Les Curieuses (Henri MEILHAC - Arthur DELAVIGNE)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase, le 17 octobre 1864.

 

Personnages

 

LE VICOMTE ALEXANDRE

MONSIEUR PUCK

ISTWANN

LA COMTESSE ISMAIL

MADAME DE LAUWEREINS

FRANCINE

 

Paris de nos jours.

 

Le boudoir de Nina, le soir. Porte d’entrée à gauche ; piano et canapé à droite ; guéridon au milieu. Au fond, cheminée à glace sans tain laissant voir un salon. Portes dans les pans coupés.

 

 

Scène première

 

ISTWANN, FRANCINE

 

ISTWANN, entrant par la gauche.

Vous auriez dû me le dire.

FRANCINE, entrant après Istwann.

Vous auriez dû me le demander.

ISTWANN.

Ah !

FRANCINE.

Qu’avez-vous à me reprocher, enfin ?... Il vous fallait pour quarante-huit heures un appartement meublé. – Il vous le fallait ce soir même... Je vous ai dit que vous pouviez disposer de celui-ci ; ce qui est exact, puisque ma maîtresse a quitté Paris hier et qu’elle ne reviendra pas avant huit jours... Vous avez accepté.

ISTWANN.

Je vous répète que vous auriez dû me dire que votre maîtresse s’appelait...

FRANCINE.

Et je vous répète, moi, que vous auriez dû...

ISTWANN.

Voyons, en courant à la gare, j’aurai le temps peut-être.

Il regarde à sa montre.

Eh ! non... je n’aurai pas le temps.

On sonne.

C’est elle, sans doute.

FRANCINE.

Je vais ouvrir ?...

ISTWANN.

Non... Si...

Avec abattement.

Allez ouvrir, puisqu’il n’y a pas moyen maintenant.

Francine sort.

 

 

Scène II

 

ISTWANN, puis LA COMTESSE ISMAIL et FRANCINE

 

ISTWANN.

Quelle affaire, mon Dieu, quelle affaire !... Comment oserai-je lui avouer ?... Et qu’est-ce qu’elle va dire quand elle saura que je l’ai exposée à mettre les pieds ?...

FRANCINE.

Par ici, madame.

Entre la comtesse ; elle examine tout. Istwann s’incline profondément.

LA COMTESSE.

Je suis très satisfaite, monsieur l’intendant.

ISTWANN.

Madame la comtesse...

FRANCINE, stupéfaite.

Comtesse !...

LA COMTESSE.

Très satisfaite... Et vous avez donc poussé le zèle jusqu’à de viner que j’aurais besoin d’une femme de chambre.

ISTWANN.

Comment ?

FRANCINE, s’avançant.

Francine, c’est mon nom. À partir de maintenant, si madame la comtesse le permet, je serai au service de madame la comtesse.

ISTWANN, à part.

Il ne manquerait plus que ça !

LA COMTESSE, à Francine.

Approche un peu, toi. Sais-tu que tu es gentille, et comme tu as bien la mine de l’emploi... Regardez-la, Istwann, une vraie mine de rouée. Tu es tout à fait rouée, n’est-ce pas ?

FRANCINE.

Mais, madame...

Coup de sonnette.

LA COMTESSE.

On sonne ?

FRANCINE.

Vous croyez, madame ?

LA COMTESSE.

Comment !... je crois ?...

FRANCINE.

C’est vrai, madame ; on sonne... je sais ce que c’est... ce n’est rien du tout.

Elle sort.

 

 

Scène III

 

ISTWANN, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE.

Eh ! dites-moi, c’est bien à la fin de cette semaine que le comte arrive de Londres ?

ISTWANN.

À la fin de cette semaine, oui, madame, mais...

LA COMTESSE.

Qu’est-ce qu’il y a donc ? Comme vous avez une drôle de figure.

ISTWANN.

Pardonnez-moi, madame, je vous supplie de me pardonner.

LA COMTESSE.

Et quoi donc, s’il vous plaît, vous pardonner ?

ISTWANN.

L’hôtel que madame doit habiter à Paris ne pouvait être prêt que dans deux ou trois jours... Alors, madame m’a ordonné de lui chercher un appartement tout meublé.

LA COMTESSE.

Et vous avez tout de suite trouvé celui-ci dont je suis très contente.

Coup de sonnette.

À cela près que je trouve que l’on y sonne un peu trop souvent.

ISTWANN.

Ne restez pas ici, madame !

LA COMTESSE.

Comment !

ISTWANN.

Je vais faire avancer une voiture, et madame pourra ne pas rester une minute de plus...

LA COMTESSE.

Et pourquoi donc, dites-moi ?

ISTWANN.

Parce que cet appartement...

LA COMTESSE.

Eh bien ?

ISTWANN.

Encore une fois, madame, pardonnez-moi, parce que cet appartement est celui de mademoiselle Nina.

LA COMTESSE.

Et qu’est-ce que c’est, je vous prie, que cette Nina...

ISTWANN.

Mais c’est une femme, je ne sais comment dire à madame... une jolie femme qui...

LA COMTESSE.

Ah ! bien ! Je m’explique donc, à présent, pourquoi l’on sonne si souvent.

ISTWANN.

C’est seulement depuis tout à l’heure que je sais...

La comtesse le regarde, et après un instant, éclate de rire.

LA COMTESSE.

Ainsi, je suis chez... ?

ISTWANN, se dirigeant vers la porte.

Je vais faire avancer la voiture.

LA COMTESSE, en examinant de nouveau l’appartement.

Oui, oui ! j’ai osé pas mal de choses dans ma vie, mais j’avoue que celle-là... Et pourtant, avoir, le plus innocemment du monde, une si belle occasion de voir un peu ce qu’il nous est tout à fait interdit de regarder... Avoir, à sa portée, du fruit si prodigieusement défendu... Quelle tentation, dites-moi, quelle tentation !...

ISTWANN.

Je vais faire avancer...

LA COMTESSE.

Tout à l’heure, donc. Certes, je n’aurais pas eu l’idée de venir ici... mais puisque j’y suis... grâce à vous.

ISTWANN.

Oh ! madame.

Coup de sonnette.

LA COMTESSE.

Elle reçoit décidément très nombreuse compagnie, mademoiselle Nina ! et, à en juger d’après l’appartement, cette compagnie ne doit pas être des plus mal choisies... Qui sait ?... peut-être même, parmi les gens qui viennent ici, y en a-t-il que je serais exposée à rencontrer dans le monde...

ISTWANN.

Sans aucun doute, madame.

LA COMTESSE.

Peut-être même y en a-t-il que j’ai déjà vus... chez moi, dans mon salon ! Mais quelle différence, n’est-ce pas, entre la façon dont ils parlaient chez moi et celle dont ils parlent ici ?... Il y avait des gens d’esprit chez moi ; il y avait aussi des bêtes... Mais ici, je suis sûre, ceux qui sont bêtes le sont autrement, ceux qui ont de l’esprit doivent avoir de l’esprit d’une autre manière... Et peut être bien que ceux qui étaient spirituels chez moi sont tout à fait bêtes ici, et qu’au contraire... Comme cela me plairait de savoir toutes ces choses ! et comme il me serait facile si je voulais...

ISTWANN.

Facile !... Madame la comtesse a dit qu’il lui serait facile ?

LA COMTESSE.

Certainement. Tous ces gens qui viennent, si on les laissait entrer en leur disant... que sais-je, moi ?... en leur disant, par exemple, qu’il y a ici une amie de mademoiselle Nina, comme je rirais. Et plus tard, si j’allais les retrouver chez moi... ou autre part...avec leur air digne et toutes leurs décorations ! Ah ! je rirais bien, alors, je rirais comme j’aime rire !

ISTWANN.

Madame la comtesse rirait certainement, mais...

LA COMTESSE.

Mais ?...

ISTWANN.

Ces gens qui feraient rire madame la comtesse se rappelleraient l’avoir vue dans l’appartement de mademoiselle Nina. Ils parleraient, sans doute, l’aventure serait connue, et...

LA COMTESSE.

Monsieur l’intendant !

ISTWANN.

Madame.

LA COMTESSE.

Voulez-vous me dire comment on m’appelle ?

ISTWANN.

Comment on appelle...

LA COMTESSE.

Oui, dites-moi, je vous prie ?

ISTWANN.

La comtesse Ismaïl...

LA COMTESSE.

Eh bien ! tâchez donc de vous souvenir que lorsqu’on a l’honneur d’être appelée ainsi, on est au-dessus de tous les bavardages. Et puis, que me fait l’opinion de vos Parisiens, un peuple de vaudevillistes... Ils sont donc bien amusants, par exemple... mais qui s’occupe de ce que cela dit et de ce que cela pense ?

ISTWANN.

Encore un mot : madame veut-elle me permettre ?... Jamais les gens qui viennent ici ne pourraient prendre madame pour une amie de mademoiselle Nina.

LA COMTESSE.

Et pourquoi cela, dites-moi ?

ISTWANN, embarrassé.

Mais parce que madame n’a pas du tout les airs d’une personne de ce genre.

LA COMTESSE.

Vous trouvez ?

ISTWANN.

Certainement.

La comtesse le regarde une seconde fois et répond par on nouvel éclat de rire.

LA COMTESSE.

Eh bien tu es une bête !... La petite alors... la petite, c’est la femme de chambre de mademoiselle Nina ?...

ISTWANN.

Oui, madame.

La comtesse sonne.

LA COMTESSE.

C’est elle qui, en l’absence de sa maîtresse, a eu l’idée de louer l’appartement.

FRANCINE, entrant par la gauche.

Madame !

LA COMTESSE.

Reste-là, nous causerons tout à l’heure ; tu ne peux pas te figurer comme ça me paraîtra drôle de causer avec toi...

À Istwann.

Istwann, vous allez tout de suite vous occuper de me trouver un autre appartement ; j’attendrai ici que vous ayez trouvé.

ISTWANN.

Comment !

LA COMTESSE.

Tâchez de mieux choisir, cette fois... Vous avez une heure à vous pour bien choisir, une heure pas plus.

ISTWANN.

Mais, madame...

LA COMTESSE.

Je ne suis pas mécontente, Istwann, vous pouvez me laisser maintenant.

Mouvement d’Istwann.

Vous pouvez me laisser.

Istwann s’incline et sort.

 

 

Scène IV

 

LA COMTESSE, FRANCINE

 

LA COMTESSE, s’asseyant sur le canapé.

Je suis seule, enfin, avec toi... Comme cela m’amuse... Approche. – Est-ce que tu as peur ?...

FRANCINE.

Non, madame.

LA COMTESSE.

Le fait est que tu n’as pas l’air timide... N’est-ce pas que tu n’es pas timide du tout ?... Approche donc encore... Tiens, mais tu as une très jolie main, toi. – Donne un peu... Elle est vraiment jolie. – Regarde la mienne... Qu’est-ce que tu en dis ?... Ce ne sont pas tes Parisiennes qui ont des mains comme cela...

FRANCINE.

Je les en défie, madame.

LA COMTESSE.

Et ta maîtresse... est-ce qu’elle est aussi gentille que toi... ta maîtresse ?...

FRANCINE.

Oh ! que non, madame...

LA COMTESSE.

Elle est jeune ?...

FRANCINE.

Peuh !... Elle ne songe pas encore à entrer au théâtre... mais ça ne tardera pas...

LA COMTESSE.

Ce qui veut dire qu’elle n’est pas loin de la trentaine ? N’est-ce pas, comme je comprends bien ?... Et dis-moi, personne ne sait qu’elle n’est pas chez elle ce soir, la maîtresse ?...

FRANCINE.

Oh ! quand il lui arrive de faire de ces petites fugues, elle n’a pas beaucoup l’habitude de prévenir son monde.

LA COMTESSE.

De sorte que ces pauvres gens qui espèrent la trouver et qui viennent ?...

FRANCINE.

Le groom leur dit qu’il n’y a personne, et ils s’en vont.

LA COMTESSE.

Désolés ?...

FRANCINE.

Désolés... oui, madame.

LA COMTESSE.

Il ne faut donc pas... Va dire au groom que s’il vient quelqu’un maintenant, il ne faut pas renvoyer.

FRANCINE.

Madame !...

LA COMTESSE.

Va tout de suite, petite...

Francine sort.

 

 

Scène V

 

LA COMTESSE, se levant et se regardant

 

Qu’est-ce qu’il disait donc tout à l’heure, Istwann, que l’on ne pourrait pas me prendre pour une amie de mademoiselle Nina, et que je n’ai pas du tout les airs ?... Il me semble que lorsque je veux m’en donner la peine... Il est fâcheux, vraiment, que mon mari ne soit pas là... j’aurais pu lui demander... il doit s’y con naître... car si les renseignements que je recevais là-bas sont exacts, il paraît que pendant mon absence...

En riant.

Pauvre cher, j’étais si loin...

Rentre Francine.

FRANCINE.

On ne renverra plus, madame, on recevra.

LA COMTESSE.

Bien. Voici maintenant ce que tu auras à dire à ceux qui viendront... Tu diras qu’il y a ici une amie de ta maîtresse... Voyons, il me faut un nom et une histoire, afin qu’on ne s’étonne pas de ne pas me connaître... Tu diras que je m’appelle Fanny Lear.

FRANCINE.

Fanny Lear...

LA COMTESSE.

Et que j’arrive d’Écosse où je suis restée deux ans. – Est-ce entendu ?

FRANCINE.

C’est entendu, madame.

LA COMTESSE.

Comme cela m’amuse !... Et ils sont bien drôles, n’est-ce pas, les gens que l’on voit ici d’ordinaire ?...

FRANCINE.

Ça, madame, ça dépend des jours.

LA COMTESSE.

Ah ! ça dépend... Et aujourd’hui, dis-moi ?...

FRANCINE.

Peuh !...

LA COMTESSE.

Comme tu me fais peur... Est-ce que parmi ceux qui viennent, il y en aurait d’ennuyeux ?

FRANCINE.

Il y en a d’assommants, madame...

LA COMTESSE.

Oh ! mais alors... si c’était justement ceux-là qui ce soir ?...

Coup de sonnette.

FRANCINE.

Voici quelqu’un, madame.

LA COMTESSE.

Est-ce qu’n va donc être assommant celui-là ?

FRANCINE.

Je ne sais pas, madame, mais nous allons savoir en voyant la carte.

LA COMTESSE.

Va donc, petite...

Entre un petit groom portant une carte. Francine remonte et la prend.

Eh bien ?...

FRANCINE.

C’est monsieur Puck.

LA COMTESSE.

Monsieur Puck...

FRANCINE.

Madame le connaît ?...

LA COMTESSE.

Je ne l’ai jamais vu, mais j’ai entendu parler de lui comme d’un banquier d’une haute intelligence... Un homme un peu sérieux, peut-être... Est-ce qu’ici ?...

FRANCINE.

Ah ! enfin, madame va voir...

LA COMTESSE.

Oh ! mais avant, dis-moi donc ?... Istwann prétendait tout à l’heure qu’on ne s’y tromperait pas, et que jamais on ne pourrait me prendre pour une personne comme...

FRANCINE.

Comme ma maîtresse...

LA COMTESSE.

Justement.

FRANCINE.

Voyons un peu... si madame veut me permettre...

Elle examine la comtesse qui marche devant elle.

LA COMTESSE.

Eh bien ?

FRANCINE.

Soyez sans inquiétude, madame.

LA COMTESSE.

N’est-ce pas ?... Istwann ne sait ce qu’il dit... Tu peux donc faire entrer M. Puck.

FRANCINE.

Oui, madame.

La comtesse sort par la droite.

 

 

Scène VI

 

FRANCINE, puis PUCK, air, costume, voix très sérieux

 

FRANCINE, allant à gauche.

Faites entrer.

LE GROOM, annonçant.

Monsieur Puck !

Entre M. Puck.

FRANCINE.

Comment va la Bourse, monsieur ?

PUCK.

Mais... pas mal... et vous ?...

FRANCINE.

Moi, je vais très bien... Dites donc, monsieur, écoutez-moi un peu...

PUCK.

Qu’est-ce que c’est, voyons ?

FRANCINE.

Est-ce qu’il y aura de la baisse ?... Tâchez, monsieur.

PUCK.

Ça vous serait agréable ?...

FRANCINE.

Énormément...

PUCK.

Je ferai mon possible, alors...

FRANCINE.

Merci, monsieur.

PUCK, à part.

Nina va venir...

FRANCINE.

Qu’est-ce que vous faites ?

PUCK, s’agenouillant derrière le canapé de façon à être caché.

Taisez-vous... taisez-vous !...

FRANCINE.

Pourquoi vous mettez-vous là ?

PUCK.

C’est pour faire rire Nina... quand elle va entrer !

FRANCINE.

Mais elle ne va pas entrer, monsieur.

PUCK.

Comment, elle ne va pas ?...

FRANCINE.

Non, monsieur, madame a été obligée d’aller à Fontainebleau... voir sa mère.

PUCK.

Comme c’est désagréable. Elle savait pourtant bien que je devais venir ce soir. – Elle le savait, cette chère enfant.

FRANCINE.

Elle sera ici demain... ou après-demain.

PUCK, se relevant.

Je ne peux pas rester là jusqu’à... comme c’est désagréable !... moi qui m’étais mis là pour la faire rire, il n’y a personne !

FRANCINE.

Si, une amie de madame.

PUCK.

Peuh ! une amie... faire rire les amies, c’est la besogne de mon secrétaire... Et comment est-elle cette amie ?

FRANCINE.

Oh ! monsieur...

PUCK.

Allons donc !

FRANCINE, lui montrant au fond la comtesse qui traverse le deuxième salon.

Et tenez ! la voilà.

PUCK, se cachant.

Ne dites rien, alors.

FRANCINE.

Soyez tranquille.

Entre la comtesse par l’angle de gauche.

 

 

Scène VII

 

FRANCINE, PUCK, LA COMTESSE

 

LA COMTESSE, après avoir regardé autour d’elle d’un air étonné.

Eh bien, où est donc monsieur Puck ?

FRANCINE.

Je ne sais pas, madame.

LA COMTESSE.

Est-ce qu’il est parti ?

PUCK, derrière le canapé.

Ouah ! ouah !

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que c’est que cela ?

FRANCINE.

Je ne sais pas, madame.

PUCK.

Ouah ! ouah !

LA COMTESSE.

Mais qu’est-ce que c’est donc que cela, à la fin ?

PUCK, se montrant sans se relever.

C’est moi, chère enfant.

LA COMTESSE.

Comment... c’est vous... monsieur Puck ?

PUCK.

Lui-même.

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que vous faites-là ?

PUCK.

Je fais le chien... pour vous faire rire.

LA COMTESSE.

Je vous suis donc bien obligée.

PUCK, se relevant.

Mais, chère enfant... laissez-moi vous dire... La soubrette de Nina ne m’a pas trompé... vous êtes vraiment très bien...

LA COMTESSE.

Vous trouvez ?

PUCK.

Très bien !...

À Francine.

Va-t’en... va-t’en...

FRANCINE.

N’oubliez pas, monsieur...

PUCK.

Quoi donc ?

FRANCINE.

De la baisse, monsieur, de la baisse !

Elle sort par la gauche.

 

 

Scène VIII

 

PUCK, LA COMTESSE

 

PUCK, prend les cartes qui sont sur la table et commence à les ranger.

Très originale !

LA COMTESSE, s’asseyant sur le canapé.

Dites-moi, je vous prie, vous êtes bien monsieur Puck ?

PUCK.

Vous me demandez ?...

LA COMTESSE.

Je vous demande si vous êtes bien monsieur Puck... l’homme sérieux, l’homme connu ?

PUCK, souriant.

L’homme profond...

LA COMTESSE.

Oui.

PUCK.

Sans doute... c’est bien moi.

LA COMTESSE.

Et il n’y en a pas un autre ?

PUCK.

Un autre Puck ?... certainement non... Pourquoi me demandez-vous cela ?

LA COMTESSE.

Pour rien, donc...

PUCK.

Très originale !... Je vous demande pardon... il me faut de la place pour mes cartes... beaucoup de place...

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que vous faites-là ?

PUCK, s’asseyant.

Une réussite... C’est à propos d’une affaire, d’une affaire grave... il s’agit de savoir si je donnerai un dividende à mes actionnaires, ou si je ne leur en donnerai pas...

LA COMTESSE.

Ah ! fort bien...

Jusqu’à la fin de la scène Puck place et déplace ses cartes.

PUCK.

Et vous vous appelez ?... Francine ne m’a pas dit...

LA COMTESSE.

Fanny Lear...

PUCK.

Fanny Lear... c’est charmant... connais pas du tout... et je n’étonne de ne connaître ni le nom, ni la femme, ayant, dès mes plus tendres années, pris l’habitude de consacrer à la galanterie tous les instants que me laissaient les affaires.

LA COMTESSE.

J’arrive d’Écosse, j’y suis restée deux ans.

PUCK.

Avec un petit amant ?

LA COMTESSE, s’oubliant.

Qu’est-ce que vous dites ?

PUCK.

Je dis que vous êtes restée en Écosse avec un petit amant.

LA COMTESSE.

Ah ! oui, au fait, avec un petit amant... ou deux... ou trois... ou quatre...

PUCK.

Ou cinq...

LA COMTESSE, à part.

Je me fais dire de jolis mots, moi, dans mes parties de plaisir.

Haut.

Mettez donc votre sept sur votre huit...

PUCK.

C’est vrai.

LA COMTESSE.

Et le valet sur la dame.

PUCK.

C’est vrai encore, vous connaissez, il paraît ?...

LA COMTESSE.

Comme vous voyez...

PUCK.

Très originale... il faudra que nous dinions un jour ensemble...

LA COMTESSE.

J’en serai donc bien contente, je vous assure...

PUCK.

Quel jour, alors... voyons... Cette semaine, c’est impossible... mais lundi, voulez-vous... oh ! non, au fait, pas lundi, mais à partir de lundi...

LA COMTESSE.

Pourquoi pas lundi ?

PUCK.

Parce que je dine chez le comte Ismail...

LA COMTESSE.

Chez le comte ?

PUCK.

Ismaïl... un grand diner donné pour célébrer son installation définitive ; il quitte Londres et il se fixe à Paris. La comtesse doit être en route pour venir le rejoindre.

LA COMTESSE, contenant à peine son envie de rire.

Et vous y serez à ce dîner... vous y serez, bien sûr ?

PUCK.

Certainement !... Qu’est-ce que vous avez à rire et à me regarder comme ça ?

LA COMTESSE.

Rien... le neuf sur le dix...

PUCK.

J’allais le mettre.

LA COMTESSE.

Continuez, maintenant.

PUCK.

Je n’ai plus de cartes.

LA COMTESSE, se levant et passant devant lui.

Eh bien... elle est manquée votre réussite...

PUCK.

Elle est manquée... c’est très fâcheux... Mais enfin, qu’est-ce que vous voulez ?... je ne donnerai pas de dividende à mes actionnaires... je m’y attendais, du reste... elle ne se fait jamais...

LA COMTESSE.

Et... dites-moi, je vous prie... c’est de cette façon habituellement que vous traitez les affaires ?

PUCK.

Seulement celles qui sont importantes... quant aux autres, c’est mon secrétaire qui s’en occupe... Vous me quittez ?

LA COMTESSE, remontant.

Soyez donc tranquille, cher, nous ne tarderons pas à revoir.

PUCK.

Mais, chère enfant...

LA COMTESSE.

Nous nous reverrons bientôt. Je vous le promets... et ne manquez pas, je vous prie, de vous exercer en attendant... car, la première fois que nous nous rencontrerons, je vous jure bien, donc, que je vous demanderai de faire le chien.

Elle sort par l’angle de droite et en sortant ferme la porte.

 

 

Scène IX

 

PUCK, voulant pousser la porte et la trouvant fermée

 

Vous me demanderez... Eh bien ! mais... elle s’en va ; qu’est-ce que cela veut dire ? Restez donc, Fanny ; je vous entends rire... revenez par ici, nous rirons ensemble... je sais qu’il faut être gai avec les femmes, et puisque cela vous amuse de m’entendre faire le chien, je le ferai encore... ouaou... ouaou, le petit chien... et puis le gros bouledogue... Ouah ! ouah !

Le vicomte Alexandre est entré depuis quelques instants.

 

 

Scène X

 

PUCK, ALEXANDRE, puis FRANCINE

 

ALEXANDRE, aboyant avec fureur dans le dos de Puck.

Oouaou !... ouaou...

PUCK, se retournant effrayé.

Qu’est-ce que c’est ? Le vicomte !... toujours adorable...bonsoir mon jeune ami...

ALEXANDRE.

Bonsoir ! que diable faisiez-vous là ?

PUCK.

Je faisais...

ALEXANDRE.

Vous faisiez ouah... ouah...

PUCK.

Oui, oui, un gros rhume, j’étais en train de tousser... vous avez cru peut-être... je toussais, mon ami, je toussais.

ALEXANDRE.

Vous l’avez vue, cette femme, cette amie de Nina ?

PUCK.

Fanny Lear !... Prodigieuse, mon ami... elle est là... derrière cette porte... unissons nos voix, elle ne saurait résister.

ALEXANDRE.

Croyez-vous ? Ouaou ! ouaou !

PUCK.

Non ! non !... venez, chère enfant.

ALEXANDRE.

Ne venez pas, madame, je vous en prie...

PUCK.

Qu’est-ce que vous dites donc ?... n’avez-vous pas envie de la voir ?

ALEXANDRE.

Si fait... mais il me semble que je la verrai bien mieux... quand vous ne serez pas là pour la regarder avec moi.

PUCK, riant.

C’est-à-dire que vous me priez de...

ALEXANDRE.

Avouez que j’aurais un moyen bien simple de vous y décider.

PUCK.

Quel moyen ?

ALEXANDRE.

En vous menaçant d’aller raconter partout ouah !... ouah !

PUCK.

Mais puisque je vous affirme...

Entre Francine.

FRANCINE.

Monsieur Puck...

PUCK.

Francine...

FRANCINE.

Madame me charge de vous répéter, encore une fois, ce qu’elle vous a dit en vous quittant : vous la reverrez, vous la reverrez certainement...

PUCK.

Maintenant, je puis partir.

FRANCINE.

N’oubliez pas ce que vous m’avez promis, monsieur ?

PUCK.

Qu’est-ce que je vous ai promis ?

FRANCINE.

De faire votre possible pour qu’il y ait de la baisse.

PUCK, souriant.

Elle a donc vendu, la petite fille...

FRANCINE.

Oui, monsieur, les actions que vous m’aviez données.

PUCK.

Elle a du flair...

Au vicomte.

Toute plaisanterie à part, vous savez que je toussais tout à l heure, là, à celle porte... je toussais... si vous avez cru autre chose, vous vous êtes trompé.

Il sort.

 

 

Scène XI

 

ALEXANDRE, FRANCINE

 

ALEXANDRE.

Francine.

FRANCINE.

Monsieur ?

ALEXANDRE.

Qu’est-ce que c’est que celle amie de Nina que personne ne connaît ! Qu’est ce que c’est que cette histoire de femme qui arrive d’Écosse ?

FRANCINE.

Mais, monsieur...

ALEXANDRE.

Francine.

FRANCINE.

Monsieur.

ALEXANDRE.

Tu vas me dire la vérité.

FRANCINE.

Oh ! pour ça, monsieur ! jamais, par exemple.

ALEXANDRE.

Cette phrase me suffit. Elle est là, cette Fanny Lear ?...

FRANCINE.

Oui, monsieur, elle s’est enfermée.

ALEXANDRE.

Ah ! bah... heureusement que je connais l’appartement de Nina ! je vais la tourner.

Il sort en courant par l’angle de gauche, on le voit traverser le deuxième salon.

 

 

Scène XII

 

FRANCINE, puis ALEXANDRE, LA COMTESSE

 

FRANCINE.

À la bonne heure, celui-là... il sait parler aux femmes.

Bruit dans la chambre où est la comtesse.

Qu’est-ce qui se passe là, bon Dieu ! qu’est-ce qui se passe ?...

Entrent la comtesse et Alexandre.

LA COMTESSE, un peu effarée.

Mais, monsieur !

ALEXANDRE.

Ah ! ah ! vous êtes prise, la belle.

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que vous dites donc, prise ?...

ALEXANDRE.

Oh ! ne vous sauvez pas, je vous en prie... Laisse-nous Francine...

FRANCINE, bas à la comtesse.

C’est le vicomte Alexandre.

LA COMTESSE.

Ah !

FRANCINE.

Vous le connaissez !

LA COMTESSE.

Pas du tout.

ALEXANDRE.

Francinette.

FRANCINE.

Monsieur !

ALEXANDRE.

Est-ce que tu ne m’as pas entendu, mon enfant ?

FRANCINE.

Qu’est-ce qu’il faut faire, madame ?

LA COMTESSE.

Laisse-nous !

Francine la regarde et sort par la gauche.

 

 

Scène XIII

 

ALEXANDRE, LA COMTESSE

 

ALEXANDRE, à part, en examinant la comtesse.

Tiens, tiens, tiens, nous allons bien voir...

Haut.

Te voilà, enfin !...

LA COMTESSE, sautant.

Comment !...

ALEXANDRE.

Il y a huit grands jours que je t’attends, sais-tu bien ?

LA COMTESSE.

Huit grands jours !

ALEXANDRE.

Oui, Littleton m’avait écrit.

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que cela, Littleton ?...

ALEXANDRE.

Tu as la mémoire courte... Littleton, c’est Littleton ! Lord Littleton, avec qui tu viens de passer deux années en Écosse.

LA COMTESSE, souriant.

Ah ! très bien !

ALEXANDRE.

Tu te rappelles ?

LA COMTESSE.

Et, il vous a écrit ?...

ALEXANDRE.

Il m’a écrit : « Fanny Lear... » C’est bien toi !

LA COMTESSE.

C’est bien moi !

ALEXANDRE.

Fanny Lear... Je te dis ce que m’a écrit Littleton... Fanny Lear... une femme étourdissante... En arrivant à Paris, elle des cendra chez Nina, son amie.

LA COMTESSE.

C’est exact.

ALEXANDRE.

Tu iras la voir et tu te mettras à sa disposition, c’est toujours Littleton qui parle... je dois avoir sa lettre...

Il fait semblant de chercher dans sa poche.

LA COMTESSE.

En vérité.

ALEXANDRE.

Oui, je dois l’avoir !

LA COMTESSE.

Eh bien ?

ALEXANDRE.

Je ne la trouve pas... je l’aurai laissée chez moi !...

LA COMTESSE.

Mais pourquoi donc, je vous prie, dites-vous toutes ces paroles, il n’y a rien de vrai dans tout cela !...

ALEXANDRE.

La phrase n’est pas aimable... Quand vous m’avez affirmé, vous, que vous vous appeliez Fanny Lear et que vous étiez une amie de Nina, je n’ai rien dit... je me suis contenté de ne pas vous croire.

LA COMTESSE.

Vous ne m’avez pas crue ?...

ALEXANDRE.

Pas un instant.

LA COMTESSE.

Et pourquoi, s’il vous plaît ?...

ALEXANDRE.

Mais parce que j’ai de très bons yeux, des yeux de Parisien... de Paris... une femme comme vous a bien le droit de se déguiser si ça l’amuse, mais tant pis pour ceux qui ne savent pas la reconnaitre en dépit de son déguisement.

LA COMTESSE.

Et qui donc croyez-vous que je suis ?...

ALEXANDRE.

Une femme du monde.

LA COMTESSE.

Eh bien, vous vous trompez !...

ALEXANDRE.

Je ne me trompe pas !... montrez-moi vos mains, voulez-vous ?...

LA COMTESSE.

Pourquoi non, je vous prie.

ALEXANDRE.

Des mains de marquise ?...

LA COMTESSE.

Vous n’y êtes pas, cher !

ALEXANDRE.

De baronne ?...

LA COMTESSE.

Les mains de Fanny Lear.

ALEXANDRE.

Vous y tenez... je ne demande pas mieux, quant à moi ; c’est plus amusant... de jolies mains, voilà ce qui est sûr... de bien jolies mains.

LA COMTESSE, retirant sa main que le vicomte veut embrasser.

Et qu’est-ce que vous allez me proposer, pour me distraire, puisqu’on vous a écrit de vous mettre à ma disposition.

ALEXANDRE, à part.

Ah ! la belle occasion pour donner une leçon à ma folle de cousine...

LA COMTESSE.

Eh bien ?

ALEXANDRE.

J’ai bien quelque chose !...

LA COMTESSE.

Quoi ?

ALEXANDRE.

Mais je ne sais pas si vous voudrez !...

LA COMTESSE.

Pourquoi est-ce donc, dites-moi, que je ne voudrais pas ?...

ALEXANDRE.

J’aurais envie de vous présenter quelqu’un.

LA COMTESSE.

Un autre ami de Littleton !...

ALEXANDRE.

Non... une femme !

LA COMTESSE.

Ah !

ALEXANDRE.

Voulez-vous ?...

LA COMTESSE.

Elle s’appelle, cette femme ?...

ALEXANDRE, embarrassé.

Elle s’appelle ?

LA COMTESSE.

Oui, je vous demande le nom !

ALEXANDRE.

Bébé Patapouf !

LA COMTESSE.

Hein ?...

ALEXANDRE.

Bébé Patapouf !

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que c’est que cette femme-là, je vous prie ?

ALEXANDRE.

Mais c’est une femme... avec qui je viens de diner... au café Anglais.

LA COMTESSE.

Et vous avez envie de me la faire voir ?

ALEXANDRE.

Mais oui, je lui avais promis de la présenter ce soir à Nina, je la présenterai à Fanny Lear, voilà tout.

LA COMTESSE.

À Fanny Lear ?...

ALEXANDRE.

Sans doute, il ne lui viendra pas à l’esprit que vous pouvez être autre chose que Fanny Lear... votre petit roman ne valait rien pour moi, mais il est très suffisant pour elle.

LA COMTESSE.

Et vous dites donc que vous croyez que cela m’amusera ?...

ALEXANDRE.

J’en suis sûr ?... voulez-vous ?...

LA COMTESSE.

Pas du tout. Je refuse !

ALEXANDRE.

Je vous donne ma parole que vous pouvez consentir sans la moindre inquiétude.

LA COMTESSE.

Sans la moindre inquiétude ?

ALEXANDRE.

Oui !

LA COMTESSE.

Je ne comprends pas, par exemple.

ALEXANDRE.

Si vous tenez à comprendre plus tard, il vous suffit de dire oui maintenant. Voulez-vous ?...

LA COMTESSE.

Je ne sais pas, je vous jure.

ALEXANDRE.

Elle est au café Anglais... Je vais la chercher et je vous l’amène.

LA COMTESSE.

Dites donc... si vous alliez en même temps chercher la lettre de Littleton !

ALEXANDRE, riant.

Oh ! ça me retarderait peut-être beaucoup.

LA COMTESSE.

Vous croyez !...

ALEXANDRE.

Oui !

LA COMTESSE.

Je crois aussi. Allez donc seulement au café Anglais et revenez !

ALEXANDRE.

Soyez tranquille, je ne serai pas longtemps.

LA COMTESSE.

À tout à l’heure, alors !

ALEXANDRE.

Des mains de comtesse ?

LA COMTESSE.

À tout à l’heure.

Alexandre sort.

 

 

Scène XIV

 

LA COMTESSE, puis FRANCINE

 

LA COMTESSE sonne.

Si monsieur l’intendant était là, par exemple !... comme il pousserait des cris... dites-moi, comme il pousserait des cris !...

Elle sonne.

Francine... mais qu’est-ce qu’elle fait donc, cette petite ?

FRANCINE, entrant.

Madame !

LA COMTESSE.

Comme tu es venue lentement, cette fois ?...

FRANCINE.

C’est que le vicomte...

LA COMTESSE.

Le vicomte !

FRANCINE.

Il me parlait de madame... Il me disait qu’il avait vu bien des femmes, et ça, c’est vrai ! madame, il en a vu de toutes les couleurs... qu’il avait vu bien des femmes, mais que jamais il n’en avait rencontré une...

LA COMTESSE.

Dis-moi, petite, est-ce que Istwann t’a donné la somme convenue pour la location de l’appartement ?...

FRANCINE.

Oui, madame.

LA COMTESSE.

Tu lui diras donc qu’il te donne encore autant, tu n’oublieras pas...

FRANCINE.

Soyez tranquille.

LA COMTESSE.

Est-ce que c’est donc loin d’ici le café Anglais ?...

FRANCINE.

Non, madame, c’est à deux pas !

LA COMTESSE.

Francine.

FRANCINE.

Madame.

LA COMTESSE.

Dis-moi ?... Est-ce que tu connais une certaine Bébé... Bébé...

FRANCINE.

Bébé Patapouf, madame !

LA COMTESSE.

Oui, est-ce que tu connais !

FRANCINE.

Je la connais très bien, madame.

LA COMTESSE.

Le vicomte va donc l’amener ici, il paraît, et me la présenter ?...

FRANCINE.

Je vous en fais mon compliment, c’est une femme très... c’est tout ce qu’il y a de mieux comme femme.

LA COMTESSE.

Ah ! elle a de la réputation cette... Patapouf ?

FRANCINE.

Je crois bien, madame !

LA COMTESSE.

Et du luxe ?

FRANCINE.

Un luxe effroyable.

LA COMTESSE.

Oh ! mais alors, elle est donc capable d’arriver ici avec une toilette.

FRANCINE.

C’est bien possible, madame.

LA COMTESSE.

Et tu ne m’y fais pas penser, petite... Tu n’es donc pas mon amie, je te croyais mon amie ! Si j’avais pu prévoir j’aurais fait apporter ici...

FRANCINE.

Oh ! madame n’a pas à craindre...

LA COMTESSE.

On ne sait pas, petite... il vaut donc mieux, je t’assure, prendre ses précautions !

FRANCINE.

Une voiture, madame.

Allant à la croisée.

C’est le vicomte !

LA COMTESSE.

Avec Bébé Patapouf !

FRANCINE.

Oui, madame, avec mademoiselle Bébé Patapouf.

LA COMTESSE.

A-t-elle vraiment une toilette ?...

FRANCINE.

Étonnante, madame, une toilette étonnante !

LA COMTESSE.

Dis au vicomte alors que je le prie d’attendre quelques instants... et viens, tu m’aideras au moins à réparer un peu... il faut tâcher de ne pas lutter avec trop de désavantage... viens tout de suite, n’est-ce pas !...

FRANCINE.

Oui, madame.

La comtesse sort par l’angle de droite.

 

 

Scène XV

 

FRANCINE, puis ALEXANDRE et MADAME DE LAUWEREINS

 

FRANCINE.

Pourquoi l’autre m’a-t-il recommandé de dire que je connaissais très bien cette Bébé Patapouf... que je ne connais pas... et qui, je crois bien, n’a jamais existé.

Entrent Alexandre et madame de Lauwereins très voilée.

ALEXANDRE.

Et ! Fanny... où est-elle donc, cette chère Fanny.

FRANCINE, regardant beaucoup madame de Lauwereins.

Madame prie madame et monsieur de lui pardonner... elle va venir dans un instant.

ALEXANDRE.

C’est très bien !

Au lieu de sortir, Francine s’approche de madame de Lauwereins cherchant toujours à la voir, celle-ci a peur et se rapproche vivement du vicomte.

Eh bien ? Francine.

FRANCINE.

Ce n’est rien, monsieur, ce n’est rien !

ALEXANDRE.

À la bonne heure !

Francine sort.

 

 

Scène XVI

 

ALEXANDRE, MADAME DE LAUWEREINS

 

MADAME DE LAUWEREINS, à part.

C’est donc ici, que mon mari, à ce que l’on m’a fait entendre...

ALEXANDRE.

N’ayez pas peur, ma belle cousine, nous sommes seuls maintenant et vous pouvez lever votre voile.

MADAME DE LAUWEREINS.

Ah ! Alexandre, Alexandre.

ALEXANDRE.

Regardez ! puisque vous êtes venue pour voir.

MADAME DE LAUWEREINS.

Qu’est-ce que vous m’avez fait faire là !...

ALEXANDRE.

Est-ce bien moi qui vous ai ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

Qu’est-ce qu’on penserait si on nous voyait ici tous les deux ?

ALEXANDRE.

Que pourrait-on bien penser, hein ?... Des choses qui ne sont pas !

MADAME DE LAUWEREINS.

Sans doute, mais...

ALEXANDRE.

La vertu hors de chez elle n’en est pas moins la vertu... personne ne le sait mieux que nous deux. Je gémis, quant à moi, de le savoir aussi bien...

Madame de Lauwereins rit.

Allons ! allons ! voilà que vous commencez à rire...

MADAME DE LAUWEREINS.

Taisez-vous, je suis furieuse !...

ALEXANDRE.

Vous êtes enchantée...

MADAME DE LAUWEREINS.

Pas du tout.

ALEXANDRE.

Ah ! bien alors, je ne sais comment faire... Voilà trois mois que vous me suppliez de vous faire pénétrer incognito dans l’appartement de Nina !

MADAME DE LAUWEREINS.

Oui, j’avais mes raisons pour y tenir...

À part.

Si je pouvais trouver quelque preuve en furetant.

ALEXANDRE.

J’avais toujours refusé. Aujourd’hui, je consens, et vous ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

Et pourquoi, au fait, après avoir refusé pendant trois mois, vous êtes-vous décidé à consentir ?...

ALEXANDRE.

C’est que vous allez voir ici une femme qui en vaut la peine... Elle n’est pas comme les autres, celle-là !... elle a quelque chose de particulier...

MADAME DE LAUWEREINS.

Qu’est-ce que c’est que cette Fanny Lear ?... Je ne connais pas ce nom-là !...

ALEXANDRE.

Et cependant vous connaissez tous les noms de ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

Oui, à peu près.

ALEXANDRE.

C’est une femme qui a été fort célèbre il y a deux ans ; depuis elle a quitté Paris...

MADAME DE LAUWEREINS.

Et je présume que vous n’allez pas me présenter à elle sous mon nom véritable.

ALEXANDRE.

Par exemple ! je vous en ai trouvé un autre.

MADAME DE LAUWEREINS, riant.

Un nom de cocotte ! 

ALEXANDRE.

Oui, quelque chose de charmant : Bébé Patapouf !...

MADAME DE LAUWEREINS.

Oh !

ALEXANDRE.

C’est gentil, n’est-ce pas ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

C’est horrible ! Patapouf ! Patapouf ! il me semble que vous auriez bien pu trouver autre chose...

ALEXANDRE.

J’étais un peu pressé.

MADAME DE LAUWEREINS.

Patapouf !

ALEXANDRE.

Bébé Patapouf !

MADAME DE LAUWEREINS.

Enfin ! mais, si, malgré ce nom, cette femme allait reconnaitre... que je ne suis pas...

ALEXANDRE.

Ne craignez rien, elle ne pourra pas se douter qu’elle a devant elle madame de Lauwereins, je vous déguiserai...

MADAME DE LAUWEREINS.

Déguisez-moi bien !

ALEXANDRE.

Soyez tranquille. D’abord, Bébé Patapouf... et puis j’ai déjà inventé que nous avions diné ensemble au café Anglais.

Il va s’asseoir sur le canapé.

MADAME DE LAUWEREINS, regardant autour d’elle.

Il est gentil, en somme, l’appartement de Nina... Qu’est-ce qui vient de vous ici ?...

ALEXANDRE.

Rien du tout...

MADAME DE LAUWEREINS.

Rien du tout, mais on m’a raconté pourtant que vous aviez donné à cette Nina...

ALEXANDRE.

C’est vrai ; mais moi j’ai été compris dans la dernière vente.

MADAME DE LAUWEREINS.

Ah !...

ALEXANDRE.

Tout ce que vous voyez là, c’est un nouvelle édition, Bébé...

MADAME DE LAUWEREINS.

C’est gentil, Bébé ; mais Patapouf...

Elle prend un album de photographies.

ALEXANDRE.

Bébé !...

MADAME DE LAUWEREINS.

Eh bien ?...

ALEXANDRE.

Vous allez regarder les portraits ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Oui, vous ne voulez pas ?...

ALEXANDRE.

Si fait ! mais venez un peu vous asseoir à côté de moi... nous les regarderons ensemble...

MADAME DE LAUWEREINS.

J’aime mieux toute seule...

ALEXANDRE.

Venez un peu.

MADAME DE LAUWEREINS, s’asseyant sur une chaise.

Je parie que je trouve votre portrait là-dedans...

ALEXANDRE.

Bien possible !...

MADAME DE LAUWEREINS.

Quand je le disais... Vous voilà à côté de chose... du Cirque...

ALEXANDRE.

Ah ! bah !

MADAME DE LAUWEREINS.

Parole !...

ALEXANDRE.

Eh bien, je m’en étais toujours douté...

MADAME DE LAUWEREINS.

Pauvre vicomte !...

ALEXANDRE.

La bonne humeur commence à revenir, décidément...

MADAME DE LAUWEREINS.

Dam !...

ALEXANDRE.

À la bonne heure.

MADAME DE LAUWERKINS.

Oh ! dites donc, dites donc...

ALEXANDRE.

Qu’est-ce qu’il y a, mon Dieu !...

MADAME DE LAUWEREINS, regardant un portrait.

M. de Lauwereins... j’en étais sûre !...

ALEXANDRE.

Votre mari ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Oui, voulez-vous le voir ?

ALEXANDRE, se levant.

J’ai toujours du plaisir à le voir.

MADAME DE LAUWEREINS.

Qu’est-ce que vous en dites ?...

ALEXANDRE.

Il est ressemblant !

MADAME DE LAUWEREINS, fermant l’album et se levant.

Oh ! j’ai entendu...

ALEXANDRE.

C’est Fanny Lear.

MADAME DE LAUWEREINS.

Je suis un peu émue tout de même...

ALEXANDRE.

Allons donc !

MADAME DE LAUWEREINS.

Déguisez-moi bien au moins.

ALEXANDRE.

Soyez tranquille, je vous ai dit.

Entrent la comtesse et Francine.

 

 

Scène XVII

 

ALEXANDRE, MADAME DE LAUWEREINS, FRANCINE, LA COMTESSE

 

ALEXANDRE.

Vous voyez, Fanny, que je suis revenu vite ?...

LA COMTESSE.

Je vous en remercie donc, Alexandre...

ALEXANDRE.

Permettez-moi de vous présenter...

LA COMTESSE.

Patapouf ?...

ALEXANDRE.

Oui, Bébé Patapouf...

LA COMTESSE.

Bonjour, chère !

MADAME DE LAUWEREINS.

Bonjour...

ALEXANDRE.

Bébé, je te présente !...

MADAME DE LAUWEREINS, bas.

Vous me tutoyez...

ALEXANDRE, bas.

Je vous déguise !

Haut.

Je te présente Fanny Lear. Francine, donne-nous le thé...

LA COMTESSE, bas.

Par exemple, prendre le thé avec...

ALEXANDRE, bas.

Puisque je vous affirme que vous pouvez, sans la moindre inquiétude...

LA COMTESSE, bas.

Vous me direz le mot, j’espère...

ALEXANDRE.

Sans doute !

LA COMTESSE.

Francine !

FRANCINE.

Madame !

LA COMTESSE.

Donne-nous le thé, alors...

ALEXANDRE.

Avec du rhum !

À madame de Lauwereins.

Pas vrai, Patapouf, que tu veux bien qu’on apporte du rhum ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

Je veux bien... je veux bien... D’abord, je vous défends de m’appeler Patapouf...

ALEXANDRE.

Et comment veux-tu que je t’appelle, puisque...

MADAME DE LAUWEREINS.

Bébé, si vous voulez... Je tolère Bébé, mais je proscris Patapouf.

ALEXANDRE.

Cependant...

MADAME DE LAUWEREINS.

Je pros-cris Pa-ta-pouf !... et puis je vous défends de me tutoyer...

LA COMTESSE.

Comme je m’amuse... C’est une scène... Ils sont charmants... Toi aussi, petite, tu trouves qu’ils sont charmants, je suis sûre ?...

FRANCINE.

Oui, madame !

ALEXANDRE.

N’est-ce pas, Bébé ? vous voyez, je dis Bébé, n’est-ce pas que vous voulez bien du rhum ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Mais...

ALEXANDRE.

Elle en veut bien !

LA COMTESSE, à Francine.

Tu entends, apporte du rhum.

MADAME DE LAUWEREINS.

Et des cigarettes.

LA COMTESSE.

Des cigarettes donc, avec du rhum !

MADAME DE LAUWEREINS, à Alexandre.

Et vous, qu’est-ce que vous boirez ?

ALEXANDRE.

Oh ! moi !...

MADAME DE LAUWEREINS.

Est-ce que c’est vrai que dans un souper vous avez bu de l’eau de Cologne ?

LA COMTESSE.

Oh !

ALEXANDRE, avec éclat.

Certainement ; vous ne m’en avez jamais vu boire de l’eau de Cologne ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Jamais !

ALEXANDRE.

Vous ne m’avez jamais vu !... Francine.

FRANCINE.

Monsieur !

ALEXANDRE.

Tu apporteras de l’eau sucrée pour moi.

FRANCINE, en riant.

Oui, monsieur.

Elle sort par la gauche.

 

 

Scène XVIII

 

LA COMTESSE, MADAME DE LAUWEREINS, ALEXANDRE

 

LA COMTESSE.

Est-ce que vous ne voulez donc pas vous débarrasser de ce châle, Bébé, et de ce chapeau, et vous mettre un peu à votre aise ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

À mon aise !

ALEXANDRE.

Oui ! Bébé !

MADAME DE LAUWEREINS.

Ma foi, oui, je veux bien.

ALEXANDRE.

Bravo, bravo. Je commence à être ravi, moi !

Madame de Lauwereins ôte son chapeau.

LA COMTESSE, la regardant.

Mais c’est qu’elles sont vraiment jolies ces créatures...

ALEXANDRE.

Vous trouvez ?...

LA COMTESSE.

Je comprends donc maintenant pourquoi vous avez tout de suite reconnu... Il est évident que j’aurai beau faire, je ne pourrai jamais avoir l’air aussi...

ALEXANDRE.

Je vous le disais bien...

MADAME DE LAUWEREINS, appelant Alexandre pour lui donner son châle qu’elle vient d’ôter.

Alexandre...

ALEXANDRE.

Me voici, Bébé, me voici...

La comtesse s’apercevant que madame de Lauwereins l’observe, fait quelques pas d’on air indifférent.

MADAME DE LAUWEREINS, à Alexandre en regardant la comtesse.

Oh ! mais, dites donc, vous aurez beau me déguiser, jamais je ne parviendrai à me donner la tournure...

ALEXANDRE.

On fait ce qu’on peut, n’est-ce pas ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Comme c’est ça, mon Dieu !

LA COMTESSE.

Comme c’est cela donc, comme c’est bien cela !

Entre Francine apportant le thé.

FRANCINE.

Voici le thé, madame, le thé, le rhum, et les cigarettes... 

LA COMTESSE.

Mets donc cela ici, petite, et va-t’en.

Francine sort.

Est-ce que vous voulez du thé, dites-moi, Bébé ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Oui, Fanny, donnez-moi...

LA COMTESSE.

Avec du rhum ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

Avec du rhum, pas beaucoup !

Elle allume sa cigarette.

LA COMTESSE.

Presque pas.

Elle sert le vicomte, puis regarde madame de Lauwereins.

Mais qu’est-ce que vous faites, je vous prie ? comme vous êtes drôle, vous ne savez pas fumer !

MADAME DE LAUWEREINS.

Je ne sais pas...

LA COMTESSE.

Je vous assure...

Elle allume sa cigarette.

Regardez-moi, vous voyez...

MADAME DE LAUWEREINS.

Si elle croit que j’ai été dressée comme elle.

Elle tousse très légèrement.

LA COMTESSE, à Alexandre.

Pauvre Bébé ! Elle ne sait donc pas-fumer du tout...

ALEXANDRE.

Le fait est que je la croyais plus forte...

MADAME DE LAUWEREINS.

Ça viendra, ça viendra.

LA COMTESSE, à Alexandre.

Et vous donc, est-ce que vous voulez un cigare, Alexandre, un gros cigare ?

ALEXANDRE.

Merci bien ! moi, je ne fume jamais.

LA COMTESSE.

La fumée ne vous gêne pas au moins, je vous prie.

ALEXANDRE.

Pas du tout, les femmes m’ont habitué...

LA COMTESSE.

À la bonne heure.

ALEXANDRE.

Je suis ravi ! moi, je suis ravi !

Il tousse comme un enragé au milieu des deux femmes qui fument tout en toussant ; il embrasse la main de madame de Lauwereins.

MADAME DE LAUWEREINS, se levant.

Eh bien ! Alexandre, qu’est-ce que vous faites.

ALEXANDRE.

Je vous déguise.

MADAME DE LAUWEREINS.

Vous me déguisez trop.

ALEXANDRE.

Oh ! oh ! Bébé ! C’est du régent, ce mot-là.

LA COMTESSE.

Mais venez donc un peu, Alexandre...Vous voulez bien, Bébé, me prêter Alexandre un moment, que je lui dise un mot.

MADAME DE LAUWEREINS.

Comment donc, Fanny, je n’ai pas le droit de m’y opposer.

Elle remonte.

LA COMTESSE.

Qu’est-ce qu’elle va faire de drôle, Patapouf ?

ALEXANDRE.

Ce qu’elle va faire de drôle ?

LA COMTESSE.

Quand vous m’avez proposé de l’amener, vous m’avez dit que c’était pour m’amuser.

ALEXANDRE.

C’est vrai, qu’est-ce qu’elle pourrait bien faire ? Ah ! elle chante très bien : « Rien n’est sacré pour un sapeur. » Est-ce que vous connaissez ?

LA COMTESSE.

Pas du tout.

ALEXANDRE.

Le v’là qui lich’ toute la bouteille...
Rien n’est sacré...

Patapouf chante ça divinement ; elle a une note à la fin...

LA COMTESSE.

Demandez-lui donc de chanter.

ALEXANDRE.

Impossible aujourd’hui. Elle n’est pas en voix, elle a passé la nuit au bal des canotiers.

LA COMTESSE.

Au bal des canotiers ! Qu’est-ce que cela ?

ALEXANDRE.

Il y en a un toutes les semaines ; je vous y mènerai, si vous voulez.

LA COMTESSE.

Hein ?

En riant.

Ah ! oui, je veux bien.

Alexandre va à madame de Lauwereins.

MADAME DE LAUWEREINS.

Qu’est-ce qu’elle vous a demandé ?

ALEXANDRE.

Où je vous avais rencontré pour la première fois.

MADAME DE LAUWEREINS.

Et vous lui avez répondu ?

ALEXANDRE.

Que c’était à l’Alcazar.

MADAME DE LAUWEREINS.

Par exemple...

ALEXANDRE.

Je ne pouvais pas dire que c’était à l’ambassade d’Angleterre.

MADAME DE LAUWEREINS.

À la bonne heure ! Mais est-ce qu’elle ne va pas faire quelque chose qui me fera rire ?...

ALEXANDRE.

Ah ! vous avez envie...

MADAME DE LAUWEREINS.

Dam ! je présume que si vous m’avez amenée ici... Est-ce qu’elle ne sait rien faire, cette femme qui arrive d’Écosse ?

ALEXANDRE.

Si fait, si fait.

MADAME DE LAUWEREINS.

Quoi donc ?

ALEXANDRE.

Elle danse la gigue d’une façon merveilleuse.

MADAME DE LAUWEREINS.

La gigue ?

ALEXANDRE.

Oui.

MADAME DE LAUWEREINS.

Ah ! comme ça m’amusera ! demandez-lui.

ALEXANDRE.

Pas possible ce soir, elle est trop fatiguée, elle arrive d’Écosse.

MADAME DE LAUVEREINS.

À pied, alors ?

ALEXANDRE.

En dansant la gigue tout le temps...

Il remonte.

MADAME DE LAUWEREINS.

Ah !... Eh bien, Fanny...

LA COMTESSE.

Eh bien, Bébé.

MADAME DE LAUWEREINS.

Allons-nous faire un peu de tapage à Paris ? Avez-vous de jolies voitures ? Combien avez-vous de chevaux ?

LA COMTESSE.

Je ne sais vraiment pas bien au juste.

MADAME DE LAUWEREINS.

Mais quelle fortune avez-vous donc ?

LA COMTESSE.

Vrai, je ne sais pas encore au juste... six à sept cent mille livres de rentes, je crois.

MADAME DE LAUWEREINS.

À votre âge !

LA COMTESSE.

Sans doute, à mon âge.

ALEXANDRE.

Oui, mais elle danse la gigue !

LA COMTESSE, stupéfaite.

La gigue ! qu’est-ce que vous dites donc là, la gigue !...

ALEXANDRE, bas.

Je lui ai dit que vous dansiez la gigue.

LA COMTESSE, bas.

Est-ce qu’il va falloir ?... je ne la sais pas.

ALEXANDRE.

Non, non, soyez tranquille.

MADAME DE LAUWEREINS, riant.

Je vous fais bien mes compliments ; je n’ai pas cette fortune-là, moi, il s’en faut.

LA COMTESSE.

Vraiment, pauvre Bébé, vous n’avez pas, vous faites des dettes alors ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

Pour cela ! oui.

LA COMTESSE.

Qu’est-ce que vous devez donc, Bébé, dites-moi ?

MADAME DE LAUWEREINS.

C’est à mon tour de ne pas savoir au juste : cinquante ou soixante mille francs à ma lingère, je pense.

LA COMTESSE.

Cinquante ou soixante mille francs ! c’est comme dans le monde alors ?...

MADAME DE LAUWEREINS, s’asseyant sur le canapé.

À peu près. Est-ce que vous avez de jolis bijoux ?

LA COMTESSE, tendant son bras.

Regardez.

Elle s’assied sur le canapé.

MADAME DE LAUWEREINS, montrant ses boucles d’oreilles.

Regardez, vous aussi.

LA COMTESSE.

Ah ! voilà de bien belles boucles d’oreilles. Qu’est-ce qui vous a donné, Bébé ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Mais...

ALEXANDRE, derrière le canapé.

Fanny demande qui est-ce qui a donné ?

MADAME DE LAUWEREINS.

C’est M. de Lauwereins.

LA COMTESSE.

Ah ! c’est M. de Lauwereins qui donne les boucles d’oreilles ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Sans doute.

LA COMTESSE, montrant Alexandre.

Lui, alors... c’est ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Lui... mais pas du tout, pas du tout, c’est... Monsieur est un ami de mon ma...

Se reprenant.

c’est un ami de M. de Lauwereins.

LA COMTESSE.

Un ami.

MADAME DE LAUWEREIN.

Oui, un ami.

LA COMTESSE, se levant en riant.

Tiens ! mais... ça continue donc à être tout à fait comme dans le...

MADAME DE LAUWEREINS, se levant.

En vérité ! madame.

ALEXANDRE, bas.

Prenez garde !

MADAME DE LAUWEREINS.

Ah ! çà, mais, qu’est-ce que c’est que cette femme-là ?

ALEXANDRE.

N’est-ce pas que j’avais raison, et qu’elle a vraiment quelque chose de particulier ?

 

 

Scène XIX

 

LA COMTESSE, MADAME DE LAUWEREINS, ALEXANDRE, FRANCINE

 

FRANCINE.

Madame...

LA COMTESSE.

Qu’est-ce donc, petite. Est-ce que c’est quelqu’un encore !...

FRANCINE.

Oui, madame... il y a là beaucoup de ces messieurs... M. Puck leur a dit à tous qu’ils trouveraient ici une femme extraordinaire, et ils veulent voir cette femme !

LA COMTESSE.

Est-ce que vous voulez que nous invitions tout uniment à entrer... et à prendre une tasse de thé avec nous ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

Par exemple !

LA COMTESSE.

Vous ne voulez pas, Bébé... vous préférez tous les trois comme ça.

À Francine.

Va donc leur dire, petite, que je suis absolument désolée, mais que je ne saurais les recevoir...

FRANCINE.

Bien, madame.

 

 

Scène XX

 

LA COMTESSE, MADAME DE LAUWEREINS, ALEXANDRE

 

LA COMTESSE.

Et dites-moi, Bébé, dites-moi encore, est-ce qu’il en a eu beau coup d’amis comme le vicomte, ce pauvre M. de Lauwereins ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Non, mais laissons cela.

 

 

Scène XXI

 

LA COMTESSE, MADAME DE LAUWEREINS, ALEXANDRE, FRANCINE

 

LA COMTESSE, à Francine qui rentre.

Eh bien, petite ?...

FRANCINE.

Ils ne veulent pas s’en aller, madame.

LA COMTESSE.

Ils ne veulent pas !

FRANCINE.

Nous sommes chez mademoiselle Nina, et dame !... ici... ces messieurs ont quelques privilèges !...

LA COMTESSE, de plus en plus effrayée.

Comment !... quelques privilèges.

FRANCINE.

Dame, madame...

LA COMTESSE, bas au vicomte.

Oh ! mais, dites-moi...

ALEXANDRE.

Ne craignez rien, je vais leur parler...

LA COMTESSE.

Je vous en prie...

MADAME DE LAUWEREINS.

Vous allez les renvoyer, au moins...

ALEXANDRE.

Soyez tranquilles, je vais les renvoyer.

 

 

Scène XXII

 

LA COMTESSE, MADAME DE LAUWEREINS

 

LA COMTESSE, bas.

Madame ?... est-ce que vous êtes très rassurée ?

MADAME DE LAUWEREINS.

Moi, pas du tout...

LA COMTESSE.

Pas du tout ?...

MADAME DE LAUWEREINS, se reprenant.

C’est-à-dire... si... qu’est-ce que ça peut me faire, à moi, Bébé...

LA COMTESSE.

Ah ! je vous en prie, ne continuez pas... ça serait tout à fait inutile d’abord... Il ne m’a pas été bien difficile de m’apercevoir.

MADAME DE LAUWEREINS.

Comment...

LA COMTESSE.

Vous vous trompez bien, je vous assure, si vous vous imaginez avoir l’aplomb... C’est comme pour fumer, Bébé, vous ne savez pas encore...

MADAME DE LAUWEREINS.

Madame...

LA COMTESSE, bas.

Il me semble que j’entends parler...

MADAME DE LAUWEREINS, bas.

Oui...

LA COMTESSE.

Et le vicomte qui ne revient pas...

MADAME DE LAUWEREINS.

Mon Dieu, s’ils allaient ne pas vouloir...

 

 

Scène XXIII

 

ALEXANDRE, LA COMTESSE, MADAME DE LAUWEREINS, puis FRANCINE

 

Rentre le vicomte ; il referme vivement la porte et se tient devant comme pour empêcher des gens d’entrer.

LA COMTESSE.

Eh bien ?...

MADAME DE LAUWEREINS.

Ils sont partis ?...

ALEXANDRE.

Impossible de les faire partir...

LA COMTESSE.

Oh !

ALEXANDRE.

Ils sont un peu... vous me comprenez ! Il y a là le petit Nohan et Courtemblay.

MADAME DE LAUWEREINS.

Mais, ils me connaissent tous les deux...

ALEXANDRE.

Je sais bien... Il y a aussi le prince Catenacci...

LA COMTESSE.

Un ami de mon mari !...

MADAME DE LAUWEREINS.

Que faire, mon Dieu, que faire ?...

ALEXANDRE.

Vous pourriez vous cacher peut-être...

MADAME DE LAUWEREINS.

Oui, me cacher... c’est cela...

Au moment où elle va sortir à droite, Francine entre par là.

FRANCINE.

Pas ici, madame...

À la comtesse qui va à gauche.

pas là non plus !...

LA COMTESSE.

Mais... où donc ?...

FRANCINE.

Nulle part... j’en ai mis dans toutes les chambres, madame...

MADAME DE LAUWEREINS.

Je suis perdue !...

ALEXANDRE.

Là... là !... rassurez-vous... vous n’êtes pas perdue, chère cousine, ni vous non plus, madame ; j’ai tout bonnement voulu vous montrer que la curiosité, poussée trop loin, pouvait parfois exposer les curieuses à de certains désagréments...

Mouvement de la comtesse.

La leçon, bien entendu, n’était destinée qu’à ma famille... vous vous êtes trouvée là, par hasard ; ce n’est pas de ma faute, pardonnez-moi. D’ailleurs entre nous, elle n’a pas été bien sévère, cette leçon ?... Que voulez-vous ?... je n’ai jamais su être mé chant avec les femmes... Et puis là, vrai... ce sont mes débuts dans le métier de moraliste... je ferai mieux la prochaine fois...

MADAME DE LAUWEREINS.

Mais ce monde... dans toutes les chambres ?...

ALEXANDRE.

Il n’y a plus personne...

À Francine.

N’est-ce pas ?...

FRANCINE.

Personne, monsieur...

ALEXANDRE.

Rien ne vous empêche donc maintenant de partir...

LA COMTESSE.

Et je pense, vraiment, que c’est ce que nous avons de mieux a faire...

MADAME DE LAUWEREINS.

En jurant bien de ne jamais revenir...

Saluant.

Madame !...

LA COMTESSE.

Madame !...

 

 

Scène XXIV

 

LA COMTESSE, FRANCINE

 

LA COMTESSE.

Nous sommes bien heureuses vraiment d’en être quittes pour la peur...

FRANCINE, écoutant.

Quand je dis qu’il n’y a personne... si fait, il y a quelqu’un encore... quelqu’un qui vient d’entrer...

LA COMTESSE.

Comment...

FRANCINE.

Je viens d’entendre le bruit d’une clef dans la serrure... Le comte Ismail n’a pas été prévenu plus que les autres...

LA COMTESSE.

Le comte Ismaïl !

FRANCINE.

Oui, madame.

LA COMTESSE.

Encore un désagrément de la curiosité... on est exposé parfois à voir ce qu’on ne cherchait pas...

Haut.

Eh bien, petite, puisque le comte Ismaïl n’a pas été prévenu plus que les autres...

FRANCINE.

Eh bien !... madame...

LA COMTESSE.

Eh bien... donne-moi mon pardessus et mon chapeau, et dis au comte que je le remercie donc d’être venu lui-même... me chercher...

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