

Sa voix me rend le cœur, et son œil me l’arrache.

DORINDE.

C’est doncques sans dessein.

PÉRIANDRE.

Comme sont tous vos coups.

DORINDE.

Et tous ces faux soupirs qui se plaignent de nous.

PÉRIANDRE.

Dieux ! comme son orgueil en nous blessant se joue !

Un captif...

DORINDE.

Ne l’est pas, si tel on ne l’avoue.

PÉRIANDRE.

Et donnez cette marque à mon affection.

DORINDE.

Et donnez à vos vœux plus de discrétion.

PÉRIANDRE.

Pour vous plaire est-ce assez de mourir sans le dire ?

Vous ne m’entendrez plus parler de mon martyre,

Ma perte seulement vous doit montrer un jour

Ma foi dans vos rigueurs, vos traits dans mon amour.

Il s'en va.

 

 

Scène II

 

DORINDE, HYLAS

 

DORINDE, seule.

Qu’on engage aisément un Amant qui se donne !

Qu’un peu de résistance et le change et l’étonne !

Hylas arrive.

Que veut Hylas ?

HYLAS.

Vous-même.

DORINDE.

Et si fort échauffé ?

HYLAS.

D’un feu qu’on ne doit voir à jamais étouffé.

DORINDE.

C’est peut-être celui qui brûlera le monde.

HYLAS.

De vrai, vos yeux mettraient en feu la glace et l’onde.

DORINDE.

Doncques vous renvoyez cette force à mes yeux.

HYLAS.

Oui, depuis qu’ils ont pu m’arrêter en ces lieux :

J’ai quitté mon pays, pour en chercher un autre.

DORINDE.

Et trouver...

HYLAS.

Un visage aussi beau que le vôtre.

DORINDE.

Arles vous en pouvait fournir un million.

HYLAS.

L’univers doit céder cet honneur à Lyon ;

C’est où j’ai rencontré cette beauté parfaite,

Où le nom de Dorinde honore ma défaite :

Sous ce nom je respire, et tiens ensevelis

Les yeux de Stiliane, et le front de Carlis.

DORINDE.

Pour me flatter, Hylas, vous leur faites injure.

HYLAS.

Qu’en cela leur défaut accuse la nature ;

Et de moi, je pardonne à leurs esprits jaloux,

Puisque leur seul malheur m’a fait venir à vous.

DORINDE.

Le mien me doit bientôt rendre de leurs compagnes.

HYLAS.

Quand on verra le Rhône au-dessus des montagnes.

DORINDE.

Sur un si haut serment qui ne vous croirait pas ?

Mais vous venez de loin, ce n’est pas sans combats ;

Quelque rocher, Hylas, menaça de naufrage

Sinon votre bateau du moins votre courage,

Dessus le Rhône on voit les filles d’Achelois

Mieux que sur l’Océan faire suivre leurs lois.

HYLAS.

Lorsque mes yeux ont eu des rencontres pareilles

Je ne suis pas Ulysse à fermer les oreilles.

DORINDE, continuant.

Et puis les prés qu’il baigne, attirent à ce point

Qu’on ne peut les passer et n’y descendre point ;

Là se prend...

HYLAS.

Achevez. Que sa bouche est riante !

DORINDE.

Je vous parle de fleurs.

HYLAS.

Ou bien de Floriante.

Ah, que vous avez d’art à me faire avouer

Un juste changement dont on doit me louer :

Floriante, il est vrai, par son afféterie

Cueillit avec les fleurs mon cœur en la prairie ;

Mais qu’elle fut subtile à me le dérober !

Cette fille courut, seulement pour tomber :

Que vis-je ? quel plaisir termina ma poursuite ?

Assez d’autres voudraient l’imiter en sa fuite :

Elle ne fut pas seule à gagner mes esprits,

Et je la mis de rang entre Aymée, et Cloris ;

Si leur diverse humeur à ma flamme résiste,

Ta folâtre adoucit la modeste et la triste :

Enfin je quitte Aymée en sa sévérité,

Et Floriante aussi pour sa facilité.

DORINDE.

Et Cloris ?

HYLAS.

Je dirai qu’elle avait plus de charmes ;

Mais j’étais amoureux seulement de ses larmes :

Comme elle avait gagné mon cœur par la pitié,

Elle devint plus gaie, et moi sans amitié.

DORINDE.

Votre justice égale, à trois fut exemplaire :

Quelle humeur après tout est digne de vous plaire ?

Et que dois-je espérer, si vous traitez ainsi

La Joyeuse, la Triste, et la Sévère aussi ?

HYLAS.

Mon amitié n’est pas étrange ni commune,

J’aime ces trois esprits, mais je les veux en une.

DORINDE.

Vraiment, si la nature eût prévu vos rigueurs,

Elle nous eût donné trois têtes, et trois cœurs :

Vous, qui faites enfin si fort le difficile.

HYLAS.

Je vous les donnerais, quand j’en aurais eu mille.

DORINDE.

Hylas peut aisément, continuant ce jeu,

Faire de grands présents, mais qui lui coûtent peu.

HYLAS.

Trop peu, quand ils seraient enrichis de ma vie,

Que votre cruauté m’aura bientôt ravie.

DORINDE.

Épargnez-moi ce deuil, et ne me forcez pas

De croire en votre mort funestes mes appas ;

Elle me causerait un déplaisir extrême.

HYLAS.

Voilà ces trois humeurs, et qui sont en vous-même ;

Ah ! Dorinde, à ce coup voyez que je vous tiens.

DORINDE.

Des mains.

HYLAS.

Et de l’esprit.

DORINDE.

Je crains peu ces liens...

HYLAS.

Moqueuse, vous riez avecque tant d’adresse

Que j’aime cette humeur moins elle ne me caresse :

Vos yeux me font mourir, puis plaignent en effet

Et la mort que j’endure, et le mal qu’ils ont fait,

Dans ces diversités ma flamme persévère

Qui vous trouve à la fois triste, gaie, et sévère :

Ce mélange subtil rend mes esprits contents ;

Toute humeur me déplaît qui dure trop longtemps ;

Le Soleil à mes yeux aurait perdu sa grâce

S’il nous montrait toujours ce que la nuit efface,

Elle donne à la terre et l’ombre et la fraîcheur ;

Le noir a ses appas, ainsi que la blancheur :

J’aime qu’une maîtresse entretienne mon âme

Tantôt dedans la glace, et tantôt dans la flamme,

Qu’elle me soit cruelle, afin de l’apaiser,

Et qu’elle me soit douce, afin de la baiser ;

Sa cruauté me plaît, combien que j’en soupire,

Et sa douceur accroît ma flamme et son empire :

Vivant je hais la vie, et l’aime quand je meurs.

DORINDE.

Quel avantage, Hylas, de savoir vos humeurs !

Je les conserverai toujours en la mémoire.

HYLAS.

Ainsi vous m’arrêtez, et gagnez une gloire.

DORINDE.

Que Cyrcène a perdue, et que regrette en vain

Celle qui vous tendit et son voile, et sa main.

HYLAS.

Que vous m’allez de loin rechercher cet exemple !

DORINDE.

Sa seule charité vous délivra du Temple.

HYLAS.

Rien que la mienne aussi ne lui donna mon cœur

Qui soupirait déjà sous un autre vainqueur :

Cyrcène l’eut dedans, Palynice à la porte ;

L’une d’un temps le charme, et l’autre me l’emporte :

Mais il revint depuis à son premier objet,

Et Clorian trop simple en fournit le sujet ;

En ce lieu la raison ne veut pas que je mente.

DORINDE.

Vous trahîtes l’Ami, pour perdre après l’Amante.

HYLAS.

Cyrcène eut cette force.

DORINDE.

Hylas cette douceur,

Qu’il offensa le frère, et délaissa la sœur.

HYLAS.

Vous savez mieux que moi tout l’état de ma vie,

Votre mémoire m’aide et prévient mon envie :

Dites...

DORINDE.

Que Parthénope...

HYLAS.

À la fin les vengea,

Quand une erreur de nom sous ses lois me rangea.

DORINDE.

Qu’elle-même depuis ne fut pas mieux traitée,

Et qu’à toutes Florice a la place emportée.

HYLAS.

Ou que tout son dessein fut de vous la garder,

Le mien, de vous servir et de vous posséder.

DORINDE.

Et moi, je n’en ai point, même de me défendre

D’un homme qui contraint tous les cœurs à se rendre.

Je suis par trop timide et faible contre vous,

Pour attendre en ce lieu ma perte ni vos coups ;

Je servirai pourtant d’objet à votre gloire,

Ma fuite vous sera dixième victoire.

Dorinde s'en va.

 

 

Scène III

 

HYLAS, FLORICE

 

HYLAS, demeuré seul sur le Théâtre.

Bien que j’eusse au discours un tout contraire vœu,

Sa franchise me plaît, elle me touche un peu ;

Il est vrai que je n’eus pour elle aucune atteinte,

Que tout cet entretien ne servait que de feinte ;

Florice, qui me tient en de plus beaux liens,

M’a présenté ceux-ci pour mieux cacher les siens :

Mais de donner ce voile à notre amour visible ;

Dorinde est agréable, et moi je suis sensible ;

Le feu que nous cherchons nous brûle quelquefois

Et j’ai toujours appris d’en faire de tout bois.

Florice me surprend : commençons à nous plaindre.

FLORICE, survenant.

Lequel vous revient mieux ou d’aimer, ou de feindre ?

Dorinde a-t-elle pris l’amorce du discours ?

Pourra-t-elle couvrir le jeu de nos amours ?

Hylas peut-il m’aimer jusques à cette peine ?

HYLAS.

Et vous, récompenser une attente incertaine ?

Ah ! Florice, voyez où l’amour m’a réduit,

Qu’il me faille chercher le jour dedans la nuit,

Perdre tous mes plaisirs, pour en feindre auprès d’elle,

Pour preuve de ma foi que je sois infidèle.

FLORICE.

Mon cœur, tous ces effets qui suivent votre foi

Sont rendus à Dorinde, et s’adressent à moi,

Hylas doit cet office à mon amour extrême,

Et je l’aimerai plus, moins on croira qu’il m’aime.

Après cette contrainte et ces traits ennuyeux

Vous pouvez délasser votre esprit dans mes yeux ;

N’ont-ils plus ces appas destinés à vous plaire ?

Prenez là votre peine, ici votre salaire.

HYLAS, l’ayant baisé.

Ô Dieux ! si tel plaisir couronne nos travaux,

Gardez le bien pour vous, et nous laissez nos maux :

J’ai senti, belle bouche, une pointe divine,

Ici j’aime la rose, à cause de l’épine.

Allant au bout du Théâtre.

Hors de mon cœur, Dorinde, et tant d’autres portraits,

Vous ne me tenez plus dedans vos faux attraits,

En toute liberté revoyez vos compagnes,

Retournez sur les eaux, reprenez les campagnes ;

Mon cœur fermant la porte à tous vos vains désirs

Y reçoit seulement Florice, et mes plaisirs :

Savez-vous pas qu’enfin je suis à la plus belle ?

Vieux objets effacés, qu’êtes-vous auprès d’elle ?      

Apprenez, petits feux, à craindre le Soleil,

Que mon cœur et son teint ignorent leur pareil.

FLORICE.

Que je connais d’amour dedans votre colère !

Et que vous me rendez riche de leur misère !

Quand vous les bannissez ainsi de vos esprits

Vous chassez mes soupçons qui suivent leur mépris :

Mais pour tromper les yeux qui troublent notre joie,

Permettez qu’à Dorinde enfin je vous renvoie.

HYLAS.

Dites à mon supplice, à mes tourments offerts !

Après l'avoir baisée.

Peut-on si doucement aller dans les Enfers.

FLORICE.

Cependant je vivrai de douleur et de flamme,

Puisque dans ce baiser il emporte mon âme.

 

 

Scène IV

 

ALCANDRE, FLORICE

 

ALCANDRE, père de Florice.

Seule ici ? sans compagne ? où rêvez-vous si fort ?

Vous attendez Hylas, ou peut-être il en sort :

Voulez-vous que sans fin l’amour qui vous surmonte

Me cause de la peine autant qu’à vous de honte ?

Osez-vous troubler l’âge que j’ai franchi ?

Et voir rougir ce front que nature a blanchi ?

Faut-il que votre honte ait ma gloire bornée ?

Que vous ôtiez la vie à qui vous l’a donnée ?

Quoi ? ne sauriez-vous suivre un chemin si battu,

Que la raison prescrit, que montre la vertu ?

Étouffez tous ces bruits, de qui la violence

Tient votre honneur encore et ma vie en balance ;

Vous rendrez ce ruisseau dans sa course tari,

Pour chasser un Amant choisissez un Mari.

FLORICE.

Ce que vous désirez est tout ce que j’espère ;

L’un je le recevrai de la main de mon Père ;

Et pour l’autre, Monsieur, son cœur ingénieux

Ouvre à toutes l’oreille, et m’a fermé les yeux ;

Hylas aime Dorinde, et m’entretient par feinte,

Son abord me déplaît qui cause votre plainte ;

Ce bruit m’a réveillée, et depuis quelques jours

J’ai connu que je sers de planche à leurs amours,

J’ai rendu la lumière à ma vue égarée,

Et croyez que j’en suis tout à fait retirée.

ALCANDRE.

En ce cas vos devoirs conjoints à la raison

Conserveront l’honneur acquis à ma Maison,

Si vous continuez au dessein de me plaire

J’oublierai votre faute ainsi que ma colère,

Ma Fille, vous verrez mes feux se rallumer,

Que je ne me suis plaint que pour vous trop aimer.

 

 

Scène V

 

PÉRIANDRE, HYLAS

 

PÉRIANDRE, seul.

Continuez, Mauvaise, et soyez-moi plus dure ;

Je ne me plaindrai plus des tourments que j’endure ;

Le Ciel enfin m’épargne et me blesse à demi,

Car s’il m’ôte une Amante, il me donne un Ami :

Hylas, de qui l’esprit relève la naissance,

M’a donné dans son cœur une entière puissance,

Son agréable humeur adoucit mes ennuis,

Ensemble nous passons et les jours et les nuits,

Notre amitié fait honte à la plus ancienne,

Il voit dedans mon âme, et je lis dans la sienne,

Et pour rendre plus forts nos amoureux serments

Nous les allons jurer au Tombeau des Amants

Dorinde, ne crois pas que cela diminue...

HYLAS, l’appelant de loin.

À gauche, Ami ; prenons cette route inconnue.

PÉRIANDRE.

Mon cœur vous attendait, et sur ce doux penser

Défendait à mes pieds en marchant d’avancer.

HYLAS.

Et le mien, cher Ami, courait après le vôtre :

PÉRIANDRE.

C’est assez qu’en ces lieux ils se joignent l’un l’autre :

Ici se découvre le Tombeau des deux Amants  dans une Grotte toute en deuil et remplie de lampes ardentes.

Lieux sacrés à la nuit, qui donnent sans terreur

La lumière à nos sens par une sainte horreur,

Dirait-on pas, Hylas, que cet espace enserre

La clarté dedans l’ombre, et le Ciel en la Terre ?

Si la mort eut porté son dard jusques aux Cieux,

On eut ici choisi le sépulcre des Dieux ;

Et je l’estime tel encore sans blasphèmes,

Il enclot deux Amants qui sont des Dieux eux-mêmes ;

Le Ciel en rougirait s’il n’avait pas compris

Au nombre des heureux ces fidèles Esprits.

Il se met à genoux.

Vénérable Tombeau, Tutélaires Génies,

Qui conservez la foi de deux Âmes unies,

Qui n’eûtes et n’avez par un si doux accord,

Qu’un esprit pour la vie, un Tombeau pour la mort,

Il prend la main d'Hylas qui est à genoux aussi.

Donnez à deux Amis dont la foi vous réclame

Et son âme à mon cœur, et mon cœur à son âme ;

Faites-nous surmonter tous les efforts humains,

Joignez nos deux esprits, comme le sont nos mains,

Qu’à jamais ce lien nous tienne inséparables.

HYLAS.

Vous fidèles Amis, que j’estime adorables,

Oyez la voix d’Hylas qui confirme ces vœux,

Rendez son amitié mémorable aux Neveux.

Puis se relevant.

Allons, veux-tu coucher dedans ce cimetière ?

Parler avec les Morts, et toucher une bière,

C’est un froid entretien, je n’aime pas ce lieu,

Vois, si tu dois me suivre, ou moi, te dire adieu.

PÉRIANDRE.

Un mot sera la fin de ce sacré mystère :

Oyez, divins Esprits...

HYLAS.

Il vaut autant nous taire,

Et quoi ? ne sais-tu pas qu’ils lisent dedans nous ?

PÉRIANDRE, continuant.

Écoutez deux Amis prosternés à genoux,

Qui demandent au Ciel, de même qu’à la terre

Et le feu de là-bas, et celui du tonnerre,

Pour punir...

HYLAS.

Arrêtez...

PÉRIANDRE, continuant.

L’infracteur de la foi.

HYLAS, se relevant.

Vous donnez à nos vœux une sévère loi :

Le mystère accompli quittons cette menace,

N’appelons point l’orage, et goûtons la bonace ;

Attaché par le cœur je hais d’autres liens,

Je connais vos désirs, et vous savez les miens ;

À tous nos ennemis envoyons cette foudre,

Qu’elle me touche, ou vous : je ne m’y puis résoudre ;

Quoi ? sommes-nous des dieux pour savoir l’avenir ?

PÉRIANDRE.

Ce que j’ai appris d’Hylas il me le faut tenir.

HYLAS.

J’aime ainsi que traité, de traiter en franchise ;

La moitié de mon cœur, Ami, vous est acquise,

Y pourriez-vous enfin prétendre plus que moi ?

Voulez-vous y graver en Tyran votre loi ?

L’autre moitié doit être entière à ma maîtresse ;

Souvent je donne moins lorsque plus on me presse.

Mais pour vous faire voir mon âme à découvert,

Qu’il n’est rien là dedans qui ne vous soit ouvert,

Je vous la veux nommer cette Reine des Belles,

Cet objet tout divin de mes flammes nouvelles,

Dorinde...

PÉRIANDRE.

Ô Dieux !

HYLAS.

Et quoi ? cher Ami, tu pâlis ;

Que ferais-tu, voyant ses roses et ses lys ?

PÉRIANDRE.

De quel effort se voit mon amitié suivie ?

Ce mot est le couteau qui tranchera ma vie.

HYLAS.

Ton sort comme le mien serait trop glorieux,

Toi mourant pour son nom, et moi pour ses beaux yeux :

Mais si tu t’es rendu sensible à ma fortune,

Que je sache la tienne.

PÉRIANDRE.

Ah ! demande importune !

Achève, et tu sauras par le tien mon souci.

HYLAS.

Dorinde est ma Maîtresse.

PÉRIANDRE.

Et c’est la mienne aussi.

Dieux ! que vous avez mis d’épines sous la rose !

L’amitié veut mon cœur, et l’amour en dispose ;

Je leur ôte, et le rends : ah ! Je confonds mes vœux !

C’est n’avoir point de cœur que d’en avoir pour deux.

HYLAS.

Erreur ; apprends ceci : l’amitié nous dispense,

Et permet que l’amour cherche sa récompense :

Aimons-nous, et Dorinde ; et cédant au vainqueur,

Voyons à qui premier se donnera son cœur ;

En Ami, quelle grâce à suivi tes services ?

PÉRIANDRE.

De mourir en l’aimant, et d’aimer mes supplices.

HYLAS.

Je me puis prévaloir d’un tout semblable bien,

Mon tourment te doit peu, s’il ne passe le tien.

Or puisqu’elle nous est également contraire,

Et qu’aucune raison ne nous en peut distraire,

Voyons à qui le sort destine ses faveurs ;

L’amitié doit permettre à l’amour ces ferveurs.

PÉRIANDRE.

La justice l’ordonne, et ce point me contente.

HYLAS.

La première faveur décide notre attente ;

Le vaincu cédera la place au plus heureux.

PÉRIANDRE, s’en allant.

Allons donc avancer nos desseins amoureux.

HYLAS, seul.

Marche, dépêche, cours ; ma victoire certaine

M’en garde la plaisir et t’en laisse la peine ;

Préviens-moi vers Dorinde, et tente ses appas ;

Je sais l’art d’avancer et faire peu de pas :

Entre dans son esprit ; la ruse que je trace

T’en chasse, malheureux, et me met en sa grâce,

Le moyen m’est aisé, comme je l’ai conçu.

Mais puis-je sans regret voir un Ami déçu ?

Pourquoi ? s’il me dispute un bien que je demande :

Le demandé-je aussi ? la doute est assez grande.

Oui, Dorinde ; un soupir qui vient m’entretenir

Me dit bas que je t’aime et qu’il faut t’obtenir ;

L’amour de Périandre augmente mon envie,

Ma flamme, de ses feux tient la force et la vie,

Montrons-lui qu’en amour tout effort est permis,

Qu’Hylas, pour être amant, ne connaît point d’Ami.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

PÉRIANDRE, HYLAS

 

PÉRIANDRE.

La suite des amours que vous m’avez contée

Tient ma créance en doute et presque surmontée ;

Je vous accuse, Ami, d’être si peu constant,

Et je me plains aussi que vous le soyez tant ;

Dorinde, à mon malheur, a de trop fortes armes

Pour vous laisser jamais aller à d’autres charmes,

Et l’on dira qu’Hylas ne pouvant plus courir

Fut constant seulement pour me faire mourir :

J’approuve votre choix, quelque mal que j’en tire

Et vous blâme par tout hormis en mon martyre,

J’accuse et loue ensemble un aveugle destin

Qui donne à vos erreurs une si belle fin,

Qui purge ainsi vos feux, et m’en fait la victime.

HYLAS.

Appelez-vous erreur un dessein légitime,

Qui fournit cette course à mon affection

Pour chercher la beauté dans sa perfection ?

J’aime le beau partout, et faut-il qu’on m’en blâme ?

Mille ont ravi mes yeux, une seule mon Âme,

Plusieurs ont sur mon cœur éprouvé leur Aimant,

Mais je faisais chemin et passais seulement ;

Jamais vaisseau n’a pris tant de vent que le nôtre,

Je pensais aimer l’une, et j’en suivais une autre :

Mais le destin d’accord avec mon jugement

Me porte où je venais par tant de changement,

Dorinde enfin m’arrête, et fait que je respire

Sous les divines lois de son aimable empire :

Confessez que j’ai fait un légitime effort,

Et n’étais inconstant que pour aller au port.

PÉRIANDRE.

J’estime le succès, j’en blâme le voyage,

Et j’admire ce cœur que tout objet engage ;

Avouez, après tout, qu’un dessein bien conduit

S’il donne plus de peine, apporte plus de fruit.

HYLAS.

Les fruits sont si tardifs, que la constance apporte,

Qu’en sa vie un Amant ne les a qu’il n’en sorte ;

Voyez ces languissants, qui dans mille transports

Ne vivent déjà plus avant que d’être morts,

Ils attendent un bien, qui rarement arrive,

Un temps le leur promet, un autre les en prive ;

Et la Meurtrière croit obliger un Amant

De dire sur sa fosse (Il est mort en m’aimant :)

C’est trop que leur faveur hors de temps nous réponde

Elles font des heureux, mais c’est pour l’autre monde :

Vieillir près d’un objet qui vous tient au collet

Attendre qu’un visage enfin devienne laid,

Donner tous vos plaisirs pour une repentance ;

Voilà dans votre erreur ce qu’on nomme constance.

PÉRIANDRE.

Prendre pour un vrai corps, son ombre, ou son tableau,

Courir après le vent, et peindre dessus l’eau,

Bâtir dedans la nue, et fonder sur le sable,

Pour la félicité prendre un bien périssable,

Méconnaître soi-même, en tout se transformer ;

Voilà tout ce que fait l’Inconstant pour aimer.

HYLAS.

Il n’a qu’un seul objet, que la raison approuve,

Il cherche son plaisir, et partout il le trouve.

PÉRIANDRE.

Jamais il n’est parfait que dedans la vertu.       

HYLAS.

Le plaisir me déplaît s’il est trop débattu.

PÉRIANDRE.

La résistance fait la victoire plus belle.

HYLAS.

Pour la suivre je veux qu’elle s’offre ou m’appelle.

PÉRIANDRE.

La gloire est au combat, le plaisir dans les soins.

HYLAS.

Souvent le bien se donne à qui travaille moins.

PÉRIANDRE.

Le travail est si doux qu’il sert de récompense.

HYLAS, parlant bas.

Il touche son malheur, et dit mieux qu’il ne pense ;

Courage donc, Hylas, il est temps d’éventer

La mine qui le perd, et te peut contenter ;

Sortez respects, devoirs, amitié, déférence,

Vous tâchez d’affaiblir en vain mon assurance.

Relevant la voix.

En effet, cher Ami, je crains que les travaux,

Vous demeurent enfin pour le fruit de vos maux,

Qu’après beaucoup de soins que votre amour vous donne

Vous cultiviez un champ, et que je le moissonne :

Dorinde répond-elle à votre intention ?

Quelle marque avez-vous de son affection ?

Qu’est-elle à vos désirs ? Ingrate ou favorable.

PÉRIANDRE.

Plus cruelle toujours, et moi plus misérable.

HYLAS.

Ah ! je ne saurais plus vous tenir en suspens :

Mais ne puis-je être heureux, Ami, qu’à vos dépens ?

Dieux ! pour dire trois mots je sens trop de faiblesse.

Je possède Dorinde.

PÉRIANDRE.

Et la Parque me laisse ?

Et je ne mourrai pas ? et j’ai si peu de cœur ?

Et mon âme s’entend avecque ma langueur ?

Sors enfin de mon sein, esprit lâche et rebelle :

Attends, vis pour la voir et mourir auprès d’elle,

C’est le lieu seulement où tu dois expirer.

HYLAS.

Et vous croyez, Ami, que je puis l’endurer ?

Ô la rare constance ! et je la pourrais suivre ?

Il en a pour aimer, et n’en n’a point pour vivre :

Vous m’enviez un bien, ô Dieux ! quelle amitié !

Où, s’il se divisait, vous auriez la moitié ;

Et bien, prenez le tout, si cela vous afflige.

PÉRIANDRE.

Estimé-je une perte où tel ami m’oblige ?

Vous méritez Dorinde, en pouvant la céder ;

Rien que votre amitié ne la doit posséder,

Je quitte à vos vertus cette faveur insigne.

HYLAS.

Qui suit le plus heureux, et laisse le plus digne ?

N’avez-vous point pris garde, (oyez, Dieux, si je mens,)

À ce riche miroir couvert de diamants,

Qu’en ma faveur Dorinde a toujours avec elle ;

Où souvent elle voit sa grâce naturelle ;

Mais plutôt mon portrait, qu’elle cache au-dedans

Qui sous la glace tient ses feux les plus ardents ?

C’est où sa passion à la mienne s’assemble,

Où j’attache son cœur et ses yeux tout ensemble :

Ce présent qu’elle a pris m’assure de sa foi,

Elle ne le chérit que pour l’amour de moi :

Allez prendre auprès d’elle et mon heure et ma place,

Feignez de vous jouer, et rompez cette glace ;

Vous verrez son amour, votre perte, et mon bien ;

Mais gardez le respect, et ne parlez de rien.

PÉRIANDRE.

Quelque forte douleur qui sur l’heure me touche,

Mon cœur à ce sujet me fermera la bouche ;

Permettez que mes yeux sans remise aillent voir

L’objet de votre gloire, et de mon désespoir,

Que j’offre à ma raison la vérité connue.

HYLAS.

Si ne la verras-tu qu’à travers une nue ;

Mon jugement a su si bien la déguiser,

Qu’un plus rusé que toi s’y pourrait abuser ;

Ce Miroir à Dorinde est vendu par adresse,

J’ai tiré de l’argent pour prendre une maîtresse,

Et ma subtilité qui les trompe tous deux

Vend à l’une la glace, ôte à l’autre ses feux ;

Je gagne une victoire aujourd’hui sans seconde

Même par un appui le plus faible du monde.

 

 

Scène II

 

DORINDE, PÉRIANDRE

 

DORINDE, seule.

Quelque sage conseil qu’on oppose à l’Amour,

C’est un rayon qui passe en nous montrant le jour,

Que la raison est lâche en cette résistance !

Contre cet ennemi qu’elle a peu de constance !

Dans un si doux combat qu’un cœur a de vertu

Qui soutient ses assauts et n’est point abattu !

Mille attaquent le mien, et quoique je le veille

L’un entre par les yeux, et l’autre par l’oreille :

Mais sur tous Périandre a des traits si puissants

Qu’il s’est acquis de droit l’empire de mes sens ;

Hylas est quelquefois entré dans la balance ;

Mais il ne se peut taire, et j’aime le silence ;

L’autre a plus de conduite et de discrétion

Le voici, tout rêveur et dans sa passion.

À quoi songez-vous tant ?

PÉRIANDRE.

À vous seule, à ma perte.

DORINDE.

L’une doit être loin, l’autre vous est offerte ;

Penseriez-vous trouver votre perte où je suis ?

J’estime trop vos feux pour causer vos ennuis.

PÉRIANDRE.

Pour m’offenser au vrai l’on m’oblige par feinte :

Voyez dans ce miroir le sujet de ma plainte.

Ô Dieux ! je parle trop ; l’ingrate qui m’entend

Pour me punir y jette un œil assez content ;

Elle sourit ; Hylas lui répond ; et je tremble ;

Ils parlent de mon mal, et s’en moquent ensemble :

Et je souffre à mes yeux leur entretien secret ?

Je suis si malheureux, et puis être discret ?

Qu’y voyez-vous, Dorinde ?

DORINDE.

Un Dieu sur mon visage,

Qui blâmant vos douleurs vous en défend l’usage.

PÉRIANDRE.

C’est lui qui les nourrit sans dire quel il est ;

On ne voit là d’objet...

DORINDE, lui passant le Miroir devant les yeux pour se voir.

Que celui qui me plaît.

PÉRIANDRE.

Doncque sachant combien l’autre m’est préférable,

N’obligez pas mes yeux d’y voir un misérable.

DORINDE.

Vous y verrez celui qui me touche les sens.

PÉRIANDRE, prenant le Miroir.

Ah ! les miens malgré moi vous sont obéissants.

Parlant bas au bout du Théâtre.

Mon cœur vient dans mes yeux, il perce cette glace ;

Hylas est là-dessous, il faut que je l’en chasse :

Que me sert un effort dont la raison se rit ?

Le chasser du Miroir, s’il est dans son esprit ?

DORINDE.

Qu’il se flatte aisément d’une faveur légère !

Mais laissons l’en jouir puisqu’il la tient si chère.

PÉRIANDRE.

Cassons-le toutefois ; non c’est trop de rigueur ;

Contre un si faible écueil que j’ai peu de vigueur :

Mon respect, qui soutient une cruelle guerre,

Trouve mille ennemis à combattre en un verre ;

Je cherche et n’ose voir mon supplice fatal,

Je fais naufrage en terre et contre du cristal :

Dorinde eut ce présent d’un ami si fidèle ;

Faut-il par son débris que je me venge d’elle ?

Hylas me le permet, c’est son commandement.

Hélas ! mon cœur le veut, et puis il se dément ;

Pour le faire sans bruit ne saurais-tu, mon âme,

Fondre ce peu de glace avecque tant de flamme ?

Ayant vu ce portrait, s’il ne faut que de l’eau,

Mes pleurs le couvriront d’un glaçon tout nouveau.

Faibles yeux, faible cœur, en vain je vous approche ;

Il résiste à vos feux, ce cristal est de roche :

Ce rempart transparent, que je n’ose forcer,

Si je ne le puis fondre, il le faut renverser ;

Que ma timidité me serve ici d’adresse,

Ma victoire consiste à montrer ma faiblesse.

DORINDE.

Que de transports ! il tremble.

PÉRIANDRE, ayant cassé le Miroir.

Ô destins inhumains !

Qu’ai-je fait ? ce miroir m’est échappé des mains ;

Pardon.

DORINDE.

Le voudriez-vous ? et de si peu de chose ?

PÉRIANDRE, bas.

Ces épines enfin nous montreront la rose ;

Reliques d’un trésor...

DORINDE.

Ne les ramassez pas.

PÉRIANDRE, bas.

Ô Dieux ! qu’elle est subtile !

DORINDE.

En faire tant de cas ?

C’est où mon amitié d’un vain respect s’offense.

PÉRIANDRE, bas.

Que son dessein paraît dedans cette défense !

Inutile pourtant. Mais quel poison ? ô Dieux !

Avant qu’il m’entre au cœur je le porte à vos yeux.

Reprends courage. Adieu : je dirai sans me plaindre,

Si je sus bien aimer, que vous savez mieux feindre.

DORINDE.

Quel monstre, quel objet le fait ainsi fuir ?

Puis regardant le portrait d'Hylas en sa main.

Que vois-je donc ? hélas ! et que viens-je d’ouïr ?

Voici le Basilic qui lui blesse la vue,

Je tiens entre mes mains le serpent qui le tue ;

Tigre, rends-moi ce cœur qu’on me vient d’emporter :

On dirait qu’il en rit et qu’il veut m’accoster,

Il parle, il se défend, ah ! le traître, il s’excuse :

Arrachons-lui les yeux. Mais hélas ! je m’abuse,

Je tourne mon courroux contre une ombre, et du vent,

J’attaque la peinture et laisse le vivant :

Donne trêve à tes cris, suspends un peu ta rage,

Sachons si c’est Hylas qui cause cet orage ;

Celle qui pour le vendre apporta ce miroir

Par sa créance peut régler mon désespoir ;

Doncque sur un chemin si noir et difficile,

Avant que d’y passer, consultons ma Sybille.

 

 

Scène III

 

HYLAS, LE PAGE, DORINDE

 

HYLAS, seul.

Retirez-vous, pensers ; osez-vous revenir

Encore malgré moi dedans mon souvenir ?

Ne me reprochez plus que je suis un perfide,

Portez ces vains soupçons à quelque esprit timide ;

Perdre son intérêt pour celui d’un Ami

C’est être dans le monde un peu trop endormi,

Tous les serments passés ne nous sauraient contraindre

De fuir un bonheur où nous pouvons atteindre,

Ces reproches ont lieu contre qui les craindrait :

Périandre est plus simple, et je suis plus adroit ;

Si j’ai choisi le mieux, s’il a trouvé le pire,

Doit-on ?... Voici son Page ; oyons ce qu’il veut dire.

LE PAGE.

Prêt de quitter la vie, aussi bien que ce lieu,

Un Ami vous écrit et vous fait cet adieu.

HYLAS.

Cet Amant transporté fera quelque saillie ;

Mon humeur m’affranchit de semblable folie,

Que n’a-t-il aujourd’hui mon cœur et mon esprit !

Mais laissons le moins sage, et lisons cet écrit.

Lettre de Périandre à Hylas.

Vous seriez le plus heureux homme du monde aujourd’hui, Hylas, si je n’y étais point ; pour ce que l’amitié vous fera partager ma peine, et que la joie qui vous doit revenir de votre victoire, sera troublée par la perte de celui sur qui vous l’avez emportée. Je ne puis haïr mon malheur, puisqu’il cause votre félicité : mais bien les lieux qui en sont les témoins, et ces yeux ingrats qui en furent les complices. De même que je ne veux point toucher à votre gloire, je vous conjure de me laisser tout seul porter ma disgrâce, et de connaître combien je désire que tous vos contentements soient purs, puisqu’en perdant les miens je ne vous ai pas voulu donner le regret de me voir triste. Croiriez-vous que j’ai peine encore de vous envoyer l’adieu dans ce papier, de peur que cela vous afflige. Si vous me continuez votre affection, je n’ai pas tout perdu, et il y a encore quelque chose au monde qui peut consoler le misérable.

PÉRIANDRE.

HYLAS.

Il s’en est donc allé ?

LE PAGE.

Seul, et depuis une heure.

HYLAS.

Non, ne crains point, Ami, pour cela que j’en meure,

Je n’aurais fait jamais ce que tu me défends ;

Ce beau coup a rendu tous mes vœux triomphants,

Dans la félicité dont ma gloire est suivie

Un Dieu me ferait plus de pitié que d’envie.

Il fuit donc ? Et voici Dorinde qui me suit.

Page, retirez-vous ; mon ombre ici me nuit.

Le Page s'en va.

Ses regards en fureur me vont réduire en poudre ;

J’en ai souffert l’éclat, soutenons-en la foudre.

DORINDE.

L’assurance du traître ! il rit après ce trait :

Connaîtrez-vous, Hylas, de qui fut ce portrait ?

HYLAS.

Du plus fidèle Amant et plus parfait qui vive,

Qui tient dessous vos lois sa liberté captive.

DORINDE.

Abuser de ces noms, déloyal, imposteur ?

HYLAS.

Condamnez l’action, mais louez-en l’auteur.

DORINDE, déchirant le portrait.

Plutôt, pour me venger d’une si grande injure,

Je le mettrais en pièce, ainsi que sa peinture.

HYLAS.

C’est un léger effet qui suit votre rigueur,

D’offenser mon portrait m’ayant brûlé le cœur :

Connaissez mon travail, et qu’un si bon office

Vous ôte un importun, vous offrant mon service ;

Que perdez-vous en lui, que vous n’ayez en moi ?

Ce coup vous montre assez mon amour et ma foi ;

Doutez-vous d’elle encore ? ah ! regardez ma peine,

Et par cette action vous en serez certaine.

DORINDE.

Traître, parjure, ingrat, taisez-vous seulement.

HYLAS.

Après tout, ajoutez aussi parfait Amant.

La raison est bien faible où sans réplique on passe

Des paroles aux cris, et des cris à la menace.

DORINDE.

C’est peu de m’offenser, et l’un de vos amis ?

HYLAS.

Pour chasser un Rival que n’est-il pas permis ?

Pour vous j’aurais perdu ma patrie, et moi-même ;

Jugez de là combien mon amour est extrême :

L’artifice aux Amants n’est pas un jeu nouveau,

Pour ne voir point leur fourbe Amour porte un bandeau.

DORINDE.

Mais trahir un Ami ?

HYLAS.

Pour vous être fidèle.

DORINDE.

Perdre...

HYLAS.

Tout, pour gagner une gloire si belle.

L’excuse de ma faute est dedans son sujet,

Peut-on faillir, ô Dieux ! Pour un si bel objet ;

Dorinde connaîtrait, lisant dans mon courage,

Qu’on ne peut faire moins, ni l’aimer davantage :

Et bien, j’aurai failli par excès en l’aimant ;

Ce Criminel au moins demande son tourment :

Quel supplice plus grand qu’une amoureuse peine,

Où l’on souffre les feux, et les fers, et la gêne ?

Ordonnez-le à ce cœur, se qui l’ambition

Est d’honorer son crime en sa punition.

DORINDE.

Ici le châtiment tournerait en salaire :

Je ne puis pardonner ni tenir ma colère ;

Qu’êtes-vous devenus transports, haine, dédain ?

Ils ne m’écoutent plus, je les appelle en vain,

Mes propres sentiments à ce coup me trahissent.

HYLAS.

Qu’ils pardonnent ma faute, ou bien qu’ils la punissent.

DORINDE.

L’un ou l’autre à l’égal vous est avantageux.

Donnez meilleure fin à de si mauvais jeux :

Le temps et la raison dessous qui tout se range...

HYLAS.

Tourneront mes effets en sujets de louange.

DORINDE.

Montreront que dessein vous auriez pu former.

HYLAS.

Que je ne vous trompai que pour vous mieux aimer.

 

 

Scène IV

 

PÉRIANDRE, dans un bois

 

Stances.

Triste retraite du silence,
Où le seul désespoir à la fin m’a conduit,
Dont la profonde paix ne connaît d’autre bruit
Que celui des cris que j’élance :
Grands chênes qui cachez à mes yeux le Soleil,
Et découvrez là-haut ce qu’on fait dans les nues,
Lui rendant mes peines connues
Demandez-lui s’il vit jamais rien de pareil.

Dans ce bois solitaire et sombre
J’aurais déjà dressé mon tombeau de mes mains,
N’étaient qu’en cette nuit tous les objets sont vains,
Et qu’il n’en faut point pour une Ombre :
J’erre comme un fantôme et sans yeux et sans choix,
Mes soupirs font savoir ma vie en cet ombrage ;
Et les Oiseaux sous le feuillage
Ne se connaissent plus, comme moi, qu’à la voix.

Sur les bords de cette fontaine,
Où je contrains Amour d’éteindre son flambeau,
Je lui fais raconter aux Nymphes de cette eau
Le cruel sujet de ma peine :
Devant elles ce Dieu se plaint à l’amitié
Des maux que le respect me livre en cette absence ;
Toutes plaignent mon innocence,
Et leurs pleurs font grossir ce ruisseau de moitié.

Écho même s’en trouve atteinte ;
Ô Dieux ! qu’elle voudrait pouvoir me consoler !
Elle me suit partout, et je ne puis parler
Qu’elle ne réponde à ma plainte :
Quelque pitié pourtant que je trouve en ces lieux
Mon esprit me fait voir Dorinde à mon dommage
Aussi cruelle en son image,
Que je fus malheureux quand je quittai ses yeux.

Depuis ce malheur sans exemple
Je pense à tous moments lui parler, et la voir ;
De ce lieu solitaire, et si triste, et si noir
Mon désespoir lui fait un Temple ;
Ma douleur, mes soupirs, mes larmes, et mon sort
Demandent vainement à la Parque des armes
Pour me délivrer de ses charmes,
Je ne la puis fuir, ni rencontrer la mort.

 

 

Scène V

 

FLORICE, DORINDE

 

FLORICE, dans un cabinet avec Dorinde.

Ne me déguisez rien ; que vous êtes secrète !

Souvenez-vous enfin que Florice est discrète.

DORINDE.

Vous me persécutez un peu trop aujourd’hui ;

Hylas vit sans Dorinde, et Dorinde sans lui.

FLORICE.

Ah ! ma sœur, il n’est pas dans cette indifférence ;

Que vous affectez mal une feinte ignorance !

Chacun connaît sa flamme, elle a mille témoins,

Et l’on en croira plus, quand vous en direz moins :

Hylas a de l’esprit, et mérite...

DORINDE.

Florice.

J’ai bien son entretien, mais elle a son service ;

Je ne voudrais pas faire un larcin soupçonné

De ce qu’un bruit commun déjà vous a donné.

FLORICE.

Les discours qu’il vous tient, sa visite ordinaire

Démentent bien pour moi ce faux bruit du vulgaire ;

Un rayon de vos yeux suffit pour l’arrêter.

DORINDE.

Ma Sœur, épargnez-moi, vous m’en voulez prêter,

Un seul de vos cheveux, qui peut lier une âme,

Est plus puissant sur lui que mes yeux ni leur flamme.

FLORICE.

Il a montré combien sont faibles ces liens

Quand pour courir à vous il est sorti des miens.

DORINDE.

La voix n’est que du vent, il parle, et ce langage

Ne saurait être pris pour un nœud qui l’engage.

FLORICE.

Les pieds suivent le cœur où l’on va chaque jour,

On ne s’entretient pas si souvent sans amour.

DORINDE.

Il parle sans dessein, et vient par habitude.

FLORICE.

Sans dessein ? qui vous suit et n’a plus d’autre étude.

 

 

Scène VI

 

HYLAS, FLORICE, DORINDE

 

HYLAS, survenant.

Que cette heure mal prise est contraire à mes vœux !

Puis-je même à leurs yeux les tromper toutes deux ?

FLORICE, l’ayant aperçu.

Voudriez-vous de plus près en avoir une preuve ?

HYLAS.

Reculer ? un Hylas ? quand l’ennemi se trouve ?

Mais quoi ?

FLORICE, sortant du cabinet.

Voici Dorinde ; en vain vous reculez,

On connaît bien, Hylas, à qui vous en voulez.

HYLAS.

Dissimulons, Florice ; Ah ! qu’il faut nous contraindre !

Vous d’entendre mentir, et moi bien plus de feindre.

FLORICE parle bas.

Entrez. Elle rougit pourtant à son aspect.

HYLAS.

Leur entretien commence à m’être fort suspect.

DORINDE.

Laissez-vous à la porte, et seule, ma Compagne ?

HYLAS.

J’y perdais les moments qu’auprès de vous je gagne.

FLORICE.

Ma vie est achevée, et mon malheur parfait,

Si cette feinte enfin passe jusqu’à l’effet.

DORINDE.

Me quittez-vous ? Florice.

HYLAS.

Ô contrainte fâcheuse !

De souffrir l’entretien d’une telle Rêveuse !

Ah ! Dorinde, mon mal ne demande que vous.

DORINDE.

Hylas se plaint toujours...

HYLAS.

Mauvaise, de vos coups :

Il faudrait emprunter, afin que je guérisse,

Où la main...

FLORICE.

De Dorinde.

HYLAS.

Ou celle...

DORINDE.

De Florice.

HYLAS.

Mon salut est remis en de cruelles mains,

Pour en sortir heureux mes efforts seraient vains ;

Dorinde, il me faudrait celles des destinées

Pour combattre et dompter vos rigueurs obstinées.

DORINDE.

Le destin ne peut rien dessus ma volonté ;

En ce combat douteux je l’aurais surmonté,

Où mon esprit se plaît à garder ma franchise.

HYLAS.

Autant qu’à mépriser ma liberté soumise.

DORINDE.

Je n’ai, quelque présent qu’on me pût destiner,

Point de cœur pour en prendre, et moins pour en donner ;

Ainsi votre franchise est toujours à vous-même.

FLORICE, ayant pris la lettre de la poche d’Hylas, et parlant bas.

Sa trahison paraît : Ah ! ma Sœur.

DORINDE.

Qu’elle est blême !

Voyez, Hylas.

FLORICE.

J’en tiens un témoignage clair :

Puis relevant sa voix.

Demeurez, ma Compagne, il me faut prendre l’air ;

Permettez qu’un moment seule ici je vous laisse.

DORINDE.

Jusques à ce retour votre peine me blesse.

FLORICE, hors du cabinet.

Voici de mes soupçons un effet apparent,

Un traître me la cache, et le sort me la rend ;

Cette lettre me donne assez d’intelligence

Pour y trouver leur feu, mon mal, et sa vengeance.

Hylas, voilà ta feinte, ainsi tu la poursuis ?

Dorinde fut trompée, aujourd’hui je la suis ;

L’Inconstant m’en montrait tous les jours quelque lettre ;

Il ne m’en donne plus, quoi qu’il m’ait pu promettre.

Que ferons-nous, mon Âme, en ces extrémités ?

HYLAS.

Le sexe a quelquefois de ces infirmités ;

Qu’un peu de temps leur donne, et que le moindre emporte ;

Florice peut avoir un mal de cette sorte.

FLORICE, bas.

Vengeons-nous, et sortons afin d’y penser mieux.

Elle sort.

HYLAS.

Ou la honte de voir qu’elle cède à vos yeux ;

Comme auprès du Soleil tous autres feux pâlissent,

Elle perd devant vous les traits qui l’embellissent.

DORINDE.

Je hais toute louange où son mépris est joint ;

Ah ! vous lui faites tort, et ne m’obligez point,

Je ne puis vous souffrir sans offense mortelle

La blâmer devant moi, ni m’aimer devant elle ;

Quittez vos passions, ou réglez vos discours.

Florice !... Elle est sortie : allons à son secours.

HYLAS.

N’est-ce pas pour Hylas un accident funeste

De ces deux entretiens que pas un ne lui reste ?

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

FLORICE, DORINDE

 

Dans un cabinet.

FLORICE.

Que votre esprit n’en soit ni fâché ni jaloux,

Apprenez que je suis plus savante que vous.

DORINDE.

Montrez votre science, et de quoi l’on m’accuse.

FLORICE.

Que vous aimez Hylas, et que lui vous abuse.

DORINDE.

Vous me feriez rougir.

FLORICE.

Il est certain pourtant ;

Ces témoins assurés vous en diront autant ;

Elle lui donne les lettres qu’elle avait eues d’Hylas, et celle qu’elle lui avait prise.

Je ne les produis point contre vous par reproche,

Mais pour vous faire voir votre ruine proche.

DORINDE.

Mes yeux, vous les voyez, et le Ciel a permis

Que les traits de ma main fussent mes ennemis ;

Laisse languir ton foudre, et vivre les perfides,

Ou qu’il vienne brûler ces lettres homicides.

Qu’Hylas vous ait donné ces fleurs de nos amours ?

FLORICE.

Et qu’il m’ait raconté jusques à vos discours.

DORINDE.

Ô terre, ouvre ton sein, prête-moi quelque abîme,

Pour y cacher ma tête, et ma honte, et mon crime.

FLORICE.

Le crime est à lui seul, à vous un peu d’erreur

Qui ne mérite pas une telle fureur ;

Croyez qu’en cas pareil son inconstance extrême

Ne traiterait pas mieux une autre ni moi-même,

Et louez le destin, qui pour votre bonheur

A remis en mes mains son crime, et votre honneur ;

Ce coup plutôt mérite un mépris que des larmes,

Et pour vous en venger je vous laisse ces armes.

DORINDE.

Je ne les retiendrai, qu’à cette intention.

FLORICE.

Répondez de courage à ma discrétion.

Puis en s'en allant.

C’est assez, tout va bien, ma victoire est certaine,

J’ai couvert mon amour du voile de la haine ;

Il se repentira, je le vois revenir,

L’ingrat, que mes appas n’avaient pu retenir,

Il me semble qu’Amour à mon désir les range,

Que l’un déjà me cherche, et que l’autre me venge.

DORINDE, seule ayant ces lettres.

Toutes contre mes sens exercent leur rigueur :

Mais, ô Dieux ! Celle-ci me donne dans le cœur,

Elle fut la plus douce, elle est la plus mortelle ;

Tu ne saurais, mon front, rougir assez pour elle ;

La dernière faveur que tu reçus de moi

Tu l’expose ainsi, perfide ? Ah ! je le vois.

Hylas entre.

 

 

Scène II

 

DORINDE, HYLAS

 

DORINDE.

Horreur de tous les yeux, et des âmes la peste,

De ta déloyauté viens voir ce qui me reste,

Vois comme tu changeas ma douceur en poison,

Que ma félicité reproche à ma raison ;

Et tu ne rougis point ? et je puis vivre encore ?

HYLAS.

Et vous pouviez traiter ainsi qui vous adore ?

DORINDE.

M’adorer ? et le dire encore d’un accent...

HYLAS.

Que la seule pitié suggère à l’innocent.

DORINDE.

Tromper, assassiner, ô Dieux ! quelle licence !

Sous des noms de pitié, d’amour, et d’innocence ?

Le méchant a trahi depuis peu son Rival

Aujourd’hui sa Maîtresse ; et ne fait point de mal.

HYLAS.

Plutôt à mon esprit Dorinde est obligée

Par la même raison qui la rend affligée.

DORINDE.

Il parle ? je l’entends ? ô Dieux ! vous le souffrez ?

HYLAS.

Que vous m’ôtez de gloire, et que vous m’en offrez !

Vos soupçons...

DORINDE.

Dis plutôt la vérité palpable.

HYLAS.

Ni même la raison ne me fait point coupable :

Il faut qu’Hylas enfin vous parle à cœur ouvert

Et que rien désormais ne vous soit plus couvert.

Il est vrai, je l’aimai, cette ingrate Florice,

Qui me rend près de vous un si mauvais office ;

Je vous vis pour lui plaire, elle en tira ce fruit

Que votre amour a mis la sienne hors du bruit ;

Folle, qui ne crut pas qu’en me donnant ce voile

Je prendrais le Soleil, et quitterais l’Étoile.

Dans les premiers efforts de mes vœux incertains

Vos lettres lui tombaient toutes entre les mains,

Vous n’aviez que mes yeux, elle tenait mon âme,

Qui depuis s’est rendue à la plus digne flamme ;

Florice, apprends d’Hylas, qui t’oblige à l’ouïr,

Que le Soleil échauffe, et qu’il peut éblouir :

Ainsi je fus à vous, et par une autre feinte

Je tins mes feux cachés, et les siens en contrainte.

Ô Dieux ! qui punissez les parjures esprits...

DORINDE.

N’attends point d’autre foudre, il est dans ces écrits.

HYLAS.

De vos lettres ? Florice ? elle n’en a pas une

Depuis...

DORINDE.

Hier seulement ; regarde.

HYLAS.

Ah ! l’importune !

DORINDE.

Traître, que diras-tu ?

HYLAS.

Qu’elle me la vola,

Lorsque je vous parlais, et qu’elle s’en alla.

DORINDE.

C’est toi qui l’as volée à mon âme surprise,

Méchant, de qui l’esprit suborna ma franchise.

HYLAS.

Souvenez-vous, Dorinde, un peu de son transport ;

Elle semblait malade, et me donnait la mort ;

Considérez son mal, sa fin et sa naissance,

Et vous reconnaîtrez mon entière innocence.

DORINDE.

Ah ! le perfide ; il pense encore me tenter.

HYLAS.

Je pense à m’excuser, moins qu’à vous contenter :

J’appelle à mes raisons, afin qu’il me confonde,

Votre esprit le meilleur et le plus beau du monde,

Que je sois condamné par votre jugement,

Si mon cœur est en faute, et si ma bouche ment :

Si l’effet eût rendu véritables vos doutes ;

Florice eut une Lettre, elle les aurait toutes ;

Puisqu’à les lui cacher j’employai mon souci,

Qui ne croit qu’un hasard lui donna celle-ci ?

Les autres, que ma foi tient en réserve encore,

Méritent d’obtenir la grâce que j’implore ;

Et sans plus rejeter cette faute sur moi

Punissez le destin, et caressez ma foi.

DORINDE.

Florice et vos effets m’enseignent à moi-même...

HYLAS.

Qu’autrefois je l’aimai, qu’aujourd’hui je vous aime.

DORINDE.

Ce qu’on doit espérer d’Hylas, et de ses coups.

HYLAS.

Un service éternel qu’il vous offre à genoux.

DORINDE.

Mais le même pourtant qu’à Florice il réserve.

HYLAS.

Se peut-il après vous que jamais je la serve ?

DORINDE.

Ni qu’après elle aussi je me veuille charger

D’un cœur...

HYLAS.

Qui la punit afin de vous venger ;

Sans moi tout votre effort légèrement la blesse,

Souffrez que mon amour aide à votre faiblesse,

Ma passion pour vous tient son supplice prêt,

Qui s’offre à ma faveur moins qu’à votre intérêt ;

Conservez-moi, Dorinde, afin de la détruire,

Et plutôt ne m’aimez qu’à dessein de lui nuire.

DORINDE.

En recherchant son mal je trouverais le mien.

HYLAS.

Appelez-vous ainsi ma flamme, et votre bien ?

Ce qu’une autre voudrait, Dorinde le méprise ;

Hylas vaut-il si peu, qu’on dédaigne sa prise.

DORINDE.

Trop, s’il était fidèle.

HYLAS.

Et bien, je vous promets...

DORINDE.

Quoi ? ce que chacun prend, et qu’on ne tient jamais ?

Ce cœur ?...

HYLAS.

Qui de son jour vous estime l’Aurore.

DORINDE.

Que tant d’autres ont eu...

HYLAS.

Qui seule vous adore.

DORINDE.

Je tâche de vous croire, et vous me tromperez.

HYLAS.

Oui, mais en vous aimant plus que vous n’espérez.

DORINDE.

Or sus, nous le verrons ; heureusement trompée...

HYLAS.

Vous bénirez un jour les coups de cette épée.

DORINDE.

Je les éprouverai pour la troisième fois.

HYLAS.

Moi toujours vos désirs, mon amour et vos lois.

Puis, étant seul.

Ma bouche, dis-tu vrai ? sans parler à mon âme

Oses-tu bien promettre une constante flamme ?

Oui, Dorinde est passable, et mérite un serment,

Ses appas me feront agréer mon tourment :

Mais que dira Florice après ce juste change ?

Tout e qu’elle voudra, pourvu que je me venge ;

Quand je n’aimerais pas, je le feindrais pourtant,

D’amour ou de dépit l’on me verra constant.

 

 

Scène III

 

FLORICE, ALCANDRE

 

FLORICE.

Que ferons-nous ? Amour ; quel conseil dois-je suivre ?

Je ne saurais mourir, et je n’oserais vivre ;

Hylas, je t’ai perdu pour trop te désirer,

J’ai cherché les moyens qui me font expirer,

Je vois, quoi qu’ai produit ma jalouse furie,

Que tu ne reviens point, et que l’on me marie :

Ô Dieux ! je frémis toute à ce mot seulement.

Et cet objet encore augmente mon tourment.

ALCANDRE arrive.

On dirait, à vous voir si rêveuse et si triste,

Que votre esprit, ma Fille, à votre bien résiste,

Il semble refuser un doux fruit accordé,

N’avez-vous pas enfin ce qu’il a demandé ?

FLORICE.

Oui, si vous ajoutez un peu de temps encore,

Pour me résoudre au joug d’un lien que j’abhorre.

ALCANDRE.

Abhorrer un lien, qu’elle-même a cherché ?

Je connais sous ces mots quelque dessein caché :

Vous demandez du temps sur une attente vaine,

Pour avoir plus de honte et donner plus de peine ?

Je n’en ai que trop pris de vos dérèglements,

Et ne vois que trop clair en vos aveuglements ;

Que je donne du temps à l’ingrate Vipère,

Pour mettre en un tombeau son honneur, et son Père ?

Je saurai prévenir ce courage inhumain :

Théombre m’en fera la raison dans demain ;

Ce terme le rendra votre Époux légitime.

Il s'en va.

FLORICE.

Vous serez mon bourreau, je serai sa victime.

Ainsi pensant remettre Hylas à la raison,

J’ai choisi ce fâcheux, et bâti ma prison ;

Mais puisqu’en son endroit la jalousie est vaine,

Un mot lui montrera son devoir, et ma peine.

 

 

Scène IV

 

PÉRIANDRE, HYLAS, FLORICE

 

PÉRIANDRE, seul.

Abattu de douleur, et pressé de l’amour,

J’ai repris lâchement les soins de mon retour,

D’un si grand désespoir mon âme poursuivie

Malgré moi dans les maux a conservé ma vie,

Et je viens, cher Ami, te l’apporter ici,

Pour punir ma faiblesse et te crier merci ;

La force de l’amour excuse cet outrage,

Dorinde a trop d’appas, moi trop peu de courage,

Et toi trop de pitié pour ne pardonner pas...

Hylas paraît tenant une Lettre.

Les Dieux qui m’ont ouï le jettent sur mes pas :

La honte à son abord tient mon âme en contrainte,

Je lui parle d’envie, et je me tais de crainte.

HYLAS, lisant une Lettre de Florice.

Florice, on te marie ? et moi je t’aime ainsi ;

Cet importun lien m’ôte autant de souci,

Mes plaisirs assurés auront meilleure issue...

PÉRIANDRE, se présentant.

Si je ne les troublais aujourd’hui par la vue

De ce désespéré...

HYLAS.

Dieux ! quel contentement !

PÉRIANDRE.

Je n’ose dire Ami, je ne puis dire Amant.

HYLAS.

Périandre est-ce vous ?

PÉRIANDRE.

Ô demande sensible !

C’est un Ingrat, qui rend sa trahison visible ;

Je ne suis plus moi-même étant hors du devoir,

Et pour me méconnaître il ne faut que me voir :

Dorinde et mes désirs ont forcé l’innocence ;

Excusez ma faiblesse, accusez sa puissance ;

Vous la ravir n’est pas le dessein que je prends.

HYLAS.

Ni moi, de plus garder un bien que je vous rends :

C’est peu pour mes plaisirs, que votre vue augmente,

D’acheter un Ami par le prix d’une Amante ;

Possédez, jouissez, mes dons sont absolus,

Et pour l’amour de vous je ne la verrai plus.

PÉRIANDRE.

Puis-je la recevoir, ou l’ôter à vous-même ?

HYLAS.

Je n’en aurai jamais le visage plus blême :

Et je doute, à vous faire un si malheureux don,

Si j’en puis mériter ou louange, ou pardon.

PÉRIANDRE.

Ami, cette bonté...

HYLAS.

Moins que moi vous oblige,

Et m’épargne des pas pour qui je les néglige ;

Vous déchargez d’autant mon cœur et mes esprits,

Je vous quitte des pleurs, des soupirs, et des cris.

PÉRIANDRE.

Vous méritez sans doute une gloire immortelle.

HYLAS.

Allez tous employer ces beaux mots auprès d’elle.

PÉRIANDRE, s’en allant.

Je m’en vais publier l’honneur et la vertu...

HYLAS, seul.

D’un, qui lassé d’un bien demande (le veux-tu ?)

Dieux ! comme l’insensé déjà court à sa peine ;

Que par lui ma décharge est heureuse et soudaine !

Dorinde à cet instant pesait à mon esprit,

J’eusse donné beaucoup afin qu’elle la reprît :

Florice l’a voulu, qui libre me partage

Les désirs qu’un mari n’a que par héritage ;

Comme je ne craignais en elle que ce point,

Il passe, elle m’appelle, et je me suis rejoint :

Il n’est point de beauté qui ne cède à la sienne,

Ni de prison non plus si douce que la mienne,

Je suis dans les appas, Théombre dans les fers,

Je n’ai d’autres liens...

Florice entre.

Que ces beaux yeux offerts.

Après mes feux éteints n’en craignez plus la cendre,

Florice, j’ai rendu Dorinde à Périandre ;

Le voilà de retour, et ce change si doux

Le montre moins heureux que je ne suis à vous.

FLORICE.

Ajoutez moins content encore que Florice ;

Quelque soin d’autre part que mon âme nourrisse,

Sur l’étrange accident de ma captivité,

Qui me punit...

HYLAS.

Autant que ma fidélité.

FLORICE.

Elle vient un peu tard...

HYLAS.

En votre connaissance,

Non pas dedans ce cœur ouvert à l’innocence.

FLORICE.

Pour me la faire croire, et vous purger du tout,

Il faut que vous tiriez la trame jusqu’au bout ;

Vous ne serez jamais libre dans ma pensée

Qu’un affront signalé n’ait Dorinde offensée,

Votre haine pour elle assure mon amour.

HYLAS.

Je vous témoignerai lune et l’autre à ce jour ;

Ne faut-il que cela ? j’irai jusqu’à l’outrage.

FLORICE.

Vous jouirez du calme après un tel orage.

HYLAS.

Que c’est peu de matière à mon désir ardent !

FLORICE.

Souvenez-vous qu’Hylas me gagne en la perdant.

 

 

Scène V

 

DORINDE, PÉRIANDRE

 

DORINDE.

Je vous ai découvert au long son artifice ;

Hylas est un Ami d’importance et d’office ;

Le Portrait, que vos yeux virent dans ce miroir,

Couvait sa perfidie, et votre désespoir.

PÉRIANDRE.

Ô Dieux ! qu’ai-je entendu ? ses ruses nonpareilles

Qui trompèrent mes yeux, étonnent mes oreilles.

DORINDE.

Il nous blessa tous deux par un si mauvais tour.

PÉRIANDRE.

Lui-même nous guérit aussi dans mon retour ;

Sa franchise me donne, outre la foi promise,

La part en vos faveurs qu’elle s’était acquise,

Il m’a rendu le bien comme il me l’a ravi,

Et c’est par ce moyen seulement que je vis.

DORINDE.

Il vous donne Dorinde ? est-elle en sa puissance ?

Il abuse de moi, trompant votre innocence.

PÉRIANDRE.

J’appelle un bien rendu, l’honneur de vous servir,

Qu’il me permet enfin comme il l’a su ravir.

DORINDE.

D’un ennemi couvert, après l’expérience ;

Les dons devraient du moins vous mettre en défiance ;

Il veut par quelque effort de sa subtilité

Encore décevoir votre crédulité ;

Il m’aime, et je le dis de crainte qu’il vous trompe

Il n’est point d’amitié pour cela qu’il ne rompe :

Mais le voici qui vient ; vous retirant un peu

Vous pourrez découvrir et sa mine, et son jeu.

 

 

Scène VI

 

HYLAS, DORINDE, PÉRIANDRE

 

HYLAS, parlant bas à Périandre qui s’était avancé.

Vous m’allez voir, Ami, d’une constance rare

Un peu plus que cruel, un peu moins que barbare :

Pour vous mieux assurer Dorinde, et votre bien,

Un effort troublera son repos, et le mien ;

Ne vous étonnez point de ce que je vais faire,

Mais admirez un coup étrange et nécessaire.

Puis regardant Dorinde.

Dorinde, vous craignez, vous combattez de loin ;

Venez, et rappelez votre force au besoin.

DORINDE.

La gloire du combat n’en vaudrait pas la peine.

HYLAS.

Un peu plus de beauté vous rendrait bien plus vaine ;

Dites qu’Hylas pour vous endure le trépas,

Et vous vantez des coups que je ne ressens pas ;

Vous faites la cruelle ? et Dorinde est si bonne,

Qu’en souffrant tout le mal elle croit qu’elle en donne :

Vous pouvez retrancher vos soins de la moitié,

Vos charmes causent moins d’amour que de pitié ;

Vous tenez dans les pleurs mon âme consumée,

Comme d’un feu fâcheux l’on pleure à la fumée

Apprenez que mon cœur qui rit à vos dépends,

Ne vous a point aimée, ou que je m’en repends ?

Et que pour vous porter à ce nom de cruelle,

Hylas n’est pas si sot, ni Dorinde assez belle.

Ces mots doivent suffire à votre vanité,

Pour connaître ma force, et votre infirmité.

PÉRIANDRE.

Qu’avez-vous fait ?

HYLAS.

Beaucoup, et cette médecine

Rongera son amour jusques à la racine ;

Ou si c’est un poison, il vous doit être doux ;

Tirez le bien, du mal que j’ai commis pour vous.

Il sort.

PÉRIANDRE.

Il s’en va ; j’en rougis ; ma maîtresse en soupire :

Ô Dieux ! que puis-je faire ? et que doit-elle dire ?

DORINDE.

Rien, Périandre, rien ; sinon qu’en mon tourment

Vous connaissiez le vôtre, et l’Ami par l’Amant ;

Un orage pareil vous pend dessus la tête,

Vous pouvez me venger et fuir la tempête.

PÉRIANDRE.

J’entre dans vos tourments, je souffre vos ennuis,

Et plus faible que vous j’offre ce que je puis.

DORINDE.

Il croit vous aveugler par un tel artifice

Que vous prendrez pour vous ce qu’il donne à Florice ;

C’est ainsi qu’il me traite afin de l’obliger ;

Et c’est d’elle et de lui que je me veux venger :

Elle l’aime, elle écrit ; et vous en pouvez mettre

Assez facilement en mes mains une Lettre.

PÉRIANDRE.

Hylas de son humeur n’en a pas trop de soin ;

Cet office...

DORINDE.

M’oblige, et portera plus loin.

PÉRIANDRE, sortant.

Peu de temps nous rendra moi joyeux, vous contente.

DORINDE.

Nous récompenserons l’une par l’autre attente.

Je la tiens autant vaut, et je la pense voir

Cette Lettre, qui peut venger mon désespoir ;

Je vais perdre Florice en l’esprit de Théombre,

Qui croit tenir un corps, et n’embrasse qu’une ombre.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

STELLE, CORYLAS

 

Ici la Scène change de face, et représente les bocages du Forez.

Dialogue.

STELLE.

Rejetez-vous ainsi mes vœux les plus constants ?

CORYLAS.

Vous m’offensez, Bergère, et perdez votre temps.

STELLE.

On vous offense, Ingrat, alors qu’on vous adore ?

CORYLAS.

Le Crocodile ainsi pleure quand il dévore.

STELLE.

Stelle, qu’on voit pour vous d’amour se consommer...

CORYLAS.

N’aime plus dans le temps qu’elle jure d’aimer.

STELLE.

N’aimer plus ? Corylas ; et que pouvez-vous dire ?

CORYLAS.

Ce que dirais Lysis, ce que dirait Semyre.

STELLE.

Que diraient-ils ? sinon que pour vous j’ai laissé...

CORYLAS.

Ceux pour qui Corylas autrefois fut chassé.

STELLE.

Ah ! que ne peut votre âme entrer en ma pensée !

CORYLAS.

Ô Dieux ! qu’elle serait en crainte, et mal placée !

STELLE.

Vous sauriez le pouvoir qu’elle a sur mes esprits.

CORYLAS.

Stelle ne donne rien qu’elle n’ait tôt repris.

STELLE.

Exceptez en mon cœur, que je ne puis reprendre.

CORYLAS.

Je ne serai jamais en peine de le rendre.

STELLE.

Je le refuserais s’il osait revenir.

CORYLAS.

Tout aisément promet qui ne veut rien tenir.

STELLE.

Vous le tenez à vous, et ma foi l’accompagne.

CORYLAS.

Ce don est dangereux, qui le perd plus il gagne.

STELLE.

Mille courent après, et vous le refusez ?

CORYLAS.

Pour ce que je suis sage, et qu’ils sont abusés.

STELLE.

Comme eux, vous avez eu des sentiments semblables.

CORYLAS.

Oui, je fus malheureux, comme ils sont misérables.

STELLE.

Me fuir ? Corylas ? alors qu’il est aimé ?

CORYLAS.

Je sors d’un mauvais pas que vous m’avez fermé.

STELLE.

Vous recherchiez mon cœur ; je vous l’offre à cette heure.

CORYLAS.

Je recherchais la foi qui jamais n’y demeure.

STELLE.

Mes yeux sur vos esprits paraissaient absolus.

CORYLAS.

J’étais lors aveuglé, mais je ne le suis plus.

STELLE.

Vous juriez de m’aimer, sans jamais me déplaire.

CORYLAS.

Et je jure aujourd’hui de faire le contraire.

STELLE.

Après tant d’amitié vous pourriez me haïr ?

CORYLAS.

Après tant de serments vous m’avez pu trahir ?

STELLE.

Vengez-vous sur mon cœur, tenez je vous l’apporte.

CORYLAS.

Je serais plus puni, me vengeant de la sorte...

STELLE.

Voyez qu’il est à craindre, et qu’il vous fait de tort !

CORYLAS.

Je le crains par raison, c’est un Serpent qui mord.

STELLE.

Vous tenez à grand mal une douce blessure.

CORYLAS.

Je tiens à vous fuir ma victoire plus sûre.

STELLE.

Fuyez qui vous suivra parmi tous ces guérets.

CORYLAS.

Je vous ferai bientôt arpenter le Forêts.

 

 

Scène II

 

HYLAS, en berger

 

Ne ris-tu point, Amour, de voir cet équipage ?

Mon ombre qui me suit me sert ici de Page ;

Hylas est devenu, tant il aime à changer,

De Pâtre Courtisan, de Courtisan berger :

J’ai du tout oublié dans ce doux exercice

La haine de Dorinde, et l’amour de Florice ;

L’une par un Ami, qui devint suborneur,

Se vengea sur Florice, et trahit mon bonheur,

Une lettre surprise à Théombre rendue,

Me ravit à son point la faveur attendue :

Elles ne m’ont laissé d’amour, ni de regrets,

Leur perte ne m’a point jeté dans le Forêts ;

En donne qui voudra la gloire à Chryséide,

Un Démon plus puissant me gouverne et me guide ;

Non, je n’y suis porté que d’un juste désir

De goûter en tout lieu l’amour et le plaisir,

De promener mes sens, parler à la Nature

Dans ces bois qu’à Lyon l’on ne voit qu’en peinture,

Connaître si l’Amour moins avare et plus net

Est plus doux sur des fleurs que dans un cabinet,

S’il n’est pas, en rendant toute chose fertile,

Le Soleil de ces champs, comme il l’est de la ville :

Aussi champêtre ici que le sont mes habits,

Je conduis mes plaisirs et non pas des brebis ;

Je cherche, après le fard, la beauté naturelle,

Je n’ai plus de soupirs ni de cœur que pour elle ;

J’ai trouvé le plaisir dans la simplicité,

Sous le nom d’Alexis une divinité ;

Les Bergères sans nombre ont mon âme surprise

Cette seule Druide aujourd’hui la maîtrise ;

Dans le dessein d’aimer de toutes les façons

J’en ai pris auprès d’elle et donné des leçons,

Et mon amour, qui suit tout objet qui recrée,

Monte de la profane à la beauté sacrée :

Mais mon esprit enfin craint sa sévérité,

Et s’en lasse bien fort, s’il n’en est irrité ;

Elle est pour mon humeur trop superbe et savante,

Son visage me plaît, son esprit m’épouvante,

Je ne recherche pas ces beautés de renom,

Dont l’orgueil entend tout, et ne répond que (non ;)

J’aime bien mieux languir d’une flamme légère

Sans refus sur le sein d’une simple Bergère,

Qui dans le même vœu que j’aurai pu former

Ne saura de tout art que celui de m’aimer.

 

 

Scène III

 

CORYLAS, HYLAS, STELLE

 

CORYLAS, parlant à Stelle.

Me suivrez-vous toujours sans espérance aucune ?

HYLAS.

Mais je vois Corylas...

CORYLAS.

Qui fuit une Importune.

STELLE.

Cruel, on me verra jusques à mon trépas

Toujours inséparable à vos yeux, à vos pas ;

Votre grâce ou ma mort terminent ma poursuite.

HYLAS.

Quoi ? vous tenez ainsi ?...

CORYLAS.

L’inconstance réduite :

Stelle, comme vos pas ces mots sont superflus,

Attendez à demain, vous n’y penserez plus.

HYLAS.

Qu’est-ce ci ? Corylas.

CORYLAS.

Une humeur incertaine,

Et constante aujourd’hui seulement pour ma peine.

HYLAS.

Vous fuyez un doux mal, qui pourrait obliger...

CORYLAS.

Vous et moi, si vos soins voulaient m’en décharger.

HYLAS.

Décharger ?

CORYLAS.

D’un fardeau qui me nuit et me pèse.

HYLAS.

Voilà comme on se plaint quelquefois de trop d’aise ;

Vous appelez fardeau...

CORYLAS.

Ce qui peut tourmenter.

HYLAS, regardant Stelle.

Hylas y trouverait de quoi se contenter :

En effet, de quel défaut remarquez-vous en Stelle ?

CORYLAS.

Qu’elle est trop inconstante.

HYLAS.

Et qu’importe ? elle est belle :

Avecque tant d’appas...

CORYLAS.

Elle n’a point de foi.

HYLAS.

Aime, simple Berger, ce qu’en elle je vois ;

Quelle foi voudrais-tu demander d’une femme ?

Si les yeux sont contents, que cherches-tu dans l’âme ?

CORYLAS.

La constance ; en un mot ce que l’on doit aimer.

HYLAS.

Parle en ami, n’as-tu que ce point à blâmer ?

CORYLAS.

Hylas prêt de montrer un amour qui le touche,

A le feu dans les yeux, et le cœur en la bouche ;

Il s’échappe déjà.

HYLAS.

Dis qu’il est échappé :

Puis se présentant à Stelle.

Parmi tous ses mépris, vos beaux yeux m’ont frappé ;

Une pareille humeur que reprend ce Novice

Vous doit faire agréer Hylas, et son service.

CORYLAS.

Quelque destin caché, sans doute ici vous joint ;

Ne le refusez pas, il est à votre point.

STELLE.

Oui, bien mieux qu’un ingrat.

CORYLAS.

Ajoutez un Parjure ;

Plutôt que votre amour je souffre toute injure.

HYLAS.

La plus grande après tout, sera de l’oublier,

Et par un nœud plus doux ensemble nous lier.

CORYLAS.

Stelle, croyez Hylas ; voici l’heure propice...

HYLAS.

Où naissent mes plaisirs.

STELLE, se rendant.

Où finit mon supplice.

HYLAS.

Où l’Amour veut montrer sa gloire et son pouvoir...

STELLE.

Dans le bien qu’il présente...

HYLAS.

Et qu’il fait recevoir.

CORYLAS.

Qu’amour en ces esprits visiblement se joue !

Un moment lie un cœur, un autre le dénoue :

En cet heureux accord vivez tous deux contents.

HYLAS.

Et toi, vis malheureux avecque les Constants :

Ces fous refuseraient les plus douces délices,

S’ils ne les achetaient avecque des supplices,

Et méprisant l’appas d’un bonheur assuré

N’aimeraient pas un bien s’ils ne l’avaient pleuré ;

Ils pensent que l’amour n’est pas de bonne marque

Si ce n’est sous des mots de soupirs, et de parque :

Notre effort n’en sera ni plus ni moins ardent ;

Laissons-les tous mourir, et vivons cependant.

STELLE.

Vivons donc, et rendons exempte notre vie

D’une sévère loi qui la tient asservie ;

La constance est un port effroyable aux nochers,

Où les plus fortunés rencontrent des rochers.

HYLAS.

Ils estiment vertu de pécher par coutume,

De tous les fruits d’amour ils n’ont que l’amertume ;

Tandis qu’en nos désirs ou légers, ou constants,

Nous goûtons ces douceurs qu’ils attendent du temps ;

Quel bien peut m’obliger à la persévérance,

Pour en garder l’envie, et perdre l’espérance ?

STELLE.

Qu’Hylas ne craigne point d’être si mal traité.

HYLAS.

L’espoir lui peut manquer, jamais sa liberté.

STELLE.

Pour la rendre entre nous et facile et commune,

Et n’avoir en nos vœux rien qui les importune,

Arrêtons notre amour sous des conditions

Qui lèvent toute gêne à nos affections.

HYLAS.

Ainsi nous servirons de merveille et d’exemple.

CORYLAS.

À tous les Inconstants qui vous feront un Temple.

Les conditions sous lesquelles Hylas et Stelle promettent de s'aimer.

STELLE.

Que chaque cœur en nous soit l’Amant et l’Aimé.

HYLAS.

Qu’aucun ne soit sur l’autre un Tyran estimé.

STELLE.

Que l’on ne parle point de soupirs ni de larmes.

HYLAS.

Que nos esprits n’auront de liens que les charmes.

STELLE.

Qu’ils se puissent quitter sans infidélité.

HYLAS.

S’aimer beaucoup ou peu, sans terme limité.

STELLE.

Qu’ils banniront ces noms de servage et de peine.

HYLAS.

Tiendront indifférent, ou l’amour ou la haine.

STELLE.

Sans rompre ils aimeront qui bonheur semblera.

HYLAS.

Pourront faire et penser tout ce qui leur plaira.

STELLE.

Chacun d’eux relâcher ou tenir son courage.

HYLAS.

Ni flatté ni piqué de faveur, ou d’outrage.

CORYLAS.

Est-ce tout ? ajoutez cet article commun,

De les oublier tous, et n’en tenir pas un.

HYLAS.

En effet, cet avis mérite qu’on l’entende.

STELLE.

Nous feriez-vous, Hylas, une injure si grande ?

Qu’il parle à ses pareils de pleurs et de tourments,

Et ne se mêle point parmi nos sentiments :

Nos articles partout portent ce qu’il veut dire.

Mais pour les publier, il nous les faut écrire :

Allons mettre la main au dessein entrepris.

HYLAS.

Qui détruira l’erreur de tous ces faux Esprits.

CORYLAS.

Dieux ! qu’ils sont échauffés ! leur Démon les inspire,

Et nous prépare à tous mille sujets de rire.

 

 

Scène IV

 

PÉRIANDRE, DORINDE en bergère

 

PÉRIANDRE.

Non, ne le plaignez plus ; Bellymarthe est heureux,

Il nous laisse en mourant un sort plus rigoureux ;

Il est mort à vos pieds, d’amour et de courage,

Pour conserver Dorinde, et l’ôter du naufrage,

Où Mérindor et moi, sans espoir de secours,

Échappés de la mort l’endurons tous les jours ;

Ainsi de trois Amants armés pour vous défendre

La Parque en a pris un, vous n’en voulez point prendre.

DORINDE.

Vous donnez au reproche, et perdez en vos cris

D’une belle action le mérite et le prix,

Je connais que sans vous je serais enlevée ;

Mais c’est à Sigismond que vous m’avez sauvée ;

La grandeur de celui que l’on oblige en moi

Me dégage envers vous de tout ce que je dois.

PÉRIANDRE.

Non pas de la pitié qu’un pauvre Amant réclame.

DORINDE.

Au lieu de la guérir elle accroît votre flamme ;

Mon cœur serait cruel, s’il vous était plus doux,

N’étant point à moi-même il ne peut être à vous.

PÉRIANDRE.

C’est en quoi le destin veut qu’enfin je périsse.

DORINDE.

Consolez-vous ; et moi je vais chercher Florice.

PÉRIANDRE, seul.

Périandre tandis cherchera le trépas,

Qui s’offre sous des noms de douceur et d’appas ;

Ô parole, d’un temps pitoyable, et mortelle !

En me donnant la mort, (consolez-vous) dit-elle.

Il le faut ; et mourir ; son destin et mon cœur

N’ont remis qu’en ma fin celle de sa rigueur,

Les Dieux à ce malheur n’ont point fait de remède,

Et veulent qu’à mes yeux Sygismond la possède :

Ô Dieux ! que sa grandeur est contraire à mes vœux !

Ne vois-je pas Hylas ? quel rencontre à tous deux !

 

 

Scène V

 

HYLAS, STELLE, PÉRIANDRE, DORINDE, FLORICE, CORYLAS, TROUPE DE BERGERS

 

HYLAS, tenant en main les conditions.

Elles me plaisent fort, écrites de la sorte.

STELLE.

Notre amour n’en sera moins libre ni plus forte ;

Puisque la liberté les dicta par sa voix,

Et n’a pour les signer employé que nos doigts.

HYLAS.

Afin que nos Neveux puissent mieux les apprendre

Dans le Temple d’Amour il nous les faut appendre ;

À genoux on lira ce que nous ordonnons,

Et la postérité gardera nos deux noms.

PÉRIANDRE, se présentant.

Tout de même qu’Hylas a conservé la gloire

Et le nom d’un Ami mort dedans sa mémoire.

HYLAS.

Est-ce vous ? Périandre.

PÉRIANDRE.

Encore me nommer ?

Vous avez en Berger appris à mieux aimer.

HYLAS.

De Corylas, peut-être, ou du moins de Sylvandre ?

PÉRIANDRE.

Pour ce qu’Hylas trop faible et pauvre en leurs esprits

N’a point assez de fonds pour aller à ce prix.

HYLAS.

Si le prix est d’amour, j’en ai toujours de reste ;

Partout j’en ai rendu la preuve manifeste ;

Tout seul j’ai plus aimé que tous ces bergerots,

Qui des liens d’Amour font de rudes garrots.

S’ils le tiennent à terre, et lui coupent les ailes,

Je lui donne l’essor, et des plumes nouvelles :

Voyez dans ce papier comme nous le traitons,

Et les plaisirs aussi que par lui nous goûtons.

PÉRIANDRE, prenant les conditions que lui présente Hylas, les lit tout haut ainsi.

Les 12 conditions sous lesquelles nous Hylas et Stelle, promettons de nous aimer à l'avenir, pat accord fait entre nous.

1. Que chaque cœur en nous soit l’Amant et l’Aimé.

2. Qu’aucun ne soit sur l’autre un Tyran estimé.

3. Que l’on ne parle point de soupirs ni de larmes.

4. Que nos esprits n’auront de liens que les charmes.

5. Qu’ils se puissent quitter sans infidélité.

6. S’aimer beaucoup ou peu, sans terme limité.

7. Qu’ils banniront ces noms de servage et de peine,

8. Tiendront indifférents ou l’amour, ou la haine.

9. Sans rompre ils aimeront qui bon leur semblera.

10. Pourront faire et penser tout ce qu’il leur plaira.

11. Chacun d’eux relâcher ou tenir son courage.

12. Ni flatté, ni piqué de faveur ou d’outrage.

ARTICLE XIII. AJOUTÉ PAR AVIS ET CONSEIL AUX conditions, sous lesquelles nous Hylas et Stelle, promettons de nous aimer à l’avenir, et duquel nous sommes tombés d’accord, comme des autres.

Ajoutant par avis cet Article commun,

De les oublier tous, et n’en tenir pas un.

Signé HYLAS. STELLE.

HYLAS, montrant sa Bergère à Périandre.

La voilà, cette aimable et divine Bergère,

Qui tire toute à soi ma flamme passagère.

PÉRIANDRE.

Stelle, que vos attraits doivent être puissants !

Cette grande victoire est digne de l’encens.

HYLAS.

Et j’offre à son humeur, qui la rend adorable,

Des cœurs que j’ai brûlés la fumée honorable.

STELLE.

J’en donne pour victime autant à son amour.

PÉRIANDRE.

Comptez bien, vous devrez la moitié de retour ;

Hylas a pris des cœurs à toute heure, et sans nombre.

HYLAS.

Tu juges du Soleil, toi qui n’es que dans l’ombre ?

Tu pourrais ajouter, ô Greffier ignorant,

Sur ton registre encore un nombre plus grand ;

Mon départ de Lyon en a grossi le compte :

J’acquis sur le chemin Laonice, et Madonthe ;

Le Forêts, partageant mes amoureux soucis,

M’offrit, après Phyllis, la Druide Alexis,

N’ayant pas épargné même une fausse Astrée,

Stelle pour la plus digne enfin s’est rencontrée.

STELLE.

Ou pour la plus heureuse, et qui reconnaît mieux

La faveur qu’elle tient et de vous et des Cieux.

PÉRIANDRE.

Qu’ainsi votre désir sans peine s’accomplisse.

Mais que dira Dorinde ?

HYLAS.

Et qu’en a dit Florice ?

Dorinde ?...

PÉRIANDRE.

Elle est ici ; quoi ? vous ne savez pas

Tous les sanglants effets qu’ont causé ses appas,

Que du Père et du Fils à l’égal adorée

Elle s’est en Bergère en ces champs retirée ?

D’un mouvement divers Gondebaut la poursuit ;

Sygismond la soutient ; et je l’aime sans fruit :

On ne voit que soldats que Gondebaut envoie,

Et depuis peu sans nous elle en était la proie :

De trois Amants qu’elle eut, qui soutinrent l’effort,

Nous restons deux vivants, Bellymarthe en est mort ;

Sans pouvoir, quelque fin qui suive ma souffrance,

Ni perdre mon amour ni trouver d’espérance.

HYLAS.

Que tes desseins, Ami, sont injustes et faux !

Un peu de mon humeur adoucirait tes maux ;

On dirait que les Dieux t’ôtent leur assistance,

Qu’ils ont, pour te punir, établi la Constance,

Comme par son contraire ils nous ont préparé

Un remède à ce mal le plus désespéré ;

Languir pour une Ingrate, et qui rit de ta peine ?

Mais Dieux ! je l’aperçois ; la voici l’Inhumaine.

 

 

Scène VI

 

HYLAS, STELLE, DORINDE, FLORICE, PÉRIANDRE

 

HYLAS.

Quelle Bergère trouble en ces champs innocents

La paix de nos troupeaux, et celle de nos sens ?

Qui cause nos frayeurs ? et remplit cette terre

Des flammes de l’Amour, et des feux de la guerre ?

Et quel Démon de sang l’a conduite en ces lieux ?

DORINDE.

Ou quel Astre fatal montre Hylas à mes yeux ?

HYLAS.

C’est un Soleil divin, d’influence immortelle,

Que j’aime sous le nom de la Bergère Stelle ;

Êtes-vous tant aveugle, ou profane à ce point,

De la voir devant vous, et ne l’adorer point ?

STELLE.

Excusez son ardeur, et jugez par vous-même

Qu’il estime à son prix tous les objets qu’il aime.

DORINDE.

Il est dans son humeur toujours aussi constant.

FLORICE.

Autrefois pour Dorinde il en disait autant.

HYLAS.

Mais quelle est cette voix qui vient à mon oreille ?

De même, j’en ouïs autrefois la pareille.

FLORICE.

Méconnaître Florice ? ô quel aveuglement !

HYLAS.

Florice ? a-t-elle été ? c’est un nom de Roman,

Toutefois il m’en vient, me l’étant retracée,

Quelque idée en l’esprit, mais beaucoup effacée.

DORINDE.

C’est elle-même Hylas, qui vous a tant chéri.

HYLAS.

C’est donc elle qui cherche en Forêts un mari ?

DORINDE.

Mais qui l’ayant acquis, à son gré s’en retourne.

FLORICE.

Sinon que pour vous plaire encore j’y séjourne.

HYLAS.

Florice, telle ou non, puisqu’on vous nomme ainsi,

Vous pouvez en partir, et me laisser ici.

FLORICE, s’en allant.

Que je vous dise donc un Adieu qui m’afflige.

HYLAS.

C’est ce que j’aime en vous, et tout ce qui m’oblige.

Pour avoir deux maris par un droit tout nouveau

L’on vient donc en Forêts ? le privilège est beau ;

Qu’est devenu Théombre ?

PÉRIANDRE.

Il est mort.

HYLAS.

Qu’on réponde

Qu’il n’est plus aujourd’hui de jalousie au monde.

PÉRIANDRE.

Et voilà comme Hylas pleure un Ami perdu ?

HYLAS.

Je pleurerais plutôt s’il nous était rendu.

DORINDE.

La Lettre de Florice, où j’inventai sa peine,

Qui me vengea si bien vous cause cette haine.

HYLAS.

J’eus par vous ce travail ; mais j’en ai bien donné ;

Il ne m’en souvient plus, je vous l’ai pardonné.

Corylas et sa Troupe entrent.

Mais que veut Corylas, et sa troupe animée,

D’épieux, de javelots, et de fourches armée ?

Voudrait-il vous ravoir les armes à la main ?

Bergère, montrons-lui que son effort est vain.

STELLE.

Hylas n’est assuré de moi ni de sa force.

 

 

Scène VII

 

CORYLAS, DORINDE, PÉRIANDRE, HYLAS, STELLE

 

CORYLAS, à Dorinde.

Les combats arrivés nous ont servi d’amorce,

Inspirant le courage au cœur de ces Bergers

Pour vous servir, Madame, au milieu des dangers.

DORINDE.

Vous m’obligez, Amis, à la reconnaissance.

CORYLAS.

On vous cherche partout, et craignant la puissance

Qui menace un hameau pour vous seule assailli,

Nous venons vous offrir retraite à Marcelly.

PÉRIANDRE.

Madame, ce dessein est du tout nécessaire

Et vous tire des mains d’un si grand adversaire ;

Le Roi les étendant partout pour vous ravoir

Opposons Marcilly d’obstacle à son pouvoir,

Là se peut seulement terminer sa poursuite.

HYLAS.

Hylas avecque tous s’offre à votre conduite.

DORINDE.

Il ne faut plus rien craindre ayant un tel appui.

HYLAS.

Stelle, êtes-vous du nombre, et de ville aujourd’hui ?

STELLE.

Je vous suis.

PÉRIANDRE.

Nous tenons la victoire certaine.

CORYLAS.

Puisqu’Hylas est soldat.

HYLAS.

Corylas Capitaine.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

HYLAS

 

Chanson.

Quel sujet prolonge la nuit ?
Que sa course déplaît à mon âme enflammée !
Qui retient la clarté tant de fois réclamée ?
Je la demande, elle me fuit.
Ô Dieux ! Quelle merveille !
Dans le sein du repos chacun dort ; et je veille.

Alidor sur un beau téton
Prend l’aise du sommeil, après d’autres délices :
L’Aurore, qui tenait le lit pour ses supplices,
S’oublie, et dort près de Tython.
Ô Dieux ! Quelle merveille !
Dans le sein du repos chacun dort ; et je veille.

L’ombre passe, et tout change enfin ;
Les Astres vont dormir, et tombent de paresse ;
L’Aurore pleure moins à faute de caresse
Que de se lever si matin :
Ô Dieux ! quelle merveille !
Dans le sein du repos chacun dort ; et je veille.

L’oiseau s’éveille dans les bois
Sur un lit naturel ou de feuille ou de plume,
Et regarde en chantant tout le Ciel qui s’allume
Et se réjouit à sa voix.
Ô Dieux ! quelle merveille !
Je pleure cependant, je soupire, et je veille.

Je soupire ? et pourquoi ? quel si puissant objet

À mes feux violents peut servir de sujet ?

Ne suis-je plus Hylas ? et ne saurais-je apprendre

Si je serais passé de moi-même en Sylvandre ?

Cet envieux Démon de constance et d’ennui

Voudrait-il me punir et me changer en lui ?

Non, c’en est un d’amour, qui me figure Stelle

Avecque tous les traits qui la rendent si belle.

Qu’il la peigne Divine, et par de faux appas

Lui donne des beautés que même elle n’a pas ;

Qu’elle ait sur mes esprits un Souverain Empire :

Faut-il qu’elle soit vaine, et qu’Hylas en soupire ?

Orgueilleuse Bergère, où prends-tu ce pouvoir

De lui donner des soins plus qu’elle n’en veut avoir ?

Ta beauté me poursuit, et m’attache en forsaire,

Elle devient cruelle à force de me plaire,

Et jusques dans mon lit ose mal à propos

M’apporter de la peine et m’ôter le repos ;

La plus grande beauté, combien que j’en jouisse,

Je ne l’aimerais pas avecque ce supplice :

Rêver, ne point dormir, se plaindre, et soupirer,

Fût-ce dedans le Ciel, je n’y pourrais durer :

Si mon cœur s’est ouvert à ton feu qui le touche,

Ne dois-je plus fermer ni mes yeux, ni ma bouche ?

Il faut que mon humeur ici règne à son tour,

Tu m’as blessé la nuit, je m’en rirai le jour,

Et ton cœur insolent au point qu’il me surmonte

Saura dans un congé mon courage, et ta honte ;

Comme si pour t’aimer je devais endurer

Tout ce qui m’aurait pu ta haine procurer ?

 

 

Scène II

 

PÉRIANDRE, HYLAS

 

PÉRIANDRE.

Si matin ? qui vous met dedans la solitude ?

HYLAS, continuant sans l’ouïr.

Nous saurons bien sortir de cette inquiétude !

PÉRIANDRE.

Qui vous a cette nuit le repos diverti ?

HYLAS.

À deux de jeu, chacun fasse nouveau parti.

PÉRIANDRE.

Vos discours sont venus jusques à mes oreilles.

HYLAS.

Bergère, donnez-vous beaucoup de nuits pareilles.

PÉRIANDRE, le poussant.

Ne répondez-vous point ? je crois que vous songez.

HYLAS, l’entendant.

Oui, comme je rendrai tous mes désirs vengés

Périandre, tu vois...

PÉRIANDRE.

Beaucoup de rêverie :

Quelle humeur vous a mis cette nuit en furie ?

HYLAS.

Stelle, cette importune.

PÉRIANDRE.

Où croire ce qu’il dit ?

HYLAS.

Qui m’est venu trouver jusques dedans mon lit.

PÉRIANDRE.

Stelle ?...

HYLAS.

Dedans mon lit.

PÉRIANDRE.

Et j’en étais si proche ?

HYLAS.

Tu pouvais donc ouïr injure sur reproche.

PÉRIANDRE.

Quoi ? Vous l’avez...

HYLAS.

Chassée.

PÉRIANDRE.

Ô Dieux !

HYLAS.

En me levant.

PÉRIANDRE.

Comment ? ne jouir pas ?

HYLAS.

D’un fantôme, et du vent :

Jouit-on d’un objet qu’on ne tient qu’en pensée ?

PÉRIANDRE.

C’est son image aussi que vous avez chassée.

HYLAS.

Elle-même pour moi lui porte son congé.

PÉRIANDRE.

Son cœur est innocent, doit-il être affligé ?

HYLAS.

Le mien souffrira-t-il tant de soins le confondre ?

PÉRIANDRE.

Son portrait a failli.

HYLAS.

Mais Stelle en doit répondre ;

Quoi ? ne charge-t-on pas le maître comme auteur

D’un dommage important que cause un serviteur ?

N’osant pas y venir, dans mon lit elle envoie

Tout ce qui peut troubler mon repos et ma joie,

Un portrait qui me blesse en montrant sa beauté.

PÉRIANDRE.

En effet, contre Hylas c’est trop de cruauté ;

Mais la voilà qui vient.

HYLAS.

Je lui veux faire entendre

D’une noire action, ce qu’elle en doit attendre.

PÉRIANDRE.

L’action fut bien noire, étant faite la nuit.

 

 

Scène III

 

PÉRIANDRE, CORYLAS, STELLE, HYLAS

 

PÉRIANDRE.

Corylas ne sait pas ce que sa main conduit.

CORYLAS.

J’eusse dit mon Soleil, avant son inconstance

Mais si je me trompai, j’en ai fait pénitence ;

Aujourd’hui bien guéri de ce fâcheux tourment

Je mène l’Inconstante à son pareil Amant,

Afin que d’un accord, comme ils se le promirent,

On aille à la Fontaine où les Amants se mirent ;

Dorinde par plaisir veut aller avec eux,

Et si vous le voulez nous les suivrons tous deux.

PÉRIANDRE.

Si vous croyez qu’Hylas y trouve votre image,

Bergère, vous allez chercher votre dommage.

STELLE.

Que craindrai-je ? l’aimant, je sais qu’il la verra.

PÉRIANDRE.

Et je sais, la voyant, qu’il vous en punira.

STELLE.

Mon portrait à ses yeux...

PÉRIANDRE.

Comme un objet funeste.

STELLE.

Avecque mille appas...

PÉRIANDRE.

Et c’est contre eux qu’il peste.

STELLE.

Charmera ses regards ainsi que ses esprits.

HYLAS, la querellant.

Si je ne les tenais déjà dans le mépris ;

Quoi ? Penseriez-vous mettre Hylas à la torture ?

Et le troubler autant qu’a fait votre peinture ?

Qu’est-il, ce beau portrait, qu’il le faille adorer,

Et souffrir dedans moi ses coups sans murmurer ?

Est-ce un Dieu ? Mais plutôt un Tyran de mon âme ?

Qu’il entre malgré moi, la tourmente, et l’enflamme ?

Sans respect violer tous nos serments écrits,

C’est chercher un congé qu’on devrait avoir pris,

En matière d’amour jamais je ne pardonne ;

Stelle, retirez-vous, c’est Hylas qui l’ordonne.

STELLE.

Ô Dieux !

CORYLAS.

Laissez le Ciel sans plus loin recourir

Vos humeurs ont de quoi se blesser et guérir.

STELLE.

Guérir ? qui le pourrait ? cette plaie est mortelle.

CORYLAS.

Et la serait bien plus à toute autre que Stelle.

STELLE.

Toute autre ne sait pas ce que vaut un Amant.

PÉRIANDRE.

Tel qu’Hylas, dont l’humeur change dans un moment.

Sans aller plus avant consulter la Fontaine,

Vous voyez de son cœur une image certaine.

CORYLAS.

Nous verrons qu’il rendra ce qu’il a refusé,

Et qu’il ne s’est fâché que pour être apaisé :

Que faites-vous ? Hylas.

HYLAS, allant d'un bout du Théâtre à l'autre.

Tu vois, je me promène.

CORYLAS.

Quelque chose de plus ; vous souffrez...

HYLAS.

Peu de peine.

STELLE.

Encore quel sujet m’attire son courroux ?

PÉRIANDRE.

D’avoir veillé la nuit, et soupiré pour vous.

CORYLAS.

Vous rêvez.

HYLAS.

Sur un point que tu pourras apprendre ;

Je songe à qui donner ce que je viens de prendre.

CORYLAS.

Où trouverait son cœur enfin de lieux certains,

S’il ne peut demeurer un moment dans ses mains ?

HYLAS.

Il me pèse déjà, je cherche à m’en défaire ;

Je ne puis si longtemps consulter une affaire.

CORYLAS.

Et de soi-même encore aisée à terminer :

Sans le porter plus loin, vous le pouvez donner...

HYLAS.

À qui donc ?

CORYLAS.

À l’objet le plus proche et plus digne,

Et qui doit espérer cette faveur insigne,

À Stelle, dont l’amour après un bien perdu

Le conservera mieux se le voyant rendu.

HYLAS.

En effet.

CORYLAS.

Il le faut : cet accord sans contrainte

Vous tire de reproche, et lui ravit la plainte.

HYLAS.

Allons. Mais dois-je croire et suivre ton conseil ?

C’est Amour qui m’inspire un mouvement pareil.

Il se jette à genoux devant Stelle.

Notre feu sortira plus beau de ces fumées,

Par cette épreuve Amour à nos lois confirmées ;

Le plus beau prix, Bergère, est celui qu’on débat,

Et pour votre victoire il fallait un combat ;

La même liberté, que ce coup rend plus forte,

Qui vous ôta mon cœur maintenant le rapporte.

STELLE.

Le mien à sa venue offre un lieu réservé.

HYLAS.

J’en cherchais un plus digne, et n’en ai point trouvé ;

Pour n’en sortir jamais le Ciel vous le renvoie.

STELLE.

Et moi je le reçois sur des larmes de joie.

PÉRIANDRE.

Dans leur légèreté je me trouve déçu,

Un cœur donné si vite est plus vite déçu.

HYLAS.

Nos lois n’admettent point de plus longue querelles,

Sous nous la liberté reprend toutes ses ailes.

CORYLAS.

Et ne vous laisse pas d’aucun moment jouir,

Ou le temps de vous plaindre, ou de vous réjouir.

Tandis qu’un tel accord a vos âmes unies,

Et pour voir à jamais vos querelles finies,

La Fontaine d’amour qui déjà nous attend

Vous peut rendre aujourd’hui l’un par l’autre content.

HYLAS.

Nos feux ne cherchent pas cette vaine assurance.

STELLE.

Elle seule pourtant nourrit mon espérance.

HYLAS.

Soit : au moins ce miroir, que je tiens impuissant,

Vous montrera mes vœux en vous obéissant.

 

 

Scène IV

 

ADAMAS

 

Depuis ce jour fatal si rempli de miracles,

Et qui fit travailler les Dieux et les oracles,

Ce jour, où les destins par un arrêt préfix

Pour le sacrifier me donnèrent un fils,

Où l’autel me fit voir, en immolant Sylvandre,

Ne l’avoir demandé qu’afin de me le rendre :

Depuis cette merveille, et cet heureux moment

Qui causa tant de joie après tant de tourment,

Je visite ces champs aussitôt que l’Aurore,

Où mon bien par l’objet se renouvelle encore ;

Avecque le Soleil je parais dans ces lieux,

Pour augmenter ma joie et rendre grâce aux Dieux,

Qui tirant du destin toute chose prospère

Du malheur de mon fils me firent heureux Père :

Je pense encore voir le bûcher et l’Autel ;

Amour ici rendit un Oracle mortel,

Là Sylvandre parut prêt de choir en victime,

Criminel du destin sans connaître son crime ;

La tête couronnée, et tendant son bras nu

Il s’est offert ici, là je l’ai reconnu

Les Dieux après nos maux faisant suivre leur grâce

M’ont vu mourir ici, revivre en cette place :

Enfin tout le Forêts dans ces lieux assemblé

Fut témoin du bonheur dont le Ciel m’a comblé.

 

 

Scène V

 

DORINDE, ADAMAS, HYLAS, CORYLAS, STELLE, PÉRIANDRE

 

DORINDE.

Que contemple Adamas ?

ADAMAS.

La paix après la guerre ;

Et le Soleil du Ciel, et celui de la terre :

Les rayons du premier embellissent ces lieux,

Mais ils les touchent moins que l’éclat de vos yeux.

DORINDE.

Vous êtes l’un et l’autre en ce siècle où nous sommes,

Votre esprit vient du Ciel pour éclairer les hommes.

Mais remettant à part l’esprit, la qualité,

Sans mêler nos plaisirs à votre dignité,

Rirez-vous pas d’Hylas, que cette troupe amène

Le dernier des Amants consulter la Fontaine ?

HYLAS.

Oui, le dernier en nombre, et premier en effet,

Si l’on doit envoyer l’honneur au plus parfait.

CORYLAS.

Hylas aurait mis fin sans doute à tant de charmes

Par l’effort de ses feux.

HYLAS.

Comme toi par tes larmes :

Je tiens dedans l’erreur tous ces enchantements.

STELLE.

Moi, qu’ils sont terminés pour nos contentements.

HYLAS.

D’où viendra ce portrait ? ô beauté sans seconde !

Puis-je l’avoir au cœur, et le voir en cette onde.

STELLE.

Ne vous en troublez point ; par un change plus doux

Je sortirai de moi pour être auprès de vous.

HYLAS.

Ah ! vous me jetterez dans une peine extrême ;

Laquelle dois-je aimer ? ou l’Image, ou vous-même ?

STELLE.

Toutes les deux en une, et l’une en toutes d’eux ;

Nous saurons diviser et conjoindre vos feux.

HYLAS.

Tenant compte à mon cœur de ce que j’en dépense,

Il faut pour deux objets doubler la récompense.

STELLE.

L’une répond de l’autre.

HYLAS.

Et chacune pour soi.

STELLE.

Hylas ne se plaindra ni d’elle ni de moi.

HYLAS.

Sous ces conditions, et sur votre parole

Je vais dans la Fontaine adorer une Idole :

Retirez-vous Bergère, et ne m’approchez pas.

DORINDE.

Mon Père, avançons-nous, et marchons sur ses pas.

Et vous, gentil Berger, voulez-vous pas de même

Y regarder aussi la Beauté qui vous aime ?

CORYLAS.

M’aimer ? le sort n’est pas si contraire à mon bien ;

Et qui pourrais-je voir, puisque je n’aime rien ?

ADAMAS.

Vous prenez en ce point un peu trop de licence ;

Mon fils, craignez l’Amour, respectez sa puissance,

Ne rendez pas ce Dieu contre vous animé :

Pour y voir quelque objet c’est assez d’être aimé.

CORYLAS.

Et c’est encore plus que mon cœur ne demande.

HYLAS.

Venez, Ami, par moi l’Amour vous le commande ;

Accompagnez Hylas, imitez son dessein.

PÉRIANDRE.

Je n’y verrais jamais ce que j’ai dans le sein ;

Dorinde et ma raison m’ôtent bien cette envie ;

Je suis trop assuré du malheur de ma vie.

HYLAS.

Doncque tout seul Hylas mérite cet honneur.

ADAMAS.

Faut-il se défier ainsi de son bonheur ?

CORYLAS.

Je remets toute amour dedans l’indifférence.

PÉRIANDRE.

Moi j’aimerai toujours sans aucune espérance.

HYLAS.

Quelle contraire Démon à leur esprit charmé ?

Moi, j’aimerai partout, comme partout aimé.

ADAMAS.

Avecque ce désir vous cherchez la Fontaine ?

HYLAS.

C’est par obéissance, et je plains cette peine ;

Je cherche un cœur en l’eau, que je porte en ma main,

On m’oblige à savoir ce dont je suis certain.

STELLE.

Me voulez-vous laissez longtemps en cette place ;

Voyez si je suis là, mais avec quelle grâce ?

HYLAS.

Je vais vous obéir, attendez un moment ;

Au moins si je suis fol, c’est par commandement.

ADAMAS.

À genoux ; respectez...

HYLAS.

Qui donc : une Bergère ?

ADAMAS, lui montrant Amour sur une colonne de marbre au milieu de la Fontaine.

Craignez-vous pas ce Dieu ?

HYLAS.

Ma peur serait légère.

ADAMAS.

Ses armes...

HYLAS.

Valent peu dans la main d’un Enfant,

Faible.

ADAMAS.

Puissant.

HYLAS.

Tout nu.

ADAMAS.

Mais partout triomphant.

HYLAS.

Ses Myrtes les plus verts il les doit à ma gloire.

DORINDE.

Ce Narcisse nouveau s’en fera bien à croire.

PÉRIANDRE.

Aimé de tout le monde, et qui n’aime que soi.

HYLAS.

Stelle, vous paraissez ? ô Dieux ! je l’aperçois

Douce, pleine d’appas, divine, incomparable,

Toute belle et parfaite ; en un mot adorable.

Les Grâces et l’Amour font rire ce tableau ;

On dirait que Vénus sort encore de l’eau ;

De honte ou de respect les Naïades se cachent ;

Les arbres ont des yeux qui sur elle s’attachent :

Elle semble parler, et reprocher aux Cieux

Qu’ils n’ont qu’un seul Soleil, elle deux dans ses yeux ;

Ses cheveux épandus et cette tresse blonde

Semblent de filets d’or qui nagent dessus l’onde.

Ou des rayons de feu dessus les flots mouvants,

Le jouet des Amours, non pas celui des vents ;

Elle me tend la main ; des yeux elle m’appelle,

De l’autre elle contraint les flots amoureux d’elle,

Qui se poussent l’un l’autre et d’envie est d’amour,

Et pour baiser son front se coulent à l’entour :

Ô merveille ! Je vois trembler cette Colonne,

Que le marbre s’anime, et la terre s’étonne.

Oracle que rend l’Amour au-dessus d’une Colonne élevée au milieu de la Fontaine.

Que la fin de tes feux soit leur commencement ;
Stelle t’aime, Berger, rien ne t’en doit distraire :
Pour le punir, ou pour salaire,
Je veux qu’Hylas aime éternellement.

STELLE.

Obéissons, Hylas, à la voix de l’Oracle ;

Si l’Amour nous conjoint ; qu’opposez-vous d’obstacle ?

HYLAS.

Ma liberté, qui fuit les chaînes et les fers ;

L’esprit n’en doit avoir que dedans les Enfers ;

Que je traîne en forçat mon lien, et ma peine ?

Tu l’espères en vain, petit Dieu de Fontaine ;

Crois-tu qu’Hylas jamais aime sans liberté ?

Ni quitte son humeur qu’avecque la clarté ?

ADAMAS.

Gardez-la, votre humeur, aussi bien que la vie ;

Il semble que l’Oracle à cela vous convie ;

Ses mots les plus aisés ont vos sens confondus,

Et vous font peur, Hylas, faute d’être entendus ;

La voix des Dieux est haute, et non pas mensongère :

Dites, n’aimez-vous pas cette jeune Bergère ?

HYLAS.

Je l’aime, à mon humeur, et tant qu’il me plaira ;

Mais prêt de me donner à qui plus m’agréera.

ADAMAS.

Justement, et voilà ce que l’Oracle ordonne,

Et qu’on peut voir encore écrit sur la Colonne.

Que la fin de tes feux soit leur commencement.

Prêtez ici l’esprit avec le jugement :

Finir, pour commencer une flamme nouvelle,

N’est-ce pas vous remettre aux choix de la plus belle ?

De tant d’objets qu’Amour vous fit suivre autrefois,

Retournez-y par ordre, et rentrez sous leurs lois ;

Styliane, Cloris, et Dorinde sans honte

Viendront après Phyllis, Laonice, et Madonthe ;

Et pour Stelle...

HYLAS.

Arrêtez, jusques-là tout va bien,

Je lui promets leur cœur, en leur donnant le mien ;

Je la veux pour compagne en ces diverses routes,

Je l’aimerai toujours, et les aimerai toutes.

STELLE.

En tant de belles mains si mon bien se départ,

Je n’en saurais avoir qu’une petite part.

DORINDE.

Bergère, il ne faut pas que cela vous étonne :

Nous aimant de la sorte, il n’aimera personne.

PÉRIANDRE.

Vous aurez en chemin de quoi vous divertir :

Si vous le voulez suivre, il faut bientôt partir.

CORYLAS.

Cette Bergère instruite à ce plaisant office

Lui peut donner autant que prendre d’exercice :

Il sera bien léger, s’il la passe à courir.

HYLAS.

Et plus sage que toi, qui pensas en mourir.

PÉRIANDRE.

Hylas se peut nommer, après tant de voyage,

Un Pèlerin d’Amour...

DORINDE.

Qui cherche des visages

De tout lieu, de tout âge, et de toute saison.

HYLAS.

Le Soleil ne voit-il qu’une seule Maison ?

Sa course fait vieillir et rajeunir le Monde ;

Et la mienne toujours en plaisirs est féconde.

Mais au sortir déjà mon esprit arrêté

Trouve sur ce voyage autre difficulté :

Où chercher Alexis, et cette fausse Astrée ?

Chryséide non plus dans une autre contrée ?

ADAMAS.

N’ayant eu vos amours, qui changeaient si souvent,

Que dans la fantaisie, ou cherché que du vent,

Vous pourrez en aimer encore les fantômes.

CORYLAS.

Et devenir enfin amoureux des atomes.

HYLAS.

C’est, Berger ignorant, ce que tu n’entends pas :

Que votre esprit m’oblige, et m’épargne de pas !

Je tiendrai vos avis pour un second Oracle.

PÉRIANDRE.

Inconstant de nature.

DORINDE.

Et constant par miracle.

HYLAS.

Les Dieux et mon humeur me l’ordonnent ainsi ;

Amour en est content.

STELLE.

Et j’y consens aussi.

HYLAS.

Dites, voyant mon cœur entre les mains d’une autre,

Que c’est un bien prêté qui sera toujours vôtre ?

STELLE.

Stelle meurt et revit dans un si doux transport.

HYLAS.

Ainsi les Dieux et moi sommes tombés d’accord.

PDF