Les Eaux du Mont-Dore (Eugène SCRIBE - Xavier-Boniface SAINTINE - Frédéric DE COURCY)

Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 25 juillet 1822.

 

Personnages

 

VALCOURT, commerçant

DESAULNAIS, médecin

ADOLPHE, son fils

QUINZE-SEIZE, prétendu d’Eugénie

FRANÇOIS, dit CHOCHO, garçon attaché à l’établissement

MADAME VALCOURT, femme de Valcourt

EUGÉNIE, fille de M. et de Mme Valcourt

ERNESTINE, fille de M. et de Mme Valcourt

BAIGNEURS et BAIGNEUSES

 

Aux eaux du Mont Dore.

 

Le salon de l’établissement ouvert dans le fond sur la campagne. Il est décoré et meublé avec élégance. Plusieurs portes latérales. Une harpe, un pupitre de musique, un guéridon.

 

 

Scène première

 

MADAME VALCOURT, EUGÉNIE, ERNESTINE, à une table à gauche, BAIGNEURS, BAIGNEUSES à d’autres tables, de l’autre côté

 

Au lever du rideau, on déjeune, on joue, on lit les journaux.

LES BAIGNEURS et LES BAIGNEUSES.

Air du Barbier de Séville.

Loin de la ville,
Dans cet asile,
Quel plaisir
De se réunir !
Dans cet asile
Pur et tranquille,
La gaieté
Tient lieu de santé.

MADAME VALCOURT.

Dans ce séjour, nulle de nous ne pense
À son ménage ainsi qu’à son mari ;
Cette fontaine est celle de Jouvence...

EUGÉNIE.

Ou bien plutôt c’est le fleuve d’Oubli.

TOUS.

Loin de la ville, etc.

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, ADOLPHE

 

MADAME VALCOURT.

Eh ! arrivez donc, docteur ! Vous venez bien tard aujourd’hui.

ADOLPHE.

Pardon, mesdames, de vous avoir fait al tendre. Je vous apportais vos lettres et vos journaux.

EUGÉNIE et ERNESTINE, se les disputant.

Ah ! quel bonheur ! quel bonheur ! à moi le Journal des modes.

MADAME VALCOURT, le prenant.

Non, mesdemoiselles, il est pour moi : le docteur ne m’a permis que celui-là.

ADOLPHE.

Oui, vous savez qu’au Mont-Dore les journaux n’arrivent qu’une fois par semaine ; nous tenons à la santé et aux plaisirs de nos malades.

À madame Valcourt, lui présentant une lettre.

Celle-ci est pour vous, madame Valcourt.

À Eugénie.

Oserais-je vous demander comment vous vous trouvez ?

EUGÉNIE.

Je ne sais ! depuis trois jours que nous sommes au Mont-Dore, j’éprouve un malaise, une agitation...

MADAME VALCOURT.

Oui, vraiment ; elle est triste, mélancolique, elle ne dort plus. Je vous la recommande, docteur, ainsi que moi. Je me sens un peu de langueur, de lassitude, quoique votre ordonnance d’hier m’ait assez réussi.

ADOLPHE.

J’étais sûr que le bal vous ferait du bien.

ERNESTINE.

Oh ! mon Dieu, oui ; car moi, à qui vous ne l’aviez pas ordonné, je m’en suis trouvée à merveille. Ma mère est bien heureuse d’avoir une maladie comme celle-là : si elle voulait changer avec moi !

ADOLPHE, à Ernestine.

Allons, ne vous fâchez pas ! nous verrons à arranger cela.

Air du Ménage de garçon.

Tous les tourments, le malheur même,
Ne doivent pas nous effrayer ;
On les guérit, c’est mon système,
Dès qu’on peut les faire oublier.
Oui, du plaisir la douce ivresse
Les adoucit pour un instant ;
Et si l’on s’amusait sans cesse,
On serait toujours bien portant.

MADAME VALCOURT.

Ah ! docteur, que votre système est consolant !

ADOLPHE.

Et vous, belle dame, vos migraines ?

MADAME VALCOURT.

Impossible d’y penser hier ! Vous savez comme nous avons été occupées ; mais je les attends aujourd’hui.

ADOLPHE.

Vous n’avez donc pas, ce matin, suivi l’ordonnance ?

MADAME VALCOURT.

Je ne pouvais pas : mon amazone n’était pas faite ; mais on va me l’apporter dans l’instant. Je vais monter à cheval ; après cela, deux ou trois parties de billard, et ce soir le concert, enfin tout le traitement que vous avez prescrit ! Ah ! docteur, quel ennui d’être obligée de soigner ainsi sa santé !

ADOLPHE.

Ce n’est pas pour vous, madame, mais pour vos amis, vos admirateurs, je dirais presque pour votre mari.

MADAME VALCOURT, qui, pendant ce temps, a décacheté la lettre.

Ah, mon Dieu ! ce que c’est que d’en parler ! Une lettre de lui.

EUGÉNIE.

Une lettre de mon père adressée ici !

MADAME VALCOURT.

Eh ! non ; il l’avait écrite à Paris, où il nous croit toujours, et on nous la renvoie sous enveloppe.

Lisant à demi-voix et très vite.

« Je suis à Lyon, ma chère amie, et j’espère, sous une quinzaine de jours, avoir le plaisir de vous embrasser. Je suis lâché d’avoir été obligé de le refuser la dernière demande. Pour l’en dédommager, je te prépare une surprise, ainsi qu’à ma fille Eugénie : je lui amène un prétendu ! »

ADOLPHE.

Un prétendu ! il serait possible !

ERNESTINE.

Un prétendu ! Ma sœur est bien heureuse d’être l’aînée.

EUGÉNIE.

Et que dira mon père en arrivant à Paris... et ne nous y trouvant pas ?

ADOLPHE.

Vous êtes moins touchée de son chagrin que de celui du prétendu.

EUGÉNIE.

Non, monsieur, cela m’est indifférent ; mais si mon père allait se lâcher !

MADAME VALCOURT.

Vous savez bien, mademoiselle, que votre père ne se fâche jamais quand je suis malade ; et c’est sa faute si je le suis dans ce moment. Nous laisser à Paris pendant la belle saison ; nous refuser une maison de campagne, ou du moins, en dédommagement, une loge à l’Opéra !... Il devait bien se douter que mes spasmes, mes nerfs, mes vapeurs me conduiraient au Mont-Dore ; trop heureuse encore qu’ils ne m’aient pas menée plus loin ! N’est-ce pas, docteur ?

ADOLPHE.

Oui, madame ; je prends sur moi toute la responsabilité. C’est moi qui vous ai conseillé le voyage, et qui me charge de vous sauver.

MADAME VALCOURT.

Ah ! docteur, je n’en doute pas ; vous avez tant de talent ! D’abord vous faites tout ce que je veux.

ADOLPHE.

Que voulez-vous ! c’est de la médecine moderne, il faut bien marcher avec son siècle !

Air du vaudeville du Mariage enfantin.

D’honneur, ma méthode est certaine
Et mon système est sans égal ;
Un concert traite la migraine,
Pour les vapeurs il faut un bal.
Au plaisir je veux qu’on se livre,
Qu’on s’amuse soir et matin.

MADAME VALCOURT.

Monsieur, je vous promets de suivre
L’ordonnance du médecin.

ADOLPHE, à Eugénie.

Guérir votre mélancolie,
Hélas ! ferait tout mon bonheur ;
Il faut pour cela, je vous prie,
N’écouter que votre docteur...
Des fats, dont la louange enivre,
Éviter le brillant essaim...

EUGÉNIE.

Monsieur, je vous promets de suivre
L’ordonnance du médecin.

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, FRANÇOIS

 

FRANÇOIS.

Mesdames, les chevaux et les calèches vous attendent.

EUGÉNIE.

Ce bon François nous sert avec un zèle, une assiduité...

ADOLPHE.

Oh ! nous nous connaissons depuis longtemps ! Nous sommes tous deux de ce pays... de l’Auvergne.

MADAME VALCOURT.

Allons, allons, parlons.

TOUS.

Loin de la ville, etc.

Ils sortent.

 

 

Scène IV

 

ADOLPHE, FRANÇOIS

 

FRANÇOIS.

Faut avouer, monsieur, que ces dames ont grande confiance en vous, et qu’elles ont bien raison. Je me rappelle, il y a longtemps, quand j’étais élève avec vous chez M. Desaulnais, votre père, un fameux médecin celui-là !... il disait toujours que vous ne feriez jamais rien ; et moi j’avais idée, au contraire, que vous iriez plus loin que lui.

ADOLPHE.

Tu crois ?

FRANÇOIS.

À propos de cela, j’ai un parent qui est à l’extrémité et sur lequel je voudrais vous consulter. Il n’y a que vous qui puissiez le tirer de là.

ADOLPHE.

Moi, mon garçon !

FRANÇOIS.

Oui, monsieur ; c’est mon beau-frère, un père de famille ; et vous jugez que s’il arrivait malheur...

ADOLPHE.

Ah ! mon Dieu ! quel parti prendre ? Écoute, mon garçon, tu n’hérites pas de ton beau-frère, n’est-ce pas ? Eh bien ! alors je te conseille, par intérêt pour lui, de t’adresser à un autre ; n’importe à qui, pourvu que ce ne soit pas à moi ; à M. Desaulnais, mon père ; un homme du plus grand talent. Tu sais bien, il demeure à Clermont.

FRANÇOIS.

On l’a bien prévenu ; mais je vous ai déjà dit que j’avais plus de confiance en vous. D’abord vous venez de Paris, et votre père n’est que de Clermont ; et puisque vous guérissez de belles dames, vous pouvez bien guérir un pauvre paysan : ça ne doit pas être si difficile.

ADOLPHE.

Mais je te réputé...

FRANÇOIS.

Air de Préville et Taconnet.

De vos refus je vois enfin la cause !
Ainsi qu’ ces dam’s j’ n’ons pas de l’or en main ;
On n’a pas l’ droit d’êtr’ malad’, je l’ suppose,
Quand on ne peut solder le médecin !
Pardon, monsieur, si ma franchis’ vous blesse,
Mais votre père agissait autrement ;
Et sa science et son talent
Il les faisait payer à la richesse,
Pour les donner gratis à l’indigent.

ADOLPHE.

Eh bien ! puisqu’il faut te le dire, apprends donc que je ne peux traiter que les gens qui se portent bien, et la raison, c’est que je ne suis pas médecin.

FRANÇOIS.

Comment ! vous n’êtes pas...

ADOLPHE.

Voilà deux ans qu’on m’a envoyé à Paris pour suivre mon cours de médecine et passer ma thèse, et je n’ai pas encore pris une seule inscription.

FRANÇOIS.

Fais alors comment se fait-il que vous soyez ici avec ces dames en qualité de...

ADOLPHE.

Mais je l’avoue qu’il s’est trouvé que...

FRANÇOIS.

J’y suis ! vous êtes amoureux d’une des deux sœurs, mademoiselle Ernestine, avec qui vous parlez toujours.

ADOLPHE.

Au contraire, c’est l’autre.

FRANÇOIS.

À qui vous ne dites jamais un mot ?

ADOLPHE.

C’est pour cela : depuis trois jours que nous sommes arrivés, impossible de me trouver seul avec elle ; sa mère ne nous quitte pas, et ce rôle de médecin est si difficile à soutenir !... Ah ! si tu voulais me rendre un grand service !...

FRANÇOIS.

Qu’est-ce que c’est, monsieur ?

ADOLPHE, tirant une lettre de sa poche.

Air : Lise épouse l’ beau Gernance. (Fanchon la vielleuse.)

Tiens, vois-tu, c’est cette lettre
Qu’il faut ici lui remettre.

FRANÇOIS.

J’ la glisserai dans sa main,
Au lieu d’un cachet de bain,
Comme un’ recette certaine,
Comme une ordonnance enfin
Qu’il faut qu’ la malade prenne
Pour sauver le médecin.

QUINZE-SEIZE, dans la coulisse.

Holà ! quelqu’un !

Il entre.

 

 

Scène V

 

ADOLPHE, FRANÇOIS, QUINZE-SEIZE en blouse à la mode

 

FRANÇOIS, regardant.

Qu’est-ce que c’est donc que ce monsieur ? Tiens, est-ce qu’on laisse entrer ici les rouliers ?

QUINZE-SEIZE.

Les rouliers !... Je vois d’où vient sa surprise, c’est mon costume qui produit son effet. Ce que c’est que d’être à cent lieues de Paris !

Air du vaudeville de Turenne.

Des élégants c’est, dit-on, la toilette ;
Enfin la blouse est la fureur du jour ;
Et celle-ci, monsieur, est si bien faite
Que, tout à l’heure, en entrant dans la cour,
Deux gros coursiers qui près de moi paraissent
M’allongent là... deux coups de pied... quel tact !
Je me suis dit : Le costume est exact.
Car les chevaux le reconnaissent.

Messieurs, excusez l’indiscrétion d’un voyageur ; je cherche le médecin de l’établissement.

FRANÇOIS, montrant Adolphe.

C’est monsieur.

ADOLPHE, bas.

Qu’est-ce que tu fais donc ?

FRANÇOIS.

Pourquoi pas ? Peut-être que celui-là n’a rien, cela vous fera un malade de plus.

Il sort en courant.

 

 

Scène VI

 

ADOLPHE, QUINZE-SEIZE

 

ADOLPHE, à part.

Que me veut cet original-là ?

QUINZE-SEIZE.

Monsieur, je ne suis pas positivement indisposé. En fait de malades, moi, je suis ce qu’on appelle un amateur.

ADOLPHE.

J’entends ; monsieur se traite pour son plaisir.

QUINZE-SEIZE.

Comme vous dites.

Air de Marianne. (Dalayrac.)

Il faut qu’ici je me délasse :
Je veux, si vous le trouvez bon,
Devant les eaux puisque je passe,
Les prendre par précaution.
Un mal peut naître,
Plus tard peut-être,
Mon médecin me les ordonnerait,
Et ce serait
Autant de fait.

ADOLPHE.

Si vous n’avez aucun mal ?

QUINZE-SEIZE.

C’est égal !
Je ne saurais, quoiqu’on en glose,
Même quand je me porte bien,
Passer devant un pharmacien
Sans prendre quelque chose.

Vous sentez bien alors que, puisque me voilà au Mont-Dore, je ne laisserai pas échapper une pareille occasion, même quand je devrais en être malade, parce que ça ne peut me faire que du bien.

ADOLPHE.

Monsieur vient donc exprès ?

QUINZE-SEIZE.

Non : je suis de Lyon ; et vous avez peut-être entendu parler de MM. Auguste Quinze-Seize et Compagnie, une maison de soieries assez connue. Je me rendais à Paris avec mon beau-père, un M. Valcourt, brave commerçant...

ADOLPHE, vivement.

M. Valcourt !

QUINZE-SEIZE.

Eh bien ! qu’avez-vous donc, et d’où vient cet air d’étonnement et d’effroi ?

ADOLPHE.

Rien. J’examinais les traits de votre visage, et je croyais...

QUINZE-SEIZE.

Il y a quelque chose, n’est-il pas vrai ? vous le pensez.

ADOLPHE.

Non, du tout. Vous dites que M. Valcourt...

QUINZE-SEIZE.

A été obligé de passer par la route de Clermont pour quelques affaires qu’il avait en Auvergne. Il a rencontré dans le village un ancien ami à lui, et pendant qu’ils causaient ensemble, je lui ai dit que j’allais entrer dans l’établissement des bains. Je vous prierais donc de m’expédier votre consultation pour que nous puissions remonter en voiture, et arriver à Paris pour épouser... Hein ! vous venez encore de faire un geste, et j’ai cru voir dans vos yeux... Décidément je suis malade, n’est-il pas vrai ? et ça ne m’étonnerait pas, parce que moi-même je ne me sens pas bien ; j’ai des douleurs dans la tête, comme ça, tout autour.

ADOLPHE.

Simple migraine, que le grand air dissipera.

QUINZE-SEIZE.

Vous croyez ? Je me sens pourtant des tiraillements là, dans l’estomac !

ADOLPHE.

Vous n’avez peut-être pas déjeuné ?

QUINZE-SEIZE.

C’est vrai ! je n’ai pas osé me risquer.

ADOLPHE.

Eh! bien ! reparlez à l’instant même, avec M. Valcourt, et faites un excellent déjeuner au Cheval-Blanc, à deux pas d’ici, c’est la seule bonne auberge qu’il y ait sur la route. Du reste, vous vous portez à merveille, voilà toute ma consultation ; j’ai bien l’honneur de vous saluer.

À part, en s’en allant.

Dieu ! sans que nous nous en doutions, quel danger nous menaçait !

Il sort.

 

 

Scène VII

 

QUINZE-SEIZE, seul, puis FRANÇOIS

 

QUINZE-SEIZE.

Je n’ai pas grande idée de ce médecin-là. Est-il ignorant ! il ne me trouve rien ; et cependant, avec ce que j’éprouve, je suis sûr qu’on pourrait faire quelque chose ; mais pour ça il faudrait quelqu’un qui sût eh tirer parti ; et ce n’est pas avec un médecin de province...

À François, qui lui présente un registre.

Qu’est-ce que tu veux ?

FRANÇOIS.

Je viens savoir si monsieur désire inscrire son nom.

QUINZE-SEIZE.

Pourquoi faire ?

FRANÇOIS.

Tous les personnages remarquables qui passent au Mont-Dore ont l’habitude d’écrire leur nom sur ce registre, et d’y ajouter une maxime, une vérité ou une pensée ingénieuse.

QUINZE-SEIZE.

Pour le coup, voilà une occasion que je ne laisserai pas échapper. Tu dis : une pensée ingénieuse ; combien de lignes ?

FRANÇOIS.

Ce que vous voudrez ; un mot, un impromptu...

QUINZE-SEIZE.

Un impromptu, c’est bon ! Laisse-moi réfléchir, et va-t’en.

FRANÇOIS.

Oui, monsieur.

Regardant à gauche.

Allons, encore des voyageurs ! ma foi, ils attendront. Je m’en vais guetter le retour de mademoiselle Eugénie pour lui glisser l’ordonnance.

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

QUINZE-SEIZE, assis devant la table et cherchant, DESAULNAIS, VALCOURT

 

VALCOURT.

Ce cher Desaulnais ! c’est charmant de se rencontrer ainsi ; j’aurais été te voir à Clermont.

DESAULNAIS.

Et moi, mon cher Valcourt, j’en arrive. Je venais ici pour le beau-frère d’un ancien domestique à moi, un pauvre diable assez malade, mais que je tirerai d’affaire.

VALCOURT.

Toujours dans la médecine !

DESAULNAIS.

Et toi, toujours dans le commerce !

VALCOURT.

Air : Le choix que fait tout le village. (Les Deux Edmond.)

Oui, le destin combla mes espérances.
Dans le commerce, utile parvenu,
Du sort pour moi j’ai vu tourner les chances,
Et j’ai déjà doublé mon revenu :
Laissant enfin toute affaire importune,
Je pourrais vivre au sein d’un doux loisir,
Et si je fais encor fortune,
Ce n’est plus que pour mon plaisir.

DESAULNAIS.

Ainsi que toi j’ai fourni ma carrière ;
Vingt ans j’ai fait le métier de docteur ;
Mais la retraite enfin est nécessaire,
Et maintenant j’exerce en amateur ;
Tout en faisant des visites maussades,
J’ai, comme toi, fini par m’enrichir,
Et si je fais quelques malades,
Ce n’est plus que pour mon plaisir.

VALCOURT.

Je l’ai amené ici pour te présenter mon gendre futur, à qui j’y avais donné rendez-vous.

S’adressant à Quinze-Seize.

Mon cher Quinze-Seize, c’est un de mes bons amis.

QUINZE-SEIZE.

Monsieur, j’ai bien l’honneur de vous saluer... c’est que je suis là occupé à un travail...

À part.

Diable de pensée ingénieuse ! je croyais que cela viendrait tout seul.

DESAULNAIS.

Faites, faites, monsieur ; que nous ne vous dérangions pas.

Prenant Valcourt à part de l’autre côté du théâtre.

Comment !

c’est là ton gendre ! cela me contrarie un peu ; moi, j’avais des vues pour mon fils.

VALCOURT.

Qu’à cela ne tienne, mon ami ; j’ai deux filles : je marie Eugénie qui est l’aînée ; mais dans quelque temps Ernestine pourrait convenir à ton fils. Ne m’as-tu pas dit qu’il étudiait la médecine ?

DESAULNAIS.

Du moins je l’ai envoyé à Paris pour cela ; mais il n’a pas l’air d’avoir une vocation bien décidée. Garçon charmant du reste ; de l’esprit, de la tournure... tu te rappelles comme nous étions à dix-neuf ans... une seconde édition. Ah çà, puisque nous voilà réunis, nous resterons quelques jours ensemble ; il me faut la huitaine.

VALCOURT.

La huitaine !

DESAULNAIS.

Oui. Tu n’es peut-être jamais venu aux eaux ? D’abord du temps que je te traitais, je ne t’y aurais jamais envoyé, cela ne sert à rien ; mais comme spectateur cela t’amusera : c’est un coup d’œil si rare... un mouvement perpétuel un véritable panorama vivant.

Air du Vaudeville de La Robe et les Bottes.

On y voit des ducs, des comtesses,
Des artistes et des joueurs.
Des actrices et des duchesses,
Des financiers et des danseurs ;
Plus d’un seigneur étranger qu’on ignore,
Gardant ici l’incognito, dit-on,
Et qui seraient plus inconnus encore
S’ils déclinaient leur véritable nom.

VALCOURT.

Tout cela est bien séduisant ; mais ma femme, mon bon Desaulnais, ma femme et mes filles qui m’attendent à Paris avec tant d’impatience !...

QUINZE-SEIZE.

J’ai fini. Tenez, beau-père, à votre tour si vous voulez écrire.

VALCOURT, prenant le registre.

Qu’est-ce que c’est ?

QUINZE-SEIZE.

On écrit là-dessus son nom, avec une maxime, une vérité, ou une pensée ingénieuse... Une maxime, c’est trop pédant ; une pensée ingénieuse, cela n’a souvent rien de solide ; j’ai préféré une vérité, parce que cela reste.

DESAULNAIS.

C’est juste : Rien n’est beau que le vrai.

VALCOURT.

Et quelle est cette vérité ?

QUINZE-SEIZE.

La voici : Auguste Quinze-Seize est venu le 25 juillet aux eaux du Mont-Dore et ne s’est pas baigné.

VALCOURT.

C’est incontestable.

Regardant le livre.

Et moi, qu’est-ce que je vois donc sur cette feuille ? C’est mon nom... et l’écriture de ma femme.

Lisant.

Madame Valcourt, 22 juillet... Plaisir est tout ; les heureux sont les sages.

DESAULNAIS.

La devise est jolie.

VALCOURT.

Je ne puis le croire encore.

Lisant toujours.

Même jour : Mademoiselle Ernestine Valcourt, mademoiselle Eugénie Valcourt... Plus de doute, ma femme et mes enfants sont ici ! Ah ! mon ami ! quel coup ! ils seront dangereusement malades ! et l’on ne m’écrit rien... on aura craint de m’effrayer.

QUINZE-SEIZE.

Oui, on aura voulu ménager notre sensibilité.

VALCOURT.

Holà quelqu’un ! garçon !

DESAULNAIS.

Mais calme-toi, mon ami, ne suis-je pas là ? Quel genre d’affection, à peu près, pourrais-tu soupçonner ?

VALCOURT.

Aucune, mon ami, aucune. Madame Valcourt avait bien quelques migraines, quelques maux de nerfs... comme toutes les femmes qui ont de la fortune et un mari complaisant ; mais cela ne lui prenait guère que lorsqu’elle avait du temps à elle... les jours de fêtes, les dimanches... Gardon ! garçon !... il n’y a donc personne ici ?

DESAULNAIS, regardant par la fenêtre.

Ils s’empressent tous autour d’une fort jolie cavalcade qui entre dans la cour ; ce sont, je le suppose, des gens de la maison.

VALCOURT.

Mon cher Quinze-Seize, allez aux informations, je vous prie ; ou plutôt lâchez de m’amener ici quelque personne de la société, je l’interrogerai moi-même.

QUINZE-SEIZE.

Oui, beau-père, fiez-vous à moi.

Il sort.

 

 

Scène IX

 

VALCOURT, DESAULNAIS

 

VALCOURT.

J’avoue que je suis d’une inquiétude pour ma femme...

DESAULNAIS.

Mais, mon ami, ce n’est pas raisonnable.

VALCOURT.

Tu ne veux pas que je m’inquiète, quand toute ma famille est aux eaux du Mont-Dore ?

DESAULNAIS.

C’est justement ce qui me rassure.

Air : Contentons-nous d’une simple bouteille.

On songe peu, lorsqu’on est bien malade,
À s’éloigner, à quitter son logis.
Que ma raison ici le persuade,
Et retiens bien cet important avis :
Bonheur, santé, qu’on estime à la ronde,
Sont deux grands biens fort semblables, je crois ;
Pour les chercher on va courir le monde,
Pour les trouver il faut rester chez soi.

 

 

Scène X

 

VALCOURT, DESAULNAIS, MADAME VALCOURT, à qui QUINZE-SEIZE donne la main

 

MADAME VALCOURT, à part, tenant un papier.

À peine trois jours, et déjà des mémoires !...

À Quinze-Seize.

Je suis à vous, monsieur.

QUINZE-SEIZE.

Excusez de grâce, madame... c’est mon beau-père qui désirerait savoir des nouvelles de sa femme, une dame excessivement malade.

MADAME VALCOURT.

Je lui en donnerai volontiers.

VALCOURT, apercevant sa femme.

Ah ! mon Dieu !...

MADAME VALCOURT tombe dans un fauteuil.

Ciel ! mon mari !

À Quinze-Seize.

Ah ! monsieur, c’est indigne ! dans l’état où je suis, m’exposer à de telles émotions, et sans me prévenir encore !...

À M. Valcourt.

Bonjour, mon ami ; je suis enchantée de vous voir, mais votre vue m’a fait bien du mal.

MADAME VALCOURT.

Il serait possible ! Mais n’est-ce pas vous qui, tout à l’heure étiez à la tête de cette cavalcade ?

MADAME VALCOURT, ayant l’air de parler avec peine.

Oui, par ordonnance. Vous saurez, mon ami... vous n’avez pas là de flacon ?... que j’ai eu des crispations nerveuses si horribles, que nous avons été obligées de quitter Paris, de venir ici sur-le-champ, et sans avoir eu le temps de vous en prévenir encore. C’est moins pour moi que pour mes enfants : Eugénie a des vapeurs... une tristesse... c’est presque le spleen.

QUINZE-SEIZE, à part.

Eugénie ! c’est celle que j’épouse ; comme c’est gai !

VALCOURT, à madame Valcourt.

Mais Ernestine ?

MADAME VALCOURT.

Oh ! Ernestine !... Ernestine, cet enfant-là on ne sait pas ce qu’elle a, c’est bien pire ; mais vous voilà, vous jugerez par vous-même du danger ! Les eaux n’ont pas pu nous faire encore grand bien ; d’abord nous n’avons pas encore eu le temps d’en prendre : nous sommes arrivées depuis trois jours... mais j’espère qu’à la fin du mois prochain...

VALCOURT.

Un mois et demi !

MADAME VALCOURT.

Oui, monsieur, il faut au moins une demi-saison ; sans cela tout ce que nous avons fait serait inutile... et je n’ai pas envie d’être toujours malade.

VALCOURT.

Alors ce sera comme vous voudrez, dès que cela peut vous faire plaisir...

À Desaulnais.

Qu’est-ce que tu dis de cela ?

DESAULNAIS.

Rien.

VALCOURT.

Cela ne t’effraie pas ?

DESAULNAIS.

Du tout.

VALCOURT.

Tu connais donc ce genre de maladie ?

DESAULNAIS.

Parfaitement.

VALCOURT.

Alors tu me rends l’espérance. Tu viendras nous voir, n’est-il pas vrai ?... tu ne nous quitteras pas ; et pour commencer, tu vas dîner aujourd’hui avec nous.

MADAME VALCOURT.

Impossible ; aujourd’hui nous dînons en ville.

VALCOURT.

Mais demain ?

MADAME VALCOURT.

Demain, nous avons une partie de cheval, et un déjeuner dînatoire à la grande cascade.

VALCOURT.

Mais le soir ?

MADAME VALCOURT.

Nous avons un bal, et après-demain un concert... J’en suis désolée ; mais la santé avant tout.

Air : De sommeiller encor, ma chère. (Fanchon la vielleuse.)

Le docteur veut qu’on se dissipe,
Et surtout qu’on change de lieu ;
Il nous prescrit, c’est son principe,
Le concert, le bal et le jeu ;
Avec soin il fait disparaître
Ce qui pourrait choquer nos yeux.

DESAULNAIS, bas à Valcourt.

Mais cela veut dire peut-être
Qu’il faut que nous partions tous deux.

VALCOURT.

Qu’est-ce que tu dis ? Voilà une singulière maladie.

DESAULNAIS.

C’est celle du pays. Je l’avais prévenu qu’elle était fort extraordinaire.

MADAME VALCOURT.

À propos, mon ami, vous ne pouviez arrivée dans un instant plus favorable ; il y a ici une foule de soins qui me fatiguent, qui m’obsèdent.

Lui donnant le papier qu’elle tient à la main.

Tenez, vous lirez cela... moi... avec mes migraines, il m’est impossible de m’en occuper.

VALCOURT.

Qu’est-ce que c’est ?

MADAME VALCOURT.

Le mémoire des frais causés par ma maladie et celle de mes enfants.

VALCOURT.

J’entends. Les juleps, les apozèmes... C’est trop juste...

Lisant.

« 1° parure de bal pour madame et mesdemoiselles, deux cents francs... »

MADAME VALCOURT.

Eh ! monsieur, il n’est pas nécessaire, vous examinerez cela à loisir.

VALCOURT, continuant.

« Deux robes de tulle, avec garnitures de roses et rouleaux de satin... »

MADAME VALCOURT.

Monsieur... je vous en prie... je souffre horriblement.

VALCOURT, de même.

« Trois robes du malin faites en blouses, et cætera, et cætera. »

MADAME VALCOURT.

Jamais mes nerfs n’ont été dans un étal plus irritable.

VALCOURT.

Et des chevaux... et des voitures... et cætera, et cætera... Total...

MADAME VALCOURT, criant comme si elle se trouvait mal.

Ah !

VALCOURT.

Eh ! mon Dieu, qu’avez-vous donc ?

MADAME VALCOURT.

Rien, monsieur... c’est mon accès qui vient de me prendre...

VALCOURT, la regardant avec intérêt.

J’espère que cela ne sera rien.

Reprenant le papier.

Total...

MADAME VALCOURT, criant plus fort.

Ah !

QUINZE-SEIZE.

Mais, beau-père, prenez donc garde.

MADAME VALCOURT.

Ah ! je n’y tiens plus... je vous demande la permission de me retirer, car à peine ai-je la force de me soutenir.

FRANÇOIS, annonçant.

Madame, c’est la couturière qui vous demande : elle dit que c’est pour essayer cette amaz...

MADAME VALCOURT.

Et moi qui l’ai fait attendre !... J’y vais dans l’instant.

À Desaulnais.

Pardon, monsieur, tantôt j’aurai le plaisir de vous recevoir.

À part.

Pourvu qu’elle ne l’ait pas manquée, elle qui fait toutes ses tailles trop longues !

Elle sort.

 

 

Scène XI

 

DESAULNAIS, VALCOURT, QUINZE-SEIZE

 

QUINZE-SEIZE, la regardant sortir.

Voilà, une petite femme qui est bien plus malade qu’elle n’en a l’air ; moi, je m’y connais, si elle ne se soigne pas...

VALCOUUT, à Desaulnais.

Sais-tu qu’en effet cet accès qui vient de lui prendre m’a effrayé ?

DESAULNAIS.

C’est ta faute. Tu t’obstines à répéter le mot qui lui fait mal.

VALCOURT.

Comment ?

DESAULNAIS.

Eh ! oui, ce mot-là... total... il y a des gens qui ne peuvent pas l’entendre.

Air : Je l’aimerai. (Blangini.)

C’est le total
Qui, sur les cœurs sensibles,
Produit toujours un effet capital :
Examinons tous les budgets possibles,
 Quel est le mot qui fait le plus de mal ?
C’est le total.

VALCOURT.

Voyons donc, maintenant qu’elle n’y est plus, peut-être en viendrons-nous à bout.

Lisant.

« Total... quatre mille francs. »

Laissant échapper le papier de sa main.

Ah ! mon Dieu !

DESAULNAIS.

Eh bien ! qu’est-ce que je te disais ? Tu vois bien que cela produit aussi sur toi un effet...

VALCOURT.

Quatre mille francs ! et j’ai beau regarder, il n’y a pas pour quinze francs de drogues.

DESAULNAIS.

C’est égal, elle avait raison, c’est un vrai mémoire d’ap...

VALCOURT.

J’entends... des bals, des chevaux, des dîners... voilà une maladie qui me coûtera cher.

DESAULNAIS.

Air : Il me faudra quitter l’empire. (Les Filles à marier.)

C’est un régime admirable, sans doute,
Et qu’on vient suivre ici lorsque l’on peut ;
Pour se traiter au Mont-Dore il en coûte,
Et n’est pas malade qui veut.
C’est un plaisir pour nos femmes jolies ;
Aussi plus d’une, en ses soins prévoyants,
Pendant l’hiver, fait des économies
Pour être malade au printemps.

VALCOURT.

El dis-moi un peu, que faut-il faire pour guérir ma femme ?

DESAULNAIS.

Commencer d’abord, toi qui parles, par te guérir de ta faiblesse, et après nous couperons court à la maladie. Je vais l’expliquer mon projet et te donner ma consultation.

QUINZE-SEIZE.

Et moi, beau-père, que vais-je devenir ?

VALCOURT.

Eh parbleu ! puisque ma fille est ici, cherche à la voir, à lui parler, à faire ta cour.

DESAULNAIS.

Sans doute ; c’est là le cas de mettre en avant les pensées ingénieuses.

Ils sortent.

 

 

Scène XII

 

QUINZE-SEIZE, seul

 

Faire ma cour ! faire ma déclaration ! ça leur est bien aisé à dire ; ils ne m’ont seulement pas présenté et je ne connais pas ma future ! Ah ! c’est le jeune médecin ; si je lui en parlais ?

 

 

Scène XIII

 

QUINZE-SEIZE, ADOLPHE

 

ADOLPHE.

Eh bien ! vous êtes encore ici ?

QUINZE-SEIZE.

Eh ! oui. Il est arrivé bien des événements depuis que je ne vous ai vu. M. Valcourt trouve ici sa femme et ses filles, et moi, ma prétendue ; et à propos de cela, il faut que vous me rendiez un service, c’est de me faire connaître et de me présenter à elle.

ADOLPHE, à part.

Eh bien ! par exemple !

QUINZE-SEIZE.

J’ai une déclaration à lui faire, par ordre supérieur.

ADOLPHE, à part.

Et je me laisserais prévenir par cet imbécile ! non, morbleu ! j’y mettrai ordre.

Haut, à Quinze-Seize.

Eh bien ! monsieur, puisque vous voulez bien que je vous serve de guide...

Il lui prend la main.

Eh bien ! qu’avez-vous donc ? vous tremblez.

QUINZE-SEIZE.

Moi ? du tout.

ADOLPHE.

Si, vraiment ! tressaillement intérieur ; attendez donc ! la peau moite, le pouls inégal...

QUINZE-SEIZE.

Qu’est-ce que vous dites donc là ?

ADOLPHE.

Ne vous effrayez pas. Transpiration gênée... vous n’avez rien pris, n’est-ce pas ?

QUINZE-SEIZE.

Non, monsieur.

ADOLPHE.

C’est bon. Je vous demande pardon, tantôt, de ne pas m’être aperçu sur-le-champ... nous autres médecins, nous ne pouvons pas deviner ; il nous faut des symptômes, et ceux-ci ne me laissent pas de doute.

QUINZE-SEIZE.

Là ! quand je vous le disais : je connais mon tempérament.

ADOLPHE, à part, voyant Eugénie qui entre.

Dieu ! c’est Eugénie !

 

 

Scène XIV

 

QUINZE-SEIZE, ADOLPHE, EUGÉNIE

 

EUGÉNIE.

Monsieur Adolphe, ma mère vous attendait.

ADOLPHE.

Pardon ; je suis à vous dans l’instant.

À Quinze-Seize.

Allez vite, mon cher, et ne vous exposez pas à l’air plus longtemps.

QUINZE-SEIZE, bas à Adolphe.

Dites donc, par hasard, ne serait-ce pas là ma future ?

ADOLPHE.

Non, c’est une de mes convalescentes.

QUINZE-SEIZE.

C’est dommage, elle est bien jolie.

ADOLPHE.

C’est bien dans votre état qu’il faut penser à cela !

EUGÉNIE, bas à Adolphe.

Quel est ce monsieur ?

ADOLPHE, à demi-voix.

Un Anglais attaqué de consomption, et qui n’a pas huit jours à vivre.

QUINZE-SEIZE.

Qu’est-ce que c’est ?

ADOLPHE, le poussant.

Rien ; faites ce que je vous ai dit.

EUGÉNIE, le regardant aller.

Pauvre Anglais !

QUINZE-SEIZE, à Adolphe.

Qu’est-ce qu’elle a donc, cette demoiselle ?

ADOLPHE, le reconduisant.

C’est qu’elle a encore l’esprit frappé de ce malheureux Anglais qui est venu l’autre jour prendre les eaux, comme vous, vous savez bien ?

QUINZE-SEIZE.

Mais non ; je ne le connais pas du tout.

ADOLPHE.

Ah ! oui, c’est vrai, il était mort quand vous êtes arrivé.

QUINZE-SEIZE.

Mort !

ADOLPHE.

Air du vaudeville de Michel et Christine.

Il est temps encor de s’y prendre,
Mais ne perdons pas un instant ;
Dans votre chambre il faut vous rendre
Et vous tenir bien chaudement.
Pour votre hymen, il faudra le remettre.

QUINZE-SEIZE.

À vos conseils je dois me confier ;
J’attendrai pour me marier
Que vous vouliez bien le permettre.

Il sort.

 

 

Scène XV

 

ADOLPHE, EUGÉNIE

 

ADOLPHE, à part.

Nous voilà seuls, allons, du courage !

Haut.

Comment vous trouvez-vous de votre promenade ?

EUGÉNIE.

Mal, monsieur le docteur ; et il en est toujours ainsi, excepté hier à ce bal ; pendant une heure, j’ai été plus à mon aise, je respirais plus librement.

ADOLPHE.

Dans quel moment ? est-ce lorsque vous dansiez ?

EUGÉNIE.

Non, c’est lorsque j’étais assise près de la cheminée, et que nous causions.

ADOLPHE, avec joie.

Bien vrai ?

EUGÉNIE.

Sans doute : est-ce qu’on ne dit pas toujours la vérité à son médecin ?

ADOLPHE.

Dites-moi, est-ce que François ne vous a pas remis de ma part...

EUGÉNIE.

Si, vraiment ; une ordonnance, a-t-il dit.

ADOLPHE, à part.

L’imbécile !

Haut.

Et vous ne l’avez pas lue ?

EUGÉNIE.

J’allais la lire ; mais puisque vous voilà, à quoi bon ? dites-moi vous-même, dites bien vite, car à chaque instant je sens que cela augmente.

ADOLPHE.

Même dans ce moment ?

 

 

Scène XVI

 

ADOLPHE, EUGÉNIE, VALCOURT

 

VALCOURT, à part.

Ma fille, et un jeune homme avec elle !

EUGÉNIE.

Encore plus, et c’est bien étonnant que cela redouble quand le médecin est là.

VALCOURT, de même.

Ah ! c’est un médecin !

Eugénie aperçoit son père, pousse un cri et tombe dans un fauteuil.

ADOLPHE.

Ah ! mon Dieu ! elle se trouve mal ; quel accident ! et quel parti prendre ? Un médecin, vite un médecin !

VALCOURT.

Mais ne l’êtes-vous pas vous-même ?

ADOLPHE.

Sans doute ; mais cela n’empêche pas... Un médecin !

VALCOURT.

J’entends, une consultation ? J’ai ce qu’il vous faut.

ADOLPHE.

Monsieur, je crois qu’elle revient à elle.

VALCOURT.

C’est égal.

Appelant à la porte à droite.

Mon ami, mon ami, arrive donc à notre secours.

 

 

Scène XVII

 

ADOLPHE, EUGÉNIE, VALCOURT, DESAULNAIS

 

DESAULNAIS.

Eh bien ! qu’y a-t-il donc ?

ADOLPHE l’aperçoit et s’écrie, en s’appuyant sur le fauteuil où est Eugénie.

Mon père !

EUGÉNIE, revenant à elle.

Mon père !

DESAULNAIS.

Ah çà ! mais c’est donc ici le rendez-vous des pères ? Mon cher Adolphe, que je t’embrasse encore !

À Valcourt.

Que je te remercie de m’avoir appelé !

VALCOURT.

Eh ! ce n’était pas pour cela, c’était pour mon Eugénie qui se trouvait mal, et que M. ton fils, tout médecin qu’il est...

DESAULNAIS, le quittant brusquement.

Qu’est-ce que tu me dis donc là ? mon fils serait médecin ! médecin à son âge ! et il exercerait !

EUGÉNIE.

Oui, monsieur, et avec beaucoup de succès : tout le monde en fait l’éloge.

DESAULNAIS.

Et moi qui avais des préventions contre lui ! Macte animo, generose puer, mon Adolphe, mon fils ! Qu’est-ce que je dis donc ? mon confrère en Hippocrate !

Air du vaudeville de La Somnambule.

Viens, mon cher fils, l’honneur de ton vieux père,
De mes talents sois l’unique héritier.
Ah ! pour mon nom quel avenir prospère !
Je ne mourrai pas tout entier.
Je te remets ma lancette fidèle,
Mes malades te reviendront,
Car il aura toute ma clientèle...
J’entends tous ceux qui resteront.

VALCOURT.

Eh ! de grâce, fais trêve à tes transports et occupe-toi de ma fille.

DESAULNAIS.

Pardon, mon ami : on est père avant que d’être docteur ! Je reviens à mon état et à ta fille : qu’est-ce qu’elle a éprouvé ?

VALCOURT.

Un évanouissement ; mais un évanouissement réel, tu entends ; et j’ai peur que celle-là ne soit malade tout de bon.

DESAULNAIS, à Adolphe.

Allons, monsieur le docteur, de par Corvisart et Galien, consultons : quid dicis ?

ADOLPHE, troublé.

Mon père, mademoiselle a été très indisposée... mais dans ce moment, je crois que ce n’est rien. Légère émotion causée par la surprise et la joie de revoir son père.

DESAULNAIS.

C’est vrai, très vrai. Mais, mon garçon, un air plus ferme, plus assuré : dans notre état, il ne faut jamais avoir l’air de douter de soi-même ; il y a déjà assez de gens qui doutent de nous !... Et explique-moi un peu quels ont été avant cet événement les développements de la maladie et le système que tu as employé.

À Valcourt.

Je te demande pardon, mon ami, mais je ne suis pas fâché de l’entendre raisonner médecine.

ADOLPHE.

Mais, mon père, dans un autre moment...

EUGÉNIE.

Eh ! pourquoi donc ? il me sera si doux de vous voir recueillir les éloges que vous méritez si bien !

ADOLPHE, à part.

Allons, et elle aussi... je ne m’en tirerai jamais.

DESAULNAIS.

Mademoiselle a raison ; c’est une modestie déplacée ; je serais si content de voir de toi une seule consultation, une seule ordonnance !

EUGÉNIE, à Desaulnais.

Oh ! si ce n’est que cela, j’en ai là une que je n’ai pas lue ; mais vous qui vous y connaissez mieux que moi, vous verrez bien ; tenez.

Elle lui donne le papier.

ADOLPHE, bas.

Qu’est-ce que vous faites donc ?

DESAULNAIS.

Ah ! ah ! elle est cachetée.

Lisant à demi-voix.

« Mademoiselle, si l’amour le plus tendre... »

S’interrompant.

Diable ! voilà une ordonnance singulièrement rédigée.

ADOLPHE.

Mon père...

DESAULNAIS.

J’entends bien : c’est la nouvelle méthode.

EUGÉNIE.

Mais c’est égal ! c’est très bien, n’est-ce pas ?

DESAULNAIS.

Oui, sans doute, c’est très fort, et cela devait produire beaucoup d’effet ; mais est-ce ainsi qu’il vous traite ?

EUGÉNIE.

Oui, monsieur, moi, ma sœur Ernestine, et puis ma mère aussi.

DESAULNAIS.

Ah ! mon Dieu ! toute la famille !

VALCOURT.

Qu’est-ce que tu as donc, mon ami ? est-ce qu’il y aurait du danger ?

DESAULNAIS.

Peut-être, mon ami, peut-être ; mais heureusement j’y vais mettre bon ordre.

Air du vaudeville de L’Écu de six francs.

Un docteur séduire une belle !
Est-ce donc la mode à Paris ?
Ah ! si la Faculté s’en mêle,
Que vont devenir les maris ?
Un simple galant les irrite ;
Mais c’est bien plus cruel vraiment
De voir tous les jours un amant
Dont il faut payer la visite.

Appelant.

François, faites demander des chevaux de poste, et qu’on les attelle à la berline de monsieur.

À Valcourt.

D’après le compte que tu m’as rendu, j’ai vu clairement les causes de la maladie de ta femme ; c’est cette maison de campagne, cette loge à l’Opéra, que tu lui as refusées...

VALCOURT.

Comment ! tu crois réellement...

DESAULNAIS.

Inde mali labes... Les voici venir ! du caractère ; et dans un instant j’aurai guéri toute ta famille.

 

 

Scène XVIII

 

ADOLPHE, EUGÉNIE, VALCOURT, DESAULNAIS, MADAME VALCOURT, ERNESTINE

 

DESAULNAIS, allant au-devant d’elles.

Eh bien ! comment vous trouvez-vous ?

MADAME VALCOURT, étourdiment.

À merveille, monsieur.

Se reprenant.

Ah ! mon Dieu, ce que c’est que l’habitude !... très mal, monsieur, vous êtes bien bon ; on ne peut pas plus mal.

DESAULNAIS, bas à Valcourt.

En ce cas, tu ne risques rien ; commence l’attaque.

VALCOURT.

Je suis désolé de ce que vous me dites là, ma chère amie, car je reçois à l’instant des nouvelles importantes qui m’obligent à retourner sur-le-champ à Paris, et il faut que je vous emmène tous : nous ferons comme nous pourrons ; nous voyagerons à petites journées, et puis ayant avec vous votre médecin...

MADAME VALCOURT.

Mon ami, je ne demanderais pas mieux que de vous être agréable ; mais vous ne m’auriez pas fait une pareille proposition, si vous saviez ce qui vient de m’arriver : une crispation nerveuse tellement forte, qu’Ernestine, qui en a été témoin, en est malade elle-même ; n’est-ce pas, ma fille ?

ERNESTINE.

Oui, maman.

MADAME VALCOURT, l’embrassant sur le front.

Cette chère enfant ! je ne la laisserai certainement pas partir dans cet état.

VALCOURT, bas à Desaulnais.

Mais, dis donc, mon ami, si réellement elles étaient malades, il ne faudrait pas frapper un coup d’autorité.

DESAULNAIS, de même.

Allons, voilà que tu faiblis déjà ! je vois bien qu’il faut changer de batterie ; laisse-moi faire.

Haut à madame Valcourt.

Et dans ce moment, madame, qu’est-ce que vous éprouvez ?

MADAME VALCOURT.

Un malaise général et une fièvre ardente.

DESAULNAIS, lui tâtant le pouls.

Voyons ! voyons !

MADAME VALCOURT.

Ah ! mon Dieu, est-ce que monsieur est médecin ?

VALCOURT.

Oui, madame, médecin très distingué, et le père de M. Adolphe.

MADAME VALCOURT, voulant retirer sa main.

Mais, monsieur, dans ces cas-là, on le dit.

DESAULNAIS, retenant toujours la main.

Permettez donc ! en effet, pulsation très fréquente, une fièvre très forte.

VALCOURT, qui, pendant ce temps, a pris l’autre main de sa femme.

C’est singulier ; elle ne l’a pas de ce côté-ci.

DESAULNAIS.

C’est ce que nous appelons une fièvre inégale, intermittente. Madame ne peut pas partir, non plus que ces demoiselles ; il faut qu’elles restent.

MADAME VALCOURT.

Ah ! docteur, que nous sommes heureuses de vous avoir trouvé ! vous viendrez souvent consulter avec votre fils.

DESAULNAIS.

Non, madame, il faut que mon fils retourne à Paris : monsieur l’emmène ; mais moi, je suis du pays, je reste avec vous, je ne vous quitte pas.

MADAME VALCOURT.

Vous me rendez la vie.

Regardant le père et le fils.

Il paraît que dans votre famille, monsieur, les talents sont héréditaires, et je me remets aveuglément entre vos mains.

EUGÉNIE, à part.

Moi pas ; je n’ai pas confiance en celui-là, et on ne devrait pas changer ainsi de médecin.

MADAME VALCOURT, à M. Valcourt.

Ainsi, mon cher ami, nous vous donnerons de nos nouvelles ; retournez à Paris, tranquillisez-vous, et laissez-moi de l’argent, car nous n’en avons plus, et il en coûte si cher pour être malade !

VALCOURT, tirant son portefeuille.

Au fait, si vous n’en avez pas, c’est trop juste.

DESAULNAIS, lui repoussant la main.

Du tout, mon ami ! il n’est pas besoin : j’espère qu’entre nous il ne sera jamais question d’honoraires ; et pour le reste, je me ferai un plaisir de l’avancer, ça n’ira pas bien loin, pour une centaine de francs on ne manque pas de quinquina.

MADAME VALCOURT.

Comment, du quinquina !

DESAULNAIS.

Dame ! quand on a la fièvre, mon fils vous le dira, il n’y a pas d’autre remède.

MADAME VALCOURT, à part.

Mais c’est un âne que ce docteur-là !

DESAULNAIS.

Nous remplacerons les cavalcades et les grands dîners par du repos et par la diète ; et quant au bal, il faudra bien y renoncer, attendu que je compte employer les sinapismes.

MADAME VALCOURT.

Comment ! monsieur !

DESAULNAIS.

Air : On dit que je suis sans malice. (Le Bouffe et le Tailleur.)

Ah ! vous ne me connaissez guères ;
Bien différent de mes confrères,
Moi, je guéris, oui, c’est mon fort ;
Près d’eux cela me fait du tort :
Guérir, voilà mon bien suprême,
Au point qu’avec les gens que j’aime,
Je les rends malades exprès,
Afin de les guérir après.

MADAME VALCOURT.

Mais, monsieur, permettez donc...

DESAULNAIS.

Ce que je plains le plus, c’est ce pauvre Valcourt, qui va s’en retourner tout seul à Paris, loin de sa femme, de ses enfants : que veux-tu, mon ami, il faut se faire une raison ; tâche de t’amuser, de l’étourdir ; tu auras plus de facilité qu’un autre, ayant ta loge à l’Opéra.

MADAME VALCOURT.

Comment ! mon ami !

ERNESTINE.

Comment ! mon père !

MADAME VALCOURT.

Vous aviez l’intention...

DESAULNAIS.

Oui, il hésitait encore ; c’est moi qui l’y ai décidé, ainsi que cette belle maison de campagne qu’il vient d’acheter à Saint-Mandé, exprès pour y faire la noce de mademoiselle Eugénie et de sa sœur Ernestine. Mais des noces, des prétendus, tout cela peut se retrouver ; l’essentiel est de se bien porter : la santé avant tout.

MADAME VALCOURT.

Comment, mon ami ! vous avez enfin acheté cette superbe terre ? Imaginez-vous, monsieur, un parc charmant qui touche au bois de Vincennes, et un air pur, délicieux ; il est impossible d’y être malade, tellement que, si je l’avais su, nous n’aurions pas fait ce voyage : il y a salle de spectacle, salle de billard et salle de bain. Vous voyez qu’il était inutile de venir au Mont-Dore.

ERNESTINE.

Sans compter qu’il doit y avoir une salle de bal, puisque mon père parlait d’y faire deux noces.

VALCOURT.

Certainement, une rotonde au milieu du jardin.

ERNESTINE.

Ah ! maman ! quand verrons-nous tout cela ?

MADAME VALCOURT.

Mais bientôt, car si tu te trouves mieux et que cela te fasse tant de plaisir, j’essaierai, malgré mes maux de nerfs, de partir avec ton père.

VALCOURT.

Quoi ! ma chère amie, vous consentiriez...

MADAME VALCOURT.

Pourvu qu’on aille très vite, et que cela ne fasse pas de mal à Ernestine.

ERNESTINE.

Moi ! aucunement.

DESAULNAIS.

Vous n’êtes donc plus malade ?

ERNESTINE.

Dès que maman le veut bien...

DESAULNAIS.

Voilà la petite fille la plus obéissante ! Je te disais bien, mon ami, qu’avant une demi-heure tout le monde serait guéri.

EUGÉNIE.

Il faut alors que j’aie bien du malheur, il n’y a que moi qui ne le suis pas.

DESAULNAIS.

Cela, c’est différent ! c’est un traitement particulier.

À Valcourt.

Et il faut que j’aie là-dessus une consultation avec toi.

VALCOURT.

Moi, mon ami ! je ne suis pas médecin.

DESAULNAIS.

C’est égal ; il faut que tu me donnes ton avis sur cette ordonnance de mon fils. Tiens, lis.

VALCOURT, lisant.

Ah ! mon Dieu ! mais ce pauvre Quinze-Seize que j’ai amené avec moi de Lyon pour épouser ma fille !

MADAME VALCOURT.

Comment ! ce monsieur que j’ai vu tantôt ici avec vous ? c’est lui que vous voulez me donner pour gendre ?

EUGÉNIE.

Cet Anglais, qui n’a pas huit jours à vivre ?

VALCOURT.

Lui ! du tout, c’est un gros gardon qui se porte bien et qui n’a pas envie d’être malade.

 

 

Scène XIX

 

ADOLPHE, EUGÉNIE, VALCOURT, DESAULNAIS, MADAME VALCOURT, ERNESTINE, QUINZE-SEIZE, en robe de chambre, en bonnet et en pantoufles

 

QUINZE-SEIZE, à la cantonade.

Chaud, chaud ! faites chauffer mon bain, trente degrés, entendez-vous ? Ah ! c’est vous, beau-père !

VALCOURT.

Ah çà ! mon ami, quel est ce costume ?

QUINZE-SEIZE.

Vous voyez l’uniforme de la maison.

Montrant Adolphe.

Monsieur m’avait déjà effrayé sur mon état ; mais je me suis dit : deux avis valent mieux qu’un, et j’ai fait monter dans ma chambre le médecin des eaux.

ADOLPHE, à part.

Ah ! mon Dieu !

QUINZE-SEIZE, toujours à Adolphe.

Je lui ai dit votre opinion ; il m’a regardé, et m’a trouvé encore plus mal que vous !

ADOLPHE, à part.

Allons, voilà un confrère qui n’est pas fort !

DESAULNAIS, allant à Quinze-Seize qu’il prend par la main.

Comment, monsieur ! le médecin des eaux et mon fils vous ont trouvé malade ?

QUINZE-SEIZE.

Oui, monsieur.

DESAULNAIS.

Alors, cela doit être, et je vois...

MADAME VALCOURT.

Je vois, moi, que monsieur ne peut pas se marier.

QUINZE-SEIZE.

Ah ! bien oui ! me marier, il s’agit bien de cela !

DESAULNAIS, à Valcourt.

C’est ce que j’allais te dire. Et mon fils qui se trouve après lui le premier en date !...

QUINZE-SEIZE.

Ah çà ! qu’est-ce que cela signifie ?

ADOLPHE.

Que j’épouse à votre place, et que, n’ayant plus besoin de votre indisposition, je vous rends la santé.

QUINZE-SEIZE.

Laissez donc !

ADOLPHE.

Oui, monsieur, je vous répète que vous n’êtes pas malade.

QUINZE-SEIZE.

Je vais peut-être donner là-dedans ! ce n’est pas vous que je croirai, vous qui êtes mon rival : je m’en rapporte au médecin des eaux ; c’est un honnête homme, celui-là ! il m’a fait prendre douze cachets, et je ne partirai d’ici que quand ils seront employés ; j’en veux pour mon argent.

VALCOURT, à Desaulnais.

Allons, mon ami, puisqu’il le veut absolument, je le laisse entre tes mains.

DESAULNAIS.

Sois tranquille ; je te promets de le surveiller, et il faudra bien malgré lui qu’il se résigne à se bien porter.

MADAME VALCOURT.

Et nous, parlons ; il me tarde d’être à Paris.

DESAULNAIS.

J’entends, pour les deux noces, nunc est bibendum.

VALCOURT.

Oui, ne pensons qu’à la joie.

QUINZE-SEIZE.

C’est cela ! vive la joie !... je m’en vais prendre une douche.

Vaudeville.

Air du vaudeville de L’Artiste.

DESAULNAIS.

Il est pour les migraines,
Comme pour chaque mal,
Des recettes certaines,
D’un effet général :
À tous ceux qui soupirent,
Aux grands comme aux petits,
Donnez ce qu’ils désirent,  }
Et les voilà guéris !             } (Bis.)

MADAME VALCOURT.

Voyez ce pauvre diable
Qui vient de s’enrichir,
Soudain l’ennui l’accable,
Adieu gaîté, plaisir,
Son âme est dure et fière...
Ah ! par bonté pour lui,
Rendez-lui sa misère,         }
Et le voilà guéri.                  } (Bis.)

ERNESTINE.

Maint amant, c’est l’usage,
Languit la nuit, le jour ;
Avant le mariage,
S’il meurt déjà d’amour,
Impossible qu’il vive
Quand il sera mari...
Eh bien, l’hymen arrive,      }
Et le voilà guéri.                  } (Bis.)

ADOLPHE.

Les grenadiers de France
Se passent du docteur,
Et jamais la souffrance
N’enchaîne leur valeur ;
S’ils furent par Bellone
Blessés pour leur pays,
Que la trompette sonne.     }
Et les voilà guéris !             } (Bis.)

VALCOURT.

Un oncle que j’honore
Avait, pour son malheur,
La fièvre... et, plus encore,
Il avait un docteur ;
Déjà s’ouvrait sa tombe,
Quand soudain. Dieu merci,
Son médecin succombe,     }
Et le voilà guéri.                   } (Bis.)

EUGÉNIE, au public.

Du public, leur vrai maître,
Redoutant la rigueur,
Nos auteurs sont peut-être
Malades de frayeur ;
Cachés dans la coulisse,
Par la fièvre ils sont pris...
Mais que l’on applaudisse, }
Et les voilà guéris !              } (Bis.)

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