Les Brigands des Alpes (Jacques-François ANCELOT - Joseph-Xavier Boniface SAINTINE)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 19 novembre 1818.

 

Personnages

 

SAINVILLE, chef d’escadron de hussard, amant de madame Dorlange

L’OLIVE, son valet

DURAND, aubergiste dans les Alpes

MADAME DORLANGE, jeune veuve

FINETTE, sa suivante

URSULE, nièce de Durand

 

La scène se passe dans une salle commune d’auberge.

 

Le Théâtre représente une salle commune d’auberge, dont le fond est découvert, et laisse voir les Alpes. Des chambres à droite et à gauche ; une fenêtre à droite de l’acteur.

 

 

Scène première

 

DURAND, URSULE

 

DURAND.

Eh bien, Ursule, as-tu rangé tout dans la maison ? les chambres sont-elles prêtes ?

URSULE.

Oui, mon oncle, il ne manque plus que des voyageurs.

DURAND.

Il faut les attendre patiemment.

URSULE.

C’est ce que nous faisons d’puis longtemps ; je crains bien qu’ça n’continue ; votre auberge est si mal située ! au milieu des Alpes, tout près de la forêt où c’vilain Spalazzi, avec toute sa bande, attend aussi les voyageurs !

DURAND.

Et il en rencontre plus que moi ! Tous les jours on parle d’ ses brigandages. Il fait d’ bonnes affaires, lui ; et moi j’en fais d’ bien mauvaises avec les voyageurs qui ont traversé la forêt, il leur laisse si peu d’ chose à dépenser !

URSULE.

Heureusement, vous êtes dédommagé par ceux qui viennent d’ l’autre côté !

DURAND.

Il est vrai qu’en revanche je lui laisse à prendre le moins que je peux.

URSULE.

Le seul nom de Spalazzi m’fait frissonner ; lui et ses compagnons sont d’ bien vilaines gens !

Air : Vaudeville du Petit Courier.

L’autre jour, traversant le bois,
Suzon revenait au village,
Quand, tout-à-coup, sur son passage,
Trois brigands s’offrent à la fois !
Huit jours elle fut prisonnière ;
Colin la boude maintenant ;
Je n’ sais pas c’ qu’ils ont pu lui faire ;
Mais j’ crains qu’il n’ m’en arrive autant !

DURAND.

Même air.

Oui, si j’en crois tous les discours,
Ces coquins-là sont fort à craindre,
Lucas a beaucoup à s’en plaindre ;
Il m’a raconté de leurs tours !
Spalazzi, ce brigand infâme,
Lui prit tout son argent comptant ;
Il ne lui laissa que sa femme !...
Je crains qu’il n’m’en arrive autant !

URSULE.

T’nez, mon oncle, n’ parlons plus d’ ces gens-là.

DURAND.

Soit ! et d’ailleurs j’ai d’heureux pressentiments pour la journée. Et parbleu ! ils ne sont pas sans fondement ; j’entends une voiture, je crois...

URSULE, regardant par la fenêtre.

C’est vrai. Elle s’arrête dans la cour ; il en sort deux beaux messieurs : l’un a un bel habit avec d’ lor dessus.

DURAND.

Il faut aller les recevoir.

URSULE.

Les voilà qui entrent. Par ici, Messieurs, par ici, c’est cela, la porte à droite. Vous y voilà.

 

 

Scène II

 

DURAND, URSULE, SAINVILLE, L’OLIVE, portant des paquets

 

DURAND.

Entrez, Messieurs, entrez, soyez les bienvenus.

SAINVILLE.

Vous êtes le maître de cette maison ? Avez-vous un appartement à me donner ?

DURAND.

Dix, Monsieur, à votre service.

L’OLIVE.

Voilà une auberge bien achalandée.

SAINVILLE.

Un seul me suffit.

DURAND.

Vous allez avoir le plus beau.

L’OLIVE.

C’est-à-dire le plus cher.

SAINVILLE.

Faites-y porter mes paquets ; prenez garde à ceux-ci.

DURAND.

Soyez tranquille, Monsieur. Ursule, aide-moi.

SAINVILLE.

La petite est gentille.

 

 

Scène III

 

SAINVILLE, L’OLIVE

 

L’OLIVE.

Ainsi, Monsieur, nous allons donc enfin nous arrêter ici. Dieu soit loué ! depuis hier soir que nous avons quitté la ville de Gap, où votre régiment est en garnison, la fatigue et la soif m’accablent. Des chemins affreux, des montagnes à perte de vue ! En conscience, Monsieur, ces Alpes m’épouvantent, et il est temps que nous nous reposions ; j’ai assez de courses comme cela.

Air : À soixante ans.

Du voyageur, qui visite le monde,
Je suis bien loin d’admirer les travaux,
Je puis tout voir, sur la machine ronde ;
Mais sans courir et par monts et par vaux ;
Le verre en main, de la nature entière,
Je sais le centre, quand je bois !
Le voyageur tourne autour de la terre.
La terre tourne autour de moi !

Même air.

Lorsque le temps, dont la faux meurtrière,
Frappe, sans choix et moissonne au hasard,
Viendra briser ma bouteille et mon verre,
Et m’annoncer le moment du départ ;
Je ne veux point de pompeux cénotaphe,
Qu’on m’enterre dans un tonneau ;
En y gravant cette simple épitaphe :
« Ci-git qui creusa son tombeau ! »

SAINVILLE,

As-tu bientôt fini ?

L’OLIVE.

J’ai tort de parler de vin, cela me met l’eau à la bouche, et ma soif redouble à un point !... On doit faire maigre chère dans cette hôtellerie... mais, Monsieur, parce que madame Dorlange, dont vous êtes si tendrement épris, justement effrayée de vos étourderies, a juré de ne vous épouser qu’au bout d’une année, pendant laquelle vous donnerez des preuves de sagesse, est-ce une raison pour exécuter un projet aussi extravagant que celui que vous avez conçu ?

SAINVILLE.

Vas-tu recommencer tes éternelles remontrances ? et n’est-ce pas le seul moyen de mettre obstacle à ce voyage en Italie qu’elle entreprend pour me désespérer ?

SAINVILLE.

Et ne craignez-vous pas que madame de Flavigny, qui déjà vous a dévoilé le dessein formé par madame Dorlange, ne lui découvre aussi le vôtre, que vous lui avez si imprudemment confié ?

SAINVILLE.

Elle m’a promis d’être discrète.

L’OLIVE.

Elle l’avait sans doute promis à madame Dorlange ; quoi qu’il en soit, l’extravagance de votre projet m’effraie.

SAINVILLE.

Plus il est extravagant, plus il me convient.

L’OLIVE.

Patience, vous ne serez pas toujours si fou !

SAINVILLE.

Pourquoi non ? Je ne connais pas de meilleure philosophie.

Air : du major Palmer.

Consacrons à la folie
Les jours de notre printemps,
Le carnaval de la vie,
Dure, hélas ! si peu d’instants.
Usons de toute ressource,
Obéissons au désir,
Car la vie est une course,
Dont le but est le plaisir.

L’OLIVE.

Dans les nœuds du mariage,
Sitôt que vous serez pris,
Monsieur, vous aurez, je gage,
Tous les défauts des maris :
Vous serez quinteux, avare,
Triste et grondeur à l’excès ;
Vous serez jaloux, bizarre...

SAINVILLE.

Moi, jaloux ! je suis Français.

L’OLIVE.

Aux plaisirs de la jeunesse,
Faisant alors le procès,
Vous prêcherez la sagesse...

SAINVILLE.

Mon ami, je suis Français !

L’OLIVE.

Près d’une beauté nouvelle,
Si vous trouvez quelqu’accès...

SAINVILLE.

Oh ! non ! je serai fidèle !

L’OLIVE.

Monsieur, vous êtes Français !

Mais enfin, Monsieur, qui endossera les lugubres habits que vous avez loués chez le costumier du théâtre. Il nous faut une troupe.

SAINVILLE.

Quelques domestiques de l’auberge, et l’aubergiste lui-même.

L’OLIVE.

Allons, Monsieur, faites ce que vous voudrez, et Dieu veuille que cela finisse mieux que je ne l’espère ; car pour moi, ces hautes montagnes, les forêts qui les entourent, m’inspirent de tristes pressentiments.

SAINVILLE.

Et à moi de charmants souvenirs ; c’est ici que j’ai fait mes premières armes. Quand j’ai franchi ces Alpes, ce n’était pas vous que je poursuivais, madame Dorlange ; une beauté plus sévère et non moins adorée, la gloire faisait seule alors palpiter mon cœur.

L’OLIVE.

Quoi ! Monsieur, vous avez gravi ces montagnes au milieu de la neige, des glaçons, et si jeune... Vous avez dû bien souffrir.

SAINVILLE.

Souffrir ! pense-t-on à cela ?

Air : de la Sentinelle.

Des maux passés dois-je me souvenir ?
Au champ d’honneur, guidé par l’espérance,
Dès ce temps-là, découvrant l’avenir,
J’entrevoyais la gloire de la France !
De la patrie heureux soutien,
Lorsque pour elle l’on s’expose,
Ce que l’on a souffert n’est rien,
Ce que l’on souffre est peu de chose.

L’OLIVE.

Ah ça ! Monsieur, il faut décider notre hôte à prendre le rôle que vous lui destinez dans votre mascarade. Je crains qu’il ne refuse.

SAINVILLE.

Quelqu’argent le décidera ; sonne.

 

 

Scène IV

 

SAINVILLE, L’OLIVE, DURAND

 

DURAND.

Ces Messieurs ont appelé ?

SAINVILLE.

Oui, monsieur l’hôte : d’abord, comment vous nomme-t-on ?

DURAND.

Durand.

SAINVILLE.

Eh bien ! brave Durand, il faut nous servir...

DURAND.

Le déjeuner ?

SAINVILLE.

Non, pas pour l’instant ; mais, dites-moi, avez-vous quelquefois vu jouer le mélodrame ?

DURAND.

Oui, monsieur, nous avons une salle de spectacle superbe au bourg voisin.

L’OLIVE.

Ah ! ah !

DURAND.

Il y vient même de temps en temps des acteurs de Paris.

L’OLIVE,

Bah ! jusqu’ici !

DURAND.

Oui, vraiment, Monsieur, et ils jouent la tragédie tous les jours de marché.

SAINVILLE.

Y assistez-vous souvent ?

DURAND.

Toutes les fois que cela m’est possible.

SAINVILLE.

En ce cas, vous êtes bien en état de prendre un rôle dans une mascarade.

DURAND.

Quel rôle et quelle mascarade ?

SAINVILLE.

Si, par exemple, désirant exercer une petite vengeance sur une jolie dame qui me suit de fort près, j’avais formé le projet de l’arrêter chez vous, et de l’effrayer un peu sous le costume des brigands des Alpes, refuseriez-vous de me seconder ?

DURAND.

Oui, certainement, je refuserais.

SAINVILLE.

Et pourquoi ? ce n’est qu’une plaisanterie qui durera peu d’instants. D’ailleurs, après l’avoir un moment tourmentée sous ce déguisement, je veux mériter sa reconnaissance en venant la délivrer moi-même.

DURAND.

Très bien, mais la justice...

L’OLIVE.

Cela vous effraie ?

SAINVILLE,

Vous avez tort. J’ai dans mes paquets un habit complet qui vous irait à merveille.

Air : Un homme pour faire un tableau.

Le gros bonnet de Dourlinski,
La moustache de Barberousse,
Le grand sabre de Tékéli ;
Allons, que votre œil se courrouce ;
Dans nos projets secondez-nous,
Ayez l’air dur et la voix haute ;
Pour m’aider, j’ai compté sur vous...

DURAND.

Vous avez compté sans votre hôte.

L’OLIVE.

Comment ! des scrupules, un aubergiste !

DURAND.

Tout comme un autre ; et honnête homme, je veux garder mon costume d’honnête homme.

SAINVILLE.

Quelle idée ! ah ! mon pauvre Durand.

L’OLIVE.

Ah ! diable ! Monsieur, je fais une réflexion.

Air : du Verre.

À prendre ce déguisement,
Il pourrait consentir, sans doute,
Mais il est un événement
Qu’avec raison, Monsieur redoute ;
Sous le costume d’un voleur,
Il se compromettrait peut-être ;
Car enfin quelque voyageur
Pourrait fort bien le reconnaître.

DURAND.

C’est clair ça ! si des voyageurs me voyaient sous cet accoutrement, que diraient-ils ?

L’OLIVE.

Ils diraient... et parbleu ! ils diraient ce qu’ils ont souvent dit sans doute... Cela ne vous est-il jamais arrivé ?

DURAND.

Ah ! je ne dis pas que quelques mauvais plaisants...

SAINVILLE.

Eh bien ! vous le voyez, vous êtes déjà accoutumé au nom, pourquoi tant de cérémonies pour prendre le costume ?

DURAND.

Ma foi ! j’ai une répugnance...

SAINVILLE, lui montrant une bourse.

Je vois bien qu’il faut en venir aux grands moyens ? Voyez, cela peut-il vous tenter ?

DURAND.

Combien y a-t-il là dedans ?

SAINVILLE.

Dix louis d’or.

DURAND.

Écoutez donc, Monsieur...

SAINVILLE.

Vous hésitez ? n’en parlons plus.

DURAND.

Vous êtes bien pressé.

SAINVILLE.

Je n’ai pas le temps d’attendre ; ces dames vont arriver, décidez-vous.

DURAND.

Allons !

SAINVILLE.

Ainsi, Durand, c’est un marché conclu, je compte sur vous et vos domestiques.

DURAND, serrant l’argent.

Je suis si bon !

SAINVILLE.

Fort bien ! nos victimes ne doivent pas tarder à arriver, il faut...

 

 

Scène V

 

SAINVILLE, DURAND, L’OLIVE, URSULE, accourant

 

URSULE.

Ah ! mon oncle, mon oncle, une voiture qui amène deux dames entre dans la cour.

SAINVILLE.

Ce sont elles.

L’OLIVE, regardant à la fenêtre.

Elles-mêmes, mon Dieu que de paquets, que de cartons : Il y a la charge d’un mulet.

DURAND.

La charge d’un mulet ! j’y vais !

SAINVILLE.

Et nous, courons nous préparer ; monsieur l’hôte, songez à votre promesse, je vous attends. L’olive, suis-moi.

 

 

Scène VI

 

URSULE, seule

 

Qu’est-ce donc qu’ils veulent faire ? Pourquoi s’en vont-ils, quand ces belles dames arrivent. Ah ! quand je parais queuqu’ part, si les jeunes gens se sauvaient, je n’ trouverais pas ça naturel... C’est que vraiment ça n’est pas naturel du tout, mais du tout ! Et je ne conçois pas la conduite de ceux-ci ! il y a queuque manigance là-dessous... c’est sûr.

 

 

Scène VII

 

URSULE, MADAME DORLANGE, FINETTE, DURAND

 

DURAND.

C’est entendu, entrez, Madame, je vous offre cet appartement, c’est un des plus agréables de ma maison. Vous voyez, une porte donne dans cette salle, et une autre dans l’ jardin.

MADAME DORLANGE.

Eh bien, je l’accepte.

DURAND.

J’vais l’ préparer ; voilà ma nièce à qui vous pouvez vous adresser pour tout c’qui vous s’ra nécessaire.

MADAME DORLANGE.

Fort bien, monsieur l’hôte.

DURAND, à part.

Allons rejoindre not’ jeune militaire.

 

 

Scène VIII

 

MADAME DORLANGE, FINETTE, URSULE

 

URSULE.

Madame a-t-elle queuqu’ chose à m’ordonner

MADAME DORLANGE.

Dites-moi, ma petite, avez-vous ici beaucoup de voyageurs ?

URSULE.

Non, Madame, il n’passe pas grand monde par ici, et nous n’avons qu’ deux voyageurs arrivés d’ ce matin.

MADAME DORLANGE.

Deux voyageurs... Finette, ce sont eux.

FINETTE.

Oui, Madame.

MADAME DORLANGE.

Et ! comment sont-ils ces deux Messieurs ?

URSULE.

Ma fine, l’un a un bel habit galonné, l’aut’ est, j’ crois, son domestique.

MADAME DORLANGE.

Ils sont jeunes ?

URSULE.

Oh ! oui ! et puis ils sont d’une gaieté, mais d’une gaieté... cependant ils ont queuque chose d’ singulier, ils ont apporté avec eux d’s’habits ben drôles et ben vilains, j’ai r’gardé ces paquets en rangeant leur chambre.

MADAME DORLANGE.

Ah ! vous êtes curieuse.

URSULE.

Oh ! pour ça non ! c’est qu’ j’ voulais tant seulement voir c’ qu’il y avait là-dedans.

MADAME DORLANGE.

Plus de doute, Finette,

À Ursule.

laissez-nous ma chère, et portez ces paquets dans mon appartement, mais me faites pas comme avec ceux de ces Messieurs.

URSULE.

Ah ! mon dieu ! est-ce que j’ai besoin d’ savoir vos secrets moi ?... Qu’est-ce donc qu’il y a dans ces paquets, comme c’est lourd.

 

 

Scène IX

 

MADAME DORLANGE, FINETTE

 

MADAME DORLANGE.

Eh bien ! Finette ? Ils sont ici. Il n’a point renoncé à cet extravagant projet dont il a fait part à madame de Flavigny, et qu’heureusement j’ai appris de sa bouche.

FINETTE.

Renoncer à une folie ! l’avez-vous pu croire.

MADAME DORLANGE.

Air de Turenne.

Depuis longtemps, il a lu dans mon âme ;
De mon amour voilà donc tout le prix !
Pour me contraindre â couronner sa flamme,
L’extravagant, quels moyens il a pris !
Je me flattais, je l’avouerai, Finette,
Que la raison aurait repris ses droits.
J’eus tort ; un fou réfléchit quelquefois,
Mais c’est quand la folie est faite.

FINETTE.

Sans doute, il réfléchit... aux moyens d’en faire d’autres.

MADAME DORLANGE.

Celle-ci est trop forte, et n’est point de celles qu’on pardonne.

FINETTE.

Vous la pardonnerez pourtant ! Allons, Madame, quittez cet air fâché, qui contraste avec votre caractère, suivez le plan que vous avez d’abord conçu, en apprenant celui de monsieur Sainville, opposez la ruse à la ruse, punissez-le d’avoir voulu vous tourmenter en le tourmentant lui-même, et, puisqu’il faut toujours que nous soyons trop bonnes, finissez par excuser une extravagance qui, à tout prendre, vous prouve l’excès de son amour.

MADAME DORLANGE.

Non pas.

Air : Que d’établissements nouveaux.

Je romps tous nos engagements,
Et malgré mon air de folie,
Je saurai tenir mes serments,
Et partirai pour l’Italie.

FINETTE.

Quoi ! le laisser dans l’abandon,
Madame, la vengeance est grande.

MADAME DORLANGE.

Il n’obtiendra pas son pardon.

FINETTE.

À moins qu’il ne vous le demande.

MADAME DORLANGE.

Tu crois, Finette ?

FINETTE.

J’en suis sûre, Madame, d’ailleurs vous avez des torts envers lui.

MADAME DORLANGE.

Des torts ?

FINETTE.

Oui, partir sans le prévenir, le laisser en proie au chagrin pendant une année, au moins, que doit durer votre voyage en Italie ; tout cela n’était-il pas capable de l’irriter.

MADAME DORLANGE.

Mais Finette, j’avais juré de ne l’épouser qu’au bout d’un an, et pour tenir mon serment il fallait bien le fuir.

FINETTE.

Mais, Madame, il a juré de vous épouser avant trois mois, et, pour tenir son serment, il fallait bien vous suivre.

MADAME DORLANGE

Me suivre, bon ! mais se déguiser en brigand, vouloir m’arrêter et me causer une frayeur.

FINETTE.

Oh ! je suis sûre que ce sera le brigand le plus poli du monde.

Air : Muses des bois et des accords champêtres.

Vous le verrez, l’air sombre, l’œil farouche
Auprès de vous s’avancer en tremblant,
Pour menacer, il ouvrira la bouche,
Et vous tiendra quelque propos galant ;
Vous le verrez frémir de vos alarmes,
Se courroucer, vous faire les yeux doux,
Enfin terrible et saisissant ses armes,
Le glaive en main, tomber à vos genoux.

MADAME DORLANGE.

Tu plaides sa cause avec une éloquence...

FINETTE.

Qui ne vous déplait pas.

MADAME DORLANGE.

Je dois suivre ton conseil et ne songer qu’à la leçon que je veux donner à mon étourdi.

FINETTE.

Sans doute, Madame, l’ennemi se prépare maintenant pour l’attaque.

MADAME DORLANGE.

Apprêtons-nous à la défense.

Air : le Luth joyeux, etc.

La ruse en vain vient à votre secours,
Et, lorsqu’il faut jouer de malins tours,
Messieurs, nous en trouvons que votre sexe ignore,
Et tant de fois trompés, vous le serez encore !

FINETTE.

Ils le seront toujours !

Eh ! Madame, voici la nièce de notre hôte qui accourt tout effrayée.

 

 

Scène X

 

MADAME DORLANGE, FINETTE, URSULE

 

URSULE.

Air : Verse encor.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu !
Où fuir, et dans quel lieu,
Hélas ! me cacherai-je ?
Qu’ai-je vu, dans la maison, grand Dieu !
Si l’on ne nous protège,
Ils vont mettre le feu.

MADAME DORLANGE.

D’où naissent vos terreurs ?

URSULE.

Les voyez-vous paraître ?

MADAME DORLANGE.

Et qui donc ?

URSULE.

Des voleurs.
Évitons leurs fureurs !
Ils s’avancent vers nous,
Et mon oncle, peut-être,
En bravant leur courroux,
Est tombé sous leurs coups.

Ensemble.

MADAME DORLANGE.

Ah ! mon Dieu ! etc.
Pourquoi fuir de ce lieu ?
Des brigands, que craindrai-je ?
Non, je veux les attendre ti ce lieu ;
Restez, je vous protège,
Ils n’auront pas beau jeu.

URSULE.

Ah ! mon Dieu, etc.
Où fuir, et dans quel lieu,
Hélas ! me cacherai-je ?
Qu’ai-je vu, dans la maison, grand Dieu !
Si l’on ne nous protège,
Ils vont mettre le feu.

FINETTE.

Ah ! mon Dieu ! etc.
Aux brigands, en ce lieu,
Nous allons tendre un piège.
Mon enfant, demeurez en ce lieu
Contre eux on vous protège,
Ils n’auront pas beau jeu.

MADAME DORLANGE.

Il y a donc des brigands dans la maison ?

URSULE.

Oui, madame, et je ne sais où est mon oncle.

FINETTE.

Je soupçonne qu’il est du complot.

MADAME DORLANGE.

Cela est probable

URSULE.

J’ n’ai eu que l’ temps d’ fermer les portes des chambres à double tour, et d’emporter les clefs en me sauvant.

MADAME DORLANGE.

Avez-vous celle de l’appartement des nouveaux venus ?

URSULE.

Oui, la voilà.

MADAME DORLANGE.

Donnez-la-moi.

URSULE.

Mais...

MADAME DORLANGE.

Donnez, donnez et rendez-vous chez moi, je vous expliquerai ce que j’en veux faire ; j’attends ici les brigands.

URSULE.

Comment ? vous les attendez... et s’ils vous égorgeaient !

MADAME DORLANGE.

Ils n’égorgeront personne.

URSULE.

Ah mon Dieu ! les voilà ! sauve qui peut !

 

 

Scène XI

 

MADAME DORLANGE, FINETTE, SAINVILLE, L’OLIVE, DURAND, en brigands, CHŒUR DE BRIGANDS

 

SAINVILLE.

Air : d’Azémia.

Guerre aujourd’hui,

MADAME DORLANGE, bas à Finette.

C’est lui.

L’OLIVE.

Au bien d’autrui.

FINETTE, bas à madame Dorlange.

C’est lui

SAINVILLE.

Guerriers, l’effroi de ces montagnes,
Vous trouverez tous des compagnes,
Dans ces campagnes
Retirez-vous ;
Mais veillez autour de ces belles,
En sentinelles,
Et laissez-nous.

À Durand.

Allez, Férocini, deux hommes à la porte de la maison, et prévenez toute surprise extérieure.

À L’olive.

Vous, Christophini, demeurez et empêchez que cette fille ne s’échappe.

FINETTE, bas à madame Dorlange.

J’avais deviné juste, notre hôte est avec eux.

MADAME DORLANGE.

Silence et laissez-moi faire.

SAINVILLE, s’approchant.

Madame...

MADAME DORLANGE.

Ah ! monsieur le brigand, ne m’approchez pas, je vous en conjure ; je sais ce que vous demandez : voilà ma bourse.

SAINVILLE.

Votre bourse pour qui me prenez-vous ?

FINETTE, à part.

Il oublie déjà son rôle.

MADAME DORLANGE.

Cela ne vous suffit-il pas... Voici ma montre, mes bijoux...

SAINVILLE.

Mais, Madame...

L’OLIVE, bas à Sainville.

Vous n’y pensez pas, Monsieur, prenez ou allez vous découvrir.

SAINVILLE, à part.

Il a raison. Il faut que je la vole.

Haut.

Donnez cet or, ces bijoux... Prends, Christophini.

MADAME DORLANGE.

Par grâce, laissez-moi la vie !

SAINVILLE.

La vie...

MADAME DORLANGE.

Finette, soutiens-moi, je me sens défaillir...

SAINVILLE.

Elle se trouve mal, L’olive du secours ! Madame...

MADAME DORLANGE.

Laissez-moi !

SAINVILLE.

Rassurez-vous, je vous en supplie...

MADAME DORLANGE.

Eh bien, je me rassure, je me rassure, monsieur le brigand ; mais laissez-nous poursuivre notre route...

SAINVILLE.

Ah ! que me demandez-vous ? Je sens qu’après vous avoir vue, il m’est impossible de me séparer de vous !

MADAME DORLANGE.

Que voulez-vous dire ?

SAINVILLE.

Air : Jeune voyageur, etc.

Loin des plaisirs, loin des amours,
Dans ces forêts, l’ennui m’accable ;
Pour embellir mes tristes jours,
Je cherche une compagne aimable.
Je veux maintien modeste et doux,
Esprit, beauté, grâce, élégance ;
Je n’ai pu trouver mieux que vous.

MADAME DORLANGE.

Grand merci de la préférence.

SAINVILLE.

Oui, Madame, jusqu’ici relégué, dans un vieux château en ruine en avec des hommes rejetés de la société, je n’ai connu de la vie que ses ennuis et ses chagrins.

FINETTE, montrant L’olive.

Il est vrai que si tous vos compagnons ressemblent à Monsieur, vous avez là une vilaine société.

L’OLIVE.

L’impertinente !

SAINVILLE.

Je profite de l’heureux destin qui vous livre entre mes mains, et je ne laisserai point échapper une si belle proie. Dès ce jour, tout mon sort va changer.

Air nouveau de M. Lemierre.

En parcourant la forêt solitaire,
Où sur mes pas doit marcher la terreur ;
Plus d’une fois sa ténébreuse horreur
Vint me saisir d’un trouble involontaire ; (bis.)
Désormais ce triste séjour
Ne saurait nous causer d’alarmes ;
Pour vous l’embellira l’amour ;          }
Pour moi l’embelliront vos charmes. } (bis.)

MADAME DORLANGE.

Il devient galant !

FINETTE.

Comment ! tous nos jeunes gens devraient venir prendre leçon des brigands des Alpes.

MADAME DORLANGE.

Allons, monsieur le Capitaine, laissez-vous fléchir !

SAINVILLE.

Non, vraiment, et je vous jure que vous me suivrez.

L’OLIVE.

On peut renvoyer la suivante.

FINETTE.

Malhonnête : et pourquoi ne m’enlèverait-on pas aussi ?

SAINVILLE.

Oui, toutes deux sont prisonnières.

MADAME DORLANGE.

Quoi ! vous, dont les manières, le ton et le langage semblent appartenir à un homme bien né, et inspirent un si vif intérêt, pourriez-vous suivre la route que vous parcourez aujourd’hui ? Non, j’entreprends de vous rendre à la société dont vous pouvez encore faire l’ornement.

FINETTE, montrant L’olive.

Que Monsieur se soit habitué facilement à l’état qu’il exerce, cela ne m’étonne point ; il est à sa place, sa physionomie trahirait ses penchants sous tous les costumes.

L’OLIVE.

Bien obligé.

MADAME DORLANGE.

Votre aspect m’a d’abord effrayée, mais vos manières ont enfin dissipé mes craintes ; votre son de voix m’a retracé des souvenirs bien doux et bien cruels à la fois, je ne saurais m’expliquer ce que j’éprouve ; j’ai voulu fuir, je n’ai pu quitter cette place, et quoique votre costume ne dût pas me rassurer, un je ne sais quel pressentiment m’a retenue auprès de vous. Tout semble me dire que l’homme à qui appartient une voix si douce ne peut être un malfaiteur, et je me trouverais heureuse, si, chemin faisant, je retirais du précipice un jeune homme égaré, mais qui paraît encore sensible aux charmes de la vertu.

SAINVILLE.

Mais, Madame...

MADAME DORLANGE.

Faites un retour sur vous-même, songez à tous les crimes que vous avez commis, et au châtiment qui vous attend, si vous me rentrez dans le sentier du devoir ! pensez à vos nombreuses victimes.

SAINVILLE.

Mes victimes ! non, ce fer n’immola jamais personne.

MADAME DORLANGE.

Air : du Boléro de Ponce de Léon.

Si le sang de votre prochain
N’a pas rougi votre main ;
Ah ! du moins, je le parie,
Le débarrassant de son bien,
Vous ne lui laissâtes rien,
Non, rien, excepté la vie,
Mais tout s’oublie.

SAINVILLE.

Non, de ma vie,
Passant, je crois,
Ne fut dépouillé par moi.

MADAME DORLANGE.

Pour lui le vol est sans appâts ;
Il mérite notre indulgence ;

FINETTE.

Beaucoup d’honnêtes gens n’ont pas
Son innocence.

MADAME DORLANGE.

Allons, allons, à mes vœux ne résiste pas.

SAINVILLE.

Il est vrai que je ne suis pas tout-à-fait un brigand comme un autre ; et vos conseils... mes anciennes habitudes... font... voyez vous...

À part.

je ne sais que dire.

L’OLIVE, bas à Sainville.

Ne fléchissez donc pas !

MADAME DORLANGE.

Vous voyez l’ascendant de la vertu ; vous êtes contraint, embarrassé devant moi ! allons je ne désespère pas de vous voir dans la journée dépouiller ce vilain costume. Je vous laisse réfléchir, et je rentre dans mon appartement ; suis-moi, Finette. Pauvre jeune homme ! il me fait pitié !

FINETTE, à part.

Il ne sait où il en est.

 

 

Scène XII

 

SAINVILLE, L’OLIVE

 

SAINVILLE.

Eh bien ! L’olive, tu les laisses partir.

L’OLIVE.

Ma foi, Monsieur, c’était à vous à les arrêter.

SAINVILLE.

Je n’ai pas osé.

L’OLIVE.

Voilà un brigand bien hardi. En vérité, je suis surpris qu’elles ne nous aient pas garrottés et emmenés avec.

SAINVILLE.

En effet, je crois que j’ai assez mal joué mon rôle.

L’OLIVE.

Parbleu vous avez confondu les emplois : quand il fallait faire le tyran vous avez joué l’amoureux.

SAINVILLE.

Que veux-tu ? les charmes de madame Dorlange, ce son de voix enchanteur qui me captive depuis si longtemps, tout cela m’a troublé au dernier point ; et puis, je craignais de trop l’effrayer.

L’OLIVE.

Il n’y avait pas de quoi ; vous n’aviez pas l’air méchant du tout.

SAINVILLE.

Que fallait-il donc faire ?

L’OLIVE.

Il fallait m’imiter : Voyez comme j’ai pris la physionomie de mon rôle ; aussi les compliments que j’ai reçus...

SAINVILLE.

Écoute donc, tout le monde ne peut pas être aussi laid que toi.

L’OLIVE.

Vous ne l’êtes déjà pas trop mal comme cela.

SAINVILLE.

Je songe aux discours de madame Dorlange... Soupçonnerait-elle ?...

L’OLIVE.

Je ne le crois pas ; et sa conduite s’explique tout naturellement : des brigands entrent dans la maison, elle tremble ; le capitaine, loin d’être dur, farouche, se montre le plus respectueux des hommes ; elle se rassure, il s’exprime avec grâce, élégance et courtoisie ; elle l’écoute avec plaisir ; il n’y a d’extraordinaire là dedans que la manière d’agir du Capitaine.

SAINVILLE.

Allons, j’ai entrepris une tâche au-dessus de mes forces... Auprès de madame Dorlange, je ne puis lui parler qu’amour ! Rentrons, et reprenant nos costumes habituels, tâchons d’achever notre rôle ! Appelle Durand ; il fera sentinelle.

L’OLIVE.

Holà ! eh Durand !

 

 

Scène XIII

 

SAINVILLE, L’OLIVE, DURAND

 

DURAND.

Me voilà, Monsieur ! allez-vous enfin m’indiquer le rôle que je dois jouer dans votre mascarade ? Il était inutile de m’affubler de ce vilain costume, si je devais ne vous servir à rien.

SAINVILLE.

Ne vous fâchez pas, votre tour est arrivé.

DURAND.

À la bonne heure ! car vous me rendez le jouet de toute ma maison.

Air : Une fille est un oiseau.

Sous ces habits de damné,
C’est en vain que je me cache,
Loin de craindre ma moustache,
Chacun me vient rire au nez !
Cette insolence me choque,
Ma nièce de moi se moque,
De mon costume baroque
Tout le monde rit ici !
Enfin, que puis-je vous dire ?
Monsieur, les voyant tous rire,
J’ai fini par rire aussi.

SAINVILLE.

Vous avez commis une imprudence, mais voici le moment de la réparer. Vous allez rester ici en sentinelle, et veiller à ce que les deux femmes qui sont dans cet appartement ne puissent s’échapper. Surtout, conservez mieux votre dignité que vous ne l’avez fait devant Ursule et vos domestiques.

L’OLIVE.

Au moins, monsieur l’hôte, ne vous laissez pas séduire.

DURAND.

Fi donc ! je suis incorruptible.

SAINVILLE.

Je compte sur vous.

Air : du Comte Ory.

D’un brigand,
Cher Durand,
Prenez l’air terrible
Soyez inflexible !

DURAND.

Bon !

L’OLIVE.

Il est trop sensible !

DURAND.

Non !

SAINVILLE.

On viendra,
On voudra
Percer ce mystère ;
Vous laisserez faire ;
Mais
Songez à vous taire ;
Paix !

ENSEMBLE.

On viendra, etc.

 

 

Scène XIV

 

DURAND, MADAME DORLANGE, FINETTE, sortant de leur appartement

 

FINETTE, bas à madame Dorlange.

Madame, notre hôte est seul, et chargé de notre garde, voilà le moment de l’enlever.

MADAME DORLANGE, appelant.

Monsieur l’hôte !

DURAND.

On y va !... que je suis bête !

MADAME DORLANGE.

Écoutez, mon bon Durand, j’ai besoin de vous !... eh bien ? pourquoi me regarder d’un air ébahi, et qui voudrait paraître méchant ?

FINETTE.

Vous allez vous déformer les traits !

DURAND.

Qu’est-ce à dire ? apprenez que je suis...

À part.

Un honnête homme, et que je veux gagner loyalement mes dix louis !

MADAME DORLANGE.

Oui, nous savons que vous êtes victime d’un complot abominable.

DURAND.

Un complot ?

MADAME DORLANGE.

Sans doute ; vous croyez bonnement vous prêter aux folies d’un jeune étourdi. Mais savez-vous seulement quel est celui qui vous fait agir ?

DURAND.

Il est vrai que j’ignore...

MADAME DORLANGE.

Eh bien, c’est le chef d’une bande de voleurs qui désole les environs.

DURAND.

Spalazzi !

MADAME DORLANGE.

C’est cela.

DURAND.

On dit, en effet, qu’il prend toutes sortes de déguisements.

FINETTE.

Il ne prend pas seulement des déguisements ; Madame a été volée.

DURAND.

Volée : Il m’a donné dix louis à moi.

FINETTE.

Dites qu’il vous les a prêtés ; il vous les fera payer cher.

DURAND.

S’il est ainsi, je cours chercher la gendarmerie.

MADAME DORLANGE.

Un moment.

À part.

Ce n’est pas là mon compte.

DURAND.

L’ sous-préfet a promis cinquante écus à celui qui arrêterait Spalazzi, et vous sentez...

MADAME DORLANGE.

Mais, pendant que vous irez chercher les gendarmes, il peut mettre tout à feu et à sang chez vous.

DURAND.

C’est vrai... Cependant...

MADAME DORLANGE.

Écoutez, mon brave Durand, il faut employer la ruse pour l’arrêter, sans quoi nous n’y parviendrions jamais ; mais je veux vous dédommager du sacrifice des cinquante écus. Spalazzi vous a donné dix louis pour faire le coquin ; je vous en donne vingt pour faire l’honnête homme.

FINETTE.

Ce rôle-là doit vous être payé plus cher.

DURAND.

Comment cela ?

MADAME DORLANGE.

Suivez-moi, je vais vous expliquer mon plan ; vos gens sont sûrs ?

DURAND.

Je vous en réponds ; mais ils sont déguisés en brigands.

MADAME DORLANGE.

Venez chez moi, tout est préparé ; je vais vous mettre au fait, et vous rejoindrez vos gens par la porte qui donne sur le jardin.

DURAND.

Si pourtant...

MADAME DORLANGE.

Vous hésitez ? Vingt louis...

DURAND.

Allons, je me décide.

Air : Vive le vin de Ramponneau.

Mon courage prendra l’essor,
Oui, mon âme
S’enflamme !
J’aime l’argent, j’en suis d’accord,
Mais j’aime beaucoup mieux encor
L’or !

FINETTE.

Et pourquoi tant de façons ?
Monsieur l’hôte, avançons,
Ils peuvent reparaître !

DURAND.

Oui, mais, pour moi, cependant,
Est-il donc bien prudent...

FINETTE, le poussant.

Vous n’êtes plus le maître !

Madame Dorlange et Finette l’entraînent dans leur appartement, et referment la porte.

 

 

Scène XV

 

SAINVILLE, L’OLIVE

 

Ils ont ôté leurs bonnets de brigands et leurs moustaches

Suite de l’air.

SAINVILLE.

La sentinelle a pris l’essor ;
Quelle conduite infâme !
Avec elles il est d’accord !

L’OLIVE.

Oh ! non pas, car je tiens encor
L’or.

SAINVILLE.

Imbécile, tu ne tiens pas tout, et madame Dorlange l’a séduit avec ce qui lui reste.

L’OLIVE.

Au fait, il n’est plus là.

SAINVILLE.

Et point de clef à mon appartement, aucun moyen de rentrer.

L’OLIVE.

Cela finira mal, je vous l’ai prédit.

SAINVILLE.

Je crains que nous ne soyons découverts.

L’OLIVE.

Je commence à le penser. Ursule ne se trouve point, notre hôte est fait prisonnier par ces dames...

SAINVILLE.

Il faut que je voie madame Dorlange, que je lui avoue ma ruse, et que j’implore mon pardon à ses pieds.

L’OLIVE.

Obtiendrai-je le mien de Finette ? Elle m’a trouvé bien laid.

SAINVILLE.

La disparition de Durand est bien extraordinaire...

Air : Le briquet frappe la pierre.

Eh quoi ! notre sentinelle
Se livre comme un enfant !

L’OLIVE.

Nous en avons fait autant,
Près de l’une et l’autre belle.

SAINVILLE.

Cela n’est pas plus prudent ;
Frappons, frappons, à l’instant. (bis.)

L’OLIVE.

La chose n’est pas nouvelle,
Le beau sexe est triomphant ;
Réclamons notre brigand.
Pan, pan, pan, pan, pan.
Monsieur, la porte chancelle !
Allons, redoublons d’effort,
Croyez-moi, frappons plus fort.

Ils continuent de frapper à la porte de madame Dorlange.

 

 

Scène XVI

 

SAINVILLE, L’OLIVE, MADAME DORLANGE, FINETTE, sortant de leur appartement, DURAND et DOMESTIQUES, déguisés en gendarmes, URSULE

 

DURAND.

Par ici ! par ici !

SAINVILLE.

Malheureux ! nous sommes pris.

L’OLIVE.

Des gendarmes, je suis perdu !

Air : du quinque de Félix.

DURAND.

Vite, au secours, avancez donc, gendarmes !

MADAME DORLANGE.

Je viens ici jouir de leurs alarmes.

DURAND.

Aux armes ! (bis.)

Ensemble.

SAINVILLE, L’OLIVE.

Grand Dieu, quel cruel contretemps !

LES GENDARMES.

Vite, arrêtons ces deux brigands.

DURAND.

C’est Spalazzi, chef de brigands.

MADAME DORLANGE.

Vous, Spalazzi, chef de brigands ?

SAINVILLE, L’OLIVE.

Moi} Spalazzi, chef de brigands !...
Lui  }

SAINVILLE.

Non, je puis prouver le contraire ;
Messieurs, écoutez un moment :
Je suis Françai et militaire.

DURAND.

Parbleu, e joli régiment !

Sainville ôte sa casaque de brigand.

Ensemble.

LES GENDARMES.

Allons, qu’n les fouille à l’instant.

MADAME DORLANGE, FINETTE.

Je ris de lur tourment.

SAINVILLE, L’OLIVE.

Quel excèsd’avilissement !

Ensemble.

DURAND.

Qu’on les sasisse ! avancez-donc, gendarmes.

SAINVILLE, les mettant en fuite.

Au diable soient t brigands et gendarmes.

MADAME DORLANGE.

Mettons enfin u terme à leurs alarmes.
C’en est assez, arrêtez-vous, gendarmes.

LES GENDARMES.

Rendez les armes à l’instant,
Marchez, la pison vous attend.

DURAND, arrêtant l’Olive qui cherche à fuir.

Ah ! j’en tiens un.

L’OLIVE.

Un moment, un moment... Eh mais ! je ne me trompe pas, c’est Durand habillé en gendarme ; il a encore les mêmes moustaches.

SAINVILLE.

Nous sommes sauvés ; il sait qui nous sommes ! Durand...

DURAND.

Plus de Durand pour vous ; je vous connais à présent.

SAINVILLE.

Il y a méprise ; je ne suis point Spalazzi, et madame elle même sait bien...

MADAME DORLANGE.

Moi, monsieur, je ne vous connais point.

L’OLIVE.

Finette, c’est moi.

FINETTE.

Ne m’approchez pas !

SAINVILLE.

Ah ! madame Dorlange, me méconnaître, c’est vous venger bien cruellement ; je suis Sainville, vous le savez, et un instant d’erreur vous fera-t-il oublier deux ans d’amour et de constance ?

L’OLIVE, aux pieds de Finette.

Je suis l’Olive.

FINETTE, le repoussant.

En voilà assez ; on sait qui vous êtes.

MADAME DORLANGE.

Cessez, monsieur, cessez d’usurper un nom qui ne vous appartient point. Je connais M. Sainville ; il a pu commettre quelques erreurs, faire quelques folies ; mais il n’aurait jamais poussé l’inconséquence au point de revêtir le costume, que vous avez porté, dans la seule intention de tourmenter celle qu’il aime ; il aurait réfléchi aux suites que cette étourderie pouvait avoir, et je l’estime assez pour l’en croire incapable.

SAINVILLE.

Croyez que je sens toute l’énormité de ma faute ; mais je vous jure d’être désormais aussi sage qu’amoureux.

L’OLIVE.

Ah ! Finette, si tu m’abandonnes, ces gens-là me feront pendre, et qu’est-ce que tu deviendras ensuite ?

FINETTE.

Madame, pardonnerons-nous ?

MADAME DORLANGE.

Fais comme tu voudras, Finette.

FINETTE.

Je suis bonne et je me laisse attendrir... Relevez-vous, coquin.

SAINVILLE.

Serez-vous inexorable ?

MADAME DORLANGE.

Non ! je me suis vengée ! gendarmes, je réponds de ces deux Messieurs !

SAINVILLE.

Nous avons été joués, et ces gendarmes...

L’OLIVE.

Eh, monsieur, je les reconnais, ce sont nos brigands de tantôt !

DURAND.

Ah ça ! je m’y perds... Ce n’est donc pas Spalazzi ?

MADAME DORLANGE.

Non, mon brave Durand ; mais vous aurez ce que je vous ai promis.

L’OLIVE.

J’ai eu fièrement peur !

FINETTE, à Sainville.

On vous pardonne, Monsieur, c’est fort bien ; mais n’y revenez plus, et profitez des leçons de Madame.

Vaudeville.

Air : du Vaudeville des Amazones.

Quand sa foi vous sera donnée,
Réparant vos torts d’aujourd’hui,
Sur les terres de ’hyménée,
N’attaquez pas le bien d’autrui.
Il se pourrait qu’on menaçât le vôtre,
Et que faire, en un tel malheur ?
L’homme, volé lorsqu’il en vole un autre,
A-t-elle droit de crier : au voleur ?

L’OLIVE.

Si nous achetons du champagne,
Le marchand nous le garantit ;
Si nous cherchons une compagne,
Air d’innocene nous séduit ;
Nous y croyons, mais quel sort est le nôtre ?
Le temps, hélas ! dissipe notre erreur ;
Nous goûtons l’un, et nous épousons l’autre...
Bientôt après nous crions : au voleur !

URSULE.

Suzon, revenant au village.
Cueillait des fleurs pour son amant,
Quand les brigands du voisinage
Viennent la saisir brusquement ;
Elle veut crier, elle’ose ;
Ainsi qu’elle j’aurais eu peur ;
Et puis, ils n’ont enlevé qu’une rose,
Faut-il pour ça que l’on crie : au voleur !

SAINVILLE.

Courant de victoire en victoire,
On vit le Français, tour-à-tour,
Unir aux palmes de la gloire,
Les myrtes légers de l’amour ;
Jamais pour Mars il ne quittait Cythère,
Sans emporter avec lui plus d’un cœur ;
ais un peu tard, la trop faible bergère,
Le poursuivait en criant : au voleur !

DURAND.

Oui, c’en est fait, je déménage,
Car aux gens qui logent chez moi,
Les brigands de mon voisinage,
Chaque jour causent plus d’effroi ;
De ces coquins il faut que je m’écarte,
Hier encore, abusé par la peur,
Un voyageur, en me payant sa carte,
Croyait les voir et ciait : au voleur !

MADAME DORLANGE, au public.

Le public, qui juge un ouvrage,
Paya le droit d’être exigeant,
Et l’auteur avec lui s’engage
À l’amuser, pour sonargent ;
Jugez donc, messieurs, quel scandale
Si, du billet regrettant la valeur,
Chacun de vous, en sortant de la salle,
Blâmait l’ouvrage et criait : au voleur !

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