Le Tableau du mariage (Jacques-Philippe D’ORNEVAL - Louis FUZELIER - Alain-René LESAGE)

Pièce en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Jeu de Belair, le 3 février 1716.

 

Personnages

 

MONSIEUR PÉPIN, bourgeois de Paris

MADAME PÉPIN, sa femme

DIAMANTINE, leur nièce

OCTAVE, amant de Diamantine

OLIVETTE, suivante de Diamantine

ARLEQUIN, valet d’Octave

SCARAMOUCHE, confiseur

MONSIEUR MINUTIN, notaire

MONSIEUR FRANCŒUR, marchand de rubans

TROUPE DE MASQUES et D’AMIS invités aux noces 

SYMPHONISTES

 

La scène est à Paris.

 

Le théâtre représenta une façade de maison dans le sond, et un jardin orné de statues dans les ailes.

 

 

Scène première

 

DIAMANTINE, OLIVETTE

 

OLIVETTE.

Air : d’Atys.

Sangaride, ce jour est un grand jour pour vous.

Vous allez donc enfin signer les articles de votre mariage. Là, vous sentez-vous la main assez ferme... ?

DIAMANTINE.

Je ne sais.

OLIVETTE.

Je ne sais ! Ouais ! ce je ne sais présage une rechute d’incertitude.

Air : Si dans le mal qui me possède.

En vérité, je vous admire.
Comment ? après que devant moi
Octave a reçu votre foi,
Vous voilà prête à vous dédire !
Vous trahiriez votre serment !
Fi ! Vous avez le cœur normand !

DIAMANTINE.

Ma chère Olivette, apprends ce qui m’effraye.

OLIVETTE.

Voyons.

DIAMANTINE.

J’ai fait un songe épouvantable. J’ai vu deux pigeons qui sortaient d’un colombier...

OLIVETTE.

Deux pigeons qui sortaient d’un colombier ! Voilà un commencement de rêve qui fait trembler.

DIAMANTINE.

Ils se sont arrêtés dans un champ. La femelle caressait le mâle, qui, bien, loin de répondre à ses caresses, lui a donné deux coups de bec en fureur, et s’est envolé.

OLIVETTE.

Ah ! le vilain mâle !

DIAMANTINE.

Ce spectacle m’a réveillée. J’ai regardé mon songe comme un avis que le ciel me donne de me défier des hommes. Je ne signerai point le contrat. Je veux auparavant essayer encore le cœur d’Octave, et lui demander un délai.

OLIVETTE.

Air : Réveillez-vous, belle endormie.

Vous aimez, et l’on vous adore,
Pourquoi ces bizarres essais ?
Je n’ai point vu de fille encore
Demander de pareils délais.

DIAMANTINE.

Tu me connais. Tu sais que j’ai pour le mariage une répugnance naturelle.

OLIVETTE.

Oh ! dites surnaturelle, s’il vous plaît.

Air : D’une main je tiens mon pot.

Le principe est contre vous,
Avouez-le entre nous.
On peut bien trouver dans des belles
Des répugnances naturelles
Pour certains maris concedo :
Mais pour l’hymen, nego.

DIAMANTINE.

Tes plaisanteries sont hors de saison. J’aime Octave, mais je ne veux pas être malheureuse.

OLIVETTE.

Air : Dedans nos bois il y a un ermite.

Que fera-t-on du festin qu’on apprête,
Que diront vos amis ?
Ils vont bientôt s’assembler pour la fête ;
Le bal leur est promis,
On rira bien de cette contredanse.
Je perds patience,
Moi,
Je perds patience.

DIAMANTINE.

Je devine ce qui vous fait perdre patience. Vous craignez que le retardement de mes noces ne recule les vôtres ; mais rassurez-vous, mademoiselle Olivette. Vous pouvez, dès aujourd’hui, épouser Arlequin.

Air : La bonne aventure, ô gai.

Là-dessus fois sans effroi.
De plus, je te jure
Que les apprêts faits pour moi,
Mon enfant, feront pour toi.

OLIVETTE, sautant de joie.

La bonne aventure.
Ô gai,
La bonne aventure.

DIAMANTINE.

Ah ! voilà monsieur Minutin, mon flegmatique notaire !

OLIVETTE.

Et voici le brusque monsieur Francœur, marchand de rubans. Ce sont deux caractères bien opposés.

 

 

Scène II

 

DIAMANTINE, OLIVETTE, MONSIEUR MINUTIN, MONSIEUR FRANCŒUR

 

MONSIEUR FRANCŒUR.

Air : Belle brune, belle brune.

La carogne !
La carogne !
C’est un esprit à rebours,
C’est un vrai gâte-besogne,
La carogne !
La carogne !

Que la peste la crève !

OLIVETTE.

Qui donc, monsieur Francœur ?

DIAMANTINE.

De qui parlez-vous ?

MONSIEUR FRANCŒUR.

Hé, parbleu ! c’est de ma femme !

DIAMANTINE.

Ah ! ah !...

OLIVETTE.

Vous en êtes occupé agréablement.

MONSIEUR MINUTIN, riant.

Il faut avoir de fortes raisons pour parler de sa femme dans de pareils termes.

DIAMANTINE.

Assurément.

MONSIEUR FRANCŒUR.

Air : Comme un coucou que l’amour presse.

C’est une femme insupportable,
Qui me met sans cesse en fureur.
Aussi, je la bats comme un diable.

OLIVETTE, à Diamantine.

Entendez-vous, monsieur Francœur ?

Heu ! le vilain pigeon !

DIAMANTINE.

Qu’a-t-elle donc fait, monsieur Francœur ?

MONSIEUR FRANCŒUR.

La maudite femme devrait être déjà ici, et vous avoir apporté vos rubans.

OLIVETTE.

Quoi ! c’est pour cela que vous êtes si fort irrité contre elle ?

DIAMANTINE.

C’est là le sujet de votre colère !

MONSIEUR FRANCŒUR.

Comment, ventrebleu ! n’ai-je pas raison ?

MONSIEUR MINUTIN, souriant.

Le sujet est bien mince, monsieur, Francœur.

MONSIEUR FRANCŒUR, le contrefaisant.

Bien mince, que diable, bien mince ! Je ne fais pas le doucereux ; comme vous, monsieur Minutin.

MONSIEUR MINUTIN.

Sans emportement.

MONSIEUR FRANCŒUR.

Je veux m’emporter, moi ! Mêlez-vous de vos affaires.

MONSIEUR MINUTIN.

Air : Oui, je t’aime ; l’amour même.

Quel salpêtre !
Peut-on être
D’un tempérament si vif !

MONSIEUR FRANCŒUR.

Quelle face
À la glace !
C’est un réfrigératif.

DIAMANTINE.

Doucement, monsieur Francœur. N’insultez pas monsieur Minutin, mon notaire.

MONSIEUR FRANCŒUR.

Qu’il me laine donc en repos.

MONSIEUR MINUTIN.

Eh ! madame, laissez tirer monsieur Francœur ! Je ne crains pas le feu.

MONSIEUR FRANCŒUR, le contrefaisant.

Je ne crains pas le feu. Il vous sied bien de faire le railleur.

OLIVETTE, à monsieur Francœur.

Air : Tu croyais, en ornant Colette.

Aurez-vous toujours cette bile ?
Regardez, monsieur Minutin :
Quel maintien joyeux et tranquille !

MONSIEUR FRANCŒUR.

Il a l’air d’un mari bénin.

MONSIEUR MINUTIN.

Je me prête à la plaisanterie, monsieur Francœur. Oui, j’aime ma femme. : Je ne l’ai jamais tant aimée.

OLIVETTE.

Voilà la perle des époux.

DIAMANTINE.

À propos, comment se porte-t-elle, madame Minutin ?

MONSIEUR MINUTIN, d’un air riant.

Fort mal, la pauvre femme. Elle est à l’extrémité. Je l’ai laissée à l’agonie.

DIAMANTINE, à Olivette.

À l’agonie, Olivette ! à l’agonie ! Avec quel sang-froid il dit cela !

OLIVETTE.

Le bourreau ! Voici bien un autre pigeon, ma foi !

MONSIEUR MINUTIN.

Air : Quand je tiens de ce jus d’octobre.

Mon médecin l’a condamnée.
Il n’en manqué point entre nous.
Je ferai veuf dans la journée...

MONSIEUR FRANCŒUR, le montrant du doigt.

Voilà la perle des époux.

OLIVETTE, chante.

Air : Mathieu, grâce à Dieu.

Mathieu,
Grâce à Dieu,
Ma femme est morte...

Quel coup de bec !

DIAMANTINE.

Il dit cela avec une, gaieté, qui me révolte.

OLIVETTE.

Quels maris !

DIAMANTINE.

Ô ciel ! Allez messieurs, je n’ai pas besoin de vous...

MONSIEUR MINUTIN.

Mais... votre contrat de mariage...

DIAMANTINE.

Ce ne sera pas pour aujourd’hui.

MONSIEUR FRANCŒUR.

Vos rubans de noces...

OLIVETTE.

Cela ne presse pas. Tirez, tirez, tendres époux.

MONSIEUR FRANCŒUR, faisant la révérence.

Air : Menuet de monsieur de Grandval.

Serviteur.

MONSIEUR MINUTIN.

Adieu donc, madame,
Puisque vous changez de dessein.

MONSIEUR FRANCŒUR.

Que je vais bien rosser ma femme.

MONSIEUR MINUTIN.

Moi, bien payer mon médecin !

 

 

Scène III

 

DIAMANTINE, OLIVETTE

 

DIAMANTINE.

Je n’ai pas tort, comme tu vois, de m’arrêter à mon songe.

OLIVETTE.

Oh ! madame, Octave vous prépare un sort plus agréable ! Je vous en réponds.

DIAMANTINE.

Il me faut une autre caution que toi.

 

 

Scène IV

 

DIAMANTINE, OLIVETTE, UN LAQUAIS

 

LE LAQUAIS.

Votre couturière, madame.

DIAMANTINE.

Faites-la passer dans le salon au bout du jardin. Qu’on laisse la salle à la compagnie qui viendra.

Diamantine rentre.

 

 

Scène V

 

OLIVETTE, seule

 

Air : Voulez-vous savoir qui des deux.

Lorsque l’hymen vient l’appeler,
Un songe la fait reculer.
Ne faisons point la même faute :
Toute prête, à donner la main,
Je ne serai pas assez sotte
Pour rester en si beau chemin.

 

 

Scène VI

 

OLIVETTE, OCTAVE, ARLEQUIN

 

OCTAVE.

Quel heureux jour, ma chère Olivette ! Enfin, l’aimable Diamantine fixe ses irrésolutions et se livre à ma tendresse. Je n’ai jamais été si content ; mon cœur ne peut contenir ses transports.

ARLEQUIN.

Air : Réveillez-vous, belle endormie.

Oui, tiens ne crois pas qu’il se moque ;
Écoute ce-tendre sanglot.

Il soupire comiquement.

Ouf ! L’amour ; tous deux nous suffoque !
Nous en avons jusqu’au goulot.

Air : Les filles de Nanterre.

Quoi, vous rêvez, ma chère !

OLIVETTE.

Je pense en ce moment
Qu’un Hymen qu’on diffère
N’en est que plus charmant.

ARLEQUIN.

Pour une fille nubile, c’est penser bien extraordinairement.

OCTAVE, à Olivette.

Que veux-tu dire ? Explique-toi, de grâce.

OLIVETTE.

Ma maîtresse est dans le salon au bout du jardin. Elle a fait un rêve qui l’embarrasse. Allez lui mettre l’esprit en repos là-dessus.

Octave entre dans la maison.

 

 

Scène VII

 

OLIVETTE, ARLEQUIN

 

OLIVETTE.

Rends grâces au ciel de ce que je ne donne pas dans les songes, moi.

ARLEQUIN.

Air : Belle brune, belle brune.

Belle brune,
Belle brune,
Quel changement feraient donc
Les songes dans ma fortune,
Belle brune,
Belle, brune ?

OLIVETTE.

Air : Ne m’entendez-vous pas.

Malgré tous les appas
Du plus doux hyménée,
Olivette obstinée
Fuirait jusqu’au trépas,
Ne m’entendez-vous pas.

ARLEQUIN.

Tu ne m’épouserais pas, si tu croyais aux songes ?

OLIVETTE.

Non.

ARLEQUIN.

Comment, diable !

OLIVETTE.

Un rêve qu’a fait Diamantine va peut-être rompre son mariage. Elle a vu en songe deux pigeons... 

ARLEQUIN.

Étaient-ils à la crapaudine ?

OLIVETTE.

Le mâle a donné deux coups de bec à la femelle.

ARLEQUIN.

Deux coups de bec. Attendez, cela est équivoque. J’ai vu, moi, cent pigeons de Paris, assemblés au bois de Boulogne, se donner de bonne amitié cent coups de bec.

OLIVETTE.

Oh ! le pigeon de notre rêve était en fureur ! Mais laissons cela. Seras-tu bon mari ?

ARLEQUIN.

Air : de Joconde.

Tous les jours (j’en jure ma foi),
Oui, ma petite brune,
Je prétends souper avec toi,
Et plutôt deux fois qu’une
Tous deux ; contents ; tous deux en paix,
Tous deux n’ayant qu’une âme...

OLIVETTE.

Mais on ne nous prendra jamais.
Pour l’époux et la femme.

Sans adieu. Je vais rejoindre ma maîtresse.

Elle rentre.

ARLEQUIN.

Et moi, les danseurs et les symphonistes qui doivent se rendre ici ; J’ai des ordres à leur donner de la part de mon maître... Mais que vois-je ! C’est Scaramouche.

 

 

Scène VIII

 

ARLEQUIN, SCARAMOUCHE, en habit bourgeois, une corbeille à la main

 

SCARAMOUCHE.

Eh ! bonjour, Arlequin !

Ils s’embrassent.

Tu es toujours dans le service, à ce qu’il me semble.

ARLEQUIN.

Est-ce que tu n’y es plus, toi ?

SCARAMOUCHE.

J’ai fait une fin, mon enfant. Je suis devenu bourgeois de Paris. Je suis confiturier.

ARLEQUIN, regardant la corbeille d’un œil d’envie.

Bel établissement, ma foi ! Voilà de ton ouvrage, apparemment ?

SCARAMOUCHE.

Sans doute. Ce sont des fruits confits que j’apporte dans cette maison pour une noce.

ARLEQUIN, prenant des confitures dans la corbeille.

J’en veux goûter, pour voir ce que tu sais faire. À la besogne, on connaît l’ouvrier.

SCARAMOUCHE.

Hé bien, qu’en dis-tu ?

ARLEQUIN, après avoir mangé, en prend encore.

Tu es bon confiseur. Parbleu, tu travailles à merveilles.

SCARAMOUCHE, mettant la corbeille du côté opposé à Arlequin.

Et toi, de même, Tudieu ! vous êtes bien expéditif !

ARLEQUIN, se léchant les doigts.

Par quelle aventure as-tu embrassé une si belle profession ?

SCARAMOUCHE.

Je vais te le dire. Au commencement de cette année, j’entrai dans une boutique de confiturier, pour y acheter quelques petites douceurs,

pour faire des étrennes.

ARLEQUIN, passant du côté de la corbeille.

Fort bien.

SCARAMOUCHE.

Je vois dans le comptoir una dona qui avait un petit enfant auprès d’elle, ma una dona bene fatta.

ARLEQUIN, mettant la main dans la corbeille.

Jeune et belle ?

SCARAMOUCHE.

Là, là.

ARLEQUIN.

Blonde ?

SCARAMOUCHE.

Non.

ARLEQUIN.

Brune donc ?

SCARAMOUCHE.

Pas tout à fait. Ses cheveux sont noirs et blancs par-ci, par-là.

ARLEQUIN.

Ah ! oui. En demi-deuil.

SCARAMOUCHE, observant Arlequin qui prend des confitures.

Je la salue... Je caresse le petit enfant... Mais, que faites-vous là ?

ARLEQUIN, se voyant surpris.

Mignon, mignon. Tenez, mon fils.

SCARAMOUCHE.

Vous prenez mes confitures, je crois.

ARLEQUIN.

C’est que je veux donner du bonbon à l’enfant.

SCARAMOUCHE, mettant la corbeille de l’autre côté.

Hé, non, non ! vous lui gâterez les dents... Je vous disais donc que je salue la marchande. Je lui demande des dragées, et je commence (vous m’entendez bien) à lui conter fleurettes.

ARLEQUIN, repassant du côté de la corbeille.

Conter fleurettes. Je vous entends. Diable ! vous êtes un fin matois.

SCARAMOUCHE, riant.

Hé ! hé !... Elle m’écoute ; et pour vous le couper court, elle m’apprend qu’elle est veuve. Je m’offre à l’épouser, elle me prend au mot, et...

S’apercevant qu’Arlequin visite encore la corbeille.

Oh, oh ! vous vous plaisez diablement de ce côté-là !

ARLEQUIN.

Air : Lon lan-la, derirette.

C’est que j’entends de ce côté
Mieux que de l’autre, en vérité,
Lon lan-la, derirette.

SCARAMOUCHE, en remettant la corbeille de l’autre côté.

Demeurez-y donc, mon ami,
Lon lan-la, deriri.

 

 

Scène IX

 

ARLEQUIN, SCARAMOUCHE, OLIVETTE

 

OLIVETTE, à part, sans être aperçue.

Arlequin est encore, ici !

SCARAMOUCHE.

J’ai donc épousé cette veuve, et je me suis fait confiturier.

OLIVETTE, à part.

Écoutons un peu cette conversation.

ARLEQUIN.

Vous avez fort bien fait.

SCARAMOUCHE.

Pas trop. Je me suis bientôt aperçu que j’avais épousé une diablesse, une... En un mot, une femme.

ARLEQUIN.

Une femme. Oui, c’est tout dire.

OLIVETTE, à part.

Rien n’est plus galant.

SCARAMOUCHE.

Elle me contrecarre sans cesse, et défait ce que je fais.

ARLEQUIN.

Hé, ne pouvez-vous dompter cette bête quinteuse ?

SCARAMOUCHE.

Comment feriez-vous pour cela.

ARLEQUIN.

Comment ? ventrebleu ! Je dirais à ma très honorée épouse : Regardez, ma mie, j’ai le bras vigoureux, le poignet ferme, le geste vif. Ensuite, je prendrais ma canne...

Apercevant Olivette.

Hoïmé !

OLIVETTE, faisant la révérence à Arlequin.

Hé bien ? vous prendriez votre canne...

ARLEQUIN, interdit, et cherchant à se tirer d’embarras.

Oui... Je prendrais ma canne... et... et j’irais me promener.

Il s’en va brusquement, et emporte la corbeille.

SCARAMOUCHE, courant après lui.

Rendez-moi du moins le panier.

 

 

Scène X

 

OLIVETTE, seule

 

Ô le scélérat !

Air : La faridondaine.

Je vois que le songe a raison :
Diamantine est sage.
Ma foi, je serais un oison
De me mettre en ménage.
Arlequin ferait le pigeon,
La faridondaine,
La faridondon.

À la cantonade.

Attends, tu seras mon mari,
Biribi,
À la façon de barbari,
Mon ami.

Mais, voici, ce me semble, un changement de décoration.

 

 

Scène XI

 

OLIVETTE, DIAMANTINE, OCTAVE

 

OCTAVE.

Vous me le promettez donc, charmante Diamantine.

DIAMANTINE.

Oui. Si monsieur Pépin, mon oncle, me donne une idée du mariage qui autorise vos empressements, je vous promets de ne plus écouter que mon cœur.

OCTAVE.

Je vais trouver monsieur et madame Pépin. Ils sont trop unis pour ne pas condamner vos incertitudes.

DIAMANTINE.

Elles ne doivent point vous offenser. Je vous estime ; et la seule crainte de voir finir trop tôt des sentiments qui me sont chers, m’empêche de vous rendre heureux.

OCTAVE.

Ah ! je vous proteste...

DIAMANTINE.

Laissons-là les protestations. Mon oncle et ma tante me détermineront. Ils seront bientôt ici.

OCTAVE.

Je vais au-devant d’eux. Pardonnez-moi cette impatience.

Il  rentre dans la maison.

 

 

Scène XII

 

DIAMANTINE, OLIVETTE

 

OLIVETTE.

Vous me paraissez rentrer en goût.

DIAMANTINE.

Que veux-tu ? Je me suis enfin rendue aux pressantes instances Octave.

OLIVETTE.

C’est fort bien fait à vous, Craignez de vous en repentir.

DIAMANTINE.

Qu’entends-je ! toi, qui tantôt...

OLIVETTE.

J’ai fait mes réflexions. Je commence à donner dans les songes. Croyez-moi.

Air : Quel plaisir de voir Claudine.

Tenons-nous comme nous sommes,
Jamais ne nous engageons :
Je vois qu’aujourd’hui les hommes
Sont tous de méchants pigeons.

Au diable le meilleur !

 

 

Scène XIII

 

DIAMANTINE, OLIVETTE, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN, transporté de joie.

Air : Jardinier ne vois-tu pas.

Vivent les ris et les jeux !
Ne parlons que de boire.
L’oncle et la tante tous deux
Viennent féconder nos vœux.
Victoire, victoire, victoire !

Voici monsieur et madame Pépin. Gare, gare !

 

 

Scène XIV

 

DIAMANTINE, OLIVETTE, ARLEQUIN, OCTAVE, MONSIEUR et MADAME PÉPIN

 

MONSIEUR PÉPIN, à Diamantine.

Hé bien, qu’est-ce, ma mignonne ? On raconte de vous des choies incroyables. Vous voulez, dit-on, différer, votre mariage à cause d’un songe.

MADAME PÉPIN.

Un songe vous fait peur ! ma nièce ! Quelle pauvreté ! Si vous aviez été au devin, encore passe.

OLIVETTE.

Peste ! madame Pépin a l’esprit fort !

MADAME PÉPIN.

Quand monsieur Pépin me faisait l’amour, bien loin d’appréhender le jour de mes noces,

Air : Y-avance, y-avance.

En attendant ce jour charmant,
Je répétais incessamment :
Viens, beau jour, viens en diligence !
Y-avance, y-avance, y-avance !
Viens remplir mon impatience.

MONSIEUR PÉPIN.

Madame Pépin n’acheta pas le chat en poche lorsqu’elle m’épousa.

Air : Jean de Vert.

Oh ! j’étais dans mes jeunes ans
Un cadet d’importance !
Mes visites chez bien des gens
Tiraient à conséquence.

OLIVETTE.

Oui, je crois qu’entre les galants
Votre oncle brillait fort du temps
De Jean de Vert
(trois fois) en France.

MADAME PÉPIN.

Air : Talalerire.

Prenez un bon mari, ma fille.

OLIVETTE.

Le mariage lui fait peur.

MADAME PÉPIN.

Elle n’est pas de la famille.

MONSIEUR PÉPIN.

Nous n’avons pas cette froideur ;
Nous n’aimons qu’à sauter, qu’à rire ;

Il tombe en voulant sauter.

OLIVETTE et ARLEQUIN, le relevant.

Talaleri, talaleri, talalerire.

DIAMANTINE, effrayée.

Ah ! mon cher oncle !

MONSIEUR PÉPIN, relevé.

Ce n’est rien.

MADAME PÉPIN, d’un air inquiet.

N’êtes-vous point blessé, mon petit chaton ?

MONSIEUR PÉPIN.

Non, ma poule.

OLIVETTE.

Quelle union !

DIAMANTINE.

Oh ! pour cela, mon oncle et ma tante vivent dans une intelligence qui fait plaisir.

MONSIEUR PÉPIN.

Cela est véritable.

Air : Voulez-vous savoir qui des deux.

J’ai l’honneur d’être marguillier.

MADAME PÉPIN.

On nous connaît dans le quartier
Pour ménage incomparable.
En mangeant notre petit rôt,
L’amour est avec nous à table.

ARLEQUIN, à part.

Il est là d’un fort bel écot.

MONSIEUR PÉPIN.

Madame Pépin est une franche brebis.

MADAME PÉPIN.

Monsieur Pépin est un vrai petit mouton. Il y a trente-huit ans que nous vivons ensemble comme deux tourterelles.

OLIVETTE.

Sans vous donner le moindre coup de bec ?

MADAME PÉPIN.

Oui, ma mie, trente-huit ans d’amour conjugal.

OCTAVE, à Diamantine.

Vous l’entendez, belle Diamantine.

DIAMANTINE.

Rien n’est si charmant.

MONSIEUR PÉPIN.

Madame Pépin ! il y a, s’il vous plaît, quarante bonnes années bien complètes.

MADAME PÉPIN, d’un air sérieux.

Monsieur Pépin !...

MONSIEUR PÉPIN.

Eh ! madame Pépin ! nous nous sommes mariés en 1676. J’en ai la note dans mon cahier.

MADAME PÉPIN, d’un air fâché.

La note, la note ! Vous faites-là de belles observations. Belle pièce de cabinet.

MONSIEUR PÉPIN.

Croyez-moi, deux ans de plus ou de moins à notre âge... Balte. Notre temps est passé.

MADAME PÉPIN, avec émotion.

Parlez du vôtre, monsieur Pépin, parlez du vôtre. Vous n’êtes plus bon à rien ; mais pour moi... suffit. Je ne radote point encore.

MONSIEUR PÉPIN.

Mais, que diable,-vous voyez.

MADAME PÉPIN, avec précipitation.

Oh ! je vois, je vois que vous aimez à me contredire. Vous avez ce défaut-là, mon mari.

MONSIEUR PÉPIN.

Vous en avez bien d’autres, vous, ma femme.

MADAME PÉPIN.

Je ne sais comment j’ai pu durer si longtemps avec un homme aussi insupportable que vous.

DIAMANTINE, voulant apaiser madame Pépin.

Ma tante !

MONSIEUR PÉPIN.

Vous mettez vos ridicules humeurs sur mon compte.

OCTAVE.

Monsieur Pépin.

MADAME PÉPIN, avec emportement.

Mes ridicules humeurs ! Ah ! le vieux fou ! Jour de Dieu ! je vous dévisagerais. Souvenez-vous du chandelier que je vous jetai l’autre jour à la tête.

OLIVETTE, à madame Pépin.

Montrez-vous la plus sage.

MONSIEUR PÉPIN.

Souvenez-vous du soufflet que je vous donnai en faisant les rois.

ARLEQUIN, à monsieur Pépin.

Souvenez-vous que vous êtes marguillier.

MADAME PÉPIN.

Ne m’échauffez pas les oreilles.

PÉPIN, outré.

Si je mets la main sur vous...

MADAME PÉPIN, furieuse.

Ah ! c’en est trop !

MONSIEUR PÉPIN.

Je perds patience.

Ils se jettent l’un sur l’autre et se battent.

OCTAVE, les séparant.

Allons, monsieur Pépin, allons !

DIAMANTINE, les séparant aussi.

Madame Pépin !

ARLEQUIN, à monsieur Pépin.

Mon oncle !

OLIVETTE, à madame Pépin.

Ma tante !

DIAMANTINE, à Octave.

Vous voyez, Octave, quelle idée me donnent du mariage les arbitres que vous avez choisis. J’y renonce absolument.

OLIVETTE.

Et moi, tout de même.

OCTAVE, à part.

Que je suis malheureux ! Il faut attendre un temps plus favorable pour vaincre son entêtement.

Il s’en va.

ARLEQUIN.

Et moi, mademoiselle Olivette, que vais-je devenir ?

OLIVETTE.

Vous, monsieur Arlequin, prenez votre canne, et vous allez promener.

ARLEQUIN, s’en allant.

Le diable emporte tous les Pépin présents et à venir.

 

 

Scène XV

 

MONSIEUR et MADAME PÉPIN, DIAMANTINE, OLIVETTE, TROUPE DE MASQUES et D’AMIS invités aux fiançailles

 

MADAME PÉPIN, s’essuyant le visage.

Cet impertinent... !

DIAMANTINE.

Modérez-vous, ma tante. Voici l’assemblée.

OLIVETTE, à Diamantine.

Commençons la fête préparée. Faisons les contre-fiançailles. Réjouissons-nous de n’avoir pas fait la sottise de nous marier.

Les violons qui sont entrés avec la compagnie se font entendre, et les masques forment une danse qui finit la pièce.

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