Le Tour de faction (Adolphe D'ENNERY - Eugène GRANGÉ)

Drame-vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Variétés, le 20 juillet 1837.

 

Personnages

 

PIERRE LARAMÉE

PICARD

JEAN GOUJU

LE GARDIEN

L’ADJUDANT

UN CAPORAL

PREMIER SOLDAT

DEUXIÈME SOLDAT

LOUISE

CHARLOTTE

 

Le théâtre représente une plateforme de forteresse. Au fond une grille, puis la mer ; sur le devant une porte, à droite, deux à gauche.

 

 

Scène première

 

LOUISE, LE GARDIEN

 

LE GARDIEN.

Allons, reste ici, citoyenne, et attends que je vienne te chercher.

LOUISE.

Me chercher ?

LE GARDIEN.

Sans doute. Ne crois-tu pas qu’on va te laisser sur cette plateforme toute la journée ?... Tu n’es ici que parce que ta cellule n’est pas encore prête ; mais je vais tout disposer...

LOUISE.

Hélas ! c’est la première fois, depuis un mois, qu’il m’est permis de contempler le port de Marseille, qui s’étend au pied de cette prison... de respirer l’air frais et pur de la mer... et cela fait tant de bien, quand il y a si longtemps que l’on n’a goûté ce bonheur-là !

LE GARDIEN.

Eh bien ! tâche de te dépêcher d’en prendre, du bonheur ; car une fois que ta chambre sera disponible, il faudra rentrer... Ma consigne, je ne connais que ça, moi...

Il sort.

 

 

Scène II

 

LOUISE, seule

 

Respirons... Depuis un mois plongée dans un cachot, séparée de mes compagnes d’infortune, pas une main n’a serré la mienne, pas un mot consolateur n’a répondu à mes larmes... Et pourtant j’ai cru un instant que quelqu’un s’intéressait à mon sort... Oui, ces billets qui me sont déjà parvenus d’une manière si mystérieuse, m’avaient donné quelque espoir... mais depuis huit jours, rien, plus rien !...

Air de Jemmy de Masini.

Ici quand tout m’abandonne,
Du destin funeste loi,
En vain le soleil rayonne...
Le soleil n’est pas pour moi.
Bien loin de moi qui soupire (bis.)
Le ciel même se retire !
Beau ciel, mon trésor !
Ah ! brillez encor, encor !
Beau ciel, mon trésor,
Pour mes yeux, ah ! brillez encor !

Deuxième couplet.

J’entends là, sur ce rivage,
Des chants, des cris de gaîté...
Ces murs donnent l’esclavage,
La mer, c’est la liberté !
Mais loin de moi qui soupire (bis.)
La mer même se retire !
Ô toi, mon trésor,
Ah ! reviens encor, encor !
Ô vous, mon trésor,
Flots d’azur, revenez encor !

Éloignons ces pensées.... travaillons, puisque cette distraction m’est encore permise...

Elle s’assied et brode une tapisserie.

 

 

Scène III

 

LOUISE, assise, CHARLOTTE

 

CHARLOTTE, à part.

V’là la prisonnière pourquoi que l’on vient d’apporter ce peloton de laine... Un instant, cependant !... n’allons pas faire de bêtises... et pour lui remettre l’objet ci-joint, attendons que mon oncle soit là.

Haut.

Dites donc, citoyenne !...

LOUISE.

Qui m’appelle ?... Eh quoi !... viendriez-vous déjà me chercher ?

CHARLOTTE.

Vous chercher, moi ?... Allons, donc... je ne suis pas porte-clefs ou gendarme... je laisse ce soin-là à mon oncle.

LOUISE.

Ah ! votre oncle, c’est...

CHARLOTTE.

Le gardien de cette prison, dont, depuis la mort de ma tante, j’ai le malheur de partager le local.

LOUISE.

Le malheur !... Vous trouvez triste de garder des prisonniers ?

CHARLOTTE.

Tiens, on a déjà bien assez de mal à se garder soi-même....

Air : Vaudeville de la petite Prude.

Parfois à mes petits oiseaux
Lorsque j’apporte la pâture,
Si j’en vois un sous ses barreaux
Regretter les bois, la verdure,
J’ouvre la cage, adieu l’chagrin,
Et j’suis heureuse, Dieu sait comme !...
Moi qu’est si bonne avec le s’rin,
J’peux pas êtr’ cruelle avec l’homme.

Je suis pour les vivres, c’est moi qui tiens la cantine... j’aime mieux ça.

Regardant l’ouvrage de Louise.

C’est gentil, ce que vous faites là... c’est-il des pantoufles, ou une paire de bretelles ?

LOUISE.

Des pantoufles... que je ne porterai probablement jamais... et si elles peuvent vous être agréables... quand elles seront terminées...

CHARLOTTE.

Comment donc !... mais bien certainement que ça me flattera... Des pantoufles en tapisserie !... ça me chausse parfaitement, moi qu’en ai toujours désiré... Je sais ben que j’aurais pu m’en confectionner... mon oncle m’avait même acheté de la laine ; mais c’était pour lui faire un gilet de tricot.

LOUISE.

Vous savez donc faire de la tapisserie ?...

CHARLOTTE.

Comme un ange... J’ai été en apprentissage à Paris dans un magasin. Fallait voir comme j’en décochais !... dans tout le quartier il n’était question que de mon talent... et avant ça encore, à l’école de Mme Dumont...

LOUISE.

Vous avez été élevée chez Mme Dumont ?

CHARLOTTE.

Élevée et éduquée... rue Denis, nonante-sept.

LOUISE.

En effet, ces traits... Vous vous appelez...

CHARLOTTE.

Charlotte Ménard.

LOUISE.

Charlotte !... Mais alors nous sommes d’anciennes connaissances... nous avons partagé les mêmes jeux, les mêmes devoirs.

CHARLOTTE.

Et peut-être ben aussi les mêmes tartines de raisiné... car on ne nous l’épargnait pas, le raisiné, à l’école... Mais comment donc vous appelez-vous ?

LOUISE.

Tu ne me reconnais pas, moi, Louise, ta meilleure amie ?

CHARLOTTE.

Si fait... si fait... attends donc... je me rappelle à présent...

La serrant dans ses bras.

Louise !...

LOUISE, de même.

Ma bonne Charlotte !

CHARLOTTE.

Comme on se retrouve !... On a bien raison de dire : Il n’y a que les montagnes pour se rencontrer... Mais dis-moi donc... comment se fait-il que tu sois ici, dans cette prison ?

LOUISE.

Ah ! c’est une bien triste histoire...

CHARLOTTE.

Pauvre Louise !... conte-moi ça.

LOUISE.

Tu sais que j’étais à Paris chez une bonne tante qui s’était chargée de mon instruction.

CHARLOTTE.

Mme Dumont, maîtresse d’école... tiens, puisque c’est là que nous nous connûtes... Elle m’en a donné, de ces coups de martinet sur les ongles !... car c’est par le bout des doigts qu’elle vous incrustait la grammaire... un système d’éducation très répandu.

LOUISE.

Mon père, un brave soldat, m’avait confiée aux soins de cette digne femme, qui m’aimait comme sa fille... eh bien ! ces soins, cette tendresse... la reconnaissance qu’ils m’imposaient, j’ai tout oublié, tout méconnu...

CHARLOTTE.

Toi ?

LOUISE.

Le jeune parent d’une de nos camarades, M. de Vernon, venait souvent lui rendre visite. D’abord timide et craintif, il ne m’adressa que des regards... puis, enhardi peut-être par les miens, il osa m’écrire, me parler... et plus tard...

CHARLOTTE.

Connu, je comprends... Ah ! scélérat d’amour !... petit gredin de sans-culotte !... tu nous feras donc toujours faire des bêtises ?... Et ce jeune homme, est-il gentil ?... Qu’est-ce qu’il faisait, de son étant ?

LOUISE.

C’était un gentilhomme.

CHARLOTTE.

État superbe ! Quoique les nobles, ça soit bien tombé maintenant... Enfin tu l’aimais, voilà ton excuse.

LOUISE.

Ah ! il fallait bien que cet amour se fût emparé de toute mon âme, pour me faire oublier mon père, mon pauvre père qui se battait, pendant que moi... Ah ! s’il avait été là, sa tendresse m’eût retenue... je ne l’aurais pas abandonné... Mais absent depuis dix ans déjà... car la guerre l’avait séparé de moi... son souvenir n’a pas été assez fort contre l’amour et les prières de celui que j’aimais... Pauvre père ! combien de fois je me suis reproché ma faute ! que de larmes j’ai versées en pensant à lui !

CHARLOTTE.

Et tu n’as jamais eu de ses nouvelles ?

LOUISE.

Cinq ans plus tard, j’ai su qu’après une sanglante bataille, il était rentré dans notre demeure, où il dut me maudire en apprenant ma honte...

CHARLOTTE.

Et depuis tu ne l’as pas revu ?...

LOUISE.

Depuis... jamais...

CHARLOTTE.

Mais enfin, pour être en prison... qu’as-tu donc fait ?... Quel est ton crime ?...

LOUISE.

D’avoir partagé la destinée d’un noble, d’un proscrit... d’avoir sauvé ses jours au prix de ma liberté.

CHARLOTTE.

Bah !... ce n’est pas une raison... Depuis quand donc que le sentiment est séditieux ?... Mais j’y songe, du moment que c’est toi, je n’ai plus besoin de porter cette laine à mon oncle.

LOUISE.

De la laine !...

CHARLOTTE.

Eh ! oui, un peloton de laine qu’on vient de me remettre pour toi.

LOUISE.

Ah ! donne, donne...

À part.

C’est le moyen qu’on a déjà employé pour me faire parvenir des nouvelles... Voyons donc si aujourd’hui...

Elle écarte la laine.

Oui, un papier.

CHARLOTTE.

Mais qu’as-tu donc ?...

LOUISE.

Moi... rien... je pensais... que peut-être ton oncle...

CHARLOTTE.

En effet... je l’aperçois dans la cour.

LOUISE.

Éloigne-toi... s’il nous surprenait ensemble...

CHARLOTTE.

C’est juste... il est si méfiant... il me prendrait pour une suspecte.

Elle remonte la scène.

LOUISE, à part, parcourant le papier.

On a l’espoir de me sauver... Ô ciel ! s’il était vrai, si je parvenais à... Mais qui donc m’écrit, qui donc ose s’exposer pour moi !

CHARLOTTE, revenant.

V’là mon oncle, ayons l’air de ne pas nous connaître...

Elle s’éloigne d’elle.

LOUISE.

Oui, oui, adieu... Adieu, ma bonne Charlotte !

 

 

Scène IV

 

LOUISE, LE GARDIEN, CHARLOTTE

 

LE GARDIEN.

Citoyenne prisonnière, faut rentrer !

LOUISE.

Déjà !...

LE GARDIEN.

Dans une heure c’est l’instant de la promenade, et puisque tu n’es plus au secret, eh bien ! tu en profiteras comme les autres.

LOUISE.

Je vous suis... je vous suis...

À part.

Ce soir... espérons !... Dieu veilleras sur moi !...

Elle se dirige vers la droite ; on entend un roulement de tambours ; Laramée traverse la scène.

LARAMÉE.

Présent, présent, on y va.

LOUISE, se trouvant en face de lui.

Ciel !

LARAMÉE.

Qu’est-ce qu’il lui prend donc à la ci-devante ?...

LOUISE.

Ô mon Dieu !... mais je ne me trompe pas...

CHARLOTTE.

Qu’as-tu, Louise ?...

LE GARDIEN, revenant.

Eh bien !... j’attends !...

LOUISE, sortant.

Me voilà... Oh ! oui... c’est lui, c’est bien lui !

Elle sort par la droite.

LARAMÉE.

Quel drôle de regard ! Est-ce que le physique... Allons, allons, à ton poste, vieux troubadour !...

Il sort par la gauche.

 

 

Scène V

 

CHARLOTTE, seule

 

Comme elle semblait émue !... Est-ce que la prison lui aurait troublé la cervelle ?... avec ça que c’est gai, la prison !... Dieu de Dieu !... Rien que de prononcer ce mot-là, j’ai des frissons... C’est tout de même ben désagréable pour une jeune fille douée de quelque sensibilité d’être la nièce d’un gardien, d’un geôlier... Les amoureux, ça les fait fuir... ils n’osent pas vous adresser le moindre mot... Dam !... ils ont peur qu’on ne leur donne des chaînes trop pesantes... Aussi, moi je n’en ai que deux qui me font la cour... deux jeunes soldats de la garnison de Marseille, il y en a un qui est bien gentil... Mais l’autre, il est bête... oh ! mais bête !... comme un champignon...

Roulement de tambours.

Ah ! mon Dieu ! v’là tous les soldats... Rentrons vite !...

Elle sort.

 

 

Scène VI

 

PICARD, JEAN GOUJOU, SOLDATS, puis, L’ADJUDANT

 

CHŒUR.

Air : de l’If de Croissey.

Le devoir nous appelle,
C’est le son du tambour,
Il faut être fidèle,
Voici l’ordre du jour.

L’ADJUDANT.

Écoutez tous, et prenez garde
Aux ordres que je vais donner.

GOUJU.

Ah ! Dieu du ciel, quel tour de garde
Va-t-il aujourd’hui m’assigner ?

ENSEMBLE.

Le devoir nous appelle, etc.

L’ADJUDANT, ouvrant un papier, lisant.

« Tours de faction... n° 1, à six heures, Joseph Buteau... »

UN SOLDAT.

Présent !...

L’ADJUDANT.

« N° 2... à sept heures, Champon. »

UN AUTRE.

Présent !...

GOUJU, à part.

Je sais ben laquelle de faction je voudrais, moi !...

L’ADJUDANT.

« N° 3... à huit heures, Jean Gouju. »

GOUJU.

Enfoncé !... c’est pas ça...

L’ADJUDANT.

Eh bien ! Jean Gouju ?...

GOUJU.

Je suis absent...

À part.

En v’là une malice !

L’ADJUDANT.

De corvée demain pour se permettre de plaisanter.

GOUJU, à part.

C’est y marronnant !... On n’ peut pas s’passer la plus innocente facétie !...

Haut et très fort.

Présent !... j’ m’avais trompé... mais j’ me détraque.

L’ADJUDANT.

Silence !...

GOUJU.

Mais puisque je vous dis, mon lieutenant, que me détraque.

L’ADJUDANT.

Tais-toi, ou tu feras en outre deux heures de salle de police...

GOUJU, à part.

Comme il abuse de son épaulette !...

L’ADJUDANT.

« N° 4, à neuf heures... »

PICARD, s’avançant.

Neuf heures ; pardon, mon lieutenant, si c’était dans les choses possibles de me donner celle-là... ça ne ferait plaisir.

L’ADJUDANT.

Pas d’observations !

PICARD.

Cependant...

L’ADJUDANT.

Allons, silence !

GOUJU, à part.

Bien joué... le nouveau qui aspirait aussi à la chose.

L’ADJUDANT.

« N° 4, à 9 heures, Pierre Laramée... »

GOUJU, à part.

La v’là celle que je rongeais de l’œil.

L’ADJUDANT.

Est-ce que Laramée n’est pas présent ?

GOUJU.

Il est de garde au pain, mon lieutenant.

À part.

S’il pouvait seulement lui en tomber un de vingt livres sur la tête, et que le goût lui en passe...

L’ADJUDANT.

C’est bien... on lui donnera son tour de faction... « N° 5 et 6, Jérôme et Marcillac...

DEUX SOLDATS.

Présent !

L’ADJUDANT.

N° 7, à minuit, Picard.

PICARD, à part.

Minuit ! il sera trop tard.

GOUJU, à part.

La faction la plus dangereuse... très bien.

TOUS reprennent en chœur.

Le devoir nous appelle, etc.

 

 

Scène VII

 

LES MÊMES, hors L’ADJUDANT

 

PICARD, à part.

Laramée ! est-on plus malheureux ?...

Haut.

Ce vieux rogneur de portions avait bien besoin de se trouver là pour m’enlever la faction...

GOUJU.

En v’là une bêtise pour un nouveau. Est-ce qu’il l’a demandée la faction ? Vois-tu, Picard, t’est encore très naïve dans la chose... sans ça, tu saurais que les factions, ça ne se demande pas. Les factions, vois-tu, c’est comme les boulets de canon, ça se lance au hasard, et ça se reçoit de même. Qu’est-ce qu’a déjà demandé des boulets de canon ?

TOUS LES SOLDATS.

Voici Laramée !... voici Laramée !

 

 

Scène VIII

 

LES MÊMES, PIERRE

 

PIERRE.

Eh ben ! oui, camarades, c’est moi qu’on a surnommé Laramée, à cause que celui-ci était un dur à cuire au service de la France... dans le temps du ci-devant Dagobert...

GOUJU.

Connaît-y l’histoire de la république !

PIERRE.

Ah ça !... attention, vous autres, nous sommes ici pour garder des nobles, des prisonniers d’état.

PICARD.

Et tu ne les aimes guère.

PIERRE.

Tout juste autant qu’il faut pour lâcher un coup de fusil au premier lapin qui tenterait de s’envoler.

PICARD.

S’envoler ! jamais une ci-devante... oh ! rien que ce mot-là, vois-tu... moi, Picard, moi volontaire... mais quoi  donc qu’ils t’ont fait à toi ?

GOUJU.

Les lapins ?

PIERRE.

Suffit !... ça me regarde.

À part.

Ce qu’ils m’ont fait... ce qu’ils m’ont fait !...

PICARD, à Gouju.

Il ne veut pas le dire.

GOUJU.

Respectons son silence... c’est un vieux.

PIERRE, haut.

Dites donc, est-ce qu’on a déjà donné les tours de faction ?

PICARD.

Sans doute... et t’as le n°4.

PIERRE.

Alors, ça doit être pour neuf heures.

GOUJU.

Le calcul n’est que trop juste, l’ancien... et v’là ce qui défrise deux conscrits de ma connaissance.

PIERRE.

Et qui donc ça, Gouju ?

GOUJU, se montrant.

D’abord celui-là, ensuite Picard.

PIERRE.

À cause ?

PICARD.

Eh ! parbleu ! je n’y mets pas de mystère... ça me vexe, à cause que je suis épris des charmes de la nièce du concierge de la prison...

GOUJU.

Un rival... ah ! c’est une tuile qui me tombe sur l’orteil... il l’aime aussi, le gueux, et il sait comme moi que la petite n’est libre que de neuf à onze... époque à laquelle son oncle... son cyclople d’oncle a les yeux fermés par le sommeil.

PIERRE, à Picard.

Eh bien ! si tu en es épris, Picard...

GOUJU.

Un instant donc !... et moi aussi j’en suis épris de la Marseillaise... Dieu de Dieu ! la belle blonde !

PICARD.

Mais c’est qu’elle m’a donné un rendez-vous... un rendez-vous à sa fenêtre, à neuf heures...

GOUJU.

Un rendez-vous !... part à deux !

PICARD.

De quoi ?

GOUJU.

J’en mange aussi du rendez-vous.

PICARD.

Or comme la guérite donne au-dessous de sa croisée.

PIERRE.

Conçu... conçu ! je saisis l’apologe, le conscrit voudrait dialoguer l’arme au bras.

PICARD.

Ainsi, mon ancien, fais-moi la politesse de me céder ton tour.

PIERRE.

Te céder mon tour !...

GOUJU.

Du tout, du tout !... ne cédons rien !... et Jean Gouju donc, Jean qui est doué de la faction de huit heures... ça ne fait qu’une petite heure de distance...

PICARD, à Pierre.

Ne l’écoute pas... c’est avec moi qu’il faut changer.

GOUJU.

Avec minuit !... avec cet exécrable minuit... l’heure du crime et du serein... allons donc ! ne faites pas cette folie, mon ancien... troquez plutôt avec huit heures... le délicieux huit heures... v-u-i-t, vuit !

PIERRE.

Un moment de silence !... lequel de vous deux a obtenu le rendez-vous ?

PICARD.

Mais c’est moi, moi seul !

GOUJU.

Il se vante... ça ne prouve rien.

PIERRE.

Ça prouve que c’est lui qui doit y aller... Eh ! morbleu ! c’est lui qui ira...

PICARD.

Qu’entends-je ?

GOUJU.

Ah ! quel abus !... un recrue qui n’est dedans la brigade que depuis huit jours !... v-u-i-t !... vuit !...

PIERRE.

Sufficit !...

PICARD, serrant les mains de Pierre.

Merci... merci, mon ancien... tu me rends là un fier service.

PIERRE.

N’y a pas de quoi, camarade.

GOUJU.

Hum ! je crois qu’il arrivera quelque malheur... je me connais, je suis jaloux comme un chacal...

PIERRE.

Bah !

GOUJU.

Qu’est-ce que je dis un chacal ? deux chacaux.

PIERRE.

Allons, c’est dit, citoyen Picard ; quand on appellera le n° 4, tu répondras présent, et le tour est fait mais ne va pas faire de bêtises... l’amour est un conscrit qui porte un bandeau sur l’œil, comme dit la mythologie.

GOUJU.

Il ne sait ce qui dit, votre amytologie.

PIERRE.

Tâche de ne pas perdre de vue le service !

PICARD.

Sois paisible !... moi, Picard, moi, volontaire... je sais que nous gardons des prisonniers d’importance... entre autres la femme d’un noble atteint et convaincu de modérantisme.

PIERRE.

C’est ça même la ci-devante comtesse de Vernon... attention !...

Trois soldats et an caporal sortent du poste et vont relever la sentinelle.

Ah ! v’là qu’on relève la sentinelle...

PICARD.

Dans deux heures, ce sera mon tour... Allons, camarades, en avant la partie de drogue... Viens-tu, Laramée ?

PIERRE.

Non, merci... j’aime mieux faire un bout de conversation avec ma pipe.

GOUJU, à part.

Est-il crâne !... est-il crâne !... ah ! Dieu ! si je pouvais lui souffler la Marseillaise !...

CHOEUR.

Air : Enfin dans ce jour. (La Cinquantaine.)

Amis, parmi nous
La drogue
Est un plaisir en vogue,
Eh ! vite, allons tous
Nous livrer à ce jeu si doux.

Picard, Gouju et les soldats sortent.

 

 

Scène IX

 

PTERRE, seul, puis LOUISE

 

PIERRE.

Allons, encore une nouvelle garnison, encore une campagne terminée... Ma foi ! si j’en suis revenu, c’est bien malgré moi... je n’avais plus personne à revoir... puisque en rentrant dans mes foyers je devais trouver ma pauvre femme morte, et mon enfant... Mais c’est comme un fait exprès... faut que j’aie la peau diablement coriace, ou bien que les boulets soient entêtés comme la mule du Pape, car ils n’ont jamais voulu mordre là dedans.

On entend le son d’une cloche.

Qu’est-ce que c’est que ça ? ah !... ah !... la promenade des prisonnières, en v’là une qui vient par ici... celle de tout à l’heure, c’te comtesse de Vernon... par le flanc gauche, marche...

Il va vers le fond.

LOUISE.

Le voilà, il est seul... Oh ! je ne m’étais donc pas trompée... il ne m’a pas reconnue, lui qui m’a quittée enfant et me retrouve femme à présent... Tâchons de lui parler... Mons... Oh ! comme je me sens émue !... Allons, allons, du courage. Monsieur ?...

PIERRE, se retournant.

Hein !... qu’est-ce que c’est ?...

LOUISE.

Monsieur, je voudrais vous dire quelques mots...

PIERRE.

Désolé... mais je n’aime pas à causer avec les nobles...

LOUISE.

De grâce...

PIERRE.

Invisible pour le moment... D’ailleurs le dialogue avec les prisonnières est un objet totalement prohibé par la consigne !

LOUISE à part.

Mon Dieu !...

PIERRE.

Le conseil de guerre !... rien que ça... merci !...

LOUISE.

Je voulais vous parler de quelqu’un qui vous fut bien cher...

PIERRE.

À moi ?... personne ne m’est cher... Ah ! si fait, une enfant que je n’avais pas vue depuis dix ans ; et quand je me promettais tant de joie, tant de bonheur pour mon retour, j’ai appris que ma fille était déshonorée...

LOUISE.

Déshonorée !...

PIERRE.

Oui, enlevée par un noble... elle que j’aimais tant !

Air du Corsaire noir. (De M. Potier.)

Devoir, tendresse, et sou vieux père...
Elle n’en prit aucun souci,
Ell’ l’abandonna sans merci,
Et le voilà seul sur la terre.
Il se venge en la maudissant...
Mais j’sens, à ma douleur extrême,
Que de ce fatal anathème
Il souffre plus que son enfant,
Hélas !... sur lui cet anathème
Pèse encor plus qu’sur son enfant.

LOUISE, à part.

Maudite !...

PIERRE.

Ah ! vous ne répondez pas... vous comprenez ma douleur, ma haine même... Et maintenant voulez-vous encore que je vous écoute ?...

LOUISE.

Oui, car c’est d’elle, de votre fille que je viens vous parler.

PIERRE, tressaillant.

De ma fille... de Louise !...

Se rapprochant.

Vous l’avez connue ?...

LOUISE.

Prenez garde, la sentinelle !...

PIERRE.

C’est juste !...

Il tire sa pipe de sa poche et bat le briquet. Bas.

Comme ça je n’aurai pas l’air... Et vous disiez donc ?...

LOUISE.

Je disais que votre fille fut bien coupable envers vous.

PIERRE.

Oui, bien coupable !... Eh ! morbleu !... je neveux plus en entendre parler... jamais !... Un mot seulement, savez-vous où elle est ?

LOUISE.

Moi ?

PIERRE.

Vous l’avez vue ?... Au fait, qu’est-ce que ça me fait ?... Elle m’a abandonné, oublié sans doute...

LOUISE.

Oublié ?... oh ! vous ne le pensez pas... que de larmes je lui ai vu verser en songeant à vous, aux dangers que vous couriez chaque jour... « Mon père, mon pauvre père, disait-elle, s’ils allaient le tuer, s’il mourait sans m’avoir pardonné !... »

PIERRE.

Elle a dit ça ?... bien vrai ?...

Il s’approche d’elle ; la sentinelle passe au fond, il se remet à battre le briquet.

Continuez !... continuez, de grâce !...

Il essuie une larme.

LOUISE.

Vous pleurez !...

PIERRE.

Moi !... non... je... Oh ! ne le lui dites pas que vous m’avez vu pleurer.

LOUISE.

Le lui dire ! je suis condamnée.

PIERRE.

Condamnée ! Oh ! pauvre femme !... Et.je vous parle de moi, de ma fille... Condamnée !

LOUISE.

Vous me plaignez !...

PIERRE.

Oui, car ce n’est plus une aristocrate, mais une femme bien malheureuse que je vois en vous... et puis, si je les déteste tant, ces nobles, c’est parce qu’elle m’a quitté pour en suivre un, son amant, son séducteur...

LOUISE.

Dites son époux !...

PIERRE.

Son époux !...

LOUISE.

Il a reconnu sa faute, il l’a réparée... il a épousé celle qu’il avait séduite...

PIERRE.

C’était son devoir... mais l’a-t-il fait ?...

LOUISE.

Ah ! je vous l’atteste... Et lorsque dans ces temps de troubles les titres de noblesse devinrent un crime, il fut arrêté, jeté dans un cachot...

PIERRE.

Eh bien ?...

LOUISE.

Votre fille se dévoua, elle parvint à le sauver... mais en demeurant à sa place...

PIERRE.

Louise !... elle serait...

LOUISE.

Elle est prisonnière...

PIERRE.

Prisonnière !... où donc ?...

LOUISE.

Ici même.

PIERRE.

Ici !...

LOUISE.

C’est la comtesse de Vernon !...

PIERRE.

Vous !... Toi !... ma fille !...

Il va pour s’élancer vers elle, la sentinelle reparaît.

LOUISE.

On nous voit !

PIERRE, battant le briquet.

Ma fille, là, si près de moi... et ne pouvoir... et être forcé de...quand on voudrait la... l’emb...

LOUISE.

M’embrasser... m’embrasser !... Oh ! vous me pardonnez, maintenant je puis mourir.

PIERRE.

Mourir, toi !...

LOUISE.

Air précédent.

Oui, votre fille infortunée
Vous revoit pour vous perdre encor...
Il faudra marcher a la mort,
Car, hélas ! ils l’ont condamnée ;
Du ciel vengeur, en cet instant,
Je reconnais l’arrêt suprême :
D’un père toujours l’anathème
Porte malheur à son enfant !
Mon père, hélas ! votre anathème
Porta malheur à votre enfant.

PIERRE.

Condamnée !... Mais il doit y avoir un moyen... je

LOUISE.

Un seul resterait encore...

PIERRE.

Lequel ?...

LOUISE.

Un inconnu, envoyé sans doute par mon mari, qui est hors de France, doit me fournir les moyens de fuir, de me sauver...

PIERRE.

Te sauver ?... Ah ! comment... parle, parle bien vite !...

LOUISE.

Il faudrait que la sentinelle consentît à ne rien voir...

PIERRE.

La sentinelle, je la gagnerai... ou bien, morbleu... Mais quand ?...

LOUISE.

Aujourd’hui même...

PIERRE.

Ce soir ?...

LOUISE.

À neuf heures...

PIERRE.

Neuf heures... neuf heures... mais c’est mon tour... tu es sauvée, Louise... car moi, ton père... moi, je ne verrai... Ah ! ah !... malheureux !... je l’ai cédé !...

LOUISE.

Que dites-vous ?...

PIERRE.

Oh ! mais je saurai le reprendre... Pour ma fille... ne crains rien, je serai là... je ne verrai rien, je n’entendrai rien... je serai sourd et aveugle.je ferai feu en l’air, je te sauverai...

LOUISE.

Mon bon père !...

PIERRE.

Ma fille...

Nouveau mouvement.

LOUISE.

On nous voit !...

PIERRE, il bat le briquet, et à part.

Oh ! gredin de sort ! ah ! satané factionnaire !

LOUISE.

J’aperçois le gardien... il faut nous séparer... s’il me trouvait ici, loin de mes compagnes, cela pourrait donner des soupçons... À ce soir, mon père !...

PIERRE.

À ce soir !...

La rappelant.

Louise !...

Elle se retourne.

Ce soir, quand je t’aurai sauvée, quand tu partiras peut-être pour toujours, il ne me restera rien de toi... Eh bien !... là, sur ce banc, laisse-moi du moins ton mouchoir...

LOUISE.

Ah !...

Elle le place.

PIERRE.

Bien, merci ! Adieu !...

LOUISE.

Adieu !...

Elle sort.

 

 

Scène X

 

PIERRE, puis PICARD

 

PIERRE, seul ; il saisit le mouchoir et l’embrasse.

Oui, mille millions de cartouches... je la sauverai... quand je devrais me faire fusiller comme un chien !... Ah ! voici Picard, attention !...

PICARD.

Eh bien ! Laramée, tu ne viens pas prendre ma place ?...

PIERRE.

Non ; la drogue m’est inférieure pour le moment actuel, mon esprit voyage ailleurs.

PICARD.

À quoi penses-tu donc ?

PIERRE.

Écoute, Picard... tu sais que je t’ai cédé ma faction !...

PICARD.

Sans doute, et c’est un service d’ami, un service que je n’oublierai jamais !

PIERRE, lui donnant la main.

Y a pas de quoi, mon vieux...

PICARD.

Si fait, si !...

PIERRE.

Non, non...

PICARD.

Mais je t’assure...

PIERRE.

Eh !... je te dis que non, puisque... puisque je te le reprends.

PICARD.

Hein ? tu dis.

PIERRE.

Je te dis que je te le reprends.

PICARD.

C’est impossible !... mais pourquoi ? pourquoi ?...

PIERRE, avec énergie.

Parce que je veux faire ma faction... parce que c’est un devoir sacré que je dois remplir, que je remplirai, fût-ce au prix de ma vie.

Avec ironie.

Qu’est-ce que t’as à dire à ça ?

PICARD.

Je dis alors que ton seul but est de me rendre la risée des camarades, et que je ne le souffrirai pas.

PIERRE.

Ah bah !

PICARD.

Je dis que ce que tu fais là est indigne d’un soldat...

PIERRE.

Ah ! assez... assez, blanc-bec !...

PICARD.

Indigne d’un honnête homme.

PIERRE.

Mille tonnerres !

PICARD.

Entends-tu, Laramée ? Je te dis que tu n’es pas un honnête homme.

PIERRE, lui saisissant le bras.

Picard ! ce mot-là veut une réparation.

PICARD.

Ah ! enfin...

PIERRE.

Marchons !

Ils vont pour sortir, Pierre s’arrête tout-à-coup.

Me battre ! et ma fille donc !... Si j’étais tué, qui sauverait ma fille ?

PICARD.

Comment !... est-ce que tu as peur ?

PIERRE.

Peur ! moi !...

Il se calme tout-à-coup et s’assied tranquillement.

C’est qu’il me pousse une réflexion.

PICARD.

Quelle réflexion ?

PIERRE, froidement.

Écoute, suis bien mon raisonnement : je me bats pour reprendre mon tour, pour jouir de ma faction...

PICARD.

Eh bien ?

PIERRE.

Eh bien ! si j’étais tué... difficile d’être là pour répondre à l’appel... les défunts ne se placent pas en sentinelle... du moins je n’en ai jamais vu... Or, je veux faire ma faction et ne me battre qu’après. Qu’est-ce que t’as à dire à ça ?...

PICARD.

Je te dis, je te dis que moi, Picard, moi, volontaire, je ne le souffrirai pas... que je m’opposerai.

PIERRE.

Allons donc, enfant, tu t’égares, tu t’emberlificotes dans les broussailles... Est-ce que je ne suis pas inscrit sur la liste du poste ?... est-ce que quand on viendra appeler le numéro 4, nous pouvons être deux à répondre : Présent ? Or donc, c’est moi qui s’avance, c’est moi qui factionne. Qu’est-ce que t’as à dire à ça ?

PICARD, à part.

Je n’y avais pas songé...

PIERRE, tendant l’oreille.

C’est tout ? ce cas je reprends l’objet... après ça, s* le cœur t’en dit...

Il montre son sabre.

v’là François qui ne me quitte pas.

Il sort en fredonnant. Picard va s’asseoir avec colère.

 

 

Scène XI

 

PICARD, GOUJU et LES SOLDATS

 

CHŒUR.

Air : Final du premier acte du Savant.

Quel agréable exercice !
Chantons, chantons ce jeu d’amour.
Après, avant le service,
Qu’il ait ici, qu’il ait ici son tour.

GOUJU, arrivant avec plusieurs fiches sur le nez.

Oui, riez, riez !... M’en ont-ils fichu, de ces outils de bois ; c’est comme qui dirait un chantier que j’aurais sur le nez... Eh ben ! qu’est-ce que tu as donc, Picard ?... t’as l’air content comme une poule qui vient d’avaler une étrille.

PICARD.

Ah ! laisse-moi tranquille.

GOUJU.

Pourtant tu n’as pas à te plaindre... la Fortune ne cesse de t’écraser de ses faveurs... encore ce matin tu as gagné six liards à la mouche... et puis ce soir, ce rendez-vous qui te tend les bras...

PICARD.

Oui, ce rendez-vous, je n’irai pas.

GOUJU.

Tu n’iras pas ?... Ah ! rival généreux, je pénètre... Tu t’es aperçu que j’étais préféré par la Marseillaise, et tu v «eux me céder la place...

PICARD.

Du tout... mais Laramée m’a redemandé son tour de faction.

GOUJU.

Ah ! voilà un Français !... en voilà un qui comprend le devoir du factionnaire ! aussi je l’estime, je professe pour lui la plus profonde admiration !... à preuve que je vais lui payer la goutte.

PICARD.

Imbécile !... qu’est-ce que ça te ça me fait ?... Si je n’ai pas la Marseillaise, tu ne l’as pas non plus, et ça me ravit, me transporte... Ce qui me console dans mon malheur, c’est que tu le partages. C’est-à-dire qu’on m’offrirait treize sous de mon existence, que je refuserais sans hésiter.

PICARD, à part.

Quand je pense que je pouvais....

Haut.

Écoute, Jean Gouju, il me pousse une idée...

GOUJU.

Voyons l’idée.

PICARD.

Le point important est que Laramée cède son tour de faction, car alors nous pourrons la tirer au sort.

GOUJU.

Comme ça, ça m’arrange : L’Être Suprême décidera de nos destinées ; nous la jouerons à pile ou face... Mais par quel moyen engager Laramée, s’il ne veut plus ?

PICARD.

Ça, c’est mon affaire... va toujours l’inviter à boire... n’importe quoi... et moi, Picard, moi, volontaire, je suis en fonds, et je paie la consommation pour tous les camarades.

GOUJU.

C’est toi qui paies ?... alors je te rends mon amour.

PICARD.

Mais dépêche-toi, et surtout ne va pas bavarder !

GOUJU.

As pas peur, as pas peur... sourd et muet de naissance... un vrai quinze-vingts.

Il sort.

 

 

Scène XII

 

PICARD, LES SOLDATS, puis CHARLOTTE

 

PICARD.

Ah çà ! maintenant il s’agit de... Justement j’aperçois la nièce du gardien.

Appelant.

Mamselle Charlotte... mamselle Charlotte !...

CHARLOTTE, entrant.

Qu’est-ce qui m’appelle ?... Ah ! tiens, c’est vous, citoyen militaire ?... Quoi qu’il y a pour votre service ?

PICARD.

Du vin, du kirsch et une carafe.

CHARLOTTE.

Comment, comment ?... Vous dites d’abord du vin ?... Pourquoi faire ?

PICARD.

Eh ! pour boire.

CHARLOTTE.

Voyez-vous ça !... Ensuite vous demandez ?...

PICARD.

Du kirsch...

CHARLOTTE.

Du ?...

PICARD.

Du kirsch !...

CHARLOTTE.

J’ai jamais pu prononcer ce mot-là... kirsch... Ah çà ! mais je réfléchis : du kirsch, c’est des eaux fortes ?

PICARD.

Qu’importe !

CHARLOTTE.

Mais je veux savoir quel usage vous prétendez en faire... c’est très malfaisant, songez-y !

PICARD.

Je n’en boirai pas... je te le jure sur tes jolis yeux !

CHARLOTTE.

Mes jolis yeux !...

PICARD.

Ah !... et n’oublie pas d’apporter la carafe.

CHARLOTTE.

Une carafe de quoi ?...

PICARD.

Une carafe d’eau.

CHARLOTTE.

À la bonne heure !... il n’y a rien à dire... C’est une boisson que je vous permets...

PICARD.

Et dépêche-toi... je paie d’avance.

CHARLOTTE.

Oh ! je ne suis pas intéressée, moi... je me moque bien de l’argent... d’autant plus que celui-là, c’est pour mon oncle...

Elle sort.

PICARD.

Et maintenant, camarades, voici mon projet, et je compte sur vous pour le faire réussir : je veux griser Laramée, le mettre hors d’état de faire sa faction... car voyez-vous la petite est très séduisante... j’en suis amoureux comme un fou, et, morbleu !... je serais au désespoir de manquer au rendez-vous qu’elle m’a donné... Au surplus, j’espère qu’il ne me sera pas bien difficile de réussir à faire boire notre homme... Avec ce que je viens de demander à Charlotte, je lui fabriquerai un certain mélange de caserne, une petite eau bien douce où il n’y verra que du feu.

CHARLOTTE, revenant avec un panier ; elle est suivie de soldats qui apportent une table et des chaises qu’ils placent sur le devant de la scène à droite.

Voilà, voilà !... gare la sauce, les anciens ! Dieu de Dieu !... que c’est-y lourd !... j’en ai un point...

Elle met les bouteilles sur la table.

V’là tout ce que vous m’avez demandé... le vin, la carafe d’eau, et puis une bouteille de ce mot que je ne peux pas dire... une bouteille de kirsch.

PICARD.

C’est bien, merci !...

Il vide à moitié la carafe et la remplit avec le kirsch.

CHARLOTTE.

Tiens, tiens, tiens !... pourquoi donc que vous transversez ça ?...

PICARD.

C’est mon secret... silence !...

 

 

Scène XIII

 

PICARD, LES SOLDATS, GOUJU, PIERRE

 

PICARD.

Voici Gouju et Laramée !

GOUJU, entrant le premier.

Allons, viens donc, Pierre, puisque je te dis que c’est Picard qui régale.

PIERRE.

Picard !... raison de plus que je ne veux pas boire...

PICARD.

Comment... l’ancien... pas même à notre réconciliation ?...

PIERRE.

Hein ?...

PICARD.

Eh ! oui... je reconnais mes torts.

CHARLOTTE.

Ses torts !...

GOUJU.

Et il veut les noyer...

CHARLOTTE.

Tiens !... ils étaient donc brouillés ?

GOUJU.

Et à vot’ sujet, à vot’ sujet, Marseillaise.

CHARLOTTE.

Je serais la poire de discorde placée dedans le camp français ?...

PICARD.

Eh bien... Laramée ?...

Il lui tend la main.

PIERRE.

À la bonne heure !... Buvons !... mais rien qu’un verre, d’abord !...

PICARD.

Oui, rien qu’un verre d’abord, et un autre ensuite.

PIERRE.

Du tout !...

À part.

Et ma fille, donc !...

PICARD.

Tu refuserais de boire à la santé de la République ?

PIERRE.

La République n’a pas besoin de ça pour se bien porter.

GOUJU.

C’est égal... ça ne peut pas non plus lui faire de mal, à c’te une et indivisible.

Il boit.

Ah ! fameux !...

CHARLOTTE.

N’est-ce pas qu’il est bon ? c’est comme si on avalait de la fourrure.

PIERRE, replaçant son verre.

Maintenant, assez causé !...

PICARD.

Bah !... bah !... un vieux troupier comme toi... D’ailleurs, tu peux mettre de l’eau.

PIERRE.

Ah ! vous avez de l’eau... c’est différent...

Il s’en verse.

À la République... avec de l’eau !...

GOUJU, bas à Picard.

Eh bien !... tu le laisses faire ? mais s’il boit de l’eau... nous n’aurons pas la faction. Le canard est un quadrupède qui n’a pas l’habitude de se griser.

PICARD.

Laisse donc, laisse donc... si ça ne fait rien... j’ai un autre moyen...

GOUJU, bas.

Ah ! si tu as un autre moyen...

CHARLOTTE, à Picard.

Comment, vous lui laissez boire de c’te drogue-là ?...

PICARD, bas.

Silence !... il s’agit de notre bonheur...

CHARLOTTE.

Dam !... si c’est pour mon bonheur... avale, avale, mon ancien !

PICARD, remplissant les verres.

Allons, camarades, je propose une autre santé à la beauté ci-présente.

TOUS.

À la beauté.

PIERRE, tendant son verre à Gouju.

Conscrit, de l’eau ?...

CHARLOTTE, à part.

Il va s’empoisonner, c’est sûr.

GOUJU, à part.

Je veux être encore plus sage que l’ancien... je ne boirai que de l’eau pure et sans mélange.

Il se verse un grand verre de kirsch, élevant son verre.

À la...

Il boit, à part.

Ah ! Dieu du ciel ! c’est de l’eau de javelle.

PICARD.

Tais-toi donc !

GOUJU.

Mais où a-t-on cueilli cette eau-là ?

PICARD.

Silence, c’est mon moyen pour...

GOUJU.

Il est joliment fort, ton moyen. Et l’ancien qui boit de ça... faut qu’il ait le gosier comme la culasse de son fusil...

PICARD, versant.

Buvons, camarades !...

PIERRE, un peu échauffé.

C’est vrai, vous êtes là comme des poules mouillées...

À part.

Mais pas de bêtises !...

Haut et tendant son verre à Picard.

Conscrit, de l’eau ?

PICARD, à part.

L’effet commence.

GOUJU, à part.

Décidément, je m’en tiendrai au vin... l’eau, c’est trop indigeste...

Ils boivent tous.

PICARD.

Et maintenant la chanson de rigueur... ça va l’achever. Allons, Laramée, chante-nous quelque chose.

TOUS.

Oui, oui, une chanson, Laramée...

GOUJU, un peu gris.

Dites donc, dites donc, les autres... si vous voulez... j’en sais, moi, et des soignées, je m’en vante...

CHARLOTTE.

Il va chanter... bon ! nous aurons de la pluie...

GOUJU, chantant.

Je vas vous raconter l’histoire
De Jeanneton...

PIERRE, qui a bit de nouveau.

Silence !... les camarades m’ont fait la chose de me demander une chanson... c’est à mon tour de roucouler... et en avant la romance de l’enfant de giberne !

TOUS.

Oui, c’est ça... la romance de l’enfant de giberne !...

PIERRE, à Picard qui lui verse du vin.

Encore, conscrit, de l’eau ?

Même jeu.

Air : Ronde des Maçons, (Marquis de Brunoy.)

Célébrons l’état militaire,
Qui pour tous est rempli d’appas.
Les moutards qui s’roul’ à terre,
Sans lisière,
Dès qu’ils font leur premier pas,
Jouent aux soldats...

Deuxième couplet.

Conquérants dont l’histoir’ répète
Les hauts faits et les combats,
C’est à vous qu’ l’honneur se prête
À chaqu’ conquête ;
Mais j’crois qu’vous n’en feriez pas
Sans les soldats.

Troisième couplet.

Officiers, généraux en place,
Qui défendez nos états,
À chaqu’ régime qui trépasse,
On vous remplace ;
Mais ceux qu’on n’ destitu’ pas,
C’est les soldats.

TOUS.

Bravo !... bravo !...

PIERRE.

Conscrit, de l’eau ?...

GOUJU.

Moi, je me repassionne pour le vin...

PIERRE.

Minute !... tu nous as fait affront en trinquant avec du bouillon de gouttières, et je veux que tu en reboives du bouillon de gouttières... je veux que tu t’en fourres jusque là.

Il prend la carafe.

GOUJU.

Mais, l’ancien, vous allez me noyer.

PIERRE.

Ça m’est égal...

Il remplit de kirsch le verre de Gouju

Allons, vivement ! ou je te l’entonne, blanc-bec !...

GOUJU, à part.

Ne le contrarions pas... il est si vif quand il a bu... Plutôt que de l’ériter, j’en avalerais trois brocs, comme feu les martyrs.

Il boit.

CHARLOTTE, montrant Picard.

Je crois que c’est le petit qui aura la faction... j’aime mieux ça au fait...

Nuit peu à peu. Pierre tombe sur la table.

PIERRE, à part.

J’y vois tout trouble... on dirait que j’ai envie de dormir... Allons, Pierre, Pierre !... pas d’enfantillage !...

Tendant son verre.

De l’eau, ça me remettra...

Il boit et s’endort.

PICARD, aux soldats.

C’est fini, il est ivre...

Air du Moulin. (De M. Amédée de Beauplan.)

Mes amis, du silence,
Mettons-y de la prudence.
Parlons bas, parlons bas !
Et ne les réveillons pas.

PIERRE, s’éveillant à demi.

En vain je me retourne,
Le soleil darde en plein...

GOUJU, de même.

Là-dedans j’sens qu’ ça tourne,
Comm’ les ail’s d’un moulin,
Ça fait : Tic, tac,
Tic, tac... tic, tac !...

TOUS LES SOLDATS, très bas.

Mes amis, du silence, etc.

L’air continu en sourdine pendant la scène suivante, la nuit est entièrement venue.

 

 

Scène XIV

 

LES MÊMES, UN CAPORAL et DEUX HOMMES

 

LE CAPORAL.

Le n° 4.

PICARD.

Présent.

LE CAPORAL.

Prends ton fusil et suis-nous.

PICARD.

Me voilà... 

Il prend un fusil ; à part.

J’ai réussi... à moi la faction !

CHARLOTTE.

Je vas me mettre à ma fenêtre et dire que c’est au kirsch que je dois ça... vive le kirsch... tiens, je crois que je viens de le dire...

REPRISE DU CHOEUR.

Mes amis, du silence, etc.

Tous les soldats sortent, excepté Pierre et Gouju. Un soldat place une lanterne allumée au mur. Le jour revient.

 

 

Scène XV

 

PIERRE, GOUJU

 

PIERRE, rêvant.

De l’eau, conscrit, de l’eau !

GOUJU, se réveillant.

Hein ? qu’est-ce qu’appelle ? je crois qu’on bat à la soupe... présent, toujours présent à la soupe !...

Il laisse retomber sa tête, qui se cogne contre celle de Pierre.

Eh ben ! pourquoi qu’on n’a pas rangé les écuelles ? Je viens d’en casser une... tiens ; mais c’est Laramée... bonjour, Laramée... tiens, ils sont deux... bonjour, messieurs Laramée.

Le poussant.

Eh ! Laramée !...

PIERRE, s’éveillant à demi.

Conscrit, de l’eau ! de l’eau...

GOUJU.

Y demande de l’eau ! vieil hydrophobe... mais vous extravasez, mon ancien... y ne répond pas... est-ce qu’il aurait bu, le malheureux ?

Le poussant.

Eh ! Joséphine !

PIERRE, endormi.

Hein ?

GOUJU.

Faut que je te pose une question, Joséphine... as-tu été en Espagne, mon vieux ?

PIERRE.

Jamais.

GOUJU.

Tu n’as pas fréquenté l’Espagne, Joséphine ? Alors, infortunée, tu n’as pas vu notre Saint-Père le Pape !

Il tombe endormi.

PIERRE, se réveillant tout à fait.

Hein ? Eh bien ! est-ce j’ai dormi ?

Il veut se lever et retombe assis.

Quoi donc ? Quoi donc ? Les poteaux refusent le service... est-ce que je serais gris, par hasard ? Ah ! bah ! bah ! qu’est-ce que ça me fait ? Hein ! qu’est-ce que ça te fait, sans cœur ? et ton rendez-vous ? même que tu devais aller... que tu devais aller... où çà ? Où çà que je devais aller ? Je ne me rappelle plus...

COUJU, endormi, chantant.

Mais ceux qu’on n’ destitu’ pas...
C’est les soldats !

Bravo ! bravo !

PIERRE.

Silence ! silence donc !Je devais aller là-bas... où on m’attend... elle... qui... elle ? Je... je ne me souviens pas... et pourtant, pourtant je sens que je devrais y être... il le faut... il le faut me fait mal de chercher ainsi...

Se frappant la tête.

et sans pouvoir me rappeler... Je souffre là... et puis là... mais qui donc ? mais qui donc, mon Dieu ? qui donc ? mille tonnerres !... je ne sais plus... et, malgré moi, les larmes me viennent aux yeux... et j’étouffe... et je pleure...

Il tombe accablé et sanglote dans ses mains.

GOUJU, se relevant lentement.

Est-ce que tu te trouves mal, Joséphine ? Attends, je vas te délacer, mon vieux...

PIERRE.

Voyons, voyons donc !... cherchons dans ma tête... dans mes souvenirs... c’était... c’était... avec... avec...

On entend un coup de feu, il se relève avec force, comme dégrisé par le bruit.

Ah ! ma fille ! c’était avec ma fille...

Gouju sort par la gauche en chancelant.

oui, ma fille arrêtée... condamnée... et j’ai pu... mais non, non ; il n’est pas encore l’heure... on va venir me chercher... Caporal, venez donc... caporal, me voici... je suis prêt... je ne suis pas gris... je veux aller faire ma faction.

On entend sonner dix heures, Pierre compte les coups les uns après les autres, au neuvième il s’écrie.

Présent ! présent !...

La dixième heure sonne.

Dix heures ! dix heures ! il est trop tard... et ce coup de feu que je viens d’entendre... Ah ! mon enfant ! ils ont tué mon enfant !...

 

 

Scène XVI

 

PIERRE, SOLDATS, CHARLOTTE, puis L’ADJUDANT

 

CHŒUR DES SOLDATS.

Air de Fra-Diavolo.

Quels sont ces cris et ces alarmes ?
Qui nous menace en cet instant ?
On a crié : Soldats, aux armes !
Allons-nous marcher en avant ?

CHARLOTTE, accourant.

Ah... mon Dieu ! mon Dieu ! quel événement !...

TOUS.

Qu’y-t-il ?

CHARLOTTE.

Attendez, attendez !... que je ne remette un peu... j’ai eu si peur... j’ai cru qu’on me tirait le canon entre les deux oreilles.

PIERRE.

Enfin... enfin... parleras-tu ?

CHARLOTTE.

Voilà la chose, mon ancien... figurez-vous que je prenais l’air à ma croisée... je guettais quelqu’un qu’il m’est impossible de nommer... M. Picard.

PIERRE.

Achève.... achève...

CHARLOTTE.

Je le guettais, dis-je, pour lui recommander de ne plus m’aimer, de renoncer à moi pour jamais, quand tout-à-coup, paf !... un coup de fusil !... Ma foi, j’ai craint pour mes jours, j’ai fermé les yeux et je me suis sauvée... voilà les faits tels qu’ils se sont passés.

PIERRE.

Mais ça ne nous apprend pas... Quel supplice !

L’ADJUDANT, entrant.

Rassurez-vous, camarades, c’est le factionnaire qui vient de faire feu sur une prisonnière qui cherchait à s’évader.

PIERRE.

Grand Dieu ! et cette prisonnière... c’était...

L’ADJUDANT.

La ci-devant comtesse de Vernon.

CHARLOTTE, à part.

Louise !

PIERRE, à part.

Elle !... c’était elle...

Haut.

Mais qui donc, qui donc était de faction ?

CHARLOTTE, à part.

Pauvre fille !

 

 

Scène VII

 

LES MÊMES, SOLDATS et PICARD

 

Tous les soldats suivent au fond l’adjudant qui donne des ordres. Picard entre pâle, défait, il se dirige vers le groupe ; Pierre le saisit et l’amène sur le devant de la scène.

PIERRE, à voix basse, à Picard.

Misérable... c’est toi, toi qui m’as trompé, qui m’as volé ma faction.

PICARD.

Eh ! qu’importait ton devoir... je voulais être là, moi... il le fallait...

PIERRE.

Pour un rendez-vous... ou bien pour assassiner, n’est-ce pas ?

PICARD.

Assassiner !

PIERRE.

Oui, ma fille, l’enfant de Pierre Morand !

PICARD.

Pierre Morand !

PIERRE.

Et ne comprends-tu maintenant cette femme, cette prisonnière, c’était ma fille...

PICARD.

Silence ! silence, Pierre ! c’était ma femme...

PIERRE.

Que dis-tu tu es... vous êtes donc...

PICARD.

Le comte de Vernon.

PIERRE.

Mais ce coup de feu ?

PICARD.

Tiré en l’air pour détourner le soupçon... et quand déjà elle avait atteint ne barque qui l’attendait sur le port, et moi, je suis resté pour étendre à mes pieds quiconque se serait opposé à sa fuite

PIERRE.

Oh ! bien, bien, cela !

PICARD.

Mais on la poursuit.... et à présent...

PIERRE.

Ô ciel ! à présent...

PICARD.

Ils ont envoyé des barques sur ses traces, et je tremble...

PIERRE.

Mais comment savoir ?

PICARD, bas.

Le capitaine du vaisseau m’est dévoué... un coup de canon nous apprendra qu’il a dû s’éloigner sans Louise, deux, au contraire, seront le signal de sa délivrance.

PIERRE.

Mon Dieu ! veillez sur elle !

On entend un coup de canon.

L’ADJUDANT.

Qu’est-ce que cela ?

PIERRE.

Un seul !... je me sens mourir !

Deuxième coup de canon ; avec transport.

Deux !...

PICARD.

Elle est sauvée !

Gouju entre.

L’ADJUDANT.

Eh bien ! la prisonnière ?

GOUJU.

Envolée sur les ailes d’un bâtiment.... que la mer lui soit légère !

PICARD.

Mon Dieu ! je te rends grâce !

PIERRE, à part.

Ah ! si j’avais été là, du moins je l’aurais embrassée... c’est égal, j’ai joliment bien fait de lui demander ce chiffon-là...

Il embrasse le mouchoir. Haut et gaiement.

Elle est partie ... eh bien ! camarades, nous réparerons cet échec !... demain, à la frontière !

TOUS.

À la frontière !

CHŒUR.

Air du Forgeron. (Loïsa Puget.)

Enfants de la France
Soldats, garde à vous !
Veillons, veillons, on compte sur nous !
De la vigilance !
Répétons toujours :
L’honneur, l’honneur avant les amours !

PIERRE, au public.

Air d’Yelva.

Vous le savez, acteur ou militaire,
Ces deux états se ressemblent souvent :
Pour le théâtre, ainsi que pour la guerre,
D’abord il faut signer un engag’ment,
Ils ont tous deux pour dernièr’ ressemblance,
Congés, revers, ou parfois un laurier...
Mais devant vous, voilà la différence,
C’est qu’un acteur tremble plus qu’un troupier :
Quelques bravos et beaucoup d’indulgence,
Pour assurer l’acteur et l’vieux troupier.

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