Les Châteaux en Californie (Jules VERNE - PITRE-CHEVALIER)

Sous-titre : pierre qui roule n’amasse pas mousse

Comédie-proverbe en un acte.

Éditée en 1852.

 

Personnages

 

MONSIEUR DUBOURG, architecte-entrepreneur

HENRI FRÉMONT, commis-négociant

ALEXIS

MADAME DUBOURG

HENRIETTE DUBOURG, fille de monsieur Dubourg

MARGUERITE, enfant de monsieur Dubourg

PAUL, enfant de monsieur Dubourg

CATHERINE, cuisinière

CLARA, fille de Catherine

MODISTE

COUTURIÈRE

TAPISSIER

PORTEUR D’EAU

 

La scène est à Paris, en 1852.

 

Un salon bourgeois, luxe et indigence. Porte au fond. Portes latérales.

 

 

Scène première

 

HENRI, CATHERINE

 

CATHERINE.

Enfin, c’est vous, monsieur Henri, après deux mois d’absence ? Je croyais que vous nous aviez mis dans les oubliettes.

HENRI.

Moi, bonne Catherine ! je n’ai pas cessé de penser à vous.

CATHERINE.

C’est-à-dire à mamzelle Henriette.

HENRI.

À elle surtout, oh ! oui !

CATHERINE.

À la bonne heure ! je vous reconnais... Toujours franc comme l’acier, et la queue sur la main, comme dit le proverbe.

HENRI, riant.

Vous n’avez pas renoncé à refaire la sagesse des nations...

CATHERINE.

Faut ben rire un peu... tout n’est pas rose dans l’habit. Convenez pourtant que vous avez pris le chemin des espaliers.

HENRI.

Mon avancement, dépendait de ce voyage. À force de travail j’ai réussi ! J’ai fondé trois comptoirs pour mon patron... mes appointements sont doublés... et...

CATHERINE.

Bah ! vous savez bien que c’est pas l’argent... Vous voilà, c’est le principal ; mieux vaut lard que navet ! comme dit... Ça vous fait deux mille écus, tout de même...

HENRI.

Sans compter ma part des bénéfices...

CATHERINE.

Morguienne ! on se mettrait en ménage avec moins...

HENRI.

Vous croyez que je pourrai offrir à Mlle Henriette ?...

CATHERINE.

Ne vous chagrinez point là-dessus... son amitié pour vous, c’est de l’or en barque.

HENRI.

Oh ! merci, Catherine !... Et sa mère, Mme Dubourg ?

CATHERINE.

Ah ! voilà le chien blanc dans la tisane... Depuis votre départ, il y a du trictrac ici... Faut vous dire que la bourgeoise a perdu le strapontin.

HENRI.

Elle est devenue folle ?

CATHERINE.

À peu près. Quand je suis entrée ici, vous vous en souvenez, M. Dubourg n’y était plus depuis longtemps ; car je ne le connais pas seulement, le pauvre cher homme, moi qui suis la sœur de lait de sa femme !

HENRI.

Oui ; voyant l’entreprise du bâtiment chômer, il a jeté le compas après l’équerre, comme tant d’autres.

CATHERINE.

Et, comme tant d’autres, il est allé cher cher fortune en Califorgnie...

HENRI.

Où il n’a trouvé que la ruine peut-être, toujours comme tant d’autres !

CATHERINE.

Ça finira par là, bien sûr ! En attendant, il a pris les saucisses pour des lanternes, et il a écrit, en débarquant qu’il ramassait l’or à la pelle. Là-dessus, la tête de madame a tourné comme une gibelotte... elle ne tient plus dans sa peau... elle ne rêve que de velours et de diamants... J’ai eu beau lui corner aux oreilles : – « Mais, madame, ne pousse pas toujours qui danse ! attendez au moins le retour de monsieur ! défiez-vous de ce Sacré-manteau, comme ils l’appellent. (C’est-y ça un nom chrétien, qu’on ne peut pas le dire sans jurer !) Mais, madame, j’ai aussi un garnement de neveu en Califorgnie, un petit drôle qui voulait trancher du monsieur et qui nous a quittés sans barbe au menton... à preuve qu’il m’a emporté tout mon saint-frusquin, cent écus que j’avais mis dix ans à gagner... Il annonçait en arrivant, comme notre bourgeois, qu’il allait nous envoyer des cent et des mille !... va-t’en voir s’ils viennent !... Depuis trois ans, je n’en ai plus ni vent ni nouvelles, si ce n’est une fois qu’il m’a encore demandé de l’argent, sous prétexte qu’un sauvage l’avait escalpé, ce qui veut dire ôter la peau du crâne ! Ça doit faire un joli coco à présent ! Moi, lui envoyer de l’argent, morguienne ! Si je le retrouve jamais entre quatre-z-yeux !... » Voilà ce que je disais à la bourgeoise... eh bien ! c’est comme si j’avais chanté au dessert ! madame se croit millionnaire, et voilà !

HENRI.

Je comprends... Et il lui faudra un millionnaire pour gendre ?

CATHERINE.

Tant qu’elle ne sera point dégrisée, j’en ai peur.

HENRI.

Et moi j’en frémis... Je connais M. et Mme Dubourg : un homme d’esprit, mais sans consistance ; une femme d’imagination, mais sans jugement.

CATHERINE.

Patience... rira ben qui rira derrière ! le moment du réveil n’est pas loin peut-être... Il y a quelque anguille sous cloche aujourd’hui. Je ne sais quelle fourche pique madame ! une nouvelle en l’air, je parie ; un conte moulé dans son journal ; enfin elle met les petits pois dans les grands, comme si elle hébergeait le roi des Indes... Elle a commandé des magnificences, un festin de Salbazar, quoi ! Faut que je m’habille en torchon bleu, sauf votre respect...

HENRI.

Un rival sans doute, un prétendu à éblouir... Ah ! Catherine, que faire ?

CATHERINE.

Ne point jeter la manche après la poignée, je vous le dis...

HENRI.

Au fait, vous avez raison ; si Mlle Henriette m’aime, nous serons deux contre un.

CATHERINE.

Nous serons trois !

HENRI.

Chère Catherine ! vous me rendez le courage... À propos, et le petit frère et la petite sœur d’Henriette, et Mlle Clara, votre charmante fille, dont j’oubliais de vous demander des nouvelles !

CATHERINE.

Les enfants vont bien, grâce à leur sœur et à moi. Clara est toujours ici et toujours la même. Elle rêve aussi la Califorgnie, et court les boutiques avec Mme Dubourg... Croiriez-vous que je ne peux pas lui ôter de la cervelle mon coquin de neveu ! – Je l’aime comme il est, moi, na ! Voilà sa réponse à tout. Elle a refusé un parti superbe : un fabricant de sièges en caoutchouc... Oh ! la jeunesse !... Eh bien ! qui vient là ? Cette maison est comme une halle...

HENRI, à Catherine.

Serait-ce là mon concurrent ?

CATHERINE, à Henri.

Notre roi des Indes ! laissez-moi lui clore le bec.

 

 

Scène II

 

HENRI, CATHERINE, ALEXIS, figure et toilette de dandy très excentrique, moustaches en croc, chevelure en coup de vent, cravate, gilet et pantalon de couleurs hasardées, pardessus jaune écourté, breloques, bagues aux doigts, lorgnon dans l’œil

 

CATHERINE.

Quels yeux de larynx !

ALEXIS.

Monsieur... la bonne, M. le baron Dubourg, s’il vous plaît...

CATHERINE.

M. le baron Dubourg ! qu’est-ce que c’est que ça ?

ALEXIS.

Un gentleman parisien, livré au négoce par distraction. N’est-ce pas ici son hôtel ?

CATHERINE.

C’est ici, et c’est point là...

ALEXIS.

Et si c’est ici.

CATHERINE.

Il est absent pour le quart d’heure.

ALEXIS.

Alors, où pourrai-je le trouver ?

CATHERINE.

À Saint-attrape-sot, en Califorgnie.

ALEXIS, à part, observant Catherine.

C’est singulier, ce timbre ne m’est pas inconnu.

Haut.

À San-Francisco ! Je croyais M. Dubourg revenu.

CATHERINE.

Voulez-vous parler à la bourgeoise ?

ALEXIS.

Merci !

À part.

Je ne suis pas chez le baron, c’est clair. Mais où diable ai-je entendu ce timbre ?

À Henri.

Mille pardons, monsieur !...

Il salue et sort.

 

 

Scène III

 

HENRI, CATHERINE

 

HENRI.

Quel peut être ce personnage ?

CATHERINE.

Un chercheur d’aventures, qui s’est trompé de porte... Il y a plus d’un âne à la foire qui s’appelle Dubourg.

HENRI.

Je l’espère... car si l’on donnait dans la baronnie...

CATHERINE.

Mon Dieu ! je ne réponds de rien. Madame ne rentre pas vite tout de même.

HENRI.

Je veux pourtant lui parler ; il faut que je connaisse mon sort !

 

 

Scène IV

 

HENRI, CATHERINE, UNE MODISTE, puis UNE COUTURIÈRE, UN TAPISSIER, figures comiques

 

LA MODISTE, un carton à la main.

Madame Dubourg ?

CATHERINE.

C’est ici.

LA MODISTE.

Voilà le chapeau que madame a commandé.

Elle tire du carton un chapeau excentrique.

CATHERINE, à Henri.

Quand je vous disais.

LA MODISTE.

On repassera ce soir avec la note.

Elle sort.

CATHERINE.

Et d’une. Voilà ce que fait madame depuis ce matin.

HENRI.

Il faut qu’elle ait reçu des nouvelles de son mari.

LA COUTURIÈRE.

Madame Dubourg ?

CATHERINE.

Et de deux. C’est ici.

LA COUTURIÈRE.

Voici la robe de madame.

Elle déploie une robe éblouissante.

Puis-je la voir ?

CATHERINE.

Elle est sortie.

LA COUTURIÈRE.

Je repasserai ce soir.

Elle sort.

CATHERINE.

Avec la note. La procession commence, nous n’en sommes qu’à la bannière. Ah ! voilà le bedeau.

UN TAPISSIER.

Madame Dubourg ?

CATHERINE.

Vous y êtes.

LE TAPISSIER.

J’apporte à madame des échantillons de tenture.

CATHERINE.

Madame n’est pas là, et je n’y connais rien.

LE TAPISSIER.

Je reviendrai dans une heure.

Il sort.

CATHERINE, à Henri.

Eh bien, vous voyez !

HENRI.

C’est effrayant ! Comment la sauver de la ruine ?

CATHERINE.

Ah ! comment ! Il faudra que le bon Dieu s’en mêle, car, au moindre avis, elle s’emporte comme une soupe au lait... N’allez pas la contrarier en face, surtout... Vous deviendriez sa bête noire, et tout serait fini. Faites plutôt semblant de donner dans ses idées.

HENRI.

La pousser dans l’abîme ? Jamais ! Quand même son mari lui apporterait de l’or, je sais ce que deviennent ces fortunes improvisées... N’ai-je pas appris, ce matin, que la maison Edwards, la grande banque du Sacramento à Paris, va suspendre ses payements ?...

CATHERINE.

Parlez-moi d’un état, comme le vôtre. Un bon chien vaut mieux que deux plus gros rats...

HENRI.

Non ! Je sais ce que j’ai à faire.

Il écrit une lettre. Puis, avec émotion.

Tenez, Catherine, si l’on me refuse la main d’Henriette, si l’on me chasse d’ici, et si la misère y entre à ma place, vous ouvrirez cette lettre et la remettrez à celle que j’aimerai toujours !

 

 

Scène V

 

HENRI, CATHERINE, MADAME DUBOURG, entrant très effarée, puis CLARA

 

HENRI.

Madame Dubourg !

CATHERINE.

Enfin... Et Clara ? qu’en avez-vous fait ?

MADAME DUBOURG.

Je l’ai laissée à la Compagnie des Indes.

CATHERINE.

En gage ?

MADAME DUBOURG, sans écouter.

A-t-on apporté mon chapeau ? A-t-on apporté ma robe ? A-t-on apporté mon châle des Indes ?

CATHERINE.

Voici votre chapeau ; on repassera avec la note...

MADAME DUBOURG.

C’est bien. Après !... Ma robe de velours nacarat... 12 mètres de tour...

CATHERINE.

La voilà, vot’ robe ! La couturière reviendra avec la note...

MADAME DUBOURG.

C’est bon, c’est bon !... Et mon châle ?

HENRI, saluant.

Madame !

MADAME DUBOURG, l’apercevant.

Ah ! bonjour, monsieur Henri... Et mon châle, mon châle des Indes à fond blanc, pur Tibet, avec la marque... Mais je ne le vois pas.

CATHERINE.

Ni moi non plus. Il est peut-être encore dans les malles de M. Dubourg.

MADAME DUBOURG.

Mon mari !

À part.

Est-ce qu’elle saurait...

Haut.

Dis-moi, Catherine, quand on apportera ce cachemire, tu diras que je n’y suis pas.

CATHERINE.

Et je ne le prendrai point ?

MADAME DUBOURG.

Es-tu sotte ! Au contraire... À propos, monsieur Henri, vous dînez avec nous aujourd’hui ?

HENRI.

Je vous remercie mille fois, madame ; mais...

MADAME DUBOURG.

Vous acceptez !... Un dîner splendide ! trois services complets... Je ne sais pas encore combien j’aurai de hors-d’œuvre. J’irai consulter Chevet. J’ai envie qu’il y ait trois potages ! Qu’en penses-tu ? Catherine ?

CATHERINE, bas à Henri.

Hein ! qu’est-ce que je vous disais ?

HENRI.

Madame Dubourg, écoutez-moi, je vous prie.

CATHERINE, bas.

Pas encore ! Attendez et laissez-moi, faire...

Entraînant Mme Dubourg dans un coin.

Not’ bourgeoise, vous saurez que les fournisseurs ne veulent plus faire crédit.

MADAME DUBOURG.

Bah !... Encore un jour, et je les payerai.

CATHERINE.

Madame, ils n’y vont pas par quat’ chemins ! Ils ne me donn’ront plus rien sans argent comptant.

MADAME DUBOURG.

Quelle contrariété !... Comment faire ? Tiens, Catherine, prenons des choses simples que tu dresseras richement... Ce qu’on appelle, dans le beau monde, de l’architecture de table...

CATHERINE.

Mais quoi encore ?

MADAME DUBOURG.

Un gros poisson, une belle croûte de pâté. Tu feras le dedans.

CATHERINE.

Mais j’ n’ai rien pour faire le d’dans, et rien pour acheter le dehors !

MADAME DUBOURG.

Tu es une sotte ! J’arrangerai cela avec Chevet. Va-t’en à ta cuisine, et quand mon cachemire viendra, tu le recevras avec tous les honneurs qui lui sont dus...

CATHERINE.

Ah ! Jésus ! Seigneur !, bonté du Ciel !

Entre Clara, portant un écrin d’une main, et de l’autre un carton de cachemire.

MADAME DUBOURG, s’élançant sur le carton, et déployant le châle.

Le voilà ! Elle l’apporte elle-même, cette, chère enfant... Embrasse-moi, et viens que je te l’essaye.

Elle lui met le châle sur les épaules et l’admire.

Qu’il est beau ! qu’il est donc beau ! et. comme il fera enrager Mme Dubuisson qui n’en a qu’un français ! Ah ! j’oubliais de mettre la marque en évidence.

Elle le replie et veut le remettre à Clara.

CATHERINE.

Bon pour une fois, notre bourgeoise... Ces folies-là, ça se gagne comme la coqueluche.

CLARA.

Un peu de patience, ma mère, et mon cousin m’en apportera un pareil...

CATHERINE.

Ton cousin n’est qu’un va-sur-pieds, et je te défends de profaner son nom.

CLARA.

Je l’aime comme il est, moi, na !

CATHERINE, à Henri.

Vous reconnaissez son refrain !

CLARA.

Et j’ai mes raisons pour compter sur lui.

Regard d’intelligence à Mme Dubourg.

MADAME DUBOURG, bas.

Silence ! petite.

CATHERINE.

Allons, viens éplucher mes carottes en attendant celles du Sacré-manteau !

Bas à Henri.

Et vous, tâchez de retrouver la cervelle de la bourgeoise, si elle n’en a pas fait un vol-au-vent pour son gala. Quant à moi, j’en jette ma sangle aux chiens.

Elle emmène Clara.

 

 

Scène VI

 

HENRI, MADAME DUBOURG

 

MADAME DUBOURG, distraite et occupée de sa toilette.

Vous restez, monsieur Henri ? vous avez à me parler ?

HENRI.

Oui, madame, et d’un sujet qui n’est pas nouveau. Vous savez combien j’aime...

MADAME DUBOURG.

Ce chapeau...

Elle l’essaye.

il est d’une forme adorable ; il vient de chez Laure ! – Quatre-vingts francs, sans les plumes !

HENRI.

Mlle Henriette...

MADAME DUBOURG.

En aura un aussi, et je vous jure qu’elle pourra marcher auprès de sa mère !

HENRI.

Je voulais justement vous demander, madame, si Mlle Henriette s’est métamorphosée comme vous en mon absence ; si, comme vous, elle place maintenant son bonheur dans la toilette et la parure.

MADAME DUBOURG, regardant sa robe.

Cette robe vient de chez Paméla ! comme ça se reconnaît !... Cette artiste a un talent pour faire valoir les choses !... Quel chic, auprès des sarreaux de Mme Dubuisson !

HENRI, tristement.

Pour la dernière fois, madame, j’ai l’honneur de vous parler de votre fille ; il y a deux mois, c’était un ange de modestie et de simplicité, et vous savez quel sentiment ses vertus autant que ses grâces avaient fait naître en moi ; j’avais osé prétendre à sa main, et, de votre aveu, elle avait bien voulu ne pas repousser cette espérance.

MADAME DUBOURG, riant.

Ah ! vos projets de mariage ! vous y pensez toujours ?

HENRI, vivement.

Les aurait-elle oubliés, madame ?

MADAME DUBOURG.

Mon cher Henri, parlons franchement ; il y a deux mois, Henriette était la fille d’un pauvre architecte, et avait les manières et les habitudes de cette position. Héritière maintenant d’un riche capitaliste, d’un millionnaire...

HENRI.

D’un millionnaire ! en êtes-vous certaine ?

MADAME DUBOURG.

Son père ne revient-il pas de la Californie ?

HENRI.

Ah ! madame, que de gens y sont allés pauvres et en sont revenus misérables !

MADAME DUBOURG.

Comment ! un pays où l’on n’a qu’à se baisser pour ramasser des lingots d’or ! où les indigents mendient dans des sébiles d’or ! où l’on est si riche, qu’un gigot se paye une once d’or ! – Croyez-vous donc que M. Dubourg se soit croisé les bras dans ce paradis terrestre ?

HENRI.

Vous ne voyez que le beau côté de la médaille ! mais le revers, madame ! Vous ignorez les épouvantables désastres dont la Californie est le théâtre, les incendies de chaque mois, les combats de chaque jour, les meurtres de chaque nuit. Cet or, que vous croyez si facile à prendre, on le recueille, la pioche d’une main, et le fusil de l’autre ; et, pour un colon qui s’enrichit, mille succombent de misère et de faim.

MADAME DUBOURG, avec ironie.

Souhaitez-vous donc que M. Dubourg soit de ceux-là ?

HENRI.

Moi, madame ! plaise à Dieu que vos vœux se réalisent ! Mais rappelez-vous que vous pourrez compter sur moi, si M. Dubourg échoue dans ses spéculations.

MADAME DUBOURG.

Il réussira ! – il a réussi ! – Je vous défends de dire que mon mari n’est pas millionnaire !... Et tenez, je veux vous prouver... Grand Dieu !... quel bruit !... Que se passe-t-il donc ?

 

 

Scène VII

 

HENRI, MADAME DUBOURG, UN PORTEUR D’EAU

 

Le porteur d’eau. repousse violemment Catherine et Clara, qui veulent s’opposer à son passage ; il entre, et ferme la porte au nez des deux femmes.

LE PORTEUR D’EAU.

J’entrerons, fichtra !

MADAME DUBOURG, avec transport.

Un commissionnaire ! C’est mon casaweeh ! il apporte mon casaweeh !

LE PORTEUR D’EAU.

Fichtra ! j’vous d’mandons, à la fin, quand vous me paya ?

MADAME DUBOURG.

Tiens ! ce n’est pas mon casaweeh ! Qui êtes-vous ?

LE PORTEUR D’EAU.

L’porteu d’eau, foi d’Auvergnat ! même que vous m’devez dix-huit francs quatorze sous !

MADAME DUBOURG.

Ah ! j’avais oublié cette dette ! Eh ! mon Dieu ! ne vous fâchez pas !

Cherchant dans ses poches.

Ma bourse... Où est donc ma bourse ?... est-ce que je l’aurais perdue ?... J’avais des valeurs considérables dedans !

LE PORTEUR D’EAU.

C’est une frimasse que tout ça ? Mon argent, ou j’cassons tout.

Il bouscule le chapeau de Mme Dubourg, posé sur la table.

MADAME DUBOURG.

Arrêtez ! mon chapeau ! mon chapeau de chez Laure !... Et n’avoir pas cette bourse... Pardon, monsieur Henri... Ah ! je me trouve mal.

Elle tombe sur une chaise. Attaque de nerfs.

HENRI, au porteur d’eau.

Combien vous est-il dû ?

LE PORTEUR D’EAU.

Dix-huit francs quatorze sous, fichtra !

HENRI, tirant sa bourse.

Voilà vingt francs ; gardez le reste, et sortez !

LE PORTEUR D’EAU.

À la bonne heure ! c’est parla ?... Bonsoir à la compagnie... Fichtra !

Il sort.

HENRI, à part.

Elle m invite à un festin, et je lui prête vingt francs ! Comprendra-t-elle cette leçon ?

 

 

Scène VIII

 

HENRI, MADAME DUBOURG

 

MADAME DUBOURG, revenant à elle.

Enfin ! il est parti... Je vous remercie, mon cher, d’avoir renvoyé ce brutal.

HENRI, s’inclinant.

Madame ! trop heureux...

MADAME DUBOURG.

Oh ! tous ces gens-là me payeront cher les scènes qu’ils me font ! Et pour que vous ne croyiez pas que je m’en fasse accroire, écoutez, et gardez-moi le secret.

Lisant une lettre.

« Ma chère femme, le trois-mâts la Cérès vient d’arriver à Nantes ; il me ramène vers toi, en bonne santé. Mes affaires de bord une fois réglées, je prends le chemin de fer, et je tombe dans tes bras ? – Ton mari, François Dubourg. »

HENRI.

M. Dubourg ! il revient ?

MADAME DUBOURG.

Sa lettre est d’avant-hier ; il peut donc arriver d’un instant à l’autre.

HENRI.

Ainsi, Mlle Henriette...

MADAME DUBOURG.

Ma fille a désormais une grande position dans le monde !

HENRI, tremblant.

Madame, je n’ai plus qu’à renouveler ma question, et je vous prie de me dire toute la vérité. Mlle Henriette adopte-t-elle vos idées sur la richesse et le bonheur ?

MADAME DUBOURG.

Quand vous aurez fait fortune, mon cher, vous saurez qu’on s’y habitue tout de suite.

Sérieusement.

Ma fille sait qu’elle sera pour le moins comtesse, un de ces jours !... On voit déjà qu’elle était née pour ce haut rang ; en un mot, on reconnaît qu’elle est digne de sa mère !

HENRI, à part.

Hélas ! elle ne m’aime donc plus !... Elle est perdue pour moi ! Je sors, je n’en puis plus !

MADAME DUBOURG, le retenant, et d’un Ion protecteur.

Eh bien ! est-ce que l’on se quitte ainsi ? est-ce que notre amitié vous fait peur, parce que nous sommes riches ? Eh ! mon cher Henri, nous vous aiderons à faire votre chemin dans le monde !

HENRI.

Permettez-moi de me retirer, madame.

À part.

Je n’aurais pas la force de revoir Mlle Henriette !

MADAME DUBOURG.

Allons donc ! vous savez bien que vous nous restez à dîner ! Pas d’enfantillages ! nous continuerons de nous voir en amis ; c’est sans conséquence désormais, et...

 

 

Scène IX

 

HENRI, MADAME DUBOURG, HENRIETTE

 

HENRI, fausse sortie.

Mlle Henriette !...

MADAME DUBOURG, allant à sa fille.

Comment ! Henriette, tu n’as pas mis ta robe de soie glacée ?

HENRIETTE, courant à Henri.

Ah ! monsieur Henri, que je suis aise de vous revoir !

HENRI, la saluant tristement.

Mademoiselle...

MADAME DUBOURG.

Eh bien ! Henriette, réponds-moi donc ? Pourquoi n’as-tu pas mis ta robe glacée ?

HENRIETTE.

À quoi bon, maman ?

MADAME DUBOURG.

Mais, mon enfant, il faut user de ces belles choses. Tu es riche et heureuse, n’est-ce pas ?

HENRIETTE, tendant la main à Henri.

Oh oui ! bien heureuse !

HENRI, à part.

Est-ce un rêve !... une illusion !

MADAME DUBOURG, se mirant devant la glace.

Regarde mon chapeau ! ça m’amuse tant de le porter, que je vais le garder à la maison.

HENRIETTE, à Henri.

Vous ne me dites rien ! vous êtes triste au retour ! Vous n’êtes plus le même pour moi ?... Suis-je changée pour vous ?

HENRI, à demi-voix.

J’en ai peur !... Votre cœur ne sait-il pas... que vous êtes millionnaire ? HENRIETTE, sérieusement.

Que dites-vous, Henri ?

MADAME DUBOURG, toujours devant la glace et sans entendre les jeunes gens.

Tu vois, Henriette, comme la forme des chapeaux est évasée. Mme Dubuisson est absurde avec ses passes en corridor ! J’aime assez ce nouveau modèle... Et toi ?

HENRIETTE.

Oui ! c’est très gracieux.

À Henri.

Ainsi, vous avez cru que mes sentiments tourneraient avec la fortune !

HENRI, timidement.

Mademoiselle... pardon !... madame votre mère...

HENRIETTE.

Ma pauvre mère est dupe de son imagination. Je prie Dieu que ses rêves se réalisent, car elle aurait trop à souffrir d’un mécompte.

HENRI.

Mais vous, Henriette ?

HENRIETTE.

Moi ! je crois que la médiocrité convient au bonheur ; et si le Ciel me donnait ces trésors que j’envie si peu, je les emploierais à me créer quelque part l’humble nid que nous souhaitions... il y a deux mois...

MADAME DUBOURG, qui a entendu, à part.

Miséricorde ! que dit-elle donc ?

HENRI, avec ravissement.

Oh ! mademoiselle, ma vie entière ne saurait payer de telles paroles !

MADAME DUBOURG, avec intention.

Henriette, viens m’aider à plier mon cachemire dans le dernier genre.

HENRIETTE.

Oui, maman.

Elle va aider sa mère.

HENRI, à part.

Ainsi, Mme Dubourg s’était trompée ! et moi j’ai pu croire un instant...

MADAME DUBOURG, mettant le châle sur ses épaules.

Ce n’est pas cela... la marque disparaît. D’ailleurs, je veux le porter en long. Mon Dieu ! que c’est difficile !

Elle plie et replie le châle.

HENRI, à Henriette.

Mais, mademoiselle, votre mère tient pour vous à ces splendeurs que vous n’enviez point ; elle veut vous élever à la hauteur de votre nouvelle fortune !

HENRIETTE.

De quelle fortune ?

HENRI, à part.

Elle ignore le retour de son père !

HENRIETTE.

Et quand notre position changerait, pourquoi notre cœur changerait-il ? Le cœur n’est jamais pauvre, lui.

MADAME DUBOURG, à part.

Oh ! oh ! j’ai joué avec le feu.

S’avançant entre eux deux.

Je regrette, monsieur Henri, de me mêler à votre conversation ; mais vous avez déjà oublié ce que je vous disais il n’y a qu’un instant. Et toi, Henriette, tu fais à ton père l’injure de douter de lui !

HENRIETTE.

Mon père !

MADAME DUBOURG.

Songe donc qu’il est la spéculation incarnée, et que tout doit réussir à un homme comme lui !

HENRIETTE.

Eh ! ma chère mère, il n’en sera pas plus heureux, car le bonheur l’attend au milieu de nous, et il n’a qu’à revenir ; il n’a qu’à vivre près de ceux qu’il chérit et qui l’aiment ! Un père qui fait et partage la joie de ses enfants est millionnaire au coin de son feu.

HENRI, avec effusion.

Oh ! merci, mademoiselle ; encore une fois merci !

MADAME DUBOURG, sévèrement.

Monsieur le futur banquier, vous devriez savoir qu’on revient de Californie chargé de billets de banque !

HENRI.

Quand on en revient avec des billets de banque, madame !

HENRIETTE, tristement.

Et quand on en revient, ma mère !

MADAME DUBOURG, à part.

Décidément, ce jeune homme ne peut rester ici.

Haut, embarrassée.

Monsieur Henri, je suis désolée... mon grand dîner... ne peut avoir lieu ce soir... Je vous prie donc... d’agréer mes excuses...

HENRI.

Elle me renvoie !

HENRIETTE, à part.

Qu’est-ce que cela veut dire ? Je me sens prête à pleurer !

HENRI.

Je ne vous en remercie pas moins, madame.

Il la salue.

Adieu, mademoiselle !

À part.

J’aime mieux ce congé, qui me laisse au moins l’espérance !

Henriette s’incline tristement.

MADAME DUBOURG.

Je vous reconduis, monsieur Henri !

Ils sortent tous deux

 

 

Scène X

 

HENRIETTE, seule

 

Quelle tristesse j’ai dans le cœur ! Les paroles de ma mère me font du mal ; elle se trompe, mon Dieu ! J’ai tant de plaisir en songeant à Henri, que tous les trésors du monde ne me rendraient pas plus heureuse ! À son retour, mon père me comprendra ! S’il pouvait revenir pauvre ! Oh ! pas de ces idées-là, ma bonne mère serait trop à plaindre ! Enfin, il me reste une consolation : ce grand dîner n’aura pas lieu, et ne dévorera pas en un instant le peu d’argent que j’ai gagné.

 

 

Scène XI

 

HENRIETTE, CATHERINE tenant un plumeau et un balai.

 

CATHERINE.

Ah ça ! encore des pleurs ?

HENRIETTE.

C’est toi, ma bonne Catherine !

CATHERINE.

Est-ce que vous n’avez point vu M. Henri ?

HENRIETTE.

Au contraire, il nous quitte à l’instant !

CATHERINE.

Eh bien, morguienne, ayez donc de la joie pour tout le monde ! ça sera autant de pris sur l’ennui... dans cette cour du roi Bêtaud ! Voilà-t-il pas la bourgeoise qui m’envoie frotter le salon, et qui tient plus que jamais à ses idées de gala !

HENRIETTE, vivement.

Pour quel jour ?

CATHERINE.

Pour ce soir, parguienne !

HENRIETTE.

Mais maman vient de dire à M. Henri que ce dîner n’aurait pas lieu.

CATHERINE.

Pour lui, peut-être bien ; mais madame a ses pipe-assiettes.

HENRIETTE, pleurant.

Oh ! mon Dieu ! c’était donc un congé, un renvoi ! Je comprends tout !

CATHERINE, à part.

Bon ! faut que je la moleste à mon tour.

Haut.

Voyons, ma p’tite Henriette ! du courage, de la patience... Le temps est un grand maigre, allez ! Pardon de ma brusquerie ; mais c’est que les affronts me pleuvent dru comme graine, et ça me révolutionne, moi, de voir hurler la chandelle par les deux bouts...

HENRIETTE, s’essuyant les yeux.

Tiens, Catherine, voici quelques broderies que j’ai faites à l’insu de ma mère.

Elle lui remet de l’ouvrage.

Tâche de les vendre pour payer les dettes criardes.

CATHERINE.

Quel ange ! quel carabin du bon Dieu ! Et dire que la bourgeoise bat la Champagne, sans rien deviner de tout ça !

HENRIETTE.

Respect aux fantaisies de ma mère ! Je travaillerai davantage, ma bonne Catherine, et je prierai pour le retour de mon père !

CATHERINE.

Oh ! pour revenir, il reviendra, votre père ; mais à savoir sur quelle patte : c’est là le chic, comme dit le proverbe.

HENRIETTE.

Quelqu’un ! Je me sauve, car j’ai les yeux tout rouges.

Elle sort.

 

 

Scène XII

 

CATHERINE, ALEXIS

 

ALEXIS, entrant par le fond.

On m’a assuré que c’était ici. M. le baron Dubourg, s’il vous plaît ?

CATHERINE, à part.

Encore ce particulier !...

Haut.

Il n’y est pas : il est au Sacré-manteau ; je vous l’ai déjà dit...

ALEXIS, à part, lorgnant Catherine.

C’est singulier ! ce timbre ne m’est pas du tout inconnu !

CATHERINE, se fâchant.

Eh bien ! quand vous resterez là planté comme une lanterne...

ALEXIS.

Vous ignorez quand il rentrera ?

CATHERINE.

Du Sacré-manteau ? Dame ! il ne faut que six mois pour en revenir...

ALEXIS, à part, lorgnant.

Décidément ce timbre m’inquiète !

Il sort.

 

 

Scène XIII

 

CATHERINE, seule

 

En voilà-t-il un moustachu au goût du genre ! Si encore il apportait de l’argent ; mais je crois qu’il vient plutôt en demander.

Elle range les meubles.

Ah ! si la bourgeoise avait tant seulement le son d’une oie dans la tête, elle enverrait ses bulles visées à tous les diables ; elle marierait sa fille au petit jeune homme, et nous n’aurions plus à fouetter que les deux marmailles... Mais non, dans la sauce mourra le canard !... Balayons donc, puisqu’il faut balayer !... Un mauvais outil qui fait plus d’poussière qu’il n’en ôte... Bon ! v’là un pied d’chaise qui va se promener !

Elle l’arrange tant bien que mal.

Impothéquer des cachemires sur les millions de Saint-Attrape-sot ! Je donnerais deux sous pour que son mari revienne. Je gage qu’il nous servira comme une cinquième roue à une carotte ! Enfin !

 

 

Scène XIV

 

CATHERINE, MONSIEUR DUBOURG

 

M. Dubourg entre en traînant après lui une vieille valise ; il est vêtu d’un vieux pantalon rapiécé, d’une sorte de vareuse fantastique et d’un chapeau à larges bords, qui lui donne l’air d’un bandit espagnol.

DUBOURG.

Ouf ! un siège pour reposer ma tête !

Il va s’asseoir sur la chaise cassée et tombe à la renverse.

CATHERINE.

Encore un intrus ! Que veut-il, celui-là ?

DUBOURG.

Faire trois mille lieues pour tomber sur une chaise pareille !

CATHERINE, croisant les bras.

Ah ça ! venez-vous casser notre mobilier, vous ?

DUBOURG, toujours assis à terre.

Quel mobilier !... C’est assez gentil pour une millionnaire !

CATHERINE.

Que demandez-vous, l’aumône ? Nous ne ferons rien pour vous...

DUBOURG, ricanant.

Madame a ses pauvres ?

CATHERINE.

Oui, mon bonhomme !

À part.

Je crois bien qu’elle a ses pauvres !

DUBOURG, se moquant d’elle.

Charité bien ordonnée commence par soi-même, n’est-ce pas ?

CATHERINE, à part.

Qu’est-ce qu’il dit ? Il a mauvaise mine ; si c’était un voleur !

DUBOURG, se relevant et se promenant dans la chambre, en se drapant avec importance.

Ces vieilleries-là ne peuvent rester ici ! Je vais tout faire emporter !

CATHERINE, à part.

Tout emporter ? c’est un voleur !

Haut.

Faut-il aller chercher la garde, à la fin ?

DUBOURG.

Pourquoi, ma bonne femme ?

CATHERINE.

Sa bonne femme !

DUBOURG.

Vous m’avez bien appelé votre bonhomme !

CATHERINE, criant.

Au voleur !

DUBOURG, faisant un geste comique de menace.

Malheureuse !

CATHERINE, hurlant.

Au voleur ! à l’assassin !

DUBOURG, riant, à part.

Allons, ça va bien ! ça va bien !

Criant avec elle.

Au voleur ! au voleur !

CATHERINE, à genoux.

Ah ! monsieur le brigand, épargnez ma pauvre maîtresse ! Miséricorde, Dieu du ciel !

DUBOURG, à part.

Hein ! comme un honnête homme peut ressembler à un bandit !

 

 

Scène XV

 

MONSIEUR DUBOURG, CATHERINE, MADAME DUBOURG

 

MADAME DUBOURG, entrant par la gauche.

Quel est ce tapage ?

CATHERINE.

Seigneur Jésus ! c’est quelque forçat ;

DUBOURG, à part.

La voilà !

MADAME DUBOURG, sans reconnaître son mari.

Ah ! mon Dieu ! on sait déjà que nous sommes millionnaires ! on vient nous piller !

DUBOURG, saluant avec majesté.

Madame !

MADAME DUBOURG et CATHERINE, courant de tous eûtes.

Au secours ! à la garde !

 

 

Scène XVI

 

MONSIEUR DUBOURG, CATHERINE, MADAME DUBOURG, MARGUERITE, PAUL, HENRIETTE.

 

Ils accourent de tous côtés.

HENRIETTE.

Qu’avez-vous ? qu’arrive-t-il ?

LES ENFANTS.

Ah ! maman ! maman !

CATHERINE, suppliant.

Grâce !

LES ENFANTS, avec un cri de joie.

Tiens ! papa ! mais c’est papa !

Ils sautent à son cou.

HENRIETTE.

Mon père !

Même jeu.

DUBOURG.

Ô voix de la nature ! Ils m’ont reconnu les premiers !

MADAME DUBOURG.

Lui ! lui ! Dubourg ?

CATHERINE.

Ça ! le bourgeois !

DUBOURG, solennellement.

Moi-même ! en chair et en os ; surtout en os, comme vous voyez...

MADAME DUBOURG, se jetant dans ses bras.

Ah ! mon pauvre mari !

CATHERINE, à part.

Il a donc laissé, ses millions au bas de l’escalier !

Embrassements. Tableau.

LES ENFANTS.

Papa, nous apportes-tu des joujoux en or ?

MADAME DUBOURG.

Hélas ! mon ami, je crains de deviner !...

Elle s’assied.

HENRIETTE.

Ma pauvre mère !

Moment de silence.

DUBOURG.

Décidément, Meyerbeer est un grand homme.

Chantant.

Et l’or, l’or n’est rien qu’une chimère !

MADAME DUBOURG, à part.

Quelle étrange humeur ! Serait-il devenu fou ?

DUBOURG.

Qu’est-ce que ce vil métal qui se volatilise si promptement ! Il ne vaut pas les travaux qu’il coûte pour l’acquérir, ni les soucis qu’il cause à garder !

HENRIETTE, affectueusement.

Mon père, vous êtes bien fatigué, sans doute ! Ne voulez-vous pas vous reposer ?

DUBOURG, futilement.

Moi, fatigué ! et de quoi ? J’arrive les poches vides, l’estomac vide et la cervelle vide ! Jamais je n’ai été si léger qu’aujourd’hui ! Je ne craignais qu’une chose, c’était d’être enlevé par le vent !

CATHERINE.

Monsieur voudrait-il déjeuner ?

DUBOURG.

Eh bien, ma bonne femme, vous n’avez plus peur de moi ? Ai-je encore l’air devenir voler quelqu’un ?

CATHERINE.

Ma fine, vous n’avez point l’air de pouvoir être volé non plus !

DUBOURG.

Privilège immense de ma position sociale !

À sa femme.

Allons, ma chère amie, ne nous désolons point ! je ne suis pas revenu sans quelque chose. J’ai apporté avec moi...

MADAME DUBOURG, vivement.

Quoi donc ?

DUBOURG.

Des convictions éminemment philosophiques sur l’instabilité des choses humaines, sur la grandeur et la décadence des Romains en général et des colons en particulier. Si tu savais combien la richesse est peu de chose, quand on ne manque de rien ! – Paul, donne-moi un mouchoir.

Paul obéit.

Eh bien, elle a encore moins d’importance quand on manque de tout !

HENRIETTE, tristement.

Si ma pauvre mère ne pleurait pas tant, je serais aussi philosophe que mon père.

DUBOURG.

La fortune ne fait pas le bonheur, mais elle y contribue, a dit je ne sais quel millionnaire, qui était évidemment partial et prévenu ; moi, j’imagine au contraire que le bonheur fait la fortune ! Les gens qui se contentent de peu sont enviés de tous, juge de ceux qui se contentent de rien ! – La bonne, veillez au déjeuner ! – J’ai une faim de loup. – Je quitte le radeau de la Méduse !– Ah ! qu’on est riche, quand on peut se nourrir de réflexions ! – Un bifteck de temps à autre ne gâte rien. – La bonne, mettez des pommes autour ; – mais la philosophie, – qu’il soit saignant, au moins, – voilà la vraie nourriture de l’homme ! – Vanitas va

Avec un geste impératif à Catherine.

nitatum.

CATHERINE, à part.

Pourquoi qu’il m’appelle nitatum ?

MADAME DUBOURG, consternée.

Adieu, mes rêves ! Que vais-je devenir ?

DUBOURG, à part.

La leçon est-elle assez complète ?

LES ENFANTS.

Maman, il ne faut pas pleurer, tu vois bien que nous t’embrassons !

HENRIETTE, consolant l’un et l’autre.

Ma pauvre mère, mon bon père, où donc serait le bonheur, s’il n’était dans notre réunion, après cette longue absence ? N’est-ce rien de retrouver sa famille entière, et de n’avoir à regretter les baisers de personne ? Regarde, comme nous te pressons dans nos bras ! Voyez Paul, Marguerite, qui lié comprennent pas votre douleur en présence du retour de leur père ! – La famille, c’est la véritable richesse. – Voyez comme vous êtes riches tons deux !

DUBOURG, l’embrassant avec effusion.

Excellente fille, toujours la même !

HENRIETTE.

Nous travaillerons tous, et vous donnerons l’aisance que les spéculations vous refusent.

PAUL.

Je sais écrire, moi, d’abord !

MARGUERITE.

Et moi, je lis les grosses lettres !

CATHERINE.

Et moi, je sais mettre le pot-au-feu, et je ne vous quitterai jamais !

HENRIETTE, bas à Catherine.

Fais en sorte qu’Henri apprenne ce qui se passe.

CATHERINE, bas.

Ça ne sera pas long, allez. Il était tout à l’heure encore sous les fenêtres.

À part, tirant de sa poche la lettre qu’Henri lui a donnée.

Ah ça, mais j’y pense, moi ! Cette lettre qu’il m’a laissée pour elle... voilà le moment, ou jamais, de la lui remettre.

Bas à Henriette.

Prenez toujours ça, mamzelle, en attendant le jeune homme.

Elle sort.

HENRIETTE, lisant rapidement.

Un billet d’Henri ! Que vois-je ? oh ! noble cœur ! Mais non, jamais ! maintenant c’est impossible ! Il ne faut pas qu’il vienne ! Catherine ! – Elle est partie, ô mon Dieu !

DUBOURG.

Voyons, mes petits enfants, laissez-moi causer avec votre mère.

À Clara.

Et vous, mademoiselle, servez-moi chaud et tôt !...

Tous sortent, à l’exception de Dubourg et de sa femme.

 

 

Scène XVII

 

DUBOURG, MADAME DUBOURG

 

Ils se contemplent d’abord sans se parler.

MADAME DUBOURG, à part.

Quel retour et quel tête-à-tête ! Et tous mes achats ! toutes mes dettes !... Mais c’est plus que la misère ! c’est la faillite !

DUBOURG, d’un air très dégagé.

Eh bien, ma chère amie, comment vont nos petites affaires ? As-tu économisé pendant mon absence ?

MADAME DUBOURG.

Économisé... quoi ?

DUBOURG.

Pas même des dettes ? Alors, la position est claire ! rien dans les mains, rien dans les poches ! Qu’as-tu donc fait en ces trois années ? Tu as rêvé de beaux rêves, n’est-ce pas ? Tu n’auras été malheureuse que la moitié du temps, un an et demi !

MADAME DUBOURG, à part.

Quelle insouciance ! Je ne le reconnais plus !

DUBOURG.

Voici, ma chère, le cas de rêver, ou jamais. Surtout, pas de désespoir ; prenons le temps comme il vient, et la fortune... comme elle ne vient pas !... Henriette a des talents d’agrément ! cela nous servira.

MADAME DUBOURG.

J’ai fait de notre fille une grande dame ; n’attends d’elle aucun secours.

DUBOURG, à part.

Ce n’est pas ce qui m’a paru !

Haut.

Eh bien, croisons-nous les bras !... l’aisance nous arrivera un jour ou l’autre sous la forme d’un héritage ! Est-ce que nous n’avons pas quelque parent octogénaire ? non ! Mais nous sommes donc sans le sou ? Tant mieux encore ! nous ne devrons qu’à nous notre élévation future !

MADAME DUBOURG, avec accablement.

Tiens ! ne parle pas ainsi, tu me tuerais !

DUBOURG.

Comment ! lune sais pas planer au-dessus de ces petitesses ! tu as peur de la misère ! la pauvreté, je ne dis pas ; c’est un mal de naissance ! Mais la misère, c’est la pierre de touche des âmes riches !

MADAME DUBOURG.

Oh ! c’est plus fort que moi ! je n’y tiens plus ! Mais qu’as-tu fait dans ce maudit pays ?

DUBOURG.

Toutes sortes de métiers où, comme à Paris, j’ai rencontré une concurrence effroyable. J’ai déchargé les marchandises des navires, porté les fardeaux, fait les commissions en ville ; la chance m’a été favorable pendant trois mois ; je gardais les vaches : c’est un emploi assez bien rétribué. Quant à ramasser de l’or, il n’y fallait pas songer, à moins d’être déjà millionnaire, pour acheter les placers lucratifs, faire confectionner les instruments indispensables, payer les journées des ouvriers, solder les interminables frais de justice des éternels procès que l’on perd chaque jour ; sans parler des haines, des vengeances, des incendies, des vols, des attaques, des pillages, qui se résument par de longues colonnes de chiffres ajoutés au passif ! J’ai donc dû faire œuvre de mes deux mains, gagner mon pain à la sueur de mes épaules, et me trouver excessivement privilégié quand je voyais un poète balayer les rues et un homme d’État cirer les bottes. Juge donc si maintenant que je suis en France, malgré la faim et les guenilles, je n’ai pas le droit de me trouver heureux !

MADAME DUBOURG, avec vivacité.

Mais tu n’entends donc pas déjà nos créanciers hurlant à la porte ?

DUBOURG.

Nos créanciers ?

MADAME DUBOURG.

Hélas ! la saisie est maîtresse ici ; mais je n’attendrai pas qu’elle commence ! Ces cachemires, ces robes, je vais tout renvoyer chez les marchands.

Se tordant les bras.

Oh ! quel triomphe pour Mme Dubuisson !

Elle va plier le châle.

DUBOURG, l’arrêtant.

Un moment, madame Dubourg ; tu veux donc perdre mon crédit !

MADAME DUBOURG.

Mais comment payer ces fournisseurs ?

DUBOURG, majestueusement.

N’ai-je pas ma signature ? Une signature très bien mise, ma foi, et qui vient de Californie !

MADAME DUBOURG.

Et aux époques d’échéance elle sera forcée d’y retourner, n’est-ce pas ?

DUBOURG.

Mais non ! nous attendrons les créanciers de pied ferme.

MADAME DUBOURG.

Et tu crois qu’ils s’en iront comme ils seront venus ?

DUBOURG, solennellement.

Règle générale : un créancier qui vient parla porte s’en va toujours par la fenêtre ! Est-ce que nos gens ne seront pas là ?

MADAME DUBOURG.

Oh ! mon Dieu ! plus de doute, le malheur lui a fait perdre la raison !

DUBOURG.

Tu hésites, femme incrédule ! Ai-je donc été en Californie pour rien ? Non pas ! Je suis à la hauteur de toutes les positions sociales et de tous les besoins de la vie domestique ! Je serai à la fois mon laquais, mon cocher, mon groom, ma femme de chambre, ma cuisinière, ma société, ma voiture, mes chevaux ; et par ma gaieté, mon insouciance et mon toupet, je damerai le pion aux aristocraties les plus financières de notre beau pays de France ! Vois donc si le déjeuner s’apprête et si l’on a convenablement accommodé mes épigrammes de volaille aux pointes d’asperges !

MADAME DUBOURG.

Il est positivement fou ! Sortons, je ne puis plus y tenir.

Elle sort par la gauche, en levant les mains au ciel.

 

 

Scène XVIII

 

DUBOURG, seul

 

Immense éclat de rire.

Ah ! ah ! ah !... La pauvre femme !... J’ai peut-être un peu forcé la douche ! aussi elle a bien fait de sortir ; mon secret allait m’échapper, et mon coup de théâtre eût fait fiasco. Ruiné ? moi, ruiné ?... quand je reviens riche à tout jamais ; quand ce portefeuille contient un million à escompter ce soir ! Ah ! la chance, si hostile jusqu’ alors, m’a tendu la main là-bas ! Oui, la chance, je peux le dire ; car je me suis livré aux spéculations les plus folles, aux trafics les aventureux.

S’exaltant.

Et ma veine n’est pas au bout, je le sens ! Oh ! comme ici je vais exploiter cette fortune, la tripler et la quintupler, jusqu’à ce que je n’en connaisse plus le chiffre !... Va, ma chère femme, tu seras contente de moi ! Et toi, ma bonne Henriette, tu t’appelleras, dans huit jours, la princesse de... Justement, voilà l’homme !

 

 

Scène XIX

 

DUBOURG, ALEXIS

 

ALEXIS, même jeu que les deux premières fois.

M. le baron Dubourg, s’il vous plaît ?

DUBOURG.

Eh ! c’est ce cher prince...

ALEXIS, ne le reconnaissant pas.

Je demande M. le baron Dubourg ?

DUBOURG, s’inclinant.

Vous le voyez en personne. Monseigneur veut-il me permettre un doigt de toilette ?

ALEXIS, reculant et lorgnant.

Vous, Dubourg ! ah ! fi donc ! Et que signifie cette métamorphose ?

DUBOURG.

Une surprise, cher prince, une fantaisie, une étude de mœurs !... J’arrive à l’instant, et je me présente à ma famille comme ruiné...

ALEXIS, vivement.

Entre nous, vous ne l’êtes pas... réellement ?

DUBOURG, riant.

Cela me paraîtrait difficile ! et la fatalité même y perdrait son latin.

Tirant son portefeuille.

Mes millions sont là.

ALEXIS.

Permettez que je leur serre la main.

Il presse le portefeuille entre ses deux mains.

Vous êtes donc resté quelques jours à Nantes ?

DUBOURG.

Sans doute ; je n’étais pas aussi libre que vous, mon cher Salsificoff. À bord de la Cérès, où nous avons fait connaissance, vous voyagiez comme un prince, revenant d’Amérique aussi riche que vous y étiez allé...

ALEXIS.

Effectivement ; je parcourais l’Océan pour mon plaisir !

DUBOURG.

Mais, moi, j’avais des affaires d’intérêt à régler à Nantes... Ah ! c’est que la richesse ne m’a point bercé dans mes langes ! Ce n’est pas comme vous, monseigneur, qui êtes né tel que vous voilà...

ALEXIS.

Moi ? je n’ai même pas souvenir d’avoir été enfant ! il me semble que je ne suis point venu au monde, mais que le monde est venu à moi. Il paraît que j’ai toujours eu cet œil vif, cette démarche aristocratique, cette figure régulièrement...

Il pirouette.

DUBOURG.

À qui le dites-vous ? dès que je vous ai vu, à vingt-cinq pas, je me suis écrié : – Voilà un prince !

ALEXIS.

Mais vous-même, baron, vous respirez un certain parfum de race...

DUBOURG.

Au fait, on prétend que je suis d’une très ancienne famille.

À part.

Je descends d’Adam et d’Ève... par les femmes !

ALEXIS, négligemment.

Voyez-vous, nous autres grands seigneurs, nous avons je ne sais quoi qui nous distingue à première vue ! mes amis, vous le savez, affirment que je sors de la grande Catherine de Russie, et que j’ai mille paysans à manger par jour ?

DUBOURG.

Mille paysans ! corbleu ! il y aurait des affaires d’or à faire là-dessus ! on pourrait sans doute défricher ces paysans... Enfin, monseigneur, quand j’aurai l’honneur de vous avoir pour gendre, nous verrons à devenir milliardaires !... L’argent, c’est tout ! honneur, considération, vertu ! c’est lui que le mondé canonise !... N’est-ce pas un grand saint que cinq millions ?

ALEXIS, riant.

Fort joli ! fort joli ! Quand votre fille aura-t-elle l’honneur de m’être présentée ? 

DUBOURG.

À l’instant, prince. Mais, d’abord, il faut qu’elle sache la vérité, et connaisse ma nouvelle fortune.

ALEXIS.

Sans doute ; je veux être-prisé pour moi-même... Vous vous êtes assuré que son cœur est libre ?

DUBOURG.

Cela va sans dire...

ALEXIS.

Ainsi il m’appartiendra tout entier ?

DUBOURG.

Le cœur est le capital de cette société en commandite qu’on nomme le mariage ; du moment que vous en achetez toutes les actions, vous devenez le seul gérant responsable.

ALEXIS.

Vous êtes d’une force remarquable, baron ; vous estimez philosophiquement que l’argent fait le bonheur.

DUBOURG.

L’argent, et la manière de s’en servir !

ALEXIS, s’embrouillant.

Au fait, pourquoi les pauvres ne sont-ils pas heureux ? parce qu’ils n’ont pas d’argent ; s’ils avaient de l’argent, ils ne seraient pas pauvres, et, n’étant pas pauvres... ils auraient de l’argent... Vous me saisissez...

DUBOURG.

Admirablement.

ALEXIS.

Mon cher beau-père, j’oubliais une chose ; vous aurez quelques réformes à faire ici.

DUBOURG.

J’achète un hôtel, des chevaux, des voitures !

ALEXIS.

Renouvelez également votre valetaille ! ayez des gens de haute livrée... Je vous dirai que je me suis déjà présenté plusieurs fois. Dubourg, s’inclinant. Monseigneur...

ALEXIS.

Et que j’ai été mal reçu par une sorte de cuisinière...

À part.

celle dont le timbre...

DUBOURG.

Elle se nomme Catherine, je crois, et vient d’Auxerre en Bourgogne.

ALEXIS, à part.

Catherine ! Auxerre !... Malédiction ! le timbre ne m’a point trompé ! c’est bien ma tante !

DUBOURG.

Je vais la sonner et la chasser devant vous.

ALEXIS, le retenant, avec effroi.

Devant moi ! non, c’est inutile, ce serait inconvenant... Je désire seulement ne plus la rencontrer ici... Ah ! je tiens à cela, par exemple ! j’ai la faiblesse d’y tenir absolument... C’est une question de nerfs...

DUBOURG.

Alors je vais l’envoyer en commission pendant que vous êtes ici, et, à son retour, je l’expulse irrévocablement.

ALEXIS, à part, respirant.

À la bonne heure.

Haut.

Vous aurez sauvé les formes... Ah ! qu’il me tarde de voir la future princesse Salsificoff !

DUBOURG.

Quelqu’un !

Allant à la porte du fond.

Ma femme !... Monseigneur, veuillez passer dans mon cabinet ; nous reparaîtrons quand j’aurai dépouillé ma chrysalide.

Ils sortent par la droite en se faisant toutes sortes de salutations.

 

 

Scène XX

 

MADAME DUBOURG, HENRI, entrant par le fond

 

HENRI.

Dès que j’ai su le malheur qui vous frappe, madame, j’ai voulu mettre tout ce que je possède à votre disposition.

MADAME DUBOURG, s’éventant.

Ah ! monsieur, quelle affreuse chose que la ruine !... Ah ! j’ai reçu là un coup dont je ne me relèverai pas !

HENRI.

Un peu de force et de courage ! ne sort-on pas des positions les plus désespérées ?

MADAME DUBOURG.

La nôtre n’est pas seulement désespérée, elle est perdue sans ressource...

HENRI, insistant.

Laissez-moi vous détromper et travailler pour vous, madame ; car, moi, j’ai confiance dans l’avenir ! laissez-moi vous mettre à même de songer à demain sans vous préoccuper d’aujourd’hui ; laissez-moi surtout consoler ce pauvre M. Dubourg.

MADAME DUBOURG.

M. Dubourg ! il se console bien tout seul, allez !... Ce qui m’achève, c’est justement son insouciance !... Prendre si gaiement une si horrible infortune ! Oh ! les hommes !... Est-ce qu’on peut s’habituer à ne plus porter de dentelles et de cachemires... surtout quand on n’en a jamais porté... et qu’on a été sur le point de le faire !

HENRI.

Mais, madame, répondez-moi, de grâce !... Le temps presse, le moindre retard peut vous être fatal... Madame, acceptez ! c’est au nom de vos enfants...

MADAME DUBOURG.

En vérité, monsieur, je ne sais...

Elle hésite.

HENRI.

Oh ! merci, vous me rendez bien heureux, et je cours...

Fausse sortie.

 

 

Scène XXI

 

MADAME DUBOURG, HENRI, HENRIETTE.

 

HENRIETTE, paraissant à la porte du fond.

Arrêtez ! c’est impossible, monsieur Henri !

HENRI.

Mademoiselle... vous avez entendu...

HENRIETTE.

Non ; mais Catherine m’a remis cette lettre que vous m’aviez adressée.

HENRI.

Catherine, en effet...

HENRIETTE.

Lisez, ma mère...

MADAME DUBOURG.

« Mademoiselle, si je suis obligé de m’éloigner de vous, et si mes tristes pressentiments se réalisent, je veux être assuré que, pour quelque temps du moins, la pauvreté ne s’appesantira pas sur vous. Permettez-moi donc de déposer, avec ce titre de rentes, tout ce que je possède à vos pieds... »

Elle laisse tomber la lettre.

Ah ! l’excellent jeune homme !

HENRI, vivement, relevant et offrant le titre.

Eh bien ! madame, mademoiselle...

HENRIETTE, noblement.

Monsieur Henri, nous sommes ruinés ; mon plus grand bonheur serait de reconnaître votre admirable sacrifice, de consacrer ma vie entière à vous rendre heureux ; et, si mon père nous eût rapporté quelque, aisance, ma mère, vous dirait : – Voilà la main de ma fille ! et je la laisserais dire avec, une joie profonde.

HENRI.

Mademoiselle...

HENRIETTE.

Mais je ne puis vous faire épouser un désastre irréparable ; je ne puis mettre à votre charge toute une famille sans ressource et sans espoir !

HENRI, avec chaleur.

Ne comptez-vous donc pas sur mon courage autant que sur mon cœur ?

HENRIETTE.

Je ne me résignerai jamais à imposer mon malheur à l’homme que j’aime...

HENRI, courant à elle.

Henriette, au nom du Ciel !...

HENRIETTE, sérieusement.

C’est impossible !...

Repoussant une dernière fois le titre.

Adieu...

 

 

Scène XXII

 

MADAME DUBOURG, HENRI, HENRIETTE, PAUL, MARGUERITE, CLARA

 

Ils entrent par le fond.

LES ENFANTS.

Tiens ! voilà notre bon ami !

Ils courent à Henri, qui les embrasse tristement.

CLARA, effarée.

Madame ! mademoiselle ! il y a là une couturière, une modiste, un tapissier, un marchand de châles, qui font un bruit d’enfer pour vous voir. Ma mère est allée porter une lettre de M. Dubourg... Il m’a été impossible de les empêcher d’entrer...

MADAME DUBOURG, à part.

Voilà la crise !...

Haut, impatientée.

C’est bien !... qu’ils attendent... Je vais... je...

CLARA, à demi-voix.

Ils déclarent qu’ils ne sortiront pas d’ici avant d’avoir été payés.

HENRIETTE.

Mon Dieu ! mon Dieu !...

HENRI.

Laissez-moi faire, madame ! À bientôt, mademoiselle !

HENRIETTE.

Henri ! je vous défends...

HENRI.

Et moi, je vous désobéis !...

Il sort rapidement, suivi de Clara.

 

 

Scène XXIII

 

MADAME DUBOURG, HENRIETTE, PAUL, MARGUERITE, puis CLARA

 

Pendant que Mme Dubourg et Henriette se regardent consternées, les enfants courent çà et là dans la chambre, touchant à tout, et, en dernier lieu, ouvrent sur le devant de la scène la vieille valise de leur père.

HENRIETTE, s’essuyant les yeux.

Maman, mon pauvre père était épuisé de fatigue... Son déjeuner, du moins, est-il prêt ?

MADAME DUBOURG, éperdue.

Je ne sais... je...

HENRIETTE, à part.

Oh ! je souffre ! Que va faire Henri ?

MADAME DUBOURG.

Il faut appeler Catherine et savoir...

HENRIETTE.

Vous oubliez que Catherine est sortie.

Appelant.

Clara ! Ah ! ma foi, je servirai mon père moi-même... Il faut que je m’y habitue désormais...

Énergiquement.

Et tu verras qu’avec de l’ordre et du courage nous nous tirerons de l’abîme où nous sommes !...

MADAME DUBOURG.

Hélas ! que Dieu t’entende !

PAUL, arrêtant Henriette au passage.

Oh ! que c’est joli ! Vois-tu, Henriette ?

MARGUERITE.

Maman, regarde donc !

Ils tirent différents objets de la valise.

MADAME DUBOURG, bondissant de surprise.

Un cachemire !

HENRIETTE.

Un écrin !

CLARA, qui vient d’accourir.

Des diamants, mademoiselle ! une parure complète !

MADAME DUBOURG.

Des dentelles !

HENRIETTE.

Grand Dieu ! je tremble !... Est-ce que...

MADAME DUBOURG, hors d’elle.

Ma fille... je comprends... ton père... a voulu... C’est la fortune qui revient... Oh ! ma tête se perd !... je suis folle !... Ah !

Elle embrasse Henriette avec délire.

HENRIETTE, vivement.

Clara ! cours arrêter... et prévenir M. Henri...

Clara sort.

 

 

Scène XXIV

 

MADAME DUBOURG, HENRIETTE, PAUL, MARGUERITE, DUBOURG, ALEXIS

 

Dubourg, transforme de pied en cap, et Alexis entrent par le fond.

DUBOURG, à sa femme.

Me pardonneras-tu de l’avoir éprouvée ?

MADAME DUBOURG, avec un cri.

Nous sommes riches ! Ah ! je vais mourir de bonheur !

DUBOURG, les embrassant.

Ma femme ! mon Henriette bien-aimée ! mes enfants ! oui, nous sommes riches, riches à millions !

HENRIETTE.

Oh ! pourquoi ce mot me frappe-t-il au cœur ?

ALEXIS, lorgnant Henriette.

Pas mal ! pas mal !

DUBOURG, à sa femme.

Tiens, ma chère amie, enveloppe-toi de ce cachemire des Indes !... Tiens, mon Henriette, orne ton front charmant de ces parures !... Mes enfants, puisez les trésors dans cette valise enchantée ; quand il n’y en aura plus, il y en aura encore !

LES ENFANTS.

Merci, mon petit papa ! merci ! merci !

Ils lui sautent au cou.

MADAME DUBOURG, se parant.

Que tout cela est beau ! que tout cela est magnifique ! Éclipsée madame Dubuisson ! Et moi qui avais pu soupçonner ton génie ; ah ! mon ami, pardonne-moi ! ton pardon seul manque à notre bonheur !

HENRIETTE.

Notre bonheur ! hélas ! sera-t-il pour tout le monde ?

DUBOURG.

Indulgence plénière. Mais d’abord, ma chère femme, permets-moi de le présenter un gendre, et toi, ma chère Henriette, de te présenter un mari.

ALEXIS, saluant et lorgnant.

Madame, mademoiselle...

À part.

Pas mal ! pas mal !

DUBOURG, solennellement.

Monseigneur le prince Alexis Salsificoff, descendant de la grande impératrice Catherine de Russie, et boyard particulièrement distingué par sa majesté Nicolas.

MADAME DUBOURG, délirant de plus en plus.

Un boyard ! ma fille sera bavarde ! Pour le coup, la tête me tourne ! Vous nous épousez, monseigneur ? Dieu ! qu’il est bien ! Votre main, mon gendre !

HENRIETTE, accablée.

Oh ! ma mère a bien peu de mémoire au cœur !

DUBOURG.

Monseigneur, comme vous voyez, n’est pas ce que je ramène de moins précieux de la Californie !...

ALEXIS, posant.

Oui, madame, je suis... enchanté... de faire... votre connaissance. Pendant notre retour, M. le baron m’a longuement entretenu de sa position sociale et de sa fille : l’une et l’autre me vont !

MADAME DUBOURG.

Que le Ciel en soit béni ! Vous nous ferez venir des fourrures, monsieur le prince russe !... Moi, j’adore les fourrures ; il me faut un manchon en vraie martre. Celui de Mme Dubuisson est en fausse ! Tu ne sais pas, Henriette ? je te ferai doubler un talma en hermine. En attendant, mon ami, nous fêterons dignement ton retour. Je savais bien que tu reviendrais en triomphe, et j’avais tout préparé pour te recevoir triomphalement !... J’invite toute la ville à dîner !... Ah ! vous en serez, madame Dubuisson ! madame Dubuisson !... Monseigneur le prince russe de Salsificoff !!...

ALEXIS.

Madame, je suis de plus en plus flatté... de faire... votre connaissance.

MADAME DUBOURG, appelant.

Catherine ! où est Catherine ?

ALEXIS, à part.

Ah ! fichtre !

DUBOURG.

Catherine est en course ; mais je la remercierai à son retour : ce n’est plus à des gens de notre valeur qu’une pareille livrée peut convenir. Sais-tu qu’à San Francisco j’étais servi par des banquiers sans condition, qui ne rougissaient pas de monter derrière mes carrosses !

Avec une exaltation croissant jusqu’au paroxysme.

Oh ! c’est que j’étais tout-puissant dans ce pays où l’or fait la toute-puissance. J’ai senti là que la fortune devenait mon esclave ; les spéculations les plus fantastiques m’ont réussi ; j’ai fait des opérations sur l’habillement, la nourriture, le logement, la respiration des mineurs ; j’ai acheté d’immenses terrains aurifères, d’où j’ai extrait le crédit et la considération ; j’ai accaparé la pluie qui tombait sur ces terrains brûlants, et le vent qui emportait les navires vers l’Ancien-Monde ! Oui, la spéculation s’est incarnée en ma personne, et je viens m’exercer ici sur un champ plus vaste et plus productif ; je veux transporter à Paris les terrains de San-Francisco, délivrer les chercheurs d’or du danger des voyages, faire couler le Sacramento dans le lit de la Seine ; en un mot, je vais acheter les montagnes de la Californie en bloc, les apporter en France, et les fouiller au sein même de la capitale ! L’Europe entière me prendra des actions, et l’empereur Nicolas s’agenouillera pour en obtenir ; n’est-ce pas, monsieur Salsificoff ?

MADAME DUBOURG.

Ah ! mon ami !... embrasse-moi !... encore ! encore !... Embrassez-moi, mon gendre !... Que c’est superbe un boyard au naturel ! Vous ne savez pas ce que nous ferons ? Nous retiendrons demain la plus belle loge de l’Opéra, et nous y apparaîtrons tous ensemble en grande toilette à la représentation du Juif errant. Ce sera notre entrée dans le monde !

Pendant toute cette scène, Henriette est restée absorbée comme dans un mauvais rêve.

 

 

Scène XXV

 

MADAME DUBOURG, HENRIETTE, PAUL, MARGUERITE, DUBOURG, ALEXIS, HENRI

 

HENRI, entrant par le fond.

Madame Dubourg, ne craignez plus rien, voici vos mémoires que vous me pardonnerez d’avoir acquittés.

MADAME DUBOURG, étourdiment.

Hein ! qu’est-ce que c’est ?

DUBOURG.

Que veut monsieur ?

ALEXIS, lorgnant.

D’où sort monsieur ?

HENRIETTE, bravement.

C’est M. Henri Frémont, mon fiancé, mon père !

DUBOURG.

Qu’est-ce que cela veut dire, madame Dubourg ?

HENRI.

Monsieur Dubourg ! Quelle transformation ! Oh ! permettez-moi de...

DUBOURG.

Assez, monsieur. Vous avez osé prétendre à la main de ma fille ?

HENRI, à Mme Dubourg.

Madame...

MADAME DUBOURG, embarrassée.

Mon Dieu, monsieur, notre position, la richesse... un prince russe... et puis l’empereur Nicolas...

DUBOURG.

Monsieur, je vous remercie de l’intérêt que vous avez porté à ma famille, car je crois comprendre votre dévouement, et je m’acquitterai ce soir même envers vous... Mais, avant, mon retour, j’avais disposé de la main de ma fille ; vous comprenez donc que nous sommes désolés... et millionnaires...

ALEXIS.

Et c’est moi qui suis le prince Alexis Salsificoff, descendant, selon mes amis, de...

HENRIETTE, tombant sur une chaise.

Oh ! mon père, vous m’aurez tuée !

HENRI.

Monsieur, n’aurez-vous pas pitié d’un ange qui se meurt, et qui, sans votre ambition, aurait trouvé le bonheur dans mon humble fortune !

DUBOURG.

Ma fille se consolera, monsieur, d’avoir la Californie pour dot. Toute insistance serait déplacée... Pardonnez-moi, prince, cet incident saugrenu.

ALEXIS.

Je pardonne !

HENRIETTE.

À moi, ma mère ! ma mère !

MADAME DUBOURG.

Nous sommes millionnaires, ma fille !

HENRI, avec force.

Ah ! prenez garde, monsieur et madame Dubourg ! le bonheur n’est pas doublé d’argent ni cousu d’or, et la fortune qui revient de la Californie tourne sur une roue inconstante...

DUBOURG.

Encore une fois, monsieur, assez ! J’ai déjà eu l’honneur de vous dire...

 

 

Scène XXVI

 

MADAME DUBOURG, HENRIETTE, PAUL, MARGUERITE, DUBOURG, ALEXIS, HENRI, CATHERINE, CLARA

 

CATHERINE, entrant brusquement par le fond.

Ah ! quel malheur ! ah ! quel bonheur ! ah ! quel malheur !

ALEXIS, pétrifié, à part.

Ma tante !

Se retournant et rencontrant Clara.

Ma cousine ! Pris entre deux feux !... Tâchons de filer !...

Jusqu’à la fin de la scène, il cherche à sortir, sans pouvoir en venir à bout.

DUBOURG.

Qu’est-ce donc ?

CATHERINE.

Ce bout de lettre que vous m’avez donné...

DUBOURG.

Eh bien, je prévenais mon banquier qu’il eût à escompter mes traites.

CATHERINE.

Oui-dà ! mais bonsoir la compagnie ; la boutique est fermée !

DUBOURG, stupéfait.

Fermée ! la maison Edward !

HENRI.

Ciel ! la maison Edward ! elle vient de suspendre ses payements ; c’est plus qu’une faillite, c’est une banqueroute frauduleuse !

Dubourg tombe anéanti.

HENRIETTE.

Mon père !

MADAME DUBOURG.

Nous sommes encore ruinés ?

DUBOURG.

Ruinés à fond et sans retour ! Toutes mes valeurs étaient là, et cette faillite entraînera toutes les banques d’Amérique.

CATHERINE.

Les ours se suivent et ne se ressemblent pas !

HENRI, après un silence.

Mademoiselle Henriette, notre tour revient.

HENRIETTE.

Eh bien, oui ! Mon père, laisserez-vous votre fille relever votre bonheur, à force de courage et d’affection ?

DUBOURG, à Alexis.

Monseigneur de Salsificoff, nous n’avons plus d’espoir qu’en vous !

ALEXIS.

Je suis désolé, monsieur... d’avoir fait... votre connaissance.

À part.

Tâchons de filer !

CLARA, l’observant.

Ah ! mon Dieu !. mais cette figure ne m’est pas étrangère !

CATHERINE, de même.

M’est avis que cette face me revient comme un recors.

ALEXIS.

Je suis trop honoré... véritablement... mais...

À part.

Tâchons de filer !

LES ENFANTS.

Monsieur le prince russe, ne t’en va pas ; tu ne t’en iras pas ! tu nous as promis des gâteaux !

Ils le font asseoir, sautent sur ses genoux, lui tirent la barbe et les cheveux, si bien qu’il leur vient une perruque à la main.

CATHERINE, avec un cri.

Miséricorde ! mon neveu ! mon neveu, qui a été escalpé par les Zottentots !

ALEXIS.

Je suis pincé !

CLARA, courant à lui.

Mon cousin ! mon cher cousin !

MONSIEUR, MADAME DUBOURG et HENRIETTE.

Son neveu ! son cousin !

HENRI, montrant la cuisinière.

Ah ! ah ! voilà donc la grande Catherine de qui descend Son Altesse !

CATHERINE.

Je te tiens enfin, mauvais sujet ! Et tu oses donner dans le noblion !

ALEXIS, confus.

Ce n’est pas moi... c’est monsieur... qui m’appelait prince...

DUBOURG, de même.

Et c’est monsieur... qui m’appelait baron...

CATHERINE.

Oui, l’occasion fait le marron, et les œufs font la paire, comme dit le proverbe ; mais je suis sûre que tu es gueux comme Job, et que tu n’as pas seulement mes cent écus à me rendre ?

ALEXIS.

Ma tante... les destins et les flots sont changeants.

HENRI.

Allons, monsieur Dubourg ! vous avez fait un rêve d’enfant ! sachez vous réveiller en homme... Vous avez pris l’ombre pour le corps et les mannequins pour des princes russes... Pauvre et riche deux fois en un jour, vous savez ce que valent les châteaux en Californie... Rien n’est perdu, puisqu’il vous reste votre raison, votre famille...

CATHERINE, qui est allée chercher une cassette dans un coin, avec une intention matoise.

Et ce coffret que vous aviez laissé à la bourgeoise en partant... m’est avis qu’il doit recéler quelque magot... Dans les petites peaux sont les bons enfants...

DUBOURG, prenant la cassette.

Ce coffret... ? je ne me souviens plus...

MADAME DUBOURG.

Si c’était un trésor !...

DUBOURG, ouvrant la cassette et en tirant un compas, une équerre, un plomb à niveau, etc.

Mes instruments d’architecte !

Avec force et conviction, et comme un homme dégrisé.

Oui, c’est un trésor, en effet ! Le trésor qui brave les revers et les faillites ! L’intelligence, la patience et le travail !... Soyez béni, mon Dieu, de ce trait de lumière !

Pressant les outils sur son cœur.

Je reprends mon état, et ne le quitterai plus ! Voilà la vraie richesse !

HENRIETTE, se jetant dans ses bras.

Oh ! merci ! merci, mon père !

DUBOURG.

Ta main, Henriette ; la vôtre, Henri !

Il les unit. Henri tend la main à Mme Dubourg. Groupe.

HENRI.

Et voilà le bonheur solide !

MADAME DUBOURG, pleurant, à part.

Mon cachemire me reste au moins pour la noce.

CATHERINE.

Et toi, Clara, comment trouves-tu ton cousin sans le sou... et sans cheveux ?

CLARA, donnant la main à Alexis.

Je l’aime toujours comme il est, moi, na !

CATHERINE.

Pour lors, Alexis de Salsifis, maintenant que chacun est dans la joie, viens voir si la joie est dans le pot-au-feu. – Et souvenons-nous que ce n’est pas la maison du dehors qui est la meilleure.

Regardant. Dubourg.

Et que père qui roule n’amasse pas de mousse.

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