Le Babillard (Louis DE BOISSY)

Comédie en un acte et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 16 juin 1725.

 

Personnages

 

LÉANDRE, babillard et amant de Clarice

VALÈRE, parent de Léandre et son rival

CLARICE, jeune veuve

CÉPHISE, tante de Clarice

DAPHNÉ, voisine de Clarice

HORTENSE, sœur de Daphné

ISMÈNE, amie de Céphise

MÉLITE, babillarde

DORIS, autre babillarde

NÉRINE, suivante de Clarice

LAFLEUR, laquais

 

La scène est à Paris, chez Clarice.

 

 

Scène première

 

CLARICE, NÉRINE

 

CLARICE.

Je sors d’avec Léandre... ah ! quel homme ennuyeux !

Je n’en puis plus ; je sens un mal de tête affreux.

Il n’a pas déparlé pendant une heure entière.

Par bonheur, à la fin, je viens de m’en défaire,

Sous le prétexte heureux d’une commission

Dont j’ai su le charger.

NÉRINE.

Il fallait, sans façon

Lui donner son congé. Si j’avais été crue,

Vous l’auriez fait, madame, à la première vue.

Sa langue est justement un claquet de moulin,

Qu’on ne peut arrêter sitôt qu’elle est en train ;

Qui babille, babille, et qui d’un flux rapide

Suit indiscrètement la chaleur qui la guide,

De guerre, de combats, cent fois vous étourdit,

Et répète vingt fois ce qu’il a déjà dit,

Dit le bien et le mal sans voir la conséquence,

Et de taire un secret ignore la science.

CLARICE.

Tu le peins assez bien !

NÉRINE.

Oui, j’ose mettre en fait,

Madame, qu’un bavard est toujours indiscret

En vain. Tel est l’esprit de notre capitaine.

Quoiqu’il ne vienne ici que de cette semaine,

Ce temps me semble un siècle ; et je tremble aujourd’hui

Que vous n’ayez dessein de vous unir à lui,

Étant si différents d’humeur, de caractère.

Clarice, honneur du sexe, a le don de se taire,

Exempte du défaut qui nous est reproché,

Et dont monsieur Léandre est si fort entiché.

Pour moi, je trouverais son parent préférable,

Valère est le plus jeune et le plus raisonnable ;

Il a beaucoup d’esprit, parle peu, comme vous.

CLARICE.

Nérine, je veux bien l’avouer entre nous,

Je pense comme toi. Tout ce qui m’embarrasse,

Je dépends de ma tante.

NÉRINE.

Eh ! madame, de grâce,

N’êtes-vous pas veuve ?

CLARICE.

Oui, mais je dois ménager

Cette tante qui m’aime et veut m’avantager.

Tu sais que j’en attends un fort gros héritage ?

Je ne puis faire un choix sans avoir son suffrage ;

Et malheureusement, sans l’avoir jamais vu,

Céphise pour Léandre a l’esprit prévenu.

Ismène, son amie, avec grand étalage,

En a fait un portrait comme d’un personnage

Distingué dans la guerre, et qui, pour sa valeur,

Doit bientôt d’une place être fait gouverneur.

NÉRINE.

Valère est officier, brigue la même place,

Et peut également obtenir cette grâce.

Quand même le contraire arriverait enfin,

Pourrez-vous épouser...

CLARICE, l’interrompant.

Mon cœur est incertain.

NÉRINE.

Et moi, si pour époux vous acceptez Léandre,

Je quitte dès ce soir sans plus longtemps attendre.

Quel maître ! il voudrait seul parler dans le logis.

Ce serait un tyran, qui tout le jour assis

Usurperait nos droits, qui ferait notre office ;

Et je mourrais plutôt que d’être à son service.

Il me serait trop dur de garder mes discours,

De ne pouvoir rien dire, et d’écouter toujours.

Un grand parleur, madame, est un monstre en ménage,

Et ce n’est que pour nous qu’est fait le babillage.

CLARICE.

Que veux-tu que je fasse en cette occasion,

Dis ?

NÉRINE.

Il faut vous armer de résolution,

Sortir, en même temps, de votre léthargie ;

Agir, faire parler une commune amie ;

Par exemple, Daphné, qui dans cette maison

Occupe un logement.

CLARICE.

Sous un air assez bon,

Elle a l’esprit malin. J’ai plus de confiance

Dans Hortense sa sœur.

NÉRINE, voyant paraître Daphné et Hortense.

L’une et l’autre s’avance.

 

 

Scène II

 

CLARICE, DAPHNÉ, HORTENSE, NÉRINE

 

DAPHNÉ, à Clarice.

Quoi ! vous vous mariez, et ne m’en dites rien.

À moi, votre voisine !... Oh ! cela n’est pas bien.

CLARICE.

Mais vous me surprenez avec cette nouvelle.

DAPHNÉ.

À quoi bon le cacher ? Soyez plus naturelle.

Vous sortez du veuvage ; il n’est rien de plus sûr.

CLARICE.

Qui peut vous l’avoir dit ?

DAPHNÉ.

Votre mari futur.

Dès demain au plus tard vous épousez Léandre.

HORTENSE, à Clarice.

C’est un bruit que lui-même a grand soin de répandre.

Ce n’est plus un secret.

NÉRINE, à part.

Il est bon là, ma foi !

CLARICE, à Hortense et à Daphné.

Vous êtes là-dessus plus savantes que moi.

Je sais, pour m’obtenir, qu’il fait agir Ismène ;

Mais je ne croyais pas la chose si prochaine.

Léandre, le premier, aurait dû m’avertir,

Et la seule raison m’y fera consentir.

Comme mon cœur rejette au fond cette alliance,

Vous devez l’une et l’autre excuser mon silence.

J’ai même appréhendé qu’avec juste raison

Daphné ne badinât d’une telle union ;

Et, pour preuve qu’ici j’agis avec franchise,

Je vous prie instamment d’en parler à Céphise,

Pour la faire changer de résolution.

Je ne vous aurai pas peu d’obligation.

HORTENSE.

Dès que je la verrai, fiez-vous à mon zèle ;

Comptez que je ferai mon possible auprès d’elle.

CLARICE.

Écoutez cependant. Je dois vous avertir

Que Léandre chez moi va bientôt revenir.

S’il nous rencontre ensemble...

NÉRINE.

Eh ! vous n’avez que faire

De vous presser, sachant quel est son caractère.

Il est chargé pour vous d’une commission ;

Mais il ne quitte pas sitôt une maison.

Il dit toujours : « je sors » et toujours il demeure.

Ne parlât-il qu’au suisse, il lui faut plus d’une heure.

Ce remarquable trait, l’avez-vous oublié,

À dîner l’autre jour quand vous l’avez prié ?

Il fut voir le matin Doris, grande parleuse,

Puis Mélite survint, autre insigne causeuse.

Le trio de jaser fit si bien son devoir,

Qu’il ne se sépara pas qu’à cinq heures du soir.

Il jaserait encore, si le discret Léandre

N’avait appréhendé de se trop faire attendre :

Croyant se mettre à table, il vint, j’en ai bien ri,

Une grosse heure après qu’on en était sorti.

DAPHNÉ.

Le trait est singulier.

HORTENSE, à Nérine.

S’il ne trouvait personne ?

DAPHNÉ.

Pour plus de sûreté, dépêchons-nous, ma bonne.

Partons.

HORTENSE, à Clarice.

Ma sœur et moi, nous allons au Palais,

Où nous avons affaire.

CLARICE.

Et moi, dans le Marais,

Voir ma tante, et savoir au vrai ce qu’elle pense

D’un hymen pour lequel j’ai de la répugnance.

DAPHNÉ, entendant du bruit en dehors.

Quelqu’un monte... C’est lui ; car j’entends parler haut.

Montrant à Clarice et à Hortense une porte opposée au côté par lequel Léandre doit entrer.

Sortons par ce côté, sauvons-nous au plutôt.

Elle sort avec Clarice et Hortense.

 

 

Scène III

 

NÉRINE, seule

 

Il a de babiller une fureur extrême,

Jusque-là qu’étant seul il jase avec lui-même.

 

 

Scène IV

 

LÉANDRE, NÉRINE

 

LÉANDRE, à part, sans voir d’abord Nérine.

Non, rien n’est plus piquant que de courir, d’aller,

Sans rencontrer personne à qui pouvoir parler.

Quand on trouve les gens, on raisonne, l’on cause,

On s’informe, et toujours on apprend quelque chose,

Et ne dît-on qu’un mot au portier du logis,

Cela vous satisfait ; et comme le marquis

Me disait l’autre jour en allant chez Julie...

NÉRINE, l’interrompant.

À qui parle monsieur ?

LÉANDRE.

C’est toi ?... Bonjour, ma mie.

Comment te portes-tu ?... Fort bien ?... j’en suis ravi,

Ta maîtresse de même ? et moi fort bien aussi.

Elle m’avait prié d’aller voir Isabelle

De sa part, mais, morbleu ! personne n’est chez elle,

Pas le moindre laquais : j’ai trouvé tout sorti,

Et je suis revenu comme j’étais parti.

Hier encore, hier, je courus comme un diable,

Secoué, cahoté dans un fiacre exécrable.

Au faubourg Saint-Marceau j’allai premièrement ;

Des Gobelins ensuite au faubourg Saint-Laurent ;

Du faubourg Saint-Laurent, sans presque prendre haleine,

Au faubourg Saint-Antoine, et tout près de Vincennes ;

Du faubourg Saint-Antoine au faubourg Saint-Denis ;

Du faubourg Saint-Denis dans le Marais, et puis

En cinq heures de temps faisant toute la ville,

Je revins au Palais, et du Palais dans l’Île.

De là je vins tomber au faubourg Saint-Germain ;

Du faubourg Saint-Germain...

NÉRINE, l’interrompant, avec volubilité.

J’ai couru ce matin,

Et de mon pied léger, jusqu’au bout de la rue ;

De la rue au marché : puis je suis revenue.

Il m’a fallu laver, frotter, ranger, plier :

J’ai monté, descendu de la cave au grenier,

Du grenier à la cave, arpenté chaque étage.

J’ai tourné, tracassé, fini plus d’un ouvrage ;

Pour madame et pour moi fait chauffer un bouillon

J’ai plus de trente fois fait toute la maison,

Pendant qu’un cavalier, que Léandre on appelle,

A causé, babillé, jasé tant auprès d’elle,

Qu’elle en a la migraine, et que, pour s’en guérir,

Tout à l’heure, monsieur, elle vient de sortir.

LÉANDRE.

Vous devenez, ma fille, un peu trop familière,

Et toutes ces façons ne me conviennent guère.

Si je ne respectais la maison où je suis,

Parbleu ! Je saurais bien... Profitez de l’avis,

Et, parlant à des gens qui passent votre sphère,

Songez à mieux répondre, ou plutôt à vous taire.

NÉRINE.

Le silence est un art difficile pour nous,

Et j’irai, pour l’apprendre, à l’école chez vous.

LÉANDRE.

À Clarice, tantôt, je dirai la manière

Dont tu reçois ici ceux qu’elle considère ;

Et tu devrais savoir qu’en la passe où je suis

On doit me ménager, et qu’en un mot je puis

Faire de ta maîtresse une très haute dame,

Et qu’aujourd’hui peut-être elle sera ma femme ;

Que je dois obtenir un important emploi,

Ayant avec honneur servi vingt ans le roi ;

Que Clarice aurait tort de préférer Valère,

Et qu’il est mon cadet de plus d’une manière ;

Qu’un homme comme moi trouve plus d’un parti,

Que de Julie enfin je ne suis point haï,

Julie a du brillant et beaucoup de jeunesse :

Tu maîtresse a trente ans, et moins de gentillesse ;

Mais elle a des vertus, dont je fais plus de cas,

Elle est sage, économe, et ne babille pas.

NÉRINE.

La déclaration est tout à fait nouvelle,

Et je vous dois, monsieur, remercier pour elle.

LÉANDRE.

Adieu ; je vais agir pour mon gouvernement.

Oh ! Valère en sera la dupe sûrement...

Voyant paraître Valère.

Mais je le vois qui vient.

NÉRINE.

Avec lui je vous laisse.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

LÉANDRE, VALÈRE

 

LÉANDRE, à part.

Il m’aborde à regret, et son aspect me blesse...

Il n’est pour se haïr que d’être un peu parent...

À Valère.

Ah ! vous voilà, monsieur ? J’en suis charmé, vraiment !

C’est peu que de vouloir m’enlever ma maîtresse ;

J’apprends que vous avez encor la hardiesse

De former des desseins sur le gouvernement,

Qui par la mort d’Enrique est demeuré vacant,

Et que j’ai demandé pour prix de mon courage,

Sans respecter mes droits, mes services, mon âge.

Mais, mon petit cousin, je vous trouve plaisant

D’oser, d’affecter d’être en tout mon concurrent.

Après un court silence, voyant que Valère ne répond rien.

Vous vous taisez ?

VALÈRE.

J’attends le moment favorable,

Et vous trouve, monsieur, parleur fort agréable.

Vous avez tort, pourtant de vous mettre en courroux,

Vous savez que je suis officier comme vous ?

LÉANDRE.

Officier comme moi ! Tu te moques ; à d’autres !

Oses-tu comparer tes services aux nôtres ?

Dès l’âge de quinze ans j’ai porté le mousquet ;

Quand j’étais lieutenant tu n’étais que cadet.

J’ai vu trente combats, vingt sièges, six batailles ;

J’ai brisé des remparts, j’ai forcé des murailles ;

J’ai plus de trente fois harangué nos soldats,

Et, bourgeois, je me suis ennobli par mon bras.

Je n’oublierai jamais ma première campagne...

Je crois que nous faisions la guerre en Allemagne.

Dans un détachement... C’était en sept cent trois...

À cinq heures du soir... quatorzième du mois...

L’affaire fut très vive, et j’y fis des merveilles,

Alidor y laissa l’une de ses oreilles.

Il a joué depuis jusqu’à son régiment,

Autrefois colonel, et commis à présent.

Connais-tu bien sa femme ? elle est encor piquante.

J’étais hier chez elle, où j’entretins Dorante.

As-tu vu la maison qu’il a tout près de Caen ?

Elle est belle : je vais t’en faire ici le plan,

En deux mots...

VALÈRE, l’interrompant.

Mais, monsieur, vous battez la campagne,

Et vous êtes déjà bien loin de l’Allemagne...

Quant au gouvernement, le succès montrera

Si j’ai de bons amis.

LÉANDRE.

Oh ! je t’arrête là.

Des amis, des patrons, j’en ai de toute espèce ;

Fripons, honnêtes gens, tout pour moi s’intéresse.

Je fais agir sous main le chevalier Caquet,

Lisimon l’intrigant, et Damon le furet,

Qui se fourre partout, à l’État très utile,

Officier à la cour, espion à la ville ;

Un jeune abbé qui fait et le bien et le mal,

Du sexe fort aimé. J’aurai par son canal,

Une lettre aujourd’hui d’une certaine dame

Qui connaît le ministre, et peut tout sur son âme,

Parente de Cloris... je ne dit pas son nom :

Il faut avoir en tout de la discrétion.

Chez elle ce matin, sans plus longtemps remettre,

L’abbé doit me mener pour avoir cette lettre.

VALÈRE, à part.

Parente de Cloris !... C’est Constance, ma foi !

Elle est fort mon amie, et fera tout pour moi.

Il m’a très à propos rappelé son idée ;

Il faut le prévenir.

LÉANDRE.

La chose est décidée ;

Et quand même la cour, par un coup de bonheur,

De Quimpercorentin vous ferait gouverneur,

Je n’en serais pas moins le mari de Clarice,

Car sa tante m’estime.

VALÈRE.

Elle vous rend justice.

Votre...

LÉANDRE, l’interrompant.

Votre ?... Écoutez, car je parle le mieux.

VALÈRE.

Dites encor le plus.

LÉANDRE.

Tu n’es qu’un envieux ;

N’ayant pas, comme moi, le don de la parole,

Ton cœur en est jaloux, et cela te désole.

De ma complexion je parle peu, pourtant ;

Et si j’avais voulu mettre au jour mon talent,

Mieux que mon avocat, j’aurais plaidé, moi-même,

Mes causes, quoiqu’il soit d’une éloquence extrême,

Car il dit ce qu’il veut ; il est orateur né :

Sur sa langue les mots s’arrangent à son gré ;

Sa volubilité, qui n’a point de pareille,

Est un torrent, qui part et ravage l’oreille ;

Et je ne vois personne au palais aujourd’hui

Qui parle plus longtemps, ni plus vite que lui.

VALÈRE.

Oh ! sur lui vous auriez remporté la victoire :

Je ne balance pas un moment à le croire.

LÉANDRE.

En vain tu penses rire, en vain tu crois railler.

Sois instruit que tout cède au talent de parler ;

Et sache qu’en amour, aussi bien qu’en affaire,

La langue fut toujours une arme nécessaire.

Par là l’on persuade et l’on se fait aimer :

On méprise ces gens qui, lents à s’exprimer,

Hésitant sur un mot qui dans leur bouche expire,

Font souffrir l’auditeur de ce qu’ils veulent dire.

VALÈRE.

Moi, je crois qu’en affaire, aussi bien qu’en amours,

Agir quand il le faut vaut mieux que les discours :

Le trop parler, monsieur, souvent nous est contraire.

LÉANDRE.

Vous jasez cependant plus qu’à votre ordinaire...

Pour moi, j’articulais mes mots avant le temps,

Et m’expliquais si bien à l’âge de trois ans,

Qu’entendant mes discours, qui passaient ma portée,

Un jour, il m’en souvient, ma grand’mère enchantée

Me prit entre ses bras...

VALÈRE, l’interrompant, en voyant paraître Lafleur.

Quel est donc ce laquais ?

 

 

Scène VI

 

LAFLEUR, LÉANDRE, VALÈRE

 

LAFLEUR, bas, à Léandre.

Monsieur l’abbé m’envoie : il vous attend.

LÉANDRE, bas.

J’y vais...

Lafleur fait quelques pas pour s’en aller, et Léandre continue son discours à Valère.

Puis me tint ce propos...

VALÈRE, bas, luis montrant Lafleur.

Le voilà qui demeure.

LAFLEUR, revenant sur ses pas, bas, à Léandre.

Monsieur, il va sortir ; dépêchez.

LÉANDRE, bas.

Tout à l’heure.

Lafleur s’en va.

 

 

Scène VII

 

LÉANDRE, VALÈRE

 

LÉANDRE.

La bonne femme donc, j’ai son discours présent :

Ce qu’on retient alors, reste profondément.

C’est une cire molle, où tout ce qu’on applique

S’écrit... Si, comme moi, vous saviez la physique,

Je vous mettrais au fait ; car j’ai beaucoup de goût,

Pour un homme de guerre, et sais un peu de tout.

J’aime les tourbillons, le sec et le liquide,

Des atomes...

VALÈRE, à part.

Il va se perdre dans le vide !

LÉANDRE.

Le flux et le reflux exercent mon esprit ;

La matière subtile... elle me réjouit.

C’est une belle chose encore que l’histoire.

Je la cite à propos, car j’ai de la mémoire,

Et n’ai rien oublié de tout ce que j’ai lu.

La bataille d’Arbelle, où César fut vaincu,

Et celle de Pharsale où périt Alexandre ;

Et Darius le Grand, qui mit Thèbes en cendre...

Dans la vivacité je crois que je confonds ?

VALÈRE, avec ironie.

Ma foi ! vous excellez pour les digressions,

Et j’admire votre art à changer de matières,

Par des transitions insensibles, légères.

Vous raisonnez de tout avec beaucoup d’esprit,

Et vous citez l’histoire en homme bien instruit.

LÉANDRE, à part.

Il me brouille toujours.

 

 

Scène VIII

 

NÉRINE, LÉANDRE, VALÈRE

 

NÉRINE.

Excusez, je vous prie ;

Mais il entre, messieurs, nombreuse compagnie.

La tante de Clarice arrive maintenant.

Ismène l’accompagne. Hortense au même instant,

Rentre, et sa sœur la suit. Doris avec Mélite,

Vient d’un autre côté pour nous rendre visite...

À Léandre.

Vous les entretiendrez ; elles ne sont que six,

Et ferez, s’il vous plaît, les honneurs du logis,

Monsieur, en attendant le retour de Clarice.

LÉANDRE.

Volontiers ; je saisis l’occasion propice :

Je vole vers la tante, et je cours l’embrasser

À Valère.

Et lui donner la main... Je vous laisse y penser.

Adieu, monsieur.

 

 

Scène IX

 

VALÈRE, NÉRINE

 

VALÈRE.

Que croire ?

NÉRINE.

Allez, quoi qu’il en dise

Nous pourrons balancer le pouvoir de Céphise.

Monsieur, je vous protège, et cela vous suffit.

VALÈRE.

Et ta maîtresse ?

NÉRINE.

Elle est pour vous, sans contredit,

Si le gouvernement...

VALÈRE, l’interrompant.

Va, mon affaire est bonne,

Et je sors de ce pas pour voir une personne,

Dont notre babillard m’a fait ressouvenir,

Et qui pour moi, je crois, pourra tout obtenir,

Dans le temps que lui-même entretiendra ces dames,

Et qu’il va tenir tête au caquet de six femmes.

NÉRINE.

Rentrons... J’entends nos gens qui parlent en chorus.

 

 

Scène X

 

LÉANDRE, CÉPHISE, ISMÈNE, HORTENSE, DAPHNÉ, DORIS, MÉLITE

 

DORIS et MÉLITE, ensemble, entrant les premières, à Hortense.

Nous nous rendons, madame, et ne disputons plus.

HORTENSE, à Céphise.

Je suis de la maison, point de cérémonie.

LÉANDRE, se plaçant au milieu d’elles six.

Mesdames, vous voilà fort bonne compagnie :

Vous n’avez qu’à parler, je suis prêt d’écouter,

Et de tous vos discours je m’en vais profiter.

DAPHNÉ, à Doris.

Vous êtes aujourd’hui coiffée en miniature...

Bas, à Hortense.

Sa parure est risible autant que sa figure.

DORIS.

Je suis en négligé.

ISMÈNE.

J’aime cette façon.

CÉPHISE, avec lenteur, à Doris.

Elle vous sied.

LÉANDRE, à Doris.

Cela vous donne un air fripon.

HORTENSE, aux cinq autres femmes.

Je viens de rencontrer Lucile dans la rue,

Et je vous avouerai que je l’ai méconnue.

ISMÈNE.

Elle devient coquette en l’arrière saison.

MÉLITE.

Elle est toujours au bal ; c’est là sa passion.

CÉPHISE.

Mais, à propos de bal, on m’a fait une histoire.

LÉANDRE.

Dites-nous un peu ça ? Plus qu’on ne saurait croire,

J’ai l’esprit curieux.

CÉPHISE.

Je vais vous la conter.

DORIS.

J’en sais une.

LÉANDRE.

Et moi deux.

CÉPHISE.

Voulez-vous m’écouter ?

DAPHNÉ.

Oh ! vous parlez si bien que je suis tout oreille...

À part.

Son ton de voix m’endort, et déjà je sommeille.

LÉANDRE.

Je ne dis rien.

ISMÈNE et DORIS, ensemble.

Paix.

LÉANDRE.

Paix.

CÉPHISE, lentement.

Conduite par l’amour,

Certaine dame au bal se rendit l’autre jour.

LÉANDRE.

Au bal de l’Opéra ?

CÉPHISE.

Sans doute... Un mousquetaire

L’attirait en ces lieux.

LÉANDRE.

En amour comme en guerre

Ce sont de verts messieurs !

CÉPHISE.

La dame en question,

Je ne la nomme point, et cela pour raison.

DORIS.

Je devine qui c’est.

LÉANDRE.

C’est la jeune marquise ?

ISMÈNE, à part.

Il va, par son babil indisposer Céphise.

CÉPHISE, à Léandre.

Un instant, attendez. Celle dont il s’agit

A près de soixante ans, à ce que l’on m’a dit.

LÉANDRE.

Oh ! j’y suis pour le coup.

MÉLITE.

Je sais aussi l’affaire.

LÉANDRE, à Céphise.

C’est Chloé ?

CÉPHISE.

Point du tout.

HORTENSE, à part.

L’étrange caractère !

MÉLITE, à Céphise.

C’est Clorinde ?

LÉANDRE, à Céphise.

Ou Lucile ?

CÉPHISE, à part.

Eh ! d’un esprit moins prompt...

LÉANDRE, l’interrompant.

Mais, sans vous interrompre...

CÉPHISE.

Encore il m’interrompt !

LÉANDRE.

Permettez-moi...

CÉPHISE, l’interrompant à son tour.

Je prends le parti de me taire,

Puisqu’on n’écoute pas, qu’on me rompt en visière.

LÉANDRE.

Moi, madame ? J’en suis incapable.

CÉPHISE.

Il suffit.

DORIS.

Pour bien faire, parlons tour à tour.

LÉANDRE.

C’est bien dit.

La conversation doit être générale.

MÉLITE.

Le moyen, si monsieur saisit toujours la balle ?

LÉANDRE.

Je n’ai pas entamé seulement un discours.

DAPHNÉ, bas.

Allez, laissez-les dire, et poursuivez toujours.

DORIS, aux cinq autres femmes.

Mesdames, irez-vous à la pièce nouvelle ?

LÉANDRE.

Le titre, s’il vous plaît ?

ISMÈNE, à Doris.

Dit-on qu’elle soit belle ?

MÉLITE, à Léandre.

Le Babillard, monsieur.

LÉANDRE.

Oh ! je veux voir cela,

Et je ferai ce soir faux bond à l’Opéra.

CÉPHISE.

Pour moi, je ne saurais souffrir les comédies.

DORIS.

Je n’ai du goût aussi que pour les tragédies.

LÉANDRE.

Parbleu ! j’y veux mener le chevalier Caquet

Avec mon avocat, pour y voir leur portrait.

À ce théâtre-là, pourtant, je ne vais guères.

DAPHNÉ.

Je m’étonne, monsieur, qu’ayant tant de lumière...

LÉANDRE.

Je pourrais, il est vrai, passer pour connaisseur ;

Car je sais tout Pradon et Montfleury par cœur.

Autrefois j’ai joué dans les fureurs d’Oreste...

Déclamant.

« Tiens, tiens, voilà le coup... »

MÉLITE, l’interrompant.

Nous vous quittons du reste.

DORIS.

J’aime beaucoup la Foire.

LÉANDRE.

Oh ! j’y ris, sur ma foi !

Du meilleur de mon âme, et sans savoir pourquoi...

Madame, avez-vous vu l’animal remarquable

Qui tient du chat, du bœuf, presque au chameau semblable.

Et le fameux Saxon n’est-il pas amusant ?

Polichinelle encore est fort divertissant.

Ma foi ! vive Paris ! c’est une grande ville.

MÉLITE, à Céphise.

On ne peut dire un mot qu’il n’en réponde mille.

CÉPHISE.

Il interrompt toujours.

DORIS.

Il fait tout l’entretien.

DAPHNÉ, bas, à Léandre.

Ne vous relâchez pas.

LÉANDRE.

Je ne dirai plus rien.

CÉPHISE, aux cinq autres femmes.

Pourriez-vous me donner des nouvelles d’Aminte ?

DORIS et MÉLITE, ensemble.

Madame, elle est...

LÉANDRE, l’interrompant.

Elle est mariée à Philinte.

CÉPHISE, à Doris.

Il tient bien sa parole.

MÉLITE, à Léandre.

Elle est veuve.

LÉANDRE.

J’ai tort.

ISMÈNE, à part.

D’avoir parlé pour lui je me reprends bien fort.

DORIS, à Mélite.

Aminte est mon amie.

MÉLITE.

Et je suis sa voisine.

LÉANDRE.

Je lui tiens de plus près, car elle est ma cousine.

MÉLITE.

Elle n’est plus ici.

LÉANDRE.

Sans contestation.

DORIS, à Céphise.

Vous l’a-t-on dit ?

LÉANDRE, interrompant Céphise, qui était prête à répondre à Doris.

Avec votre permission...

CÉPHISE, l’interrompant aussi.

Eh ! laissez donc parler.

DORIS.

Elle se remarie.

DAPHNÉ, bas, à Léandre.

Défendez-vous.

LÉANDRE, à Doris.

Un mot.

MÉLITE, à Céphise.

Elle est en Picardie...

LÉANDRE, l’interrompant.

Oh ! je suis son cousin...

DORIS, à Mélite.

Par le dernier courrier...

LÉANDRE, l’interrompant.

Au troisième degré...

MÉLITE, l’interrompant, à Céphise.

Jusqu’au mois de janvier...

LÉANDRE, l’interrompant.

Je sors d’un sang bourgeois.

DORIS, l’interrompant, à Céphise.

Elle vient de m’écrire...

MÉLITE, l’interrompant, à Céphise.

Je dois...

LÉANDRE, l’interrompant.

Et je me fais un honneur de le dire.

CÉPHISE.

Mais...

MÉLITE, l’interrompant.

Dans ce pays-là comme j’ai quelques biens...

LÉANDRE, l’interrompant.

Je le suis...

DORIS, l’interrompant.

Elle épouse un conseiller d’Amiens...

MÉLITE, l’interrompant.

Je dois aller bientôt...

LÉANDRE, l’interrompant.

Du côté de ma mère...

DORIS, l’interrompant.

C’est un riche parti...

MÉLITE, l’interrompant.

Je pars avec mon frère.

CÉPHISE, aux cinq autres femmes.

Mesdames...

LÉANDRE, l’interrompant.

Il est sûr...

CÉPHISE, l’interrompant.

Mais, monsieur...

DAPHNÉ, l’interrompant, à Léandre.

Tenez bon.

LÉANDRE, MÉLITE et DORIS, ensemble.

Madame...

DAPHNÉ, les interrompant, à Léandre.

Allons, poussez, car vous avez raison.

Léandre, Mélite, Doris, Céphise et Ismène parlent tous à la fois.

LÉANDRE, aux six femmes.

On me conteste en vain ce que je certifie,

On ne m’apprendra pas ma généalogie.

Mieux qu’un autre, je crois, je dois en être instruit,

Puisque cent et cent fois mon père me l’a dit.

MÉLITE, à Doris.

Comme je la connais dès la plus tendre enfance,

Qu’elle eut toujours en moi beaucoup de confiance,

Ne pouvant me parler, elle m’écrit souvent,

Et je lui fais aussi réponse exactement.

DORIS.

À vous dire le vrai, la province m’ennuie,

Car je hais les façons et la tracasserie ;

Et si je n’espérais de bientôt revenir,

Je ne pourrais jamais me résoudre à partir.

CÉPHISE, à Léandre.

Il ne se vit jamais une chose semblable.

Il faut avoir l’esprit, l’humeur insupportable ;

Et c’est un procédé, monsieur, des plus choquants,

Que de fermer ainsi toujours la bouche aux gens.

ISMÈNE, à Léandre.

Je me joins à madame, et ne puis plus me taire

Sur vos façons d’agir, sur votre caractère ;

J’en suis scandalisée ; et par votre caquet,

Vous détruisez, monsieur, tout ce que j’avais fait.

MÉLITE, à Doris.

Si vous voulez mander...

DORIS, l’interrompant.

Vous connaissez Chrisante ?

LÉANDRE, aux six femmes.

Quoi que vous en disiez, Aminte est ma parente,

Mesdames ; car Aminte est fille de Damon,

Gentilhomme servant, et petit-fils d’Orgon ;

Lequel Orgon était propre neveu d’Argante,

Célèbre partisan, et frère de Dorante :

Lequel Dorante avait, en hymen clandestin,

Épousé, par amour Guillemette Patin ;

Laquelle Guillemette était, ne vous déplaise,

Fille, du second lit, d’Angélique la Chaise,

Et laquelle Angélique...

Il tousse.

MÉLITE, l’interrompant.

Oh ! laquelle, lequel...

Je n’y puis plus tenir.

Elle sort.

 

 

Scène XI

 

LÉANDRE, CÉPHISE, ISMÈNE, DORIS, DAPHNÉ, HORTENSE

 

LÉANDRE, aux cinq femmes qui sont restées.

Du côté paternel,

Si j’ai bonne mémoire, était sœur d’Hippolyte...

Il crache.

DORIS, à part, en s’en allant.

Qu’une nasarde... Mais il vaut mieux que je quitte.

Elle sort.

 

 

Scène XII

 

LÉANDRE, CÉPHISE, ISMÈNE, HORTENSE, DAPHNÉ

 

LÉANDRE, aux quatre femmes restées.

Et ladite Hippolyte était sœur, d’autre part,

De l’avocat Martin, dit Babille ou Braillard,

Qui mourut en parlant. Ledit Martin Habille

Était mon trisaïeul...

Il fait une courte pause.

HORTENSE, à part.

C’est un mal de famille...

Fuyons... sauve qui peut !

Elle s’en va.

 

 

Scène XIII

 

LÉANDRE, CÉPHISE, ISMÈNE, DAPHNÉ

 

LÉANDRE, reprenant son récit, et s’adressant aux trois femmes restées.

J’ai son portrait chez moi,

Et lui ressemble fort... On voit par là, je crois,

Qu’Aminte... Attendez donc ; j’oubliais de vous dire

Que ce fameux Martin sortait d’une Delphire,

Laquelle descendait du vicomte de Quer,

Bas-Breton de naissance, et seigneur de Quimper.

Ce vicomte de Quer, remarquez bien de grâce...

Il éternue.

ISMÈNE, à part.

Que monsieur est un sot... J’abandonne la place.

Elle sort en colère.

 

 

Scène XIV

 

LÉANDRE, CÉPHISE, DAPHNÉ

 

LÉANDRE, aux deux femmes restées.

Fut grand homme de guerre ; et, de maître de camp,

Donna dans le commerce, et devint trafiquant.

Or donc, pour revenir, pour être laconique,

Martin Braillard Babille était oncle d’Enrique,

Major et gouverneur de Quimpercorentin.

Je dois avoir sa place, et le dis à dessein.

Enrique donc, neveu de Martin...

Il se mouche.

CÉPHISE, à part.

Ah ! j’expire,

J’étouffe et je m’en vais.

Elle sort.

 

 

Scène XV

 

LÉANDRE, DAPHNÉ

 

DAPHNÉ, à part.

Moi, je crève de rire.

Elle s’en va.

 

 

Scène XVI

 

LÉANDRE, seul, sans s’en apercevoir, et poursuivant son récit

 

Hérita de ses biens ; car ce Martin Braillard

N’avait, à son décès, laissé qu’un fils bâtard,

Mort depuis en Espagne, et, pour toute famille,

De son épouse Alix n’avait eu qu’une fille,

Trépassée, enterrée un an avant sa mort,

Qui promettait beaucoup, et qu’il chérissait fort.       

 

 

Scène XVII

 

NÉRINE, venant, en tapinois, et se tenant derrière Léandre, pour l’écouter, sans qu’il la voie, LÉANDRE

 

LÉANDRE, à part.

Enrique combattit et sur mer et sur terre,

Et laissa les trois quarts de son corps à la guerre ;

Car il perdit un œil à Gand, le fait est sûr,

La cuisse droite à Mons, le bras gauche à Namur.

Il n’aimait pas le vin et haïssait les femmes...

Je le dis à regret ; excusez-moi, mesdames :

De vous fâcher en rien...

NÉRINE, derrière lui, et l’interrompant.

Vous êtes bien poli.

LÉANDRE, se retournant et s’apercevant que les six femmes l’ont quitté.

Ah ! Nérine, c’est toi... Mais je suis seul ici...

Je m’en serais douté !... Peste soit des femelles !

Dans tous leurs entretiens elles sont éternelles,

Veulent parler, parler, et n’écouter jamais !

Ces bavardes, surtout, bon dieu ! que je les hais !...

Le talent le plus rare et le plus nécessaire,

Surtout dans une femme, est celui de se taire.

NÉRINE.

Ah ! monsieur, quel exploit ! avoir ainsi défait,

Su vaincre, surpasser en babil, en caquet,

Six femmes à la fois, et leur donner la fuite !

Quelles femmes encor ! la braillarde Mélite,

L’éternelle Céphise et la rogue Doris,

Causeuses par état, s’il en est dans Paris.

Après être sorti vainqueur de cette affaire,

Qui peut vous refuser le surnom de commère ?

LÉANDRE, à part.

Voyez la médisance ! à peine ai-je eu le temps

De dire quatre mots, de desserrer les dents...

Mais je sors.

NÉRINE, lui présentant une lettre.

Attendez... Voici certaine lettre,

Qu’on vient de me donner, monsieur, pour vous remettre.

LÉANDRE, prenant la lettre, et l’ouvrant.

Elle vient de l’abbé... Voyons ce qu’elle dit.

Il lit haut.

« Comme on ne saurait vous parler, monsieur, je prends le parti de vous écrire. Vous venez d’échouer dans l’affaire en question, pour avoir trop parlé et n’avoir pas assez agi, et faute de vous être rendu chez moi, quand je vous ai envoyé mon laquais. Vous n’en sauriez douter, puisque Valère vient d’obtenir le gouvernement, par l’entremise de la personne chez qui je devais vous mener ce matin.

« L’abbé BRIFFART. »

NÉRINE.

J’approuve cette lettre, et c’est fort bien écrit.

LÉANDRE, à part.

L’injustice est criante, et je devais peu craindre...

Mais j’aurai le plaisir d’aller partout m’en plaindre ;

Et Clarice vaut mieux que cent gouvernements.

 

 

Scène XVIII

 

VALÈRE, CÉPHISE, CLARICE, LÉANDRE, NÉRINE

 

CÉPHISE, à Valère, en montrant Léandre.

Vous saurez devant lui quels sont mes sentiments,

Et je vais m’expliquer sans tarder davantage.

LÉANDRE.

Madame, en ce moment, j’attends votre suffrage.

NÉRINE, à Céphise.

De Quimpercorentin Valère est gouverneur.

CÉPHISE, en montrant Valère.

Je viens d’en être instruite, et fais choix de monsieur.

LÉANDRE.

Contre les sentiments que vous faisiez paraître ?

CÉPHISE.

Je n’avais pas alors l’honneur de vous connaître,

Et je ne savais pas que vous étiez, enfin,

Arrière petit-fils du célèbre Martin.

VALÈRE, à Léandre.

Vous serez de ma noce.

CLARICE, à Léandre.

Ami, maîtresse, affaire,

Vous perdez tout, monsieur, pour n’avoir su vous taire.

NÉRINE, à Léandre.

Monsieur le gouverneur, je vous baise les mains.

Céphise, Clarice, Valère et Nérine sortent.

 

 

Scène XIX

 

LÉANDRE, seul

 

Je n’ai rien à répondre à ces discours malins ;

Mais, pour me consoler de ce qui les fait rire,

Allons chercher quelqu’un à qui pouvoir le dire...

Il fait quelques pas pour sortir, et, revenant, s’adresse au parterre.

Messieurs, un mot avant que de sortir.

Je serai court, contre mon ordinaire.

Si, par bonheur, j’ai pu vous divertir ;

Si mon babil a su vous plaire,

Daignez le témoigner tout haut.

Si je vous déplais, au contraire,

Retirez-vous sans dire mot ;

N’imitez pas mon caractère.

PDF