Le Prince charmant (Eugène SCRIBE - Charles-Gaspard DELESTRE-POIRSON - Jean-Henri DUPIN)

Folie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de S. A. R. Madame, le 14 février 1828.

 

Personnages

 

LE PRINCE CHARMANT, marquis de Saluces

FINASSINI, envoyé du comte de Padoue

FLEUR D’AMOUR, page

LA COMTESSE DE PADOUE

RÉBECCA, ancienne dame d’honneur

GARDES DU PRINCE

PAGES

DAMES de la suite de la comtesse

 

Dans le marquisat de Saluces.

 

Les jardins du palais du Prince Charmant. À gauche du spectateur, un trône sur lequel le prince se place pour recevoir l’ambassadeur ; à droite, sur le premier plan, un socle sur lequel est pincé un vase de fleurs ; une porte secrète se trouve sur le devant du socle, c’est par cette porte que la comtesse entre avec Finassini ; du même côté, du second au troisième plan, un vieux chêne creux dans lequel se cache Rébecca.

 

 

Scène première

 

FLEUR D’AMOUR, RÉBECCA

 

FLEUR D’AMOUR.

Chut ! vous dit-on.

RÉBECCA.

Mais enfin je veux savoir pourquoi, depuis huit jours, vous me négligez à ce point.

FLEUR D’AMOUR.

Mais paix donc, Rébecca !... on peut nous voir, nous entendre... et si l’on apercevait une femme dans ce palais... il y va de ma tête.

RÉBECCA.

Ça m’est égal.

FLEUR D’AMOUR.

À la bonne heure ! mais sachez que, moi, ça ne me l’est pas ; que diable, on n’est pas égoïste comme cela.

RÉBECCA.

Oui, traître, je suis venue dans ce palais, malgré les périls que j’y cours ; et j’aime mieux te voir pendu pour l’amour de moi, que marié avec une autre... Est-ce là aimer ?

FLEUR D’AMOUR.

Eh ! mon Dieu ! aimez-moi un peu moins.

Air : On dit que je suis sans malice. (Le Bouffe et le Tailleur.)

Je tiens à vous, ma tendre amie ;
Mais encor bien plus à la vie...
Vous ne devez pas m’en vouloir ;
C’est très facile à concevoir :
Vient-on à perdre sa tendresse,
On retrouve une autre maîtresse ;
Tandis que l’existence, hélas !
Cela ne se retrouve pas !

RÉBECCA.

Crois-tu qu’on ne te vaille pas, et que si on voulait s’en donner la peine...

FLEUR D’AMOUR.

Si vous pouviez seulement vous donner celle de vous taire... Songez donc que l’entrée de ce palais est défendue à toutes les femmes, et qu’on n’y est pas habitué à ce tapage-là... Grand Dieu ! serions-nous découverts ! Quelqu’un s’avance.

RÉBECCA.

Ô ciel !

FLEUR D’AMOUR.

Nous avons aujourd’hui audience... c’est un des ambassadeurs qui me cherche pour l’introduire... Allons vite, cachez-vous derrière ces grands arbres, et si quelqu’un vient, vous savez notre retraite ordinaire... cet arbre antique...

Montrant le vieux chêne creux.

RÉBECCA.

Encore ce vieux tronc d’arbre ! c’est bien agréable !

FLEUR D’AMOUR.

C’est l’affaire d’une heure tout au plus ; et quand il sera temps de vous montrer, vous entendrez le signal ordinaire.

Faisant le geste de frapper trois fois dans la main.

Air : La loterie est la chance. (Sophie Arnould.)

Oui, votre langue indiscrète
Me fait craindre un sort fatal ;
Restez dans cette retraite
Jusqu’à mon premier signal.
Attendez que quelque ruse...

RÉBECCA.

Attendre... Eh ! mon Dieu ! voilà
Vingt ans, si je ne m’abuse,
Que je ne fais que cela !

Ensemble.

RÉBECCA.

Ah ! mon Dieu ! je suis muette,
Que craignez-vous de fatal ?
J’entre, et dans cette retraite
J’attends le premier signal.

FLEUR D’AMOUR.

Oui, votre langue indiscrète, etc.

RÉBECCA.

Ô amour, que d’étourderies tu nous fais commettre !

FLEUR D’AMOUR, la poussant.

Je crois qu’elle parle encore.

 

 

Scène II

 

FLEUR D’AMOUR, FINASSINI, entrant par la gauche

 

FINASSINI.

Se moque-t-on de moi, s’il vous plaît ? faire faire antichambre à un ambassadeur !... le seigneur Finassini ! Qui êtes-vous, mon ami ?

FLEUR D’AMOUR.

Je me nomme Fleur d’Amour.

FINASSINI.

Fleur d’Amour !... voilà un bien joli nom.

FLEUR D’AMOUR.

Premier page du Prince Charmant.

FINASSINI.

Comment ! du Prince Charmant ? Vous voulez dire du marquis de Saluces.

FLEUR D’AMOUR.

C’est la même chose, l’un vaut l’autre... C’est un surnom que monseigneur s’est donné, et auquel il tient beaucoup... un surnom historique et sonore, qu’il justifie d’ailleurs par ses qualités physiques et personnelles.

FINASSINI.

N’importe, seigneur page, pourrait-on s’introduire auprès de Son Altesse ?

FLEUR D’AMOUR.

Monseigneur se promène tous les matins dans les bois, ainsi que Riquet à la Houppe ; mais on l’a fait avertir par M. Chat-Botté, son coureur ordinaire.

FINASSINI.

Comment ! M. Chat-Botté ?

FLEUR D’AMOUR.

C’est un coureur que Son Altesse s’est donné, à l’instar de celui du marquis de Carabas.

FINASSINI.

Ah ! çà, dites-moi donc, le Prince Charmant... Riquet à la Houppe... le marquis de Carabas... quels sont ces seigneurs-là ?

FLEUR D’AMOUR.

Bah !... ce sont des contes... oui, des contes de fées... tout le monde en fait ici... Je vois que vous n’êtes guère au fait pour un ambassadeur.

FINASSINI.

Moi, je ne sais jamais que ce qu’on me dit... Je n’aime pas à me mêler des affaires des autres, et je fais tranquillement mon état d’ambassadeur, sans parler jamais de politique.

FLEUR D’AMOUR, lui donnant un siège et l’invitant à s’asseoir.

Eh bien ! mettez-vous là... D’ici à ce que le prince paraisse, j’ai le temps de tout vous raconter.

FINASSINI, à part.

Diable ! je n’y pensais pas... C’est en effet très adroit à moi de le faire jaser...

Haut.

Je vous écoute. Fleur d’Amour.

Il s’assied.

FLEUR D’AMOUR.

Il y avait une fois un roi et une reine qui...

FINASSINI.

Qui... Il me semble que ça commence drôlement.

FLEUR D’AMOUR.

Ça commence par le commencement... Il y avait une fois un roi et une reine qui avaient un fils...

FINASSINI.

Un fils !...

FLEUR D’AMOUR.

Oui... un fils... C’est celui qui règne maintenant.

FINASSINI.

C’est différent.

FLEUR D’AMOUR.

Et comme le jeune prince ne voulait jamais s’endormir, et que ses gouvernantes ne savaient à quel moyen avoir recours, on fit venir une cargaison entière de journaux, de romans, de discours académiques, enfin tout ce qu’il y avait de plus fort.

FINASSINI.

Ça fit son effet ?...

FLEUR D’AMOUR.

Point du tout... le hasard fil que l’on commença par le ballot qui contenait les Contes de ma mère l’Oie.

FINASSINI.

De voire mère...

FLEUR D’AMOUR.

Les Contes de ma mère l’Oie... des contes de fées... et loin de l’endormir, ça l’amusa tellement, qu’il ne pouvait plus s’en passer... À douze ans, il les apprenait par cœur au lieu de son rudiment... et son gouverneur qui ne voulait point le contrarier, de peur de perdre sa place, ne lui a jamais fait étudier l’histoire que dans la Bibliothèque Bleue.

FINASSINI.

Ce gouverneur-là était un grand politique.

FLEUR D’AMOUR.

Mais savez-vous ce qu’il en est arrivé ?

Air du Major Palmer.

De tous ces contes frivoles
Il fait sa règle et sa loi ;
Car il croit ces fariboles
Comme paroles de foi.
Oui, tant sa folie est grande !
Il croit au nain Cadichon ;
Il croit à la fée Urgande,
À l’enchanteur Pandragon.
Parcourant dans son enfance
Le jardin de ce château,
Il croyait voir l’eau qui danse
Dès qu’il voyait un jet d’eau.
Tout l’étonne, tout l’enchante.
D’un rien sa tête se perd ;
La couleuvre qui serpente
Devient le serpentin vert.
Le cor frappe son oreille,
C’est l’annonce d’un géant ;
Une beauté qui sommeille,
C’est la Belle au bois dormant.
Même, à ma perruque rousse,
Il croit en moi voir encor
Un cousin en taille douce
De la Belle aux cheveux d’or.

FINASSINI, se levant.

C’est fort désagréable ; et vous conviendrez qu’auprès d’un souverain de ce caractère, la conduite d’un ambassadeur est très délicate... Et moi qui viens lui proposer une alliance avec la comtesse de Padoue... heureusement je compte sur mes talents diplomatiques ; et pour la faire paraître avec avantage aux yeux du prince, je lui ai conseillé de se tenir cachée, avec sa suite, aux portes de la ville.

FLEUR D’AMOUR.

C’est très bien vu.

FINASSINI.

N’est-il pas vrai ?

FLEUR D’AMOUR.

D’autant plus qu’elle n’aurait pas été reçue... Aucune femme n’entre dans ce palais... moi-même qui suis le doyen des pages, car voilà quarante ans que j’exerce de père en fils, je ne vois ici qu’en cachette ma bonne amie.

FINASSINI.

Voyez-vous le petit espiègle !... est-ce aussi une fée ?

FLEUR D’AMOUR.

Mon Dieu non !... ce n’est ni une fée, ni une enchanteresse... c’est une ancienne dame d’honneur retirée... qui est riche, et que j’aime pour le mariage...

À part, regardant le vieux chêne.

et que, dans ce moment-ci, je voudrais voir à tous les diables.

FINASSINI.

Ce petit gaillard-là voit loin ; et avec les dispositions qu’il annonce, il est malheureux qu’il ne se destine pas à la carrière diplomatique.

FLEUR D’AMOUR.

Mais enfin, voici le Prince... Rentrez... je vais vous annoncer et vous introduire.

FINASSINI.

Et moi, je vais préparer mon entrée.

Il sort.

 

 

Scène III

 

FLEUR D’AMOUR, LE PRINCE, ÉCUYERS, SUITE

 

LE PRINCE, à la cantonade.

Qu’on avertisse mon lecteur ordinaire de se tenir prêt à m’achever l’histoire de Gracieuse et Persinet... nous en sommes restés à la quinzième page... À propos de... Fleur d’Amour, est-il vrai que l’ambassadeur du prince de Padoue, mon oncle...

FLEUR D’AMOUR.

Oui, seigneur, il demande audience.

LE PRINCE.

Ah ! Fleur d’Amour, il s’agit bien d’ambassade dans ce moment-ci !... Est-ce qu’il ne pourrait pas repasser ?

FLEUR D’AMOUR.

Vous ne pouvez vous dispenser de le recevoir.

LE PRINCE.

Prenons donc place.

Il va s’asseoir.

 

 

Scène IV

 

FLEUR D’AMOUR, LE PRINCE, ÉCUYERS, SUITE, FINASSINI, précédé de DEUX PAGES et des GARDES DU PRINCE

 

Sur la ritournelle de l’air, il présente nu prince, qui est sur son trône, ses lettres de créance.

FINASSINI, après avoir salué.

Air de Jean de Paris.

C’est la princesse de Padoue
Que je vous annonce en ces lieux.

Air du vaudeville de la Belle Fermière.

Voulant qu’un heureux destin
Avec elle vous enchaîne,
Son père vous offre sa main
Que vous recevrez de la mienne.
Esprit piquant et teint frais,
Elle a mille et mille attraits ;
Pour plaire elle a tous les secrets...
Enfin, elle est charmante,
Et c’est moi qui la représente.

LE PRINCE.

Comment ! c’est un mariage qu’on me propose ?

FINASSINI.

Oui, seigneur, l’intérêt de l’État, le vôtre, exigent qu’aujourd’hui même vous épousiez votre cousine... et s’il faut vous faire valoir ici les grandes considérations politiques, songez que si, dans douze heures, pour tout délai, vous n’avez pas fait un choix, le marquisat de Saluces deviendra la possession de votre oncle.

LE PRINCE.

De mon oncle ! il ne l’aura pas.

FINASSINI.

Mais cependant...

LE PRINCE.

Je vous dis qu’il ne l’aura pas ; et faites-moi la grâce de croire que je sais ce que je dis...

Se levant.

Oui, messieurs, puisqu’il faut vous faire part de mes résolutions... qu’est-ce que c’est que d’épouser une princesse, une reine ?... C’est donc d’après de mûres réflexions, fruit de mes lectures habituelles, que j’ai résolu de contracter une autre alliance plus conforme à mes inclinations, à ma volonté, et par conséquent à votre bonheur... En un mot, j’ai résolu de ne prendre pour épouse qu’une fée.

TOUS.

Une fée !

LE PRINCE, descendant du trône, et venant sur le devant de la scène.

Et une maîtresse fée.

FINASSINI.

D’accord, seigneur... Mais vous ne songez point vous-même au revers politique de la médaille.

LE PRINCE.

J’ai songé à tout ; et si j’épouse une fée, c’est surtout par des arrangements et des considérations d’État... Car enfin, veut-on m’attaquer ? je n’ai qu’un mot à dire à ma femme... crac ! un coup de baguette, voilà des murailles d’airain qui s’élèvent de tous côtés. Faut-il des soldats ?... crac ! un régiment sort de dessous terre, tambour battant, enseignes déployées ; et les munitions qui nous arrivent du ciel, ou de la lune... Hem !... vous n’aviez pas pensé à cela... Et si je veux... qu’est-ce qui empêche les alouettes de tomber toutes rôties ? et ce sera ainsi : car je prétends que tout le monde vive, et qu’en se promenant dans les rues de ma capitale, on soit exposé à recevoir des cailles ou des perdreaux sur la tête... que les fontaines ne coulent que du vin de Champagne ou du rosolio de Bologne... que tout enfin soit comme dans le royaume de Cocagne... Qu’avez-vous à répondre ?

FINASSINI.

Air : Chacun avec moi l’avouera. (Philippe et Georgette.)

À réfuter ce projet-ci,
Mon titre auguste m’autorise ;
Si je puis m’exprimer ainsi,
Vous faites presqu’une bêtise...

LE PRINCE.

Téméraire !

FINASSINI.

Prince, excusez cette franchise.
Une fée ici régnera
Et vous-même vous vexera...
Car, avec votre esprit honnête,
Une femme comme cela
Va vous mener...

LE PRINCE.

Va me mener ?...

FINASSINI.

Va vous mener à la baguette.

LE PRINCE.

C’est un grand homme d’État... N’importe, j’espère que je me suis fait comprendre.

FINASSINI.

Plus que vous ne croyez, mon prince... je devine le machiavélisme de vos desseins, qui tendent moins à serrer les nœuds de l’hymen qu’à desserrer ceux du pacte social, en renversant l’équilibre politique de la balance des pouvoirs par la prépondérance magique d’une alliance... qui... enfin... je m’entends.

LE PRINCE.

Ah !... vous vous entendez... eh bien ! je ne sais pas si je me trompe, mais je crois vous entendre ; je me flatte de vous entendre, il est même possible que je sois le seul ici. Et je n’ai plus de ménagements à garder avec un diplomate aussi astucieux... et si l’astre du soir vous revoit encore dans mes États, dont avec un peu de bonne volonté vous pouvez être sorti avant dix minutes, je jure ici, pour me servir des expressions d’un de nos poètes, que vous et votre suite serez hachés menu comme chair à pâté.

FLEUR D’AMOUR, bas au prince.

C’est du marquis de Carabas.

LE PRINCE.

Il a raison, c’est du marquis de Carabas ; il connait ses auteurs... Mais mon observation subsiste... allez.

Finassini sort ainsi que la suite du prince.

 

 

Scène V

 

LE PRINCE, FLEUR D’AMOUR

 

LE PRINCE.

Tu as vu comme je lui ai parlé.

FLEUR D’AMOUR.

Je suis sur que ça vous fera peut-être de mauvaises affaires.

LE PRINCE, irrité.

Fleur d’Amour, mon père et moi, depuis trente ans, nous vous passons toutes vos étourderies. Je veux croire que cela tient à la fougue de votre âge ; mais si je vous fais une fois fustiger par mon grand écuyer...

Se reprenant.

Crois, ami, qu’il m’en coûte de prendre avec toi ce ton sévère, qui convient mal à mon caractère naturellement bonasse... Dis-moi un peu, est-ce que tu n’approuves pas mon projet de mariage ?

FLEUR D’AMOUR.

Vous savez bien que nous approuvons toujours... mais où trouver une fée ?

LE PRINCE.

C’est là ce qui l’embarrasse ?... eh bien ! mon cher Fleur d’Amour... et moi aussi... c’est même la seule difficulté.

FLEUR D’AMOUR.

Vous ne la trouverez jamais.

LE PRINCE.

C’est ce qui me la rendra plus précieuse... c’est la rareté de cette espèce privilégiée qui en fait en quelque sorte le mérite... Mais rassure-toi... je crois que je louche au but... Tu connais le grand étang du parc ?

FLEUR D’AMOUR.

C’est là que je vais tous les dimanches pêcher à la ligne.

LE PRINCE.

Eh bien ! je promenais sur ses bords le vague de mes rêveries mélancoliques... vois-tu ? les bras croisés, comme un homme qui pense, c’est-à-dire, je ne sais pas précisément à quoi je pensais... je ne suis même pas bien sûr si je pensais... quand tout à coup, près du vieux pavillon en ruines, j’aperçois la plus jolie petite souris grise, qu’un énorme chat noir, remarque bien la couleur, allait dévorer sans pitié.

FLEUR D’AMOUR.

Eh bien ?

LE PRINCE.

Eh bien !... tu ne le rappelles pas l’histoire de la fée Muffette que le prince Persinet délivra ainsi ? Je n’en fais ni une ni deux... je fais trois pas en arrière, comme pour avancer... À ce geste menaçant le matou s’enfuit et laisse échapper la fée.

FLEUR D’AMOUR.

La souris.

LE PRINCE.

La fée, qui, crac... rentre dans sa cachette.

FLEUR D’AMOUR.

Dans son trou... comme si elle allait s’amuser à compter des pauses !

LE PRINCE.

Oh ! c’était l’effet du premier mouvement ; parce que tu te rappelles bien... nous l’avons lu cent fois... dès qu’un chevalier a délivré une fée, l’instant d’après il voit paraître une beauté ravissante... sur un char d’escarboucle, avec une robe d’argent, qui vient vous remercier du service qu’on lui a rendu... ça ne manque jamais... Aussi je vous l’ai attendue de pied ferme et le chapeau sous le bras.

FLEUR D’AMOUR.

Comment ! est-ce qu’elle serait venue ?

LE PRINCE.

Ce qui va bien t’étonner, c’est que je n’ai rien vu paraître... tu sens bien que ça n’est pas naturel, et qu’il faut qu’il y ait quelque chose là-dessous... Si j’avais attendu... qu’en penses-tu ?

FLEUR D’AMOUR.

Je pense que si Votre Altesse fût restée plus longtemps au bord du canal, elle eût pu gagner une fluxion de poitrine.

LE PRINCE.

Tu crois ?... Eh bien ! tu vas me faire le plaisir d’y aller à ma place... tu resteras sur le bord de l’étang jusqu’à ce que tu voies paraître cette aimable fée, ou quelque chose d’approchant, et alors tu auras la complaisance de lui présenter la main et de me l’amener sur-le-champ.

FLEUR D’AMOUR.

Air : Vent brûlant d’Arabie.

Attendre de la sorte !
Je vais perdre mes pas...
Croyez-vous qu’elle sorte !

LE PRINCE.

Ne me réplique pas.
Vénus, quoique déesse,
Sortit de l’Océan...
Tu vois que ma princesse
Peut sortir d’un étang !

FLEUR D’AMOUR.

Mais, seigneur...

LE PRINCE.

Va, et ne me réplique pas.

Fleur d’Amour sort.

 

 

Scène VI

 

LE PRINCE, seul

 

Enfin, après deux ans de recherches, la voilà donc trouvée cette fée tant désirée... C’est la fée Rayonnante, j’en suis sûr... C’est singulier, aussitôt que j’ai aperçu cette délicieuse petite souris, une espèce de pressentiment m’a dit : Prince Charmant, voilà ta compagne... Fée adorable, que tu tardes à te montrer ! crains-tu de paraître aux regards d’un simple mortel ?... mais je ne suis pas un mortel comme un autre... regarde-moi avec attention... je suis Charmant ; mais il ne s’agit pas ici seulement des qualités du physique... c’est le moral qu’il faut voir ; et, sous ce rapport, je suis encore plus digne de toi... quand ce ne serait que par cette foi robuste, que je conserve à la barbe de mon siècle, pour des merveilles qui font les délices du jeune âge, et que nos philosophes modernes ne craignent pas de traiter de fariboles... Oui, adorable fée !... je suis Charmant ; mais je suis bien malheureux.

Air : Viens, gentille dame. (La Dame Blanche.)

Viens, gentille fée !
Ma flamme étouffée
Dévore mes sens...
Cède à ma prière,
Parais, et viens faire
Cesser mes tourments :
Parais, je l’attends, je t’attends !

Air : Fin de l’air de Délia et Verdikan.

Prends une forme nouvelle,
Sois brillante ou sans atours,
Ah ! tu seras toujours belle,
Tu me charmeras toujours !

Sur le dernier mot toujours, il frappe avec force dans ses mains, on lui répond dans l’arbre.

Qu’entends-je ? n’est-ce pas mon imagination effervescente qui se repaît de values chimères ?...

Il frappe deux coups ; on répond encore.

Non, mon imagination ne se repait point... la nature s’anime ; et du fond de cet arbre antique... essayons une dernière épreuve.

Il frappe trois coups, Rébecca sort vivement de l’arbre.

RÉBECCA.

Est-ce toi, tendre ami ?... Que vois-je ! ce n’est pas lui.

 

 

Scène VII

 

LE PRINCE, RÉBECCA

 

LE PRINCE, qui s’est jeté à genoux sans oser la regarder.

J’en suis sûr, c’est la fée Rayonnante !... Oui, madame, vous voyez à vos pieds l’heureux Prince Charmant, qui ose à peine lever les yeux sur tant d’attraits.

RÉBECCA, à part.

C’est le prince, grands Dieux !

Haut.

Votre Altesse est étonnée de me voir ainsi.

LE PRINCE.

Non, madame, certainement...

À part, la regardant.

C’est singulier, elle a pris une drôle de figure...

Haut.

Vous avez craint sans doute que la faible vue d’un mortel ne pût supporter l’éclat de vos vrais charmes ?

RÉBECCA.

De mes vrais charmes !...

LE PRINCE.

Qui sait d’ailleurs si vous ne voulez pas encore m’éprouver ?... Eh ! mon Dieu ! je suis encore trop heureux... vous pouviez vous présenter à moi sous une forme bien plus... un crocodile... un serpent... que sais-je ?... Mais vous avez eu la bonté de ne rien conserver de votre état de ce matin, rien que cette robe, gris de souris effrayée, qui me rappelle l’avantage que j’ai eu de faire votre connaissance, et de vous rendre ce léger service.

RÉBECCA, à part.

Si j’y comprends rien !...

Haut.

Comment, mon prince, vous ne m’en voulez pas de m’être ainsi introduite dans votre palais ?

LE PRINCE.

Vous savez bien que je vous y attendais pour vous offrir et mon cœur et ma main... Vous connaissez la loi sévère qui me force à me marier d’ici à quelques heures... et si vous me refusez pour époux, c’en est fait de mon bonheur et de ma couronne.

RÉBECCA.

Comment ! il serait possible que ce fût moi... Ah çà ! et Fleur d’Amour ?

LE PRINCE.

Je l’ai envoyé vous chercher au bord du canal... C’est un très bon tour que vous lui avez joué de paraître ainsi.

RÉBECCA, à part.

Allons, il est au fait...

Haut.

Vous savez donc qui je suis ?

LE PRINCE.

Si je le sais ?... Je vous aimais sans vous connaître, et depuis que je vous ai vue, ça n’a rien ajouté à ma passion... Je cours vous chercher ce précieux anneau qui ne doit être donné qu’à ma future épouse ; et dans l’instant, je vous fais proclamer... je vous retrouverai ici, n’est-ce pas ? vous me le promettez ?

RÉBECCA, à part.

Ma foi, je ne sais pas trop comment ça se fait ; mais cela prouvera du moins à ce volage de Fleur d’Amour...

LE PRINCE.

Quoi ! vous hésitez ?

RÉBECCA.

Non, je vous le promets... Je vous demande seulement à changer un peu...

LE PRINCE.

Oh ! mon Dieu... faites tous les changements possibles... des changements à vue... faites comme chez vous... mais je vous reverrai, n’est-il pas vrai ?... Regardez-moi...

Ils se regardent tendrement.

J’en suis pour ce que j’ai dit... vous avez choisi là une f... igure bien originale... vous ne la garderez point, n’est-ce pas ?

RÉBECCA.

Comment ?

LE PRINCE.

Après ça, ce que je vous en dis... ne croyez pas que j’en sois inquiet.

RÉBECCA, à part.

En vérité, ce prince-là est bien singulier... mais il est bien aimable.

LE PRINCE.

Air : Oui, j’ai su lui plaire.

Oui, j’ai su lui plaire,
Et j’obtiens son cœur ;
Ô destin prospère !
Je touche au bonheur.
Préparons tout en secret
Pour un si charmant objet.

LE PRINCE et RÉBECCA.

J’ai donc su lui plaire, etc.

Ils sortent.

 

 

Scène VIII

 

LA COMTESSE, FINASSINI, entr’ouvrant mystérieusement la petite porte qui se trouve dans le socle à droite de l’acteur

 

LA COMTESSE, FINASSINI.

Ensemble.

Air : De la lumière, Le Dieu prospère. (Introduction de Tancrède.)

Oui, qu’en silence
Chacun s’avance,
De la prudence.
Parlons bien bas,
De l’étrangère,
Sur cette terre,
Que le mystère
Suive les pas !

LA COMTESSE.

Vous n’avez point fermé la grille ?...

FINASSINI.

Non, comtesse.

LA COMTESSE.

C’est bien... il faut en cas d’accident se ménager une retraite... D’ailleurs, le gardien de la porte extérieure veille sur nous, et nous pouvons compter sur lui... c’est lui qui nous a découvert celle issue secrète, dont le prince lui-même n’a point connaissance.

FINASSINI.

Vous avez assez payé son secret... tant d’or à un simple portier !

LA COMTESSE.

J’ai mes projets... Paix !... j’ai cru entendre marcher.

FINASSINI.

Vous m’avouerez que, pour un ambassadeur, vous me faites faire là un pas de clerc.

LA COMTESSE.

Bah ! ce ne sera pas le premier.

FINASSINI.

Songez donc qu’on a juré de nous hacher menu comme chair à pâté.

LA COMTESSE.

Crois-tu qu’il aurait ce cœur-là ? Ah ! mon cher cousin, vous refusez non-seulement de m’épouser, mais même de me voir !

FINASSINI.

Et c’est pour cela que vous voulez affronter sa présence ?

LA COMTESSE.

Justement.

FINASSINI.

Mais j’ai eu l’honneur de répéter à Votre Altesse qu’il ne veut pour épouse qu’une maîtresse fée.

LA COMTESSE.

Qui sait si on ne le dégoûtera pas de la féerie et des fées ?

Air : Amis, voici la riante semaine (Le Carnaval.)

Certes, il en est plus d’une, je le pense,
Qui franchement, mon cher, ne me vaut pas ;
Qu’a-t-il besoin, d’ailleurs, de leur puissance,
Et qu’en ferait mon cousin ici-bas ?
Pauvre garçon, il a la meilleure âme !
D’avance, enfin... c’est très facile à voir,
Sans être fée, auprès de lui sa femme
Aura toujours bien assez de pouvoir !

FINASSINI.

Il me semble remarquer dans les jardins des préparatifs de fête.

LA COMTESSE.

Allez voir ce que ce peut être, et tâchez de savoir où est le prince.

FINASSINI.

Mais si l’on me découvre... songez que...

Il fait le signe de hacher.

comme chair à pâté.

LA COMTESSE.

Je le veux.

Finassini sort.

 

 

Scène IX

 

LA COMTESSE, seule

 

Ah ! mon cousin, il faut de la féerie pour vous plaire... J’espère cependant bien m’en passer.

Air : Musique M. A. de Beauplan.

Sans avoir recours
À la magie,
Fille jolie,
Au gré de son envie.
Saura toujours
Fixer les amours !

D’un être fantastique
Le pouvoir est moins grand
Que le coup d’œil magique
D’un minois séduisant.

Sans avoir recours, etc.

Prenant l’amour pour guide.
Parfois j’ai réussi ;
Et sans être sylphide.
Je puis charmer aussi...

Sans avoir recours, etc.

Mais on vient de ce côté... Ah ! mon Dieu, d’après le portrait qu’on m’en a fait, ne serait-ce pas le prince lui-même ?

 

 

Scène X

 

LA COMTESSE, LE PRINCE

 

LE PRINCE, sans voir la comtesse.

Enfin je tiens ce précieux anneau... et dès que je vais voir cette puissante fée...

LA COMTESSE, à part.

Mon cousin n’est pas mal.

LE PRINCE, apercevant la comtesse.

Que vois-je !... eh bien ! à la bonne heure, parlez-moi de ça... vous êtes bien mieux que tout à l’heure... il n’y a pas de comparaison... et je reconnais la fée Rayonnante.

LA COMTESSE.

Eh ! mais, comme il m’aborde !... on dirait qu’il me connaît déjà.

LE PRINCE.

Si je vous connais ! voilà absolument la figure que je désirais épouser... celle qui était l’objet de tous mes rêves... et d’honneur, dans aucun de mes livres, je n’ai rien vu d’aussi joli.

LA COMTESSE, à part.

Qu’est-ce que disait donc Finassini ? il n’est pas si extravagant.

LE PRINCE.

Air de l’Angélus.

De joie et de ravissement
Je sens que mon âme échauffée...
Fée... incomparable...

LA COMTESSE.

Un moment,
Ah ! je ne suis pas une fée...

LE PRINCE.

Ah ! je trouve en vous une fée.
Vos attraits instruisent au mieux
De votre origine secrète...
Votre pouvoir est dans vos yeux,
Bien plus que dans votre baguette.

LA COMTESSE.

Comment donc ! mais c’est une déclaration.

LE PRINCE.

Je vous déclare que c’en est une, et je la crois agréable... Oui, rien ne me fera manquer à mes serments.

LA COMTESSE.

Je crains pourtant que votre cousine, la comtesse de Padoue...

LE PRINCE.

Il s’agit bien de ma cousine, auprès d’une fée de votre calibre.

LA COMTESSE.

On dit qu’elle me vaut bien.

LE PRINCE.

C’est impossible... et d’ailleurs, j’ai refusé de la voir, et je ne la verrai pas.

Air d’Ambroise.

Quelle soudaine ardeur me brûle !
Quel feu dans mes veines circule !
C’est bien de la magie ! ô ciel !...

LA COMTESSE.

Rien n’est pourtant plus naturel.

LE PRINCE.

Reprenons un pou d’assurance.

Il reprend sa main et lui met l’anneau.

Ah ! grands dieux ! quel trouble est le mien !

LA COMTESSE, regardant l’anneau.

Enfin, il est en ma puissance !
Ah ! je le tien,
Oui, je le tien !

LE PRINCE.

Comme j’en tien !

Sur les dernières mesures du couplet, la comtesse s’échappa et rentre dans la cachette d’où elle est sortie avec Finassini.

 

 

Scène XI

 

LE PRINCE, seul

 

Oui, je jure à vos pieds... Eh bien !...

Se retournant et ne voyant plus la comtesse.

Comment ! elle a disparu ! Ma foi, voilà un tour de passe-passe !... C’est que je n’ai pas vu la moindre flamme, le plus petit nuage !

 

 

Scène XII

 

LE PRINCE, RÉBECCA, richement habillée, arrivant du côté opposé

 

LE PRINCE, se retournant et l’apercevant.

Et de deux !... Ma foi, celui-là vaut l’autre !

Riant.

Ah ! ah ! ah ! c’est charmant... Ah çà, c’est pour rire que vous avez repris votre autre... mais j’aime mieux celle de tout à l’heure.

RÉBECCA, montrant sa robe.

Prince, d’où vient votre étonnement ! Ne vous avais-je pas prévenu de ce changement ?

LE PRINCE.

Sans doute... mais c’est que c’a été fait !... crac... paraissez... disparaissez... Si ça n’était pas abuser de votre complaisance, ne pourriez-vous pas recommencer ? Tenez, je vais fermer les yeux...

RÉBECCA.

Prince, je ne conçois pas ce qui peut ainsi troubler Votre Altesse.

LE PRINCE.

Pardon... je n’insistera pas... Je sens qu’il faut vous laisser faire toutes vos volontés... Tous les grands de ma cour vont venir vous présenter leurs hommages... alors, je demanderai que pour eux... voilà tout ce que je vous demande ; pour moi, je ne suis pas inquiet.

RÉBECCA.

Comment ?

LE PRINCE.

Voyez-vous bien... celle-ci ferait un mauvais effet... alors, vous me promettez, n’est-ce pas ?

RÉBECCA.

Ah ! mon Dieu ! oui, je vous le promets.

À part.

Si je sais ce qu’il veut dire...

 

 

Scène XIII

 

LE PRINCE, RÉBECCA, FLEUR D’AMOUR

 

FLEUR D’AMOUR.

Mon prince...

RÉBECCA, à part.

C’est Fleur d’Amour,

FLEUR D’AMOUR.

Les seigneurs et les grands de votre cour demandent à être présentés à leur nouvelle souveraine.

LE PRINCE.

Je vais recevoir leurs félicitations.

FLEUR D’AMOUR, à part.

Qu’ai-je vu ? Rébecca !... Tout est découvert...

LE PRINCE, à Rébecca.

Rappelez-vous votre promesse : au moment où j’entrerai avec ma cour, le changement sera fait, n’est-ce pas ? ça vous est si facile !... Je cours recevoir les félicitations de mes sujets, et je les amène à vos pieds.

Il sort.

 

 

Scène XIV

 

RÉBECCA, FLEUR D’AMOUR

 

FLEUR D’AMOUR.

Comment ! il vous a trouvée ici, il vous a vue... et il est enchanté !... M’expliquerez-vous tout ce que cela veut dire ?

RÉBECCA.

Air du Pot de fleurs.

Cela s’explique : tant de charmes
N’ont jamais été faits pour vous ;
Chacun va me rendre les armes,
Un prince devient mon époux !

FLEUR D’AMOUR, parlant.

Lui ! vous épouser !

RÉBECCA.

Si vous voulez bien le permettre,
Dans l’instant, il va sur mon front
Mettre la couronne.

FLEUR D’AMOUR.

Il faut donc
Qu’il ne sache plus où la mettre ?
Ah ! puisqu’il la met sur son front,
Il ne sait donc plus où la mettre !

RÉBECCA.

Page impertinent !

FLEUR D’AMOUR.

Mais songez donc que voilà bientôt vingt ans que je vous fais la cour... que si je mots à vous oublier le temps que j’ai mis à vous plaire... que diable ! il n’y a pas de raison pour que ça finisse... Allons, un bon mouvement ; et s’il ne faut que se mettre à vos genoux, vous m’y voyez.

Il se jette à ses genoux.

J’y resterai toujours.

RÉBECCA.

Fleur d’Amour, levez-vous... vous me compromettez.

 

 

Scène XV

 

RÉBECCA, FLEUR D’AMOUR, LE PRINCE et sa SUITE

 

LE PRINCE.

Ô ciel ! mon page aux pieds de mon épouse !

RÉBECCA.

Ce n’est pas ma faute... je ne voulais pas l’écouter.

LE PRINCE.

Je m’en doute bien... Eh bien ! vous l’avez encore ?... vous m’aviez promis de la quitter... Ah ! j’y suis, c’est à cause de ce maraud... Vous n’avez pas voulu, devant lui... vous avez bien fait... celle-là est encore trop bonne pour lui... et, pour arrêter ses transports téméraires, vous auriez dû prendre pire encore, si c’est possible... Mais puisque rien ne l’effraie, qu’on l’entraîne et qu’on le fustige !

FLEUR D’AMOUR.

Ô ciel ! trahi et fustigé...

RÉBECCA.

Prince, je vous demande sa grâce.

LE PRINCE.

Eh bien ! à la bonne heure, mais à une condition : c’est que vous reprendrez voire autre figure... celle de ce matin était si jolie !... je donnerais tout au monde pour la revoir.

RÉBECCA.

Eh ! mon Dieu ! ce n’est pas si difficile... vous n’avez qu’à regarder.

LE PRINCE.

Ah ! c’est bon... elle va changer...

Aux gens de la cour.

Vous allez voir.

À Rébecca.

Allons, commencez... Non, nous aimons mieux ne pas regarder... nous ne regardons pas... Eh bien !

On entend, dans le lointain, une musique orientale, rire et brillante.

TOUS.

Quel est ce bruit ?...

LE PRINCE.

Ne remuez donc pas... c’est que ça commence...

Le bruit redouble.

C’est ça... voilà le coup de baguette donné... vous allez voir les dragons ailés... les palais de diamants... aie... aïe...

On aperçoit, dans le fond, descendre de la montagne une suite nombreuse de femmes qui portent des fleurs.

Voyez-vous, quand je vous le disais.

FLEUR D’AMOUR, à part.

Ah çà !... mais voilà que je commence à avoir peur... Est-ce que ma future serait réellement une sorcière ?

 

 

Scène XVI

 

RÉBECCA, FLEUR D’AMOUR, LE PRINCE et sa SUITE, LA COMTESSE DE PADOUE, sur un palanquin magnifique, richement habillée, environnée de toute sa SUITE, une baguette à la main

 

LE CHŒUR.

Air : En avant le régiment. (Marche de Marie.)

Quelle est cette princesse
Dont l’éclat éblouit les yeux ?
Oui, cette enchanteresse
Vient pour nous de quitter les cieux !

LE PRINCE, donnant la main à la comtesse qui descend de son palanquin.

C’est elle, je la reconnais !... voilà celle que j’ai juré d’aimer toujours.

Se retournant vers Rébecca.

Eh bien ! vous voilà encore ? disparaissez... on n’a plus besoin de cette figure-là.

FLEUR D’AMOUR.

Si vraiment, car c’est celle de ma femme.

LE PRINCE.

De sa femme ?...

À la comtesse.

Comment, madame aurait justement emprunté la figure de ta femme ?

LA COMTESSE.

Probablement.

LE PRINCE.

Ce pauvre Fleur d’Amour !... Soyez tranquilles tous deux... si madame a, pour quelque temps, emprunté votre figure, vous pouvez être sûrs qu’elle n’en a point fait un mauvais usage... et d’ailleurs on vous en paiera la location au-delà de sa valeur, n’est-il pas vrai ?...

À la comtesse.

Vous avez reçu mon anneau de fiançailles... et puisque vous daignez épouser un simple mortel, un homme simple... permettez que je sois le vôtre, et tous mes vœux seront comblés... Ah çà ! mais maintenant, dites-moi, êtes-vous bien la fée Rayonnante ? ou comment faut-il vous appeler ?

 

 

Scène XVII

 

RÉBECCA, FLEUR D’AMOUR, LE PRINCE et sa SUITE, LA COMTESSE DE PADOUE et sa SUITE, FINASSINI, paraissant dans le fond

 

FINASSINI.

La comtesse de Padoue... et madame n’a jamais cessé de l’être.

LE PRINCE.

Qu’entends-je ! vous seriez

LA COMTESSE.

Votre cousine.

LE PRINCE.

Ma cousine !

FINASSINI.

Air : Ces postillons sont d’une maladresse.

Moi, son plénipotentiaire,
Seul, en ces lieux, j’ai dirigé ses pas ;
Une fée est une chimère
Qu’on ne trouve plus ici-bas.
Les enchanteurs sont des folies,
Et dans mon pays, croyez-nous,
On ne voit pas plus de génies
Qu’on n’en trouve chez vous.

LE PRINCE.

C’en est fait ; le voile se déchire.

À la comtesse.

En revenant à vous, comtesse, c’est revenir au naturel, à la vérité ; et si jamais j’étais tenté de retomber dans mes anciennes erreurs, il suffirait de me rappeler les excellents discours de M. l’ambassadeur, pour m’empêcher de croire au merveilleux.

TOUS.

Air du Laboureur chinois.

Qu’elle douce destinée
Attend ce couple charmant !
Chantons ce noble hyménée
Et cet heureux changement !

LE PRINCE, au public.

Air : Oh ! vous avez des droits superbes. (Le nouveau Seigneur du village.)

Je tiens aux sorciers, j’en fais gloire,
Mais je connais de prétendus savants,
Des esprits forts, qui refusent de croire
Aux enchanteurs comme aux enchantements.
Lorsque je veux les défendre, ils insistent :
Pour mieux prouver à tous ces entêtés
Que les enchantements existent,
Tâchez, Messieurs, de paraître enchantés !

Oui, pour convaincre ces obstinés, et pour leur montrer que les enchantements existent, ce soir, messieurs, cinq minutes seulement, quand même il n’en serait rien, ayez

La honte, la bonté de paraître enchantés.

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