Le Parisien (CHAMPMESLÉ)

Comédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel Guénégaud, le 7 février 1682.

 

Personnages

 

MONSIEUR JÉRÔME, bourgeois de Paris

MADAME JÉRÔME, femme de Monsieur Jérôme

CLITANDRE, fils de Monsieur Jérôme

MONSIEUR DESMOULINS, ami de Monsieur Jérôme

GÉRASTE, fils de Monsieur Desmoulins

ELMIRE, fille de Monsieur Desmoulins

MONSIEUR GUIGNON, notaire, frère de Madame Jérôme

LISETTE, suivante d’Elmire

FRONTIN, valet de Clitandre

CRISPIN, valet de Géraste

 

La Scène est à Paris, dans une Cour commune à deux Maisons.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

CLITANDRE, FRONTIN

 

FRONTIN, à demi endormi, bâillant, se frottant les yeux, et s’allongeant.

Ha, ha, ha, le sommeil règne encor sur mes yeux.

Qui vous oblige donc d’être si matineux ?

CLITANDRE.

Peux-tu le demander ? J’aime, j’adore Elmire.

Depuis un mois pour elle à peine je soupire,

Cependant je suis d’elle absent depuis dix jours :

Ardent, pressé de voir l’Objet de mes amours,

Je reviens... Mais il dort, le Fat me désespère.

FRONTIN.

Ah, ah, prenez-vous-en à Monsieur votre père,

À la maison des Champs, dans un travail sans fin,

J’ai moins est de repos, moins dormi qu’un Lutin.

J’arrive hier, je me couche, et j’éteins ma lumière,

Croyant qu’un long sommeil dût fermer ma paupière,

Alors qu’à mon oreille une voix retentit,

Nôtre incivile main m’arrache de mon Lit.

À peine sur ces toits voit-on briller l’Aurore ?

Et vous vous étonnez de quoi je dors encore.

CLITANDRE.

Hé dans cette maison dont tu te plains ici,

Ai-je eu plus de repos ? Ai-je eu moins de souci ?

Que mon père est étrange !

FRONTIN.

Oh l’heureux mal encombre ;

Qui pourrait des Morts faire augmenter le nombre.

CLITANDRE.

Non, Frontin, son trépas ne fait point mes souhaits,

Je souhaite qu’il vive, et longtemps, Frontin, mais...

FRONTIN.

Hé c’est ce chien de mais qui me met en colère

À l’âge de vingt ans a-t-on besoin d’un père ?

Car, s’il faut s’expliquer franchement entre nous,

Je vois un grand divorce entre l’argent et vous

Le Marchand fatigué de faire des avances,

Ne prétend plus fournir à vos folles dépenses ;

De vos fréquents emprunts, l’Usurier mécontent,

Pour ne plus rien prêter, en jure tout autant.

Chacun d’eux se fondait sur le trépas d’un père ;

Mais il se hâte peu, le bon homme ; au contraire,

Son cœur avide au gain, le nourrir de procès,

Des repas meurtriers il abhorre l’excès,

Un régime de vivre allonge ses années ;

La Fortune à plaisir lui file des journées,

Il se couche assez tôt, le lève assez matin ;

Et n’a point de commerce avec le Médecin ;

J’ai beau par mes discours, pour attraper le; monde,

Dire qu’il va mourir, sa face rubiconde,

Aux yeux de tous les Gens me donne un démenti,

De nos façons d’agir chacun est averti,

Pour nous, Crédit est mort, tout nous devient contraire,

Et je ne vois qu’un deuil pour nous tirer d’affaire.

CLITANDRE.

Non, non, ses biens pour moi n’ont point assez d’appas,

Pour me faire un moment souhaiter son trépas.

Si je formais des vœux dans l’ennui qui m’accable,

Ce serait pour fléchir son cœur inexorable,

Qui prétend, m’a-t-il dit, dans peu me marier ;

Mais en vain à quelqu’autre il veut m’associer ;

Sans Elmire il n’est point pour moi de mariage

Te souvient-il du jour que sa charmante Image

Parut à mes regards pour la première fois ?

Sa beauté, la vertu, me mirent fous les lois.

Avec quelle douceur, avec quel air modeste,

Elle me fit savoir cet accident funeste,

Ce malheur en effet le plus grands des malheurs ?

Je l’avouerai ; Frontin, touché de ses douleurs,

De mon peu de pouvoir, je fis offre à ses charmes,

J’employai tous mes soins pour essuyer ses larmes,

Et pour soumettre enfin sa sévère raison,

À vouloir accepter de moi cette maison ;

Sa principale entrée est dans la grande rue,

Mais elle a dans ces lieux une secrète issue,

J’entre sans être vu chez elle, je la vois...

Non, Frontin, la rencontre est un bonheur pour moi.

Des vices dangereux je suivais trop la route,

Le Ciel me l’envoya pour m’en tirer.

FRONTIN.

J’en doute.

CLITANDRE.

Quoi ! Frontin ? croirais-tu que ses jeunes appas.

FRONTIN.

Non, je n’en dirai mot, ne la connaissant pas ;

Mais je ne suis point Homme à me prendre à la mine,

Elle ne me plaît point quand elle baragouine,

Et je n’entends non plus son bizarre jargon,

Que le haut Allemand, ou que le bas Breton.

CLITANDRE.

Ni moi non plus, Frontin, sa Suivante Lysette

M’explique ses discours, et nous sert d’Interprète ;

Je ne vois dans les mœurs que de la pureté,

Qui te fait soupçonner de son honnêteté ?

Dis-moi ? Par quelle preuve ?

FRONTIN.

Elle est Italienne,

Son partage est l’esprit, la ruse est son domaine,

Et je crois franchement, pour ne point dire pis,

Que la sincérité n’est pas de son Pays.

CLITANDRE.

Abus. La bonne foi par tout trouve un asile ;

Et dans chaque Climat elle a son domicile ;

Elmire la possède au souverain degré ;

Mais comme mon retour est par elle ignoré,

Je me fais un plaisir de la pouvoir l’apprendre ;

Quelque matin qu’il fait, je ne m’en puis défendre.

Allons.

Géraste paraît suivi de Crispin. Il ouvre la porte de la maison d’Elmire avec un Passe-partout.

FRONTIN.

Monsieur, un Homme ici porte ses pas,

Suivi de son Valet.

CLITANDRE.

Je ne le connais pas ;

FRONTIN.

N’est-ce point quelqu’ami d’Elmire ?

CLITANDRE.

Il s’en approche.

FRONTIN.

C’est un Passe-partout qu’il tire de sa poche.

CLITANDRE.

La porte s’ouvre.

FRONTIN.

Il entre.

CLITANDRE.

Ah ! Frontin, qu’ai-je vu ?

Ciel !

FRONTIN.

Ce que je craignais est trop vrai.

CLITANDRE.

Qui l’eût crû !

Si matin recevoir un Homme.

FRONTIN.

En votre absence ;

Le Drôle avec la Belle aura fait connaissance...

CLITANDRE.

J’aurais mis cette main au feu, que t’es appas...

Heurte, frappe, Frontin, jette la porte à bas.

FRONTIN.

Le bruit que causera l’ardeur qui vous transporte,

Pourra par votre père être entendu.

CLITANDRE

Qu’importe ?

Un amour en fureur peut-il rien ménager,

Quand de cette façon on ose l’outrager ?

Frappe, dis-je, obéis à ma flamme trompée.

FRONTIN.

Cet Homme à feu côté porte une longue épée ;

Vous n’avez qu’un couteau, si...

CLITANDRE.

Poltron ! ôte-toi.

FRONTIN.

Il va chercher malheur. Ciel !

 

 

Scène II

 

CLITANDRE, FRONTIN, CRISPIN

 

CRISPIN, ouvrant la Porte, après que Clitandre y a frappé.

Qui frappe ?

CLITANDRE.

C’est moi.

CRISPIN.

C’est un peu rudement frapper à cette porte.

Monsieur.

CLITANDRE.

J’ai mes raisons pour frapper de la sorte.

CRISPIN.

Quelles font ces raisons, peut-on le demander ?

CLITANDRE.

De quel air ce Maraud vient ici m’aborder !

Comment ! Coquin.

Il lui donne un soufflet.

CRISPIN.

Cet homme à la main un peu prompte.

CLITANDRE.

C’est bien à toi, faquin, que j’en dois rendre compte.

 

 

Scène III

 

CLITANDRE, GÉRASTE, CRISPIN, FRONTIN

 

GÉRASTE, à Clitandre qui veut entrer.

Que voulez-vous ?

CLITANDRE.

Entrer là-dedans.

GÉRASTE.

Et pourquoi ?

CRISPIN, à Géraste.

Gardez qu’il ne vous donne un soufflet comme à moi.

GÉRASTE.

Un soufflet ! insulter mes Gens en ma présence ?

CRISPIN.

Tâtez.

GÉRASTE, mettant l’Épée à la main.

Voici qui va punir son insolence.

 

 

Scène IV

 

GÉRASTE, CLITANDRE, ELMIRE, CRISPIN, FRONTIN

 

ELMIRE, voyant Géraste et Clitandre qui se battent.

Ohime, Lisetta ? Lisetta ?

FRONTIN.

Quel malheur !

CRISPIN, en s’enfuyant.

Au secours, au secours.

FRONTIN, s’enfuyant aussi.

Au voleur, au Voleur.

ELMIRE, à Géraste.

Fermati, Barbaro, frena, frena, lo sdegna

Che s’uccidi costui è morta, Elmira.

 

 

Scène V

 

GÉRASTE, CLITANDRE, ELMIRE, LYSETTE

 

LYSETTE, à Clitandre.

Que faites-vous, Monsieur ? Calmez cette colère,

Vous offensez Elmire, et cet homme est son Frère,

C’est Géraste.

GÉRASTE, embrassant Clitandre.

Excusez mon incivilité,

Et pardonnez de grâce à ma témérité.

CLITANDRE, embrassant Géraste.

Revenu d’une erreur dont mon âme est confuse,

C’est moi, Monsieur, c’est moi qui vous demande excuse.

ELMIRE, à Clitandre.

Discreto, Cavalier, piú degna mercede richiedeva du noi,

Petto si cortese, ah ch’in vederlo ricever, ingiurie, doue

Meritava premii. Il dolor mi traffige il seno.

CLITANDRE, à Lysette.

Madame... Que dit-elle ?

LYSETTE.

Elle dit que son cœur

Souffre de ce désordre une extrême douleur

De voir que vos bontés sur elle répandues,

Par son Frère aujourd’hui soient si mal reconnues.

CLITANDRE.

Ah ! Madame, il n’en faut accuser que mon cœur,

On ne peut trop punir sa brutale fureur ;

Méconnaître, insulter, et combattre le Frère,

D’une Darne, pour lui, si touchante et si chère !

ELMIRE, à Lysette.

Cosa dicè ?

LYSETTE.

Signora égli è un buon figlielo, è credo ch’in tuetto Parigi

Non c’é ne un meglior.

 

 

Scène VI

 

GÉRASTE, CLITANDRE, ELMIRE, LYSETTE, FRONTIN

 

FRONTIN, armé de pistolet et d’épée, un fusil à la main.

Rangez-vous, gare, gare, ôtez-vous de ma vue,

Avecque ce fusil il faut que je le tue.

CLITANDRE.

Que vient brutalement faire ici ce maraud ?

FRONTIN.

Par la mort, par la tête, il faut faire le faut... 

LYSETTE.

C’est le frère d’Elmire, arrête, arrête, infâme.

FRONTIN.

Quoi, Lysette, Monsieur est frère de Madame.

LYSETTE.

Sans doute.

FRONTIN.

Tout-de-bon ?

LYSETTE.

Chose sûre.

FRONTIN.

En ce cas

J’apaise ma colère, et met les armes bas.

CLITANDRE, à Géraste.

Excusez ce valet, dont la brutale audace

Venait réitérer...

GÉRASTE.

N’en parlons plus, de grâce.

Je suis à vous, Monsieur, et vous voyez en moi

Un Capitaine en pied du Régiment du Roi,

Député du Quartier pour faire une Recrue.

Je rencontrai Lysette en la prochaine Rue.

Je fus par son moyen introduit chez ma Sœur,

Où j’appris que touché de notre affreux malheur,

Vous aviez par vos soins, en âme généreuse,

Adouci, consolé sa vertu malheureuse.

CLITANDRE.

Ah ! de grâce épargnez...

LYSETTE.

Monsieur et ! de ces gens

Qui se sont distinguer par des soins obligeants ;

Mais dont la modestie, à vrai dire, se fâche,

Lorsque l’on met au jour ce qu’ils veulent qu’on cache,

Je le connais, Hélas ! qu’aurions-nous fait sans lui ?

Vous pouvez l’éprouver pour vous-même aujourd’hui,

Vous demandiez au Ciel quelque Dieu tutélaire,

Vos vœux font exaucez, Monsieur est votre affaire.

GÉRASTE.

Comment ? le pourrai-t-il qu’il eût besoin de moi.

CLITANDRE.

Elle ne sait, Monsieur ce qu’elle dit ;

À Lysette.

Tais-toi.

LYSETTE, à Géraste.

Mon Dieu, que de façons : je le connais, vous dis-je,

Éprouvés son conseil sur ce qui vous afflige.

À Clitandre.

En peu de mots, Monsieur, voici son embarras,

Il doit de pied-en-cap habiller les soldats.

Il attend pour cela de l’argent dans quinzaine :

Il le trouve aujourd’hui qu’un certain Capitaine,

Ayant fait faire ici, parla gloire animé,

Des habits pour les siens, vient d’être réformé.

N’en ayant plus besoin, il cherche à les revendre ;

En y perdant moitié, le Fripier les veut prendre ;

Monsieur, un peu moins Juif, les a pris pour un quart ;

C’est donner, mais il faut dans deux jours au plus tard.

Délivrer ces argent au défunt Capitaine ;

Il n’a point cet argent, voilà toute sa peine.

CLITANDRE, à Géraste.

Qu’à cela de fâcheux pour m’en faire un secret ?

Vous servir est ma joie, et j’aurais du regret

Si quelqu’autre que moi vous rendait cet office.

GÉRASTE.

Monsieur...

CLITANDRE.

Montons là-haut.

GÉRASTE.

Quoi ? sans que je rougisse,

Puis-je accepter, après vos bontés pour ma Sœur ?

CLITANDRE, à Frontin, après qu’ils sont entrés.

Montés là-haut, vous dis-je. Entrons, Frontin.

FRONTIN.

Monsieur ?

CLITANDRE.

Tu le vois. J’ai besoin, mon cher, de cent Pistoles,

Il faut me les trouver.

FRONTIN.

Comment ?

CLITANDRE.

Point de paroles,

Cherche, imagine, invente, et chez Elmire, enfin,

Ne reviens me trouver que l’argent à la main.

 

 

Scène VII

 

FRONTIN, seul

 

Quel ordre ! hé le moyen d’en trouver ? comment faire ?

Car enfin, le Marchand, l’Usurier, le Notaire,

Ne veulent plus donner d’argent sans Caution ;

Si je pouvais duper par quelque invention.

L’avare dureté du bonhomme de Père,

Ah quels plaisirs ! Cela n’est pas facile à faire ;

Cependant mon esprit, c’est ce qu’il faut trouver.

Cherchons. Mais les voici, sortons pour y rêver.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME

 

JÉRÔME.

Oui, vous dis-je, ma femme, elle sera vendue.

MADAME JÉRÔME.

Mais, mon cœur.

JÉRÔME.

Mais, mamour, la chose est résolue.

MADAME JÉRÔME.

Une maison qui vaut vingt mille francs au moins,

Où feu mon pauvre père a donné tous ses soins,

On ne peut, sans y perdre, aisément s’en défaire.

JÉRÔME.

J’ai pour la vendre en main certain Homme d’affaire,

Mon plus proche voisin, qui depuis quatre mois,

À ce que l’on m’a dit, la guette en tapinois.

Il a fait depuis peu planter une avenue

D’Arbres à quatre rangs, longue à perte de vue

Qui par moi l’autre jour au compas mesurés,

Anticipent deux pieds trois pouces sur mes Prés,

Matière de procès. J’ai donc en homme habile :

Fait assigner mon homme à la Chambre Civile,

Je vais le chicaner tant qu’il l’achètera,

Pour finir nos débats, tout ce qu’il me plaira.

D’une maison des Champs nous n’avons plus affaire,

Puisque dans quelques jours l’Hymen doit nous défaire

De notre fils aîné. Pour cela j’ai fait choix

De la fille à Monsieur des Moulins, bon bourgeois,

Au trafic étranger, instruit dès son jeune âge.

Il arrive demain d’un assez long voyage :

L’Hymen fait, pour l’instruire, et lui servir d’appui,

Il emmena Clitandre aux Indes avec lui.

MADAME JÉRÔME.

Aux Indes ! sainte Dame, en voici bien d’un autre.

Aux Indes ! Mon mari, quelle erreur est la votre ?

Je n’y consentirai jamais.

JÉRÔME.

Il faudra bien.

Que vous y consentiez.

MADAME JÉRÔME.

Moi, je n’en ferai rien.

JÉRÔME.

Vous y consentirez, vous dis-je. Qu’est-ce à dire ?

Le Contrat est passé, je ne m’en puis dédire,

Outre qu’il m’est ami depuis quinze ans et plus

Nous avons un dédit de quatre mille écus.

MADAME JÉRÔME.

Quand vous en auriez un de vingt, il ne m’importe.

Mon fils, qui me si cher, l’enlever de la sorte,

Pour l’envoyer mourir chez les Topinambours ?

Avant que cela soit, on tranchera mes jours.

JÉRÔME.

Nous verrons, bien changer cette fermeté d’âme.

MADAME JÉRÔME.

Point.

JÉRÔME.

Si.

MADAME JÉRÔME.

Non-fait.

JÉRÔME.

Si-fait.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME, FRONTIN

 

FRONTIN.

Ah ! Monsieur, ah Madame !

Il est à vôtre fils arrivé du malheur.

JÉRÔME.

Comment ?

MADAME JÉRÔME.

Qu’est-ce ?

FRONTIN.

Hier au soir une grande rumeur

Se fit tout en un coup entendre dans la rue,

On criait au voleur, au secours, à moi, tue

Lors votre fils et moi nous ouvrons nos châssis,

D’abord il reconnut la voix de ses amis ;

Aussitôt il descend malgré ma résistance.

Il trouve que c’était des gens de connaissance,

Jeunes fous, emportez par les vapeurs du vin,

Qui sortant d’un repas de la Pomme-de-Pin,

Insultaient au mépris des libertés publiques ;

Femmes, Filles, Garçons, jusques dans les Boutiques,

Lorsque le Guet parut, pour calmer leurs transports ;

(Gens qui ne craignent rien, quand ils sont les plus forts)

À leur aspect, on vit mes Badauds disparaître

Hors un qu’ils entraînaient en prison, quand mon maître,

Pour sauver cet ami, met l’épée à la main,

Comme un jeune Lion, il frappe, écarte enfin ;

Il l’ôte de leurs mains avec beaucoup d’audace.

Mais malheureusement, il est pris à sa place

JÉRÔME,

Mon fils est en prison ?

FRONTIN.

Non, mais on l’y menait ;

Ou pour en mieux parler, Madame, on l’y traînait,

Lorsque je reconnus le Chef de la Brigade,

Aussitôt avec lui je cours à l’embrassade,

Pour votre fils tout bas, j’implore sa faveur :

Lui faisant concevoir pour lui toucher le cœur,

Qu’on la reconnaîtrait avec quelques Pistoles.

Son âme s’attendrit à ces douces paroles.

Il nous mène chez lui pour mieux temporiser,

Là, surtout le désordre il fallut composer,

Après avoir ouï leurs raisons, eux les nôtres,

Nous demeurons d’accord pour les uns et les autres,

Que tout s’assoupira moyennant cent Louis ;

Et je viens, de la part de Monsieur votre fils,

Qui vous prie humblement dans sa triste misère

D’envoyer cet argent pour le tirer d’affaire.

JÉRÔME.

Cent Louis ! où veut-il que je les prenne ? moi !

Il veut me ruiner le Coquin, je le vois.

FRONTIN.

Voulez-vous qu’on le mène à vos yeux au Supplice,

Vous savez les rigueurs de l’exacte Police ;

Si ce bruit est en Ville une fois répandu,

Rien ne le sauvera, c’est un Garçon pendu.

MADAME JÉRÔME.

Pendu ! mon fils pendu ? quel affront pour sa mère ?

Jour de Dieu, mon mari, faites ce qu’il faut faire,

N’épargnez point l’argent pour sauver notre honneur.

JÉRÔME.

Oui, sur ce qu’il demande, on voit votre chaleur,

Et quand je vous propose un parti d’importance,

Vous ne me faites voir aucune complaisance ;

Hé bien, je vous déclare ici qu’il périra,

Si vous ne consentez à ce qu’il me plaira.

MADAME JÉRÔME.

Est-il temps, en raisons, d’embarrasser votre âme ?

FRONTIN.

Non. C’est de la moutarde après dîner. Madame

A raison.

MADAME JÉRÔME.

Je consens à tout, suivez ses pas.

JÉRÔME.

Cent Louis ! mais pourquoi ne l’empêchais-tu pas.

FRONTIN.

L’ai-je pu ? prévoyant cette sin douloureuse ;

Dans mes bras j’arrêtais sa fougue impétueuse,

En me jetant par terre, il s’en est arraché.

Tâtez, j’en ai le coude encor tout écorché.

JÉRÔME.

Allons.

FRONTIN.

Mais une chose à mon tour m’embarrasse.

Lorsque de vôtre fils je marchandais la grâce,

Je le faisais passer pour un simple écolier,

Avecque cent Louis il est franc du collier.

Mais si de votre bien, ils ont un témoignage,

Peut-être qu’ils voudront en avoir davantage,

Et si vous vous montrez vous pourrez tout gâter.

MADAME JÉRÔME.

Il est vrai. N’allez pas, mon fils, vous présenter,

Donnez-lui cent Louis, qu’il y coure sans cesse.

JÉRÔME.

Cent Louis ? c’est beaucoup. Frontin, par ton adresse,

Ne m’en pourrait-on point diminuer deux tiers ?

FRONTIN.

On n’en rabattrait pas seulement deux deniers

Comment ? un des Archers a deux grandes blessures.

L’un montrait un œil noir, l’autre des meurtrissures ;

L’autre avec de grands cris pleurait un bras rompu,

Un autre clabaudait pour un chapeau perdu :

On a vu mille fois des Maisons fortunées,

Pour de moindres malheurs tristement ruinées

Cent Louis vous en quittent, entre-nous c’est donner.

JÉRÔME.

Allons. À tes raisons, il faut s’abandonner

Viens les quérir. Ô Ciel !que l’enfant coûte au père,

Et que l’on nous vend chérie plaisir de le faire !

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

CLITANDRE, FRONTIN

 

CLITANDRE.

Qui, moi ! j’approuverais cet Hymen odieux ?

J’irais passer mes jours en de sauvages lieux ?

Et ma mère y consent ? Elle a pu le permettre ?

FRONTIN.

Pour avoir de l’argent, il l’a fallu promettre !

Mais n’appréhendez rien, cet Hymen se rompra

Vous dis-je, où tout au moins il se différera :

L’ingénieux Crispin, et l’adroite Lysette,

Vont porter au bonhomme une botte secrète

De mon invention difficile à parer ;

Ils se sont déguisez, allez, j’ose assurer

Qu’il n’en pourra d’abord démêler la fusée.

Puisque je l’entreprends, croyez la chose aisée

Présent je serai prêt à parler au besoin.

Sur tout, je vais, Monsieur, appliquer tout mon soin

À gagner du crédit sur l’esprit du bonhomme.

CLITANDRE.

Mais il le faut, duper pour une bonne somme.

J’en ai besoin, Géraste ici par son retour,

Et dans tout ce qu’il dit alarme mon amour.

Sa bouche, en me parlant, adroitement publie.

Qu’il prétend remmener sa sœur en Italie,

S’il ne la laisse ici dans les mains d’un époux :

Il est Italien, c’est-à-dire jaloux.

J’ai promis dans huit jours d’en faire mon épouse,

Sinon il doit partir, dit-il, dans dix ou douze ;

Sans argent, je ne puis, Frontin, remplir mon fort,

Et s’il faut qu’avec elle il parte, je suis mort.

FRONTIN.

Nous en aurons, allez ; j’ai plus d’une ressource

Pour tromper le bonhomme, et pour vider sa bourse.

Mais quelque mal au moins que je dise de vous,

N’allez point dire non, ni vous mettre est courroux ;

Au contraire, appuyez auprès de votre Père...

Mais il vient. Écoutez-le, et puis laissez-moi faire.

 

 

Scène II

 

JÉRÔME, CLITANDRE, FRONTIN

 

JÉRÔME.

Que l’on m’apporte un siège ici, Frontin ; sortez.

Envisagez moi bien, mon fils, et m’écoutez.

Après votre action, si je n’étais bon père,

Songez quelle serait, contre vous ma colère,

Examinez l’abîme où vous nous aviez mis,

Votre sottise enfin me coûte cent Louis.

Cent Louis ; c’est un prix que la jeunesse ignore.

Ma bourse en a gémi, mon cœur en saigne encore.

Cent Louis ! cette corde est fâcheuse à toucher.

Cent Louis ! Ce n’est pas pour vous les reprocher,

Je n’ai point pour un fils un âme mercenaire ;

Mais sur cette action, plus je vous considère,

Plus cent pressentiments me donnent du souci.

En voulez-vous savoir la raison ? la voici.

Écoutez ; un malheur ne vient jamais sans l’autre,

De crainte qu’un second n’accompagne le votre,

Abandonnez la France, aussi bien ce Pays

N’est plus pour s’enrichir, ce qu’il était jadis ;

Des procès, épineux, la chicane est bannie,

La foi dans le commerce est par tout rétablie,

La guerre est déclarée aux pâles Usuriers.

La Finance n’est plus en pillage aux Fermiers,

Le sort d’intelligence avec ses économes,

N’y fait plus qu’à pas lents la fortune des hommes,

Et comme au seul mérite il attache son choix

Dans tout un siècle à peine en élève-t-il trois.

Chez un peuple plus brute, où la simple ignorance,

Au milieu des trésors, languit dans l’indigence,

Allez, mon fils, allez par des soins diligents,

Profitant de l’erreur, où sont ces bonnes gens,

Vous ouvrir un chemin, aux fortunes heureuses,

Remporter de chez eux des Perles précieuse ?

Des Diamants de prix, des Rubis de valeur,

Et de l’or, des mortels le vrai chasse-douleur.

Ce Monsieur des Moulins, dont vous ferez le Gendre,

Vous instruira de tout, et vous fera comprendre,

Les commerces secrets... Mais qui vient nous troubler ?

 

 

Scène III

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME, CLITANDRE

 

MADAME JÉRÔME.

Un Carrosse doré demande à vous parler.

JÉRÔME.

Un Carrosse ?

MADAME JÉRÔME.

Oui, mon fils.

JÉRÔME.

Expliquez-vous, ma femme,

Est-ce mâle ou femelle ?

MADAME JÉRÔME.

Oh non, c’est une Dame ;

De Laquais entourée, et qui vient pour savoir

Si vous êtes ici.

JÉRÔME.

Qui serait-ce ? Il faut voir.

Vous, mon fils, pour répondre à ce que je désire,

Montez là-haut, entrez dans ma chambre, allez lire

Les voyages du docte et prudent Tavernier ;

Et ceux aussi du sage et bon homme Bernier :

Vous apprendrez dans peu, parcourant ces Volumes,

De chaque Nation les diverses coutumes ;

Leur commerce, leurs mœurs, et vous vous formerez

Sur les doctes Leçons que vous y trouverez.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME

 

JÉRÔME.

Quelle est donc cette Dame ?

MADAME JÉRÔME.

Elle est se dit Comtesse.

JÉRÔME.

Je devine à peu près le désir qui la presse ;

Cette Dame, m’amour, peut-être vient céans

Conclure le marché de ma maison des champs.

 

 

Scène V

 

LYSETTE, MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME, CRISPIN

 

LYSETTE, vêtue en Dame de qualité.

Mon Écuyer, un siège, et vite, le temps presse.

J’ai depuis quelques jours des marques de grossesse.

Pour conserver ce fruit digne de mes amours,

De cent précautions j’emprunte le secours.

Ne fût-ce qu’à trois pas, je ne fors point qu’en chaise,

Et je me tiens debout rarement.

JÉRÔME.

À votre aise,

Madame.

LYSETTE.

Savez-vous ce qui m’amène ici ?

JÉRÔME.

Non, mais quand vous voudrez j’en puis être éclairci.

LYSETTE.

C’est votre fils.

JÉRÔME.

Mon fils ! qu’aurait-il fait, Madame ?

LYSETTE.

Il a pris par la vue une certaine Dame,

Qui méprisant pour lui les premiers de la Cour ?

Se trouve éperdument sensible à son amour.

Elle n’a pu tenir contre sa bonne mine,

Elle est folle de lui.

JÉRÔME.

C’est quelque Gourgandine ;

Sans doute.

LYSETTE.

Non, rien moins, elle est de qualités

Et pour vous faire voir sa grande honnêteté,

C’est que malgré l’amour qui possédé son âme,

Elle n’a point souffert ses feux qu’étant la femme,

Ils se sont mariés tous deux.

JÉRÔME.

Que dites-vous ?

Comment ?

LYSETTE.

Quelle est sa femme, et qu’il est son époux ?

MADAME JÉRÔME.

Mon fils s’est marié sans notre aveu, ma mie.

JÉRÔME.

Quelque femme sans bien, ou de mauvaise vie.

A surpris le Pendard, et corrompu sa foi.

LYSETTE.

N’en pensez point de mal, cette femme, c’est moi.

MADAME JÉRÔME.

Vous ?

LYSETTE.

Moi.

JÉRÔME.

Vous ?

LYSETTE.

Moi. Comment ? il semble à vous voir faire,

Qu’une Bru comme moi ne vous satisfait guère.

MADAME JÉRÔME.

Cet Hymen clandestin ne me dit rien de bon ;

J’ai toujours sagement élevé mon garçon,

Et s’il est débauché, c’est vous...

LYSETTE, à Jérôme.

Faites-la taire,

Ou faites qu’elle parle autrement, mon beau-père.

JÉRÔME.

Votre Beau-père ? moi ! ce nom ne m’est point dû.

Si jamais je le suis, je veux être pendu ;

Et je m’inscris en faux contre ce nom infâme ;

Allez, ce n’est point là l’action d’une Dame,

Abuser méchamment de la fragilité

D’un enfant, qui n’est pas encore en puberté,

Le prendre en mariage au décès de son père,

C’est un Rapt qui mérite un supplice exemplaire.

LYSETTE.

Quoi ! votre bouche aussi s’accorde avec sa voix ;

Et que trouvez-vous donc qui vous blesse en ce choix ?

On retire son fils des bras de la roture,

On parfume sa race, et Monsieur en murmure.

JÉRÔME.

Allez. Tous vos discours n’ont pour moi point de poids.

Non, vous ne valez rien. Et...

CRISPIN, vêtu en Écuyer.

Doucement, Bourgeois

Doucement. Recevez l’honneur qu’on vous veut faire,

Avec plus de respect, avec moins de colère ;

Autrement...

LYSETTE.

Est-ce ainsi qu’on répond à mes vœux,

Femme aveugle, indigne homme. Allez vilains crasseux,

Allez, je ferai voir, plaidant sur ce Chapitre,

Que je suis votre Bru comme il faut, à bon titre.

JÉRÔME.

Allez, Vilaine, avant que de l’être jamais,

Je verrai consumer tout mon bien en procès.

MADAME JÉRÔME.

Allez, infâme, avant qu’un Juge l’autorise,

Nous mangerons plutôt jusqu’à notre chemise.

CRISPIN.

Ma foi, si jusques-là, bonnes gens, vous plaidez,

Nous vous verrons manger... Suffit, vous m’entendez.

LYSETTE.

Mon Écuyer, allons chez mon Homme d’affaire

Consulter avec lui ce que nous devons faire.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME

 

MADAME JÉRÔME.

Ah, mon fils, que le siècle est rempli de méchants ?

JÉRÔME.

Que l’on est malheureux quand on a des enfants

Le bourreau ! s’allier d’une infâme vipère !

Non, ce n’est point mon fils, je ne suis point son père,

C’est un monstre engendré d’un démon en courroux.

MADAME JÉRÔME.

Oh pour lui, quel qu’il soit, mon fils, il est de vous,

En conscience.

JÉRÔME.

Allez, qu’on l’appelle.

MADAME JÉRÔME.

Clitandre.

JÉRÔME.

Qu’il vienne donc.

MADAME JÉRÔME.

Il vient, et je l’entends descendre ;

Le voilà.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME, CLITANDRE, FRONTIN

 

JÉRÔME.

Qu’as-tu fait, source de mes malheurs ?

CLITANDRE.

Mon père, avec plaisir j’ai lu ces Voyageurs ;

J’ai vu tout le Chapitre où l’on pêche les Perles

Et j’en étais à l’Île où l’on trouve les Merles.

JÉRÔME.

C’est de ton mariage, et non pas de cela,

Dont il s’agit, Coquin. Quelle vie est-cela ?

S’emmouracher, Pendard, d’une gueuse ! lui plaire ?

L’épouser : qu’as-tu fait ? Réponds, bourreau ?

CLITANDRE.

Mon père,

MADAME JÉRÔME.

Parmi nous quelle exemple a pu vous enseigner ?

Comme vous avez fait, méchant, à forligner ?

Mort de ma vie, infâme, est-ce de votre père.

Est-ce de moi que vous l’avez appris.

CLITANDRE.

Ma mère.

JÉRÔME.

Réponds, bourreau, réponds, sans faire l’interdit,

Quelles raisons as-tu ?

FRONTIN à Clitandre.

Je vous l’avais bien dit ;

Que cela déplairait à Monsieur votre père,

Et que vous fâcheriez Madame votre mère.

JÉRÔME, à Frontin.

Sais-tu son mariage ? as-tu su le pourquoi ?

En sais-tu tout ?

FRONTIN.

Vraiment qui le sait mieux que moi ?

JÉRÔME.

Pourquoi ne le pas rendre à nos yeux manifeste ?

FRONTIN.

C’était bien mon dessein, je le voulais, mais zeste ;

Dès lors que j’en parlais, Monsieur, prenant son ton.

Me venait menacer aussitôt du bâton ;

Disant qu’il me ferait sous ses coups rendre l’âme.

La peur d’être assommé-fermoir ma bouche.

JÉRÔME, à Clitandre.

Infâme ?

À Frontin.

Mais où l’a-t-il connue ? où l’a-t-il pu voir ? dis.

FRONTIN.

Un Dimanche où mon Maître avoir ses beaux habits.

Il marchait dans Paris pour se faire paraître :

Madame la Comtesse était à la fenêtre,

Pompeusement vêtue, et mise galamment.

Mon Maître la charma par son ajustement,

Tout comme par le sien elle charma mon Maître.

Ils s’admiraient ainsi tous deux sans se connaître

Lorsque soit par hasard ou par malin vouloir,

La Dame de sa main laissa choir son mouchoir

Mon Maître à l’instant court, le relevé lui-même.

S’empresse, et le reporte avec un soin extrême,

La Belle le loua de sa civilité,

Mon Maître répondit à son honnêteté ;

Charmé de sa beauté, rempli de son mérite,

Il eût permission de lui rendre visite ;

Elle, souple à ses vœux, lui par elle séduit,

Ils se virent le jour, ils se virent la nuit.

Comme certaines gens, cherchant ou plaies ou bosse,

Ils se sont vus, revus, tant qu’on dit qu’elle est grosse.

MADAME JÉRÔME.

Grosse ! et comment mon fils a-t-il fait cela ? quoi

Faire ces choses-là ? tiens-tu cela de moi ?

Méchant, luxurieux, tu périras, infâme.

JÉRÔME, à Frontin.

Mais quand ils se sont vus, est-ce comme homme et femme ?

FRONTIN.

Oui, par une Promesse écrite de son sang.

JÉRÔME, à Clitandre.

Coquin ?

À Frontin.

C’est quelque Gueuse indigne de son rang.

FRONTIN.

Oh non, si l’on l’en croit, elle a de la noblesse ;

Car outre qu’elle prend le titre de Comtesse,

Il vient à tout moment visite à son logis,

De Ducs, de Maréchaux, de Comtes, de Marquis,

De Chevaliers, d’Abbés, tous de son parentage,

Dit-elle. Le Laquais, fait à son badinage,

De crainte de troubler mon Maître en les amours,

Leur dit qu’elle est sortie, ils s’en revont toujours,

Et laissent seulement pour se faire connaître,

Leurs noms sur du papier qu’on lit devant mon Maître,

JÉRÔME.

C’est pour mieux le duper ; mais a-t-elle du bien ?

FRONTIN.

Oh pour dire le vrai, Monsieur elle n’a rien.

JÉRÔME, à Clitandre.

Bourreau ! Quels déshonneurs tu nous fais ! quel outrage !

Va, va, je saurai bien rompre ce mariage

Et t’en punir, méchant.

FRONTIN.

J’en sais bien les moyens.

JÉRÔME.

Comment ?

FRONTIN.

Je vous l’ai dit, comme elle a peu de biens.

Je crois, dût contre moi mon Maître être en colère,

Que quelque peu d’argent vous tirerait d’affaire,

En lui donnant comptant.

JÉRÔME.

Moi, je n’en ferai rien ;

Qu’est-ce à dure ? j’irais lui donner de mon bien,

Parce qu’elle m’a fait enrager ? Quel service ?

FRONTIN.

Mais elle produira sa Promesse en Justice :

Et si sur sa grossesse on lui faisait raison,

Elle ferait coffrer votre fils en prison.

Rien n’est si dangereux qu’une femme animée

Pour vous en garantir envoyez-le à l’armée

Quelque temps.

JÉRÔME, à Clitandre.

C’est bien dit, vas-y tout de ce pas.

À Frontin.

Si tu veux m’obliger, Frontin, tu l’y suivras,

Ton salaire au retour est sûr ; on bat la Caisse,

Pour lever des Soldats sur le Pont neuf sans cesse.

Allez, marchez, courez vous enrôler tous deux.

FRONTIN.

Quoi ! Monsieur, il ira s’enrôler comme un gueux ?

Lui soldat ?

JÉRÔME.

Pour venger sa famille outragée,

Il faut qu’il mange un peu de la vache enragée.

FRONTIN.

Mais...

JÉRÔME.

Monsieur des Moulins doit arriver ce soir,

De l’Hymen de mon fils il fait tout son espoir,

Nous avons un dédit par Contrat, comment faire ?

Comment... Je vais prier mon frère le Notaire,

De chercher un moyen faisable en son esprit,

Pour rompre avec honneur sans payer le dédit.

 

 

Scène VIII

 

MADAME JÉRÔME, CLITANDRE, FRONTIN

 

MADAME JÉRÔME.

En quel gouffre de maux plongez-vous votre père ?

Votre vergogne, ingrat, déshonore...

CLITANDRE.

Ma mère,

Cessez de vous fâcher, et pour me rendre heureux,

Depuis longtemps la guerre, ayant fait tous mes vœux,

Faites qu’à mes désirs mon père soit sensible,

Je sens pour le commerce un mépris invincible ;

Mais ne m’en blâmez point, c’est la fierté d’un sang

Que j’ai puisés ma mère en votre illustre flanc.

MADAME JÉRÔME.

Quelle envie est-ce là ? c’est aimer la misère ;

Que de vouloir aller à la guerre.

FRONTIN.

Au contraire,

Aujourd’hui la fortune avare au genre humain.

Pour faire des heureux, n’offre que ce chemin,

D’abord il faut qu’il soit tout au moins Capitaine ;

Sans cela...

MADAME JÉRÔME.

Capitaine ! est-ce pas une graine

De gens qui portent tous des habits chamarrés,

Et dessus le poitrail certains colliers dorés.

FRONTIN.

Justement, ce sont eux. Que vous ferez ravie,

Quand Monsieur votre fils avec sa Compagnie,

Une pique à la main, passant devant chez vous ;

Viendra courtoisement pour vous saluer tous.

Vous le verrez avec une mine héroïque,

Devant vous faire et ziste et zeste avec sa pique,

Les tambours entonner un pata-pata-pon,

Et les soldats, ta, ta, de leurs Mousquets.

MADAME JÉRÔME.

Non, non,

Que l’on ne fasse point tintamarrer leurs armes ;

Outre que le quartier en serait en alarmes,

Cela pourrait casser nos vitres.

FRONTIN.

Point du tout,

Les soldats prendront soin d’en abaisser le bout.

Mais, Madame, admirez son bonheur, je vous prie,

Avecque de l’argent dans notre Infanterie ;

Il sera Colonel. Poursuivant son destin,

Le voilà Brigadier en moins d’un tour de main ;

Un peu de temps après courant de bande en bande,

En Maréchal de Camp, je le vois qui commande.

Qu’est-ce encore ? quel bonheur au sien peut être égal ?

Que vois-je ! le voilà Lieutenant Général.

La fortune répand, pour comble d’abondance,

Sur son dos, un Bâton de Maréchal de France.

Il se jette aux genoux de Clitandre,

Que de biens ! que d’honneurs ! au rang où je vous vois,

N’allez pas m’oublier, Monsieur, songez à moi.

MADAME JÉRÔME.

Faites votre devoir, mon fils, mort de ma vie,

Récompensez vos gens, c’est moi qui vous en prie.

FRONTIN.

Il le fera, Madame, admirez son bonheur ;

Et comme un peu de temps le rendra grand Seigneur,

Car de ce que je dis la preuve est manifeste,

Il a fait son devoir, allons, faites le reste.

MADAME JÉRÔME.

Comment donc ?

FRONTIN.

Il lui faut acheter un emploi

De Capitaine, et faire un effort...

MADAME JÉRÔME.

Moi ?

FRONTIN.

Vous.

MADAME JÉRÔME.

Moi ?

Jamais sur ce point-là je ne vaincrai son père.

FRONTIN.

Hé bien à son défaut, vous êtes bonne mère ;

Et je ne vous crois pas sans quelque argent caché.

MADAME JÉRÔME.

J’en amasse où ma main n’a point encore touché,

Mais c’est pour le trousseau de sa sœur.

FRONTIN.

Hé, Madame ;

Cessez sur ce projet d’embarrasser votre âme ;

Mon Maître qui fera notre fortune à tous,

Lui trouvera sans peine un Seigneur pour époux.

MADAME JÉRÔME.

Se peut-il... Mais je vois mon frère le Notaire.

FRONTIN.

Il vient mal à propos. Le sot homme.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR GUIGNON, MADAME JÉRÔME, CLITANDRE, FRONTIN

 

MADAME JÉRÔME.

Ah ! mon frère,

Bonjour.

GUIGNON.

À tous présents et à venir, salut.

Soyez le bien trouvé, mon neveu.

FRONTIN à part.

Beau début.

GUIGNON.

Suivant l’engagement du frère, votre père,

Par un Contrat passé par devant moi, Notaire,

Garde-notte du Roi ; vous saurez qu’aujourd’hui,

Pour l’accomplissement des clauses d’icelui,

Le beau-père futur, dont vous ferez le gendre,

Vient d’arriver.

MADAME JÉRÔME.

Il n’a qu’à s’aller faire pendre.

Mon fils est destiné pour un plus grand honneur ;

Apprenez que bientôt il sera grand Seigneur.

Il fait à vos Contrats pour tout jamais la nique,

Vous le verrez et ziste et zeste avec sa pique,

Pata-pon, ta, ta, ta, Brigadier, Maréchal,

Un beau collier doré, Colonel, Corporal ;

Bref il fera, mon frère, un petit Dieu sur terre.

GUIGNON.

Et qui donc produira tant de grandeur ?

FRONTIN.

La guerre.

Doutez-vous qu’à présent c’est un chemin à tous ?

Pour parvenir, que c’est l’unique, en doutez-vous ?

GUIGNON.

Non, mais nos ennemis sur lui prenant visée,

D’une baie de plomb par eux autorisée,

Par opposition peuvent le traverser.

CLITANDRE.

Hé bien, on en est quitte en se faisant penser.

GUIGNON.

Si vous mourez du coup ?

CLITANDRE.

Un Tombeau magnifique ;

Rendra conte aux passants de mon sort héroïque

MADAME JÉRÔME.

Fi, fi, je ne veux point d’honneur à ce prix-là,

N’y pensons plus.

FRONTIN.

Comment ? quoi, vous croyez cela,

Pauvre femme, il n’en parle ainsi que par envie.

Je vais pour conserver votre fils et sa vie ;

Chercher tout de ce pas certain homme discret,

Qui de charmer les coups a trouvé le secret ;

Son art pour quelque argents nous tirera de peine.

Et vous pour faire aussi votre fils Capitaine j

Allez nous préparer votre trésor caché.

Nous tâcherons pour l’un et pour l’autre marché,

D’en faire assez. Allez, quoi que le monde en cause,

Il sera grand Seigneur, j’en répons, bouche close.

Nous allons revenir. Mon Maître, suivez-moi.

Ils s’en vont.

GUIGNON.

Cet Hymen est rompu donc, à ce que je vois.

Je voudrais voir mon frère, et lui faire comprendre

Que le Dédit...

MADAME JÉRÔME.

Hé bien, allez là haut l’attendre.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

GUIGNON

 

Puisqu’il ne revient point, je retourne chez moi.

Ma fille à son retour vous lui... Mais je le vois.

 

 

Scène II

 

GUIGNON, JÉRÔME

 

GUIGNON.

Salut, je vous attends.

JÉRÔME.

Je sors de votre étude ;

Pour vous dire...

GUIGNON.

Je sais jà votre inquiétude ;

Ma sœur m’en a fait part, je viens vous dise aussi

Que Monsieur des Moulins est de retour ici.

JÉRÔME.

Plût au Ciel ! que la mer irritée, en furie,

Aux abîmes profonds eût englouti sa vie,

Je ne me verrais pas dans le trouble où je suis.

Car mon frère entre-nous, touchant ce compromis,

Forcé par mon malheur d’en faire la rupture,

Me faudra-t-il payer le dédit.

GUIGNON.

Chose sûre :

Contrevenant vous seul aux clauses du Traité,

Il faut payer, à moins que son honnêteté

Ne répande sur vous ses faveurs coutumières,

Esquelles nous joindrons nos très humbles prières.

JÉRÔME.

S’il était affligé d’un semblable malheur ;

Je me garderais bien d’augmenter sa douleur ;

Du dédit tout entier je remettrais la somme ;

Mais s’il fallait qu’il fût pour moi moins honnête homme,

Mon frère, vous pourriez pour m’obliger un peu,

Déchirer la minute ou la jeter au feu,

Il n’a point de Copie.

GUIGNON.

Ah ! qu’entends-je mon frère !

Quel blasphème ! espérer de corrompre un Notaire !

JÉRÔME.

Bon. Voyez le grand mal. Quoi ! pour la parenté,

Ne s’affranchit-on pas de la formalité ?

GUIGNON,

Quoi... Monsieur des Moulins paraît ici ? Silence,

Cherchez pour le toucher, toute votre éloquence ;

Moi, je n’interviendrai que dans l’occasion.

 

 

Scène III

 

MONSIEUR DES MOULINS, MONSIEUR JÉRÔME, MONSIEUR GUIGNON

 

DES MOULINS, à Jérôme.

Monsieur, je vous aborde avec confusion.

Hier je ne respirais dans une joie extrême

Que de vous embrasser, comme un autre moi-même ;

Aujourd’hui pénétré d’un sensible malheur ;

Je viens, et ne vous vois, Monsieur, qu’avec douleur.

JÉRÔME.

Déjà de ce malheur on a su vous instruire.

DES MOULINS.

Oui, Monsieur, et je viens en ces lieux pour vous dire,

Qu’après cet accident mon cœur en agira ;

Touchant nos intérêts, tout comme il vous plaira.

JÉRÔME.

L’homme de bien ! mes bras beaucoup mieux que ma bouche,

Vous feront voir combien ce procédé me touche.

Je n’attendais pas tant de votre honnêteté.

DES MOULINS.

Ni moi, Monsieur, ni moi tant de votre bonté ;

Que n’ai-je une autre fille, après cette disgrâce

Qui pût de votre bru tenir ici la place !

JÉRÔME.

Comment : que parlez vous de fille ?

DES MOULINS.

Ignorez-vous ;

Que de la mort, ma fille a subi le courroux ?

Je le vois, ce n’est pas mon malheur qui vous fâche.

JÉRÔME.

Oh si, pardonnez-moi. Mais faites que je sache

Le détail de sa mort.

DES MOULINS.

Pour accomplir mes vœux ;

Ma femme conduisait notre fille en ces lieux,

Elle avait pris la mer pour presser ce voyage ;

Lorsque contre un écueil son vaisseau fit naufrage.

Dispensez-moi du reste, épargnez ma douleur ;

Dans mes tristes chagrins, si j’ai quelque douceur,

C’est de vous voir, Monsieur, sensible à mon martyre,

Jusqu’à ne vouloir rien du dédit.

JÉRÔME.

Qu’est-ce à dire ?

Je n’ai point dit cela, c’est une fausseté.

DES MOULINS.

Comment ? après m’avoir fait voir tant de bonté,

Votre cœur descendrait jusqu’à cette bassesse.

JÉRÔME.

Comment ? vous voudriez fausser votre promesse,

Et vous auriez le front d’opposer vos refus ;

Pour un méchant dédit de quatre mille écus ?

Allez, ce procédé n’est pas d’un honnête homme.

DES MOULINS.

Quoi ! vous auriez le front de prendre cette somme ?

Allez, vous y ferez d’inutiles efforts,

Et la mort rompt toujours les Contrats les plus forts.

JÉRÔME.

Vous prétendez par-là couvrir votre artifice ;

Mais non de ce trépas, vous êtes le complice ;

Vous pouviez l’envoyer par terre sûrement ;

Vous ne l’avez commise à ce traître élément,

Que sur l’injuste espoir, de me frustrer ma somme,

Et pour être défait d’une femme.

DES MOULINS.

Ah ! quel homme ?

Qu’entends-je ! pour répondre à tant de faussetés,

Il me faudrait descendre à des extrémités,

Indignes de mon âge et de mon caractère.

Adieu, la vérité dans peu vous fera taire.

 

 

Scène IV

 

GUIGNON, JÉRÔME

 

GUIGNON.

Mon frère, pouvez-vous à ce point oublier...

JÉRÔME.

Mon frère, je n’ai plus besoin de Conseiller,

J’ai soixante-cinq ans.

GUIGNON.

Comment ?

JÉRÔME.

Point de dispute.

GUIGNON.

Je ne dis rien. Adieu.

Il s’en va.

JÉRÔME.

Vous avez la Minute ;

À la bien conserver, employez tous vos soins.

N’allez pas vous laisser par lui corrompre au moins,

Mon frère je la mets sur votre conscience.

Je l’ai trop irrité par mon impatience :

Peut-être... Mais qui fait tous ces cris éclatants ?

Je crois que c’est la voix de mon fils que j’entends.

Oui. C’est lui-même. Il vient. Cachons-nous pour l’entendre,

Je puis de cet endroit, tout voir et tout comprendre.

 

 

Scène V

 

CLITANDRE, LYSETTE, FRONTIN, JÉRÔME, caché

 

LYSETTE.

J’ai fait mon personnage assez bien, Dieu merci.

FRONTIN.

Avec assez d’esprit, j’ai fait le mien aussi.

LYSETTE.

Par mi foi vous avez un sot homme de père.

FRONTIN.

Le bon original aussi que votre mère,

Dans tout ce que j’ai fait, dans tout ce que j’ai dit,

Avez-vous vu comment j’ai tourné son esprit ?

Son cœur sur mes discours prenait outre mesure.

La joie où le plongeait votre grandeur future.

Je l’ai si bien tourné Je l’ai si bien touché,

Qu’il s’est ouvert à nous sur son trésor caché.

Par ma foi mon esprit est digne de louange.

JÉRÔME, caché.

Ma femme à mon insu, cache un trésor ; qu’entends-je ?

CLITANDRE.

Mais, Frontin, de mon père, en crois-tu faire autant ?

FRONTIN.

Pourquoi non ? Croyez-moi, c’est de l’argent comptant.

Après l’avoir rendu ce matin doux, traitable,

Je puis tout entreprendre, et je crois tout faisable ;

Cent Louis escroqués de ce vilain Penard ;

En valent mille au moins d’un autre.

JÉRÔME, caché.

Ah le Pendard :

Tu m’en feras raison.

FRONTIN.

Pour ce faux mariage,

Qui de toute l’intrigue est le plus digne ouvrage.

Outre qu’il a servi dans la nécessité,

De rupture à celui qu’il avait contracté ;

C’est une source encor pour moi de fourberies

Car il a beau forger mille chicaneries ?

C’est en vain qu’il tempête et qu’il fait l’obstiné

Pour le rompre ; en Justice il sera condamné,

Après des pas perdus, de payer quelque somme,

Pendant qu’avec plaisir vous rirez du bon homme,

Avecque son argent dont vous serez nanti.

JÉRÔME, caché.

Oh pour le coup, bourreau, vous en aurez menti.

FRONTIN.

Et comme il nous prétend envoyer à la guerre,

Quoique le bon Vieillard soit dur à la desserre,

Je ferai près de lui jour tant de ressorts.

Qu’il faudra, quoiqu’il fasse, ouvrir sa bourse, alors.

Laissant bien loin de nous la Flandre et l’Allemagne,

Nous irons doucement passer notre campagne,

À l’Île Saint-Denis, ou bien à Bagnolet,

À l’abri du Canon.

JÉRÔME, caché.

Ah ! le chien de Valet !

Qu’il est fourbe !

CLITANDRE.

Oui, déjà nous avons fait partie,

Pour aller dès tantôt chercher de Compagnie,

Une Maison des Champs pour le prochain Été,

Où nous nous puissions tous cacher en sûreté.

Nous attendons Géraste ici ; dans cette affaire

Nous étions assez mal sans l’argent de ma mère,

Il vient fort à propos pour m’ôter mon souci,

Va le querir, Frontin, et me l’apporte ici.

Va.

FRONTIN.

J’y cours.

 

 

Scène VI

 

CLITANDRE, LYSETTE, JÉRÔME, caché

 

JÉRÔME, caché.

Vainement il fera diligence,

Il pourra me trouver en son chemin, je pense ;

Mais je puis écouter encor, n’en perdons rien.

CLITANDRE, à Lysette.

D’Elmire et de toi, dis quel était l’entretien ?

Tantôt ?

LYSETTE.

Je lui parlais de votre amour pour elle.

Au récit de vos soins, à cette ardeur si belle ;

Elmire en soupirant, disait avec rougeur,

Que pour vous en payer, c’était peu que son cœur.

CLITANDRE.

Quoi, Lysette ! à mes feux elle fait cette grâce ?

Ah ! pour reconnaissance, il faut que je t’embrasse.

Il l’embrasse.

 

 

Scène VII

 

ELMIRE, CLITANDRE, LYSETTE, JÉRÔME, caché

 

ELMIRE.

Lysetta, hola che deu’jo pensare di queste domestichezze ?

LYSETTE.

Dun qu’endigna son jo d’esser accarezzata,

Bas.

Donnons-lui un peu de jalousie.

ELMIRE.

Che dici traditora.

LYSETTE.

Duo che mi pare se ben mi considero, che non son’jo cossi brutta, che non meritti qualche carrezze da i giovani.

ELMIRE.

Ah sfacciata !

LYSETTE.

Questo mio visetto, quest’occhi assassini, è questai mia.

Bocca vermigliuzza non sono mica sensa gratiè, nó.

ELMIRE.

Ah Scelcrata !

LYSETTE.

Piano, piano. Non mi sgridate tanto. Io glicontava

L’amor che portate a lui, di che tutto gioso  m’ha

Carezzata com’havete veduto.

ELMIRE

E’i non per altro, Lysetta ?

LYSETTE.

Signora no, ma quest’ébpur bello par chen questo va

Dia martell’ in testa.

ELMIRE.

Non è vero Lisetta. Taci malitiosetta.

CLITANDRE.

Que te dit-elle encor ? quoi ?

LYSETTE.

Vos embrassements

Ont mis dans son esprit, de jaloux sentiments,

Elle n’a pu vous voir m’embrasser sans colère,

Son âme s’est émue, elle n’a pu s’en taire,

Mais ma bouche a soudain dissipé son erreur ;

Entre-nous, en voyant le trouble de son cœur,

Vous pouvez vous flatter d’une fortune heureuse,

Et puisqu’elle est jalouse, Elmire est amoureuse.

CLITANDRE.

Ne pourrai-je jamais savoir l’Italien !

Aux Champs, ou nous allons, je l’apprendrai.

LYSETTE.

Fort bien.

Dans Rome, en quatre mois, je l’appris chez la mère.

CLITANDRE.

Que ne lui montrais-tu le Français ?

LYSETTE.

Comment faire ?

Sa mère avecque soin la cachait à nos yeux.

Mais aux champs je pourrai vous instruire tous deux.

CLITANDRE.

Je vais pour nous trouver cette douce retraite,

Chercher présentement un caresse, Lysette ;

Afin que quand Géraste ici sera rendu,

Et qu’avec notre argent Frontin sera venu,

Nous puissions sans remise, y faire diligence.

Cependant peints-lui bien ma flamme en mon absence,

Dis-lui, si de mon bien j’étais le possesseur,

Que son Hymen ferait ma joie et mon bonheur,

Que pour y parvenir, on me verra tout faire,

Jusques, à souhaiter le trépas de mon père.

JÉRÔME, caché.

Ah l’Impie !

CLITANDRE.

Oui, dis-lui.

LYSETTE.

Je dirai ce qu’il faut ;

Laissez-moi faire, allez, et revenez bientôt.

 

 

Scène VIII

 

ELMIRE, LYSETTE, JÉRÔME, caché

 

LYSETTE.

Mi fa pur gran pieta quel poverino.

ELMIRE.

Eh perche ?

LYSETTE.

Si duole della sorte contraria che lascia troppo vivere

Quell’ avaro di suo padre.

ELMIRE.

Ah ! se trouass’il mio Lisetta quant’ a me carosaria

Tu sais se riccasarei, è se volontieri con Clitandro,

Spartireit tutto l’haver mio.

JÉRÔME, sortant de l’endroit où il était caché.

Je n’y comprends plus rien, ce font des Baragouines ;

Je vais leur chanter pouille en passant. Ah ! Coquines ?

ELMIRE.

Hoime.

LYSETTE,

Que vois-je ? Ah !

JÉRÔME.

Friponne, c’est donc vous

Qui vouliez que mon fils fût tantôt votre époux ?

Qui de tous ses attraits feigniez d’être entêtée ?

Qui veniez me traiter de beau-père, effrontée ?

Vous ne l’avez séduit, et ne faisiez cela,

Que pour le mettre aux mains de cette gueuse-là

De ce petit endroit je viens de tout entendre.

Vous en ferez punie et je vous ferai pendre.

ELMIRE

Che brutto bestia è questa ?

LYSETTE.

Quest’éil padre di Clitandro che ne minaccia di

Sergenti è di prigione, et n’accusa tutte due d’hauer

Sutato il figito.

ELMIRE.

O Cielo ! cossi dunquest tratta una pare mìa. Sappi,

Vecchio crudel, ch’jo son’honorata.

LTSETTE.

E’vangan’ a chi nol crede cento malanni.

JÉRÔME.

Gnan, gnan, gnan, gnan. Je vois quels desseins sont les vôtres.

Vous voulez m’étourdir par ce jargon, à d’autres ;

Mais enfin la Justice, en vous pressant les doigts,

Vous fera toutes deux dans peu parler François.

Je m’en vais revenir avec un Commissaire,

Attendez-moi.

 

 

Scène IX

 

ELMIRE, LYSETTE

 

LYSETTE.

Quel homme ! ô Ciel, que va-t-il faire !

ELMIRE.

Che vo minacciando.

LYSETTE.

Mon viturbate punto, ch’jo va ad avisar Clitandro

D’ogni cosa intento aspettase mi qui.

 

 

Scène X

 

ELMIRE, seule

 

In van spera ne tormenti otrequà ó soja, chi nacque suenturata. O fortuna instabile, ma instabile, solo nel per sequitarmi. Ecco mi fatta al fine segno ó berzaglio, de tuoi piu’ fieri colpi. Ferma hormai, ferma la tua ruota è cicca, è volubile Dea, ma perche parlo piu con, una sorda, amor pace de i cuori a te mirivolgo, tu sei la mia stella, la mia fortuna, la mia Deita dami, Dami soccorso, da te l’attendo, ma vedo le mie preghiere, essaudite, ecco qui senuiene Clitandro mio carro, senza dubbio ló conduce amore.

 

 

Scène XI

 

CLITANDRE, ELMIRE

 

CLITANDRE.

Le Carrosse... Mais quoi ! vous êtes seule ici ?

ELMIRE.

Voi vedete Clitandro una sventurata amante oltraggiata, è villipeza dal vostro non dico ingiustto padre, che Serabbe troppo offenderui.

CLITANDRE.

Comment ?

ELMIRE.

Sappiate che in quel cantone sera rirato d’onde,

Spiava tutto quel ch’abbiamo detto.

CLITANDRE.

Que me dit-elle, en me parlant ainsi ?

Ô Ciel ! qu’est devenue, hélas, notre Interprète ?

Plaît-il ?

ELMIRE.

Chi l’haurebbe mai creduto ?

CLITANDRE.

Je n’entends rien, ô Lysette, Lysette ?

Elle ne répond point, le fâcheux embarras !

ELMIRE.

A che son giunta ? Hoime, non son intesa da lui.

CLITANDRE.

À bien examiner ses actions, ses pas,

Ses regards, ses discours, son air, ce front sévère,

Il n’en faut point douter, Elmire est en colère

Mais contre qui ? hélas ! serait-ce contre moi ?

Qu’ai-je dit ? qu’ai-je fait ? Madame, si ma foi.

Si mon feu vous déplaît, si ma bouche indiscrète...

Elle ne m’entend pas, ô Lysette ! Lysette !

Ne viendra-t-elle point pour m’ôter de souci ?

ELMIRE.

Ma folle che son’io, che non m’ingegno di spiegarì,

Miei pensieri con qual che cenno.

Elle fait des signes.

CLITANDRE.

Que veut-elle expliquer par ces signes ici ?

Faisons tous nos efforts pour les pouvoir comprendre.

ELMIRE, montrant l’endroit où Jérôme était caché.

Sentite, il patron di questa casa, di questa casa s’era Nascostoli.

CLITANDRE.

Oui. C’est là ma maison. Que me fait-elle entendre

Par-là ? serait-ce point dire en termes exprès,

Que j’y retourne, afin de ne la voir jamais.

ELMIRE, se cachant le visage.

E cossi nascosto eispiava senza esser veduto da noi.

CLITANDRE.

Que me dit-elle encor, en cachant son visage ?

Qu’elle me veut priver de cette belle image !

Ah ! malheureux !

ELMIRE, montrant la place où Jérôme les a surprises et menacées.

Et a pena di qui visete partito ch’egli vi guinse eportando,

Dipinto sul viso, è l’ira, è lo sdegno.

CLITANDRE.

Du doigt, elle marque ce lieu,

Je l’entends, c’est qu’ici je dois lui dire adieu

Cela n’est confirmé que trop par ses menaces.

ELMIRE, faisant les menaces que Jérôme lui avait faites.

All’hora con aspra voce è minaciante.

CLITANDRE.

Elle dit que j’en dois perdre à jamais les traces,

Et me menace en cas que j’y revienne... Hélas !

ELMIRE, levant les bras et la vue au Ciel.

Ci parlo di prigion, ancor ne tremo nel cuore.

CLITANDRE.

Elle hausse la vue et lève au Ciel les bras.

Qu’est-ce qu’elle veut dire ? ah ! je suis à la gêne

Viendra-t-il point quelqu’un pour me tirer de peine ?

 

 

Scène XII

 

CLITANDRE, ELMIRE, CRISPIN

 

CRISPIN.

Monsieur, mon maître ici m’envoie expressément,

Vous dire qu’il viendra dans un petit moment.

CLITANDRE.

Sais-tu l’Italien ?

CRISPIN.

Coussi, coussi, mon Maître

Le parle.

CLITANDRE.

L’entends-tu ? l’expliques-tu ?

CRISPIN.

Peut-être.

Pourquoi ?

CLITANDRE.

C’est que je luis dans un grand embarras.

CRISPIN.

Qu’est-ce ?

CLITANDRE.

Elmire me parle, et je ne l’entends pas.

Je brûle de savoir ce qu’elle me veut dire,

Et Lysette n’est point ici pour m’en instruire,

Je suis au désespoir.

CRISPIN.

Quoi ! ce n’est que cela ?

J’en sais, Monsieur, assez, pour vous tirer de là

Laissez-moi lui parler.

CLITANDRE.

L’aventure bizarre.

CRISPIN, à Elmire.

Seigneuria bella, parlare à mi parlare.

ELMIRE.

Lascia mi in pace villano, mal nato, in tuo raguettegiar, mi da fastidio.

CLITANDRE.

L’entends-tu ? dy Crispin ?

CRISPIN.

Oui. Je l’entends fort bien

Mais elle y va si dru, que je n’y comprends rien.

À Elmire.

Seigneuria voulate un piu recommensare,

Et plus posemente, parlare un piu parlare.

ELMIRE.

Va via mammaluco, non mi dar piú tormento, parti

Parti ti di qua Baronaccio.

CRISPIN, à Clitandre.

Baronna. C’est Baron que Baronna veut dire ;

Or ce mot de Baron venant comme de cire,

Dit, qu’elle vous fera Baron sans contredit...

Qu’elle veut... À peu près, voilà ce qu’elle dit.

ELMIRE.

E pur lo tratienne, et l’escolta Clitandro !

CRISPIN.

Vous entendez cela ? Clitandro, c’est Clitandre.

Or ce mot Clitandro, nous fait assez comprendre,

Qu’elle parle de vous.

À Elmire.

Hé bien, ma Signora.

ELMIRE.

Potessi per levarmi d’impaccio andar a volo hora.

CRISPIN.

Vous êtes un voleur ! elle le dit, je pense.

ELMIRE.

Perche mi manca tal potentia.

CRISPIN.

Potentia, vous dit que... gare la potence.

ELMIRE.

Ma leviamo ci da dosso questo sciagurato dandogli

Un sciaffo su quel suo viso di scimia.

Elle lui donne un soufflet, et s’en va.

CRISPIN.

Un soufflet ! votre main m’applique trop d’honneur.

Ce langage est vilain.

CLITANDRE.

Me voilà dans l’erreur,

Plus... Mais Lysette vient pour me tirer de peine.

 

 

Scène XIII

 

LYSETTE, CLITANDRE

 

LYSETTE.

Ah ! Monsieur, vous voilà ! je suis toute hors d’haleine,

À vous chercher.

CLITANDRE.

Pourquoi ?

LYSETTE.

Pour vous dire, Monsieur,

Que votre père était caché là par malheur,

Lorsque vous en contiez tantôt à ma maîtresse.

CLITANDRE.

Que me dis-tu ?

LYSETTE.

Pour elle il sait votre tendresse.

De plus, il est instruit de la méchante foi,

Qui nous faisait agir, Frontin, Crispin et moi.

De cet Hymen de bale, il sait les impostures

Après nous avoir dit des pouilles, des injures ;

Qui de la pauvre Elmire ont fait saigner le cœur,

Il est sorti, disant, pénétré de fureur,

Qu’il nous allait tous deux faire mettre en Justice.

CLITANDRE.

En Justice ! il nous faut prévenir son caprice.

C’est donc-là ce qu’Elmire en entrant dans ces lieux,

M’exprimait de la main, de la voix, et des yeux ?

Il faut partir, l’argent que va donner ma mère

Vient à propos, Lysette, et sera nécessaire.

Frontin paraît. Hé bien, ma mère en ce moment.

T’a-t-elle mis en main son trésor ?

 

 

Scène XIV

 

CLITANDRE, LYSETTE, FRONTIN

 

FRONTIN.

Après quelques façons, fouillant dans sa paillasse,

Elle a pris un paquet, et rompant la liasse,

Elle a fait voir alors à mes yeux éblouis,

Tous battants neufs, soixante et six doubles Louis.

CLITANDRE.

Bon. C’est quatorze cent et cinquante-deux livres.

Lysette !

FRONTIN.

Après, derrière un tas de méchants Livres,

Parmi l’obscurité, dans un petit coin, où

L’œil ne pouvait rien voir, elle a tiré d’un trou,

En y fourrant la main, une méchante bourse,

Qui renfermait cent bons Louis.

CLITANDRE.

Autre ressource

Ce sont onze cents francs, Lysette !

FRONTIN.

En dernier lieu

Derrière ce Tableau, qui représente un Dieu.

Courant après un arbre, au coin de votre Salle ;

Dans un méchant chausson, beaucoup moins blanc que sale,

Elle a tiré six vingt quatre demi-Louis.

J’ai tout mis sans compter dans un sac que j’ai pris.

CLITANDRE.

Lysette !

FRONTIN.

Je prenais congé de votre mère ;

Lorsqu’un Diable animé de rage et de colère ;

A paru tout à coup, et me poussant à bout,

Pour nos péchés, ce Diable a fait rafle de tout.

CLITANDRE.

Ce Diable, quoi qu’il soit, sentira ma colère.

Quel est ce Diable ? dy.

FRONTIN.

Ce Diable est votre père.

Je ne sais ni par qui, ni comment son esprit

A pu de nos secrets être si bien instruit ;

Mais après m’avoir pris avec une main forte

Notre infortuné sac, il m’a jusqu’à la porte

Conduit à coups de pieds, et de poing, me disant,

Qu’il eût voulu vous voir pour vous en faire autant,

Qu’il fallait de ce chez lui tous deux tirer nos chausses,

À peine d’habiter un cul de basses fosses.

Qu’il vous déshéritait. Voilà ce qu’il m’a dit,

Et de tous nos malheurs, c’est le triste récit.

CLITANDRE, regardant Lysette tristement.

Quel contretemps, Lysette !

LYSETTE.

Ah ! Monsieur, quelle aubade !

 

 

Scène XV

 

GÉRASTE, CLITANDRE, FRONTIN

 

GÉRASTE.

Hé bien, irons-nous faire un tour de promenade ?

Des soins du Régiment, me voilà dégagé.

CLITANDRE.

Depuis votre départ, le sort a bien changé.

Ah Géraste !

GÉRASTE.

Comment ?

CLITANDRE.

L’intrigue est découverte :

Cher ami je me vois à deux doigts de ma perte,

GÉRASTE.

Quoi ?

CLITANDRE.

Mon père sait tout.

GÉRASTE.

Il sait tout ! quel ennui !

CLITANDRE.

Encor si je pouvais rentrer au moins chez lui.

Foulant aux pieds devoirs, respect, obéissance,

N’écoutant pour, conseil qu’une extrême licence.

J’emploierais mes efforts à le pouvoir voler.

FRONTIN.

S’il ne tient qu’à cela, vous n’avez qu’à parler.

Je vous livre chez lui tantôt.

CLITANDRE.

Est-il possible ?

FRONTIN.

Oui, fiez-vous à moi, la chose est infaillible.

CLITANDRE.

Hé comment feras-tu ?

FRONTIN.

Je ferai... Mais ces lieux,

Pour voir nos actions, peuvent avoir des yeux ;

De chez lui votre père ici bas peut descendre.

Entrons dans le logis, où je vais vous rapprendre.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME

 

JÉRÔME.

Non, ne m’en parlez plus.

MADAME JÉRÔME.

Mon fils...

JÉRÔME.

Point de raisons.

MADAME JÉRÔME.

Mon cher époux...

JÉRÔME.

Abus.

MADAME JÉRÔME.

Écoutez-moi...

JÉRÔME.

Chansons.

MADAME JÉRÔME.

Mon mari...

JÉRÔME.

Je suis sourd.

MADAME JÉRÔME.

Mon mignon...

JÉRÔME.

Bagatelle.

MADAME JÉRÔME.

Au nom de notre amour jusqu’ici mutuelle.

JÉRÔME.

Ne me parlez jamais en faveur d’un fripon.

MADAME JÉRÔME.

J’embrasse vos genoux.

JÉRÔME.

Ferme. Levez-vous.

MADAME JÉRÔME.

Non.

Cet état suppliant convient à ma disgrâce.

JÉRÔME.

Levez-vous, je le veux.

MADAME JÉRÔME.

Mon cœur...

JÉRÔME.

Voici la place

Où je les ai tantôt entendus et surpris.

MADAME JÉRÔME.

Puisqu’ils sont découverts, ils sons assez punis.

JÉRÔME.

Le coquin !

MADAME JÉRÔME.

Bannissez ces injures frivoles.

JÉRÔME.

Me mentir ! m’abuser ! m’arracher cent pistoles !

MADAME JÉRÔME.

Il a tort, mais ces cris ne vous les rendront pas.

JÉRÔME.

D’un mariage en l’air me causer l’embarras !

MADAME JÉRÔME.

N’êtes-vous pas heureux qu’il ne soit qu’en idée ?

JÉRÔME.

D’une gueuse étrangère avoir l’âme obsédée !

MADAME JÉRÔME.

N’avez-vous pas contr’eux un remède assuré ?

JÉRÔME.

Me souhaiter la mort !

MADAME JÉRÔME.

C’est un dénaturé,

Sans amitié pour nous, indigne de la nôtre ;

Oui. Mais en est-il moins, et mon fils et le vôtre ?

En a-t-il moins été formé de nôtre sang ?

En est-il moins sorti de vous et de mon flanc ?

En a-t-il moins ému nos ardeurs mutuelles ?

En a-t-il moins sucé le lait de mes mamelles ?

En est-il moins le fruit de nos chastes amours ?

Non, il est notre enfant, et le sera toujours

Et si sans respecter la bonté paternelle,

Il allume en son âme une ardeur criminelle,

C’est qu’étant jeune encore, il se laisse abuser.

JÉRÔME.

Non, toutes vos raisons ne peuvent l’excuser.

Je voudrais qu’à cette heure il fut cent pieds sous terre,

Et pour lui ma poitrine enferme un cœur de pierre.

MADAME JÉRÔME.

Rien ne vous attendrit : faut-il pour vous toucher,

Vous faire voir à nu mon cœur, et l’arracher ?

Faut-il m’égratigner : faut-il que je m’assomme ?

Être insensible aux pleurs d’une femme ! est-ce être homme ?

Un loup serait touché de mes vives douleurs,

Un tigre se verrait attendri par mes pleurs,

Sur le cœur d’un lion je prendrais plus d’empire,

Oui, tous ces animaux...

JÉRÔME.

Plaît-il : quoi ? Qu’est-ce à dire ?

Pourquoi cette saillie ? hem : à qui parlez-vous ?

Qui suis-je ? si je prends vos tigres et vos loups,

Je vous en pourrai bien donner par les oreilles.

Ouais, a-t-on jamais vu des sottises pareilles.

Taisez-vous. Je pourrais par le dépit pressé ;

Peut-être à votre dam rappeler le passé,

Votre trésor caché me revient en mémoire,

Et je n’ai pas si fort oublié cette histoire,

Que je ne puisse encore vous en parler.

MADAME JÉRÔME.

Hé bien ?

Qu’en diriez-vous ? voilà bien du cancan pour rien.

Ne l’avez-vous pas pris cet argent ? qu’est-ce à dire ?

Est-ce qu’il me pouvait arriver rien de pire

Vous pouvez à toute heure en repaître vos yeux,

Vous pouvait-il jamais arriver rien de mieux ?

JÉRÔME.

Oui, cet argent m’eût fait du profit davantage ;

Qui le laisse moisir n’en connaît pas l’usage.

Si ce trésor caché depuis le temps qu’il l’est,

Eût été dans mes mains, un honnête intérêt

L’eût fait doubler, tripler, en moins de rien.

MADAME JÉRÔME.

Qu’importe,

Je voudrais, puisqu’il m’est ravi de cette sorte,

Qu’il n’eut jamais été.

JÉRÔME.

Quel blasphème ! Écoutez ?

Apprenez à vous rendre humble à mes volontés,

Où ma main par l’honneur, trop longtemps retenue,

Pourra... Mais quel objet se présente à ma vue ?

Oses-tu bien encor paraître devant moi ;

Coquin ! es-tu trop las de vivre ? approche-toi,

Aussi bien de mon bras la démangeaison grande

Est d’assommer quelqu’un.

 

 

Scène II

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME, FRONTIN

 

FRONTIN.

C’est ce que je demande ;

Vos coups ne feront plus mes appréhensions,

J’abandonne ma tête à vos contusions ;

Ordonnez de mon corps, disposez de mes membres,

Mettez-les par quartiers dispersez dans vos chambres,

Vengez-vous sans pitié, frappez, disloquez-moi.

Oui...

JÉRÔME.

Voilà le refrain des marauds comme toi.

Quand ils n’en peuvent plus, ils ont recours aux larmes.

Ton maître en ses amours trouve-t-il de grands charmes ?

FRONTIN.

Il n’est plus en état de vous désobéir.

JÉRÔME.

Je t’entends. Hors d’espoir de me pouvoir trahir

Il fait le chien couchant. Possible sa maîtresse,

Voyant qu’il n’avoir plus de quoi faire largesse,

A fait à son amour donner du pied au cul ?

Avec un pied de nez le voilà confondu ?

Que dit-il ? que fait-il : dis ? Quelle est sa ressource ?

N’ayant plus les moyens d’attenter sur ma bourse,

A-t-il poussé des cris, a-t-il versé des pleurs ?

FRONTIN.

Une roche eût été sensible à ses douleurs.

Ayant appris par moi la Sentence mortelle

Que portait contre lui la haine paternelle,

Il s’est abandonné soudain au désespoir.

Quoi ! mon père, a-t-il dit, me défend de le voir ?

Je ne reverrai plus son auguste visage !

Il ne m’est plus permis de contempler l’image

D’une mère que j’aime, et qui m’est chère !

MADAME JÉRÔME.

Hélas !

FRONTIN.

Ensuite promenant sa douleur à grands pas,

Faisant des vœux au Ciel, pour apaiser votre ire,

Je voyais son esprit prêt d’entrer en délire,

Quand le Ciel a semblé répondre à sa ferveur,

Nous montrant le minois de votre Procureur.

D’abord le petit homme après les révérences,

Sans songer à la fuite, ainsi qu’aux conséquences,

A dit à votre fils en termes de Palais,

La cause, le détail, et l’état d’un procès,

Que vous aviez vous-même intenté dans les formes,

Contre un de vos voisins d’Argenteuil, pour des Ormes ;

Puis il s’en est allé sur vos prétentions.

Mon maître alors a fait mille réflexions.

Oui, s’est-il écrié. Frontin, servons mon père,

Une occasion s’offre, apaisons sa colère,

Allons, marchons, courons le défendre aujourd’hui,

Montrons-nous dignes fils d’un tel père que lui.

Contre ses ennemis déployons mon courage ;

Son honneur offensé demande cet ouvrage,

Suis-moi. Sans balancer, ayant bon pied, bon œil,

Nous avons pris tous deux le chemin d’Argenteuil,

Me contant en marchant ce qu’il prétendait faire,

À peine le Soleil achevait sa carrière.

Quand chez le Jardinier nous nous sommes rendus.

Là, sans nous épuiser en discours superflus,

Nous nous sommes chargés les mains et les épaules,

De haches, de leviers, de cognées et de gaules,

Arrivant sur ces lieux, où ces arbres plantés,

Élevaient votre honte et leurs témérités,

Nous en avons compté jusques à vingt et quatre.

Que nous avons marquez tout exprès pour abattre.

JÉRÔME.

Ah coquins ! de mes jours, voilà le coup mortel,

C’est d’un procès civil en faire un criminel,

C’est d’une bonne cause en faire une méchante,

Je suis perdu, pendards, qu’elle était votre attente ?

FRONTIN.

Écoutez jusqu’au bout, hache en main promptement,

J’allais de chaque Ormeau saper le fondement,

Cependant que mon maître avec une cognée,

Que de sa main robuste il avait empoignée,

Achevait de l’abattre, où par terre jonchés,

Déjà six se voyaient tout de leur long couchés.

JÉRÔME.

Avec eux on me va taxer d’intelligence ;

Je suis ruiné, Ciel !

FRONTIN.

Un peu de patience.

L’air frémissant du bruit qui partait de nos coups,

Aux échos d’alentour les communiqua tous,

Qui les ayant reçus, soudain les répétèrent,

Et sans en perdre aucun au Château les portèrent.

La discorde avec eux y semant la terreur ;

De chaque domestique empoisonne le cœur,

De broche et de fusil, ayant la main armée,

S’en vient fondre sur nous cette troupe animée.

D’abord l’homme au fusil, devant tous s’avança,

Tire au hasard sur nous, la balle me passa

Rasibus de l’oreille, en sifflant zi, zi, zie ;

Dont je crus quelque temps avoir perdu l’ouïe ;

Et fut trouver mon maître environ à vingt pas

Qui pour abattre un arbre encor levait le bras,

Et l’atteignit tout droit au bas du téton gauche,

Il tomba comme tombe un brin d’herbe qu’on fauche.

MADAME JÉRÔME.

Mon enfant est blessé !

JÉRÔME.

Qu’ai-je entendu ? Hélas.

FRONTIN.

J’y cours, je le relève, et le prend dans mes bras.

Réveillé par mes cris, il s’étend, et soupire,

Il entrouvre sa bouche, et je l’entends me dire,

Va compter à mon père, afin de m’obliger,

Combien d’arbres à bas j’ai mis pour le venger.

Dis lui que j’ai regret qu’un accident funeste

M’empêche en ce moment de couper tout le reste,

Que mes mânes pour prix d’une telle action

Demandent seulement sa bénédiction ;

Qu’il l’accorde... Il voulait poursuivre encor son rôle,

Mais un hoquet mortel lui coupe la parole,

Il expire.

MADAME JÉRÔME.

Ha, ha, ha, quelles vives douleurs !

JÉRÔME.

Ce n’est point par des cris, ce n’est point par des pleurs,

Qu’il faut à nos ennuis donner quelque allégeance,

Notre fils mort demande une illustre vengeance,

Son adverse partie à feu, ma femme, et lieu ;

Dressons-lui tout à l’heure un bon procès de Dieu.

La formalité veut que chez le Commissaire

J’aille porter ma plainte, allons, courons la faire.

De son heureux destin sapons les fondements.

Que son bien soit l’objet de nos ressentiments,

Approprions-nous tout, jusqu’à la moindre obole,

Le sang d’un fils versé le demande, et j’y vole.

 

 

Scène III

 

MADAME JÉRÔME, FRONTIN

 

MADAME JÉRÔME.

Mon fils n’est plus ! faut-il qu’en la fleur de ses ans,

Ce fils me soit ravi ? douloureux accidents !

Je ne reverrai plus ma chère géniture !

Hélas ! ce que j’aimais est dans la sépulture !

Mais est-il bien possible, et l’as-tu vu Frontin ?

Est-il mort tout-à-fait ? parle, en es-tu certain ?

FRONTIN

Ah Madame ! on ne peut être mort davantage,

Deux heures de mes poings j’ai frappé son visage,

Mais en vain je n’ai pu le rappeler au jour.

Alors trois Paysans des cantons d’alentour

Ont passé. J’ai sifflé ces personnes pieuses ;

Ils sont venus. Touchés de mes larmes piteuses

Soudain à ma prière, à la hâte, et sans art,

D’arbres et d’échalas ils ont fait un brancard,

Puis passant au travers deux on trois longues gaules,

Ils l’ont fort bravement chargé sur leurs épaules

Pour rapporter ici, je les ai devancés.

Pour... Mais je les entends, et leurs soins empressés

M’ont suivi de bien près. Vous allez voir paraître

Le malheureux défunt, votre fils, et mon maître.

MADAME JÉRÔME.

Ha, ha, ha, Frontin, je ne le veux point voir

Le sang à cet objet pourrait trop m’émouvoir,

Je vais pour m’épargner ce douloureux spectacle.

En retraite.

 

 

Scène IV

 

FRONTIN, seul

 

À Présent nous n’avons plus d’obstacle.

Approchez notre mort, le péril est passé,

Quittez et l’équipage, et l’air d’un trépassé,

Renvoyez promptement ce Convoi mortuaire

Croyez-moi, l’attirail n’en est plus nécessaire.

 

 

Scène V

 

CLITANDRE, FRONTIN, CRISPIN

 

CLITANDRE.

Puis-je entrer ?

FRONTIN.

Vous voilà, Monsieur en liberté,

De voler votre père en toute sûreté.

CLITANDRE.

Mais...

FRONTIN.

Le temps est trop cher pour le perdre en paroles,

Allez, forcez, brisez le dortoir aux pistoles.

Et n’appréhendez point de troubler leur repos.

Employez promptement limes sourdes, marteaux,

Crochets...

CLITANDRE.

Mais si mon père aperçoit notre feinte...

FRONTIN.

Une belle action ne souffre point de crainte,

Montez. Et toi Crispin, pour nous donner du temps.

Quand son père viendra, fais lui tes compliments,

Pour l’amuser ici parle à perte vue.

CRISPIN.

Je t’entends.

FRONTIN.

Va l’attendre au coin de cette rue.

Tu reviendras ici quand il rentrera, moi

Je vais... Mais je l’entends. Le voici, cache-toi,

Son retour va tout perdre, et je tremble de crainte.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR JÉRÔME, FRONTIN, CRISPIN

 

JÉRÔME.

Le Commissaire absent n’a point reçu ma plainte,

Tantôt à son retour il me la dressera,

Et s’il en est besoin il l’antidatera.

C’est mon ami. Frontin attaqué dans les formes,

L’assassin pleurera la chute de ses ormes ?

Il n’aura pas pour rien versé le sang d’un fils,

Et chaque goute au moins me vaudra cent Louis.

Voyons son corps. Ma femme en entrant m’a fait dire

Qu’il est ici.

FRONTIN.

Je crains qu’un douloureux martyre ;

Le voyant, ne vous cause un assuré trépas.

JÉRÔME.

Ne crains rien.

FRONTIN.

Non, Monsieur, vous ne le verrez pas

Est-ce que ce spectacle a pour vous quelques charmes ?

JÉRÔME.

Oui, Frontin, cette vue excitera mes larmes,

J’en ai besoin pour mieux marquer mon désespoir,

FRONTIN, à Crispin.

Sors.

À Jérôme.

On veut vous parler.

JÉRÔME.

Quel est cet homme noir.

Il a l’air d’un porteur de Billets mortuaires.

FRONTIN, à Jérôme.

Je vais m’enfermer seul.

À Crispin.

Songe pour nos affaires,

À l’arrêter longtemps.

JÉRÔME.

Que voulez-vous de nous ?

Monsieur.

CRISPIN.

Bonjour, Monsieur, comment vous portez-vous ?

JÉRÔME.

Fort mal, Monsieur.

CRISPIN.

Fort mal, je le crois bien, sans doute,

Car dans l’affliction la douleur ne voit goûte.

C’est ce qui fait aussi... Quand on veut s’attrister...

L’âme... Vous ne sauriez, Monsieur, vous bien porter.

JÉRÔME.

Que voulez-vous.

CRISPIN.

Courrier d’un funeste message

Espérant le premier avoir cet avantage,

Dès le poitron-jaquet je me suis habillé ;

Voyant le temps couvert de peur d’être mouillé,

J’ai pris mon manteau noir, et j’ai chaussé mes bottes,

Pour en marcher plus vite et pour braver les crottes.

D’Argenteuil à Paris, toujours courant enfin,

J’ai tout au plus été six heures en chemin.

JÉRÔME.

C’est fort bien aller. Mais pour punir cet outrage,

Il me faut des Témoins. Si dans votre Village

Vous en pouviez trouver, vous m’obligerez.

CRISPIN.

Quoi ?

Il vous en faut, allez, j’en veux servir.

JÉRÔME.

Vous ?

CRISPIN.

Moi.

JÉRÔME.

Quoi ! vous prendrez la peine...

CRISPIN.

Oui, pour votre service,

Alors qu’il vous plaira, j’irai dire en Justice

Plus que je n’ai vu.

JÉRÔME.

Mais étiez-vous présent ?

CRISPIN.

Non.

FRONTIN.

Comment donc, s’il vous plaît, pouvez-vous savoir...

CRISPIN.

Bon.

J’en sais plus qu’il ne faut, car n’est-il pas vrai, dites,

De votre fils, de qui les vertus, les mérites,

La sagesse... Il est mort. Étant mort, il s’enfuit,

Que... Car l’unique espoir d’un père étant détruit ;

Que ce soit par le feu, par le fer... Il n’importe.

Or, il est très certain, Monsieur, de cette sorte,

S’il faut faire en Justice un fidèle rapport,

Je puis bien assurer que votre fils est mort.

JÉRÔME.

Ce galimatias ne dit rien et m’assomme.

Adieu.

CRISPIN.

Monsieur, sachez...

JÉRÔME.

Hé bien ?

CRISPIN.

Je connais l’homme...

JÉRÔME.

Quel homme ?

CRISPIN.

L’homme qui... Ne m’entendez-vous pas ?

JÉRÔME.

Celui, par qui mon fils a souffert le trépas ?

CRISPIN.

Oui, lui. Je le connais, et viens vous faire entendre,

De sa part...

JÉRÔME.

De sa part ! qu’auriez-vous à m’apprendre ?

Ah mon fils ! mon cher fils, ne peut m’être rendu,

Et je veux que l’auteur de sa mort soit pendu.

CRISPIN.

Ah ! si pour défâcher votre douleur qui crie,

Vous pouviez concevoir la grande fâcherie,

Qu’eût mon maître, apprenant cet accident fâcheux,

Et comme il fût fâché contre Ces malheureux

Qui portant en fâcheux ces nouvelles fâcheuses

Fâchèrent jusqu’aux pleurs, ces larmes larmoyeuses,

Et se fâchant pour vous, comme il en fut touché.

Comme... Ma foi, Monsieur, il en est bien fâché.

JÉRÔME.

Comment fâché ? Croit-il m’apaiser de la forte ?

Qu’est-ce ?

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME, CRISPIN

 

MADAME JÉRÔME.

Ah ! je viens de voir à travers de la porte

L’Ombre de notre fils.

JÉRÔME.

Son Ombre !

MADAME JÉRÔME.

Oui, mon cœur

Je revenais, ayant surmonté ma douleur,

Pour la dernière fois l’embrasser, quand ma vue,

M’a présenté (dont j’ai l’âme encore tout émue)

Son Fantôme fouillant dans votre coffre fort.

JÉRÔME.

Dans mon coffre ?

MADAME JÉRÔME.

Oui, Frontin, pâle comme la mort

Au devant de mes pas est venu pour me dire

Que c’était son esprit qui revient pour l’instruire...

JÉRÔME.

Non, ma femme ; ce sont des contes superflus,

Quand on est une fois mort, on ne revient plus,

Chimère.

MADAME JÉRÔME.

Ce n’est point, mon fils, une chimère

Je l’ai vu de cent pieds plus grand qu’à l’ordinaire.

JÉRÔME.

J’ouvre les yeux, ma femme, ils veulent me tromper.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR JÉRÔME, MADAME JÉRÔME, FRONTIN, CRISPIN

 

FRONTIN, à Clitandre, dans l’aile.

Je vais avec l’argent le premier décamper.

Vous me suivrez.

MADAME JÉRÔME.

Frontin vient, qui peut vous apprendre...

JÉRÔME.

Qu’est-ce Frontin, dis-moi, que m’a-t-on fait entendre ?

FRONTIN.

L’esprit de votre fils, a paru devant moi,

Avec un air affreux qui m’a glacé d’effroi,

À l’oreille tout bas m’a fait une prière.

Je cours exécuter sa volonté derrière.

JÉRÔME.

Mais qu’emportes-tu là ? montre.

FRONTIN.

N’y touchez pas.

C’est, l’âme de Monsieur votre fils.

MADAME JÉRÔME.

L’âme ? hélas !

JÉRÔME.

Montre un peu. Je veux voir comment une âme est faite.

FRONTIN.

Je n’ai pas le loisir.

JÉRÔME.

Comment : c’est ma cassette ?

FRONTIN.

Oui Monsieur votre fils se trouvant débiteur,

Des emprunts qu’il a faits, ainsi qu’un mort d’honneur,

De crainte que là-bas son âme en fût en peine,

Avec une puissance au-dessus de l’humaine,

A brisé votre coffre, et m’a mis ces dépôts

En main, pour mettre enfin son esprit en repos,

Donnez, je vais porter...

JÉRÔME.

À d’autres, je te prie.

Va, je ne donne point dans cette fourberie,

Clitandre sort et veut s’en aller.

Ah ! Voici notre mort. Arrête. Quoi ? Fripon,

Tu viens pour me voler...

FRONTIN.

Il faut changer de ton.

Puisqu’il a la cassette, il n’est plus nécessaire...

CLITANDRE.

Non, je ne suis point mort, il est vrai. Mais mon père...

JÉRÔME.

Tu n’es pas mort ! d’où vient ! Pourquoi cet homme-là,

Est-il venu chez moi me confirmer cela ?

CRISPIN.

Pour éclaircir l’erreur qui fait votre surprise,

Apprenez qu’avec eux, j’étais de l’entreprise.

Je suis un fourbe.

JÉRÔME, lui donnant un soufflet.

Un fourbe ! Ha, ha, coquin.

CRISPIN.

Et trois.

Quand nous serons à dix, nous ferons une Croix.

Crainte de pis encor, enfilons la venelle,

Et courons au logis porter cette nouvelle.

Il s’en va.

JÉRÔME.

Fripon ! effrontément tu te moques de moi ;

Mais un cachot dans peu me vengera de toi.

Il s’en va.

MADAME JÉRÔME.

Je vous renonce après ce que je viens d’entendre,

Et vous ne valez pas l’un et l’autre le pendre.

 

 

Scène IX

 

CLITANDRE, FRONTIN

 

FRONTIN.

L’astre qui présidait à ce vol malheureux,

N’est pas assurément favorable à nos vœux.

Il nous a sottement envoyé votre mère.

CLITANDRE.

Ah Ciel ! Géraste attend cet argent, comment faire ?

De quel front lui conter ce malheureux succès.

Frontin, auprès de lui je n’aurai plus d’accès.

Si tu...

FRONTIN.

Je ne sais plus de quel bois faire flèche,

Mon génie accablé n’est qu’un fusil sans mèche.

Non qu’il ne soit encor riche en intentions,

Mais il est maintenant pauvre en invention.

 

 

Scène X

 

CLITANDRE, ELMIRE, LYSETTE, FRONTIN

 

CLITANDRE.

Ah ! sais-tu, Lysette...

LYSETTE.

Oui, Crispin, vient de tout dire.

Pour vous en consoler voici venir Elmire.

ELMIRE.

Caro Cavaliero, se del vostro affanno entra afarte il mio cuor, velo dica amore. Le vostre pene sono tanto piú mie quanto so che di esse son’jo la cagione, ma se le seppi causare, le voglio anch’jo comportare, prendere que st’annello, vendetelo, impegnatelo sate neal fin, come volete, altro avanzo non ho del ben paterno. La durezza del diamante, è la riton dezza dell’aureo cerchio vi mostrin l’amor mio è costante ed éter no.

CLITANDRE, à Lysette.

Que dit-elle, Lysette, et quel est son dessein,

Dy moi, quand elle met cette bague en ma main ?

LYSETTE.

Le voici. Cette bague est de Monsieur son père,

Qui jadis la donna dans Rome à feu sa mère,

C’est l’unique bijoux qui nous soit resté d’eux ;

À son occasion, vous sachant malheureux,

Elmire du destin veut réparer l’outrage,

Vous la donnant pour vendre, ou pour la mettre en gage.

Jusqu’à ce que le temps ait calmé le courroux

D’un père trop avare, et trop méchant pour vous.

CLITANDRE.

Qui moi ! j’accepterais cela de ta maîtresse ?

Non, non, je veux lui rendre...

FRONTIN.

Attendez, rien ne presse,

Quel diamant ! mes yeux en font tous éblouis...

Combien l’estime-t-on ?

LYSETTE.

Quatre ou cinq cents Louis.

FRONTIN.

Son prix fera connu de Monsieur votre père,

Étant comme on le sait le fils d’un Lapidaire.

Avec cette bague, en dépit du destin,

De le tromper encor j’imagine un dessein.

Oui. C’en est fait, par-là je prétends le séduire.

CLITANDRE.

Comment, Frontin ?

FRONTIN.

Montons, je vais vous en instruire.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

CLITANDRE, GÉRASTE, FRONTIN, CRISPIN, LYSETTE

 

FRONTIN.

Ayant que d’entreprendre, examinez-vous bien.

Le dessein est gaillard, vous dis-je.

CLITANDRE.

Ne crains rien,

J’en vois la conséquence. Il est vrai c’est mon père.

C’est perdre le respect, mais pour moi trop sévère,

Pourquoi me réduit-il à cette extrémité ?

Oui, je me veux venger de cette dureté,

Après tout non dessein ne fait tort à personne,

Sur un bien que de droit ma naissance me donne.

Par avance voler ma légitime part.

C’est prendre un peu plutôt ce que j’aurais plus tard.

FRONTIN, à Géraste.

D’accord, rien n’est plus clair. Mais vous dont la naissance

N’a point de droit de voler cette part par avance,

Vous sentez-vous assez de résolution

Pour faire ce qu’il faut dans cette occasion ?

GÉRASTE.

Moi ? je sais ce que c’est que de voler un père

À quatorze ans je fis même chose à ma mère.

Dans le trafic mon père espérant m’élever,

Me mandait qu’au plutôt j’allasse le trouver.

Pour aller avec lui faire un voyage en Perse.

Mais moi, qui n’avait point de penchant au commerce,

Je formai le dessein de quitter mes parents.

Ayant pris à ma mère environ mille francs,

Le fort me conduisit du côté de la guerre,

Où bravant ce que craint le reste de la Terre

En cent occasions, j’ai grâce au Ciel appris,

À n’appréhender rien pour servir mes amis.

FRONTIN.

Peste ! en beaux sentiments la guerre est instructive.

Or ça, nous allons donc agir quoiqu’il arrive,

Car, pour Lysette, ardente à tout exécuter,

Nous n’avons pas besoin de la solliciter.

À cet air résolu que son front fait paraître,

À cette ardeur d’agir, elle nous fait connaître,

Que dans l’occasion prompte à se signaler,

Elle n’est ni d’humeur, ni fille à reculer.

LYSETTE.

N’en pense point railler.

FRONTIN.

Non, je te rends justice,

Depuis que dans ce siècle où règne l’artifice,

Les femmes à fourber ont trouvé des appas,

J’en ai vu punir cent qui ne te valaient pas.

LYSETTE.

C’est toi, qui le premier m’en as montre l’usage.

Aussi pour te payer de cet apprentissage,

J’espère que le Ciel favorable à ma voix,

Fera publiquement couronner tes exploits.

CLITANDRE.

Ne perdons point le temps en discours inutiles.

FRONTIN.

C’est bien dit. Employons-le à des soins plus fertiles.

Allez vous préparer, et revenez ici.

À Crispin.

Tu demeures. Va donc te préparer aussi.

CRISPIN.

Avant que de partir, apprends-moi je te prie ;

Frontin, si dans le cours de cette fourberie,

Quelque soufflet m’attend ?

FRONTIN.

Oh pour des soufflets non ;

Va nous prenons la chose un peu plus haut d’un ton.

Une passe au collet en est le prix.

CRISPIN.

Oh passe ;

Car de tant de soufflets, tout-franc ma joue est lasse.

Il s’en va.

FRONTIN.

J’ai l’air sous cet habit d’un Mars en raccourci.

Avec ce front soldat, rodons autour d’ici,

Une seconde fois du bonhomme de père,

Nous aurons la cassette, Mais avec son frère

Je l’aperçois qui vient. Sortons.

 

 

Scène II

 

MONSIEUR GUIGNON, MONSIEUR JÉRÔME

 

MONSIEUR GUIGNON.

Sans compliment ;

Vous me voyez ici porteur des sentiments

De Monsieur des Moulins, pour fuir la procédure :

Je viens savoir de vous si vous voulez conclure

Un accord avec lui, pour rompre le dédit

De quatre mille écus portez dans le susdit,

Il vous en donne deux payables dans une heure

Moyennant quoi vers vous, franc et quitte il demeure ;

Et dans un bon Écrit que vous lui passerez,

De vos prétentions vous vous désisterez.

De faire cet effort vous sentez-vous capable ?

JÉRÔME.

La somme, dites-vous, dans une heure est comptable ?

Des douze mille francs, ce n’est que la moitié.

Mais, n’importe, en faveur de la bonne amitié

Que j’ai toujours pour lui, quoi qu’il ait pu me faire,

Je n’ai de volonté que la sienne, mon frère.

Le Ciel m’en est témoin ; oui, charitablement

J’accepte le parti.

GUIGNON.

L’effort est grand vraiment.

Il viendra vous querir lui-même pour vous rendre

Tous deux dans mon Étude, où je vais vous attendre.

Adieu.

Il s’en va.

JÉRÔME.

Deux mille écus. Bon, c’est autant de pris.

Pour apaiser le trouble où flottent mes esprits,

Cet argent à propos... Mais que vois-je paraître ?

Que viens-tu faire ici ?

 

 

Scène III

 

MONSIEUR JÉRÔME, FRONTIN

 

FRONTIN.

De la part de mon maître

Et de la mienne aussi, je viens vous annoncer

Une guerre éternelle à ne jamais cesser.

JÉRÔME.

Quoi ? Coquin...

FRONTIN.

Apprenez, chétive créature,

Avant que d’en venir brusquement à l’injure

À connaître les gens devant qui vous parlez.

Sous l’étendard de Mars nous sommes enrôlez,

Mon maître et moi. Soldats des pieds jusqu’à la tête,

Venez, petit bourgeois, venez d’un air honnête

Rendre pavillon bas, ce que vous devez tous,

Vous autres Casaniers, aux Soldats comme nous.

JÉRÔME.

Toi Soldat. Ah vraiment le changement est drôle.

Pour épousseter un peu cet Amadis de gaule ;

Un bâton, un bâton.

FRONTIN.

Ah ventre, ah tête, ah mort,

Bâtonner un Soldat ! Lâche, arrête, ou ton sort,

Contre qui vieux Penard déjà ma bile gronde ;

Pourrait bien sans Trompette aller en l’autre monde.

JÉRÔME.

Je te crains bien. Approche. Il faut qu’à tours de bras

Je te donne cent coups.

FRONTIN.

Ne vous y frottez pas.

JÉRÔME.

Que n’ai-je quelque outil pour te casser la tête !

Mais n’importe, ces poings...

FRONTIN.

Ne soyez pas si bête.

JÉRÔME.

Tu suis, lâche, attends-moi, cette main que voilà ;

De soufflets...

FRONTIN.

N’allez pas vous jouer à cela.

JÉRÔME.

Poltron !

FRONTIN.

Pauvre homme, allez je vous donne la vie.

JÉRÔME.

Le vaillant Champion !

FRONTIN.

Mais je vous signifie,

Qu’avant qu’il soit demain vous saurez qui je suis.

JÉRÔME.

Et que me feras-tu ?

FRONTIN.

Craignez ce que je puis.

JÉRÔME.

Qui moi te craindre ?

FRONTIN.

Oui, vous. D’un danger manifeste

Vous êtes menacé. Je vous l’annonce.

JÉRÔME.

Zeste.

FRONTIN.

Pour vous porter au cœur les coups les plus profonds,

Vous serez attrapé par moi.

JÉRÔME.

Je t’en réponds.

FRONTIN.

Oui, oui, pour nous venger de votre humeur avare,

Nous aurons la cassette encore un coup.

JÉRÔME.

Tarare.

FRONTIN.

Ou demain, ou tantôt, ou ce soir, jour ou non,

Nous vivrons à gogo de votre argent.

JÉRÔME.

Bon, bon.

FRONTIN.

Oui, malgré vos bons bons, vos zestes, vos tarares,

Et vos je t’en répons, inhumains et barbares ;

Mon maître, et moi, nous vous volerons, et ceci,

Est plus vrai, qu’il n’est vrai que vous êtes ici.

JÉRÔME.

Oui, malgré tes projets, tes soins et ta menace,

Je me moque de toi. Pour vous le cœur de glace,

Je vous ferai, ton maître et toi, pendre, et cela

Est plus vrai, qu’il n’est vrai, coquin, que te voilà.

FRONTIN.

Nous verrons qui de nous fera plus véritable.

JÉRÔME.

C’est trop longtemps souffrir ta présence coupable,

Ôte-toi de mes yeux, sors, Traître, ou ma fureur

Déchargera sur toi les chagrins de mon cœur,

Voyez comme de moi cet insolent se joue ;

Mais si je le tenais...

 

 

Scène IV

 

JÉRÔME, LYSETTE

 

LYSETTE.

Monsieur...

JÉRÔME, lui donnant un soufflet.

Coquin !

LYSETTE.

La joue...

JÉRÔME.

Quoi ! ce n’est pas Frontin qui se présente à moi ?

Et qui donc a reçu ce soufflet ? ah c’est toi.

N’importe, il n’est pas mal donné. Tu le mérites

Autant que lui du moins, à tes tours illicites

Ma main devait cela.

LYSETTE.

Va, tu me le paieras.

JÉRÔME.

Qui te fait, insolente, ici porter tes pas ?

Oses-tu bien encor y paraître effrontée ?

LYSETTE.

J’y viens pour faire voir que je suis insultée

À tort, et que ce nom ne m’est nullement dû,

Vous apprendre, Monsieur, que vous êtes perdu.

JÉRÔME.

Moi ?

LYSETTE.

Vous-même. Il se dresse un projet effroyable

Un coup pernicieux, un complot détestable,

Contre vous.

JÉRÔME.

Contre moi. Qu’est-ce donc ?

LYSETTE.

Votre fils.

Avec Frontin le traître, et cinq ou six amis,

Veut cette nuit, poussé du Démon qui l’inspire...

J’ai frémi de l’entendre, et je tremble à le dire.

JÉRÔME.

Parle, ne me tiens point davantage en suspens.

LYSETTE.

Vous saurez donc, Monsieur... Ah qu’est-ce que j’entends ?

JÉRÔME.

Ce n’est rien.

LYSETTE.

Avec vous, s’il fallait, qu’on m’eût vue,

Ah, Monsieur, je serais une fille perdue.

JÉRÔME.

Ne crains rien.

LYSETTE.

Il faut voir, pour m’ôter de souci,

Si quelqu’un n’est point là.

JÉRÔME.

Non.

LYSETTE.

En cet endroit-ci

N’y voyez-vous rien ?

JÉRÔME.

Non, on ne peut nous entendre.

Parle vite.

LYSETTE.

Et de là ne peut-on nous surprendre ?

JÉRÔME.

Encor moins.

LYSETTE.

Votre fils s’est enrôlé Soldat,

Pour commettre sur vous un horrible attentat,

Ayant de scélérats une infâme cohorte,

Il prétend cette nuit enfoncer votre porte,

Se montrer enivré de la rage et du vin,

Dans votre appartement, les armes à la main,

Sans pitié vous lier aux pieds de votre couche,

Vous mettre sans respect : un bâillon dans la bouche,

Et d’une main impie, enlever à vos yeux

Ce qui se trouvera chez vous de précieux.

JÉRÔME.

L’exécrable coquin ! quel œil, et quelle oreille !

Ciel ! entendit jamais, ou vit chose pareille ?

Scélérat ! à ce point peut-on être insensé ?

Voilà de quoi Frontin m’a tantôt menacé.

Mais d’où sais-tu cela ? dis. Par quelle tendresse.

Qui t’oblige à venir m’avertir ?

LYSETTE.

Ma maîtresse.

Votre fils devant elle a tantôt résolu

Ce malheureux projet. Le pouvoir absolu ;

Que tyranniquement il s’est acquis sur elle,

L’oblige à ne lui rien répliquer ; mais son zèle,

Et l’horreur que lui cause une telle action,

Font qu’elle a pris pour vous de la compassion ;

Voulant vous avertir de ce dessein infâme,

Elle m’a commandé d’y venir.

JÉRÔME.

La bonne âme !

Je ne l’aurais pas crû. Mais il faut promptement

M’opposer aux desseins de ce franc garnement.

Par un peu de prudence empêchons ce désordre

Et sans perdre de temps, allons-y donner ordre.

LYSETTE.

Où courez-vous ?

JÉRÔME.

Je vais, avant qu’il soit plus tard,

Chercher un Commissaire, il saura de ma part,

Pour empêcher mon fils et son dessein d’éclore,

Le mettre à saint Lazare.

LYSETTE.

Ignorez-vous encore.

Que ses amis et lui, sont comme en garnison,

Et n’abandonnent pas de l’œil cette maison.

À peine suis-je entrée ici sans être vue,

En divers pelotons ils occupent la rue :

Deux ici. Quatre là. Huit autour du logis,

Rodent le nez couvert chacun d’un manteau gris.

S’ils vous voient sortir à présent, chose sûre,

Ils ne feraient non plus de façon, je vous jure,

De vous percer le test d’un coup de pistolet,

Qu’un Rôtisseur en fait de tuer un poulet.

JÉRÔME.

Que faire ? où donc aller ? hélas ! que deviendrai-je ?

LYSETTE.

Nous n’avons qu’un moyen pour détourner ce piège,

Le voici. Ma maîtresse et mol, démon avis,

Voulons absolument rompre avec votre fils.

Pour cela, dès tantôt sans tarder davantage,

Prenant l’occasion de ce remue-ménage,

Nous nous absenterons toutes deux du logis,

Pour reprendre demain le chemin du pays.

Comme votre fils l’aime avec grande tendresse,

Appliquant tout son fout à chercher ma maîtresse,

Il abandonnera celui de vous voler.

À la Justice alors vous pourrez seul aller,

Monsieur, et prudemment le faisant mettre en cage.

Nous pourrons en repos achever le voyage.

JÉRÔME.

C’est bien dit. Que le Ciel daigne allonger vos jours ;

Sans vous, je me voyais hors d’espoir, de secours.

Les bonnes gens !

LYSETTE.

Je vais sans davantage attendre,

Diligemment porter chez un Orfèvre et vendre

Cet Anneau, pour partir et prendre les devants.

Au premier qui voudra l’acheter je le vends

À bon marché.

JÉRÔME.

Voyons cet Anneau.

LYSETTE.

Ma Maîtresse

Dit qu’il est d’un grand prix ; mais comme le temps presse,

Je voudrais en trouver quatre ou cinq cents écus,

JÉRÔME, bas.

Quatre ou cinq cents écus : il en vaut mille et plus,

Achetons-le.

LYSETTE.

Donnez que j’aille au Lapidaire.

JÉRÔME.

Non n’allez pas plus loin, je ferai votre affaire.

LYSETTE.

Qui, vous ?

JÉRÔME.

Oui, le plaisir que vous m’avez rendu

N’a point été semé dans un pays perdu.

J’ai de l’honneur.

LYSETTE.

Hélas ! on le voit sans rabattre.

Donner cinq cents écus...

JÉRÔME.

Non les cinq, mais les quatre,

Je vais vous les compter.

LYSETTE.

Ah que vous êtes bon !

Mais qu’est-ce que j’entends ? c’est votre fils.

JÉRÔME.

Non, non.

LYSETTE.

Cachez-moi, s’il vous plaît, ou bien je suis perdue.

 

 

Scène V

 

GÉRASTE, en Commissaire, CLITANDRE, en Clerc, FRONTIN et CRISPIN, en Sergents, JÉRÔME, LYSETTE

 

GÉRASTE, à Jérôme.

Monsieur, si sans respect je m’offre à votre vue,

Pardonnez-moi, j’y suis forcé par mon devoir,

Ma robe à vos regards explique mon pouvoir.

Une fille d’honneur vient d’être assassinée.

Celle qui de ce coup horrible est soupçonnée

Fait, à ce qu’on m’a dit, son asile chez vous.

Je viens pour l’y chercher.

JÉRÔME.

Volontiers, devant tous.

Je n’en ai, je proteste, aucune connaissance.

Cherchez-la.

GÉRASTE, voyant Lysette.

Cette fille a grande ressemblance.

À celle que l’on vient de me dépeindre.

LYSETTE.

Moi ?

GÉRASTE.

Toi ? sans dissimuler parle de par le Roi.

Autrement...

LYSETTE.

Hé, Monsieur, ne faites rien de grâce ;

Je vais tout avouer. Oui, c’est moi dont l’audace,

Au sein de ma Maîtresse a porté le poignard,

Mais c’est par le conseil d’un autre, un autre à part

Au coup.

GÉRASTE.

Qui t’a portée à cette rage extrême ?

LYSETTE.

C’est ce maudit Vieillard.

GÉRASTE.

Monsieur ?

LYSETTE.

Oui.

JÉRÔME.

Moi ?

LYSETTE.

Vous même.

JÉRÔME.

Oh Ciel ! peut-on mentir...

GÉRASTE.

Paix, laissez-la parler.

LYSETTE.

Non, je ne veux plus rien, Monsieur, dissimuler.

Son fils éperdument adorait ma maîtresse.

Pour ôter à ses yeux l’objet de sa tendresse,

Le Traitre m’inspira le barbare dessein,

Ainsi que j’ai fait, de lui percer le sein,

Moyennant mille écus dont il m’à fait promesse,

Il m’avait demandé l’Anneau de ma maîtresse.

Après le crime fait, pour n’en pouvoir douter,

Il le tient, et l’argent qu’il allait me compter.

JÉRÔME.

Ah quelle fausseté, Monsieur, pouvez-vous croire...

GÉRASTE.

Non. À dire le vrai, l’action est si noire ;

À votre air vénérable elle convient si peu,

Que mon cœur en secret rejette son aveu,

Et je ne vous crois point l’âme si criminelle ;

Mais comme cependant l’apparence est pour elle,

Je ne puis au récit qu’elle vient de conter,

Me dispenser, Monsieur, de vous faire arrêter.

Holà, Sergents, à moi.

JÉRÔME.

Monsieur, je vous proteste

Que je puis devant vous confondre cette peste.

Écoutez.

GÉRASTE.

Je ne puis.

JÉRÔME.

Comment donc ? on la croit.

Quand...

GÉRASTE.

La Justice est juste, elle vous fera droit ;

Mais la formalité quoi qu’on s’en formalise,

Veut avant, qu’en prison, Monsieur, je vous conduise,

Que dans votre maison je fasse tout iceler,

Ma charge me l’ordonne, et je vais y voler.

Vous, Sergent et Recors, dont la foi m’est connue,

Prêtiez vos prisonniers, et gardez-les à vue,

Jusques à mon retour. Vous, suivez-moi, mon Clerc,

Il s’en va avec Clitandre qui est déguisé en Clerc.

JÉRÔME.

Sorcière, âme damnée, infâme qui me perd,

Qui t’oblige à cracher ton venin sur ma vie ?

Souffrez que je la tue, ou que je l’estropie.

Hé, Monsieur le Sergent, permettez qu’à mon choix.

Je vous lui...

CRISPIN.

Je n’entends point du tout le François.

JÉRÔME.

Vous le parlez pourtant.

CRISPIN.

J’en sais bien le langage,

Mais je ne l’entends point.

JÉRÔME.

Ah quel tourment ! j’enrage,

Monseigneur le Recors entendez-vous ma voix ?

Frontin baragouine.

JÉRÔME.

Plaît-il ?

Frontin continue son baragouin.

J’aimerais mieux avoir deux Iroquois

Hélas ! qui me pourra tirer de cette peine ?

Mais voici du secours que mon bonheur m’amène.

Ah Monsieur, qu’à propos vous venez dans ces lieux,

On me charge, on m’impute un forfait odieux.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR DES MOULINS, MONSIEUR JÉRÔME, LYSETTE, FRONTIN, CRISPIN

 

DES MOULINS.

Comment ?

LYSETTE, bas.

Cet homme ici vient mal.

JÉRÔME.

Cette Mégère,

Après avoir tué une fille étrangère,

Sous l’ombre de venir me vendre cet Anneau,

M’accuse de son crime, et m’en fait le bourreau.

DES MOULINS.

Que vois-je ? quel Anneau se présente à ma vue ?

LYSETTE, bas.

Ne nous effrayons point, montrons-nous résolue.

DES MOULINS, à Jérôme.

Par quel sort cette bague est-elle dans vos mains ?

JÉRÔME.

Demandez-lui, pour moi j’ignore ses desseins.

LYSETTE, bas.

Soutenons jusqu’au bout ce tragique mystère.

DES MOULINS, à Lysette.

D’où te vient cet Anneau ?

LYSETTE.

D’une fille étrangère.

DES MOULINS.

Comment s’appelle-t-elle ?

LYSETTE.

Elmire.

DES MOULINS.

Justes Cieux !

Hé, dis-moi, cette fille est elle dans ces lieux ?

LYSETTE.

Oui.

DES MOULINS.

D’où vient ?

LYSETTE.

Elle et moi venions avec sa mère,

Nous rendre dans Paris par l’ordre de son père,

Contre un écueil sur mer le Navire échoua,

Nous gagnâmes le bord, la mère se noya.

Toutes deux à Paris nous avions su nous rendre.

Le hasard nous fit voir son fils, nommé Clitandre,

Il aima ma maîtresse, elle à son tour l’aima.

Contre ces feux naissants ce fou ce gendarma,

Il me gagna sous main pour leur être contraire,

Et je l’ai fait mourir enfin pour lui complaire.

DES MOULINS.

La pauvre fille est morte !

LYSETTE.

Elle est morte, et voilà

Le crime que m’a fait commettre ce chien-là.

DES MOULINS, à Jérôme.

Monstre issu de l’enfer, assassin, parricide,

Sais-tu de qui, méchant, tu t’es fait l’homicide.

Apprends que cette fille, ô Ciel ! qui l’aurait crû,

Immolée à ta rage, est ma fille, ta bru.

LYSETTE

Votre fille !

DES MOULINS.

Oui ma fille.

LYSETTE.

Et vous, êtes son père ?

DES MOULINS.

Oui. C’est moi qui donna cette bagne à sa mère ;

Lors que je l’épousai dans Rome, où mon malheur

M’avait pour trafiquer fait suivre un grand Seigneur,

Désirant voir ma femme et mes enfants en France,

De cet homme maudît je cherchai l’alliance

Mais, malheureux, il faut...

FRONTIN, ôtant sa barbe.

Doucement, doucement,

Né portez pas plus loin votre ressentiment,

Votre fille est vivante.

DES MOULINS.

Elle vit.

FRONTIN.

Chose sûre.

DES MOULINS.

Pourquoi feindre sa mort, dis ?

FRONTIN.

Pour une aventure

Que vous allez savoir.

JÉRÔME.

Le Recors est Frontin.

FRONTIN.

Oui, pour vous détromper, je me démasque enfin,

Nous voulions vous voler, c’était là le mystère.

JÉRÔME.

Comment.

FRONTIN.

Votre fils fait le Clerc du Commissaire ;

Le Commissaire même est Géraste.

DES MOULINS.

Mon fils ?

FRONTIN.

Oui lui. Pour être tous ensemble réunis.

Va querir promptement ta Maîtresse, Lysette.

LYSETTE.

J’y cours.

JÉRÔME.

Montons là-haut pour sauver ma cassette.

FRONTIN.

Allons. Là mieux qu’ici vous pourrez tout savoir,

Et puis de nos amants vous remplirez l’espoir.

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