Le Clou aux maris (Eugène LABICHE - Eugène MOREAU)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 1er avril  septembre 1858.

 

Personnages

 

PICQUEFEU, avoué

BESUCHON

AMÉDÉE, domestique

OLYMPIA, femme de Picquefeu

FRIQUETTE, femme de chambre

 

La scène est à Paris, chez Olympia.

 

Le théâtre représente un salon. Portes latérales, porte au fond conduisant à l'extérieur ; un bureau, à droite ; au fond, un portrait d'homme en cravate blanche et en lunettes ; à droite, toujours au fond, un chien dans un cadre pareil à celui du portrait, et faisant pendant.

 

 

Scène première

 

FRIQUETTE, puis BESUCHON

 

FRIQUETTE, seule, époussetant, puis regardant le portrait.

C’était tout de même un bel homme que le premier mari de madame !... C’est égal, je ne peux pas le regarder sans rire !... Ce bon M. Montgicourt !... Quand je pense que, dans ce moment, sa femme est à la mairie, en train de se remarier avec M. Picquefeu !

Parlant au portrait.

Pauvre homme, va !... jouis de ton reste ! tu ne flâneras pas longtemps là !... on va te décrocher pour raccrocher l’autre… le nouveau !... mais celui-ci n’a qu’à bien se tenir.

Air : Ils m’ont fait, hier, à l’office…

Car le second aura beau faire,
Toujours sa femme lui dira
Que son premier savait mieux plaire !
À tout propos il reviendra :
Le premier sera toujours là !
De fait ! eût-il ruiné sa femme !
L’eût-il trompée ! eût-il fait plus !

Geste.

Un mari n’a qu’à rendre l’âme
Pour avoir toutes les vertus ! (Bis.)

Eh bien, je n’aurais jamais cru que madame se remarierait… si tôt !... L’a-t-elle pleuré son premier ! ses yeux avaient l’air de deux ruisseaux ! Après ça, plus les ruisseaux coulent vite… plus ils sèchent vite !

BESUCHON, entrant par le fond.

M. Picquefeu, s’il vous plaît ? je suis très pressé.

FRIQUETTE.

Il est sorti.

BESUCHON.

Allons ! c’est fait pour moi ! Pourquoi est-il sorti ? un avoué ne doit pas sortir !

FRIQUETTE.

Il se marie !

BESUCHON.

Ah !... l’imbécile !

FRIQUETTE.

Hein ?

BESUCHON.

À quelle heure se marie-t-il ?

FRIQUETTE.

À midi.

BESUCHON.

Très bien !... je serai ici à midi un quart.

Sortant.

Bonsoir !

FRIQUETTE.

Bonjour ! En voilà un original !

 

 

Scène II

 

FRIQUETTE, AMÉDÉE

 

AMÉDÉE, entrant par la droite, et se détirant.

Ah ? j’ai bien dormi !

Il bâille.

FRIQUETTE, à part.

M. Amédée… l’ancien valet de chambre du premier !

Haut.

Vous vous levez à onze heures ?

AMÉDÉE.

Mon Dieu, oui ! Mon chocolat est-il prêt ?

FRIQUETTE.

Je n’en sais rien ! je ne suis pas la cuisinière ! Ah çà ! est-ce que vous vous figurez que ça va continuer ?

AMÉDEE.

Quoi ?

FRIQUETTE.

Votre petit commerce.

AMÉDÉE.

Quel petit commerce ?

FRIQUETTE.

Vous ne faites rien ici… que vos quatre repas !

AMÉDÉE.

Mademoiselle Friquette !

FRIQUETTE.

Sous prétexte que vous avez connu le défunt, madame vous a gardé… Vous lui parlez de son premier mari, vous lui citez ses bons mots, ses traits d’esprit… vous la faites pleurer.

AMÉDÉE.

Oui, nous nous attendrissons ensemble sur la mémoire de cet excellent M. Montgicourt !...

FRIQUETTE.

Dont vous vous moquez comme de l’an quarante !

AMÉDÉE.

Par exemple !...

FRIQUETTE.

Dites donc, entre nous... il paraît qu’il n’était pas fort ?

AMÉDÉE, s’oubliant.

Lui ? il était bête comme…

S’arrêtant et à part.

Oh ! diable !

FRIQUETTE.

Allez donc ! madame n’est pas là !

AMÉDÉE.

Au fait… c’est entre nous. Non seulement il était bête comme…

Montrant le portrait.

comme son caniche… Fox… que nous avons fait peindre pour lui servir de pendant, mais encore il était avare, gourmand, sournois, têtu…

FRIQUETTE.

Et vous le pleurez toute la journée.

AMÉDÉE.

Dame ! c’est ma position !

Air de Joseph.

Il m’a légué près de sa femme
Le soin de lui parler de lui :
Au défunt je sers de réclame,
Sauvant ses vertus de l’oubli.
Chaque jour, je les lui rappelle,
En éternisant sa douleur.

FRIQUETTE.

Alors, il vous planta près d’elle,
En guise de saule pleureur.

TOUS DEUX.

Alors, il vous planta près d’elle,
Alors, il me planta près d’elle, etc.

FRIQUETTE.

C’est égal, c’est un bon truc que vous avez trouvé là.

AMÉDÉE.

Oui, il n’est pas mauvais !

FRIQUETTE.

Mais je vous préviens que ça ne durera pas !

AMÉDÉE.

Et pourquoi ça ?

FRIQUETTE.

Puisque madame prend un second mari, c’est probablement avec l’intention d’oublier le premier !

AMÉDÉE.

L’oublier ? jamais !

FRIQUETTE, montrant le portrait.

Eh bien, je vous dis, moi, qu’on va le décrocher !

AMÉDÉE.

Décrocher M. Montgicourt ? Vous ne connaissez pas madame !

FRIQUETTE.

Ah ! ouat !

 

 

Scène III

 

AMÉDÉE, FRIQUETTE, PICQUEFEU, OLYMPIA, en costume de mariée, INVITÉS.

 

Picquefeu entre en donnant la main à Olympia ; ils sont suivis des invités.

CHŒUR.

Air.

Chantons tous les doux nœuds
Qui vont faire encore deux heureux !
C’est l’assurance,
Pour leur cœur,
Pour mon cœur,
D’une existence
De bonheur !

PICQUEFEU, aux invités.

Merci, mes bons amis, d’avoir bien voulu assister à mon mariage.

À Olympia.

Car il n’y a plus à s’en dédire… nous sommes célébrés !

OLYMPIA, soupirant.

Hélas !

AMÉDÉE, de même.

Hélas !

PICQUEFEU.

Plaît-il ?

Aux invités.

Je regrette de ne pouvoir vous offrir ni repas de noces, ni bal…

OLYMPIA.

Oh ! non ! pas de bal !

AMÉDÉE.

Pas de bal !

PICQUEFEU, à part, regardant Amédée.

De quoi se mêle-t-il, celui-là ?...

OLYMPIA.

Dans ma position, tout ce qui aurait pu ressembler à une fête eût été une inconvenance, pour ne pas dire un remords.

PICQUEFEU.

Oh ! un remords !

AMÉDÉE

Un grand remords !

PICQUEFEU, à part.

Est-ce qu’il ne va pas finir, cet animal-là ?

OLYMPIA, saluant les invités.

Messieurs.

LES INVITÉS, saluant.

Madame.

Reprise du CHŒUR.

Chantons tous les doux nœuds, etc.

Les invités sortent par le fond. Olympia entre à gauche, Amédée et Friquette entrent à droite.

 

 

Scène IV

 

PICQUEFEU, seul

 

Ça y est ! me voilà marié ! Mon Dieu, mon Dieu, que la vie est drôle !... il y a quinze jours, j’étais maître clerc dans l’ex-étude de feu M. Montgicourt… un avoué… pas drôle… décédé il y a dix mois… Je voulais être seul, je m’étais enfermé dans mon cabinet pour travailler… et je faisais des petits bateaux avec des coquilles de noix… comme c’est mon habitude après mon déjeuner. Tout à coup on frappe… « Entrez ! » Entre un monsieur… un parent… très grêlé… qui, le jour suprême, avait prononcé quelques paroles bêtes, mais bien senties ! Ce monsieur me déclare, après plusieurs circuits, que j’avais inspiré de l’intérêt à madame Montgicourt la veuve ! Bref ! il me propose sa main, et l’étude avec ! Je tombai de mon haut… et cependant j’aurais dû m’y attendre… il y a quelque chose en moi qui aimante les veuves… c’est dans l’œil, ça… j’ai l’œil aux veuves ! Je n’ai pas besoin de dire que j’acceptai avec empressement… Je voulais aller me jeter aux pieds de la patronne, lorsque ce bonhomme m’arrêta : « Pas de cour ! pas de bouquets ! c’est la volonté de madame Montgicourt ; elle vous connaît, vous lui convenez, vous la verrez le jour de la célébration !... » Ça me parut drôle… mais le moyen de refuser… une femme charmante ! une étude de premier ordre, un appartement délicieux… parfaitement meublé. 

Apercevant le portrait.

Tiens voilà le patron !... Bonjour, patron !... vous savez que vous n’allez pas rester là !... c’est ma place !

À lui-même.

Ça me gênerait de l’avoir sur le dos… quand j’embrasserais sa femme… c’est-à-dire ma femme ; il aurait l’air de me dire : « Je l’ai embrassée avant toi !... » C’est désagréable ! je lui trouverai un petit coin… noir ! seulement je garderai son cadre… pour me mettre dedans !

S’adressant au portrait.

Tu ne tiens pas à ton cadre, n’est-ce pas ?... Très bien, il est brave homme !... tu es brave homme !

 

 

Scène V

 

PICQUEFEU, AMÉDÉE

 

Amédée  entre en brossant une tunique de garde national.

PICQUEFEU, l’apercevant.

Ah ! ah ! c’est ce jocrisse d’Amédée…

À Amédée.

Eh bien, qu’est-ce que tu fais là ? je ne suis pas de garde, imbécile !

AMÉDÉE.

Je ne sais pas si vous êtes de garde… je brosse la tunique de M. Montgicourt.

PICQUEFEU.

Comment, la tunique, puisqu’il est rayé des cadres ?

AMÉDÉE.

Ah ! pas pour nous ! jamais pour nous !

PICQUEFEU.

C’est possible ! mais pour la garde nationale !...

AMÉDÉE.

La garde nationale ne me regarde pas !... Madame m’a dit : « Vous continuerez à le servir. »

PICQUEFEU, à part.

Qu’est-ce qu’il chante ?

AMÉDÉE.

Aussi, tous les matins, je brosse ses habits, je cire ses souliers, je lui monte de l’eau chaude pour sa barbe… absolument comme s’il existait, il n’y a rien de changé !

PICQUEFEU, à part.

Il n’y a qu’un avoué de moins.

AMÉDÉE.

Je lui prépare son verre d’eau sucrée le soir… je le bois le matin.

PICQUEFEU.

Ah !...

AMÉDÉE, avec conviction.

Un si bon maître ! je ne suis pas dégoûté de lui !

PICQUEFEU.

Parbleu ! et pourquoi ce verre d’eau posthume ?

AMÉDÉE.

C’est pour son ombre… nous avons la religion du souvenir, nous !... Il m’a augmenté, monsieur ; son dernier soupir a été pour m’augmenter !

PICQUEFEU, à part.

Ah ! mais il m’ennuie…

Haut.

Veux-tu me faire un plaisir ?

AMÉDÉE.

Lequel ?

PICQUEFEU, montrant le portrait.

C’est de le mettre délicatement sur ton dos, et d’aller le murer au grenier.

AMÉDÉE.

M. Montgicourt au grenier ? jamais !

PICQUEFEU.

Ah ! mais… quand je te commande…

AMÉDÉE.

Je vais allumer son feu !

Il va à la porte de gauche et frappe.

Monsieur ?... peut-on entrer ?

PICQUEFEU.

Puisqu’il n’y est pas !

AMÉDÉE.

J’avais l’habitude de frapper… et je frappe ! il n’y a a rien de changé !...

Il entre à droite, emportant la tunique.

 

 

Scène VI

 

PICQUEFEU, puis FRIQUETTE

 

PICQUEFEU, seul.

Ah ! mais il m’agace, celui-là ; je ne crois pas qu’il use beaucoup d’escarpins à mon service !... Je vais prier ma femme de le camper à la porte…

Il remonte vers la porte de gauche.

FRIQUETTE, paraissant à la porte de gauche.

On n’entre pas.

PICQUEFEU.

Comment ?

FRIQUETTE.

C’est la chambre de madame…

PICQUEFEU.

Eh bien, il me semble que…

FRIQUETTE, montrant une porte.

Vous avez la vôtre.

PICQUEFEU.

Deux chambres ? ah ! mais je n’entends pas ça.

FRIQUETTE.

Voici madame.

PICQUEFEU.

Laisse-nous… j’ai besoin de lui parler.

Friquette sort au fond.

 

 

Scène VII

 

PICQUEFEU, OLYMPIA

 

OLYMPIA paraît à gauche ; elle a quitté sa robe de noces, elle porte une robe un peu foncée et une corbeille à ouvrage à la main. Rêveuse et à elle-même.

Ai-je bien fait d’épouser ce petit bonhomme ? l’avenir me le dira !

PICQUEFEU, à part.

Elle ne me voit pas.

Haut.

Ma chère Olympia…

OLYMPIA, avec indifférence.

Ah ! c’est vous ?... bonjour !

PICQUEFEU, à part.

Elle est très belle, la patronne !

Haut.

Je voulais vous dire... Tiens ! vous avez quitté votre robe de noces ?

OLYMPIA.

Oui.

PICQUEFEU.

Pourquoi ? Je trouve cette nuance un peu sombre pour la circonstance…

OLYMPIA.

Que voulez-vous ! une veuve !...

PICQUEFEU.

Veuve !... mais vous ne l’êtes plus… J’espère vous démontrer que vous ne l’êtes plus.

Il rit.

OLYMPIA, sévèrement.

Monsieur, je ne ris jamais d’une plaisanterie de mauvais goût !

PICQUEFEU.

Pardon !

À part.

Elle est bégueule !

Haut.

Ne vous fâchez pas, chère amie.

OLYMPIA.

Appelez-moi madame Montgicourt !

PICQUEFEU.

Ah ! permettez !... madame Picquefeu !... puisque nous sommes…

OLYMPIA, négligemment.

Ah ! oui, c’est vrai ! je l’avais oublié.

PICQUEFEU.

Je vous demanderai la permission de vous en faire ressouvenir… quelquefois !

OLYMPIA, sévèrement.

Encore !

PICQUEFEU, à part.

Elle a compris !

Haut.

Je n’en dirai plus !... c’est la dernière !... je le jure sur cette main, cette main si jolie…

Il prend la main d’Olympia et veut l’embrasser.

OLYMPIA, le repoussant vivement.

Finissez !... je n’aime pas ces licences !

PICQUEFEU.

Ces licences ?... permettez…

OLYMPIA.

Vous ne rougissez pas !

Montrant le portrait.

devant son portrait ! sous ses yeux !

PICQUEFEU.

C’est juste.

À part.

Il est gênant, cet animal-là !... Ah çà ! c’est un ménage à trois : Montgicourt et compagnie !

Offrant son bras à Olympia.

Si nous passions dans une autre pièce ?...

OLYMPIA.

Jamais.

PICQUEFEU.

Comment, jamais ?

OLYMPIA.

Voyons, que prétendez-vous, monsieur ?

PICQUEFEU.

Mais… si je n’ai pas la berlue… il me semble que nous nous sommes un peu mariés ce matin…

OLYMPIA.

Eh bien, après ?

PICQUEFEU.

Dame ! après… Voulez-vous me permettre d’en dire encore une ?

OLYMPIA.

Je vous le défends !

PICQUEFEU, à part.

Elle a encore compris !

OLYMPIA.

Monsieur Ernest, je vois que vous ne vous rendez pas bien compte de notre position réciproque… Nous avons à causer… Asseyez-vous !

Elle s’assied à gauche.

PICQUEFEU.

Asseyons-nous.

Il prend une chaise et se place tout près d’Olympia.

OLYMPIA.

Pas si près !

PICQUEFEU.

Ah !

À part, reculant sa chaise.

Il me semble pourtant que nous nous sommes un peu mariés ce matin…

OLYMPIA.

Je serai franche, monsieur Ernest… j’aime passionnément mon mari…

PICQUEFEU, se levant et empressé.

Ah ! Olympia !... voilà une bonne parole !... croyez que, de mon côté…

OLYMPIA, froidement.

Il ne s’agit pas de vous !... je parle de M. Montgicourt !

PICQUEFEU, allant se rasseoir.

Ah !... pardon… je croyais…

À part.

Ce n’est pas gracieux, ce qu’elle me dit là !

OLYMPIA.

Vous l’avez connu, cet homme remarquable !

PICQUEFEU.

Oh ! remarquable…

À part.

par son embonpoint !

OLYMPIA.

Ah ! si vous aviez pu, comme moi, effeuiller l’âme de Jules !

PICQUEFEU.

J’avoue que je n’ai jamais eu l’occasion de me livrer à ce travail sur l’âme de mon patron.

OLYMPIA.

Il était bon, généreux, sobre… il déjeunait avec un œuf !

PICQUEFEU.

Petite fourchette !

OLYMPIA, continuant.

Je vous ferai lire les lettres qu’il m’écrivait avant notre mariage, et vous verrez combien il était fidèle, aimant et tendre ! ah ! tendre ! si vous saviez !

PICQUEFEU.

Assez ! assez ! je ne demande pas de détails ; je ne me refuse pas à donner une petite larme… petite !... à mon prédécesseur ; mais je ne tiens pas à connaître les… vivacités de son caractère…

Se levant.

Tout ce que je puis dire, madame, c’est que je ne redoute aucune comparaison… aucune !

OLYMPIA, se levant.

Monsieur… un dernier mot… Je me suis juré de ne jamais appartenir à un autre que Jules !

PICQUEFEU.

Hein ?

OLYMPIA.

À mon Jules !

Elle envoie plusieurs baisers au portrait.

PICQUEFEU.

Ah ! mais finissez ! madame, finissez !

OLYMPIA.

N’insistez pas, c’est un serment.

PICQUEFEU.

J’en suis désolé, madame… mais on n’a pas le droit de collectionner des maris pour l’amour de l’art ! Quand monsieur votre parent m’a fait l’honneur de me demander ma main, il ne m’a pas prévenu de cette clause… platonique.

OLYMPIA.

Il a bien fait ! car vous n’auriez sans doute pas voulu m’épouser ?...

PICQUEFEU.

Je ne dis pas ça… mais généralement on n’aime pas entrer dans une société qui ne donne pas de dividendes !

OLYMPIA.

Alors, il m’eût fallu vendre l’étude !... il m’eût fallu quitter cet appartement… tout plein de son souvenir !... renoncer à contempler son bureau, sa plume, son encrier !...

PICQUEFEU, à part.

Tout ce qu’il faut pour écrire…

OLYMPIA.

Renoncer à m’asseoir dans son fauteuil…

S’attendrissant.

à me regarder dans le petit miroir où il avait coutume de se faire la barbe !... Oh ! c’était au-dessus de mes forces !...

Tranquillement.

Alors j’ai pensé à vous !

PICQUEFEU.

Merci bien !

OLYMPIA.

Je me suis dit : « Un petit clerc… sans position… sans fortune… voilà mon affaire ! »

PICQUEFEU.

Mais c’est immoral !

OLYMPIA.

«  Et puis ce n’est pas un étranger !... il a connu Montgicourt, il a vécu de ses bienfaits !... »

PICQUEFEU.

Moi ? il me donnait quarante francs par mois !

OLYMPIA.

« Eh bien, le soir, me disais-je… nous pourrons parler de lui ! »

Lui prenant le bras.

Oh ! n’est-ce pas que nous parlerons de lui ?

PICQUEFEU, à part, se dégageant.

Turlututu !

OLYMPIA.

Au moins, si je pleure, j’aurai là quelqu’un pour me comprendre…

PICQUEFEU.

C’est ça !

Air : Ces postillons.

Vous voulez que, près de vos charmes,
Le successeur d’un homme heureux,
De sa veuve toujours en larmes
Ne fasse qu’essuyer les yeux ?

OLYMPIA.

Ah ! vous comprenez bien mes vœux.

PICQUEFEU.

Alors, si j’ai su vous comprendre,
Ce n’était pas (dans cet espoir)
Un mari qu’il vous fallait prendre :
Ce n’était qu’un mouchoir. (Bis.)

OLYMPIA.

Oh ! mais j’entends vous faire une position honorable !... vous dînerez à ma table, vous serez logé, chauffé…

PICQUEFEU.

Et blanchi… en qualité de mouchoir ! Madame, tout cela est fort joli, mais je n’entre pas dans vos petites combinaisons !... il faut en finir !

OLYMPIA.

Que voulez-vous dire ?

PICQUEFEU.

La loi m’accorde des droits, et…

Il veut s’approcher d’elle.

OLYMPIA.

Des droits ! vous oseriez… ?

PICQUEFEU.

Mais... il me semble !...

OLYMPIA, montrant le portrait avec dignité.

Je suis mariée, monsieur !

PICQUEFEU.

Eh bien, et moi ?

Il veut lui prendre la taille.

Ensemble.

Air de la Juive.

OLYMPIA.

Oser, quelle impudeur !
Profaner mon corsage !
Et devant cette image !
Monsieur, c’est une horreur
Quand je vous ai promis
En tout obéissance,
L’amour était, d’avance,
Dans le tout non compris

PICQUEFEU.

Sortez de cette erreur :
Je prétends, en ménage,
Que ma femme s’engage
À faire ,mon bonheur,
Quand vous m’avez promis
En tout obéissance,
L’amour était, je pense,
Dans le tout bien compris.

Olympia se réfugie à droite, dans la chambre de Montgicourt.

 

 

Scène VIII

 

PICQUEFEU, puis FRIQUETTE

 

PICQUEFEU, seul.

Ah ! mais… ce n’est pas une femme que j’ai épousée… c’est une urne ! l’urne Montgicourt ! et moi qui ai promis à papa de le faire grand-père !

Regardant le portrait du chien.

Et dire que voilà mon rival !.. ah ! non !

Se retournant vers le portrait de Montgicourt.

Et dire que voilà mon rival !... Si je pouvais démolir sa mémoire et en faire des petits morceaux !... Il a dû avoir des vices, ce gros bonhomme-là !... un grand nez et l’œil sournois. je parie qu’il trompait sa femme !... c’est ça qui serait bon si je pouvais découvrir…

FRIQUETTE, entrant.

Madame, on demande.

PICQUEFEU.

Friquette ! avance ici !

FRIQUETTE.

Monsieur ?

PICQUEFEU.

J’ai besoin de toi… tu vas m’aider !

FRIQUETTE.

À quoi ?

PICQUEFEU.

À faire dégringoler le Montgicourt !

FRIQUETTE.

Comment ?

PICQUEFEU.

Tu vas répandre le bruit qu’il te pinçait la taille dans les escaliers… et qu’il t’a donné une montre en or !...

Il lui donne sa montre.

FRIQUETTE.

Par exemple ! je ne trouverais plus de mari !

PICQUEFEU.

Tu veux un mari ?

Lui prenant la taille.

Dis donc, j’en connais un sans emploi.

Il veut l’embrasser.

FRIQUETTE, se défendant.

Finissez !

PICQUEFEU.

Ah ! c’est comme ça ?... rends-moi ma montre.

Il la reprend.

Écoute, le jour où tu m’apporteras la preuve de l’infidélité de M. Montgicourt, je te compte cinquante écus… en argent !

FRIQUETTE.

Oh ! monsieur, c’est inutile… il était fidèle comme un caniche !

PICQUEFEU.

Friquette, il ne faut pas toujours se fier aux caniches… j’en ai connu qui se dérangeaient !

FRIQUETTE, à elle-même.

Après ça, c’est possible… Voyons, où pourrait-on bien prendre des renseignements ?

PICQUEFEU.

Questionne, interroge… lie-toi avec le portier !

FRIQUETTE.

C’est une portière.

PICQUEFEU.

Raison de plus… une portière vaut deux portiers !... de mon côté, je vais fouiller, fureter.

Apercevant le bureau.

Ah ! son bureau !...

FRIQUETTE.

Moi, je vais faire causer la portière !

PICQUEFEU.

Promets-lui un pain de sucre et deux bouteilles d’anisette !

Friquette sort.

 

 

Scène IX

 

PICQUEFEU, puis BESUCHON

 

PICQUEFEU, ouvrant un tiroir du bureau.

Voyons !...

Il fouille.

Ah ! son écriture !... je la reconnais !

Lisant.

« Documents secrets. Recette pour faire reluire les flambeaux… On frotte… » Ce n’est pas ça !...

Prenant un autre papier.

« Recette pour les boutons… » Ah ! de bretelles… Si, dans un salon, vous avez le malheur de perdre un bouton de bretelle, prenez une épingle… Si vous n’en avez pas… empruntez-en une… »

Parlé.

Je ne l’invente pas… c’est écrit ! et voilà l’huître qu’on me préfère !

Prenant un volumineux cahier de papier et lisant.

« Notes pour servir à l’histoire de ma vie… »

Ouvrant au hasard.

« 9 janvier, pris un bain trop chaud… »

BESUCHON, entrant.

M. Picquefeu, avoué ?

PICQUEFEU.

C’est moi…

BESUCHON, brusquement.

Enfin, l’on vous rencontre ! ce n’est pas malheureux !

PICQUEFEU.

Qu’est-ce qu’il y a ?

BESUCHON.

En trois mots, voici mon affaire…

PICQUEFEU.

Vous venez pour affaires ?... Pardon, monsieur, je viens de me marier, l’étude est fermée, c’est fête…

BESUCHON, furieux.

Qu’est-ce que ça me fait ? il n’y a pas de fête pour un mari trompé !

PICQUEFEU.

Ah ! monsieur est… ?

BESUCHON.

Oui, monsieur !

PICQUEFEU.

Enchanté !... donnez-vous la peine de vous asseoir.

BESUCHON.

Non, monsieur, je ne veux pas m’asseoir.

PICQUEFEU.

Alors, restez debout…

Il s’assied près du bureau. Lisant.

« 4 mars, pris un bain trop froid. »

BESUCHON, s’asseyant près de Picquefeu.

Monsieur, ma femme est une coquine !...

PICQUEFEU.

Le mot est dur !

BESUCHON, furieux, se levant.

Plait-il ?... vous la défendez ? vous prenez son parti ?

PICQUEFEU, se levant.

Moi ? du tout !... vous me faisiez l’honneur de me dire que madame votre épouse était une coquine !... c’est à merveille ! ça me fait plaisir !... continuez !

Il s’assied.

BESUCHON, s’asseyant.

Partie pour les eaux de Cauterets depuis un mois.

PICQUEFEU.

Vous ?

BESUCHON.

Mais non ma femme ! Vous ne comprenez donc rien ?

PICQUEFEU, à part.

Ah ! mais c’est un porc-épic !

BESUCHON.

Resté seul à Paris.

Criant.

Seul ! comprenez-vous ?

PICQUEFEU, criant.

Vous ?...

BESUCHON.

Oui, moi !

PICQUEFEU.

Oui !... oui !...

BESUCHON.

Ce matin, il me prend fantaisie d’ouvrir son armoire à glace… derrière une pile de linge, mes doigts se heurtent contre un coffret mystérieux, je le prends, je l’éventre… et je trouve trente-deux lettres d’amour !...

PICQUEFEU.

C’est désagréable.

BESUCHON.

Signées Jules ! un monsieur qui la tutoie ! qui l’appelle « mon petit sapajou » !

PICQUEFEU, tout en feuilletant les mémoires de Montgicourt.

Oh ! peut-être aurez-vous mal lu…

BESUCHON, exaspéré, se levant.

C’est ça ! je ne sais pas lire !

PICQUEFEU, se levant.

Je ne dis pas ça !

BESUCHON.

Alors j’en ai menti ?...

PICQUEPEU, impatienté.

Oh !

BESUCHON.

Je suis un idiot ! une brute !... Mal lu ! une écriture qui ne me sort pas de la tête ! une écriture grosse comme…

Apercevant le cahier que tient Picquefeu.

Ah ! mon Dieu ! sapristi !

PICQUEFEU.

Quoi ?

BESUCHON, lui arrachant le cahier.

Permettez !... juste !... la même !

PICQUEFEU.

Hein ?

BESUCHON.

L’écriture de Jules !

PICQUEFEU.

De Jules ?... vous êtes bien sûr ?

BESUCHON.

Parbleu !... Vous le connaissez ?

PICQUEFEU.

Certainement !... Ah ! mon ami ! si vous saviez !... ces lettres, il faudra me les remettre… elles font partie du dossier…

BESUCHON.

Dans une heure, vous les aurez.

PICQUEFEU.

Dans une heure !

Il se met à danser.

Tra la la !

BESUCHON, à part.

Qu’est-ce qu’il a donc cet avoué ?

PICQUEFEU.

Vous ne pouvez pas comprendre le plaisir que me cause… votre anecdote !... Tra la la la !...

BESUCHON.

Comment, parce que ma femme… ?

PICQUEFEU.

Rien ne pouvait m’être plus agréable !

Lui serrant les mains.

Mon cher ami !... voulez-vous dîner avec moi ?

BESUCHON.

Merci, je n’ai pas faim !... j’ai soif !...

PICQUEFEU.

Un verre de madère ?

BESUCHON.

Non ! j’ai soif de vengeance ! voyons, où est-il, ce Jules, que je le broie ?

PICQUEFEU.

Montgicourt ! il s’appelle Montgicourt !... mon ancien patron… Tenez, voilà son portrait.

BESUCHON, s’élançant vers le portrait.

Lui !

PICQUEFEU, à part.

S’il pouvait le crever !

Il lui donne une règle. Haut.

Ne vous gênez pas, allez !

BESUCHON, menaçant le portrait.

Enfin !... je le tiens ! Ah ! gredin ! lâche !... suborneur !

PICQUEFEU.

Plus haut ! sa femme est là !

BESUCHON.

Ah ! il est marié !... Eh bien, tant mieux ! je tiens ma vengeance… je veux lui rendre ce qu’il m’a fait !

PICQUEFEU.

Oui ! c’est une bonne idée !

Se rappelant.

Ah ! mais non ! non ! je m’y oppose !

BESUCHON.

Vous avez raison ! j’aime mieux le tuer !

PICQUEFEU.

C’est ça.

À part.

Ça ne lui fera pas de mal !

BESUCHON.

Du papier ! une plume ! je vais lui écrire ! le provoquer !

Il s’assied au bureau.

 

 

Scène X

 

BESUCHON, PICQUEFEU, OLYMPIA

 

OLYMPIA, entrant, à elle-même avec attendrissement.

Je viens de contempler sa tunique… elle se mangeait aux vers… Alors j’ai pris du poivre et…

Elle éternue.

PICQUEFEU, à Olympia.

Dieu vous bénisse !

OLYMPIA, se remettant.

Ah ! c’est vous ?

PICQUEFEU.

Je suis fâché de vous déranger, mais il y a là un monsieur qui désire vous parler de ce vertueux Montgicourt…

OLYMPIA, vivement.

Un ami de Jules ?

PICQUEFEU.

Intime !

OLYMPIA.

Vite ! qu’il entre !

PICQUEFEU, montrant Besuchon qui se lève.

Le voici !...

Présentant sa femme.

Madame Montgicourt... madame Jules Montgicourt.

OLYMPIA, saluant.

Monsieur…

À Picquefeu.

Laissez-nous !

PICQUEFEU.

Plait-il ?

OLYMPIA.

Laissez-nous !

PICQUEFEU.

Oui !

À part.

Je crois que petit Jules va un peu dégringoler !

Il disparaît au fond.

 

 

Scène XI

 

BESUCHON, OLYMPIA, puis PICQUEFEU, caché

 

OLYMPIA.

Parlez !... vous l’avez connu, cet homme de bien… il a été votre ami ?...

BESUCHON.

Lui ?... Madame, votre mari est un polisson !

OLYMPIA.

M. Montgicourt !

BESUCHON.

Il vous trompe ! il a des maîtresses !

OLYMPIA.

Jamais ! vous mentez !

BESUCHON.

J’ai trente-deux lettres écrites de sa main… adressées à ma femme…

OLYMPIA.

Où sont-elles ?

BESUCHON.

Chez moi… je vais les chercher.

OLYMPIA, à elle-même.

C’est impossible !

BESUCHON.

Il la tutoie ! il l’appelle « mon petit sapajou » !

OLYMPIA, avec explosion.

Juste le nom qu’il me donnait !

Défaillant.

Ah ! je ne sais ce que j’éprouve… un pareil coup…

Elle tombe sur un fauteuil.

BESUCHON.

Eh bien, elle se pâme !... Madame !... Tiens, c’est une jolie femme ! j’en reviens à mon idée !... si je me vengeais ?

PICQUEFEU, entr’ouvrant sa porte et passant sa tête.

Je n’entends plus rien !

BESUCHON.

Ma foi ! je me venge !

Il donne plusieurs baisers à Olympia, qui reste évanouie.

PICQUEFEU, l’apercevant, d’abord enchanté, riant, à part.

Bravo ! bravo !

Se ravisant.

Ah ! mais… non !... Eh bien !... qu’est-ce qu’il fait donc ?

Courant à lui.

Monsieur… monsieur !... je vous défends…

BESUCHON.

Mêlez-vous de vos affaires !

Il veut embrasser de nouveau Olympia.

PICQUEFEU, le prenant au collet et le poussant vers la porte.

II est superbe !... Sortez ! À la garde ! à la garde !

Ensemble.

Air :

PICQUEFEU.

Je vais vous flanquer à la porte,
Pour vous conduire ainsi chez moi ;
À la porte !
Que l’on sorte !
Pour moi, j’ai le droit et la loi !

BESUCHON.

Pourquoi donc me mettre à la porte,
Quand je viens invoquer la loi ?
Peu m’importe
Que je sorte !
Je reviendrai, croyez-moi !

Picquefeu pousse Besuchon dehors et sort avec lui. Le bruit de la porte, en se refermant, réveille Olympia.

 

 

Scène XII

 

OLYMPIA, puis FRIQUETTE

 

OLYMPIA, se levant en sursaut.

Le galopin !... Et moi qui mettais sa mémoire dans du coton ! moi qui me condamnais aux larmes et au désespoir ! Canaille !...

Air : Faut-il qu’un homme…

Quoi ! pendant que je te vantais,
Ta vertu n’était qu’imposture !
Quand je croyais ton âme pure,
Quand j’admirais jusqu’à tes traits,
Vieux singe ! tu me trahissais !
Pour interpeller cet infâme,
Les mots manquent à ma douleur,
Car, pour tromper ainsi sa femme,
Ah ! faut-il qu’un homm’ soit sans cœur !

Elle sonne.

FRIQUETTE, paraissant.

Madame ?

OLYMPIA, indiquant le portrait.

Décrochez-moi ça !

FRIQUETTE.

Ah bah !

OLYMPIA, sanglotant.

Oh ! les hommes ! les hommes !...

Gaiement.

Prout ! je quitte le deuil.

Elle rentre a gauche.

 

 

Scène XIII

 

FRIQUETTE, puis PICQUEFEU

 

FRIQUETTE, seule.

Ah bien !... en voilà une révolution !... décrocher le premier !... Quand je disais qu’il ne flânerait pas longtemps à son clou !... C’est le second qui aura prouvé à sa femme qu’il valait mieux qu’un mari en peinture !...

Montant sur une chaise.

Allons, décrochons monsieur !

PICQUEFEU, rentrant.

Enfin ! je l’ai flanqué à la porte !

Apercevant Friquette montée sur la chaise.

Friquette, qu’est-ce que tu fais là ?

FRIQUETTE.

Le Montgicourt est mûr… je le cueille !

PICQUEFEU.

Comment, tu oses… ?

FRIQUETTE.

Par ordre de madame !

PICQUEFEU.

Par ordre ? Un instant !

La faisant descendre de la chaise et prenant sa place.

Ça me regarde !... Tu ne voudrais pas me priver de ce plaisir-là ?

FRIQUETTE.

C’est trop juste !

PICQUEFEU, cherchant à décrocher le portrait.

Eh bien, il ne veut pas venir !... Il est donc cloué ?

FRIQUETTE.

Il en est bien capable !

PICQUEFEU.

Ah ! le voilà !

Descendant, et très gaiement.

Le bastion Montgicourt est enlevé !

Il se promène, le portrait sous le bras, en imitant le son de la trompette.

Ta ra ta ta ! ta ra ta ta !

Il pose le portrait contre la bureau.

FRIQUETTE.

Il devient fou !

PICQUEFEU.

Oui ! j’entrevois tout un horizon d’amour !... Tiens ! il faut que je t’embrasse !

FRIQUETTE.

Mais, monsieur…

PICQUEFEU.

Ne fais pas attention…

Il veut l’embrasser.

Air de l’Apothicaire.

FRIQUETTE.

Finissez, monsieur ! c’est très mal !

PICQUEFEU.

Du tout, je prélude à ma flamme…
Comprends-tu ? je puis sans rival
Chanter mon amour à ma femme !

FRIQUETTE.

Mais... ce n’est pas une raison !

PICQUEFEU.

Si fait ! puisque je vais, près d’elle,
Continuer cette chanson
Dont tu n’es que la ritournelle.

Il l’embrasse.

 

 

Scène XIV

 

FRIQUETTE, PICQUEFEU, AMÉDÉE, un journal sous bande à la main

 

AMÉDÉE, apercevant Picquefeu qui embrasse Friquette.

Qu’est-ce que je vois ?

PICQUEFEU.

Ah ! te voilà, toi !... Avance !

AMÉDÉE.

Pardon, il faut que je porte le journal de M. Montgicourt… Nous lui avons conservé son abonnement…

PICQUEFEU.

Ah çà ! est-ce que tu vas continuer longtemps à jouer de ce mirliton ?

AMÉDÉE.

Quel mirliton ?

PICQUEFEU.

Tu n’as qu’une note… elle n’est pas drôle… donc, je te chasse !

FRIQUETTE.

Bravo !

AMÉDÉE, fièrement.

Monsieur oublie que je suis au service de M. Montgicourt !

PICQUEFEU.

Il n’y a plus de Montgicourt !... je l’ai avalé.

AMÉDÉE.

Avalé !

PICQUEFEU.

Il paraît que c’était un vieux farceur !... Voyons, conte moi ses fredaines… je te payerai ton mois.

AMÉDÉE.

Jamais !

PICQUEFEU.

Alors file !... tu n’auras que huit jours !

Donnant le portrait à Friquette.

Toi, porte ça au grenier !

AMÉDÉE.

Son portrait ! profanation !

PICQUEFEU, à Amédée.

Oui, c’est convenu !... va faire ton paquet !

Air du Médecin de campagne.

PICQUEFEU.

Décampe bien vite,
Je te tiens quitte ;
Quant au premier,
On va de suite,
Dans le grenier,
Lui trouver un excellent gîte.

Ensemble, reprise.

AMÉDÉE.

Bannir son image !

PICQUEFEU.

Puisqu’elle te plaît,
Je t’en fais hommage.
Avec ton paquet,
Décampe bien vite, etc.

FRIQUETTE.

Décampe bien vite,
On te tient quitte ;
Mais, au premier,
On va de suite, etc.

AMÉDÉE.

Je m’en vais de suite,
Puisque je quitte
Mon bon métier.
Mais, quant au gîte
Dans le grenier,
Qu’on ne l’y porte pas si vite !

Friquette sort par le fond, et Amédée par la droite.

 

 

Scène XV

 

PICQUEFEU, OLYMPIA

 

PICQUEFEU.

Ah ! je crois que j’ai un peu nettoyé la place !

OLYMPIA. Elle est en robe rose. Elle cherche à contenir son rire.

Je ne sais pas ce que j’ai… depuis un quart d’heure, je ris comme une folle… c’est nerveux !

PICQUEFEU.

Ah ! vous avez mis une robe rose ?...

OLYMPIA, riant.

Mon Dieu, oui !...

PICQUEFEU, riant aussi.

Hi hi hi !...

Montrant la place où était le portrait.

Donc ?... il est parti !

OLYMPIA.

Je le vois bien !

Riant.

Hi hi !...

PICQUEFEU, riant.

Hi hi !... Était-il laid, hein ?

OLYMPIA.

Oh ! oui… asseyons-nous.

PICQUEFEU.

Avec plaisir, madame Montgicourt.

OLYMPIA.

Oh ! non, je vous en prie, ne m’appelez plus madame Montgicourt.

PICQUEFEU.

Ah !...

OLYMPIA.

Appelez-moi madame Picquefeu...

Elle rit.

car, enfin, nous sommes mariés.

Elle s’assied à droite.

PICQUEFEU, s’asseyant un peu loin.

Mon Dieu, oui !

OLYMPIA.

Plus près… nous sommes mariés... et nous nous connaissons à peine !

PICQUEFEU.

Le fait est que nous nous connaissons… bien superficiellement… bien superficiellement…

OLYMPIA, après un grand temps.

Ernest… aimez-vous le sentiment ?

PICQUEFEU.

Si je l’aime !... Mais c’est-à-dire que mon rêve… le rêve de ma vie… serait de me promener continuellement autour d’un lac bleu… avec ma femme et mes enfants… pendant les vacances !

OLYMPIA.

Au moins, tu ne me tromperas pas, toi !

PICQUEFEU.

Je vous le jure… je te le jure !

À part.

Nous nous tutoyons !

OLYMPIA.

Ah ! je suis une singulière femme, va !... quand j’aime… c’est avec passion ! c’est avec fureur !...

PICQUEFEU.

Eh bien, ça me va ! ça me va !... soyons furieux.

OLYMPIA.

Est-ce drôle ? Voilà une heure que nous causons… et tu ne m’as pas encore embrassée !… moi, ta femme !

PICQUEFEU, l’embrassant.

Oh ! pardon !

OLYMPIA.

Encore !

PICQUEFEU.

Toujours !

Après l’avoir embrassée plusieurs fois.

Là !

Il se rassoit en éloignant un peu sa chaise.

OLYMPIA.

Tu me donneras ton portrait… je te veux rêveur…

PICQUEFEU.

À l’huile !

OLYMPIA.

Avec ton Code à la main !... Et je te suspendrai à ce clou doré…

Elle désigne la place où était le portrait.

PICQUEFEU.

Oui.

À part.

Il paraît que c’est le clou aux maris !

OLYMPIA.

Tu ne me dis rien ! embrasse-moi.

PICQUEFEU, se levant.

Voilà ! voilà !

Il l’embrasse. Il se rassoit en éloignant un peu sa chaise.

OLYMPIA.

Tu m’aimeras toujours, n’est-ce pas ?

PICQUEFEU.

Oh ! toujours !

OLYMPIA.

Moi, vois-tu, je veux me consacrer à ton bonheur !... Embrasse-moi !

PICQUEFEU, à part.

Encore !... Elle ne me laisse pas respirer !

L’embrassant à plusieurs reprises.

Je vais lui en donner une petite provision… là !

Il éloigne sa chaise et se rassoit.

OLYMPIA.

Maintenant, parle-moi… je veux effeuiller ton âme… dis-moi de jolies petites choses.

PICQUEFEU.

De jolies petites choses ? dame !...

OLYMPIA.

Dis-moi que tu m’aimes !

PICQUEFEU.

Parbleu !

OLYMPIA.

Ah ! tu ne me le dis pas !

PICQUEFEU.

Mais si !

OLYMPIA.

Je veux que tu me le dises !

PICQUEFEU.

Eh bien ! je te le dis !

OLYMPIA.

Non, tu ne l’as pas dit !

PICQUEFEU.

Mais si ! je t’aime… là !

OLYMPIA.

Alors, embrasse-moi !

PICQUEFEU, se levant. À part.

Ah ! mais !... ah ! mais !... Elle devient fatigante !

Il l’embrasse. À part.

Ça ne peut pas durer comme ça !

Il porte sa chaise à l’autre bout de la scène.

OLYMPIA, se levant.

Tu me quittes ?... Où vas-tu ?

PICQUEFEU.

Mettre un paletot… j’ai une course à faire.

À part.

Ça me reposera.

OLYMPIA.

Tu vas revenir… je t’attends ici… je veux que tu m’embrasses avant de partir !

PICQUEFEU.

Parbleu !

OLYMPIA.

Et en rentrant !

PICQUEFEU.

Et dans l’escalier ! et sous la porte cochère !...

À part.

Ah ! mais ! ah ! mais !

Chœur.

Air de Mangeant.

PICQUEFEU.

Faut du bonheur, pas trop n’en faut :
Excès en tout est un défaut ;
J’en avais par trop peu tantôt.
Maintenant, j’en ai vraiment trop !

OLYMPIA.

Mon premier me trompait !... mieux vaut
Aimer mon second comme il faut :
Le bonheur qui me fit défaut,
Pour moi, va renaître bientôt !

Picquefeu rentre à droite.

 

 

Scène XVI

 

OLYMPIA, puis AMÉDÉE

 

OLYMPIA, seule.

Qu’est-ce qu’il a donc ?... Je le trouve timide, mon second.

AMÉDÉE, entrant, avec un paquet dans un mouchoir.

Je viens faire mes adieux à madame… du moment qu’on a décroché M. Montgicourt.

OLYMPIA.

Ne me parlez plus de ce bohème !

AMÉDÉE.

M. Montgicourt un bohème !

OLYMPIA.

Vous étiez son confident… son complaisant peut-être… je vous chasse !

AMÉDÉE.

Merci !... c’est déjà fait… Mais, avant de partir, il est de mon devoir de prévenir madame…

OLYMPIA.

Quoi ? de quoi voulez-vous me prévenir ?

AMÉDÉE.

Madame aura à se méfier de son second…

OLYMPIA.

Me méfier ?... que voulez-vous dire ?

AMÉDÉE.

Je l’ai surpris tout à l’heure en train d’embrasser mademoiselle Friquette !

OLYMPIA.

Lui ! ma femme de chambre ! c’est impossible !

AMÉDÉE.

Je l’ai vu et entendu !

OLYMPIA.

Le jour de son mariage !... Ah ! voilà donc pourquoi il ne m’embrassait pas, moi !

Tragiquement.

Oh ! je sens les serpents de la jalousie !

À Amédée.

Ne t’en va pas ! je te reprends !

AMÉDÉE, posant son paquet.

Ah bah !

OLYMPIA.

Je t’attache au service de M. Picquefeu…

AMÉDÉE.

Comment ?

OLYMPIA.

Tu me rendras compte de ses paroles, de ses actions, de ses gestes, de tout enfin !... c’est une place de confiance !

AMÉDÉE, à part.

J’aimais mieux l’autre !

Picquefeu paraît.

OLYMPIA.

Lui !

À Amédée.

Laisse-nous !

Amédée sort.

 

 

Scène XVII

 

OLYMPIA, PICQUEFEU, puis AMÉDÉE

 

PICQUEFEU.

Ah ! te voilà ! Tu m’attendais ?

OLYMPIA.

Oui !

PICQUEFEU, ouvrant ses bras pour l’embrasser.

Ma chère amie !

OLYMPIA, lui abaissant les bras.

Non !

PICQUEFEU.

Tiens !

OLYMPIA.

Où allez-vous ?

PICQUEFEU.

Chez mon tailleur.

OLYMPIA.

Prétexte !... vous ne sortirez pas.

PICQUEFEU.

Comment !... mais j’ai besoin d’un pantalon…

OLYMPIA, lui arrachant son chapeau et le jetant à terre.

Je vous dis que vous ne sortirez pas !

PICQUEFEU, ramassant son chapeau.

Ah ! mais prends garde… c’est mon neuf !

À part.

Qu’est-ce qu’elle a ?

OLYMPIA.

Si vous avez absolument besoin de votre tailleur… écrivez-lui de venir.

PICQUEFEU.

C’est que… j’avais aussi l’intention de prendre un bain.

OLYMPIA.

Vous voulez prendre un bain ?... très bien !

Elle sonne à droite.

AMÉDÉE, paraissant.

Madame ?...

OLYMPIA.

Allez demander un bain pour monsieur.

Amédée sort. A Picquefeu.

Vous le prendrez ici !

PICQUEFEU.

Je voulais, en même temps, passer chez mon coiffeur.

OLYMPIA.

Votre coiffeur ?... très bien !

Elle sonne à gauche.

AMÉDÉE, reparaissant.

Madame ?

OLYMPIA.

Vous amènerez le coiffeur de monsieur ?

Amédée sort.

PICQUEFEU.

Alors, attachez-moi par la patte !

OLYMPIA.

Oh ! je ne vous quitterai ! plus je serai là ! toujours !

PICQUEFEU.

Comment ! pour le bain aussi ?

OLYMPIA.

Je ne plaisante pas, monsieur !...

PICQUEFEU.

Quoi ?

OLYMPIA.

Répondez : depuis que nous sommes mariés, m’avez-vous toujours été fidèle ?

PICQUEFEU.

Cette bêtise ! nous sommes mariés depuis cinquante-cinq minutes.

À part.

Elle est jalouse à présent !

OLYMPIA.

Jurez-le !

PICQUEFEU, levant la main.

Oh, ça, je le jure !

OLYMPIA, éclatant.

C’est infâme ! c’est infâme !

PICQUEFEU.

Mais qu’est-ce qu’il y a ?

OLYMPIA.

Après ça, Montgicourt aussi me le jurait… Montgicourt aussi m’embrassait, me donnait les noms les plus tendres… les plus insensés…

PICQUEFEU.

C’était un gros hypocrite !

OLYMPIA.

Je ne croyais pas qu’un mari pût tromper sa femme… j’étais simple et naïve… je ne comprenais pas la jalousie ; mais vous m’avez ouvert les yeux !

PICQUEFEU, à part.

Ah ! diable ! qu’est-ce que j’ai fait !...

OLYMPIA.

Et maintenant, je ne crois plus à rien, ni à lui, ni à vous, ni à personne !

PICQUEFEU, à part.

Sapristi ! quelle boulette !

OLYMPIA.

Aussi, à partir d’aujourd’hui, je ne vous quitte plus ! je vous suivrai partout ! je vous surveillerai !... je vous… Avez-vous votre porte-monnaie ?

PICQUEFEU.

Mon porte-monnaie ?

OLYMPIA.

Donnez, c’est pour payer une note !...

Elle le lui prend.

Voici vingt sous… je vous en donnerai autant toutes les semaines.

PICQUEFEU.

Elle me donne ma semaine !... Envoyez-moi tout de suite en demi-pension.. avec un petit panier !

OLYMPIA.

Quant à la clef de la caisse, je l’ai et je la garde !

PICQUEFEU, se montant.

Ah ! permettez, madame !

OLYMPIA.

Et maintenant, si vous me trompez…

Le menaçant.

malheur à vous !

PICQUEFEU.

Ah ! mais, madame…

Il fait un pas vers elle.

OLYMPIA, le menaçant.

Ne me touchez pas !... je vous le rendrais !...

PICQUEFEU, à part.

Nous allons boxer, à présent !

 

 

Scène XVIII

 

OLYMPIA, PICQUEFEU, FRIQUETTE

 

FRIQUETTE.

Il y a une dame qui attend monsieur dans son cabinet.

OLYMPIA, jalouse.

Une dame !... qu’est-ce que cette dame ? Voyons, parlez !

PICQUEFEU.

Comment veux-tu que je le sache ?

OLYMPIA.

Vous hésitez ?

PICQUEFEU.

Moi ? je vais voir !

OLYMPIA.

Restez ! c’est moi qui vais la recevoir, cette dame !...

PICQUEFEU.

Oh ! je ne crains rien !...

OLYMPIA, qui est remontée, à part.

Les laisser ensemble !...

Haut.

Friquette !

FRIQUETTE.

Madame ?

OLYMPIA.

Marchez devant !

Elle fait passer Friquette devant elle.

 

 

Scène XIX

 

PICQUEFEU, puis FRIQUETTE

 

PICQUEFEU.

Saprelotte ! elle devient très embêtante !... Elle veut me donner des calottes, à présent !... Je crois que j’ai eu tort de démolir Montgicourt ! Voilà ce que c’est… j’ai démuselé le soupçon, et maintenant il me mord les jambes ! Impossible de calmer ma femme !... c’est une chaudière à vapeur ! Montgicourt était sa soupape de sûreté, et je l’ai cassée !... Décidément, j’ai eu tort de le démolir ! il n’était pas gênant, cet homme !

FRIQUETTE, entrant vivement.

Monsieur ! monsieur !

PICQUEFEU.

Quoi ?

FRIQUETTE.

Ah ! quelle scène !... dans votre cabinet…

PICQUEFEU.

Eh bien, cette dame…

FRIQUETTE.

Madame de Launay !

PICQUEFEU.

La comtesse de Launay… ma meilleure cliente.

FRIQUETTE.

Eh bien, madame l’a joliment traitée, elle l’a appelée musardine !

PICQUEFEU.

Musardine ! la comtesse ! je cours !

 

 

Scène XX

 

PICQUEFEU, FRIQUETTE, OLYMPIA

 

OLYMPIA, paraissant, à part.

Encore ensemble ! j’en étais sûre !

Haut, à Picquefeu.

Que lisiez-vous à cette fille ?

PICQUEFEU.

Moi ? rien…

OLYMPIA.

Parbleu !

À Friquette.

Sortez.

Friquette sort.

PICQUEFEU.

Maintenant, madame, vous allez m’expliquer votre conduite vis-à-vis de madame la comtesse de…

OLYMPIA.

Votre comtesse, je l’ai prise par le bras et je l’ai jetée à la porte !

PICQUEFEU.

Allons, bien !

OLYMPIA.

Dorénavant, c’est moi qui recevrai toutes vos clientes !

PICQUEFEU.

Vous appelez ça recevoir les clientes !

OLYMPIA.

Si j’en avais agi de la sorte avec M. Montgicourt…

PICQUEFEU, à part.

Toujours Montgicourt ! Allons, il n’y a pas à hésiter ! il faut le recoudre, cet animal-là.

Haut.

Olympia ! je suis un grand misérable, je vous ai trompée.

OLYMPIA.

Ah ! vous en convenez ?...

PICQUEFEU.

J’ai fait des cancans sur le bon, l’honnête, l’estimable, le regrettable M. Montgicourt !

OLYMPIA.

Je ne comprends pas.

PICQUEFEU.

Lui infidèle ! vous ne l’avez pas cru ?

OLYMPIA.

Parfaitement !

PICQUEFEU.

Enfant !... mais il n’y a pas de maris infidèles… ça ne se voit que sur les théâtres et dans les romans ; mais, dans le monde, jamais !

OLYMPIA.

Ta ta ta !... et ce monsieur ?... avec ses trente-deux lettres !

PICQUEPEU.

Ce monsieur !... Comment !... vous n’avez pas deviné ?... mais c’est un portier auquel j’ai promis trois francs soixante-quinze pour jouer cet ignoble rôle.

OLYMPIA, ébranlée.

Est-il possible !

 

 

Scène XXI

 

PICQUEFEU, OLYMPIA, BESUCHON

 

BESUCHON, entrant.

Me voilà !

PICQUEFEU.

Lui !

OLYMPIA.

Le portier !

BESUCHON, tirant de sa poche une liasse de lettres.

J’apporte des lettres !

PICQUEFEU, à part.

Patatras !

Haut, à Besuchon.

C’est bien, madame sait tout !... votre rôle est fini !

BESUCHON.

Quel rôle ?

OLYMPIA, à Picquefeu.

Donnez-lui ses trois francs soixante-quinze… et qu’il retourne à sa loge !

BESUCHON.

Ma loge ?

PICQUEFEU, lui remettant de l’argent.

Oui… voilà vos trois francs…

BESUCHON.

Je n’ai pas besoin de votre argent !... je suis plus riche que vous… j’ai trois maisons.

OLYMPIA.

Trois maisons !

BESUCHON.

Si vous ne voulez pas vous charger de mon procès, j’irai chez un autre !

PICQUEFEU.

C’est ça ! allez chez un autre.

OLYMPIA.

Un instant !

Arrachant les lettres des mains de Besuchon.

Donnez-moi ces lettres !

PICQUEFEU, à part.

Perdu !...

OLYMPIA.

J’entrevois un mensonge !...

PICQUEFEU, à part.

Imbécile !

OLYMPIA.

Ah ! mon Dieu !

PICQUEFEU et BESUCHON.

Quoi ?...

OLYMPIA.

Ces mots… ces phrases… je les reconnais !

PICQUEFEU et BESUCHON.

Quoi ?...

OLYMPIA.

Ces lettres… celles qu’il m’avait écrites, je les avais confiées à une de mes amies… Hortense…

BESUCHON.

Ma femme !

OLYMPIA.

Je suis si nerveuse… on m’avait défendu de les lire…

Embrassant les lettres.

Jules est innocent ! Jules est innocent !

TOUS.

Jules est innocent !

BESUCHON, à part.

Diable ! et moi qui viens d’envoyer des gros mots à ma femme par le télégraphe ! Je cours réparer ça… Monsieur… madame…

Il sort vivement.

PICQUEFEU.

Quant au portrait, soyez tranquille !... nous allons le remettre à son clou !

OLYMPIA.

Croyez-vous ?

PICQUEFEU.

Comment donc !...

Appelant.

Le portrait !... le portrait !...

À Olympia.

Nous allons le rependre bien gentiment !... et pour toujours !

 

 

Scène XXII

 

PICQUEFEU, OLYMPIA, BESUCHON, AMÉDÉE, puis FRIQUETTE

 

AMÉDÉE, entrant avec le portrait.

Le voilà !

PICQUEFEU.

Quel noble visage !... Comme la vertu est empreinte sur tous ses traits !

AMÉDÉE.

Et on l’accusait !

OLYMPIA.

Allons ! je vais relire ses lettres !

À Picquefeu.

Bonsoir, mon ami !

PICQUEFEU.

Comment, bonsoir ? Permettez-moi de vous accompagner.

OLYMPIA.

Impossible ! Je le regrette... vous le savez, j’ai fait serment !...

PICQUEFEU, à part.

Ah bien, ça va recommencer ?...

Haut.

Nous ne parlerons absolument que de M. Montgicourt.

OLYMPIA.

Pas d’autre chose !... vous me le jurez ?

PICQUEFEU.

Je le jure.

OLYMPIA.

Allons !

FRIQUETTE, entrant.

Monsieur, il y a là un bain et un coiffeur.

PICQUEFEU.

Eh bien, tu diras au coiffeur de se mettre dans le bain… il y a longtemps que je désirais opérer ce rapprochement.

AMÉDÉE.

Ah ! faudra-t-il toujours lui préparer son verre d’eau sucrée ?

OLYMPIA.

Oh ! toujours !

PICQUEFEU.

Seulement… c’est moi qui le boirai.

Chœur final.

Reprise du chœur de la scène III.

PICQUEFEU, au public.

Air : Il vous faudra quitter l’empire.

Je viens de donner ma parole,
Et, franchement… j’y manquerai !
La tenir serait par trop drôle !
Tout bas, même, je le dirai :
Olympia m’en saura gré.
Mais j’ai promis que notre pièce
Ferait rire aussi le caissier,
Et je voudrais bien vous prier
D’en tenir pour moi la promesse,
Si je venais à l’oublier ! (Bis.)

Chœur, reprise.

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