Le Claperman (Alexis PIRON)

Opéra-comique en deux actes et en vaudevilles, précédé d’un prologue, et suivi d’un divertissement.

Représenté pour la première fois, à Paris, à la Foire Saint-Germain, le 3 février 1724.

 

Personnages du Prologue

 

L’AMOUR

APOLLON

CALLIOPE

TERPSICORE

 

La scène est sur le mout Parnasse.

 

Personnages de l’Opéra-comique

 

MONSIEUR GAUTIER

MADAME GAUTIER

MONSIEUR GARGUILLE

MADAME GARGUILLE

ARLEQUIN, valet de monsieur Garguille

SCARAMOUCHE, amant d’Olivette

MEZIZETIN, bourgeois

OLIVETTE, servante de monsieur et madame Garguille

PERRETTE, femme d’Arlequin

TROUPE DE VILLAGEOIS, dansants

TROUPE DE VILLAGEOISES conduites par mademoiselle Sallé

TROIS BOURGEOIS

DANSEURS

DANSEUSES

 

La scène est dans une ville de Hollande.

 

 

PROLOGUE

 

 

Scène première

 

L’AMOUR, représenté par un vieillard, ailé comme le temps, ayant une calotte à oreilles, et des cheveux blancs, avec un grosse bourse à la main, des sacs remplis d’argent pendus à sa ceinture, et une coignée sur l’épaule, au lieu de carquois

 

Air : Dedans nos bois il y a un hermite.

Avec le temps tout change de nature,
L’enfant devient barbon ;
Pourrait-on croire, en voyant ma figure,
Que je suis Cupidon ?
N’ai-je pas bien et l’air et la manière
Du dieu de Cythère,
Moi ?
Du dieu de Cythère ?

Air : Je ne suis né ni roi ni prince.

Jadis, avec délicatesse,
Je triomphais par la finesse
De l’esprit et du sentiment ;
Aujourd’hui qu’elle est dédaignée,
Et que l’on n’aime que l’argent,
Je triomphe à coups de coignée.

Air : Les filles de Nanterre.

Les écus sont mes armes,
La bourse est mon carquois ;
J’ai transféré mes charmes
À la rue Quincampois.

 

 

Scène II

 

L’AMOUR, CALLIOPE

 

CALLIOPE.

Quelle vilaine figure est-ce là ?

L’AMOUR.

Bonne femme, serais-je ici sur le Parnasse ?

CALLIOPE.

Bonne femme ! Songez que vous parlez à l’ainée des neuf pucelles. Oui, vous êtes sur mes terres, bon homme ; et qu’y venez-vous faire ?

L’AMOUR...

Bon homme ! Sachez que vous parlez à l’Amour.

CALLIOPE.

Vous, l’Amour ?

L’AMOUR.

Vous, Calliope ?

TOUS DEUX.

Vous vous moquez.

CALLIOPE.

L’amour est un bel enfant, qui a des ailes couleur de roses, un carquois mignon, des flèches dorées, un bandeau galant ; et te voilà fait comme un vieux bûcheron, crasseux à faire enfuir les passants.

L’AMOUR.

Calliope était l’ainée des neuf pucelles, qui par conséquent leur devait l’exemple ; et je la vois grosse à pleine ceinture.

CALLIOPE.

Insolent ! Il y a grossesses et grossesses : celles de Cythère, et celles du Parnasse.

Je suis grosse, il est vrai ; mais des âmes bien nées,
Nos grossesses jamais ne furent condamnées,

L’AMOUR.

Oserait-on demander de quel prodige vous devez accoucher ?

CALLIOPE.

Air : Ami, sans regretter Paris.

D’un poème tout des plus beaux,
Qui doit en valoir onze.

L’AMOUR.

Dites-nous le nom du héros ?

CALLIOPE.

C’est le cheval de bronze.

L’AMOUR.

N’est-ce pas vous qui êtes accouchée déjà du héros de la Henriade ?

CALLIOPE.

Vous me parlez d’une fausse couche : c’en sera ici une vraie. On ne parlera plus du cavalier, on ne parlera que du cheval.

L’AMOUR.

Voici une figure bien autrement hétéroclite !

CALLIOPE.

Air : Adieu voisine.

Je vous laisse avec Apollon.

L’AMOUR.

Adieu donc Calliope.

CALLIOPE.

Adieu le beau petit poupon.

L’AMOUR.

Adieu charmante gaupe.

CALLIOPE.

Adieu vieux fou, vilain barbon.

L’AMOUR.

Adieu salope.

 

 

Scène III

 

L’AMOUR, APOLLON

 

APOLLON, habillé comme M. Tout-à-bas l’est dans le Joueur, et jouant sur une flûte à l’oignon l’air du Mirliton, alors tout nouveau.

Air : Du Mirliton.

Chantez ma gloire immortelle,
Fille du grand Jupiter !
C’est de ma docte cervelle,
Qu’est sorti le nouvel air :
J’ai du mirliton, mirliton, mirlitaine, etc.

L’AMOUR.

Air : Ah, ah, vous avec bon air.

Ah, ah, la plaisante espèce !
Le joli dieu du Permesse !

APOLLON.

Le beau dieu de la tendresse !
Bon air vous avez.

TOUS DEUX, ensemble.

Ah, vous avez bon air ! Ah, vous avez bon air ! etc.

L’AMOUR.

Air : Du poulailler de Pontoise.

De vieux crins pour chevelure !
Est-ce là le blond Phœbus ?

APOLLON.

Et là le fils de Vénus ?
Il n’en a pas la ceinture.

L’AMOUR.

D’un cuistre, plus que d’un dieu ;
Je vous trouve l’encolure.

APOLLON.

Je vous trouve plus que peu,
Celle d’un fesse-Mathieu.

L’AMOUR.

Ami, disons la vérité. Ne nous flattons point, comme feraient de vieilles coquettes et de jeunes beaux-esprits. Nous ne sommes plus reconnaissables, le maudit temps détruit tout.

APOLLON.

Et cela, je le gagerais, comme nos vendeuses de modes, pour y revenir. Cependant

Air précédent du Mirliton.

Il n’épargne dans sa course,
Ni mon mérite infini,
Ni votre unique ressource,
La beauté des femmes, ni
Notre...

Il achève l’air sur la flûte à l’oignon.

L’AMOUR.

Nous ne finirons pas. Au fait. Je venais pour une consultation.

APOLLON.

De quoi s’agit-il ? Voyons. De quoi puis-je être encore capable pour votre service ?

Air : Joconde.

Qui vous amène de si loin ?

L’AMOUR.

La santé de mon frère.
Le pauvre Hymen a grand besoin
De votre ministère.
Depuis longtemps il est perclus,
Et presque en léthargie :
Il ne montre enfin presque plus
Aucun signe de vie.

APOLLON, à la Cantonade.

Holà, ho ! Qu’on m’apporte ma robe et mon bonnet.

À l’Amour.

Attendez : car je suis le maître-Jacques du Parnasse ; et ceci s’adresse au dieu de la médecine.

Il met sa robe et son bonnet.

Eh bien, vous dites ?

L’AMOUR.

Que le harnois ne fait pas le cheval, ni l’habit le...

APOLLON.

Non ; mais la robe fait le médecin. Or çà ; vous dites donc que votre frère l’Hymen,

Air : Tu croyais en aimant Colette.

Au dommage de la nature,
D’un mal étrange est attaqué.

L’AMOUR.

Oui vraiment : et si cela dure ;
Tout l’univers est confisqué.

Air : L’amour plait malgré ses peines.

C’est un désordre incroyable :
Les sages-femmes, sans moi,
Grâce au sommeil qui l’accable,
N’auraient presque plus d’emploi.

APOLLON.

Cela tire à conséquence : il faut l’éveiller.

Air : Je reviendrai demain au soir.

Le Sommeil est un insolent :
De cet impertinent (bis.)
Peut-être ai-je plus, entre nous,
À me plaindre que vous. (bis.)

L’AMOUR.

Et quel mal vous fait-il, et vous peut-il faire ?

APOLLON, mettant bas sa robe.

Attendez : voici qui regarde le dieu de la poésie et de l’éloquence.

Air : Réveillez-vous, belle endormie.

Quand pour la scène je compose,
Il assoupit le spectateur :
Quand je fais plaider une cause,
Il fait ronfler le sénateur.

Sur le ton de déclamateur.

Ainsi de tous côtés ;
Par ce persécuteur sans relâche insultés,
Mes chef-d’œuvres cent fois n’ont pu se faire entendre,
Et j’ai perdu le fruit que j’en devais attendre.
Ah ! vengeons les lauriers des perfides pavots...

L’AMOUR.

À vos vêtements, je m’aperçois du tort qu’il vous a fait. Mais vous vous vengerez ; et de reste, du Sommeil et des dormeurs, quand vous voudrez, en leur donnant de mauvais rêves. Songeons d’abord au pauvre Hymen.

APOLLON.

Laissez-moi faire. J’imagine un secret pour l’éveiller, qui vaudra bien le bruit des cloches. Je vais inspirer à tous les officiers municipaux des villes dépeuplées, la pensée d’instituer des Clapermans. Chaque ville aura son Claperman.

L’AMOUR.

Son Claperman ! Quelle bête est-ce là ? Un Claperman !

APOLLON.

Un Claperman, ce sera un homme payé pour tambouriner par les rues, sur les deux ou trois heures du matin, et qui, par le bruit qu’il fera, chassera le Sommeil des lits conjugaux...

L’AMOUR.

Des lits conjugaux ! C’est bien dit : c’est de là qu’il ne bouge plus.

APOLLON.

Ce sera à vous à prendre alors sa place, et à faire le reste.

Air : Du camp de Porcher-Fontaine.

Dans chaque ville un Claperman ;
Avant l’étoile poussinière,
Fera dans la rue un cancan
À si bien réveiller ton frère,
Patapatapan, patapan, patapan, panpan !
Qu’il dansera, vantons-nous-en.

Holà, Terpsicore ! Toi qui fais de si belles élèves[1], allons quelques petites gambades devant ce moderne Cupidon, pour le ragaillardir.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

MONSIEUR GARGUILLE, MADAME GARGUILLE

 

MADAME GARGUILLE, d’un ton sévère.

Monsieur Garguille, je n’aime point que vous parliez comme cela devant cette servante. C’est une jeune éveillée ; cela ne pense qu’à rire. Il n’y faut pas donner lieu. Il faut mesurer ses paroles plus que vous ne faites.

MONSIEUR GARGUILLE.

Madame Garguille...

MADAME GARGUILLE.

Mon Dieu, les vilains noms que les hommes souvent font porter à leurs femmes ! Madame Garguille !

Air : Le fameux Diogène.

Et oui, monsieur Garguille,
Cette petite fille
Se gâtera chez nous.
Parlez en sa présence
Avec plus de décence ;
J’en rougissais pour vous.

MONSIEUR GARGUILLE.

Air : Ton himeur est, catérene
Quoi ! pour avoir voulu d’elle
Savoir si notre serin
Était ou mâle ou femelle,
Vous me faites tout ce train !
Bientôt si le ciel m’envoie
Enfants de votre façon,
Vous ne voudrez pas qu’on voie
Si c’est fillette ou garçon.

MADAME GARGUILLE.

Courage. Voilà toujours de leurs sots propos. Mon Dieu, que les hommes libertins sont sots !

MONSIEUR GARGUILLE.

Mon Dieu, que les prudes ont l’imagination libertine, et sont ridiculement précieuses !

MADAME GARGUILLE.

Je ne dirais rien, si vous n’aviez que de mauvais propos devant elle ; mais vous prenez, et elle vous laisse prendre de petites libertés qui ne me plaisent point.

MONSIEUR GARGUILLE.

Mon Dieu, ma femme, que vous êtes fâcheuse avec vos sottes délicatesses ! Eh, divertissez-vous, riez, et laissez rire les autres.

MADAME GARGUILLE.

Que je me divertisse ! Oh ! j’aime mes devoirs, et non mes plaisirs. Imitez-moi. Ne voudriez-vous pas que je ressemblasse à notre voisine madame Gautier ?

Air : Voici les dragons qui viennent.

Et que j’eusse la folie
De courir partout ?
D’aller, comme une étourdie,
Au bal, à la comédie ?
Et que sais-je où ?
Et que sais-je où ?

MONSIEUR GARGUILLE.

Pourquoi non ? Vous feriez mieux que de gronder, et que de médire. Ne parlez pas mal de madame Gautier ; elle est gaie, et n’en est pas pour cela moins honnête femme. J’en connais de très sérieuses qui...

MADAME GARGUILLE.

Brisons là, de grâce. Revenons à Olivette ; je veux la marier.

MONSIEUR GARGUILLE.

Je ne demande pas mieux.

MADAME GARGUILLE.

J’ai de bonnes raisons pour cela.

MONSIEUR GARGUILLE.

Et moi aussi.

MADAME GARGUILLE.

C’est ma filleule, une fois ; elle a seize ans ; il est de mon devoir de veiller à sa conduite et à son établissement.

Air : Vous m’entendez bien.

La jeunesse fait tant d’écarts !
Et souvent des moindres retards
Le danger est extrême.

MONSIEUR GARGUILLE.

Fort bien.

MADAME GARGUILLE, d’un ton mystérieux.

Peut-être que vous-même...
Vous m’entendez bien.

MONSIEUR GARGUILLE.

Parfaitement bien. Je suis de votre sentiment. Je la destine à Scaramouche qui en est amoureux.

MADAME GARGUILLE.

Bon, bon, amoureux ; il est bien ici question de cela ! Je ne veux point de votre Scaramouche ; ce n’est qu’un débauché qui ne serait point son fait. Je lui donne Arlequin, le fils de notre rentier. C’est un bon garçon, simple, mais rangé : une femme ne peut manquer d’être heureuse avec cela. Je l’ai mandé. Il doit être ici aujourd’hui ; et demain ce sera une affaire faite. Cependant, comme il n’est pas trop à son aise, et que vous avez quelque crédit en cette ville, vous feriez bien de lui procurer un petit emploi lucratif. J’ai songé, par exemple, à celui de Claperman.

MONSIEUR GARGUILLE.

Oui-dà, de tout mon cœur, L’emploi est à ma disposition : je le lui donne.

 

 

Scène II

 

MONSIEUR et MADAME GARGUILLE, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Serviteur, monsieur Garguille.

MONSIEUR GARGUILLE.

Bonjour, mon ami...

ARLEQUIN.

Et vous de même, madame Garguille.

MADAME GARGUILLE.

Vas te promener, avec ta madame Garguille. Ne saurais-tu dire, monsieur et madame, tout court ?

ARLEQUIN.

Madame et monsieur tout court, votre valet.

MADAME GARGUILLE.

Tu ne sais pas pourquoi je t’ai mandé ?

ARLEQUIN.

Oh que si-fait ! C’était afin que je vinsse.

MONSIEUR GARGUILLE.

Nous te voulons marier. Veux-tu prendre femme ?

ARLEQUIN.

Oh, donnez ! Des femmes et du vin j’en prends tant qu’on veut ; mais surtout des femmes.

Air : Des fraises.

Je me sens, grâce au destin,
D’une humeur épousante :
J’en prendrais de toute main,
M’en donnât-on dès demain
Vingt, trente,
Quarante,
Cinquante.

MADAME GARGUILLE crie.

Olivette ! Olivette !

MONSIEUR GARGUILLE.

On ne t’en donnera qu’une ; mais sois sûr d’avoir ta suffisance.

MADAME GARGUILLE crie plus fort.

Olivette ! Olivette !

 

 

Scène III

 

MONSIEUR et MADAME GARGUILLE, OLIVETTE, ARLEQUIN

 

OLIVETTE.

Que vous plaît-il, madame ?

MADAME GARGUILLE.

On a bien de la peine à vous avoir, m’amie.

OLIVETTE, faisant la niaise.

Ma foi, c’est que vous ne m’appelez jamais que pour me gronder ; et on ne se presse pas pour cela.

MONSIEUR GARGUILLE, lui passant la main sous le menton.

La petite friponne ! elle a plus d’esprit qu’elle n’est grosse.

MADAME GARGUILLE, à son mari.

Trêve de badineries !

À Olivette.

Je vous appelle pour vous dire que je vais vous marier.

OLIVETTE, lui sautant au cou.

Ah, ma bonne marraine, si j’avais deviné cela, je me serais rompu le cou à la descente des degrés !

MADAME GARGUILLE, à son mari qui éclate de rire.

Riez, riez ; voilà bien de quoi : au lieu...

À Olivette.

Air connu.

Comment donc, petite effrontée ?
Doit-on répondre à cela si gaiement ?
Quand on vint m’en dire autant,
On me vit toute épouvantée ;
Quand on vint m’en dire autant,
Je m’évanouis à l’instant.
Comment donc petite effrontée ?
Doit-on répondre à cela si gaiement ?

OLIVETTE.

Oh, madame, nous autres pauvres filles de village, il ne nous appartient pas de nous évanouir comme cela, pour un oui, ou pour un non ; et nous ne donnerions pas, pour ce privilège là, la commodité qu’on nous laisse, d’y aller tout simplement.

MONSIEUR GARGUILLE, la baisant.

Vas, tu vaux de l’or ; tu dis des merveilles.

MADAME GARGUILLE.

Ah, oui ! vous faites, et elle dit là de belles choses ! Or ça, belle jaseuse, regardez-moi ce garçon là ; voilà celui à qui je vous destine. Vous faites la mine, je crois ? Cela vous irait bien.

ARLEQUIN.

Je ne sais pas comme elle me trouve ; mais pour moi, je la trouve bien jolie.

OLIVETTE.

Je n’y regarde pas de si près ; pourvu qu’il épouse, il est le bien venu.

Air : Lon lan la deriri.

Qu’un mari soit bien ou mal fait,
Que m’importe, pourvu qu’il ait,
Lon lan la derirette,
Pourvu qu’il ait un bon esprit,
Lon lan la deriri ?

MADAME GARGUILLE.

C’est là penser en fille raisonnable.

Air : Allons à la guinguette, allons,

Puisque tous deux
Vous avez su vous plaire ;
Ce soir je veux
Aller chez le notaire,
Et nous contracterons.

ARLEQUIN et OLIVETTE.

Allons, allons, allons chez le notaire, allons.

MONSIEUR GARGUILLE, à sa femme.

Air : Des trembleurs.

Mais du moins soyez exacte
À faire insérer dans l’acte,
De cet hymen qu’on contracte,
Les qualités de l’amant ;
En faveur de la filleule,
Et pour cette raison seule,
Outre qu’il est fort en gueule,
Je l’établis Claperman.

À Arlequin, sur le ton du dernier vers.

Oui, Cla, claperman, man, man.

ARLEQUIN.

Je suis Cla cla cla cla per man man man ! Et qu’est-ce que je serai, quand je serai cela ?

MONSIEUR GARGUILLE.

Un des hommes des plus utiles de la république. Tel naîtra dans le cours de ton exercice, et sera peut-être la gloire et l’ornement de son siècle, qui te devra la naissance.

ARLEQUIN.

Diantre ! ce ne sont pas là des vétilles. Voyons, qu’aurai-je à faire pour en venir là ?

MONSIEUR GARGUILLE.

Peu de chose. Il te faut d’abord avoir un bon tambour, en battre de toutes tes forces par les rues, sur les deux ou trois heures du matin, et chanter ensuite à tue-tête cette chanson-ci :

Air : Des ramoneurs.

Maris, que l’on se réveille !
Voici l’aurore vermeille ;
De la part des magistrats,
Ramonez ci, ramonez là, la la la,
Les cheminées du haut en bas.

MADAME GARGUILLE.

Allons, Olivette, marchez ; n’écoutons pas ces sottises là.

Elle sort.

OLIVETTE.

Des sottises ! Où sont-elles donc ? Je n’en vois point là. Un Claperman, selon moi, vaut mieux qu’un crieur d’eau-de-vie ; ce que j’y trouverais à dire, monsieur, c’est que la femme du Claperman sera, me semble, la seule qui pourrait n’y pas trouver son compte.

MONSIEUR GARGUILLE.

Tais-toi, innocente. Tu entends bien peu tes intérêts. Demande aux femmes des cavaliers du guet.

MADAME GARGUILLE, derrière le théâtre.

Olivette ! Olivette ! Vous ne viendrez pas ?

OLIVETTE, tendant la main à Arlequin.

À revoir, mon cher Claperman.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR GARGUILLE, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Eh puis, dites que j’ai tort d’être homme à prendre.

Fin de l’air.

Des femmes de toute main ;
M’en donnât-on dès demain,
Vingt, trente,
Quarante,
Cinquante.

Comme ces drôlesses là raisonnent bien ! dites. Est-il rien en effet de plus dangereux qu’une cheminée mal ramonée ? Le feu s’y met ; et puis après, c’est le diable pour l’éteindre. Mais, dites-moi donc, je ne ferai donc cette charge là qu’une fois ou deux par an, n’est-ce pas ?

MONSIEUR GARGUILLE.

Toutes les nuits, mon ami : tu es payé pour cela.

ARLEQUIN.

À quoi bon ? Les cheminées ramonées une fois ou deux par an, je crois que c’est assez.

MONSIEUR GARGUILLE.

Fais ton devoir, ou ne t’en mêle pas ; tu auras de bons appointements, sans compter le tour du bâton. Achète seulement un bon tambour, et retiens bien la chanson. Dès cette nuit il faut que tu entres en exercice. Adieu ; je vais chez le compère Gautier.

À part.

Je suis ravi que d’elle-même ma femme ait fait choix de ce butor là pour Olivette, et ravi de lui donner un emploi qui lui fasse courir les rues la nuit,

 

 

Scène V

 

ARLEQUIN, MADAME GARGUILLE

 

ARLEQUIN.

De bons appointements, et le tour du bâton ! Cela est bon à prendre. Il y a quinze jours que je suis marié à Perrette ; on me marie à Olivette : femme à la ville, femme à la campagne ; prenons encore : tout cela va le mieux du monde. Ah, vous voilà, madame Garguille ! Grand-merci, aussi-bien qu’à M. Garguille. Il m’a donné une bonne charge ; et vous, une jolie fille.

MADAME GARGUILLE, après avoir visité partout, pour n’être point ouïe.

Ce n’est pas tout, mon ami ; tiens voilà pour t’avoir un bon tambour ; et cette nuit, tu trouveras une bouteille de vin, qui t’attendra à notre porte.

Air : Du camp de Porcher-Fontaine.

Mon époux est un négligent.
Quand tu feras ta promenade,
À notre porte exactement
Tous les matins donne l’aubade.
Patapatapapan, patapan, pan, pan,
Réveille-le, tambour battant.

Le voici ; je ne veux pas qu’il nous entende : suis-moi ; je te dirai le reste.

 

 

Scène VI

 

MONSIEUR GAUTIER, MONSIEUR GARGUILLE

 

MONSIEUR GARGUILLE.

Je vous cherchais, mon cher voisin. Quand je vous ai rencontré, vous m’avez paru tout pensif. Quoi ! qu’avez-vous dans l’esprit ? Vous n’avez fait que vous lamenter tant que nous avons été ensemble, jusqu’au moment où nous sommes arrivés chez moi. Qu’est-ce qui cause votre mélancolie ?

MONSIEUR GAUTIER.

Ah, monsieur Garguille, vous êtes né galant homme et compatissant. Je vous dis ce que je ne dirais à personne : je me suis marié pour avoir une femme. Je suis marié, et je n’en ai point. Elle sort dès qu’elle est levée et coiffée, et ne rentre précisément que pour se coucher.

MONSIEUR GARGUILLE.

Les mœurs du temps, mon pauvre monsieur Gautier, les mœurs du temps !

MONSIEUR GAUTIER.

Il y a quinze jours que je ne l’ai vue qu’aux flambeaux.

MONSIEUR GARGUILLE.

Les femmes sont mieux là dans leur jour qu’en plein midi.

MONSIEUR GAUTIER.

Et tous les jours la même chanson. Je vais diner chez la commère une telle : je souperai chez le compère celui-ci. Et je m’attends que bientôt elle me viendra dire : je couche chez le compère celui-là. Enfin, elle me fuit, elle me hait visiblement. Ne suis-je pas le plus malheureux des maris ?

MONSIEUR GARGUILLE.

Non ; jusqu’à mon veuvage, ou celui de ma femme, je vous disputerai ce titre là.

MONSIEUR GAUTIER.

Vous n’y pensez pas, M. Garguille. Votre femme ne saurait vous quitter.

MONSIEUR GARGUILLE.

Et vous n’appelez cela rien ? C’est en quoi je suis bien autrement malheureux que vous ; car cela lui donne contre moi l’humeur que je vous vois contre votre femme ; et vous m’avouerez que cela rend la vie bien dure.

MONSIEUR GAUTIER.

La vie bien dure ! La vie bien dure ! La voilà bien à plaindre ! Il est vrai que je peste contre elle en son absence, et que je l’attends toujours dans une ferme résolution de la bien quereller, et même quelquefois de la battre. Paraît-elle : ce n’est plus moi. Et qui tiendrait contre une jeune folle, qui rentre en dansant, en riant, en vous sautant au cou ? Tenez, vous me voyez en ce moment dans une colère de diable, et la voici : je gagerais presque que dans un moment je n’y serai plus.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR et MADAME GAUTIER, MONSIEUR GARGUILLE

 

MADAME GAUTIER, sans voir son mari.

Air : Chantez, petit Colin, etc.

Que j’envierais le sort
De madame Garguille !
Le jour son mari sort,
La nuit jamais il ne s’endort.
Le mien, comme un vrai gille,
Dine, soupe en famille :
Jamais il ne rit,
Et passe la nuit
À ronfler au lit.

Apercevant son mari, et courant l’embrasser.

Ah, vous voilà ! Je parlais toute seule de vous ; car je ne songe qu’à vous.

MONSIEUR GAUTIER.

Vous songiez encore à monsieur Garguille.

MONSIEUR GARGUILLE.

Oui, madame : je vous en remercie, et suis fort content de mon portrait.

MONSIEUR GAUTIER.

Pour moi, vous ne me peigniez pas en beau. D’où venez-vous à l’heure qu’il est ? Dine-t-on jusqu’à huit heures du soir ?

MADAME GAUTIER.

Je viens, mon petit cœur, d’un endroit où j’ai fait provision de belle humeur, pour jusqu’à ce que j’y retourne.

Air : Flon flon, larira dondaine.

Quinze ou vingt fois à table
J’ai changé de couvert ;
Bons vins, chère admirable,
Puis après le dessert ;
Flon flon, larira dondaine ; flon flon, larira dondon.

MONSIEUR GARGUILLE, éclatant de rire, répète.

Flon flon, larira dondaine ; flon fion, larira dondon

MONSIEUR GAUTIER, furieux, à sa femme.

Qu’appelez-vous, flon flon ? M’osez-vous dire à mon nez...

MADAME GAUTIER gaiement.

Air : Cotillon de Thalie.

Oui, monsieur ; que les violons
Nous ont fait danser de toutes façons.
Il fallait voir comme avec grâce,
Nous nous trémoussions,
Quand nous dansions
Les rigaudons !
Et puis après les rigaudons,
On a fait danser tous les cotillons.

MONSIEUR GARGUILLE, cabriolant.

Ah ! il me semble y être.

MADAME GAUTIER.

Allez, allez, on m’en peut croire. Je m’en suis donné, pour ma part, au cœur joie.

MONSIEUR GAUTIER.

Et vous croyez que je serai toujours d’humeur...

MADAME GAUTIER.

Si vous saviez combien je l’ai vantée, votre humeur ; car je me fais une gloire de publier que vous l’avez très belle. Je suis sûre, au bien que je dis de vous, que, sans vous en douter, vous êtes adoré des femmes.

Air : Lampons, lampons.

Je dis que mon cher époux
À bien l’esprit le plus doux,
Qui soit de Paris à Rome ;
Et que vous êtes un homme

Lui passant la main sous le menton.

Tant bon, tant bon,
Qu’on ne voit rien de si bon.

MONSIEUR GAUTIER, en colère.

Tant bon, tant bon ! Je le sais bien : je ne l’ai que trop été ; mais je me lasse de l’être, entendez-vous ? Et je prétends bien désormais veiller sur votre conduite.

MADAME GAUTIER.

Air : Dormez, Roulette.

Dormez tranquille.
Vous ne ferez par vos soins,
Que vous échauffer la bile,
Sans qu’il en soit plus ni moins.

Mais non, à propos ; vous ne dormirez pas si tranquille qu’on dirait bien. Voilà M. le magistrat qui peut vous apprendre la création d’un Claperman, dont la fonction sera d’éveiller messieurs les hommes endormis.

MONSIEUR GARGUILLE.

Êtes-vous donc à le savoir ?

Air : La bonne aventure, ô gué.

Ici tout nouvellement
La magistrature,
Pour nous éveiller gaiement,
Établit un Claperman.

MADAME GAUTIER.

La bonne aventure, ô gué !
La bonne aventure !

Air : Allons gai, toujours gai, etc.

Je ne fais point la sotte.
Dès que je l’entendrai,
Près de vous, côte-à-côte,
Tout bas je chanterai :

MONSIEUR GARGUILLE et MADAME GAUTIER, ensemble.

Allons gai, toujours gai, d’un air gai, talalaleri, etc.

MADAME GAUTIER.

Air : Elle se prit à dire.

Et vous aurez beau dire :
Non, non, je ne veux pas rire !
Point de quartier.

Air : Talaleri, Talaleri.

Vous me trouverez si plaisante,
Qu’eussiez-vous l’âme, en pareil cas,
Mille fois plus récalcitrante
À l’ordre de nos magistrats,
Je vous forcerai bien à rire.

Elle prend Gautier et Garguille par les mains, et danse avec eux.

Talaleri, talaleri, talalerire...

MONSIEUR GAUTIER, ne pouvant se tenir de rire.

Eh bien, ne vous le disais-je pas ? Y a-t-il moyen de se fâcher contre cela ? Je ris, et pour tant j’enrage.

Il sort.

MADAME GAUTIER courant après, toujours dansant.

Air : Ne levez pas tant votre cotillon.

Mon ami, mon petit mari...

 

 

Scène VIII

 

MADAME GAUTIER, MONSIEUR GARGUILLE

 

MADAME GAUTIER, continuant l’air.

Divertissons nous, le voilà parti.

Qu’en pensez-vous, notre cher voisin ? Suis-je sur le bon ton ? Il faudra bien que cette nuit encore il avale une petite pilule ; car j’aimerais mieux je ne sais quoi faire, que de n’être pas du bal que donne madame Chapron.

MONSIEUR GARGUILLE.

Un bal, cette nuit, chez la bonne Chapron ? Oh, parbleu, vous m’y verrez ! Je m’habillerai en femme.

MADAME GAUTIER.

Et moi, en joli cavalier.

MONSIEUR GARGUILLE.

Et de ce pas je vais m’y préparer.

MADAME GAUTIER.

J’y serai avant vous.

 

 

Scène IX

 

ARLEQUIN avec son tambour, TROUPE DE FEMMES qui lui donnent de l’argent, MADAME GAUTIER

 

ARLEQUIN.

Eh oui, madame !

À sa gauche.

Oui, madame

À droite et à gauche et aux environs.

Oui, vous dis-je, mes dames, ne vous inquiétez pas : vous serez tambourinées, que rien n’y manquera, ou il n’y aura pas de ma faute.

TROUPE DE FEMMES, se mettant en cercle autour de lui, chantent en dansant.

Air : Toque mon tambourin toque.

De ta chansonnette
Ressouviens-toi bien ;
Et que ta baguette,
Sans ménager rien,

Chorus.

Toque ton tambourin toque, toque ton tambourinet.

UNE VOIX.

Rends-nous bon service,
Gentil Claperman ;
Fais bien ton office,
Patapatapan.

Chorus.

Toque ton tambourin toque, toque ton tambourinet.

UNE VOIX.

Point de préférence ;
Sois juste entre-nous :
Point de complaisance
Pour les vieux époux.

Chorus.

Toque ton tambourin toque, toque ton tambourinet.

UNE VOIX.

Sois infatigable ;
Fais bien du fracas.
Tambourine en diable :
Frappe à tour de bras.

Chorus.

Crève ton tambourin, crève, crève ton tambourinet.

 

 

Scène X

 

ARLEQUIN, MADAME GAUTIER

 

ARLEQUIN.

Par la ventre bille, voilà des femmes qui ont bien soin de leurs cheminées !

MADAME GAUTIER.

Écoute, mon ami...

ARLEQUIN.

Encore ! Eh, mon dieu, madame Gautier, ne vous embarrassez pas ; je vois d’ici votre porte. J’y ferai plus de bruit qu’à toute autre : vous verrez.

MADAME GAUTIER.

Eh, tout au contraire ! Garde-t-en bien, malheureux. Je veux m’échapper cette nuit, dès que mon mari sera endormi. Ne viens pas l’éveiller. Tiens ; les autres t’ont donné pour faire bien du bruit : voilà le double pour n’en point faire.

ARLEQUIN.

Que cela soit dit. Tenez-vous en repos ; je m’y tiendrai

Seul.

Voici un bon métier. On me paie pour agir, on me donne le double pour ne rien faire : il n’y a qu’à gagner.

Il sort en chantant sa chanson d’ordonnance.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

SCARAMOUCHE, à la porte de M. Garguille

 

Air : Comment faire.

On dit qu’Olivette aujourd’hui
Se marie à je ne sais qui ;
Je n’ai donc plus rien à prétendre !
Tous mes soins seraient superflus :
C’est chose faite ; et je n’ai plus
Qu’à me pendre.

Air : Mordienne de vous.

Eh bien, pendons-nous !
Qu’à cela ne tienne !
Ça, je m’y résous.
Mais pourtant, mordienne,
Mordienne de vous,
Double et triple chienne !
Mordienne de vous...
Ça, ça, vengeons-nous.

Air : Belle brune, belle brune,

Qu’elle enrage !
Qu’elle enrage !
Voyant un si beau pendu,
Qu’elle dise : c’est dommage.
Qu’elle enrage !
Qu’elle enrage !

Air : Les foires de Champagne.

Là-haut, au grand clou que voilà,
Moyennant une chaise,
Attachons cette corde là ;
Et puis, tout à son aise,
De là-haut, mon dessus saura
Ce que mon dessous pèse.

Il va prendre un banc et monte dessus.

Air : Jean, faut-il tout vous dire ?

Mais quoi, perdre le goût du pain,
Ne plus jamais boire de vin,
Plier sitôt bagage !
Allons un peu plus bride en main ;
Ne pourrions-nous, jusqu’à demain,
Remettre le voyage ?

Il descend et rêve.

Air : Non, non, il n’est point de si joli nom.

Non, non,
Point de quartier ! point de pardon !
Vengeons-nous de la volage !
Non, non,
Point de quartier ! point de pardon !
C’est faire aussi trop de façon.

En fureur.

Air de Lanturelu.

Le courroux m’embrase ;
J’y suis résolu !
Abrégeons la phrase ;
J’aurais déjà dû,
Depuis que je jase,
Quatre fois m’être pendu.

Il se rapproche de la porte, auprès de laquelle trouvant une bouteille, il chante d’un ton modéré.

Lanturelu ! lanturelu ! lanturelu !

Il y goûte.

Oh, voici qui change bien la thèse ! Qui diable a mis là cette bouteille ?

Air : Quand le péril est agréable.

Entre le vin et la potence,
Le ciel ici m’offre le choix.
Encore au vin, pour cette fois,
Donnons la préférence.

J’entends du bruit. C’est peut-être celui à qui appartient la bouteille, qui vient la prendre.

Il chante en fuyant.

Les oiseaux sont dénichés.
Talari, talari, talari la la, Talari, talari la la.

 

 

Scène II

 

PERRETTE, COLETTE, TROUPE DE VILLAGEOIS et DE VILLAGEOISES, venant de grand matin au marché

 

PREMIER VILLAGEOIS.

Ma foi, j’avons en nous levant pris la lune pour le soleil. Je crois, au noir qu’il fait, qu’il n’est qu’à peine minuit, et que ce n’est pas encore aujourd’hui demain.

SECOND VILLAGEOIS.

Si-fait ; car j’entends sonner trois heures. Mais il faut dire vrai ; je nous sons trop pressés : car ce n’est pas de trois heures d’ici qu’on défarmera les boutiques...

PREMIER VILLAGEOIS.

Dites donc, compère ; devant que je fussions mariés, je n’étions pas si matineux que ça.

TROISIÈME VILLAGEOIS.

Oh, dame ! c’est que, voyez-vous, devant que je fussions embâtés de nos femmes, j’étions déjeunes éveillés que rian n’empêchait de dormir que des filles, qui dormiont aussi bian loin de leux côté.

PREMIER VILLAGEOIS.

Morgué, que t’as bien raison ! et que tu parles bien ! Jarniguoi, le bon temps que c’était ! Je n’en sommes pas si loin encore, qui ne nous en ressouvienne, et que je n’y voudrissions bien r’être.

PERRETTE.

Comme ces vilains hommes habillent leurs femmes ! et pis je les écoutons, quand ils nous en content ! Semble-t-il pas que je les embarrassions bien, et qu’ils nous font bien endever, quand ils font les indifférents ? Ne vlà-t-i pas un rare oisiau qu’un homme ! Comme si, dans tous les temps, je n’en avions pas à choisir plus que nous ne voulons. Il n’y a que quinze jours que j’en ai un ; je n’en dis rian : mais, foi d’honnête femme, il n’est pas couché que je voudrais qu’il fût levé.

PREMIER VILLAGEOIS.

Taisez-vous donc, madame Perrette, vous pensez mieux que vous ne dites. Vous n’êtes pas de si matin aveuc nous pour des prunes. Ne voyons-je pas que vous ne venez que pour à cause de votre biau colitichet d’Arlequin, qui s’en allit hier, et qui fait déjà l’école buissonnière ?

SECOND VILLAGEOIS.

Çà, ça, courons les rues, toujours chantant, attendant que le jour vienne.

TROISIÈME VILLAGEOIS.

C’est bian dit : et pour égayer madame Perrette, quemançons par danser ici un petit branle.

Ils se prennent tous par les mains, et se mettent en rond.

UN HOMME.

Air : Vivons pour ces fillettes, vivons.

Près de nos femmes je dormons.

Les hommes font chorus

Près de nos femmes je dormons.

Voix seule.

Pis, du grand matin je sautons
À bas de nos couchettes.
Vivons pour ces fillettes,
Vivons,
Vivons pour les fillettes.

Chorus.

Vivons, etc.

Excepté que les femmes disent.

Vivez pour les fillettes,
Vivez,
Vivez pour les fillettes.

UNE FEMME.

Par ma fi, je nous en gaussons ; (bis.)
Gnia-t-il pas tant de bons garçons
Qui nous content fleurettes ?

Chorus des femmes.

Je fons comme vous faites,
Je fons,
Je fons comme vous faites.

UN HOMME.

Tant mieux, morgué ; pensez-vous donc (bis.)
Que ça nous lanterne ? Oh, que non !
Je ne sommes si bêtes.

Chorus des hommes

J’aimons besogne faite,
J’aimons,
J’aimons besogne faite.

Chorus des femmes.

Nous, j’aimons à la faire,
J’aimons,
Nous j’aimons à la faire.

UNE FEMME.

Lé monsieux vous font la leçon, (bis.)
Leux femme’ont biau faire, ils n’avont
Jamais martel en tête.

Chorus.

Vivons à la franquette,
Vivons,
Vivons à la franquette.

UN HOMME.

Thomas fait l’amour chez Lucas ;
Lucas fait l’amour chez Thomas ;
Blaise aime la femme à Colas ;
Colas, la femme à Blaise.

Chorus, en s’en allant.

Vivons tout à notre aise,
Vivons,
Vivons tout à notre aise.

Tous s’en vont, excepté Perrette et Colette.

 

 

Scène III

 

PERRETTE, COLETTE

 

COLETTE.

Allons donc, Perrette ; remets ton clayon sur ta tête, et marche avec les autres.

PERRETTE.

Laisse-moi de repos, Colette ; je n’ai pas envie de rire comme zeux ; j’en fais les frimes : mais, tiens, j’ai des souleurs de queuque stratagème. Arlequin vint hier à la ville ; il n’eût tenu qu’à lui de se retrouver à la maison. Il pourrait y avoir là queuque andouille sous roche.

COLETTE.

Quoi, pour une nuit sur la quinzaine, te voilà en l’air : Mais tu me dégoûterais du mariage ; si l’on y prenait tant de goût, le plaisir y serait une galère.

PERRETTE.

Ce n’est pas tant le plaisir que tu t’imagines, qui me chiffonne, que la peur qu’il n’aille en imaginer ailleurs ; car, entre nous, il est si bête qu’il n’y a sottise qu’il ne s’imagine : et cette nuit j’ai fait un rêve qui me tarabuste, et qu’il faut que je te conte. Tu me diras ce que tu en penses.

COLETTE.

Vas te promener avec tes rêves, et ceux qui en pensent quelque chose ; ma pensée là-dessus, c’est que de part et d’autre ce ne sont que des rêves.

PERRETTE.

Oh, il y a rêve et rêve. Écoute le mien, et te mets à ma place ; tu verras si ça ne te tracasserait pas comme moi.

COLETTE.

Écoutons donc ce rêve, et voyons.

PERRETTE.

Tu verras de la façon que sont faits les hommes du jour d’aujourd’hui, que je pourrais bien tout en rêvant, avoir rêvé vrai. Il me semblait donc comme ça, que je tenais un oisiau, genti comme tout. Son plumage était de toutes les couleurs ; des pattes blanches, une aile cramoisie, l’autre bleue ; la queue varte, le corps rouge, le bec jaune : le perroquet de madame, au prix, n’était rien. Et moi de le baiser, de le caresser : lui de me becqueter mignonement. Tout çà, un temps, pour mon compte allait comme il faut ; quand ne vlà-ti pas que je ne sais comment, l’oisiau s’en va tout en loques ; pattes blanches, aile bleue, queue varte, corps rouge, rien ne m’est resté que le bec jaune. Acoute donc : vlà un rêve qui n’est pas sans queuque signifiance. Cet oisiau là m’a bian de l’air d’Arlequin. Et le bec jaune qui m’est demeuré, qu’en penses-tu ? Que ça veut-il dire ?

COLETTE.

Mais ça ne veux rien dire ; sinon que tu dormais, et que tu rêvais.

PERRETTE.

Il a été du temps domestique dans le châtiau. Les valets, vois-tu, fréquentont leux maîtres ; ça les gâte bien.

COLETTE.

Eh bien, s’il fait comme lé messieux, te voilà bien embarrassée ; fais comme les madames : à bon chat bon rat.

PERRETTE.

Diantre ! les hommes ne voulont pas que ce soit de même. Et... mais j’entends du bruit ; sauvons-nous, et regagnons notre compagnie.

 

 

Scène IV

 

ARLEQUIN, TROIS BOURGEOIS en robe de chambre

 

ARLEQUIN, après avoir battu du tambour derrière le théâtre, entre en chantant sa chanson.

Voici l’aurore vermeille,
Maris, que l’on se réveille,
De la part des magistrats ;
Ramonez ci, ramonez là,
La la la,
Les cheminées du haut en bas.

Les Bourgeois lui donnent des coups de bâton.

ARLEQUIN.

Air : Yvance, yavance, avec ton chapiau d’ordonnance.

Là, là, là ! tout doucement,
Je suis un pauvre Claperman ;
Que fais-je donc qui vous offense ?

PREMIER BOURGEOIS.

Yavance, yavance, yavance,
Avec ta chanson d’ordonnance.

Remarque bien cette rue où tu viens de passer : si tu t’avises jamais d’y revenir, nous doublerons la dose.

ARLEQUIN.

Air : Tu croyais, en aimant Colette.

Messieurs, ma charge est innocente ;
Les magistrats sont les pécheurs :
Quand une pièce est déplaisante,
Doit-on s’en prendre aux afficheurs ?

SECOND BOURGEOIS.

Suffit ; nous n’avons que faire d’avis pour ramoner nos cheminées. Nous savons bien ce que nous avons à faire ; et que, pour notre repos, nous avons besoin du sommeil de nos femmes.

ARLEQUIN.

Eh, mais, messieurs, comment voulez-vous que je fasse ? Je suis payé pour cela.

TROISIÈME BOURGEOIS.

Eh bien, fais comme tu voudras : continue à ton aise ; tu tireras d’un sac deux moutures.

Air : La faridondaine, la faridondon.

De nos magistrats le paiement
N’est qu’une bagatelle,
Et que le moindre émolument
De ta charge nouvelle.
Ceci, c’est le tour du bâton,
La faridondaine, la faridondon,
Que te paiera chaque mari,
Biribi,
À la façon de barbari, mon ami.

Bondi signor.

 

 

Scène V

 

ARLEQUIN

 

Sont-ce là les tours de bâton de mon emploi ? Tous les employés aux fermes puissent-ils n’en avoir jamais d’autres !

 

 

Scène VI

 

ARLEQUIN, SCARAMOUCHE, MEZZETIN

 

ARLEQUIN, à part, et tapi dans un coin à la faveur des ténèbres.

Ne serait-ce pas encore ici quelque tour de bâton ?

SCARAMOUCHE.

Air : Des trembleurs.

Dis-moi donc ce qui t’irrite ;
Quelle rage ainsi t’agite ?
Qui diable te fait si vite
Courir la rue à tâtons ?

MEZZETIN.

Maugrebleu, je cherche un homme,
Que le Claperman l’on nomme,
Qu’il faut que de coups j’assomme.

ARLEQUIN, bas.

Encore un tour de bâton.

SCARAMOUCHE.

Et quel mal t’a-t-il fait ce pauvre diable de Claperman ?

MEZZETIN.

Ne vois-tu pas que je boîte tout bas, et que je ne saurais me soutenir ? C’est lui qui en est cause.

SCARAMOUCHE.

Lui ! Et comment cela ?

MEZZETIN, se plaignant.

Tu le vas savoir. Ce notaire, chez qui j’étais clerc, il y a quelques jours... Ouf !

SCARAMOUCHE.

Eh bien, est-ce que tu n’es plus chez lui ?

MEZZETIN, criant.

Non. Il me chassa hier. Ahi !

SCARAMOUCHE.

Après. Viens au Claperman. Que tout cela y fait-il ?

MEZZETIN, jetant encore un plus grand cri.

Patience : tu y vas bien à ton aise ! Si tu souffrais autant que moi... Maudit Claperman !... Si je te tenais...

SCARAMOUCHE.

Tu ne le tiens pas. Finis, si tu veux.

MEZZETIN, grimaçant.

La femme du notaire m’avait donné rendez-vous à minuit, dans la chambre de son mari, pour m’apprendre, dès qu’il dormirait, la cause de mon congé. Il ronflait. Elle s’était glissée hors du lit. Nous jasions sur un canapé : elle m’apprenait :

Air : Bouchez, naïades, vos fontaines.

Qu’il craignait, comme elle est jolie,
Que dans la grande confrérie
Je ne lui donnasse un brevet ;
Pour ne pas tromper son attente,
Nous allions d’un double cachet,
Elle et moi sceller sa patente.

SCARAMOUCHE.

Oui, oui, quand le Claperman...

MEZZETIN.

Pan, pan, pan, avec son maudit tambour, suivi de sa sotte chanson, est venu faire à la porte un bruit du diable.

SCARAMOUCHE.

Et le mari s’est éveillé ?

MEZZETIN.

Quoi donc ? Et se trouvant seul, il saute à bas du lit, et courant de-çà, de-là, comme un forcené, pendant que sa femme y rentrait, m’a mis en tel trouble et tel embarras, qu’ayant pris la fenêtre pour la porte, je n’ai fait qu’un pas d’un second étage dans la rue ; et non pas si fort, de plain-pied, que la cheville n’en ait furieusement souffert.

Là il jette un cri perçant, et s’appuie sur l’épaule de Scaramouche.

SCARAMOUCHE.

Il y a là vraiment de quoi gagner une entorse.

MEZZETIN.

Après être resté quelque temps sur le pavé sans remuer, la fureur m’a remis, tant bien que mal, sur pied ; et l’envie d’assommer le chien de Claperman, m’a prêté la force de courir les rues, comme un enragé ; m’en prenant à tous les passants. Je venais déjà de couper deux ou trois visages ; et j’en allais faire autant au tien, si tu, ne t’eusses fait connaître. Ah, le cœur et les jambes me manquent ! Retraîne-moi à la maison.

 

 

Scène VII

 

ARLEQUIN

 

Ahi, ouf ! À la fin je respire : je ne crains plus rien. J’ai de meilleures jambes que lui. Qu’il revienne ! Et demain au plus tard, je prétends bien aller demander de quoi boire à M. le notaire, pour l’obligation qu’il m’a. Çà, çà, songeons à notre devoir.

Il bat du tambour et chante.

Maris, que l’on se réveille, etc.

Allons dans cette rue...

Il donne, dans l’obscurité, contre le clayon de fromage à la crème qu’avait laissé Perrette, et tombe le nez dedans ; il se relève tout barbouillé.

Air : Et frou, frou, frou, et gué, gue, gué.

Mon nez a fait un grand trou
Dans quelque chose de mou ;
J’ai quelque peur...
Mais à l’odeur,
Je prends courage.

Il se lèche légèrement les lèvres.

La peste ! j’ai du bonheur,
C’est d’excellent fromage.

Air : Gnia pas d’mal à ça.

Et quand je débute,
Si par-ci par-là,
Je fais quelque chute
Comme celle-là,
Gnia pas d’mal à ça !
Gnia pas d’mal à ça !

Cela vaut mieux que le tour du bâton. Mais ce n’est pas tout que du fromage, il faut du vin ; madame Garguille m’a promis que j’en trouverais une bouteille à sa porte ; et m’y voici, je pense : commençons par tambouriner.

Il prend la porte de madame Gautier pour celle de madame Garguille ; et après une chamade, il chante.

Voici l’aurore vermeille,
Maris, que l’on se réveille,
De la part des magistrats ;
Ramonez ci, ramonez là,
La, la, la,
La cheminée du haut en bas.

 

 

Scène VIII

 

MADAME GAUTIER, revenant du bal en cavalier, ARLEQUIN

 

MADAME GAUTIER, en fureur.

Air : Mordienne de vous.

Tais-Toi, malheureux !
Vas à l’autre porte,
Faire, si tu veux,
Un bruit de la sorte.
Mordienne de toi !
Le diable t’emporte !
Mordienne de toi,
Et de ton emploi !

ARLEQUIN.

Je suis un homme public. J’appellerai le guet... Prenez garde à qui vous parlez, monsieur.

MADAME GAUTIER.

Eh, maraud, je ne suis pas monsieur, je suis madame, et celle qui t’ai donné tantôt le double des autres, pour ne point faire de bruit à cette porte !

ARLEQUIN.

Ah, ah, monsieur, vous êtes madame Gautier ? Eh oui ! En effet, ce n’est point ici la porte de madame Garguille ; car je ne vois point de bouteille.

MADAME GAUTIER.

Je suis au désespoir ! Sa maudite aubade aura réveillé mon gros dormeur. Le joli qui-pro-quo que tu as fait là !

ARLEQUIN.

Air : Ma raison s’en va bon train.

J’ai d’épais un pouce ou deux,
De fromage sur les yeux :
Vous voyez comment,
Dans le firmament,
Nulle étoile ne brille ;
Ainsi j’ai donc aveuglément
Pris Gautier pour Garguille,
Lon la,
Pris Gautier pour Garguille.

Mais ce qui est différé n’est pas perdu. Patience, madame Gautier ; je vais bien faire un autre bruit à la porte de madame Garguille, qui m’a donné pour cela de l’argent, et promis bouteille.

Il va à la porte de madame Garguille.

Ah, m’y voilà, m’y voilà, pour le coup !

Il cherche et ne trouve point la bouteille, qu’a emportée Scaramouche

N’importe : gagnons notre argent.

Il bat du tambour et chante.

Maris, que l’on se réveille !
Je ne vois point de bouteille ;
De la part des magistrats,
Ramonez ci, donnez-moi-la,
La la la,
La cheminée du haut en bas.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR GARGUILLE, babillé en femme, MADAME GAUTIER, ARLEQUIN

 

MONSIEUR GARGUILLE, lui donnant un grand coup de pied dans le cul.

Air : Après la bataille

Animal infâme,
À quoi penses-tu ?
Tu réveilles ma femme,
Me voilà perdu...

MADAME GAUTIER.

Le maladroit ne vient-il pas d’en faire autant devant chez moi !

ARLEQUIN.

Oh, pour le coup, M. Garguille, ce n’est plus ma faute. Madame Garguille m’a payé pour y venir. Que ne m’avez-vous, ainsi que madame Gautier, donné le double, pour n’en rien faire ?

MONSIEUR GARGUILLE.

Ah, madame Gautier, quel contretemps !

MADAME GAUTIER.

Ah, M. Garguille, je suis une femme perdue !

MONSIEUR GARGUILLE.

Air : Pierre Bagnolet.

Que ferai-je ? quel parti prendre ?
Nous allons voir un beau fracas.
Pour le coup, je dois bien m’attendre...

MADAME GAUTIER.

Bien plus que vous ne suis-je pas
Dans l’embarras,
Dans 1’embarras ?
Mais nous n’avons qu’à nous entendre,
Nous nous tirerons de ce pas.

Paix ! Voici mon mari qui sort. Écartons-nous un peu, à la faveur de l’obscurité, pour nous concerter, et l’écoutons. Tout ceci finira en riant.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR et MADAME GAUTIER, MONSIEUR GARGUILLE, ARLEQUIN

 

MADAME GAUTIER.

Claperman, es-tu là ?

ARLEQUIN.

Oui, monsieur, me voici. Je battais à la porte de M. Garguille, où je croyais trouver une bouteille de vin que devait y avoir mise madame Garguille, et que je n’y trouve point. Ne me l’auriez-vous pas soufflée ?

MONSIEUR GAUTIER.

Parlons bas. Écoute : n’as-tu pas trouvé quelqu’un en ton chemin dans cette rue ?

ARLEQUIN.

Oh, oui, monsieur ; je n’en ai que trop rencontré en mon chemin, dont les uns m’ont étrillé, et lés autres m’ont bien fait peur !

MONSIEUR GAUTIER, apercevant M. Garguille habillé en femme, et le prenant pour la sienne.

Ne bouge, et ne dis mot. Je crois tenir ce que je cherche. N’aperçois-tu pas, à quelques pas d’ici, une dame avec un cavalier ? Approchons, et tâchons d’entendre ce qu’ils se disent.

MADAME GAUTIER.

Adieu, mon chère marquis ! Je crains bien que le Claperman n’ait réveillé le bon homme.

Air : J’ai passe deux jours sans vous voir.

J’attends l’instant de vous revoir
Avec impatience.

MONSIEUR GAUTIER.

C’est elle, c’est sa voix : le délit est flagrant ! bon !

MONSIEUR GARGUILLE.

Ce moment fait tout mon espoir.
Ah, quelle différence
Je trouve de ma femme à vous !

MADAME GAUTIER.

Et moi, de vous à mon époux.

MONSIEUR GAUTIER, en fureur, empoignant, dans l’obscurité, M. Garguille habillé en femme.

Ha ! ha ! Je vous y attrape donc une bonne fois ! Eh, oui, oui ! il y a bien de la différence entre M. le marquis et moi. Il te cajole ; et moi, je ne vais morbleu pas te cajoler, je t’en réponds. Allons, allons ; marche, avance !

Il pousse chez lui M. Garguille, qui pleure et jette les hauts cris ; et il verrouille à grand bruit la porte, après l’avoir fermée de même.

 

 

Scène XI

 

MADAME GAUTIER, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN, étouffant de rire.

Dites donc, madame Gautier ; la bonne scène qui va se passer là, entre le mari de madame Garguille et le vôtre !

Air du Gourdin.

Le vôtre, osant lever la main,
Voudra jouer du gourdin :
L’autre saura se défendre,
Quel tapage ! Quel esclandre !
Cependant, il fera beau m’entendre
Faire office de Claperman.
Et patapatapan,
Tirrelan tan plan.

Air : Des forgerons de Cythère.

Puis, sur un autre ton,
Et me faisant de fête,
Au lieu de ma chanson,
Je crierai à tue-tête :
Frappez, frappez, frappez fort
Sur la male-bête,
Frappez, frappez, frappez fort,
Et frappez d’accord.

MADAME GAUTIER.

Vas, vas, cela n’ira pas comme tu crois. Il n’y aura guère de coups de donnés. Le pauvre M. Gautier ne sera pas le plus fort.

Air : Talaleri, talalerire.

Je m’en fie à monsieur Garguille,
À qui j’ai bien fait la leçon ;
Un mot finira la bisbille,
Et le tout ira de façon
Que chacun finira par rire.
Talaleri, talaleri, talalerire.

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR GAUTIER à sa fenêtre, MADAME GAUTIER, ARLEQUIN

 

MONSIEUR GAUTIER.

Air : Lassi, lasson, la sombre dondaine.

Mon galant capitaine !
Si vous avez la tête un peu saine,
Ne prenez plus la peine
De rôder près de nous.
J’ai, pour vous, tiré tous les verrous.
Vous aimez à chasser,
À passer, repasser ;
Courez la pretentaine :
Chassez plutôt sur votre domaine,
Peur qu’un autre n’engraine,
Un adroit braconnier
Le premier
Peut tirer
Le gibier.

Il ferme sa fenêtre.

MADAME GAUTIER.

Le conseil est bon, mais mal adressé. Paix. Voici madame Garguille. Je me retire un peu pour l’écouter ; et tu verras le reste.

 

 

Scène XIII

 

MADAME GARGUILLE, OLIVETTE, MADAME GAUTIER en homme, ARLEQUIN

 

MADAME GARGUILLE.

Il faut que je sache où il est.

OLIVETTE.

Où voulez-vous qu’il soit ? Avez-vous peur qu’il ne s’égare ? Il se trouvera bien tout seul. Rentrons.

MONSIEUR GARGUILLE.

Air de l’Atteignant : Il s’y prenait si joliment, etc.

Le méchant veille, et quand je dors
Coule à bas du lit et se lève ;
Et cela justement alors
Que je me délecte en mon rêve !
Je m’imaginais aujourd’hui
Danser à la noce avec lui.
Il m’embrassait,
Caressait,
Gambadait,
Sautillait,
Me sautait ;
Tout allait bien ;
Je m’éveille, et ne trouve rien.

Mets-toi à ma place, toi qui vas avoir un mari.

ARLEQUIN.

Madame, je vous demande pardon pour mon tambour ; je lui veux mal de mort, de vous avoir éveillée si mal-à-propos. Si vous voulez, je le crèverai.

MADAME GARGUILLE.

Ah, tu es là, mon ami ! N’aurais-tu pas vu mon mari, chemin faisant ?

ARLEQUIN.

Non, madame ; pas plus que la bouteille que vous m’aviez promis que je trouverais à votre porte.

MADAME GARGUILLE.

Je l’y avais pourtant laissée.

OLIVETTE.

Vous verrez que c’est ce drôle de Scaramouche qui vient y pincer sa guitare toutes les nuits, qui l’aura bue.

MADAME GARGUILLE.

Ma pauvre Olivette, si tu savais mon dépit ! Je m’en trouve mal. Soutiens-moi.

Air : De la ceinture.

Un époux de cette façon,
Méritait-il un cœur fidèle ?

OLIVETTE.

Pour moi, dès qu’il est papillon,
Je ne serais pas tourterelle.

Mais, madame, est-ce tout de bon ? Vous pesez bien : à l’aide !

MADAME GAUTIER, en cavalier.

Permettez, madame, qu’un cavalier qui peut vous être inconnu, mais à qui vous ne l’êtes pas, vous secoure en l’état où vous êtes ici, à l’heure qu’il est.

MADAME GARGUILLE.

Ah, monsieur ! plaignez une jeune femme, négligée déjà d’un époux qu’elle aime.

MADAME GAUTIER.

Ciel ! peut-on vous être cher, et ne pas vous adorer, quand ceux qui vous sont indifférents vous idolâtrent ?

MADAME GARGUILLE.

Ah, monsieur ! les hommes sont des monstres. Je ne sais qu’en dire : je me meurs.

MADAME GAUTIER, à Olivette.

Demeure là, m’amie. Je me charge de remettre madame chez elle : tu l’y retrouveras tranquille.

 

 

Scène XIV

 

ARLEQUIN, OLIVETTE

 

OLIVETTE.

Je m’en fie bien à lui ; elle est en bonne main.

ARLEQUIN, à part.

La drôlesse ! Je vois bien qu’elle en sait déjà aussi long que Perrette. Je n’aime pas cela. Je croyais tenir une innocente ; mais il n’y en a point. Et pour un pauvre innocent comme moi, ce n’est que trop déjà d’une pendarde. Tenons-nous-en à Perrette.

OLIVETTE.

Que jargonnes-tu là tout seul ? Et de quoi ris-tu ?

ARLEQUIN.

Tu en vas bien rire aussi. Ce joli cavalier là, c’est madame Gautier.

OLIVETTE.

C’est madame Gautier ? Tout de bon ?

ARLEQUIN.

Ce n’est pas autre chose que madame Gautier elle-même, habillée en homme ; et M. Garguille, habillé en femme, est actuellement enfermé chez M. Gautier, qui l’a pris pour la sienne, et l’a fait entrer de force dans la maison.

OLIVETTE.

Il y a vraiment de quoi rire ; et tu me contes là des merveilles.

 

 

Scène XV

 

PERRETTE, OLIVETTE, ARLEQUIN

 

PERRETTE, à part.

C’est ici, je crois, que de frayeur j’ai tantôt laissé mes fromages.

ARLEQUIN, sans voir Perrette.

Oh ça, ma chère Olivette, nous nous marions dès qu’il sera jour. Un petit baiser, en avancement d’hoirie.

PERRETTE.

Tout doux, mon petit mari ! Vous vous mariez dès qu’il sera jour ? Ah, je ne m’étonne plus !...

OLIVETTE, à Arlequin.

Quelle est cette femme là ?

ARLEQUIN.

Vous ne le croiriez pas : c’est la mienne...

OLIVETTE.

La tienne ? Comment, scélérat ! tu en voulais avoir deux ?

ARLEQUIN.

Deux ! Parbleu, trente, s’il ne tenait qu’à moi !

PERRETTE et OLIVETTE.

Ah, voilà les chiens d’hommes !

Elles se jettent toutes deux sur lui et le houspillent.

ARLEQUIN.

Holà donc ! holà, holà, femmes ! Au diable soient Gautier, Garguille, mon tambour,

Il le crève.

et l’une de vous deux ! Viens, Perrette ; retournons à notre village. Choux pour choux, je m’en tiens encore à toi ; et je te jure de ne me pas remarier tant que tu vivras.

Ils sortent.

OLIVETTE, seule.

Madame Garguille, ma bonne marraine, m’avait procuré là un joli parti ! Comme s’il y avait déjà trop d’un homme tout entier, pour une femme.

 

 

Scène XVI

 

MONSIEUR GARGUILLE, MADAME GAUTIER, OLIVETTE

 

MADAME GAUTIER.

Eh bien, voisin, comment cela s’est-il passé ? Tout va-t-il bien ? Puis-je entrer ?

MONSIEUR GARGUILLE.

Oh, en toute sûreté ! J’ai laissé le bon homme de la meilleure humeur du monde. J’ai d’abord essuyé, sur votre compte, bien des jolis noms, que je ne saurais avoir l’honneur de mériter. Après les injures, les menaces : après les menaces, outré de m’entendre rire, il en a voulu venir aux effets. Je lui ai sauté au cou, comme pour l’embrasser ; il m’a colleté rudement. J’ai parlé, il m’a reconnu à la voix. Je lui ai dit notre complot, et comme actuellement vous étiez peut-être dans les bras de ma femme.

Il rit à gorge déployée.

MADAME GAUTIER.

Ma foi, écoutez donc, monsieur Garguille, ne riez pas si fort, et ne vous moquez pas tant de mon pauvre mari ; à le bien prendre, il en est quitte, je pense, à meilleur marché que vous.

MONSIEUR GARGUILLE.

Comment cela ? Que voulez-vous dire ?

MADAME GAUTIER.

À peine mon mari avait-il achevé sa belle chanson à sa fenêtre, que votre femme, à son tour, est sortie de chez vous comme une furie. Demandez à Olivette le beau train qu’elle faisait.

OLIVETTE.

Elle pleurait, elle pestait, elle allait s’évanouir de rage, quand madame, en cavalier, lui a offert son assistance ; et lui donnant le bras, l’a fait rentrer chez elle. Je ne sais pas le reste,

MADAME GAUTIER.

Un peu apaisée par mes beaux discours, elle a passé de la plainte au dépit ; et du dépit, à de petits désirs de vengeance, assez intelligibles. J’ai cru alors, pour l’honneur de l’habit que je porte, lui devoir avouer qui j’étais, et lui dire le rôle qu’en même temps vous jouiez auprès de mon mari. Cela l’a fait sourire. Mais je suis la plus trompée du monde, si mon démasquement ne l’a pas un peu plus fâchée qu’étonnée. Qu’est-ce ? Vous ne trouvez plus cela si plaisant ?

MONSIEUR GARGUILLE.

Ah oui, parbleu ! c’est bien là me connaître. Arrive qui plante, pourvu que j’aie la paix. Allons la faire tous deux dans nos ménages, et que cela finisse la comédie.

OLIVETTE.

Mais toute comédie doit finir par un mariage, et je n’en vois point ici.

MONSIEUR GARGUILLE.

Ne vas-tu pas te marier tout à l’heure avec le Claperman ?

OLIVETTE.

Non, ce ne sera pas sitôt, car il faut attendre qu’il soit veuf.

MONSIEUR GARGUILLE.

Comment ! le fripon est marié, et voulait...

OLIVETTE.

Sa femme vient de le surprendre ici, et de le ramener à son devoir.

MONSIEUR GARGUILLE.

Eh bien, j’en suis ravi. Tu aimais mieux ton Scaramouche ; je te le donne, avec l’office de Claperman.

OLIVETTE.

Il faudrait qu’il fût ici pour ce dénouement[2], et malheureusement il n’y a que faire.

Air : Belle brune, belle brune.

Sur la scène,
Sur la scène,
Rien ne l’amène...

 

 

Scène XVII

 

MONSIEUR GARGUILLE, MADAME GAUTIER, OLIVETTE, SCARAMOUCHE

 

SCARAMOUCHE, descendant du cintre par une machine.

Patience, me voilà a, a, a, a ! (bis.)

OLIVETTE.

Par où diantre viens-tu là ?

SCARAMOUCHE.

A, a, a, a !

OLIVETTE.

Air : Quand le péril est agréable,

Tu prends des routes incongrues.

SCARAMOUCHE.

Route incongrue ou non, je prends
Celle de tous les dénouements,
Quand je tombe des nues.

L’ACTEUR qui a représenté M. Garguille.

Il ne manquerait plus, pour faire rire ces messieurs, qu’à faire venir le divertissement par nos trappes.

OLIVETTE.

Bon, bon, il y faut bien tant de façons ! qu’il entre, tout à son aise, par les coulisses. Ces messieurs sont accoutumés d’en voir d’aussi mal amenés sur tous les théâtres.

Il y avait quatre ou cinq personnes apostées et répandues dans l’auditoire, qui crièrent : Qu’il entre ; et l’auditoire fit chorus, en battant des mains.

 

 

DIVERTISSEMENT

 

Vaudeville.

Une femme fait peste et rage ;
Un mari maudit son destin :
Pourquoi tout ce mauvais ménage ?
C’est faute d’un réveil-matin.

Des créanciers à notre porte
Nous font lever avec chagrin :
Mais de l’argent qu’on nous apporte ;
Oh ! c’est un bon réveil-matin.

Défiez-vous de l’hyménée ;
L’époux débute en vrai lutin !
Mais dès la seconde journée,
Il lui faut un réveil-matin.

Entre amants, c’est une autre affaire ;
Mais aussi l’Amour est bien fin :
À chaque horloge de Cythère,
Il mit un bon réveil-matin.

Un amant discret et sincère,
De Lise comble le destin :
Et c’est à l’ombre du mystère
Qu’il lui sert de réveil-matin.

Tel ouvrage voit la lumière,
Et croit effacer le Lutrin,
Qui servirait de somnifère,
Bien mieux que de réveil-matin.

Dès l’aube du jour je m’éveille,
Au bruit d’un cabaret voisin.
On sonne un tocsin de bouteilles ;
L’agréable réveil-matin !


[1] L’Élève de Terpsicore, brochure satyrique du sieur Boissy, qui se vendait alors sous le manteau.

[2] Ici la pièce retombe dans l’irrégularité permise à ce théâtre.

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