L’Amour en commandite (Adolphe D’ENNERY - Adolphe DE LEVEN - Léon-Lévy BRUNSWICK)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 8 novembre 1840.

 

Personnages

 

DÉSIRÉ MADAPOLAM

CHAMPIGNOL

FRANÇOIS, garçon d’hôtel

MADAME DUHAMEL

ANGÉLIQUE

 

La scène se passe à l’hôtel des Princes, à Paris.

 

Une salle d’hôtel garni. Portes avec des numéros. Une fenêtre à gauche.

 

 

Scène première

 

FRANÇOIS, CHAMPIGNOL

 

CHAMPIGNOL, appelant.

François ! François !...

FRANÇOIS.

Monsieur ?...

CHAMPIGNOL.

Que font-elles, en ce moment ?

FRANÇOIS, feignant de ne pas comprendre.

Monsieur ?

CHAMPIGNOL.

Qui ont-elles reçu ce matin ?

FRANÇOIS, même jeu.

Monsieur ?

CHAMPIGNOL.

Je te demande qui elles ont reçu ? où elles sont allées ? ce qu’elles font, enfin ?

FRANÇOIS.

Comprends pas, Monsieur...

CHAMPIGNOL.

Comment, drôle, tu oses... au fait, c’est juste... c’est moi qui ai tort...

Il lui donne de l’argent.

Je vous demandais, M. François...

FRANÇOIS, vivement.

Ne vous donnez pas la peine de répéter... j’y suis parfaitement... il s’agit de deux dames qui habitent le N° 7 ? Mme Duhamel et sa jolie pupille, Mlle Angélique ? rien de nouveau, M. Champignol... comme d’habitude, elles sont sorties, ce matin...

CHAMPIGNOL.

Bien ! bien ! voyons... quels sont les jeunes gens qui habitent l’hôtel ?

FRANÇOIS.

Nous avons d’abord le 6, le 5, le 9 et le...

On entend sonner.

et le 3, qui m’appelle en ce moment…

CHAMPIGNOL.

Qu’est-ce que c’est que le trois ?

FRANÇOIS.

Un numéro bien étonnant... un riche étranger, que je suppose !... d’abord, il consomme que c’est une bénédiction... et puis, pas fier du tout et farceur... il rit avec nous comme un simple bourgeois... un millionnaire comme lui !!!

CHAMPIGNOL.

Et avez-vous quelque jeune homme moins riche, mais dont le physique heureux ?...

FRANÇOIS.

À l’hôtel des Princes ?... mais l’intitulé du local indique assez que nous ne recevons que des gens fortunés... À propos, Monsieur, je vous demanderai, à mon tour, le motif de vos nombreuses questions, car enfin... depuis huit jours que vous êtes ici...

CHAMPIGNOL.

M. François, je paie vos réponses, moi...

FRANÇOIS.

C’est vrai, mes moyens ne me permettent pas de vous interroger...

On entend sonner.

Encore le 3 !... est-il pétulant !... ça doit être un Anglais ou un Bourguignon !

CHAMPIGNOL.

Ah !... ma canne et mon chapeau ?

FRANÇOIS.

Tout brossé... là, dans votre chambre, Monsieur ?

Champignol entre dans une chambre.

DÉSIRÉ, en dehors.

François ! François !

FRANÇOIS.

On y vole.

 

 

Scène II

 

FRANÇOIS, DÉSIRÉ

 

DÉSIRÉ.

Allons donc !... allons donc !... je veux ma note... je la demande à cor et à coups de sonnette... non pas que je veuille quitter l’hôtel, mais on est bien aise de savoir où on va... ma note ?...

FRANÇOIS.

Je viens de la faire confectionner.

Il la lui présente.

DÉSIRÉ, le repoussant.

Minute... ne me dis rien, garçon... laisse-moi faire mon calcul... je parie que je devine le total sans voir... neuf dîners à 40 sous, 18 fr.

FRANÇOIS, à part.

Qu’est-ce qu’il dit ?

DÉSIRÉ.

Neuf déjeuners, 27 ; neuf couchers, 36 ; 15 sous pour la bougie... ça doit faire 36 fr. 75 c.

FRANÇOIS, ricanant.

Ça ne fait pas ça.

DÉSIRÉ.

Ça fait moins ? je n’aurai pas l’indélicatesse de réclamer.

FRANÇOIS, d’un air goguenard.

Monsieur, voyez le total.

DÉSIRÉ, prenant la note.

266 francs ! au voleur !

FRANÇOIS, à part.

Ces gens riches, c’est bizarre !

DÉSIRÉ, avec colère, et parcourant la note.

Le 6, tête de veau, 3 francs ! langue de veau, 2 francs ! oreilles de veau, 3 francs ! pieds de veau, 2 francs !... Le 7, rôti de veau, 3 francs ! tendons de veau, 4 fr. ! sauté de veau, 2 fr. ! côtelettes de veau, 3 francs !... Le 8, veau à la gelée, 2 francs ! blanquette de veau, 2 francs ! riz de veau, 10 francs !... Mais cette auberge est donc un club d’Arabes !... un col de Mouzaïa !... une officine d’apothicaire ?...

Air de la Petite Prude.

Si j’avais dévoré faisans,
Truffes, perdreaux ou gelinotte,
Si j’avais vécu d’ortolans
Je comprendrais pareille note.
Mais sur le factum que voilà,
À bon droit, je vous cherche noise,
Pour payer le veau ce prix-là,
Il faudrait r’venir de Pontoise.

Et puis regardez donc ! une caille rôtie 12 fr. ! et ils ont le front de mettre caille... un vrai pierrot ! je l’ai reconnu, il était du Palais-Royal !

FRANÇOIS.

Si l’on peut dire... elle chantait du matin au soir : Paye tes dettes ! paye tes dettes !

DÉSIRÉ.

Je ne paierai pas ! j’irai chez le juge de paix ! j’irai aux tribunaux ! au conseil d’état !... j’importunerai les pieds du trône !...

FRANÇOIS.

Ah ! c’est comme ça... vous ne sortirez pas... je cours prévenir Monsieur, et défendre au portier de vous laisser partir...

DÉSIRÉ.

Air de la Camarade de pension.

C’est affreux, c’est infâme !
Se voir piller ainsi !
Je me crois, sur mon âme,
En pays ennemi.

FRANÇOIS.

C’est affreux, c’est infâme !
De marchander ainsi !
Vous paierez, sur mon âme,
La note que voici.

François sort avec colère

 

 

Scène III

 

CHAMPIGNOL, DÉSIRÉ

 

DÉSIRÉ.

Oui, va, va... 266 francs ! plus souvent !... jamais ! jamais !... d’abord je n’en ai que 40...

CHAMPIGNON, qui est entré pendant l’ensemble précédent.

Qu’y a-t-il donc ?

DÉSIRÉ, courant à Champignol.

Monsieur, Monsieur, pardon... pourriez-vous me procurer un sergent de ville ? un commissaire ?...

CHAMPIGNOL.

Vous aurait-on volé, Monsieur ?

DÉSIRÉ.

Écoutez-moi, homme âgé !... Je voyageais Lafitte et Caillardement, c’est-à-dire par la diligence. En entrant dans la cour des Messageries, je m’adressai à un de mes compagnons de voyage : « Monsieur, lui dis-je, où pourrais-je me loger à Paris ? Je voudrais un hôtel huppé et pas cher. – Monsieur, me répondit-il, nous avons Flicotaux, près de la Sorbonne, où l’on a pour 18 s., douze plats, au choix. – Et la cuisine est bonne ? – Excellente, reprend-il, les plats sont sûrs, car ils sortent des meilleures maisons... c’est éprouvé, ça a déjà fait son effet. – Comment ! les beefsteaks sont d’occasion, et les fricandeaux de hasard ? – Oui... mais entièrement remis à neuf. – Merci. » Là-dessus, comme terme moyen, il m’indique l’hôtel des Princes. J’y viens les yeux fermés, je me loge bien... je me nourris convenablement... et l’on a l’inconvenance de me demander 266 francs pour neuf jours !... mais c’est une platitude ! ah ! Monsieur, c’est bien dans ces instants d’angoisses que l’on apprécie la patrie de feu Voltaire-Scott, l’Écosse, où l’hospitalité se donne et ne se vend jamais, non jamais, jamais, jamais, non jamais, jamais, jamais !

CHAMPIGNOL, à part.

Il est original... si je pouvais...

Haut.

Voyons votre note.

L’examinant.

Mais ça n’est pas trop cher !

DÉSIRÉ.

Vous êtes attaché à l’établissement !

CHAMPIGNOL.

Du tout ; mais vous vous êtes bien nourri.

DÉSIRÉ.

Le fait est que j’ai varié... Cependant, mes moyens ne me permettent pas de solder une note aussi saugrenue.

CHAMPIGNOL, à part.

Je le tiens !

Haut.

Ah ! prenez garde ! réfléchissez !... on a le droit de garder vos effets et de vous jeter à la porte.

DÉSIRÉ.

Me jeter à la porte, comme une coquille d’huître !... Moi, Désiré Madapolam, commis linger à Beaugency !...

CHAMPIGNOL.

Voyez donc quelle esclandre, quel scandale !

DÉSIRÉ.

Cristi ! ça me vexerait... non pas pour moi, mais à cause d’elle.

CHAMPIGNOL.

Elle ?

DÉSIRÉ.

Oui, quinquagénaire, et, vu votre âge respectable, je peux vous confier un secret que, du reste, je dirais au premier venu... Amo ! traduction libre : J’aime !

CHAMPIGNOL.

Ah ! vous aimez.

DÉSIRÉ.

J’aime une jeune vierge qui habite cette hôtellerie avec une vieille, sa tutrice... je ne lui ai pas encore adressé le moindre dialogue, mais mon œil a vagabondé, et le sien n’est pas resté manchot... quand nous nous rencontrons dans l’escalier, la jeune rougit, la vieille sourit, et me salue quotidiennement. Vous concevez, maintenant, quelle serait ma douleur d’être extirpé de ce local.

CHAMPIGNOL.

Vous me paraissez un vert galant.

DÉSIRÉ.

Ventre-saint-gris, je le crois bien !... J’ai frisé trois fois la correctionnelle.

Air Napolitain.

Dans mon département
Que de victimes !
Je suis un don Juan
Couvert de crimes !
En fait de passion,
Je suis féroce !
De la séduction,
Oui, j’ai la bosse.
Comme défunt Zampa,
Je dis aux belles :
Il faut céder, oui-dà !
Pas de cruelles.
On parle avec effroi
De Lovelace ;
Qu’était-il près de moi ?...
Un sceau de glace !

À ma vue, un tendron
Souvent, s’écrie :
« Monsieur, laissez-moi donc,
Je vous en prie. »
Malgré cet effroi-là,
Je me rapproche ;
Pour charmer, j’ n’ai pas ma
Langu’ dans ma poche.
Qu’une autre, avec dédain,
Me dise : « Arrière !
Vous êtes un faquin
Bien téméraire ! »
Malgré cet air, ce ton,
Je me rapproche,
Bientôt j’attendris son
P’tit cœur de roche !

CHAMPIGNOL, étonné.

Mais, revenons... Vous parlez des dames qui habitent là le numéro 7 ?

DÉSIRÉ.

Positivement. Vous les connaissez donc ?

CHAMPIGNOL.

Logeant dans le même hôtel, nous avons eu quelquefois des colloques polis et bienveillants. Mais vous, pauvre diable !... des femmes qui paraissent si riches ! vous osez songer...

DÉSIRÉ.

L’amour n’est pas calculateur... il ne comprend que la multiplication !

CHAMPIGNOL, à part.

Voici l’homme qu’il nous faut.

Il tourne autour de Désiré, et paraît l’examiner avec attention.

Tournure élégante, l’œil vif, la jambe fine, le torse bien planté, un certain air distingué... Décidément, c’est l’homme qu’il nous faut ! DÉSIRÉ, inquiet.

Dites-moi, dites-moi, est-ce que vous seriez chargé par le cadastre de lever le plan de mon individu ?

CHAMPIGNOL.

Chut ! On veut votre bonheur... laissez faire. Quel âge avez-vous ?

DÉSIRÉ.

Dix-sept... non, vingt-sept ans.

CHAMPIGNOL.

Avez-vous toutes vos dents ?

DÉSIRÉ.

J’ai la collection la plus complète en ce genre... molaires, incisives et autres canines... Je mange à deux râteliers.

CHAMPIGNOL.

Bien ! bien ! Possédez-vous quelque petit talent de société ?

DÉSIRÉ.

Je cultive l’accordéon.

CHAMPIGNOL.

Bien ! bien ! et la danse ?

DÉSIRÉ.

Je pratique toutes les danses... autorisées, ou défendues !... au choix.

CHAMPIGNOL.

Bien ! bien !

DÉSIRÉ.

Mais, Monsieur, je m’aperçois que depuis vingt-cinq minutes, j’ai la faiblesse de répondre à un tas de questions insolites... vous avez devant vous une créature intéressante, ne pouvant pas faire droit à la voracité d’un tavernier, et vous venez comme ça l’interpeller... lorsqu’il a 266 francs.

CHAMPIGNOL.

Soyez tranquille ! on n’agit que dans votre intérêt.

 

 

Scène IV

 

CHAMPIGNOL, DÉSIRÉ, FRANÇOIS

 

FRANÇOIS.

Ah ! vous voilà... Monsieur 36 francs 75 centimes. J’ai montré votre note au bourgeois ; vous avez raison, il y avait erreur.

DÉSIRÉ.

Là ! qu’est-ce que je disais !

FRANÇOIS.

On avait oublié une cervelle de veau !... Revoici votre note... 270 francs.

DÉSIRÉ, avec colère.

270 francs, à présent ! Au voleur !

CHAMPIGNOL, à Désiré.

Il faut l’acquitter !

DÉSIRÉ, exaspéré.

Certainement, je la quitterai, cette maison, ce coupe-gorge !

FRANCOIS, à Désiré.

Quand on n’a pas le sou, on ne vient pas à l’hôtel des princes !

CHAMPIGNOL.

Silence, drôle !... Ne m’as-tu pas dit, ce matin, que Monsieur était fantasque ? qu’il riait avec toi, comme si tu étais quelque chose ?

FRANÇOIS.

Sans doute.

CHAMPIGNOL.

Eh bien ! Monsieur, que j’ai l’honneur de connaître, a voulu plaisanter...

À Désiré.

Vraiment, mon cher, vous ne devriez pas vous commettre avec de pareils gens ! À combien s’élève la note ?

FRANÇOIS.

270 francs !

CHAMPIGNOL, à François.

Voilà quinze napoléons ! Monsieur donne le reste au garçon !

DÉSIRÉ, avec suffisance.

Je donne le reste au garçon !

À part.

300 francs ! il les donne pour moi ! sans me connaître !... c’est peut-être pour ça !

CHAMPIGNOL.

De quoi se compose votre garde-robe ?

DÉSIRÉ.

Ma garde-robe ? voilà ! Ce qui me pare en ce moment, plus, un habit noisette, trois chemises, onze faux cols, une blouse et cinq éperons.

CHAMPIGNOL.

François !

FRANÇOIS.

Monsieur ?

CHAMPIGNOL, écrivant sur ses tablettes.

Vous allez à l’instant porter ce billet, rue du Helder... on vous remettra un habillement complet, montre, chaîne, bijoux... Ah ! j’oubliais ! un landau, deux chevaux alezans... Allez ! l’équipage dans la cour, les vêtements dans la chambre de Monsieur !

FRANÇOIS.

Ça suffit.

Il sort vivement.

 

 

Scène V

 

DÉSIRÉ, CHAMPIGNOL

 

DÉSIRÉ.

Mais je marche de surprise en étonnement ! Ah ça ! Monsieur, seriez-vous un descendant de saint Vincent-de-Paule, ou une contrefaçon belge de l’homme au petit manteau bleu ?

CHAMPIGNOL.

Que vous importe !

DÉSIRÉ.

Ce qui m’arrive est pour moi du sanscrit ou du talapoin ; littératures qui me sont parfaitement étrangères.

CHAMPIGNOL.

Laissez-vous guider... et votre félicité.

DÉSIRÉ.

Monsieur, j’ignore complètement de quel pays vous êtes issu, si vous êtes de race croisée ou non, et quel est votre grade dans la société !... mais vous payez pour moi, vous voulez protéger mes amours, je n’hésite plus, je me livre pieds et poings liés !... Du reste, vos procédés, comme vos cheveux gris, me paraissent vénérables... lions-nous, lions-nous, lions-nous !

CHAMPIGNOL.

Chut ! écoutez !... voici ces deux dames qui rentrent... laissez-moi parler... ne me démentez pas, et surtout de la décence et de la dignité !

DÉSIRÉ.

Je suis un hidalgo pour les bonnes manières !

 

 

Scène VI

 

DÉSIRÉ, CHAMPIGNOL, MADAME DUHAMEL, ANGÉLIQUE, entrant par le fond

 

CHAMPIGNOL, saluant.

Mesdames !...

MADAME DUHAMEL, de même.

Messieurs !...

On se salue de part et d’autre.

CHAMPIGNOL.

Vous êtes sorties de bien bonne heure, mes charmantes voisines...

MADAME DUHAMEL.

Oui, il nous fallait visiter quelques magasins, nous mettre au courant des modes du jour, sans cela, on aurait l’air de sortir de l’autre monde.

CHAMPIGNOL, à Désiré.

Ah ! ah ! mon cher, vous entendez ?... On aurait l’air de sortir de l’autre monde !... Voilà, qui, je l’espère, vous corrigera de votre manie d’habits de campagnard !... Chez vous, dans vos bois, à la chasse, fort bien... mais à Paris !...

DÉSIRÉ, à part, étonné.

Dans mes bois !

MADAME DUHAMEL, à Champignol.

Ah ! vous connaissez Monsieur ?

CHAMPIGNOL.

M. Désiré Madapolam ! famille honorable !... Quant à la fortune.

DÉSIRÉ, vivement.

Oh ! inutile d’en parler !

CHAMPIGNOL, souriant.

Sans doute... Cependant, cinquante bonnes mille livres de rente, ne gâtent jamais rien.

MADAME DUHAMEL.

C’est une belle fortune...

CHAMPIGNOL.

D’autant plus belle, qu’elle est liquide et bien assurée.

DÉSIRÉ.

Le fait est que je ne crains pas de la perdre.

MADAME DUHAMEL.

Ah ! vous êtes heureux, car, Mademoiselle et moi, nous ne serons tout-à-fait rassurées que lorsque le bâtiment qui apporte le produit des terres et des nègres que nous avons fait vendre aux États-Unis, sera entré dans le port.

DÉSIRÉ.

Des nègres... c’est une affaire très claire...

CHAMPIGNOL.

Mon jeune ami, au contraire, a toutes ses propriétés en France... château, ferme, prairies, bois et troupeaux...

À Désiré.

N’est-ce pas ?

DÉSIRÉ.

Oui... oui...

MADAME DUHAMEL.

Et dans quel département se trouvent les domaines de Monsieur ?...

CHAMPIGNOL.

Dans trois, Madame... départements de l’Aisne, de l’Aube, et de l’Eure.

DÉSIRÉ.

Oui. Aisne, Aube, Eure, où l’on mange tout à l’huile...

À part.

Celle-là est de bon goût.

MADAME DUHAMEL.

C’est singulier... nous avons toujours eu le projet d’aller habiter un de ces départements.

CHAMPIGNOL.

Quel bonheur pour vous, mon jeune ami, si ces dames devenaient vos voisines !... elles daigneraient sans doute, vous ouvrir les portes de leur château...

MADAME DUHAMEL.

N’en doutez pas !

CHAMPIGNOL.

Elles vous corrigeraient de vos habitudes de province... de ce sans-façon fort estimable, j’en conviens, mais peu compatible avec votre rang et votre naissance...

MADAME DUHAMEL.

En effet... et si Monsieur voulait me permettre...

CHAMPIGNOL.

Grondez-le, grondez-le bien fort, Mesdames, il en a besoin... bien plus ! daignez commencer aujourd’hui sa métamorphose ! et, pour l’arracher à sa sauvagerie, veuillez accepter ces billets de concert...

MADAME DUHAMEL.

Mais Monsieur...

ANGÉLIQUE, d’un air suppliant.

Mme Duhamel, il y a bien longtemps que nous n’avons entendu de musique.

CHAMPIGNOL.

Allons... voilà qui est convenu... vous demanderez vos chevaux, n’est-ce pas, mon jeune ami ?...

DÉSIRÉ.

Mes chevaux ?... ah ! oui, oui.

À part.

Où allons-nous ? où allons-nous ?...

MADAME DUHAMEL, faisant quelques pas, suivie d’Angélique.

Vous nous permettrez de songer un peu à notre toilette ?

CHAMPIGNOL.

C’est à regret que nous vous laissons partir.

MADAME DUHAMEL.

Dans un instant nous serons prêtes ! venez, Angélique.

Elles sortent par la gauche.

 

 

Scène VII

 

CHAMPIGNOL, DÉSIRÉ

 

CHAMPIGNOL, d’un air mystérieux.

Eh bien ! ai-je tenu parole ?... vous voilà au mieux avec ces dames... vous allez pouvoir faire votre cour à Mlle Angélique... les tendres coups d’œil vont s’échanger... les doux pressements de mains.

DÉSIRÉ.

Oui, anonyme... et je bois dans le vase de la félicité. seulement je suis horriblement vexé.

CHAMPIGNOL.

Et pourquoi ?

DÉSIRÉ.

Pourquoi ?... parce que vous me faites riche, et que je n’ai pas un centimètre de terrain.

CHAMPIGNOL.

Tranquillisez-vous ! des biens, de bons biens au soleil, vous en aurez.

DÉSIRÉ.

J’en aurai ! j’en aurai !... mais vous êtes donc un bienfaiteur déguisé ? un frère ? un ami ? vous êtes mon oncle, bonjour mon oncle.

CHAMPIGNOL.

Je ne suis pas votre oncle.

DÉSIRÉ.

Qui es-tu donc, créature généreuse ?... ton nom, rien que ton nom.

CHAMPIGNOL, impatienté.

Champignol.

DÉSIRÉ, d’un air contrarié.

Ah !... c’est égal... mon cher Champignon.

CHAMPIGNOL.

Champignol !

DÉSIRÉ.

Je suis fâché que vous ayez ce nom-là... j’ai failli mourir pour en avoir mangé... je les avais cependant herborisés moi-même !

CHAMPIGNOL.

Je me nomme Champignol !

DÉSIRÉ.

Après ça, ils ne sont pas tous vénéneux... le tout est de s’y connaître.

CHAMPIGNOL.

Allons, écoutez-moi ; il faut enfin que je vous apprenne le motif qui me fait agir !

DÉSIRÉ.

Ah ! oui, oui, et il est l’heure.

CHAMPIGNOL, d’un air mystérieux.

Depuis longtemps je me suis aperçu.

DÉSIRÉ.

Je sais l’air.

Il fredonne l’air des bossus.

CHAMPIGNOL.

De l’agrément qu’on a de tenter sur une échelle grande et large, les mêmes entreprises que d’autres n’ont osé hasarder que dans d’étroites proportions... vous entendez ?

DÉSIRÉ.

Très bien, mais je ne comprends pas.

CHAMPIGNOL.

Je vais être plus clair.

DÉSIRÉ.

Oui, filtrez vos paroles, mon cher Champignon, ça me fera plaisir...

CHAMPIGNOL.

Vous avez ouï parler d’entrepreneurs de mariages ?...

DÉSIRÉ.

D’entrepreneurs de mariages... certes, j’étais encore au biberon Darbo.

CHAMPIGNOL.

C’était jusqu’ici une pauvre et misérable industrie que celle-là ! le courtier présentait son client tout bonnement, comme l’avait procréé la nature et sa chaste mère ; il offrait sa marchandise toute brute... Je veux dire non parée...

DÉSIRÉ.

Oui ! un bouilli sans persil.

CHAMPIGNOL.

Or, devinant les besoins de notre époque, de riches capitalistes ont formé une petite société secrète et anonyme... Grâce à elle, le futur, dorénavant, se présentera orné de tous les avantages...

DÉSIRÉ.

Avec un binocle, des bottes vernies, et des gants jaune d’œuf...

CHAMPIGNOL.

En un mot, le client sera vêtu, blanchi, orné et décoré aux frais de l’entreprise. Le sujet sera pourvu d’un tailleur, d’un cabriolet et d’un groom, le tout fourni par l’administration.

DÉSIRÉ, avec enthousiasme.

Miraculeux ! merveilleux ! prodigieux ! je saisis à merveille.

Froidement.

Vous êtes des filous ?

CHAMPIGNOL.

Par exemple !... nous sommes des industriels.

DÉSIRÉ.

Eh bien ! oui...

CHAMPIGNOL.

Bien plus, des philanthropes... La richesse sépare trop souvent des cœurs faits pour s’entendre ; nous rapprochons les distances.

DÉSIRÉ.

Oui ; mais le moment arrive où il faut dire la vérité.

CHAMPIGNOL.

Sans doute. Toujours... Alors, vous devenez un jeune homme que de fausses spéculations ou des hommes d’affaires déloyaux ont ruiné.

DÉSIRÉ.

Oui, et on me flanque à la porte comme un va te promener.

CHAMPIGNOL.

Du tout. À ce moment, ce fripon d’amour a déjà étendu ses inextricables racines ; le cœur de la demoiselle est pris, et la délicate jeune personne veut à toute force passer outre ! Notre client devient riche, et, de la main à la main, i’ reconnaît notre zèle et nos bons soins par une prime d’encouragement.

DÉSIRÉ.

Eh bien ! non... je ne fais pas de ces affaires-là ! non, non, non, non, onze fois non !

CHAMPIGNOL.

Soit !... Rentrez dans l’obscurité et la misère, renoncez pour jamais à celle que vous aimez, et pourrissez dans une prison, jusqu’à ce que vous m’ayez rendu l’argent que je vous ai prêté.

 

 

Scène VIII

 

CHAMPIGNOL, DÉSIRÉ, FRANÇOIS, au fond

 

FRANÇOIS, entrant par la droite.

Messieurs, tout est là : les habits, les bijoux, la voiture.

DÉSIRÉ, à lui-même.

Les bijoux !... la voiture !... Ce n’est pas possible ! c’est une illusion !... un puff !...

À Champignol.

Comment ?...

CHAMPIGNOL, bas à Désiré.

Allons, allons, enfant !... plus de ridicules préjugés... la fortune vous attend.

DÉSIRÉ.

La fortune !... Mais ma délicatesse...

CHAMPIGNOL.

Allez, allez vous rendre digne d’offrir le bras à ces dames.

DÉSIRÉ, très troublé.

Ces dames... Il a raison... Angélique ! renoncer à toutes mes espérances...

CHAMPIGNOL.

François, allez aider Monsieur à sa toilette.

DÉSIRÉ.

Allons... puisqu’il le faut !

CHAMPIGNOL.

Je vous attends, mon cher Désiré.

DÉSIRÉ.

Tout de suite, mon cher Champignon...

CHAMPIGNOL.

Air de Musard.

Allons, un peu d’audace.
Pourquoi donc hésiter ?
Quand la fortune passe,
Vite, il faut l’arrêter.

DÉSIRÉ.

Oui, la fortune est femme ;
Je suis certain, céans,
De captiver son âme
Par tous mes agréments.

REPRISE À DEUX.

Allons, un peu d’audace, etc.

Désiré sort avec François.

 

 

Scène IX

 

ANGÉLIQUE, CHAMPIGNOL

 

CHAMPIGNOL, seul d’abord.

Bravo ! bravo ! l’affaire marche à ravir... certainement, je ne m’attendais pas aujourd’hui...

Se frottant les mains.

Allons, allons, je conduirai tout à bonne fin, je l’espère...

Voyant entrer Angélique.

Déjà prête, Mademoiselle !

ANGÉLIQUE.

Pardon, Monsieur ; mais Mme Duhamel, un peu longue à s’habiller, m’a priée de venir vous tenir compagnie.

CHAMPIGNOL.

C’est le meilleur moyen de me faire prendre patience.

ANGÉLIQUE, regardant autour d’elle.

Ah !... monsieur votre ami n’est pas là ?

CHAMPIGNOL.

Non, non, il est encore à sa toilette... Et je suis sûr qu’il va se montrer d’une coquetterie !...

ANGÉLIQUE.

Pour nous accompagner ?... cela était-il nécessaire !

CHAMPIGNOL.

Sans doute... d’ailleurs, une grande tenue est, aujourd’hui, de rigueur.

D’un air de confidence.

On le présente ce soir.

ANGÉLIQUE.

On le présente ?

CHAMPIGNOL.

Oui... à sa future.

ANGÉLIQUE.

À sa future ?

Avec un peu de dépit.

Ah ! il va se marier !... Il fera bien.

CHAMPIGNOL.

Ah ! mon Dieu ! Mademoiselle... je crains d’en avoir trop dit.

ANGÉLIQUE.

Pourquoi cela ?

CHAMPIGNOL.

Pardon ; mais, à l’altération de vos traits, à l’émotion de votre voix, j’ai lieu de penser que j’ai bien cruellement alarmé votre tendresse, troublé votre cœur. Malheureux que je suis !

ANGÉLIQUE.

Monsieur !...

CHAMPIGNOL, comme à lui-même.

Mais, en tout cas, les choses ne sont pas si avancées que l’on ne puisse facilement les rompre... Désiré ne s’est pas prononcé ; aucune parole n’a été échangée avec les parents de la demoiselle.

ANGÉLIQUE.

Mais, Monsieur... de grâce !...

CHAMPIGNOL, lui prenant la main.

Allons, voyons, de la confiance... mon âge respectable vous autorise à parler. Ne baissez pas les yeux... fiez-vous à moi, et tout pourra peut-être s’arranger.

ANGÉLIQUE, avec élan.

Ah ! Monsieur, que vous seriez bon !

CHAMPIGNOL.

À la bonne heure, voilà qui est parler !

ANGÉLIQUE.

Mais, que M. Désiré ne sache jamais.

CHAMPIGNOL.

Au contraire, et je vais le rendre le plus heureux des hommes ! Je vois votre étonnement ; un mot va le faire cesser : Il vous adore.

ANGÉLIQUE.

Lui ?... Mais ce mariage ?...

CHAMPIGNOL.

Mensonge... ruse innocente pour connaître l’état de votre cœur ; pour m’assurer, par une épreuve, si mon jeune ami pouvait espérer vous plaire.

ANGÉLIQUE, confuse.

Ah ! Monsieur... c’est bien mal !

CHAMPIGNOL.

Me pardonnez-vous ?

ANGÉLIQUE.

On m’a dit qu’il ne fallait pas avoir de rancune.

 

 

Scène X

 

ANGÉLIQUE, CHAMPIGNOL, DÉSIRÉ

 

DÉSIRÉ, à part, en grande toilette.

Me voilà frisé, pommadé, ciré et complètement ficelé !

Apercevant Angélique.

Mademoiselle !...

CHAMPIGNOL, bas à Désiré.

J’ai fait parler la jeune personne. Elle vous adore.

DÉSIRÉ, bas.

Elle est pincée ?...

CHAMPIGNOL, bas.

Je vous laisse un instant seuls. Vite, une déclaration ! brusquons les choses !... une espèce d’éclat...

Haut.

Mademoiselle... un mot à écrire, et je vous rejoins !...

Il sort par le fond.

 

 

Scène XI

 

ANGÉLIQUE, DÉSIRÉ

 

ANGÉLIQUE, à part.

Comment ! il me laisse seule avec ce jeune homme...

DÉSIRÉ, à part.

Elle m’aime !... il l’a dit. Quelle chance !...

Haut.

Mademoiselle !...

ANGÉLIQUE, faisant mine de se retirer.

Monsieur, permettez...

DÉSIRÉ.

Arrêtez !... un mot, rien qu’un mot ! Écoutez-moi, si vous ne me considérez pas comme le pénultième des hommes.

ANGÉLIQUE.

Qu’avez-vous à me dire ?

DÉSIRÉ.

Ce que j’ai à vous dire ?... Mes longs regards humides ont dû vous l’apprendre... Je vous aime.

ANGÉLIQUE.

Monsieur !...

DÉSIRÉ.

Je vous aime d’un amour si violent qu’il s’est changé en fièvre. Oh ! Angélique, si votre cœur ne l’est pas moins que votre nom, Angélique, pitié ! pitié !... pitié !...

Air de la chaste Suzanne. (Monpou.)

Je suis malheureux !
Lisez, dans mes yeux,
Mon ardente flamme ;
Je sens, dans mon âme,
Hélas ! un tison brûlant.
Voyez, je me pâme
Sous ce mal cuisant.
 Accorde, en ce jour,
Un tendre retour ;
Ne sois pas ingrate.
Ah ! que ton amour,
En cet heureux jour,
Soit mon Hippocrate,
Mon homéopathe.

ANGÉLIQUE.

Je ne dois plus vous écouter.

DÉSIRÉ.

Vous ne devez qu’une chose : m’entendre, avoir pitié de moi, si vous ne voulez pas que j’aille commander mes obsèques.

ANGÉLIQUE.

Que dites-vous là ?...

DÉSIRÉ.

Oui, si vous me repoussez, Angélique, je sors pour gravir les cinq étages de cet hôtel et en descendre ensuite, d’un seul bond, les cent trente-deux marches, cent trente-deux, Angélique, non compris les paliers... Je les ai comptées dans ce funeste but.

ANGÉLIQUE.

Mais, vous me faites peur !

DÉSIRÉ.

Et tu ne voudrais pas que je mourusse, n’est-ce pas ? que je tranchasse le fil de ces beaux jours que je désire te consacrer ?

ANGÉLIQUE.

Pouvez-vous le penser ?

DÉSIRÉ.

Doux aveu ! Eh bien, puisque tu l’ordonnes, je respecterai ma vie ; je jure de n’y attenter jamais. Je vais entourer ma santé des soins les plus touchants, des attentions les plus délicates ; je me préserverai du froid et du chaud. En hiver, je ferai mettre des bourrelets aux portes, et du bois dans la cheminée. En été, je veux du nankin, des ombrages, une ombrelle, et un chapeau de paille. Oh ! Angélique, quand je te fais de pareils sacrifices, sois généreuse à ton tour ! Je t’implore à deux genoux... je n’en ai pas davantage.

ANGÉLIQUE.

Relevez-vous, de grâce.

DÉSIRÉ.

Non... Une promesse !... jure-moi seulement de m’adorer toute la vie, de ne penser qu’à moi, de ne vivre que pour moi, et je m’en contente !

ANGÉLIQUE.

Si l’on venait !...

DÉSIRÉ.

Ça m’est égal... tiens !

Tirant sa montre.

Il est midi ?... N’espère pas que je me relève avant trois heures de relevée.

Il lui prend les mains et les embrasse.

 

 

Scène XII

 

ANGÉLIQUE, DÉSIRÉ, FRANÇOIS, entrant par la droite, puis MADAME DUHAMEL, par la gauche, et CHAMPIGNOL, par le fond

 

FRANÇOIS, entrant.

Monsieur, je venais !...

Apercevant Désiré toujours aux genoux d’Angélique.

Ah !

MADAME DUHAMEL, entrant.

Ah !...

CHAMPIGNOL, entrant.

Ah !...

MADAME DUHAMEL, CHAMPIGNOL et FRANÇOIS.

Air : Assez dormir, nia belle. (Monpou.)

Que vois-je ! quel scandale !
Ô conduite immorale !
Je sens rougir mon front,
Que vois-je ! quel scandale !
Peut-on à la morale
Faire un pareil affront !

MADAME DUHAMEL.

C’est une inconvenance extrême !... une indignité !... devant un garçon d’hôtel !...

DÉSIRÉ, à François, et toujours aux genoux d’Angélique.

Garçon, va-t’en !

FRANÇOIS.

Je m’y transporte !

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

ANGÉLIQUE, DÉSIRÉ, MADAME DUHAMEL, CHAMPIGNOL

 

MADAME DUHAMEL.

Ah ! c’est une horreur !... Mademoiselle, ainsi compromise !...

CHAMPIGNOL, à Mme Duhamel.

Calmez-vous, Madame !

MADAME DUHAMEL.

Je m’explique maintenant cette invitation d’aller au concert... c’était pour se rapprocher de nous, pour tromper, pour séduire !

CHAMPIGNOL.

Madame... s’il y a séduction, c’est mon ami qui en est la victime.

MADAME DUHAMEL.

Lui ?

CHAMPIGNOL.

Sans doute, sachez toute la vérité ! il n’a pu voir Mademoiselle sans être bouleversé... fasciné... incendié !...

DÉSIRÉ.

Calciné ! et pas assuré !...

MADAME DUHAMEL.

Ce n’est pas un crime d’être amoureux, mais on a des formes, de la délicatesse, de la retenue.

CHAMPIGNOL, à Désiré.

Quant à cela, il faut en convenir, Madame a raison... vous avez trop écouté votre cœur... vous avez été d’un vif, d’un pétulant !...

DÉSIRÉ, à part.

Qu’est-ce qu’il a donc, ce père Champignon ?

CHAMPIGNOL.

Certainement, et Madame est justement alarmée !... moi, je suis tranquille ; je sais que vous êtes un homme d’honneur, et que vous êtes prêt à réparer le mal que vous avez fait... Mais Madame qui ne vous connaît pas, doit se dire : Le garçon d’hôtel va parler... peut-être tous les domestiques de la maison savent-ils déjà ce qui s’est passé... et, la malveillance se mettant de la partie, l’établissement de Mademoiselle devient une chose problématique.

MADAME DUHAMEL.

Oui, Monsieur, c’est bien là ce que je me dis, et voilà la position où votre ami nous a placées !... c’est épouvantable !

CHAMPIGNOL, avec dignité, à Désiré.

Eh bien ! Monsieur, parlez donc, qui vous arrête ?

DÉSIRÉ, à part.

Il est charmant !... qui m’arrête...

Bas à Champignol.

Qu’est-ce qu’il faut dire ?...

CHAMPIGNOL.

Rien de plus simple... ce que vous auriez fait dans quinze jours, dans un mois, il faut, vu le scandale que vous avez causé, le faire à l’instant même ! demandez à Madame la main de Mademoiselle, ou je vous renie pour mon ami... que dis-je, je me coupe la gorge avec vous !

DÉSIRÉ.

Ne coupons rien ! je mets ma main aux pieds de Mademoiselle.

CHAMPIGNOL, à Mme Duhamel.

Eh bien ! Madame ?

MADAME DUHAMEL.

Certainement... cette offre faite par un homme dont la position sociale est en harmonie avec la nôtre, pourrait nous flatter... mais, deux faibles femmes, seules, sans protection, ont de la méfiance !... qui nous dit que ce n’est pas un jeu ?...

CHAMPIGNOL, montrant Désiré.

Son honneur exige que vos soupçons soient détruits à l’instant même.

Il se place à une table et écrit.

Entre les soussignés...

DÉSIRÉ.

Un contrat de mariage ?

CHAMPIGNOL.

Non... une promesse réciproque, avec un dédit de 20 000 francs, pour garantir l’exécution de l’engagement.

DÉSIRÉ.

Que 20 000 fr. !... 50 000 fr. !... 150 000 fr. !...

ANGÉLIQUE, bas à Mme Duhamel.

Vous l’entendez, Madame, et voilà qui doit vous rassurer tout-à-fait.

CHAMPIGNOL.

Signez, mon jeune ami.

DÉSIRÉ.

Avec amour...

CHAMPIGNOL, à Angélique.

À vous, Mademoiselle ?

ANGÉLIQUE, à Mme Duhamel.

Faut-il ?...

MADAME DUHAMEL.

Sans doute, puisque votre cœur vous y engage.

Angélique va signer.

DÉSIRÉ, à part.

Elle signe ! elle signe ! ça devient féerique ! fantastique !... c’est un conte de ma Mère l’Oie !

CHAMPIGNOL, offrant un des engagements à Mme Duhamel.

À vous ce papier, Madame, je garde le double pour mon ami... maintenant, Désiré, rendons-nous chez le notaire pour les bases du contrat... excusez-nous, mesdames.

MADAME DUHAMEL.

Comment, mais c’est un motif bien légitime !... nous attendrons votre retour, là, dans notre appartement.

DÉSIRÉ.

Air de la Prima Donna.

Je reviens à l’instant,
Ma charmante future,
Près de vous, je le jure,
Trop de bonheur m’attend !

Ensemble.

CHAMPIGNOL et MADAME DUHAMEL.

Quel avenir charmant !
La voilà sa future, 
Grâce à nous, je le jure,
Le bonheur les attend !

Les dames sortent par la gauche.

 

 

Scène XIV

 

DÉSIRÉ, CHAMPIGNOL

 

CHAMPIGNOL.

Qu’en dites-vous, jeune homme ! une femme délicieuse !... une fortune immense.

DÉSIRÉ.

Doucement !... jusqu’à présent, je me suis laissé conduire en laisse, comme un jeune épagneul... mais je n’irai pas chez un notaire royal, signer avec paraphe que j’ai des manoirs, des guérets, des génisses, des étangs, des carpes et des lapins... nix !

CHAMPIGNOL, impatienté.

Est-ce que je voudrais pousser les choses jusque-là ?... mais, rappelez-vous donc ce que je vous ai dit.

DÉSIRÉ.

Quoi !...

CHAMPIGNOL.

Le moment est venu ! je vais vous ruiner !...

DÉSIRÉ.

Ah oui !... oui... je me rappelle... vous fournissez aussi l’infortune... vous vous chargez de l’incendie... vous entreprenez le désastre... Voyons, composons un joli désastre...

CHAMPIGNOL.

Laissez-moi faire... tout est prévu... dans un instant, vous n’aurez plus rien, et la demoiselle vous épousera nonobstant...

Montrant le dédit.

Ou elle paiera 20 000 francs de dédit.

DÉSIRÉ.

J’aurai 20 000 francs ?

CHAMPIGNOL.

C’est-à-dire deux mille... je garderai les dix-huit autres pour me consoler du mépris que l’on aura fait de vous.

DÉSIRÉ.

Vous aurez donc bien du chagrin ?

CHAMPIGNOL.

Attention... Pour annoncer votre malheur, vous n’avez que trois mots à dire : « Ah ! grand Dieu ! » et je me charge du reste.

DÉSIRÉ, froidement.

Ah ! grand Dieu !... Voilà tout.

CHAMPIGNOL.

Oui... Mais vous dites ça comme si vous veniez de perdre une bouteille de bière aux dominos !... Il faut l’accent du désespoir : Ah !

grand Dieu !

DÉSIRÉ, à haute voix.

Ah ! grand Dieu !... Ah ! grand Dieu !...

CHAMPIGNOL.

Chut ! Assez !...

 

 

Scène XV

 

DÉSIRÉ, CHAMPIGNOL, MADAME DUHAMEL, ANGÉLIQUE

 

MADAME DUHAMEL et ANGÉLIQUE.

Mais que se passe-t-il donc ?

CHAMPIGNOL.

Ne faites pas attention, Mesdames... C’est mon jeune ami qui, dans l’effervescence de sa joie, s’écriait : Ah ! que je suis heureux !

DÉSIRÉ, criant.

Oui... Ah ! que je suis heureux !

CHAMPIGNOL, à demi-voix.

Assez de bonheur...

MADAME DUHAMEL.

Dites-moi ?... Vous venez de chez le notaire ?

CHAMPIGNOL.

Non... Nous nous y rendons... C’est en face. À bientôt, mes charmantes voisines !

Il sort par le fond.

DÉSIRÉ.

Au revoir, ma future !

À part.

Qu’elle est gentille !... Et ses deux yeux ! je n’en ai jamais vu de pareils !...

CHAMPIGNOL, appelant.

Désiré !

DÉSIRÉ.

Voilà !

Il sort.

 

 

Scène XVI

 

ANGÉLIQUE, MADAME DUHAMEL

 

ANGÉLIQUE.

Un mariage !... Vraiment, je crois rêver !...

MADAME DUHAMEL.

Non, non, vous êtes bien éveillée.

ANGÉLIQUE.

Oh ! dites-le-moi encore, car tout ce qui m’arrive me semble une illusion.

MADAME DUHAMEL.

Vous allez être la femme de M. Désiré !... C’est un jeune homme charmant, désintéressé... Il ne semble pas tenir le moins du monde à la fortune !... Il est vrai qu’il en a pour deux !

ANGÉLIQUE.

Et, d’ailleurs, n’ai-je pas la mienne ?... La mienne !... Quand je pense qu’il y a quinze jours à peine, j’étais une simple demoiselle de boutique, une petite grisette, comme on nous appelle... Vous entrez dans le magasin, vous me regardez attentivement, puis vous me questionnez sur ma famille. – Ma famille, Madame, je n’en ai plus... quelques parents éloignés, peut-être !... Alors, vous m’apprenez qu’un cousin, dont je n’ai jamais entendu parler, est mort en Amérique, en laissant une fortune immense, qu’il venait de réaliser pour revenir dans sa patrie !... Et toute cette fortune, à moi, à moi seule, son unique héritière... Me voilà maintenant avec des bijoux, des robes à volants, des cachemires, et une voiture à l’heure.

MADAME DUHAMEL, souriant.

Et un mari.

ANGÉLIQUE.

C’est ce qu’il y a de plus gentil !

MADAME DUAAMEL.

Vous aimez donc bien votre prétendu ?

ANGÉLIQUE.

Dame ! nous autres demoiselles de magasin, ce qui nous plaît le plus, c’est un air franc, loyal, et des manières sans façons... pourvu qu’on soit joli garçon... c’est de rigueur.

MADAME DUHAMEL.

Et vous avez bien rencontré !

ANGÉLIQUE.

Aussi, je suis d’une joie !

MADAME DUHAMEL.

Qu’il faut modérer pour un instant.

ANGÉLIQUE.

Et pourquoi ?

MADAME DUHAMEL.

C’est nécessaire... Vous allez prendre un air triste et abattu.

ANGÉLIQUE, étonnée.

Un air triste et abattu ?

MADAME DUHAMEL.

Il le faut ! El dès que ces Messieurs paraîtront, vous n’aurez que deux mots à dire : Ah ! ciel !...

ANGÉLIQUE, avec étonnement.

Ah ! ciel !...

MADAME DUHAMEL.

Oui ! mais avec douleur, comme saisie d’un violent chagrin !

ANGÉLIQUE.

Je ne comprends pas.

MADAME DUHAMEL.

Vous n’avez pas besoin de comprendre... J’entends ces Messieurs... Faites ce que je vous ai dit, ou pas de mariage.

ANGÉLIQUE.

Pas de mariage !... J’obéirai !

 

 

Scène XVII

 

ANGÉLIQUE, MADAME DUHAMEL, CHAMPIGNOL, DÉSIRÉ

 

MADAME DUHAMEL, bas à Angélique.

Allez !

ANGÉLIQUE, avec douleur.

Ah ! ciel !

DÉSIRÉ, de même.

Ah ! grand Dieu !

MADAME DUHAMEL, à Désiré.

Que vous arrive-t-il ?

CHAMPIGNOL, à Angélique.

Pourquoi cette douleur ?

ANGÉLIQUE.

Ah ! ciel !

DÉSIRÉ.

Ah ! grand Dieu !

CHAMPIGNOL, à Mme Duhamel.

Parlez, Madame, parlez.

MADAME DUHAMEL, tirant une lettre de sa poche.

Cette lettre nous apprend un malheur affreux ! une perte irréparable ! Le vaisseau sur lequel était toute sa fortune... il a fait naufrage... péri corps et biens !...

À Angélique, qui paraît stupéfaite.

Pauvre enfant ! vous êtes complètement ruinée !

CHAMPIGNOL, à part.

Aïe ! aïe ! aïe !...

Haut.

Maintenant, Madame, vous concevez... ceci change la thèse.

MADAME DUHAMEL.

Comment, c’était pour sa fortune ! vous refusez ? j’en suis fâchée, mais alors, Monsieur paiera le dédit.

DÉSIRÉ.

Le dédit ?

CHAMPIGNOL, à Désiré, en lui faisant des signes.

Certainement, mon cher... il faudra vous exécuter... dame ! ça vous regarde !...

Bas.

Allez donc ! allez donc !...

DÉSIRÉ.

Payer ! payer ! mais avec quoi ?

MADAME DUHAMEL

Comment ! ce grand désespoir de tout à l’heure ?...

DÉSIRÉ.

Eh mon Dieu ! oui... dans la débine... complètement aplati... le notaire qui avait toute ma fortune n’était qu’un misérable... un joueur... il a tout perdu... au loto... mais n’importe, j’épouse tout de même.

MADAME DUHAMEL.

Un instant ! vous concevez... ceci change bien la thèse.

CHAMPIGNOL, vivement.

C’est vous qui refusez ? vous paierez le dédit.

Mme Duhamel passe à la droite d’Angélique.

DÉSIRÉ.

Allez au diable, avec votre dédit ! mais puisque nous nous convenons, que nous nous adorons, et que nous nous unissons.

Chantant à tue-tête.

Elle est à moi, c’est ma compagne,
Elle est à moi, j’obtiens sa main,
Tous les bergers !...

CHAMPIGNOL.

Ah ! vous le prenez sur ce ton-là !

DÉSIRÉ.

Vous voulez plus haut ?

Chantant en fausset.

Elle est à moi, c’est ma compagne !

Il prend Angélique dans ses bras.

MADAME DUHAMEL, courant à Désiré.

Finissez donc, Monsieur... vous chiffonnez les effets de l’administration !

CHAMPIGNOL, vivement.

De l’administration ! ce mot m’éclaire ! vous êtes de la société Cochegru et compagnie, pour l’établissement des demoiselles ?

DÉSIRÉ, à Champignol.

Tiens ! comme vous, pour l’établissement des jolis garçons ! l’Amour en commandite...

MADAME DUHAMEL, abattue.

Nous avions à faire à la société Birlibiche et compagnie !

CHAMPIGNOL.

Vieille intrigante !

MADAME DUHAMEL.

Vieux flibustier !

DÉSIRÉ, les excitant.

Kss ! kss ! mordez-vous !

CHAMPIGNOL.

Vous ne rougissez pas de faire un pareil métier ?

MADAME DUHAMEL.

Il vous sied bien...

CHAMPIGNOL.

N’était-il pas convenu entre nos directeurs que vous n’exploiteriez que sur la rive gauche, et nous sur la rive droite ? comme ça chacun a son petit chemin de fer.

MADAME DUHAMEL.

Il ne s’agit pas de tout ça... nous avons joué l’un comme l’autre, partie nulle... allons, venez Angélique.

CHAMPIGNOL.

Suivez-moi, Désiré... j’ai une vieille anglaise !...

DÉSIRÉ.

Faites-la confire ! quant à moi, je suis fixé...

Prenant le bras d’Angélique.

Le papillon a trouvé sa fleur !

CHAMPIGNOL.

C’est comme ça... vous allez rendre les effets de l’entreprise.

MADAME DUHAMEL, à Angélique.

Et vous, la robe de la compagnie.

CHAMPIGNOL.

Je vais vous restituer vos hardes.

MADAME DUHAMEL.

Et moi, vos nippes de grisette.

Champignol, à droite, et Mme Duhamel, à gauche, rentrent chacun dans leur appartement.

 

 

Scène XVIII

 

ANGÉLIQUE, DÉSIRÉ

 

DÉSIRÉ.

Qu’est-ce que ça nous fait ?... on s’aime tout aussi bien sous le chaume que sous l’ardoise, sous le bouracan à 2 fr. 75 c. le mètre que sous l’elbeuf à 26 livres... n’est-ce pas, mon bijou ?

ANGÉLIQUE, soupirant.

Sans doute ; mais c’est contrariant tout de même de rendre toutes ces belles choses... ça m’allait si bien !

DÉSIRÉ.

Et à moi, donc ? Avec ça, j’ai l’air d’un agent de change... avant la baisse.

ANGÉLIQUE.

Et puis, pour nous marier, pour nous établir, nous avions, là, une espèce de petite fortune.

DÉSIRÉ.

Tout ça nous aurait bien produit un millier d’écus.

ANGÉLIQUE.

Mille écus !

DÉSIRÉ.

Mille écus !... Quel magasin de lingerie nous montions à Beaugency ! Marché aux herbes, cent cinquante pieds de façade, trois cents becs de gaz. Il n’y a pas de gaz à Beaugency ; mais on en fait venir du comprimé par la poste... Et puis, sur l’enseigne, des lettres gothiques qu’on ne peut pas lire : Spécialité. Chemises et gilets de flanelle. Quel tableau ! quelle perspective !

ANGÉLIQUE, soupirant.

Oui ; mais, au lieu de tout ça, il nous faudra servir chez les autres.

DÉSIRÉ.

Ah ! vieilles entreprises que vous êtes ! vous croyez que nous vous aurons fourni notre temps et nos physiques à exploiter pour zéro francs et zéro centimes !... L’administration nous doit une indemnité. C’est un différend commercial dans lequel je me désigne comme arbitre, et je nous alloue les objets ci-contre à titre d’honoraires.

 

 

Scène XIX

 

ANGÉLIQUE, DÉSIRÉ, CHAMPIGNOL et MADAME DUHAMEL, tous deux un paquet à la main

 

CHAMPIGNOL, à Désiré en lui donnant le paquet.

Voilà vos vêtements.

MADAME DUHAMEL, de même, à Angélique.

Voilà vos effets. Restituez les nôtres.

DÉSIRÉ, à Angélique.

Donnez-moi tout ça !

Il court à la fenêtre et jette les deux paquets.

À vous, là-bas !... c’est gratis... Bon ! c’est emporté.

CHAMPIGNOL et MADAME DUHAMEL.

Que faites-vous ?

DÉSIRÉ, se posant fièrement au milieu du théâtre et tenant Angélique par la taille.

Et maintenant que nous n’avons plus rien pour nous vêtir... venez nous dépouiller... osez-le, au mépris des lois, de la pudeur et de l’innocence. Réduisez-nous à la toilette économique d’Atala et Chactas, d’Adam et d’Ève, ou de Spartacus ! Osez-le ! et, sans crainte, je grimperai sur les toits, sur la colonne Vendôme, sur la pointe de l’Obélisque ; je vous démasquerai, je vous divulguerai, je vous dévoilerai, et je crierai partout que vous êtes des f...

MADAME DUHAMEL et CHAMPIGNOL.

Chut, malheureux !

DÉSIRÉ.

Alors, je vends mon silence.

CHAMPIGNOL.

Mais.

DÉSIRÉ.

Pas de mais !

MADAME DUHAMEL.

Si.

DÉSIRÉ.

Pas de si !... Filez doux, je vous le conseille... Et nous, Angélique, vite, à la municipalité ; ensuite, deux places sur l’impériale, et nous cinglons vers Beaugency... La fortune nous y attend, grâce à deux nouvelles inventions pour lesquelles j’obtiens un brevet... des gilets de flanelle en caoutchouc, et des chemises à sous-de-pieds. Comme ça, elles ne feront pas le plus petit pli.

DÉSIRÉ.

Air de la Reine Jeanne. (Monpou.) 

Te voir placée,
Dans mon comptoir,
C’est ma pensée,
Mon seul espoir ;
Dans ma caisse,
Quelle ivresse,
Vont bientôt pleuvoir les écus,
Sur ma foi,
Grâce à toi,
Nous serons des crésus,
Cossus.

Au Public.

Messieurs, venez nous voir à Beaugency,
Ce n’est pas loin d’ici,
Prenez l’ nouveau ch’min d’ fer pour Orléans,
Il s’ra prêt dans dix ans,
Car chez nous, par bonheur,
Que j’ suis bêt’, par malheur,
L’ingénieur,
N’va pas à la vapeur !
En attendant l’ bonheur si doux,
D’ pouvoir chez nous,
Vous recevoir,
Dès ce soir,
Montrez-vous,
Pour nous tous,
Bienveillants et doux,
Qu’ mon succès aujourd’hui,
Ne fass’ pas le plus petit pli.

TOUS.

Dès ce soir,
Montrez-vous, etc.

Pour la province, le couplet final peut être remplacé par celui-ci. 

Air des Frères de lait.

Viens, mon épouse, adorable Angélique,
Embarquons-nous tous deux pour Beaugency,
Tu vas régner, trôner dans ma boutique,
Entre la toile et l’organdi,
Et tu seras l’orgueil de ton mari !

Au public.

Favorisez toutes mes entreprises,
Messieurs, je vous implore ici,
Que mon succès, ainsi que mes chemises,
Ne fassent pas, ce soir, le moindre pli.

TOUS.

Que son succès, etc.

PDF