L’Embarras de Godard (Jean DONNEAU DE VISÉ)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, en 1668.

 

Personnages

 

MAÎTRE GODARD, Père d’Isabelle

ISABELLE

CLÉANTE, Amant d’Isabelle

ORIANE, Voisine de Maître Godard

LA SAGE-FEMME

PAQUETTE, Domestique de Maître Godard

CHAMPAGNE, Domestique de Maître Godard

L’ANGEVIN, Domestique de Maître Godard

TORINE, Domestique de Maître Godard

PICARD, Domestique de Maître Godard

 

La Scène est dans une Salle de Maître Godard.

 

 

AU LECTEUR

 

La Représentation étant l’Âme de la Comédie, je ne sais si celle-ci plaira autant sur le papier, qu’elle a plu sur le Théâtre, et surtout à Versailles ; où, sans être sue, elle fut jouée par un Ordre absolu, et ne laissa pas d’être trouvée fort divertissante. Aussi lorsque ces Pièces, qui ne consistent que dans l’action, réussissent, la gloire en étant autant due aux Comédiens, qu’à l’Auteur. Comme celle-ci est extrêmement risible, une Scène, ou deux, qui auraient pu passer pour les Endroits les plus Comiques, en d’autres furent trouvées un peu sérieuses, quoique fort courtes, et assez fines. Mais étant placées après une autre qui fait beaucoup rire, il semblait qu’on passât du Comique au Sérieux ; c’est pourquoi j’ai cru y devoir ajouter deux Scènes, dont l’une est de la Sage-Femme, que l’on y souhaitait. Peut-être que l’on dira, en voyant l’autre, qui est celle de Champagne, et du Cocher, que cette Comédie n’étant point une Farce, cet Endroit en tient un peu, et ne s’accorde pas avec le Commencement, que l’on a trouvé représenter naturellement, des choses qui se passent assez souvent parmi les Amants. Mais elle est d’autant plus excusable, qu’elle n’est que parmi les Valets, qui viennent du Cabaret, et même qu’elle est du Caractère de Champagne, qui ayant, toujours, fait l’habile, veut se divertir du Cocher. D’ailleurs, si tout le Monde pouvait savoir, comme une partie de la Cour, ce qui m’a fourni l’idée de cette Scène, je ne serais pas en peine de la justifier ; et peut-être, aussi, que je ne l’aurais pas faite, si elle était sans Mystère.

 

 

Scène première

 

ISABELLE, CLÉANTE, PAQUETTE, sur une chaise endormie, et ronflant

 

On ouvre ici le fonds du Théâtre.

ISABELLE.

Si vous m’aimez, toujours, avec même constance,

Je ne vous défends pas d’avoir de l’espérance.

PAQUETTE, en se frottant les yeux, et baillant.

Ha, a, a, a, a, a. Peste de l’Amour !

Mais, vous ne songez pas qu’il fera, bientôt, jour.

CLÉANTE.

Je sortirai dans peu.

ISABELLE.

Encore que mon Père

Se montre, tout à fait, à notre Hymen, contraire,

Ce n’est pas qu’il ait pris d’aversion pour vous :

Mais, il veut me donner un Cloître, au lieu d’Époux,

Afin de conserver plus de Bien pour mon Frère.

Ma Mère, sur ce point, ne voulant pas lui plaire,

Doit, encore, pour nous, lui parler, aujourd’hui ;

Mais, cet espoir doit peu soulager notre ennui,

Et nous devons, enfin, craindre qu’elle ne meure,

Sachant, que d’accoucher, elle n’attend que l’heure.

Sans mourir de douleur, je n’y saurais songer ;

Elle est, en cet état, plus qu’une autre, en danger ;

Et, comme, en accouchant, on la tient, souvent morte,

Ce n’est pas, sans sujet, que ma crainte est si forte.

CLÉANTE.

Je crains autant que vous, et ressens même ennui ;

Si la Mort la prenait, nous n’aurions plus d’appui.

PAQUETTE, après s’être étendue, comme une personne qui s’éveille.

Avecque les Amants, les Gens ne dorment guères ;

Passerez-vous, toujours, toutes les nuits entières ?

CLÉANTE.

Je sors.

PAQUETTE, vient à eux.

Écoutez.

CLÉANTE.

Quoi ?

PAQUETTE.

Ne faites point de bruit.

ISABELLE.

Je tremble, nous veillons, aussi, trop, cette nuit.

PAQUETTE.

Hé bien, l’entendez-vous ?

CLÉANTE.

Que veux-tu que j’entende ?

ISABELLE.

Peut-être, est-ce mon Père. Ô Dieu, que j’appréhende !

CLÉANTE.

Pour moi, je n’entends rien.

PAQUETTE.

Quoi ! vous n’entendez pas

Que le coq réveillé, chante, déjà, là-bas ?

ISABELLE.

Que nous viens-tu conter ?

PAQUETTE.

Ah ! Madame, je meure,

S’il n’a, déjà, chanté, six fois, depuis une heure.

CLÉANTE.

Mais, tu ne devais pas, pour rien, nous faire peur.

PAQUETTE.

Je sais que ce n’est rien pour un si grand Veilleur ;

Mais, c’est beaucoup pour moi, qui ne devrais entendre

Le Coq, que dans mon Lit.

Paquette va prendre, à demi endormie, la Chandelle, sur la Table et revient.

ISABELLE.

Je ne saurais comprendre

Comment le temps a pu passer si promptement.

CLÉANTE.

Je crois n’être, avec vous, que depuis un moment.

ISABELLE.

Je dois vous avouer, que je le crois de même.

CLÉANTE.

Le temps passe bien vite, auprès de ce qu’on aime.

PAQUETTE.

Sortez sans plus tarder, je crains quelque malheur ;

Car, je crois, qu’en rêvant, je viens de voir Monsieur.

CLÉANTE.

Elle est bien endormie, et ne voit, je crois, goutte.

PAQUETTE, en laissant aller sa tête.

Moi, je dors !

ISABELLE.

Oh ! que non.

PAQUETTE, en dormant encore.

Quoi ! je dors ?

CLÉANTE.

Oui, sans doute.

PAQUETTE.

Ah ! quand je dormirais, je pense, par ma foi,

Que vous n’en seriez pas trop fâchés contre moi.

Mais, allons.

CLÉANTE.

Souffre, encor, qu’un moment, je demeure.

PAQUETTE.

Vous l’avez demandé, vingt fois, depuis une heure,

Mais, je vois que le Jour qui pénètre en ces Lieux...

CLÉANTE.

Comment le verrais-tu ? tu n’ouvres pas les yeux.

PAQUETTE, en le tirant.

Tant mieux pour vous, mais...

CLÉANTE, à Paquette.

Çà.

À Isabelle.

Croyez que je vous aime.

PAQUETTE.

Puisque votre Entretien est, tous les soirs, de même,

Pourquoi veiller si tard ?

CLÉANTE.

Pourquoi ?

PAQUETTE.

Si quelque jour

L’Hymen vous donne lieu de contenter l’Amour,

Vous mourrez de plaisir, s’il est vrai qu’on en meure.

CLÉANTE.

Ah ! que ne suis-je, donc, marié tout à l’heure !

ISABELLE.

De cet Hymen, hélas ! le trop flatteur espoir

Est ce qui m’a, les soirs, engagé à vous voir.

Je risque, je le sais ; mais, un Cœur, un peu, tendre,

Contre ce qui lui plaît, ne saurait se défendre.

CLÉANTE.

Que de bontés !

ISABELLE.

Mon Cœur se tiendrait à son choix,

Quand, parmi mes amants, je compterais des rois.

CLÉANTE.

De si tendres discours ne font que me confondre,

L’Amour même, je crois, ne pourrait y répondre :

Et pour y répartir, je veux, à vos genoux...

PAQUETTE.

Modérez vos transports ; tout beau, que faites-vous ?

Comme elle est endormie, et qu’en voulant arrêter Cléante, elle ne trouve rien, parce qu’il est à genoux, elle tombe, et la Chandelle s’éteint.

CLÉANTE.

Toi-même, que fais-tu ? mais, ta chandelle est morte !

PAQUETTE.

Je voulais modérer l’ardeur qui vous transporte :

Mais, ne profitez pas, au moins, de ce malheur.

ISABELLE.

Il est sage.

Elle passe par derrière Cléante, sans savoir où elle va. Ici, Paquette va à tâtons, du côté qu’était Isabelle, comme pour les empêcher de s’approcher.

CLÉANTE.

Paquette a soin de votre honneur.

PAQUETTE, à part.

Si ces jeunes Gens-ci...

CLÉANTE, prenant la main de Paquette, et la baisant.

Oui, ma chère Isabelle,

Je vous aime.

PAQUETTE, bas.

Laissez le Galant sans Chandelle.

CLÉANTE, sentant que Paquette lui serre la main.

Ô transports ! ô douceurs, qu’on ne peut exprimer !

À Isabelle, qui le tire du côté où était Paquette.

Laisse-moi là, de grâce, et va-t’en rallumer

Ta Chandelle.

ISABELLE.

Il me prend pour Paquette, sans doute.

CLÉANTE, à Paquette.

Paquette trouve peu son compte à ne voir goutte.

Paquette lui serrant la main.

Que ne vous dois-je point par mes soins empressés ?

À Isabelle, qui le tire, encore.

Je saurai... Laisse-moi.

ISABELLE.

Quoi ! vous me repoussez ?

CLÉANTE.

Quoi ! c’est vous ?

PAQUETTE.

À peu près.

CLÉANTE.

Ô Ciel !

PAQUETTE.

Hé oui, c’est elle,

Et Paquette, la Nuit, vaut, pour vous, Isabelle.

Vous vous émancipez, donc ? Ah, cela m’instruit ?

Elle tâtonne, comme pour les séparer.

Et je vous veillerai le jour come la nuit,

Mais, écoutez.

CLÉANTE.

Et quoi ?

PAQUETTE.

Paix.

ISABELLE.

Que nous veux-tu dire ?

CLÉANTE.

Est-ce, encor, quelque Coq ?

PAQUETTE.

Il n’est pas temps de rire.

CLÉANTE.

Pourquoi nous alarmer ?

PAQUETTE.

Paix, vous dis-je, écoutez,

J’entends marcher quelqu’un.

CLÉANTE.

Je fuis.

PAQUETTE.

Non, arrêtez.

Si vos faisiez du bruit, on pourrait vous surprendre.

 

 

Scène II

 

CLÉANTE, ISABELLE, PAQUETTE, MAÎTRE GODARD

 

MAÎTRE GODARD, sortant du fonds du Théâtre, en Robe de Chambre, et Bonnet de nuit.

Crions un peu plus haut, pour nous mieux faire entendre.

Champagne, l’Angevin, Isabelle, Picard.

PAQUETTE, bas, à Cléante.

Ah ! si l’on me rattrape, en vous veillant si tard...

CLÉANTE.

Paix.

MAÎTRE GODARD.

Torine, Paquette.

ISABELLE.

Ah ! ma crainte est extrême !

CLÉANTE.

Je crains autant que vous, parce que je vous aime.

PAQUETTE.

Ah ! ma foi, d’un tel Coq, le chant doit faire peur,

Vous voyez que mon songe, enfin, n’est pas menteur.

MAÎTRE GODARD.

Aucun ne vient, encor.

ISABELLE.

Mais, quel sujet l’amène ?

MAÎTRE GODARD.

Dedans le premier Somme, on s’éveille, avec peine.

CLÉANTE.

Dis-moi, que ferons-nous, afin de l’éviter ?

PAQUETTE.

Parlez, encor, plus bas, il pourrait écouter,

Il faut... Mais, il s’approche.

ISABELLE.

En es-tu bien certaine ?

Je le croyais rentré.

PAQUETTE.

Votre fièvre quartaine !

Il faut... Ah ! pour ce coup, je le crois près de nous,

Sans bruit, et sans souffler, tous deux, reculez-vous.

MAÎTRE GODARD.

Je ne sais où je suis, tant la Nuit est obscure.

CLÉANTE.

Ah ! que je suis fâché d’une telle aventure !

PAQUETTE, à Cléante.

Il faut qu’à quelque coin, vous passiez doucement,

À Isabelle.

Et que vous gagniez, vous, votre appartement.

CLÉANTE.

Mais...

PAQUETTE.

Mais, ne parlons plus.

Cléante se met à un Coin, et Isabelle gagne sa Chambre.

MAÎTRE GODARD.

On marche, que je pense.

Qui va là ? Ce n’est rien, j’ai trop de défiance.

Champagne, holà, quelqu’un, irai-je vous chercher ?

Quoi, donc, ma pauvre Femme est prête d’accoucher.

PAQUETTE, fait semblant de venir.

Que voulez-vous ?

MAÎTRE GODARD.

Je crains que ma Femme n’accouche.

PAQUETTE.

Je ne saurais, encor, qu’à peine, ouvrir la bouche,

Tant le sommeil m’abat.

MAÎTRE GODARD.

Quoi ! depuis un moment,

C’est, donc, toi, qu’en ce Lieu j’entends ?

PAQUETTE.

Et, oui, vraiment.

Votre Fille se lève, et crois bien que sa Mère

Doit accoucher dans peu.

MAÎTRE GODARD.

Vite, de la Lumière.

PAQUETTE.

Je m’en vais, à tâtons, en chercher, promptement.

 

 

Scène III

 

MAÎTRE GODARD, PAQUETTE, PICARD

 

PICARD, entrant brusquement, et faisant, presque, tomber Paquette.

Qui vient de m’appeler ?

PAQUETTE.

Que tu vas brusquement !

Peste soit du Brutal !

PICARD.

Je n’y saurais que faire,

On ne voit pas les Gens, quand on est sans lumière.

MAÎTRE GODARD.

Allez, donc, en chercher, et faites cet effort.

Paquette, et Picard, traversent le Théâtre, à tâtons, et vont à une Porte, vis-à-vis celle d’où Picard est sorti, et se heurtent contre l’Angevin et Torine, qui en sortent avec précipitation.

 

 

Scène IV

 

MAÎTRE GODARD, PAQUETTE, PICARD, TORINE, L’ANGEVIN

 

L’ANGEVIN.

Quel bruit ai-je entendu ?

TORINE.

Qui m’appelait si fort ?

PAQUETTE, en se cognant contre l’Angevin.

Ah ! l’épaule !

PICARD, se cognant contre Torine.

Ah ! les dents !

L’ANGEVIN.

Ah ! le nez !

TORINE.

Ah ! la tête !

PICARD.

Je saigne, que je crois.

L’ANGEVIN.

Diable soit de la Bête !

MAÎTRE GODARD.

Quel désordre est-ce ci ?

 

 

Scène V

 

MAÎTRE GODARD, PAQUETTE, ISABELLE, L’ANGEVIN, PICARD, TORINE

 

ISABELLE, sortant de la Chambre, du fond du Théâtre, d’où est sorti son Père.

Je tremble, encor, d’effroi.

Ils viennent tous cinq, en tâtonnant, entourer Maître Godard, qui met la main sur eux.

MAÎTRE GODARD.

Qui va là ? qui va là ?

L’ANGEVIN.

C’est moi.

TORINE.

C’est moi.

PICARD.

C’est moi.

PAQUETTE.

C’est moi, Monsieur.

ISABELLE.

C’est moi qui vous cherche, mon Père.

MAÎTRE GODARD.

Quoi ! pas un n’a l’esprit d’avoir de la Lumière ?

CLÉANTE, à part, en un Coin.

Avant qu’on en apporte, attrapons le Degré,

Car la Porte est ouverte.

MAÎTRE GODARD.

Ah ! je veux, à mon gré,

Vous battre, mais, allez, que je ne vous assomme.

On ne saurait trouver un plus malheureux Homme !

Ils se trouvent tous près de la Porte, et Cléante parmi eux qui était prêt de sortir. Champagne les fait tomber tous, en arrivant, avec un Fusil, et la moitié de ses habits sous son bras, avec un bout de Chandelle.

 

 

Scène VI

 

MAÎTRE GODARD, ISABELLE, PAQUETTE, CLÉANTE, L’ANGEVIN, PICARD, TORINE, CHAMPAGNE

 

CHAMPAGNE.

Le Logis brûle-t-il ? ou sont-ce les Voleurs

Qui vous causent, à tous, de si grandes frayeurs ?

En faisant mine de vouloir tirer.

Où sont-ils ?

PAQUETTE.

Prenez garde.

TORINE.

Tout beau.

PICARD.

Mais, Dieu, je vois Cléante.

CHAMPAGNE.

Dans l’humeur où je suis, j’en tuerais plus de trente.

CLÉANTE, bas.

Servons-nous d’artifice ;

Haut.

ils n’échapperont pas,

Avant que de savoir ce que pèse mon Bras.

Chacun s’écarte un peu, et il approche de Maître Godard.

Vous verrez...

MAÎTRE GODARD.

Qu’avez-vous ? d’où vient cette furie ?

CLÉANTE.

Je n’ai, de vous servir, qu’une très forte envie.

PAQUETTE.

Savez-vous accoucher ?

CLÉANTE.

Je passais, par bonheur,

Près d’ici, dans le temps qu’on criait au Voleur,

Je me suis arrêté, j’ai fait ouvrir la Porte,

Et je suis monté, d’abord, pour vous prêter main-forte.

PAQUETTE.

L’honnête Homme !

ISABELLE.

Voyez ce que fait le Hasard.

MAÎTRE GODARD.

Il est bien surprenant, car il est un peu tard.

CLÉANTE.

Je revenais du Bal,

Monsieur Godard remue la tête.

n’en soyez point en doute.

MAÎTRE GODARD.

Qui vous a fait entrer ?

CLÉANTE.

Qui ? je ne voyais goutte.

MAÎTRE GODARD.

Mais, encor.

CLÉANTE.

C’est...

MAÎTRE GODARD.

Qui, donc ?

CLÉANTE.

C’est Champagne, je crois.

CHAMPAGNE.

Moi ?

PAQUETTE, lui parle bas.

Tu l’obligeras, en disant que c’est toi.

CHAMPAGNE.

C’est, donc, moi.

CLÉANTE.

Ne pouvant vous rendre aucun service,

Adieu, je me retire.

ISABELLE, à part.

Ah ! sans cet artifice,

Je serais, que je crois, morte, à l’instant, de peur.

 

 

Scène VII

 

MAÎTRE GODARD, ISABELLE, PAQUETTE, L’ANGEVIN, TORINE, PICARD, CHAMPAGNE

 

MAÎTRE GODARD.

Si ma Femme accouchait, et si, par ce malheur,

Elle perdait la vie, avec votre paresse,

Je gagnerais beaucoup ; Il faut, donc, qu’on se presse :

Du Vinaigre, de l’Eau, du Vin, du Bois, du Feu,

Du secours. Hélas, donc, que l’on se hâte un peu.

Qu’on aveigne du linge. Ah ! j’enrage dans l’âme,

Ne veut-on pas aller quérir la Sage-Femme ?

Et quoi, sans remuer, vous vous regardez tous,

Au Diable, les Valets.

CHAMPAGNE.

Mais, Monsieur, dites-nous...

MAÎTRE GODARD.

Il faut, sans répliquer, faire ce que j’ordonne.

CHAMPAGNE.

Mais, Monsieur.

MAÎTRE GODARD.

Je ne veux, jamais, que l’on raisonne

L’ANGEVIN, arrêtant Champagne.

Où vas-tu ?

CHAMPAGNE.

Je ne sais. Mais, dis, où vas-tu, toi ?

L’ANGEVIN.

Je n’en sais rien, non plus.

PICARD.

Ni moi.

PAQUETTE.

Ni moi.

TORINE.

Ni moi.

MAÎTRE GODARD.

Morbleu !

ISABELLE.

Demeurez tous ; et vous, songez, mon Père ;

Que, dans l’ardent désir de secourir ma Mère,

Lorsque vous commandez, à tous, confusément,

Ils pourraient, tous, choisir même Commandement.

C’est pourquoi, chacun doit savoir ce qu’il doit faire.

À Paquette.

Vous, rentrez, et soyez, toujours, près de ma Mère.

À Torine.

Vous aveignez du Linge ;

À l’Angevin.

Et vous, faites du feu,

À Picard.

Allez chez Oriane, er revenez, dans peu,

Pour demeurez là-bas ; vous n’aurez qu’à lui dire

Que ma Mère est fort mal, et qu’elle la désire.

Chacun s’en va.

CHAMPAGNE.

Et moi ?

ISABELLE.

Tu dois aller, ayant le plus d’Esprit,

Quérir la Sage-Femme, au plutôt.

CHAMPAGNE.

Il suffit,

Et je l’amènerai, si je la trouve au gîte,

Dans un moment ou deux.

MAÎTRE GODARD.

Dépêche-toi, donc, vite.

Toi, prends soin, qu’ici bas, tout aille comme il faut ;

Je vais voir, cependant, ce que l’on fait là-haut.

 

 

Scène VIII

 

CHAMPAGNE, ISABELLE

 

CHAMPAGNE, se mettant à terre, pour s’habiller.

Que c’est une amitié belle, et bien exemplaire,

Que celle de Monsieur, avecque votre Mère !

ISABELLE.

Ne philosophe point, va, vite, seulement.

CHAMPAGNE, prenant un de ses Bas.

Çà, je vais m’achever d’habiller, promptement,

Vous me le permettez, puisque l’affaire presse.

ISABELLE.

Oui, mais, hâte-toi, donc.

CHAMPAGNE.

Ne manquant pas d’adresse,

Je serai, que je crois, promptement, habillé,

Car, Dieu merci, je suis, déjà, bien réveillé,

Et l’on aurait, de plus, peine à trouver, en France,

Aucun Valet plus propre à faire diligence.

Foin, en me pressant trop, je l’ai mis de travers,

Et j’ai fait pis, encor, car il est à l’envers.

ISABELLE.

Il n’importe, la Nuit...

CHAMPAGNE.

Oh ! si fait, il importe.

ISABELLE.

Si mon Père revient, tu sais comme il s’emporte,

Il te rompra les Bras, et tu l’as mérité.

CHAMPAGNE.

Ne dites mot, j’aurai, bientôt, tout rajusté.

Il remet son Bas doucement, en disant.

Des enfants nés la Nuit, on m’a dit que la vie,

De Malheurs infinis, était, toujours, suivie.

Pour préparer au sien un plus heureux Destin,

Votre Mère devrait n’accoucher qu’au matin :

Et si, jusques au jour, vous la faisiez attendre...

ISABELLE.

Ah ! dépêche-toi, donc, mon Père va descendre.

CHAMPAGNE.

Il suivrait mon Conseil.

ISABELLE.

Tu vois qu’on est pressé.

CHAMPAGNE.

Mais, à mes Souliers près, je suis, tantôt, chaussé.

ISABELLE.

Qu’il faut, avec les Gens, avoir de patience !

CHAMPAGNE.

Bon, celui-ci va bien, mais, l’autre, que je pense,

À deux nœuds est noué, mais, avec mes dents...

ISABELLE.

Que je crains, pour ma Mère !

CHAMPAGNE.

Elle prend, mal, son temps.

ISABELLE.

Si je prends un Bâton...

CHAMPAGNE.

Ah ! Madame, je meure,

Veut, pour nous tourmenter, accoucher à cette heure,

Ses Enfants sont toujours, des Enfants de la nuit ;

Pour accoucher le jour, elle craint trop le bruit,

Sachant qu’en cette Ville, en Peuples si féconde,

On en fait, beaucoup plus, qu’en aucun lieu du Monde.

Il se lève.

Le voilà mis, enfin. Ne vous fâchez, donc, point,

Il ne me reste plus qu’à mettre mon Pourpoint,

Et, sans tarder, après...

Il met une Manche pour l’autre.

ISABELLE.

Que fais-tu, donc ? prends garde.

CHAMPAGNE.

Je ne fais, jamais, bien, alors qu’on me regarde :

Mais, Madame, n’est pas d’humeur à risquer rien,

Si, seule, elle craignait de n’accoucher pas bien.

ISABELLE.

Auras-tu, bientôt, fait ? Mais, tu ris d’une Femme

Qui ne peut, à son gré, te battre.

CHAMPAGNE.

Si Madame

Est grosse d’un Garçon, il attendra longtemps ;

Mais, une Fille, enfin, viendra, malgré ses dents,

Car l’obstination...

 

 

Scène IX

 

MAÎTRE GODARD, ISABELLE, CHAMPAGNE

 

MAÎTRE GODARD.

Ma fille, le mal presse.

ISABELLE.

Hélas ! ma pauvre Mère !

CHAMPAGNE.

Ah ! ma pauvre Maîtresse !

MAÎTRE GODARD.

La Sage-Femme est-elle arrivée avec toi ?

CHAMPAGNE.

J’y vais.

MAÎTRE GODARD.

Comment, j’y vais ?

CHAMPAGNE.

Oui, Monsieur, par ma foi.

ISABELLE.

Il vient de mettre à bout toute ma patience,

S’achevant d’habiller avecque négligence.

MAÎTRE GODARD.

Quoi ! n’être pas, encor, sorti ? Tu le paieras ;

Je te romprai, Maraud, les jambes, et les bras.

Il le bat.

Va donc, va donc, va donc.

CHAMPAGNE.

Ce traitement m’amuse,

Et pour tarder, encor, me fournit une excuse.

Je ne fais, jamais, rien, pendant que l’on me bat.

À Isabelle, avec dépit.

Mais, je ne suis pas bien, encore, sans Rabat,

Il en faut, pour aller chez une Sage-Femme.

MAÎTRE GODARD, le battant.

Un Rabat ! Ah ! Bourreau, je t’arracherai l’Âme.

ISABELLE, à Champagne, en arrêtant son Père.

Va-t’en, donc, promptement, et ne fait que voler,

Qu’aller, et revenir.

CHAMPAGNE.

Il faut bien lui parler.

ISABELLE.

D’accord. Mais, ne sors pas, sans prendre de Lumière.

CHAMPAGNE.

Je n’y manquerai pas, et ne tarderai guère.

MAÎTRE GODARD.

Votre Mère attendra fort impatiemment.

ISABELLE.

Mais, encor, s’il pouvait l’amener promptement.

MAÎTRE GODARD.

Mais, Oriane vient.

 

 

Scène X

 

MAÎTRE GODARD, ORIANE, ISABELLE

 

MAÎTRE GODARD.

Je suis fâché, Madame,

De vous avoir, la nuit, fait lever pour ma Femme ;

C’est, à l’heure qu’il est, en user librement.

ORIANE.

Je vous voudrais du mal, d’en user autrement.

MAÎTRE GODARD.

Si ma Femme voyait quelque nouveau Visage,

Ou quelqu’un, qu’en son Cœur, elle hait, je gage

Que rien ne la ferait accoucher.

ORIANE.

Je le crois.

Mais, puisqu’en cet état, elle a, de moi, fait choix,

Je m’en vais la trouver.

ISABELLE.

Vous êtes obligeante,

Madame.

ORIANE.

Elle sait bien que je suis sa Servante.

 

 

Scène XI

 

MAÎTRE GODARD, ISABELLE

 

MAÎTRE GODARD.

Quand on est marié, que l’on est malheureux !

Et que le Mariage est un joug rigoureux !

Toutes les fois, hélas ! qu’une Femme est en couche,

À son dernier moment, tu vois comme elle touche.

ISABELLE.

Encore que ce mal mette aux derniers abois,

Ma Mère en a, déjà, su échapper trois fois.

MAÎTRE GODARD.

Quoiqu’on réchappe, on souffre une peine cruelle.

ISABELLE.

Mais, toutes ne sont pas aussi malades qu’elle.

MAÎTRE GODARD.

Elles ne laissent pas d’être dans le danger.

Mais, à vous marier, oseriez-vous songer,

Sachant en quel état se trouve votre Mère ?

ISABELLE.

Ah ! bien loin d’y songer, hélas ! j’en désespère :

Elle était pour Cléante, et l’aimait tendrement,

Et vous vous opposez aux vœux de cet Amant.

MAÎTRE GODARD.

Il est trop jeune encor, et... Mais, voici Champagne.

 

 

Scène XII

 

MAÎTRE GODARD, ISABELLE, CHAMPAGNE

 

CHAMPAGNE.

Je pense, qu’aujourd’hui, tout malheur m’accompagne.

MAÎTRE GODARD.

Hé bien, l’as-tu trouvée ? et vient-elle avec toi ?

CHAMPAGNE.

En sortant d’avec vous...

MAÎTRE GODARD.

Vient-elle ? Réponds-moi.

CHAMPAGNE.

En sortant d’avec vous, j’ai...

MAÎTRE GODARD.

Dis-moi, donc, vient-elle ?

CHAMPAGNE.

Je vous rendrai, de tout, un compte bien fidèle.

MAÎTRE GODARD.

Parle, donc ?

CHAMPAGNE.

En sortant...

MAÎTRE GODARD.

À quoi bon ce discours ?

Et pourquoi, par ces mots, recommencer, toujours ?

CHAMPAGNE.

Vous pourriez me tuer, ou me mettre à la Porte,

Que je ne pourrais point vous parler d’autre sorte.

Je veux faire un message avecque jugement,

Et vous rendre, de tout, un compte exactement.

MAÎTRE GODARD.

Si tu ne me réponds, crains que je ne t’assomme.

Qu’un Valet est fâcheux, qui se croit habile Homme !

CHAMPAGNE.

Vous n’avez pas, Monsieur, affaire à quelque Sot.

Disant tout, tout d’un coup, viendra-t-elle plutôt ?

MAÎTRE GODARD.

Était-elle chez elle ?

CHAMPAGNE.

Avant de vous instruire

De tout ce que j’ai fait, je ne puis vous le dire :

Et je veux commencer par le commencement.

MAÎTRE GODARD.

Hé bien, parle, Bourreau, parle, mais promptement ;

Parle, donc, je t’entends, parle, parle, te dis-je.

J’enrage.

CHAMPAGNE.

Mon bon sens est ce qui vous afflige.

Là, Maître Godard le menace, encor, du geste, et Champagne poursuit, après.

En sortant d’avec vous, ayant doublé le pas,

Je suis allé quérir ma Lanterne là-bas,

J’ai pris de la Chandelle, et l’ayant allumée,

Je l’ai mise dedans, et puis je l’ai fermée.

Maître Godard marque, encor, son impatience.

Ayant ouvert, après, la Porte, mais sans bruit,

J’ai mis le nez dehors, et trouvé que la Nuit

Était comme du Gex, et même, encor, plus noire :

Et pour vous raconter, par ordre cette histoire,

J’ai trouvé qu’il pleuvait assez honnêtement ;

Mais, je n’ai pas laissé de marcher, promptement,

Et si fort, que j’étais, déjà, tout hors d’haleine,

Lorsqu’au bout de la Rue étant, encor, à peine,

Un certain bruit confus m’a, d’abord, fait trembler

J’entendais force Gens, près de moi, se parler ;

Et, soudain, l’on a mis, pour me voir au visage,

Et, pour me faire peur, encore, davantage,

Une Lanterne droit au-devant du nez.

Alors, je les ai vus tous, devers moi, tournés ;

Et même, à la faveur de leur triste lumière,

J’ai trouvé qu’ils étaient, tous, des Gens à Rapière,

Et de plus, aperçu beaucoup de Mousquetons,

Que portaient, avec eux, des Gens à Hoquetons.

J’ai beaucoup de frayeur, encore, quand j’y songe,

Car ce que je vous dis n’est point, du tout, mensonge.

Ensuite de cela, j’ai senti de bons coups,

Et j’ai bien entendu ; qu’ils s’entredisaient, tous,

Il faut, dans la Prison, mener ce galant Homme,

Et s’il ne veut marcher, il faut que l’on l’assomme ;

C’est un Voleur, sans doute, il le faut arrêter,

Et sa lanterne sourde, empêche d’en douter.

Ils me l’ont arrachée, en parlant de la sorte,

Vous pouvez bien juger si ma crainte était forte.

Je leur ai dit, pourtant, en reprenant du cœur,

Qu’ils allaient être, tous, cause d’un grand malheur ;

Et que s’ils m’emmenaient, une très bonne Dame

Pourrait, peut être, bien mourir sans Sage-Femme

Comme sans nul espoir, j’achevais de parler,

Leur Commandant a dit, qu’on me laissât aller.

MAÎTRE GODARD.

Ensuite, as-tu couru chercher la Sage-Femme ?

CHAMPAGNE.

Non, vraiment.

MAÎTRE GODARD.

Comment, non ?

CHAMPAGNE.

Non, Monsieur, sur mon Âme,

Sans Lumière, j’ai cru, que je ne pouvais pas

Bien trouver son Logis.

MAÎTRE GODARD, le battant.

Je te romprai les Bras.

ISABELLE.

Mais, vous vous ferez mal, de vous mettre en colère.

MAÎTRE GODARD.

Mais, que ne prenais-tu, d’abord, d’autre Lumière ?

J’ai, souvent, dit qu’on eût quelques Flambeaux céans.

CHAMPAGNE.

Je n’en ai point trouvé.

MAÎTRE GODARD.

Quelle Maison ! quels Gens !

 

 

Scène XIII

 

MAÎTRE GODARD, ISABELLE, PAQUETTE, CHAMPAGNE

 

PAQUETTE.

Ah ! Monsieur, ah ! Monsieur, je pense que Madame

Pourrait bien accoucher, dans peu, sans Sage-Femme :

Les violents efforts du mal qu’elle ressent,

La tourmentent si fort...

CHAMPAGNE.

Le mal est bien pressant,

Jamais, sans Sage-Femme, on ne vit d’accouchées.

MAÎTRE GODARD.

Que ferons-nous ?

PAQUETTE.

Elle a de très grandes tranchées.

CHAMPAGNE.

Oui, l’autre fois, encor, on disait tout cela,

Ce n’est qu’une Colique, ou que des Vents, qu’elle a.

PAQUETTE.

Ah ! si Madame attend, et qu’elle se retienne,

C’est fait d’elle.

MAÎTRE GODARD.

Eh ! qu’enfin, la Sage-Femme vienne.

PAQUETTE, à Champagne.

Hé quoi ! tu n’as rien fait ? et pour quelle raison ?

CHAMPAGNE.

Si l’on avait voulu te mener en Prison...

PAQUETTE.

Mais, allez-y, donc, tous, courez en diligence :

Et qu’on en trouve, enfin, n’en fut-il point en France.

À Isabelle.

Nous, allons, cependant, mettre ordre là-dedans,

Et pour la secourir, ne perdons point de temps.

 

 

Scène XIV

 

PAQUETTE, CHAMPAGNE

 

PAQUETTE, à Champagne.

Ah ! je t’étranglerai, traître, si ta paresse

Cause, aujourd’hui, la mort à ma pauvre Maîtresse.

Va chez la Sage-Femme ; et si dans un moment...

 

 

Scène XV

 

PICARD, PAQUETTE, CHAMPAGNE

 

CHAMPAGNE.

De toi, je ne reçois aucun Commandement.

PAQUETTE.

Tu dois en recevoir, lorsque l’affaire presse,

Et je t’en puis, toujours, faire pour ma Maîtresse.

CHAMPAGNE.

Toi ?

PAQUETTE.

Moi.

CHAMPAGNE.

Quoi, toi ?

PAQUETTE.

Moi.

CHAMPAGNE.

Toi, tu me commanderas ?

PAQUETTE.

Et ce que je dirai, de plus, tu le feras.

PICARD.

Hé ! vas-y.

CHAMPAGNE.

Je n’irai, jamais, pour l’amour d’elle.

PICARD.

Mais...

CHAMPAGNE.

Pourquoi, sans sujet, me fait-elle querelle ?

PAQUETTE.

Voyez le beau Monsieur, pour se fâcher ainsi !

CHAMPAGNE.

Voyez, pour commander, la belle Dame, aussi !

PAQUETTE.

Laquais.

CHAMPAGNE.

Hé bien, Laquais ! mais, tu n’es que Servante :

Et lorsque l’on te voit si leste, et si pimpante,

Nous savons... Il suffit, que nous savons fort bien

Tout ce que nous savons.

PAQUETTE.

Et que sais-tu donc ?

CHAMPAGNE.

Rien.

PAQUETTE.

Voyez cet Effronté ! Je veux, que tout à l’heure,

Il me rende l’honneur qu’il veut m’ôter.

CHAMPAGNE.

Je meure,

Si j’en fais, jamais, rien.

PAQUETTE.

Ma foi, tu le feras,

Ou bien, dès aujourd’hui, d’ici, tu sortiras.

Champagne la menace.

PICARD.

Eh ! mon Dieu, laisse-la.

CHAMPAGNE.

Je suis trop en colère.

PAQUETTE.

Mon Honneur est blessé, je ne saurais me taire.

Il faut que, tout mon saoul, je te batte, aujourd’hui.

PICARD.

Ah ! tout beau.

PAQUETTE.

Laisse-moi.

PICARD.

Quoi ! vous jeter sur lui !

PAQUETTE.

Je le veux étrangler.

CHAMPAGNE.

Tu veux que je te batte.

PAQUETTE.

Bats, donc.

PICARD, reçoit des coups.

Il n’est pas temps que ce courroux éclate.

CHAMPAGNE.

Elle cherche des coups.

PAQUETTE.

Je cherche à me venger.

PICARD, sentant les coups.

Ah, ah.

PAQUETTE.

Laisse-moi faire, et le dévisager.

PICARD, les séparant avec force.

Retirez-vous, tous deux, car le courroux m’emporte,

Vous vous donnez des coups, et c’est moi qui les porte.

C’est comme on sert Madame.

PAQUETTE.

Ah ! mon pauvre Cocher,

Cours chez la Sage-Femme, ou chez Monsieur Boucher.

PICARD.

J’y cours, car Madame est dans un péril extrême.

CHAMPAGNE.

Puisque j’ai commencé, j’achèverai moi-même.

À Picard.

Tiens-toi là.

À Paquette.

C’est, exprès, pour te faire dépit.

PAQUETTE.

Bon.

À Picard.

Vas-y, donc, encor, je t’en prie.

PICARD.

Il suffit.

 

 

Scène XVI

 

MAÎTRE GODARD, PAQUETTE

 

MAÎTRE GODARD.

Sans rien faire du tout, voilà la Nuit passée,

Et, cependant, ma Femme est, tout à fait, pressée.

La pauvre Femme, hélas ! qui me dorlote tant,

Qui, lorsque je viens tard, toute le Nuit, m’attend ;

Qui, quand au bout du doigt, j’ai le moindre mal, pleure ;

Qui, toujours, me caresse, et craint que je ne meure ;

Qui veut, tous les huit jours, que, par précaution,

Je me fasse saigner.

PAQUETTE.

De son affection,

C’est vous donner, sans doute, une preuve très grande.

MAÎTRE GODARD.

Quand je suis un peu mal, toujours elle appréhende,

Elle-même, a le soin de me veiller la Nuit,

Et d’empêcher mes Gens, de me faire du bruit.

Dans tout ce qu’elle fait, on remarque son zèle,

Par des noms caressants, toujours, elle m’appelle,

Je suis son Roi, son Fils, son Mignon, et son Cœur.

Ah ! si je la perdais, que j’aurais de douleur !

Quand, quelquefois, tous deux, nous sommes en colère,

Son amitié la fait revenir la première,

Elle tient peu sans Cœur, et ne manque, jamais,

De me parler au Lit, pour refaire la Paix :

Et je puis dire, enfin, qu’à tel point elle m’aime,

Que de me bien couvrir, prenant soin elle-même,

Elle empêche si bien, le froid, de me trouver,

Que j’étouffe de chaud, dans le fort de l’Hiver.

PAQUETTE.

La bonne Femme, hélas !

MAÎTRE GODARD.

Mais, a-t-on la Layette

Céans ?

PAQUETTE.

Elle est, encor, chez Madame Toinette :

Cette Lingère n’est qu’à quatre pas d’ici.

MAÎTRE GODARD.

Quoi ! faut-il, que de tout, je prenne le souci ?

PAQUETTE.

Bon courage, Monsieur, voici la Sage-Femme.

 

 

Scène XVII

 

MAÎTRE GODARD, PAQUETTE, PICARD, CHAMPAGNE, LA SAGE-FEMME

 

Picard porte le Flambeau devant la Sage-Femme, et Champagne lui sert d’Écuyer.

CHAMPAGNE.

Nous la tenons, enfin : place, place à Madame.

Il lui quitte la main, pour aller près de son Maître, auquel il dit.

À la fin, pour ce coup, Monsieur, j’ai réussi,

Puisqu’enfin, vous voyez la Sage-Femme, ici.

MAÎTRE GODARD, lui donnant un soufflet.

Tu m’as fait enrager, ôte-toi de ma vue.

À la Sage-Femme, qu’il embrasse avec joie.

Ma Femme, impatiente, attend votre venue,

Allons.

LA SAGE-FEMME.

Rien ne la presse, et je la connais bien.

CHAMPAGNE.

Je disais bien, tantôt, que son mal n’était rien.

PAQUETTE, à Picard, et à Champagne.

Allez-vous-en, tous deux, chez Madame Toinette,

De l’Enfant qu’on attend, demander la Layette :

Revenez promptement, ce n’est pas loin d’ici.

CHAMPAGNE, à Picard.

Viens, par même moyen, nous irons boire aussi.

 

 

Scène XVIII

 

MAÎTRE GODARD, LA SAGE-FEMME, PAQUETTE

 

MAÎTRE GODARD.

Ne perdons point de temps, courons vite, Madame,

Et ne négligeons rien, pour secourir ma Femme.

LA SAGE-FEMME.

Avez-vous les apprêts qu’il faut, à cette fin ?

MAÎTRE GODARD.

Oui.

LA SAGE-FEMME.

Si vous dites vrai, vous avez, donc, du Vin.

MAÎTRE GODARD.

Oui.

LA SAGE-FEMME.

Vous avez du Linge.

MAÎTRE GODARD.

Oui.

PAQUETTE.

Dépêchez, Madame,

Nous avons ce qu’il faut, pour une Sage-Femme.

LA SAGE-FEMME.

N’avez-vous pas aussi, de bons Ciseaux céans ?

MAÎTRE GODARD.

Oui.

PAQUETTE.

Ces Demandes font désespérer les Gens.

LA SAGE-FEMME.

N’avez-vous pas de Fil ?

MAÎTRE GODARD.

Oui.

À part.

Ma peine est extrême !

PAQUETTE.

Si, jusques à demain, elle poursuit de même...

LA SAGE-FEMME.

Avez-vous du Sel ?

MAÎTRE GODARD.

Oui.

À part.

Si j’en crois mon courroux,

Je lui...

LA SAGE-FEMME.

Mais du safran, enfin, en avez-vous ?

MAÎTRE GODARD.

Hé oui, Madame, oui, oui, morbleu, oui, j’enrage ;

Nous en avons, vous dis-je, à quoi bon ce Langage ?

Oui, oui, nous en avons, ne vous tourmentez plus.

PAQUETTE, à la Sage-Femme.

À quoi servent, aussi, ces discours superflus ?

On a de tout céans.

LA SAGE-FEMME.

Sans vous mettre en colère,

Ne puis-je demander ce qui m’est nécessaire ?

MAÎTRE GODARD.

C’est bien fait ; mais, allez secourir, promptement...

LA SAGE-FEMME.

Pour vous servir, je suis venue en un moment.

MAÎTRE GODARD.

Je le crois, allez, donc, trouver, vite, ma Femme.

LA SAGE-FEMME.

Mon Dieu, ne craignez rien, je vis, hier, Madame.

J’étais, lorsque vos Gens sont venus me quérir...

MAÎTRE GODARD.

Eh ! ne la laissez point, davantage, souffrir !

LA SAGE-FEMME.

J’y vais ; mais, soyez sûr, Monsieur, que rien ne presse.

Sachez, donc, que j’étais auprès d’une Duchesse,

Que je l’ai quittée, exprès, pour venir, vite, ici.

MAÎTRE GODARD.

Oui, nous vous en rendons d’humbles grâces aussi.

Mais...

LA SAGE-FEMME.

Mais, pour en sortir, j’ai bien eu de la peine :

Et si je veux qu’elle aille, encor, cette Semaine.

Maître Godard la presse, encor, du geste, seulement.

On m’est venu chercher, encor, d’un autre Endroit ;

Mais j’ai bien mieux aimé venir, ici, tout droit.

MAÎTRE GODARD, bas le demi vers.

Peste soit du caquet. De cette préférence,

J’aurai, je vous promets, grande reconnaissance.

Allons, donc, sans tarder.

LA SAGE-FEMME.

L’on m’attend même, encor,

En ce même moment, chez Madame Alidor.

MAÎTRE GODARD.

Hé bien, dépêchez-vous de délivrer ma Femme,

Afin d’aller, plutôt, secourir cette Dame.

LA SAGE-FEMME.

Vous me voyez fort jeune, et si, sans vanité,

Hier, j’en accouchai six, et de grand’ Qualité :

Je n’ai, jamais, manqué, Dieu merci, de Pratique.

MAÎTRE GODARD.

Tant mieux pour vous.

À part.

Eh Ciel !

LA SAGE-FEMME.

Une Médaille antique,

Un Homme à faire peur, un vieux Chirurgien,

Qui tranche de l’Expert, et ne sait, pourtant, rien,

M’a voulu contrôler chez la Duchesse même

Que je viens de quitter ; mais, sa bêtise extrême

A paru, la Raison étant de mon côté.

MAÎTRE GODARD.

Hé ! mon Dieu, l’on connait votre capacité.

PAQUETTE, à la Sage-Femme.

Voulez-vous, de ce pas, venir trouver Madame ?

Sinon, l’on va quérir une autre Sage-Femme.

LA SAGE-FEMME, à Paquette.

Ce n’est pas votre affaire.

MAÎTRE GODARD, à la Sage-Femme.

Allez, près d’elle, aussi,

Et vous causerez là, tout aussi bien, qu’ici.

LA SAGE-FEMME, se tournant vers Paquette.

J’y vais, et ce n’est point pour ta sotte menace.

PAQUETTE, à Godard.

Elle croit, en gagnant, vous faire, encor, grâce.

 

 

Scène XIX

 

ISABELLE, MAÎTRE GODARD, PAQUETTE

 

ISABELLE.

Ma mère vous demande.

MAÎTRE GODARD.

Allons, vite, savoir

Ce, qu’en l’état qu’elle est, elle nous peut vouloir.

ISABELLE.

Elle veut voir Cléante.

MAÎTRE GODARD.

Ah ! j’enrage dans l’Âme !

Sans doute, elle prétend me parler de sa flamme.

 

 

Scène XX

 

ISABELLE, PAQUETTE

 

ISABELLE, passant, vite.

Je vais chercher quelqu’un, qui puisse, promptement,

En aller, de ma part, avertir mon Amant.

PAQUETTE.

C’est fort bien avisé, courez, vite.

 

 

Scène XXI

 

PAQUETTE, seule

 

Elle l’aime

D’une amour très parfaite, et qu’on peut dire, extrême.

Si sa Mère mourait, toutefois, je sais bien

Que des jeunes Amants n’auraient plus de soutien :

Et que, malgré l’ardeur de cette pauvre Fille,

Son Père lui ferait épouser une Grille.

Elle rentre.

 

 

Scène XXII

 

CHAMPAGNE, PICARD, apportant la Layette

 

CHAMPAGNE.

Ma foi, le Vin est bon dedans ce Cabaret :

Et, pour moi, j’aime bien ce petit Vin clairet.

Mais, qu’en dis-tu, Picard ?

PICARD.

Il donne dans la tête.

CHAMPAGNE, à part.

Je veux me divertir de cette grosse Bête ;

Étant ivre à demi, je crois que j’en ferai,

Sans qu’il s’oppose à rien, tout ce que je voudrai.

Haut.

Mais, de l’Enfant futur, voyons tout le bagage.

Peste, en voilà beaucoup ! moi, qui suis, déjà, d’âge,

Et qui puis, que je crois, passer pour grand Garçon,

Je ferais bien tenir le mien dans un Chausson.

Mais, veux-tu qu’en enfant, je t’habille, pour rire ?

Ce sera, bientôt, fait, viens.

PICARD.

Que me veux-tu dire ?

CHAMPAGNE.

Si tu ne le veux pas, je m’habillerai, moi.

Il prend le béguin, et le met.

Tiens, vois. Ah ! tu serais bien drôle, sur ma foi.

PICARD.

Fais ce que tu voudras.

CHAMPAGNE.

Et laisse-moi, donc, faire,

Et mettre ce Béguin. Mais, avant la têtière,

La coutume est, je crois, de mettre le Bonnet.

Que tu serais joli dessus un cabinet !

Car on ne peut douter, qu’avec cet équipage,

Tout le Monde n’admire un si charmant visage.

Laissons ceci, ce sont les Nagotes, je crois.

PICARD.

Si l’on me crie, au moins, je dirai que c’est toi.

CHAMPAGNE.

Bon, cela va fort bien ; mettons cette Aisselière,

Puis, nous mettons, après, la Chemise à brassière.

Il lui accommode tout cela, en disant les quatre Vers suivants.

Il me souvient, encor, des noms de tout cela,

Du temps que je logeais chez feu mon grand Papa :

Le bon Homme m’aimait bien plus que la prunelle

De son œil, et de moi, ne parlait qu’avec zèle.

À Picard, lui ayant attaché la Chemise à brassière, sur l’estomac. Il prend des langes pour l’envelopper.

Oh, voilà quatre Bras ! Bon, ces Langes sont grands ;

Garde-toi bien, au moins, d’aller pisser dedans.

PICARD.

Tu veux me faire affront.

CHAMPAGNE.

Tiens, je crois que ces Bandes

Nous accommoderont, étant larges et grandes.

Là, tourne-toi, donc, bien ?

PICARD.

Mais, tu me fais rouler.

CHAMPAGNE.

Hé ! mon Dieu, laisse-moi, donc, faire, sans parler.

PICARD.

Ouf, tu me serres trop ; tu me serres, te dis-je.

CHAMPAGNE.

Tu te moques.

PICARD.

Ah, ah.

CHAMPAGNE.

Qu’est-ce, donc, qui t’afflige ?

Te voilà si joli. Le beau petit Poupon !

S’il ne te restait pas tant de Barbe au Menton,

Tu passerais pour Fille, et, même, pour jolie :

Mais, je te veux donner, aussi de la Bouillie ;

Là, mon petit Fanfan, tiens-toi là bien assis.

À part.

On a fait de la Colle, ici, pour nos Châssis,

Il en peut bien manger, la Farine en est bonne.

À Picard.

Si tu vois, par hasard, entrer quelque Personne,

Ne parle point du tout, seulement crie, Ouhais !

Ouhais !

 

 

Scène XXIII

 

PICARD, seul

 

Ouhais ! ouhais ! ouhais ! C’est assez, mais,

Que prétendrait-il faire, avec sa Bouillie ?

Croit-il que, sur ce point, j’entende raillerie ?

M’en pressât-il cent fois, je n’en mangerai point,

Et ne me rendrai pas ridicule à ce point.

 

 

Scène XXIV

 

CHAMPAGNE, PICARD

 

CHAMPAGNE.

Tiens, voilà, pour hochet, ce que nous devons prendre.

PICARD.

Tu ris !

CHAMPAGNE.

Mais, à ton cou, laisse-moi, donc, le pendre.

PICARD.

Tu m’étrangles, Bourreau.

CHAMPAGNE.

Va, te voilà fort bien ;

La Corde t’a fait mal, mais cela n’était rien.

Prenant le poêlon à la colle.

Çà, voyons, à présent.

PICARD.

Laisse-moi, je te prie,

Car je ne prétends pas manger de ta Bouillie.

CHAMPAGNE.

Je prétends bien, pourtant, t’en faire manger.

PICARD.

Toi ?

CHAMPAGNE.

Oui, moi.

Il lui donne de la bouillie.

PICARD.

Blou, blou, blou, blou, blou, blou, mais, laisse-moi.

CHAMPAGNE.

C’est assez pour ce coup, il faut que je t’essuie.

PICARD.

Que le Diable t’emporte, avecque ta Bouillie,

Tu m’as fait mal au Cœur.

CHAMPAGNE.

Il faut faire Dodo,

Après avoir mangé, tout son saoul, du Lolo.

Je vais, pour t’endormir, dire une Chansonnette,

Qui fut, pour te bercer, tout exprès, jadis, faite.

Il chante, Sasson, Bluton, et d’autres Chansons.

Comme il n’a point dormi, presque, toute la Nuit,

Le Sommeil l’a surpris, sortons, sans faire de bruit.

 

 

Scène XXV

 

CLÉANTE, ISABELLE, PICARD

 

CLÉANTE.

Éclaircissez-moi, donc.

ISABELLE.

Apprenez que ma Mère,

Croyant mourir, bientôt, a voulu voir mon Père :

Et que présentement, elle le presse fort,

De nous rendre, tous deux, contents, avant sa mort,

Et de faire un Contrat.

PICARD.

Ouhais ! ouhais !

CLÉANTE.

Qu’entends-je ?

ISABELLE.

Mais, que vois-je, plutôt ? Picard, avec un Lange !

Et qui t’a pu, vieux Fou, de la sorte, ajuster ?

PICARD.

Champagne, malgré moi, me vient d’emmailloter.

CLÉANTE.

Le plus froid, aurait peine, à s’empêcher d’en rire.

ISABELLE.

J’en ris, ainsi que vous. Vite, qu’on se retire.

Picard tombe, en voulant se lever. Il tombe, encore.

Gros cheval ! Hé quoi ! donc, ne sortiras-tu pas ?

PICARD.

Qui ne peut se servir de Jambes, ni de Bras,

Est-il dans un état, à faire diligence ?

ISABELLE, lui détachant sa bande.

Va-t’en, donc, à présent, car ton impertinence

Ne peut être soufferte, en un temps, où céans

On devrait, de douleur, voir pleurer tous les Gens.

PICARD.

Je vais me dépêcher, soyez moins inquiète.

 

 

Scène XXVI

 

ISABELLE, CLÉANTE, PICARD, ORIANE

 

ORIANE.

Vite, Madame accouche, apportez la Layette.

ISABELLE, montrant Picard.

La voilà.

ORIANE.

La voilà.

ISABELLE.

Déshabillons-le, tous.

ORIANE.

Quoi ! donc ?

ISABELLE.

Nous en rirons après, dépêchons-nous.

C’est, tantôt, fait, je suis dans une peine extrême ;

Puisque vous le voulez, portez, donc, tout vous-même,

Madame.

ORIANE.

L’on m’attend fort impatiemment.

ISABELLE.

Et, pour toi, de ma vue, ôte-toi, promptement.

 

 

Scène XXVII

 

CLÉANTE, CHAMPAGNE, ISABELLE

 

CHAMPAGNE.

Vivat, vivat, vivat, allégresse, allégresse,

Chassez, de votre Esprit, désormais, la tristesse ;

À nous réjouir bien, soyons, tous, empressés ;

Vite, du Bois, du Vin, des Tonneaux défoncés,

À notre Porte, il faut faire des Feux de joie.

Pour rendre grâce au Ciel, du Bien qu’il nous envoie.

Madame est accouchée, et d’un fort beau Garçon,

Mais si beau, qu’on voit bien qu’il est de sa façon :

On dit, de sa santé, qu’on ne doit plus rien craindre.

Mais, quoi ! de ce bonheur, pourriez-vous bien vous plaindre ?

Car la joie, en vos yeux, ne se remarque pas.

ISABELLE.

Ce qui me plaît, me trouble, et mon cœur... Mais, hélas !

Je crains...

CLÉANTE.

Ah ! votre Mère étant bien réchappée,

Par là, notre espérance est, tout à fait, trompée.

ISABELLE.

Ah ! que n’accouchait-elle, une heure, ou deux, plus tard !

CLÉANTE.

Ainsi, notre Bonheur dépendait du hasard.

ISABELLE.

Nous devons bien douter de notre Mariage.

CHAMPAGNE.

Pour moi, je n’entends rien à tout ce badinage.

ISABELLE.

Mais Paquette, qui vient, nous va faire savoir,

Si nous devons, encor, conserver quelque espoir.

 

 

Scène XXVIII

 

CLÉANTE, ISABELLE, CHAMPAGNE, PAQUETTE

 

PAQUETTE.

Puisque vous le voulez, je m’en vais vous le dire,

Et, par ordre, de tout, je prétends vous instruire.

Madame, qui croyait être à son dernier jour,

Ayant, beaucoup, pour vous, de tendresse, et d’amour,

A conjuré Monsieur, d’une façon touchante,

De vous donner, dans peu, pour Épouse, à Cléante ;

Et l’exigeant de lui, pour dernière faveur,

Elle a, pour accoucher, senti quelque douleur.

Alors n’en pouvant plus, elle s’est écriée,

Hélas ! bon Dieu, pourquoi me suis-je mariée ?

Si j’étais Fille, encor, j’aimerais mieux mourir,

Que d’endurer les maux que tu me fais souffrir.

CHAMPAGNE.

Il a tort, de causer tant de maux à sa Femme.

PAQUETTE.

Il a voulu sortir aussitôt ; mais, Madame

A fait courir après, et juré, hautement,

Que s’il ne revenait près d’elle, promptement,

Elle ne voulait point accoucher. Sa menace

A fait, qu’auprès du lit, il a repris sa place ;

Puis, son mal s’augmentant, et la faisant crier,

Mon mari, désormais, aura beau me prier,

A-t-elle dit, encor, avec quelque autre chose

Que je ne veux pas dire, ou, plutôt, que je n’ose.

Devers nous tous, après, se retournant, souvent,

Que ne me suis-je, hélas ! mise dans un Couvent,

Me disait-elle alors, car, dans ce Lieu, la vie,

De pareilles douleurs, ne fut, jamais, suivie.

Enfin, de temps, en temps, des élans de douleur,

Lui faisaient déplorer le Monde, et son malheur :

Et quand elle pouvait dire ses maux extrêmes,

Monsieur en recevait des reproches de mêmes.

Mais, dès qu’elle sentait, un peu moins, de douleur,

C’était son cher Mari, son Mignon, et son Cœur.

Enfin, son mal croissant, et trois douleurs de suite,

Jusqu’à l’extrémité, l’ayant, presque, réduite,

Hélas ! a-t-elle dit, je souffre des tourments

Qui m’abattent si fort, et sont si véhéments,

Que pour souffrir, encor, cette peine profonde,

On m’offrirait, en vain, tous les Trésors du Monde.

Pendant qu’elle parlait, avec un air mourant,

Monsieur la regardait, toujours, en soupirant :

Et ses yeux languissants, faisaient lire en son Âme,

Qu’il sentait, vivement, les douleurs de sa Femme.

Elle n’a pourtant, point fait d’efforts superflus ;

Car, comme elle criait, Non, je n’en ferai plus,

Elle a, dans cet instant, pour croître sa Famille,

Avec quelques douleurs, mis au Monde, une Fille.

ISABELLE.

Une fille !

CLÉANTE.

Une fille !

CHAMPAGNE.

Est-il vrai ?

PAQUETTE.

Tout de bon.

CHAMPAGNE.

À ses cris, je l’aurais prise pour un Garçon.

ISABELLE.

Ma Mère, après cela, n’a rien dit, davantage ?

PAQUETTE.

Le calme, tout à coup, s’est vu sur son Visage :

Et l’on a remarqué que ce qu’elle avait dit,

Lui causait de la honte, et, même, du dépit,

Jugeant bien qu’elle avait fait un serment frivole.

À votre Époux, je crois, que vous tiendrez parole,

A-t-on dit, en riant. Elle, par un souris,

A fait voir le contraire, et nous a, tous, surpris.

 

 

Scène XXIX

 

CLÉANTE, MAÎTRE GODARD, ISABELLE, PAQUETTE, CHAMPAGNE

 

MAÎTRE GODARD.

Enfin, le juste Ciel couronne votre Flamme :

Mais, venez-en, tous deux, remercier ma Femme.

CLÉANTE.

Que ne vous dois-je point, Monsieur ?

MAÎTRE GODARD.

Sans compliment,

Nous pouvons passer, tous, dans l’autre Appartement.

Ils rentrent, à la réserve de Paquette, et de Champagne.

PAQUETTE.

Cette Nuit, ces Amants, n’auraient osé le croire.

Mais, va-t’en habiller Monsieur.

CHAMPAGNE.

Moi ! je vais boire,

Il est, aujourd’hui, jour, de rire, en ce Logis.

PAQUETTE.

Mais...

CHAMPAGNE.

Mais, je n’irai pas.

PAQUETTE.

Fais ce que je te dis.

CHAMPAGNE.

Je n’y veux pas aller.

PAQUETTE.

Tu dois craindre la touche,

Et que...

CHAMPAGNE.

Servez Godard, car sa Femme est en Couche.

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