Les Empiriques (David Augustin de BRUEYS)

Comédie en trois actes.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 11 juin 1697.

 

Personnages

 

LE BARON, Père de Mariane

ARISTE, Frère du Baron

MARIANE, Fille du Baron

ÉRASTE, Amant de Mariane

MONSIEUR DE ROMARIN, Empirique

MONSIEUR DE PAQUINOY, Empirique

MARTON, Suivante de Mariane

PASQUIN, Valet d’Éraste

FRIBOURG, Suisse du Baron

LAQUAIS

 

La Scène est à Paris dans la Maison du Baron.

 

 

PRÉFACE OU AVERTISSEMENT

De M. Palaprat, sur les Empiriques[1]

 

Il n’est point d’Empire, ni plus généralement, ni plutôt établi, que celui de la nouveauté ; en naissant elle règne ; l’âge seul diminue ses forces, et elle n’est jamais si souveraine que dans sa minorité : mais il y a toute apparence que cette minorité durera longtemps, surtout à l’égard de la Médecine. Que l’on affiche un Élixir, une Quintessence, un Opiate avec un nom magnifique, et une nouvelle manière de s’en servir, tout le monde y court : en effet, n’est-ce pas une chose bien gênante et bien triste, que d’être gouverné par des gens sages, d’autant plus circonspects qu’ils sont devenus savants par une longue pratique, mais que plusieurs expériences heureuses n’ont pas rendu plus téméraires ? Vive, au contraire, ces gens hardis, qui flattent et enchantent par de belles promesses ; ils commencent par assurer de l’efficacité de leur remède ; ils mettent l’esprit du malade en repos, en lui parlant affirmativement de sa guérison, et finissent souvent par l’expédier promptement ; mais en lui répondant toujours de sa vie sur leur propre tête. Ils ôtent au moins par-là toutes les horreurs de la mort, et y font arriver leurs malades sans la prévenir ni la craindre. Espèce d’assassinat qu’il serait aisé de prouver être le plus cruel de tous !

Il y a plus de 1500 ans que l’on saigne et que l’on purge ; il y en a autant que l’on se sert pour cela de la Casse, de la Mane, du Sené, et de la Rubarbe ; mais tout cela est usé, tout cela est vieux. Les régimes, la diète sont à charge : on veut, pour ainsi dire, vivre pour manger. Cette façon de penser est devenue si générale, que les Médecins eux-mêmes ont été contraints de céder au dégoût que l’on a pris pour les médicaments simples et communs, en introduisant des remèdes, dont ils se sont réservé la connaissance, et à rétablir par des moyens prompts et violents, les désordres que causent la bonne chère et les veilles ; à peine encore le désir que les malades ont de guérir promptement, leur permet-il d’en attendre l’effet. Delà vient la prodigieuse quantité de Charlatans, dont la façon de traiter flatte en même temps l’esprit et l’impatience des hommes : C’est ce ridicule-là que mon ami joué dans cette Comédie d’une manière tout-à-fait agréable. La raison trouva en lui de grandes dispositions à prendre le parti de la Médecine, puisqu’il est beau-frère du grand Barbeirac, et oncle de Messieurs Sidobre et Carquet, célèbres Médecins de la Faculté de Montpellier. Mille gens qui ne se donnent guères la peine d’approfondir le sens des plaisanteries, ont crû qu’il était du bel esprit de se moquer de la Médecine, parce que Molière a joué les Médecins : quiconque raisonne de la sorte, conclut que Molière a déclaré la guerre à toutes les personnes de condition et à tous les gens de bien, parce qu’il a joué les Marquis ridicules, et les hypocrites. Il n’est point de plus grand Panégyrique pour la vertu, que de démasquer ceux qui la falsifient ; et rien ne relève davantage l’excellence d’un art aussi nécessaire que celui de la conservation des hommes, que d’exposer à la risée publique, l’impudence des ignorants qui en abusent. Ainsi Molière n’a joué ni la Médecine, ni les Médecins ; mais seulement ceux qui embrassent cette profession sans esprit, sans connaissance, et sans lumière.

Je ne saurais me vanter d’avoir quelque part dans cette Comédie, pas même celle que je me suis donnée dans l’Important, en vertu de la maxime du Droit Civil (Si quis in alieno solo). Mon ami ne logeait plus chez moi quand il la composa ; il était à Montpellier. Ce fut-là qu’il me la montra, quand je passai en Languedoc en 1697. Il est inutile que je parle ici du mérite de cette Comédie, et du plaisir qu’elle m’a fait toutes les fois que je l’ai lue, (car je ne l’ai jamais vu jouer,) je sais seulement qu’elle eut le succès qu’elle méritait ; c’est-à-dire, qu’elle réussit fort.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

ÉRASTE, PASQUIN

 

ÉRASTE, à part.

Oui, parbleu, cet homme-là est fou, ou il se moque de moi.

PASQUIN, à part.

Ouais, il y a ici quelque chose qui va mal.

ÉRASTE.

Avec tant d’amour être traité de la sorte !

PASQUIN, à part.

Est-ce infidélité, ou manquement de parole ?

ÉRASTE.

Encore de nouveaux délais !

PASQUIN, à part.

C’est quelque chose de moins. Monsieur, vous m’avez commandé de me rendre ici...

ÉRASTE.

Je croyais avoir besoin de toi ; mais va m’attendre au logis.

PASQUIN.

Vous n’êtes pas content, Monsieur ; vous aurais-je porté malheur le premier jour que je rentre à votre service ?

ÉRASTE.

Non, Pasquin, non ; mais va m’attendre, te dis-je ; je suis bien aise que personne ne te connaisse encore céans : cela pourra peut-être me servir dans la suite.

PASQUIN.

Je m’aperçois, Monsieur, que vous n’avez pas oublié mes petits talents ; et je dois vous dire que depuis que je n’ai eu l’honneur de vous voir, je me suis perfectionné auprès d’un fameux Operateur.

ÉRASTE.

C’est assez, Pasquin. J’attends ici cette Marton dont tu m’as ouï parler, qui sert Mariane. Je veux m’informer d’elle... mais la voici. Va-t’en, et ne dis céans à personne que tu sois à moi.

PASQUIN, s’en allant.

Je comprends à peu-près que Pasquin ne sera pas aujourd’hui sans occupation.

 

 

Scène II

 

ÉRASTE, MARTON

 

ÉRASTE.

Hé bien, Marton, tu l’as ouï toi-même. Que dis-tu du père de ta maîtresse, et de la manière dont il me traite ?

MARTON.

Moi, Monsieur ? je dis qu’il faut prendre patience.

ÉRASTE.

Mais n’y a-t-il pas là de quoi enrager ?

MARTON.

Oh ! pour cela non.

ÉRASTE.

Non !

MARTON.

Non, Monsieur. Vous êtes jeune, amoureux, et homme d’épée, je ne m’étonne pas si vous êtes impatient.

ÉRASTE.

Ah ! je suis impatient !

MARTON.

Oui, vous l’êtes. Monsieur le Baron ne vous a-t-il pas promis que vous épouserez sa fille quand il se portera bien ?

ÉRASTE.

Eh ! ne vois-tu pas qu’il me dit la même chose depuis trois mois, et que je pars dans huit jours pour ma garnison ?

MARTON.

Et bien avant ce temps-là, il se portera bien, peut-être.

ÉRASTE.

Peut-être ! Oh ! je ne puis plus attendre, et il faut absolument qu’avant mon départ je le fasse guérir. Dis-moi, qui sont ses Médecins ?

MARTON.

Ses Médecins, Monsieur ? il n’en a point.

ÉRASTE.

Comment ? un homme de sa qualité, malade dans Paris, sans Médecins ?

MARTON.

On voit bien, Monsieur, que vous avez toujours demeuré en Flandres, ou en Allemagne, et que vous ne connaissez plus Paris. Ici, Monsieur, on ne se sert plus de Médecins.

ÉRASTE.

On ne s’en sert plus ?

MARTON.

Eh ! non, Monsieur, la Médecine est au billon.

ÉRASTE.

Et de qui donc se sert-on ?

MARTON.

On se sert des Empiriques.

ÉRASTE.

Des Empiriques ! quels animaux sont-ce là ?

MARTON.

Ce sont des animaux qui ne sont ni Médecins, ni Chirurgiens, ni Apothicaires.

ÉRASTE.

Il n’y a pourtant que les gens de ces professions-là en qui l’on doive se confier quand on est malade.

MARTON.

Aujourd’hui, Monsieur, c’est tout le contraire : les gens les plus éloignés de ces professions-là sont ceux en qui on a le plus de confiance,

ÉRASTE.

J’ai de la peine à croire...

MARTON.

Oh ! Monsieur, cela est si vrai, qu’à l’heure que je vous parle, on ne voit dans Paris que gens à secrets, Souffleurs, Chimistes, Charlatans de toutes nations, de toutes espèces : les coins des rues sont accablés de leurs affiches ; chaque matin on y voit éclore quelque nouveau guérisseur : et le père de ma maîtresse est entre les mains de ces Messieurs-là, qui font durer sa maladie, et retardent votre mariage.

ÉRASTE.

Mais, enfin, quel mal a-t-il ?

MARTON.

Vous ne le devineriez jamais.

ÉRASTE.

Comment ?

MARTON.

Vous voyez qu’il n’est point d’homme dans Paris plus haut en couleur, et plus rouge de visage que lui.

ÉRASTE.

Cela est vrai. Hé bien ?

MARTON.

Il a la jaunisse, Monsieur, à ce qu’il dit.

ÉRASTE.

La jaunisse ? cela ne peut être,

MARTON.

Oh ! Monsieur, depuis une maladie qu’il eut, causée, dit-on, par un excès de bile, qui venait de trop manger, il veut avoir la jaunisse en dépit de tout le monde.

ÉRASTE.

C’est une faiblesse dont il est aisé de le guérir.

MARTON.

Oui, si c’était un homme fait comme les autres ; mais jugez du personnage. À présent il ne veut presque ni manger, ni boire, et c’est ce qui entretient sa mélancolie.

ÉRASTE.

Je ne m’étonne pas si l’on me cachait son mal.

MARTON.

On n’ose le dire à personne.

ÉRASTE.

Oh ! bien, je vois qu’il ne faut que jouer d’adresse pour le guérir, et je m’avise d’un expédient. J’ai pris ce matin un valez qui m’avait servi autrefois, et que personne ne connaît céans : c’est un drôle des plus adroits, et qui a servi longtemps un Operateur ; il faut que... Mais j’entends Monsieur le Baron, adieu.

 

 

Scène III

 

LE BARON, MONSIEUR DE ROMARIN, ARISTE, MARTON

 

LE BARON.

J’aime à changer de lieu. Venez, Monsieur de Romarin, passons dans ma salle ; je veux y attendre un homme célèbre de votre profession, que j’ai fait appeler, et qui me doit venir voir : vous ne trouverez pas mauvais que je le consulte ?

ROMARIN.

Pourvu que ce ne soit pas un Médecin.

LE BARON.

Un Médecin ? j’aimerais mieux crever.

ROMARIN.

Vous feriez fort bien.

LE BARON.

Et vous, mon frère, ne vous avisez plus, je vous prie, de me contester des choses que je sais mieux que vous.

ARISTE.

Cependant, mon frère, il est bien certain qu’il ne faut qu’ouvrir les yeux, pour voir que vous n’avez pas au moins la jaunisse.

LE BARON.

J’ai ce que j’ai. Vous savez qu’on ne doit pas disputer du gout ; je prétends qu’on ne doit pas aussi disputer de la vue. Vous me trouvez rouge, n’est ce pas ? et moi je me trouve jaune.

ROMARIN.

C’est une espèce de jaunisse que tout le monde ne connaît pas.

MARTON.

Il faut avoir de bons yeux pour s’en apercevoir.

LE BARON.

Paix. Un siège, Marton, vite un siège.

Après s’être assis.

Je souffre beaucoup, Monsieur, quand je marche, d’où vient cela ?

ROMARIN.

C’est un effet de la bile en mouvement.

LE BARON.

Oui, en mouvement. Maudite bile ! non, il faut que je me lève ; la bile me suffoque quand je suis assis.

ROMARIN.

C’est un effet de la bile en repos.

LE BARON.

En repos.

ARISTE.

De bonne foi, mon frère, je ne conçois pas...

LE BARON.

Monsieur mon frère, tous vos raisonnements... Ne vient il pas un vent coulis de ce côté-là ?

MARTON.

Je n’en vois point.

LE BARON.

J’y sens un froid qui me glace.

ROMARIN.

C’est la bile qui se refroidit.

LE BARON, portant la main à l’autre côté de sa tête.

Ay ! ay ! n’a-t-on pas laissé la cuisine ouverte ?

MARTON.

Non, Monsieur.

LE BARON.

Je sens de ce côté-là une chaleur qui me brule.

ROMARIN.

C’est la bile qui s’échauffe.

MARTON.

Voilà une bile qui joue bien des personnages.

ARISTE.

Eh ! mon frère, ôtez-vous cela de l’esprit, et songez à tenir à Éraste la parole que vous lui avez donnée, vous verrez que dans la réjouissance des noces cette imagination se dissipera.

LE BARON.

Ah ! je vous entends. Vous prétendez donc que je suis un visionnaire, et que mon mal n’est qu’une chanson ? Mais vous qui raisonnez si bien, dites-moi, s’il vous plaît, d’où vient donc qu’à présent je sens un grand froid de ce cô... non, de ce cô... De quel côté, Monsieur, ai-je dit que j’avais froid ?

ARISTE.

Ah, ah, ah, ah.

LE BARON.

Bon, riez, riez.

ARISTE.

Qui ne rirait, de voir que vous doutez de quel côté vous avez froid ?

MARTON.

C’est un effet de la bile qui doute.

LE BARON.

Oui, la bile fait en moi des choses inconcevables.

ROMARIN.

Assurément.

ARISTE.

Mais d’où vient que vous ne l’avez pas guéri, depuis un mois que vous le traitez ?

ROMARIN.

C’est que la nature est affaiblie en Monsieur par les saignées qu’on lui a faites autrefois.

LE BARON.

Vous ne m’aviez pas encore dit cela. Quoi, vous m’auriez guéri, si je n’avais jamais été saigné ?

ROMARIN.

Très infailliblement.

LE BARON.

Et il n’y a que cela qui empêche vos remèdes d’agir ?

ROMARIN.

Il ne peut y avoir d’autre cause dans toute la nature.

LE BARON, riant.

Je ne sais donc pas comment cela se fait ; car il est bien certain que de ma vie je n’ai été saigné.

MARTON, à Romarin.

Allons, Monsieur, peu de chose vous embarrasse ; ayez recours à la bile.

ARISTE, riant.

Ah, ah, ah.

ROMARIN.

Il ne faut pas tant rire, je soutiens ce que j’ai avancé.

ARISTE.

Et mon frère n’a jamais été saigné.

ROMARIN.

Et qu’importe ? la vie est dans le sang ; celui dont il tient la vie a été saigné, c’est comme s’il l’avait été lui-même.

LE BARON.

Oh, non, non, j’ai ouï dire à mon père qu’il n’avait jamais été saigné.

MARTON.

Et qu’importe ? la vie est dans le sang ; et si vous pressez Monsieur, il ira quereller la saignée jusqu’à la trentième génération.

ROMARIN.

Langue de vipère tu auras quelque jour besoin de moi.

MARTON.

De vous ? ah ! si vous me tuez jamais, je vous le pardonne.

LE BARON.

Paix. Je songe, Monsieur, qu’il est près de six heures. Marton, va dans ma chambre, ouvre les fenêtres qui regardent le nord, et ferme celles qui regardent le septentrion, n’est-ce pas, Monsieur ?

ROMARIN.

Le nord et le septentrion, Monsieur, c’est la même chose. Je vous ai dit que le soir il faut ouvrir au midi, et fermer au septentrion ; mais rien ne presse encore. Je vais cependant faire un tour à mes fourneaux.

 

 

Scène IV

 

LE BARON, ARISTE, MARTON

 

ARISTE.

Est-il possible, mon frère, que vous vous laissiez mener par le nez à un homme comme celui-là ?

LE BARON.

Oui.

MARTON.

À un vilain Souffleur, que je soupçonne de travailler à autre chose qu’à des remèdes.

LE BARON.

Tant mieux.

MARTON.

Qui brule céans tout le charbon de la Grève, et qui quelque jour nous grillera.

LE BARON.

J’aime la grillade.

ARISTE.

Je suis assuré que si vous pouviez vous résoudre à manger et à boire un peu plus que vous me faites...

LE BARON.

Oh ! j’enrage ; ne savez-vous pas que tout ce que je mange se change en bile, et que ma jaunisse redouble ?

ARISTE.

Mais, là, mon frère, informez-vous un peu de vos meilleurs amis, si on a jamais vu jaunisse de la couleur de la vôtre.

LE BARON.

Je vous dis, moi, que la couleur n’y fait rien, qu’il n’y a que la diète qui puisse me guérir : et Monsieur Romarin soutient que si je pouvais entièrement m’abstenir de boire et de manger, seulement quinze jours, je serais tout-à-fait hors d’affaires.

MARTON.

Oh ! pour cela, je vous en réponds.

 

 

Scène V

 

ROMARIN, LE BARON, ARISTE, MARTON

 

ROMARIN.

Il y a plaisir à voir pétiller les flammes de ces fourneaux.

LE BARON.

Tenez, Monsieur, voilà mon frère qui me soutient toujours...

ARISTE.

Non, mon frère, je ne conteste plus contre Monsieur ; mais puisqu’il n’a pu encore vous guérir, que ne faites-vous appeler des Médecins ?

ROMARIN.

Eh ! Monsieur, des Médecins ! À quelles gens l’adressez-vous là pour guérir un malade ?

MARTON.

Eh ! fy donc, Monsieur, des Médecins ! Ne savez-vous pas que cela est aujourd’hui contre les règles du bon sens ?

LE BARON.

En effet, clisterium donare, seignare, purgare. Allez voir un peu ce que dit Molière de vos Médecins.

ARISTE.

Je sais bien, mon frère, que vous êtes de ceux qui ont pris au pied de la lettre les railleries ingénieuses de ce charmant Auteur : mais, en bonne foi, parce qu’il a joué le ridicule des Médecins, comme il a joué celui de presque toutes les professions, faut-il se priver du secours qu’on peut tirer de leur art ?

LE BARON.

Ah ! vous faites le Docteur. Tenez, je ne veux que Marton pour vous confondre ; elle a bon sens, comme vous savez. Te sers-tu de Médecins ?

MARTON.

Moi, Monsieur ? le Ciel m’en préserve.

LE BARON.

Et pourquoi ne t’en sers-tu pas ?

MARTON.

C’est, Monsieur... que je me porte bien.

LE BARON.

Mais si tu étais malade ?

MARTON.

Pour moi, Monsieur, en toutes choses je crois que mal ou bien, il faut toujours tenir le grand chemin battu : quand je veux des souliers, je vais aux Cordonniers ; des habits, aux Tailleurs ; des étoffes, aux Marchands ; des conseils, aux Avocats ; et quand je voudrai des remèdes, j’irai aux Médecins. 

LE BARON.

Elle veut plaisanter.

ARISTE.

Elle parle de fort bon sens.

 

 

Scène VI

 

FRIBOURG, MARTON, LE BARON, ROMARIN, ARISTE

 

Fribourg vient très lentement par derrière, cherchant son maître des yeux.

ARISTE.

Mais voilà votre Suisse qui vous cherche.

LE BARON.

Il vient, sans doute, me donner des nouvelles de cet homme célèbre que j’attends. Approche, Fribourg, approche donc ; qu’est-ce ?

FRIBOURG.

Monsir...

LE BARON.

Parle, qu’as-tu à me dire ?

FRIBOURG.

Monsir, moi...

LE BARON.

Parle donc.

FRIBOURG.

Moi, vien fitement vous dire...

LE BARON.

Oh ! dis donc. La lenteur de cet animal-là met ma bile dans un mouvement terrible.

ROMARIN.

C’est le propre de la nation Helvétique d’être flegmatique.

MARTON.

Parleras-tu ?

LE BARON.

Mais voyez la tranquillité de ce bourreau-là ; plus on le presse, moins il se hâte.

FRIBOURG.

Moi fien fous dire...

MARTON.

Oh ! garde-le pour demain, ce que tu as à dire.

ARISTE.

Dis donc ce qu’il y a, et retire-toi.

FRIBOURG.

Si moi parlir, fous prendre tout pitêtre ein grand fâchiment ?

LE BARON.

Non, on ne se fâchera point, parle.

FRIBOURG.

Si moi parlir, fous point fâchir ?

LE BARON.

Et non, moi point fâchir : parle, parle, parle.

FRIBOURG.

Eh pien, moi, fien fitement vous dire le feu être bravement à la maison.

LE BARON.

Le feu est au logis ?

FRIBOURG,

Oui, Monsir, fort pien.

LE BARON.

Ah ! quel malheur ! que ferons-nous ?

FRIBOURG.

J’affre pien dit, fous fâchir ; aussi moi ne fouloir point parlir. Moi, va fitement aider à ly éteindre.

 

 

Scène VII

 

MARIANE, LE BARON, ARISTE, MARTON, ROMARIN

 

MARIANE.

Ne vous alarmez pas, mon père, le danger est presque passé.

LE BARON.

Et qui est l’étourdi, le coquin, le traître qui avait mis le feu au logis ?

MARTON.

Gage que c’est Monsieur avec ses maudits fourneaux.

MARIANE.

Il est vrai que le feu a commencé à sa chambre, et on a jeté même ses hardes par la fenêtre.

ROMARIN, sort en courant.

Mes hardes !

MARTON.

Ne courez pas si vite, il n’y a pas grand’chose à bruler.

LE BARON.

Allons tous voir vite ce que c’est. Oh ! passez devant. Il pourrait y avoir encore quelque danger, et il est bon... Mais quel homme est-ce ci ?

 

 

Scène VIII

 

PAQUINOY, LE BARON

 

PAQUINOY.

Ah ! bon, le voilà seul. Il m’a fait appeler, profitons de l’occasion. Monsieur...

LE BARON.

Qu’est-ce ? Je suis pressé, le feu est au logis.

PAQUINOY.

À ce que je vois, je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous.

LE BARON.

Non ; mais à présent il faut que j’aille...

PAQUINOY, arrêtant le Baron.

Quand vous saurez qui je suis...

LE BARON.

Eh bien, je laisserai bruler ma maison ?

PAQUINOY.

Je suis le célèbre Monsieur Paquinoy.

LE BARON.

Nous nous verrons une autrefois : serviteur.

PAQUINOY, l’arrêtant et le retenant par force.

J’ai, Monsieur, ce remède merveilleux, qu’on appelle les gouttes d’Angleterre.

LE BARON.

Je n’en ai que faire à présent, et...

PAQUINOY l’arrête.

Si vous saviez la vertu de ces gouttes-là...

LE BARON.

J’enrage. Serviteur...

PAQUINOY, le reprenant.

Peut-être avez-vous le ventre dur ?

LE BARON.

Ah ! le bourreau !

PAQUINOY, le retenant.

Je vous donnerais la médecine noire, qui purge par la vue, pourvu qu’on avale en même temps trois grands verres de tisane laxative.

LE BARON.

Il faut être bien endiablé, pour...

PAQUINOY, le reprenant toujours.

Ah ! Monsieur, fi par bonheur vous aviez une violente colique...

LE BARON.

Ah ! le traître !

PAQUINOY.

Je vous ferais prendre mon eau pacifique, ou mon essence tranquillisante...

LE BARON.

Eh ! Monsieur de Paquinoy, je vous conjure, laissez-moi aller donner ordre au feu, et revenez ce soir.

PAQUINOY.

Eh ! que ne le disiez-vous plutôt ? suis-je homme à importuner les gens ?

LE BARON.

Eh bien, serviteur.

PAQUINOY, le reprenant.

Vous voulez donc que je revienne ce soir ?

LE BARON.

Eh, oui, de par tous les diables, ce soir.

PAQUINOY.

Voilà qui est bien. il revient. Et à quelle heure ; Monsieur, s’il vous plaît ?

LE BARON.

Oh ! à l’heure qu’il te plaira.

PAQUINOY.

Serviteur. Il l’arrête encore pour lui dire : Cela suffit.

 

 

Scène IX

 

MARIANE, MARTON, LE BARON

 

LE BARON.

Ah ! je n’en puis plus : me voilà rebuté pour toute ma vie de ce bourreau-là.

MARTON.

Vous voilà encore alarmé, Monsieur ? nous venons vous dire que le feu est éteint.

LE BARON.

C’est bien pis, que le feu.

MARIANE.

Et qu’est-ce donc, mon père ?

LE BARON.

Un enragé qui m’a retenu ici par force. Marton, si un homme qu’on appelle Monsieur de Paquinoy revient ici ce soir, fais le chasser du logis.

 

 

Scène X

 

MARIANE, MARTON

 

MARTON.

Monsieur de Paquinoy ! c’est justement celui, qui la semaine dernière tua une femme de qualité dans notre voisinage.

MARIANE.

De qui sais-tu cela ?

MARTON.

De notre Fribourg, qui était alors au service de cette Dame-là.

MARIANE.

Eh bien, ma pauvre Marton, que t’a dit Éraste du procédé de mon père ?

MARTON.

Il enrage aussi bien que vous.

MARIANE.

Qu’a-t-il résolu de faire ?

MARTON.

Il a un dessein, qu’il va faire exécuter par son valet : je vous le dirai tantôt. Suivons Monsieur votre père, pour le préparer à ce que veut faire Éraste.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

MARIANE, MARTON

 

MARIANE.

Éraste ne vient point.

MARTON.

Il m’a dit qu’il viendrait avec ce feint Empirique, ce valet que nous ne connaissons point : il le doit amener lui-même.

MARIANE.

J’ai de la peine à croire que ce qu’il a dessein de faire puisse réussir.

MARTON.

Pourquoi non ? Pour guérir Monsieur votre père, il ne faut que trouver adroitement le moyen de le faire manger et boire, et Éraste m’a assuré que ce valet trouvera quelque expédient.

MARIANE.

Les Empiriques qui viennent céans l’embarrasseront.

MARTON.

Pour Monsieur de Romarin, l’accident du feu a fait tomber entre mes mains une cassette, qui me servira quand je voudrai à le chasser de céans ; et pour Monsieur de Paquinoy, s’il ose y revenir, il ne sera pas mal reçu, je l’ai recommandé à Fribourg.

MARIANE.

Pourquoi à Fribourg ?

MARTON.

Ne vous ai-je pas dit qu’il était au service d’une Dame, que cet Empirique tua l’autre jour ?

 

 

Scène II

 

PASQUIN, MARIANE, MARTON

 

PASQUIN, à part, en Empirique.

Oh, oh, mon maître devait être ici pour me présenter.

MARTON.

Voilà un homme qui n’ose entrer.

PASQUIN, à part.

Il m’avait dit qu’il y serait avant moi : attendons.

MARIANE.

Marton, ne serait-ce pas le valet d’Éraste ?

MARTON.

Non, Madame, Éraste doit l’amener lui-même : je gage plutôt que c’est Monsieur de Paquinoy.

PASQUIN.

Voilà des Dames que je ne connais point. Ne faisons pas ici de qui pro quo.

MARIANE.

Sache qui c’est.

MARTON.

Qui êtes-vous, Monsieur, s’il vous plaît ? qui demandez-vous ? qui cherchez-vous ?

PASQUIN.

Mesdames, je suis... je cherche... j’attends... je demande... Monsieur le Baron.

MARTON, à Mariane.

Je ne me trompe point.

À Pasquin.

Vous êtes, sans doute, Monsieur de Paquinoy ?

PASQUIN.

C’est à peu-près le nom de votre très humble serviteur.

MARTON, d’un ton flatteur.

Eh bien, Monsieur, faites-nous, s’il vous plaît, la grâce, d’un ton rude, de déloger d’ici tout à l’heure.

PASQUIN.

Oh ! oh ! peut-être ignorez-vous qui je suis ?

MARTON.

On vous connaît mieux que vous ne pensez ; mais vous, à qui croyez-vous parler ?

PASQUIN.

Moi ? je ne sais.

MARTON.

Voilà la sœur de cette Dame que vous tuâtes l’autre jour, et moi je suis sa cousine,

PASQUIN, à part.

Que diantre me vient-elle conter ?

MARTON.

Il a peur. Croyez-moi, délogez de céans, il ne fait pas bon ici pour vous.

PASQUIN.

Ouais ! Permettez au moins que j’attende ici...

MARTON.

Ô ! que de raisons.

À part.

Je m’en vais bien te faire détaler, moi.

À Mariane.

Retirons-nous. Holà, Fribourg, holà.

PASQUIN.

Tubieu, on me prend ici pour un autre : le plus sur est de décamper, et d’aller attendre mon maître dans la rue.

MARTON, dans une aile du Théâtre.

Voilà cet empoisonneur que tu connais, chasse-le d’ici.

FRIBOURG, sans être vu.

Mon camerate, à moi, à moi.

Mariane et Marton sortent d’un côté, Pasquin s’en va de l’autre, et Paquinoy entre en même temps par le milieu du Théâtre.

 

 

Scène III

 

PAQUINOY, seul

 

Puisque Monsieur le Baron m’a dit de revenir ce soir, j’espère que je serai bien reçu : il n’est rien de tel, que de bien prendre son temps. Ne faisons pas comme tantôt ; mais attendons que quelqu’un paroisse pour me présenter à lui. Bon, voici à propos deux de ses gens. Il y a pourtant, là un drôle que j’ai vu ailleurs.

 

 

Scène IV

 

FRIBOURG, UN LAQUAIS, PAQUINOY

 

PAQUINOY.

Vous êtes, sans doute...

FRIBOURG, au laquais.

Prendre, toi, sti bâton ; prendre, moi, sti l’autre.

Fribourg jette un bâton au laquais, il en prend un autre ; ils placent M. de Paquinoy au milieu ; ils essayent s les bâtons sont bien en main, et demeurent ainsi quelque temps.

PAQUINOY.

Que veut dire ceci ? à qui en voulez-vous !

FRIBOURG.

Allons, gagnir toi fitement li chimin de li rue.

LE LAQUAIS.

Hors d’ici,

PAQUINOY.

Moi, mes enfants ?

FRIBOURG.

Nous n’être point les enfants d’un Liperique. Si toi n’entre dehors, moi cassir ton tête : toi afre tué mon mitresse, moi point souffrir toi tuir mon maître. Entre dehors.

LE LAQUAIS.

Hors d’ici.

Ils haussent leurs bâtons.

PAQUINOY.

Attendez, attendez.

À part-soi.

C’est une pièce que me veut faire le Souffleur qui loge céans. Il en aura le démenti.

Il tire une bourse, et ils rabaissent leurs bâtons.

C’est par l’ordre de votre maître que je viens ici. Faites-moi parler à lui, voilà un louis que je vous donne.

Fribourg prend le louis.

LE LAQUAIS.

Et moi, n’aurai-je rien ?

FRIBOURG.

Vous donnir donc encore quelque chose à mon camerate, pour ly afoir foulu prendre la peine de tonner à fous de coups de bâton.

PAQUINOY.

Tiens, voilà un écu pour toi... Oh, çà, faites-moi parler à Monsieur le Baron.

FRIBOURG.

Monsir Baron n’afre point loisir de mourir de sti jour ; quelqu’autre demain vous pourra fenir ly tuer.

LE LAQUAIS.

Hors d’ici.

Ils le frappent.

FRIBOURG.

Entri dehors.

PAQUINOY.

Au secours, au secours, au secours.

 

 

Scène V

 

ARISTE, ÉRASTE, PASQUIN, PAQUINOY, FRIBOURG, LE LAQUAIS

 

ÉRASTE.

Qu’est-ce ce ?

PAQUINOY.

Eh ! Messieurs ! voilà deux coquins qui me voulaient insulter.

FRIBOURG.

Ly être menteur, Monsir : moi, parce qu’il avre tué mon maîtresse, ly avre seulement pour rire tout doucement avec sti bâtonne donné comme cela.

Il le frappe.

LE LAQUAIS.

Et moi, comme ceci.

Il le frappe.

ARISTE.

Marauds ! retirez-vous. Je vous assure, Monsieur, que mon frère n’a point de part à cette violence, et qu’on les fera châtier très sévèrement.

PASQUIN, à Paquinoy.

Pour moi, Monsieur, je vous remercie de tout mon cœur.

PAQUINOY.

Et de quoi, Monsieur ?

ARISTE.

Vous avez, sans doute, guéri quelqu’un de ses amis.

PASQUIN.

Oui, Monsieur ; la personne du monde qui m’est la plus chère était dans un grand péril, dont vous l’avez tirée fort à propos.

PAQUINOY.

Cela m’est assez ordinaire.

PASQUIN.

Je le crois, Monsieur, et je souhaite que pareille chose vous arrive souvent.

ÉRASTE, à Paquinoy.

Oh ! çà, Monsieur, Monsieur le Baron n’aurait pas à présent le temps de vous consulter : nous venons ici pour une affaire de conséquence, prenez la peine de revenir demain matin.

PAQUINOY.

Pourvu que je n’y retrouve pas ces deux coquins.

ARISTE.

On va les faire mettre en prison au logis.

PAQUINOY.

Soit, je reviendrai demain matin.

À part.

C’est la meilleure pratique de Paris, il ne faut pas se rebuter pour si peu de chose,

ARISTE.

J’ai préparé mon frère à te bien recevoir. Vous, Éraste, allez avertir de tout Mariane et Marton, afin qu’il n’arrive plus ici de surprise.

ÉRASTE.

Mon pauvre Pasquin, si tu réussis ta fortune est faite.

PASQUIN.

Sur les instructions qu’on m’a données, j’ai compris à miracle ce que j’ai à faire, et je suis préparé comme il faut, puisque nous avons affaire à un homme facile à duper.

 

 

Scène VI

 

LE BARON, ROMARIN, ARISTE, PASQUIN

 

LE BARON, à Romarin.

Le feu aura, sans doute, brulé la cassette dont vous êtes tant en peine.

ROMARIN.

À la bonne heure. Je ne voudrais pas pour tout l’or des Indes, qu’on eut vu les secrets qu’elle renfermait.

LE BARON.

Ah ! mon frère, voici apparemment cet illustre dont vous m’avez parlé ?

PASQUIN.

Oh ! Monsieur...

LE BARON.

Et vous l’appelez ?...

PASQUIN.

Le Sieur Pasq... Diamantin, à vous servir.

ARISTE.

Monsieur arriva hier à Paris, avec un officier ami d’Éraste, qui lui a vu faire des choses...

PASQUIN.

Eh ! Monsieur, cela ne vaut pas la peine d’en parler. Il m’a vu guérir des hydropiques, des paralytiques, des épileptiques, des frénétiques. Pures bagatelles, vous dis-je. Monsieur, qui apparemment est un des habiles de la profession, peut vous dire que les enfants savent aujourd’hui guérir ces maux-là.

LE BARON.

Diantre ! quel homme est-ce ci ?

ROMARIN, bas au Baron.

C’est un affronteur assurément.

PASQUIN.

Il faudrait avoir vu ce que j’ai fait à Siam, en Bretagne, en Tartarie, en Provence, à la Chine...

LE BARON.

Vous avez été à la Chine ?

PASQUIN.

Vraiment, vraiment, j’ai été bien plus loin, j’ai été à Constantinople.

ROMARIN, à part.

L’ignorant ! Et Constantinople, Monsieur, n’est qu’en Turquie.

PASQUIN.

Qu’en Turquie ! Vous parlez de cette Constantinople, où sont les Turcs ; je parle, moi, d’une autre Constantinople, qui est à plus de dix mille lieues au delà.

ROMARIN.

Et la terre n’a que neuf mille lieues de tour.

PASQUIN.

Oui, oui, des lieues d’Allemagne : j’entends, moi, des lieues de la Chine, qui n’ont que trente-six toises.

LE BARON.

Eh ! bien, Monsieur Diamantin, vous prétendez donc professer à Paris la Médecine ?

PASQUIN, feignant d’être fort en colère.

La Médecine, Monsieur ! la Médecine ! La première chose que j’ai à vous dire, c’est que je ne suis point Médecin.

LE BARON.

Bon.

PASQUIN.

Que je ne l’ai jamais été.

LE BARON.

Tant mieux.

PASQUIN.

Et que je ne le serai de ma vie.

LE BARON.

Fort bien. Vous a-t-on dit...

PASQUIN.

La Médecine ! à moi qui viens de la Chine : on me prend pour un Médecin ? Serviteur.

ARISTE.

Eh ! Monsieur, Monsieur.

PASQUIN.

La Médecine !

ROMARIN.

Cet homme-là fera du bruit à Paris.

ARISTE.

Mon frère n’a pas eu dessein de vous fâcher.

LE BARON.

Non, ma foi.

ARISTE.

Par professer la Médecine, il entendait guérir les malades.

LE BARON.

Il est vrai, et je vous demande pardon si je vous ai appelé Médecin.

PASQUIN.

Cela étant ainsi... je m’apaise. Çà, voyons, qu’y a-t-il à faire ?

ARISTE.

Je vais donner ordre qu’on ne laisse entrer personne.

 

 

Scène VII

 

MARTON, LE BARON, ROMARIN, PASQUIN

 

LE BARON, à Manon qui entre.

Que viens-tu faire ici ? toi.

MARTON.

Je viens voir ce grand homme qu’on vous a amené.

LE BARON.

Monsieur, c’est une fille du logis, nous pouvons continuer devant elle. Vous a-t-on dit le mal que j’ai ?

PASQUIN.

Non ; mais j’ai connu ce que c’est dès que je vous ai vu.

LE BARON.

On dit pourtant qu’à me voir, on ne me donnerait jamais le mal que j’ai.

PASQUIN.

Ce sont des ignorants. Tenez, Monsieur, ces regards intercadents, cette physionomie calendulaire, et surtout cette face... rubiconde, marquent que vous avez la jaunisse.

MARTON.

L’y voilà.

LE BARON.

Mais, Monsieur, tout le monde me dit que je suis rouge, et que la jaunisse est jaune ; vous me feriez plaisir de m’expliquer un peu cela.

PASQUIN.

Oui-dà, très volontiers.

ROMARIN, à part.

Ah ! voyons un peu comment il s’en tirera.

PASQUIN.

Nos anciens n’ont connu que deux sortes de bile ; la jaune, et la grise.

ROMARIN, au Baron.

La grise ! l’ignorant ! Eh ! dites la noire, Monsieur, la noire.

PASQUIN.

Eh ! oui, oui, la noire, si vous voulez.

Au Baron.

C’est, Monsieur, qu’en Chinois gris veut dire noir.

LE BARON.

Fort bien.

PASQUIN.

Or, un fameux Tartare, que j’ai connu au Japon, a découvert depuis peu avec le... microscome...

ROMARIN, au Baron.

L’ignorant ! vous voulez dire le microscope.

PASQUIN.

Eh ! oui, je veux dire le mi... miscro... miro...

Au Baron.

L’accent Chinois, Monsieur, que j’ai conservé, fait que j’ai de la peine à prononcer certains mots. Ce fameux Tartare donc, avec le... avec... ce que Monsieur dit, découvrit qu’il y avait une troisième sorte de bile, qui est la bile rouge.

MARTON.

La belle découverte !

PASQUIN.

Et nous appelons en Chinois cette bile-là, Marmarigés... !

MARTON.

Voilà un vilain mal.

PASQUIN.

Oui, Marmarigés, id est, Roujabilis ; c’est-à--dire, rouge bile, ou si vous voulez, bile rouge.

LE BARON.

Je comprends cela, rouge bile, ou bile rouge.

PASQUIN.

Oui. Monsieur a de la pénétration, Cependant comme la bile jaune est la plus connue, nous appelons jaunisse tous les épanchements de bile, noire, jaune, ou rouge.

MARTON.

Cet homme-là connaît votre mal à miracle.

LE BARON.

Il en parle très savamment.

PASQUIN.

Oh, oh. Ainsi votre maladie, à parler dans les termes de l’art, est une jaunisse rouge.

LE BARON.

Je l’ai toujours cru.

ROMARIN, à part.

Quel diable d’homme est-ce ci ? il ne raisonne point trop mal.

LE BARON.

Hé bien, Monsieur, me guérirez-vous ?

PASQUIN.

Un Charlatan vous dirait oui ; mais, moi, qui suis sincère, je vous dirai franchement que vous êtes un homme mort.

LE BARON.

Je suis un homme mort ?

PASQUIN.

Vous le seriez dans vingt-quatre heures, si, heureusement pour vous, je n’étais venu à Paris. J’ai seul le remède infaillible pour ce mal-là.

ROMARIN, au Baron.

N’en croyez rien, c’est un fourbe.

LE BARON.

Il est pourtant de bonne foi. Monsieur, donnez moi vite ce remède. Dans vingt-quatre heures, peste !

PASQUIN.

Il faut savoir auparavant si vous êtes préparé à le prendre.

LE BARON.

Il ne faut que demander à Monsieur les remèdes qu’il m’a donnés.

ROMARIN.

Je n’ai que faire de les lui dire.

PASQUIN.

Il n’en est pas besoin.

Il lui tâte le pouls.

Voici qui me le dira.

LE BARON.

Vous le devinerez à cela ?

PASQUIN.

Au pays dont je viens, on connaît au mouvement du pouls la cause d’une maladie, tous les accidents qu’a eus le malade, et tous les remèdes qu’il a pris...

MARTON.

Diantre !

LE BARON.

Et comment faites-vous ? il semble que vous jouiez de l’épinette.

PASQUIN bat avec ses doigts sur le bras du Baron.

C’est la manière des Chinois. Ah, ah, ah, je sens ici déjà... oui, que l’on vous a donné de l’algarot, de l’algarot.

LE BARON.

Il est vrai.

PASQUIN.

C’est fort bien fait. Ha, ha, ha, je, je touche ici l’or potable, l’or potable.

LE BARON.

Cela est encore vrai. Quel homme !

PASQUIN.

Cela était nécessaire. Ha, ha, ha, je sens ici passer par mes doigts liliums, antimoines, sels volatils, mercures, restaurants, élixirs, esprits du Soleil, sirops de longue vie, etc.

LE BARON.

Ô ! le grand homme ! Oui, Monsieur, j’ai pris de tout cela.

PASQUIN.

Parfaitement bien. Vous voilà préparé à miracle, et Monsieur est un très habile homme.

MARTON.

L’habile fourbe que voici !

PASQUIN.

Allons, dans moins de vingt-quatre heures vous n’aurez pas une goutte de bile rouge dans le corps, en faisant ce que je vais ordonner.

ROMARIN, au Baron.

Prenez garde à ce que vous ferez.

PASQUIN, à part.

La peste de l’homme !... au Baron, Monsieur, vous savez que chacun de nous a ses secrets, et qu’il n’est pas à propos que Monsieur sache...

ROMARIN, à part, en s’en allant.

Eh ! je n’en ai que faire. Il faut que je fasse suivre ce drôle-là par mon laquais lorsqu’il sortira d’ici, pour découvrir qui il est..

MARTON, bas.

Gare la cassette.

 

 

Scène VIII

 

LE BARON, PASQUIN, MARTON

 

PASQUIN.

Oh ! çà, Monsieur, avant que j’ordonne, çà, voyons, comment faisons-nous ?

LE BARON.

Quoi, Monsieur ?

PASQUIN.

Ne comprenez-vous pas ?

LE BARON.

Non.

PASQUIN.

Je vais donc m’expliquer. Êtes-vous riche ?

LE BARON.

Oh ! oh ! est-ce qu’il est nécessaire que vous sachiez cela ?

PASQUIN.

Oui, très nécessaire.

MARTON.

J’entends, Monsieur, ce qu’il veut dire. Ces Messieurs commencent toujours par faire leur marché ; après arrive ce qui peut.

PASQUIN.

Oui, ce sont-là nos statuts. Çà, combien avez vous de rente ?

MARTON.

Je vais parler pour vous. Monsieur peut avoir à peu-près vingt mille livres de rente.

LE BARON.

Eh ! pas tout-à-fait.

PASQUIN.

C’est-à-dire quinze, ou environ ? Eh bien, sur ce pied-là il faut consigner... Monsieur, je donne mes remèdes aux pauvres, et je les vends aux riches... il faut consigner... Au reste, je ne veux rien toucher que vous ne soyez guéri.

MARTON.

Cela est encore dans l’ordre. Avec ces Messieurs l’argent quelquefois peut être en sureté, on ne risque toujours que la vie.

PASQUIN.

Il faut donc consigner... oui, il me faut cela, cent louis seulement.

LE BARON.

Cent louis !

PASQUIN.

Et Monsieur, au prix des autres, je suis un gâte métier.

MARTON.

Il est vrai que nous en avons quelques-uns à Paris, qui écorchent diablement les gens qu’ils en voient en l’autre monde.

LE BARON.

Allons, qu’à cela ne tienne ; voilà une bague, que je consigne entre les mains de Marton pour les cent louis, que je payerai lorsque je serai guéri.

 

 

Scène IX

 

ÉRASTE, MARIANE, LE BARON, PASQUIN, MARTON

 

PASQUIN.

Ah ! voici des gens qui sont bien pressés.

ÉRASTE.

Nous venons savoir, Monsieur, si vous êtes content de celui que j’ai eu le bonheur de vous adresser.

LE BARON.

Ah ! Monsieur ! ah ! ma fille ! c’est le plus grand homme... il vient de la Chine.

MARIANE.

De la Chine !

MARTON.

Oui, Madame, où l’on a découvert depuis peu la bile rouge.

Tandis que le Baron dit ce qui suit, Mariane et Éraste parlent bas ensemble, et n’entendent point ce qu’il dit.

LE BARON.

Monsieur Diamantin, voilà ma fille, que j’ai promise à Monsieur, et quand je me porterai bien ils doivent épouser.

MARIANE.

Monsieur, guérissez vite mon père.

PASQUIN.

C’est ce que je vais faire. Oh ! çà, voici mon ordonnance.

Aux Amants.

Éloignez-vous un peu, vous autres : la moindre distraction que j’aurais lui pourrait couter la vie.

LE BARON.

Tenez-vous bien loin.

PASQUIN.

Fort bien. Premièrement, je vous défends, sur peine de mort, de manger ni de boire.

LE BARON.

Je m’en garderai bien.

PASQUIN.

Le remède que je vais ordonner vous nourrira suffisamment.

LE BARON.

Ne m’ordonnez rien, s’il se peut, de mauvais goût.

PASQUIN.

Non, non, ceci ne sera pas mauvais, et cette fille-là le fera faire chez-vous. Approche-toi.

MARTON.

Çà, que faut-il faire ?

PASQUIN, gravement.

Accipe... Tu n’entends pas le Latin ?

MARTON.

Non.

PASQUIN.

Il faut donc s’humaniser. Il faut prendre... Monsieur, à la Chine on traite les malades tout autrement qu’à Paris.

LE BARON.

Je le crois bien.

PASQUIN.

Il faut prendre... trente-sept onces de mouton de Beauvais.

LE BARON.

Du mouton ?

PASQUIN.

Oui, du mouton. Le mouton est un animal pacifique, qui calme les agitations de la bile.

MARTON.

Allons, trente-sept onces de mouton de Beauvais. Après ?

PASQUIN.

Autant de bœuf de Normandie.

LE BARON.

Du bœuf ?

PASQUIN.

Oui, du bœuf Le bœuf est un animal vigoureux, qui donne des forces pour l’expulsion.

MARTON.

C’est justement ce qu’il vous faut. Autant de bœuf de Normandie. Ensuite ?

PASQUIN.

Un gros chapon du Mans.

LE BARON.

Un chapon ?

PASQUIN.

Oui, un chapon. Le chapon a en soi un suc merveilleux pour les rougibilaires.

MARTON.

Un chapon du Mans. Est-ce tout ?

PASQUIN.

On fera infuser... c’est-à-dire, bouillir le tout ensemble pendant trois heures, dans trois pintes d’eau de rivière, après y avoir jeté trois dragmes de sel marin.

MARTON.

De sel marin.

PASQUIN.

Et après avoir fait des tranches de pain de Gonnesse, on répandra cette drogue en circulant...

En faisant la posture d’un homme qui trempe la soupe.

LE BARON.

Eh ! ventrebleu, vous m’ordonnez-là un potage.

PASQUIN.

Il est vrai ; mais quel potage ! Il y a dans ce potage plus de mystère que vous ne pensez. D’ailleurs, une poudre invisible que j’y mêlerai fera l’effet que je souhaite.

MARTON.

Il faut avouer que les Chinois ont inventé de belles choses.

LE BARON.

Eh ! bien, soit : que ne fait-on pas pour guérir ?

PASQUIN.

Avec cette drogue-là, dont vous prendrez la quantité que je vous prescrirai, vous avalerez une potion cordiale, que je vous...

LE BARON.

Je crains extrêmement les potions.

PASQUIN.

Celle-là ne sera pas bien difficile à prendre. C’est un élixir de certaines choses précieuses, infusées dans le meilleur vin qu’on peut trouver, et qui me changent ni le gout, ni la couleur du vin. Les Chinois, Monsieur, ont ceci de particulier, qu’ils donnent à leurs remèdes le gout des aliments, pour les rendre plus avalables.

MARTON.

Je ne m’étonne pas s’il nous vient de ce pays-là de si belles étoffes.

LE BARON.

En effet. Allons, il faut se laisser conduire.

PASQUIN.

Quand ce que je viens d’ordonner sera prêt, vous me ferez avertir ; et pour vous montrer que je suis sur de mon remède, j’en ferai l’épreuve devant vous, aussi bien que de la potion, que j’apporterai moi-même. Je suis un peu menacé de votre mal, et par précaution je ne serai pas fâché d’en prendre quelque peu.

LE BARON.

On ne peut pas être de meilleure foi.

PASQUIN.

Allez vous divertir, jusqu’à ce que cela soit fait ; et ce soir, quand vous vous mettrez au lit, ne manquez pas de vous coucher sur le côté gauche... ou sur le droit, comme il vous plaira. Allez.

 

 

Scène X

 

ÉRASTE, MARIANE, PASQUIN, MARTON

 

MARIANE.

Vous avez beau dire, Éraste, ces tendres sentiments ne seront pas de durée.

ÉRASTE.

Ah ! Mariane, je vous le proteste encore, rien au monde ne diminuera l’ardeur dont je brule, et je vous jure que ni l’absence, ni le temps, ni le mariage...

MARTON.

Monsieur, pour le mariage ne jurez point, je ne connais personne qui ne se soit parjuré.

ÉRASTE.

Non, Marton, mon amour...

MARTON.

Eh ! votre amour nous tiendrait ici le reste de la soirée, et il est question d’aller vite faire faire la soupe.

PASQUIN.

Eh ! bien, qu’en dites-vous ?

ÉRASTE.

Je crains que ce que tu fais ne tire en longueur, et il faut lui faire donner vite son consentement.

PASQUIN.

Monsieur, il faut commencer par le bien alimenter ; après laissez agir la potion cordiale : vous n’en savez pas encore toute la vertu. Je ne crains que ces maudits Empiriques.

MARTON.

Ne t’en mets pas en peine, je sais le moyen de t’en débarrasser.

MARIANE.

Je vais suivre mon père, pour l’entretenir dans la bonne disposition où il est.

Elle sort.

MARTON.

Moi, je vais faire exécuter ton ordonnance à notre cuisinier.

PASQUIN.

Allons, nous, Monsieur, chez d’Arboulin, nous faire donner six bouteilles de ma potion cordiale.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LE BARON, ROMARIN

 

LE BARON, en robe de chambre et en bonnet de nuit.

Oui, tandis qu’hier au soir vous étiez sorti pour aller chercher la cassette dont vous êtes encore en peine, Monsieur Diamantin, que j’attends ici, me donna le remède qu’on m’avait préparé : il m’en fit bourrer, mais bourrer comme il faut ; et il me faisait aussi avaler de temps en temps de grands verres de sa potion cordiale.

ROMARIN.

Si vous n’y prenez garde, cet homme-là vous empoisonnera.

LE BARON.

Oh ! pour cela non, ou bien il s’empoisonnerait lui-même ; car de tout ce qu’il me donne, il en prend beaucoup plus que moi.

ROMARIN.

Et ne vous dit-il point de quoi est composé ce qu’il vous donne ?

LE BARON.

Il n’en fait pas un secret, hors la poudre invisible qu’il y jette.

ROMARIN.

Bon, la poudre ! mais savez-vous le reste ? Je ne m’en informe que pour votre intérêt.

LE BARON.

Je ne sais pas si je m’en pourrai bien souvenir ; mais voici à peu près ce que c’est, et de quelle manière on le compose. Il faut prendre... Les Chinois donnent à leurs aliments le gout des remèdes, pour les rendre plus avalables.

ROMARIN.

Ce sont pures visions. Voyons ce beau remède.

LE BARON.

Il faut prendre... oui... j’y suis. Trois dragmes de pain de Gonnesse, en tranches, et le faire infuser... c’est-à-dire, bouillir, dans trente-sept onces de sel Marin ; oui, de sel Marin... et répandre ensuite de l’eau de rivière pendant trois heures... en circulant autour d’un chapon de Normandie, du mouton du Mans, et du bœuf de Beauvais. Je ne vous dis pas peut-être les choses dans l’ordre ; mais il y entre de tout cela.

ROMARIN.

Cependant, trente-sept onces de sel Marin empoisonneraient un diable.

LE BARON.

Il faut donc que la poudre le corrige ; car ce remède était d’un gout merveilleux. L’excellente chose encore que sa potion cordiale ! oui, j’aurais juré que c’était du vin de Champagne, et du meilleur.

ROMARIN.

C’en était peut-être ?

LE BARON.

Oh ! non, non, il y avait sur la fiole une grande inscription que j’ai lue.

ROMARIN.

Cet homme-là s’amuse à des sottises.

LE BARON.

Il vous estime beaucoup... Au reste, on m’a dit que Monsieur de Paquinoy doit revenir ce matin. Il faut s’en défaire honnêtement : c’est un homme qui a de beaux secrets, et je pourrais en avoir besoin quelque jour. Vous ne le connaissez pas ?

ROMARIN.

Non. Monsieur de Paquinoy ?... ce nom-là m’est entièrement inconnu.

LE BARON.

Il a dit la même chose de vous, et qu’il n’avait jamais ouï parler de Monsieur de Romarin.

ROMARIN.

C’est donc quelque nouveau venu, comme votre Chinois.

 

 

Scène II

 

PAQUINOY, LE BARON, ROMARIN

 

LE BARON.

Ah ! je parlais de vous à Monsieur.

PAQUINOY, regardant avec frayeur la porte par où Fribourg est venu.

Je suis homme de parole, comme vous voyez.

Il tousse.

Hé, hé, hé.

LE BARON.

Vous regardez fort cette porte-là. Comme vous êtes enrhumé, vous craignez peut-être le vent coulis ; je vais la fermer.

Tandis qu’il va fermer la porte, il leur donne le temps de faire leur aparté.

PAQUINOY.

Le vent coulis n’est pas ce que je crains ; mais c’est bienfait de la fermer, il ne vient rien de bon de ce côté-là.

ROMARIN, à part.

J’ai vu cet homme-là quelque part : il s’appelait autrement... Serviteur, Monsieur.

PAQUINOY.

Serviteur. il tousse. Hé, hé, hé... Cet homme-ci ne m’est pas inconnu : il avait un autre nom.

Il tousse.

Hé, hé, hé.

ROMARIN, à part.

C’est lui-même. Le drôle ne me reconnaît pas ; il faut que je le découvre.

PAQUINOY.

C’est lui assurément. Il ne se souvient pas de m’avoir vu ; il faut que je le fasse connaître.

 

 

Scène III

 

PASQUIN, LE BARON, PAQUINOY, ROMARIN

 

PASQUIN, au fond du Théâtre, où il a trouvé le Baron qui allait fermer la porte.

Bonjour, Monsieur. L’on va vous apporter tout à l’heure deux fioles de votre potion... Mais qu’est-ce que je vois ? on consulte sans me faire appeler ?

LE BARON.

Non, Monsieur : dès que la potion viendra je l’irai prendre.

PASQUIN.

Deux hommes de la profession céans d’intelligence contre moi ?

LE BARON.

Eh ! non non, ces deux Messieurs ne se connaissent seulement pas.

ROMARIN.

Il est vrai que je ne connais pas Monsieur sous le nom de Paquinoy ; mais je le connais fort bien sous celui du sieur Islander ; c’était au moins le nom qu’il portait, lorsqu’il prit la peine d’envoyer en l’autre monde une Dame de qualité de ce voisinage.

PAQUINOY.

Et croyez-vous que sous le nom de Romarin je ne reconnaisse pas le sieur de la Fumée ? C’était-là votre nom, lorsque vous empoisonnâtes...

LE BARON.

Eh ! Messieurs... Monsieur, pour l’honneur de la profession...

PASQUIN, à part-soi.

Il est vrai qu’ils seraient trop longtemps à se quereller. Eh ! doucement, Messieurs, doucement, de quoi diable vous piquez-vous ? Vous avez changé de nom l’un et l’autre : Eh bien, ne savez-vous pas qu’il est ordinaire aux plus grands hommes de notre profession d’en user ainsi ? Moi-même, je vous avouerai qu’il n’y a pas longtemps qu’on m’appelait le sieur Pasquin ; mais comme ce nom ne me parut pas convenable au métier que je fais, je ne fis pas scrupule d’en prendre un autre, et de me faire appeler le sieur Diamantin. Est-ce qu’il n’est pas permis, quand on ne se trouve pas bien d’un nom, d’en prendre un autre qui vous accommode ?

PAQUINOY.

Oui ; mais il m’accuse d’avoir tué...

ROMARIN.

Et lui d’avoir empoisonné...

PASQUIN.

Eh ! bien ; tué, empoisonné, qu’est-ce que tout cela ? Ne faut-il pas, pour nous rendre habiles, que nous fassions des expériences ? Malheur sur qui elles tombent. À présent, sans vanité, je guéris tous mes malades ; mais j’ai fait tout comme vous. Bon, empoisonné, tué, égorgé, ne sont-ce pas là les droits de notre apprentissage ?

PAQUINOY.

Oui ; mais sachez que ce ne fut pas moi qui tuai cette Dame du voisinage.

ROMARIN.

Vous lui donnâtes pourtant votre remède ?

PAQUINOY.

Il est vrai ; mais dans le temps qu’il commençait d’opérer elle eut peur, et envoya querir un Médecin.

PASQUIN.

Malè.

PAQUINOY.

Assurément, malè. Croiriez-vous, Monsieur, que ce désastreux Médecin n’eut pas plutôt mis pied à terre à la porte de la rue, que ma malade creva ?

PASQUIN.

Ah ! le bourreau !

LE BARON.

C’est tuer les gens de bien loin.

PASQUIN.

Oh ! çà, Messieurs, vous voilà d’accord, prenez la peine de...

 

 

Scène IV

 

MARTON, ROMARIN, PAQUINOY, PASQUIN, LE BARON, LE LAQUAIS portant deux grandes fioles

 

MARTON, à Romarin.

Monsieur, votre laquais est là, qui a quelque à vous dire de pressé.

ROMARIN, à part en s’en allant.

Il vient me donner assurément des nouvelles,

Montrant Pasquin.

de ce fourbe-là.

 

 

Scène V

 

MARTON, LE BARON, PASQUIN, PAQUINOY, UN LAQUAIS

 

MARTON, à Pasquin, lui montrant ce que porte le laquais.

Voilà, Monsieur, ce que votre Distillateur ordinaire nous a dit de vous apporter.

PASQUIN.

Ah ! fort bien. Allez vite avaler cela, en grignotant cette opiate,

Il tire de sa poche un grand biscuit.

à laquelle j’ai donné le gout d’un biscuit.

MARTON, à Paquinoy.

Monsieur, notre Fribourg vous baise les mains.

PAQUINOY.

Bon...

Il arrête le laquais.

Permettez, Monsieur, que je lise cette inscription... Ouais !

Il lit.

Potion cordiale, Rubanbri-Diamantine. Voilà un nom bien extraordinaire.

PASQUIN, lui ôtant la fiole.

Oh ! oh ! Voyez cela, c’est un élixir de rubis, d’ambre jaune, et de diamants potables.

MARTON.

Cette drogue doit être bien chère.

PASQUIN.

Oui, sans cela on en avalerait terriblement à Paris. Mais allez vite boire, il ne faut pas la laisser éventer.

LE BARON, à Paquinoy.

Serviteur, Monsieur, jusqu’au revoir.

PAQUINOY.

Ouais ! me faire appeler, et me planter-là ? Je ne sortirai point.

MARTON, en s’en allant, dit à part.

Je sais bien le moyen de te faire détaler : attends, attends.

 

 

Scène VI

 

PAQUINOY, PASQUIN

 

PAQUINOY, à part-soi.

Tâchons de gagner cet homme-ci. Monsieur, je sais que vous êtes un homme extraordinaire...

PASQUIN.

Il est vrai ; mais je vous prie de...

PAQUINOY.

Je vois que le malade de céans a pour vous une entière confiance...

PASQUIN.

Il a raison ; mais comme j’ai commencé à le traiter, trouvez bon que...

PAQUINOY.

Si vous voulez m’associer dans cette pratique.

Il tousse.

Hé, hé, hé.

PASQUIN.

Pour cette fois-ci laissez-moi le guérir, et une autre fois je vous le livrerai.

PAQUINOY.

Je vous ferai part d’un secret. Hé, hé, hé, hé.

PASQUIN, en sortant.

Quel diable d’homme ! Si Marton n’y vient donner ordre...

PAQUINOY.

Oui, d’un secret qui est souverain, hé, hé, hé, pour la poitrine, hé, hé, hé ; et infaillible, hé, hé, hé, hé, pour la toux. Hé, hé, hé, hé.

 

 

Scène VII

 

MARTON, PAQUINOY

 

MARTON.

Ah ! Monsieur !

PAQUINOY.

Qu’est-ce donc ?

MARTON.

Sauvez-vous...

PAQUINOY.

Et pourquoi ?

MARTON.

Et sauvez-vous, vous dis-je.

PAQUINOY.

Qu’ai-je à craindre ?

MARTON.

On avait mis en prison notre Suisse, pour avoir commis, dit-on, quelque irrévérence envers vous.

PAQUINOY.

Eh bien ?

MARTON.

Ce diable-là vous a entendu tousser ici, et il a enfoncé la porte...

PAQUINOY.

La porte ?

MARTON.

Oui, Monsieur ; il a pris son sabre, et il dit comme cela : Il faut que je li coupe son tête.

On fait du bruit.

PAQUINOY.

Quel bruit entends-je ?

MARTON.

Et ! c’est Fribourg qui vient.

FRIBOURG, sans être vu.

Mon camerate, prendre, toi, sti bâton ; prendre, moi, sti sabre,

Paquinoy s’ensuit.

 

 

Scène VIII

 

PASQUIN, MARTON, ROMARIN

 

MARTON, riant.

Ah, ah, ah, ah.

PASQUIN.

Le voilà parti. Ah ! voici l’autre.

MARTON.

Je l’aurai bientôt congédié.

ROMARIN, à part, au fond du Théâtre.

Je l’avais bien dit que mon laquais me portait des nouvelles de ce drôle-là... Ah, ah, Monsieur le fourbe.

PASQUIN.

Plaît-il ?

ROMARIN.

Vous venez de la Chine, dites-vous ?

PASQUIN.

Comment ?

ROMARIN.

Valet revêtu ! Je vais tout découvrir à Monsieur le Baron.

MARTON.

Il est enfermé.

ROMARIN, en s’en allant.

N’importe, je veux qu’il sache...

MARTON.

Monsieur, Monsieur, un mot. Vous a-t-on rendu fidèlement ce que l’on garantit hier du feu dans votre chambre ?

ROMARIN, revenant, et changeant de voix.

Je pense, qu’oui. Comment ?

MARTON.

Eh ! rien, Monsieur. Allez trouver Monsieur le Baron, je vous le dirai tantôt.

ROMARIN.

Non, non, dis seulement. Je suis en peine de certaine chose.

MARTON.

C’est, Monsieur, que lorsqu’on jetait vos meubles par les fenêtres...

ROMARIN.

Eh ! bien ?

MARTON.

Le Commissaire du quartier, qui avait accouru au feu, se saisit...

ROMARIN, alarmé.

De quoi ?

MARTON.

D’une bagatelle. Allez seulement, vous le saurez toujours.

ROMARIN.

Non, je le veux savoir. De quoi se saisit-il ?

MARTON.

Eh ! d’une méchante cassette seulement.

ROMARIN.

D’une cassette !

MARTON.

Oui, Monsieur. Il y avait dedans, à ce qu’on dit, quelques pièces d’argent... ou façon ; avec de petits instruments assez gentils.

ROMARIN.

Le Commissaire s’en saisit ?

MARTON.

Oh ! vous ne perdrez rien : c’est un homme fort exact, il en a chargé son procès-verbal ; et il est là en bonne compagnie, pour vous rendre le tout en présence de gens.

ROMARIN, s’enfuyant.

Il est là ? Diantre !

MARTON.

Je te répons de celui-là.

PASQUIN.

La peste, le joli petit métier ! Voilà à quoi aboutit ordinairement la soufflerie.

 

 

Scène IX

 

ÉRASTE, ARISTE, MARIANE, PASQUIN, MARTON

 

ÉRASTE.

Qu’a donc Monsieur de Paquinoy, qui court comme un fou ?

MARTON.

Il fuit la colère de Fribourg, Monsieur.

MARIANE.

Et Monsieur de Romarin, qui se sauve par la porte de derrière ?

MARTON.

Il fuit la croix du tiroir, Madame ; et je viens de faire céans fin d’Empiriques.

ARISTE.

Eh ! bien, Pasquin, comment se porte mon frère ?

PASQUIN.

Ma foi, Monsieur, je crois qu’à l’heure qu’il est... oh ! il commence à se bien porter.

MARIANE.

Serait-il possible ?

PASQUIN.

Oh ! oui, Madame. À présent Monsieur votre père doit avoir vidé, ou peu s’en faut, la seconde fiole de sa potion cordiale : la dose était honnête, et j’en attends un bon succès.

MARTON.

Oh ! çà, faisons donc ce que nous avons concerté tantôt ensemble. C’est un homme à qui on fait accroire tout ce que l’on veut : d’ailleurs, les vapeurs du vin, et la confiance qu’il a prise en toi, nous le feront emporter d’emblée.

ARISTE.

À tout hasard j’ai fait tout préparer pour les noces.

PASQUIN.

Je vous ai dit, Monsieur, qu’il me faut avoir sur moi cent louis.

ÉRASTE.

Je te les ai apportés, les voilà ; si tu réussis je te les donne.

PASQUIN, les mettant dans sa poche.

Il n’y a pas de plus sûre caution... Je l’entends. Tenez-vous là cachés quelque part, pour revenir, et nous laisser commencer, Marton et moi.

 

 

Scène X

 

LE BARON, PASQUIN, MARTON

 

LE BARON, un peu gai.

Ah ! parbleu, Monsieur Diamantin ! Monsieur Diamantin !

PASQUIN.

Eh bien, Monsieur ?

LE BARON.

J’ai bien arrosé la bile rouge.

MARTON.

Ah ! Monsieur, vous voilà parfaitement bien... Tenez, voilà votre bague, que Monsieur m’a dit de vous rendre.

LE BARON.

Ma bague ? et je ne lui ai pas encore donné les cent louis.

PASQUIN.

Pardonnez-moi, Monsieur, vous me les avez donnés.

LE BARON.

Comment ? je vous ai donné, moi, les cent louis promis ?

PASQUIN.

Oui, Monsieur.

LE BARON.

Oh, oh, diable m’emporte si je m’en souviens.

PASQUIN.

Je suis homme d’honneur, Monsieur, je suis payé.

MARTON.

Pourquoi vous le dirait-il ! reprenez votre bague.

Il la reprend.

LE BARON.

En effet... Parbleu, pourtant, plus j’y rêve, et moins...

PASQUIN.

Cela ne me surprend pas, Monsieur.

LE BARON.

Comment ?

PASQUIN.

C’est un effet de la potion que vous avez prise.

MARTON.

De la potion ?

Le Baron rêve.

PASQUIN.

Oui, Marton. Il y a dans cette potion-là une certaine drogue, qui fait que l’on oublie entièrement tout ce que l’on a fait ; on ne s’en souvient que quelque temps après.

MARTON.

C’est une chose admirable que les ouvrages de la Chine.

LE BARON.

Ouais ! il me semble pourtant... Mais, mais, mais, palasanbleu, puisqu’il le dit, il faut bien que cela soit. Voilà une plaisante potion !

MARTON.

Oui, Monsieur, qui fait que l’on paye ses dettes sans s’en apercevoir.

LE BARON.

Je sais pourtant le compte de mon argent : où ai-je pris celui que je vous ai donné ?

PASQUIN.

Si vous voulez, Monsieur, vous ne m’aurez pas payé : que m’importe ? redonnez la bague...

LE BARON.

Non, non, non, je ne dis pas cela : mais d’où l’ai-je pris cet argent ?

PASQUIN.

Un homme ne vous est-il pas venu payer certaine dette que vous ne saviez pas ? Il y avait cent louis, vous me les avez donnés ; les voilà encore.

LE BARON.

Oh ! la drôle de potion !

MARTON.

Tout prospère chez-vous, depuis que vous avez chassé Monsieur de Romarin.

LE BARON.

J’ai chassé, moi, Monsieur de Romarin ?

MARTON.

Vraiment, oui ; demandez s’il est au logis. Le Commissaire ne vous est-il pas venu faire des plaintes de lui ? ne vous en souvient-il pas ?

LE BARON, après avoir rêvé.

Non, parbleu.

MARTON.

Bon ! et si on ne l’avait fait sauver, il était pendu. Vous avez mis là les pièces fausses qu’on lui a trouvées, Tenez, les voilà encore.

Elle lui met, et retire de sa poche ce qu’elle dit.

LE BARON.

En effet... Ouais !... il faut donc, Monsieur, que ce soit la potion.

PASQUIN.

C’est cela même. Vous vous souviendrez demain de tout cela.

LE BARON.

Voilà, encore un coup, une drôle de potion !... Marton, ne lui aurais-je pas aussi donné, sans m’en apercevoir, de l’argent que quelqu’un m’eut apporté ?

MARTON.

Oh ! non, Monsieur.

LE BARON.

Pa, pa, passe pour le reste.

 

 

Scène XI

 

ARISTE, MARIANE, ÉRASTE, LE BARON, PASQUIN, MARTON

 

ARISTE.

Mon frère, je viens vous dire que, suivant l’ordre que vous m’avez donné...

LE BARON.

Quel ordre ?

ARISTE faisant le surpris.

Ah ! ah !

LE BARON.

Oui, quel ordre. Monsieur vous dira que je ne puis pas à présent m’en souvenir. Quel ordre, dites ?

ARISTE.

Eh ! de faire tout préparer.

LE BARON.

Quoi, préparer ?

ARISTE.

Que veut dire ceci ?

LE BARON.

On vous le dira. Quoi, préparer ?

ARISTE.

Eh ! ce qu’il faut pour leurs noces !

LE BARON.

La peste ! à Pasquin. Voici encore de la potion.

PASQUIN.

Justement.

MARTON.

Est-ce que vous auriez aussi oublié, Monsieur, que vous m’avez envoyé, moi, querir le Notaire ?

LE BARON.

Ah ! ah ! le Notaire ?

MARTON.

Vraiment, oui, Monsieur, le Notaire. Il a dressé leur contrat, vous l’avez dicté vous-même ; ne vous en souvient-il plus !

LE BARON après avoir rêvé, se tourne vers Pasquin.

La potion.

PASQUIN.

Oui, Monsieur.

LE BARON.

Eh !... l’ai-je signé ?

MARTON.

Vous avez dit, Monsieur, qu’il fallait le faire en présence des parents.

LE BARON.

Cela est dans l’ordre. Et les parents, m’ont-ils vu ?

MARTON.

Bon ! ils vous ont complimenté.

LE BARON.

Ouais ! voilà qui est admirable ! Et que leur ai-je répondu ?

MARTON.

Que vous étiez guéri, et que vous étiez charmé de ce mariage.

LE BARON.

Moi ?

PASQUIN.

Oui, oui ; j’y étais présent, Monsieur, et même vous avez fait sur cela un fort beau discours, que tout le monde a admiré.

LE BARON.

Parbleu, cela est trop plaisant ! Et vous ai-je invité à leurs noces ?

PASQUIN.

Vous m’avez fait, Monsieur, cet honneur-là.

LE BARON.

J’en suis vraiment ravi. Allons donc finir cette affaire-là tous ensemble ; et souvenez-vous de me faire prendre de cette potion-là quand il faudra payer la dot.


[1] Extrait d’une Lettre de M. Palaprat à M. Boudin, Premier Médecin de Madame la Dauphine.

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