Le Triomphe de l’Automne (DESTOUCHES)

Prologue de la Fausse Agnès ou le poète campagnard.

1757.

 

Personnages

 

MERCURE

L’AMOUR

LA SAISON DU PRINTEMPS

LA SAISON DE L’ÉTÉ

LA SAISON DE L’AUTOMNE

LA SAISON DE L’HIVER

L’OPÉRA

LA COMÉDIE FRANÇAISE

LA COMÉDIE ITALIENNE

PLUSIEURS AUTEURS D’ÉTÉ, qui ne disent rien

UN POÈTE TRAGIQUE, suivi de plusieurs autres

UN POÈTE COMIQUE

TROUPE DE PLAISIRS, DE RIS et DE JEUX

 

La scène est à Paris.

 

 

Scène première

 

MERCURE, LA SAISON DU PRINTEMPS, coiffée en fleurs, LA SAISON DE L’ÉTÉ, couronnée d’épis, avec une faucille à la main, LA SAISON DE L’AUTOMNE, couronnée de pampres, avec un thyrse à la main, LA SAISON DE L’HIVER, habillée en vieille, et couverte de fourrures, ses mains dans un gros manchon

 

MERCURE.

Mesdames les Saisons, soyez plus pacifiques ;

Le grand dieu Jupiter, instruit de vos débats,

Vient de me commander de descendre ici-bas,

Pour redresser vos écarts lunatiques.

Quand ce Dieu forma l’univers,

Pour régner tour à tour il vous fit toutes quatre,

Voulant qu’à même fin, par des effets divers,

Vous tendissiez toujours, sans jamais vous combattre,

Et que, l’une après l’autre, en vertu de ses lois,

Vous régnassiez sur la machine ronde

Pendant l’espace de trois mois.

Dans les premiers âges du monde,

Chacune de vous quatre a joui de ses droits,

Avec une équité comparable à la nôtre ;

Et nulle n’a tenté d’empiéter sur l’autre.

Le Printemps produisait les feuilles et les fleurs ;

L’Été comblait toujours l’espoir des laboureurs ;

L’Automne, de ses fruits, de sa liqueur charmante,

Donnait exactement la récolte abondante ;

Et l’Hiver, par ses noirs frimas,

Et par son utile froidure,

Faisant reposer la nature,

Des impures vapeurs purgeait tous les climats.

Par vos dissensions, maintenant aveuglées,

Vous êtes toutes déréglées ;

Et l’on ne voit plus de Printemps,

Que dans quelques fades romans.

La Saison de l’Été, couverte de nuages,

Est froide, ou féconde en orages.

L’Automne, au grand regret des malheureux humains.

Paraît, depuis deux ans, sans porter de raisins ;

Et l’Hiver, faisant l’agréable,

Laisse couler les eaux en pleine liberté,

Et prive les mortels du plaisir délectable

De boire frais pendant L’ÉTÉ.

Jupiter, contre vous justement irrité,

Veut que vous rentriez chacune en vos limites,

Et qu’avec régularité

Vous observiez les lois qu’il vous avait prescrites.

LE PRINTEMPS.

Je ferai toujours mon plaisir

De régner avec le Zéphyr :

Montrant l’Hiver.

Mais cette âpre Saison qui cause nos divorces

S’endort quand elle doit agir ;

Et, lorsque je dois revenir,

Se réveille et reprend ses forces :

Ne pouvant résister à ses noirs aquilons,

Je fuis, et je fais place aux deux autres Saisons.

L’ÉTÉ.

Quand l’Hiver au Printemps a déclaré la guerre,

Le Printemps ne saurait me préparer la terre ;

Et mes vives chaleurs, succédant aux frimas,

Causent en l’air mille combats,

D’où naissent, ou d’épais nuages,

Ou des brouillards, ou des orages,

Qui font périr les fruits, détruisent la moisson,

Et laissent peu d’espoir au triste vigneron.

L’AUTOMNE.

Leur apologie est la mienne.

Quand l’Hiver fait languir le Printemps et l’Été,

Que prétend-on que je devienne ?

Mes deux aimables sœurs font ma fécondité.

MERCURE, à l’Hiver.

Eh bien ! vieille trembleuse, il est temps de répondre :

Tant de justes griefs ont de quoi te confondre ;

Ils devraient t’accabler de honte et de douleur,

Mais rien ne peut émouvoir ta froideur.

L’HIVER.

Quoique leur caquet vous impose,

Je ne répondrai qu’une chose

À tous leurs frivoles discours.

Si parfois j’étends trop mon cours,

Les mortels seuls en sont la cause ;

Ils me préfèrent aux beaux jours.

LE PRINTEMPS.

Toi, leur belle Saison ?

L’HIVER.

Oui, moi.

L’ÉTÉ.

Seigneur Mercure,

N’êtes-vous pas choqué d’une telle imposture ?

MERCURE.

Si je le suis ? sans doute.

À l’Hiver.

Oses-tu, devant moi,

Faire aux mortels cette injustice ?

L’HIVER.

Pour un Dieu si subtil, vous êtes bien novice,

Autrefois aux mortels j’inspirais de l’effroi :

Maintenant je fais leur délice.

MERCURE.

Leur délice ! comment ? pourquoi ?

L’HIVER.

Au bon vieux temps de I’INNOCENCE,

Chaque mortel était berger ou laboureur ;

Et, sous son pauvre toit, tremblant en ma présence,

Il attendait avec impatience

Que le Printemps adoucît ma rigueur.

Depuis que de superbes villes,

Rassemblant les humains, leur ont servi d’asiles

Contre la plus âpre froideur,

La Saison des frimas est pour eux la plus belle :

Les Plaisirs et les Jeux annoncent mon retour,

Et jusqu’à la Saison nouvelle,

Tout rit, à la ville, à la cour.

Je fais cesser la guerre et ses tristes alarmes ;

Je donne, tous les jours, des spectacles nouveaux,

Et mon temps a bien plus de charmes

Que n’en ont les jours les plus beaux.

L’ÉTÉ.

Oui, par une indulgence outrée,

Pour de faibles mortels livrés à leurs désirs,

Elle éternise sa durée,

Pour éterniser leurs plaisirs.

MERCURE.

Ce désordre est intolérable.

Il faut que tes trois sœurs rentrent dans tous leurs droits,

Tel est de Jupiter l’arrêt irrévocable.

L’HIVER.

Eh bien ! pour observer ses lois,

Nous ne nous ferons plus la guerre :

Mais, dès que le Printemps rajeunira la terre,

Sitôt qu’on sentira les chaleurs de l’Été,

La plupart des mortels s’enfuyant loin des villes,

Redeviendront grossiers, farouches, indociles ;

Plus de commerce entre eux, plus de société.

MERCURE.

Tu les rassembleras aussitôt que l’Automne

De son divin nectar aura rempli la tonne.

L’HIVER.

Mon cours sera trop limité,

Pour réparer le mal qu’aura fait mon absence,

MERCURE.

Je vais punir ta vanité,

Et te prouver que ta présence

N’est point nécessaire aux Plaisirs,

Et qu’ils peuvent régner avec les doux Zéphyrs.

Oui, tes aimables sœurs, que ton orgueil irrite,

Vont avoir, comme toi, tous les Jeux à leur suite

Et, fixés par mes soins dans ce fameux séjour,

Ils n’attendront plus ton retour.

Âme de l’univers, Amour, source féconde

Des Plaisirs, des Ris et des Jeux,

Par l’ordre du maître du monde,

Viens les rassembler en ces lieux ;

Prends soin qu’ils y règnent sans cesse,

Qu’ils en fassent toujours la gloire et l’ornement,

Et que chaque Saison, mère de l’Allégresse,

Les y présente également.

 

 

Scène II

 

MERCURE, LES QUATRE SAISONS, L’AMOUR, LES JEUX, LES RIS et LES PLAISIRS

 

Marche de l’Amour, conduisant les Jeux, les Ris et les Plaisirs.

L’AMOUR, à Mercure.

Pour obéir à l’ordre de ton père,

J’amène ma suite ordinaire.

UN PLAISIR, à Mercure.

Pour nous faire venir, quel temps choisissez-vous !

Pendant le séjour de l’Automne,

Ce séjour est-il fait pour nous ?

Bacchus et l’aimable Pomone,

De nos plus zélés partisans

Peuplent les campagnes fertiles.

Nous fuyons à présent les villes,

Et nous allons courir les champs.

MERCURE, l’arrêtant.

Il faut réformer cet usage.

Par un motif prudent et sage,

Jupiter veut qu’ici vous régniez en tout temps.

UN AUTRE PLAISIR.

Quoi ! veut-il nous fixer dans une solitude ?

Attendez que l’Hiver ramène l’Aquilon.

MERCURE.

Les Jeux et les Plaisirs sont de toute saison.

Ce n’est qu’une vieille habitude

Qui les écarte à présent de ces lieux :

Mais pour fixer les cœurs ils ont de fortes armes ;

Et les mortels voluptueux

Viendront se rassembler, et trouveront des charmes

Partout où régneront les Plaisirs et les Jeux.

L’HIVER.

Si vous réussissez, vous ferez des miracles.

L’AUTOMNE.

Orgueilleuse Saison, pour t’égaler au moins,

Je forcerai tous les obstacles.

MERCURE, à l’Automne.

Pour tenter les mortels, n’épargnez aucuns soins ;

Surtout, ranimez les spectacles.

Les humains sont toujours flattés

Par d’agréables nouveautés.

L’HIVER.

C’est à moi qu’elles appartiennent,

C’est par moi qu’elles se soutiennent :

Bientôt on les voit se flétrir,

Quand l’une de mes sœurs s’empresse à les offrir.

Si vous ne voulez pas m’en croire,

Les Spectacles et les Auteurs

Vont vous dire quelle est celle des quatre sœurs

Qui leur procure plus de profit et de gloire.

MERCURE.

Nous allons voir. Parlons aux Spectacles d’abord,

Et tâchons d’animer leur zèle,

Puis avec les Auteurs nous ferons notre accord.

L’AMOUR.

Spectacles, paraissez ; Mercure vous appelle.

 

 

Scène III

 

MERCURE, L’AMOUR, LES QUATRE SAISONS, L’OPÉRA, habillé en danseur, et ayant par-dessus cet habit une mante et un casque de héros, d’une main il tient un masque, et de l’autre un livre de musique, LA COMÉDIE FRANÇAISE, habillée moitié à la romaine et moitié à la comique, LA COMÉDIE ITALIENNE, vêtue en arlequine, ayant le masque sur le visage

 

L’Opéra s’avance le premier.

MERCURE, à l’Amour.

Quel est ce poupin si paré,

Qui de blanc et de rouge a plâtré son visage,

Et qui, d’un air délibéré,

Vient offrir à nos yeux un triple personnage ?

L’AMOUR.

C’est l’Opéra.

MERCURE, souriant.

Comme il est accoutré !

L’AMOUR.

Son habillement est bizarre,

Mais il indique au spectateur

Les différents plaisirs que lui seul lui prépare :

Par cet emblème, il se déclare

Musicien, héros, danseur.

MERCURE.

Voilà bien des métiers qu’à la fois il exerce !

J’aime sa figure diverse,

Elle donne au public un plaisir singulier,

Sans doute ?

L’AMOUR.

Elle a souvent l’honneur de l’ennuyer.

MERCURE.

En vérité, cela m’étonne !

Je veux l’interroger, afin d’en juger mieux.

Quelle douce langueur est peinte dans ses yeux !

À l’Opéra.

Pour relever la gloire de l’Automne,

Veux-tu faire un effort utile et glorieux ?

L’OPÉRA chante en héros et avec feu.

Pendant l’Automne, justes Dieux !

Quel effort veut-on que je fasse ?

Ah ! si même en hiver je parois ennuyeux,

En toute autre saison, j’en atteste les cieux,

Mes auteurs, plus froids que la glace,

Ne me font espérer qu’une affreuse disgrâce.

MERCURE, se bouchant les oreilles.

Prenez un ton moins éclatant.

À quoi bon, s’il vous plaît, me répondre en chantant ?

L’OPÉRA, chantant d’un ton doucereux.

La Saison de l’Hiver est la Saison charmante

Qui fait briller tous mes talents :

Sitôt que le rossignol chante,

On n’est plus attentif à mes tendres accents.

J’ai beau chanter les douces chaînes,

Les inquiétudes, les peines,

Et les agréables tourments

De mes insipides amants ;

Au retour du Printemps

On se dégoûte de mes charmes,

De mes craintes, de mes alarmes.

De mes plaisirs,

De mes soupirs,

De mes tendres désirs,

Et du doux et tendre murmure

D’une onde claire et pure.

MERCURE.

Si l’on vous traite ainsi, c’est par bonnes raisons.

Renvoyons à l’Hiver ce diseur de chansons.

L’OPÉRA, d’un air de mouvement.

Ah ! si vous entendiez mes douces chansonnettes !...

MERCURE.

J’ai le cœur affadi de tes tendres sornettes.

Ou parle comme un autre, ou finis tes discours.

L’OPÉRA, chantant.

Je ne dis jamais rien, mais je chante toujours.

MERCURE.

On peut aimer un temps ta douce mélodie :

Mais, à la continue, elle endort, elle ennuie.

Adieu, tu nous serais d’un trop faible secours.

Il faut toucher l’esprit, aussi-bien que l’oreille ;

Et la variété les frappe et les réveille.

L’Opéra danse un air vif et court, et le finit brusquement, en faisant la révérence à Mercure, et cinq ou six révérences à l’Hiver.

L’AMOUR, amenant la Comédie Italienne.

Venez, c’est vous qu’on veut interroger.

MERCURE.

Elle est brune, et son air me paraît étranger.

La Comédie Italienne tourne autour de Mercure, en faisant plusieurs lazzi.

Finirez-vous bientôt vos singeries ?

Elle redouble ses lazzi.

Ouais ! je ris malgré moi de ses bouffonneries,

Elles ont du brillant, de la vivacité :

Mais j’aime en tout la vérité.

L’art m’offre en vain une figure

Que le caprice anime, et non pas la nature :

Le vrai seul peut toucher un goût fin, délicat,

Et le bouffon est toujours plat.

Mais comme il est grande abondance

De partisans zélés de ce comique outré,

L’Automne peut sur vous fonder quelque espérance,

Ma brune ; n’avez-vous encor rien préparé ?

LA COMÉDIE ITALIENNE.

Signor, nò. Chacoun m’abandoune

Pour aller pressourer le doux fruit de l’Autoune ;

Cette ingrate Saisou m’accable de çagrin ;

Elle pleure à l’arlequine.

Car moi, zaime l’arzens beaucoup più che le vin.

Z’ai beau m’efforcer, z’ai beau dire,

« Avete voi veduta,

« La mia bella perrucca ? »

Ze pleure sous le masque en voulant faire rire ;

Et cette Saisou qui me berd

Mi fa prècher dans oun désert.

Vainement z’ai tassé de m’animer pour elle.

Désormais, quand z’aurai quelque farce nouvelle,

Ze la garderai pour l’Hiver.

Elle danse une chaconne, et témoigne en dansant, par plusieurs lazzi, beaucoup de haine et de mépris à l’Automne et à ses deux autres sœurs, et beaucoup d’amitié à l’Hiver.

L’HIVER, à Mercure.

Vous voyez si je suis menteuse.

MERCURE.

Eh bien ! garde pour toi cette baragouineuse.

La Comédie Italienne se retire en se moquant de Mercure.

L’AMOUR, présentant la Comédie Française.

Avancez. Celle-ci va parler purement,

Elle est Française de naissance.

MERCURE.

Ah ! c’est la Comédie ! on le voit aisément

À son aimable contenance,

Et par son double habillement.

L’AMOUR.

Cet habillement vous indique

Qu’elle est sérieuse et comique.

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Il est vrai : dans ce double emploi,

Imiter la nature est ma suprême loi :

Tantôt je fais pleurer, et tantôt je fais rire.

Les yeux baignés de pleurs, ou remplis de fureur,

J’inspire tour à tour la pitié, la terreur :

Et bien souvent aussi le sel de ma satire,

En badinant, instruit le spectateur,

À qui sans fiel et sans malice,

J’offre dans un miroir le portrait peu flatteur

Et du Ridicule et du Vice.

MERCURE.

Je connais vos talents, et les estime fort.

Ainsi donc observez ce que je vous ordonne ;

Je veux qu’en faveur de l’Automne,

Vous vous donniez un noble essor.

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Et mon propre intérêt, et le désir de plaire,

M’engagent à vous satisfaire.

Si j’avais quelque nouveauté,

Que l’on pût appeler nouvelle,

Je vous répondrais bien du succès de mon zèle ;

Mais où la prendrons-nous ? c’est la difficulté.

MERCURE.

Appelons vos Auteurs d’Été.

Plusieurs Auteurs ornés de roses, avec des bouquets dans leurs mains, entrent tous ensemble.

L’AMOUR les présente.

Les voici tout couverts de roses.

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Ils ont de l’agrément, peu de solidité ;

Du vif, du brillant sans beauté ;

Beaucoup de mots, et peu de choses ;

Encor leur faut-il le secours

De la Danse et du Vaudeville,

Qui sans nécessité se présentent toujours.

Ils amusent d’abord et la cour et la ville,

Mais le charme se rompt au bout de quelques jours.

MERCURE, aux Auteurs d’Été.

Sortez. Ayons recours aux grands Auteurs tragiques.

 

 

Scène IV

 

MERCURE, LES QUATRE SAISONS, L’AMOUR, LA COMÉDIE FRANÇAISE, PLUSIEURS AUTEURS TRAGIQUES, vêtus à l’antique, avec le cothurne

 

L’AMOUR, prenant un des Auteurs tragiques.

Je vous en présente un des plus mélancoliques ;

Il a le poignard à la main.

MERCURE, après l’avoir contemplé, regarde les autres.

Les autres ont l’air plus humain,

Et cachent leurs poignards sous leurs habits antiques.

Mais parmi ces graves esprits,

Ne vois-je pas un petit-maître ?

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Au moins aspirait-il à l’être,

Mais il s’est égaré dans le vol qu’il a pris.

Son esprit devançait son âge :

Trop de louanges l’ont gâté.

C’est un beau génie avorté,

Pour s’être cru trop tôt un personnage.

MERCURE, à l’Auteur que l’Amour lui a présenté.

Ô vous, que le public écoute en frémissant,

L’Automne vous demande un des fruits de vos veilles ;

Jupiter, ce dieu tout-puissant,

L’exige aussi de vous, soyez obéissant.

L’ACTEUR, déclamant sur le ton tragique.

Moi, je prodiguerais de si rares merveilles !

J’irais, de mes enfants devenant le bourreau,

Immoler à l’Automne un chef-d’œuvre nouveau !

Tentez, Seigneur, tentez ces cœurs pusillanimes,

Qui n’osent au théâtre égorger des victimes,

Qui traitent galamment le plus grave sujet,

Et tragiques de nom, ne le sont point d’effet ;

Trop heureux si leurs vers, aussi mous que leurs âmes,

Par des traits énervés font sangloter des femmes !

Pour moi, qui ne connais ni pitié ni terreur,

Je sens que je suis fait pour inspirer l’horreur :

À l’Automne.

Mais n’attends rien de moi, Saison stérile, ingrate ;

Que le grand Jupiter tonne, foudroyé, éclate,

Ah ! ce n’est qu’à l’Hiver que j’offre mes écrits,

Et je n’ai pour ses sœurs que haine et que mépris.

Il sort les deux mains sur ses eûtes, faisant une inclination à l’Hiver, et jetant un regard terrible sur l’Automne. Les Auteurs tragiques le suivent, et font la même action.

MERCURE.

Va, va, garde tes vers montés sur des échasses ;

Tu surprends quelquefois, mais aussitôt tu lasses.

Tes galimatias pompeux,

Exaltés par les sots, ne sont faits que pour eux.

 

 

Scène V

 

MERCURE, LES QUATRE SAISONS, L’AMOUR, LA COMÉDIE FRANÇAISE, UN POÈTE COMIQUE, qui entre en faisant beaucoup de révérences à la Comédie et à l’Automne, ensuite il présente un ouvrage à la Comédie Française

 

MERCURE, à la Comédie Française.

Quel est ce petit personnage

Qui, d’un air humble et doux, vous présente un ouvrage

LA COMÉDIE FRANÇAISE, au Poète comique.

C’est mon ancien ami. Soyez le bienvenu.

Depuis quand de retour en France ?

LE POÈTE COMIQUE.

Depuis trois ans. Après une si longue absence,

Comment m’avez-vous reconnu ?

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Je vous ai souhaité ; mais votre indifférence

Me pique un peu, je l’avouerai ;

Et d’un si long oubli je suis mal satisfaite.

LE POÈTE COMIQUE.

Par de bonnes raisons je me justifierai.

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Mais où vous cachez-vous, monsieur l’anachorète ?

LE POÈTE COMIQUE.

Dans une agréable retraite,

Pays gras, abondant, plein de riches coteaux,

Et des meilleures gens !

MERCURE.

Qu’on nomme ?

LE POÈTE COMIQUE.

Les Manceaux.

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

À vivre en cet exil quel arrêt vous condamne ?

MERCURE.

Il y fait son cours de chicane.

LE POÈTE COMIQUE.

Non, je hais les procès... Voici la vérité :

Comme l’on se moquait de ma simplicité,

Et que je souffre trop de peine

Lorsqu’à mes dépens quelqu’un rit,

Je réside au pays du Maine,

Afin de m’aiguiser l’esprit.

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Vraiment, on s’aperçoit que l’air vous dégourdit.

LE POÈTE COMIQUE.

Je puis vous en donner une preuve certaine ;

Car j’ai déjà mon dit et mon dédit.

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Apparemment voici quelque pièce nouvelle

Que dans cet innocent séjour,

Pour nous rapatrier, vous avez mise au jour ?

LE POÈTE COMIQUE.

Vous l’avez dit, elle est Mancelle,

Et je l’offre à l’Automne avec empressement ;

Heureux si le succès peut répondre à mon zèle !

L’AUTOMNE.

Je le souhaite infiniment.

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Et pour notre gloire commune,

Je vais travailler vivement.

L’AUTOMNE.

Puisse la Critique importune

En ma faveur vous traiter doucement !

MERCURE.

Je ferai mes efforts pour détourner l’orage.

LE POÈTE COMIQUE.

La Critique fait toujours rage ;

On la conjure vainement.

MERCURE.

Quel est le titre de la pièce ?

LE POÈTE COMIQUE.

La Fausse Agnès.

MERCU RE.

Ce titre m’intéresse.

LE POÈTE COMIQUE.

Ou le Poète campagnard.

MERCURE.

Encor mieux.

LE POÈTE COMIQUE.

Je l’offre un peu tard ;

Mais comme en travaillant ma muse se fatigue,

Pour ne rien produire au hasard,

Nous marchons lentement dans les sentiers de l’art.

MERCURE.

Tant mieux. Nous donnez-vous une pièce d’intrigue ?

LE POÈTE COMIQUE.

Cette pièce est en même temps

Pour unir les goûts différents,

Et d’intrigue et de caractère.

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

C’est le plus sûr moyen de plaire.

LE POÈTE COMIQUE.

Cependant je ne sais si l’ouvrage plaira ;

Car je sens bien que la matière

En est bizarre et singulière.

MERCURE.

Et c’est ce qui la soutiendra.

Oui, le public, quoique sévère,

À ce dessein se prêtera.

Plus vous hasarderez pour tâcher de lui plaire,

Plus, touché de ce zèle, il vous excusera.

LA COMÉDIE, au Parterre.

Nous risquerons donc l’aventure,

Sur la parole de Mercure ;

Mais notre effroi ne cessera,

Quoiqu’elle soit d’un bon augure,

Que lorsque le public, comme je l’en conjure,

Hautement la ratifiera.

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