Circonstances atténuantes (Eugène LABICHE - Auguste LEFRANC - MÉLESVILLE)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 26 février 1842.

 

Personnages

 

DE VALORY, avocat

MADAME DE BRÉE, jeune veuve

CHABRIAC, prétendu de Madame de Brée

VASLIN, concierge

CORALIE, femme de chambre

DOMESTIQUES

 

La scène se passe à Moulins.

 

Le théâtre représente une chambre. À droite, une toilette chargée de brochures ; à gauche, un secrétaire. Au fond, une cheminée ; cordon de sonnette de chaque côté. Portes à droite et à gauche de la cheminée. À droite, deuxième plan, une porte donnant dans le boudoir de Madame de Brée. À gauche, sur le troisième plan, une fenêtre donnant sur un jardin. À gauche sur le second plan, une porte de salon. Œil-de-bœuf au-dessus d’une porte du fond à gauche. Une pendule faisant pendant à l’œil-de-bœuf de la porte du fond à droite. Un fauteuil de chaque coté de la cheminée, et un autre près de la toilette ; chaises, etc.

 

 

Scène première

 

VALORY, enveloppé dans un ample manteau qui lui couvre le visage, VASLIN, une lanterne sourde à la main

 

Ils entrent par la porte du fond à droite.

VALORY, dans la coulisse.

Allons, marche donc !

VASLIN, entrant.[1]

Marche donc ! marche donc ! 

À part.

C’est unique !... Je ne le connais pas, moi, ce monsieur... qui me force de l’éclairer.

VALORY, à part.

Enfin, m’y voici ! ce n’est pas sans peine.

VASLIN.

Ah ça ! Monsieur, vous me direz peut-être maintenant qui vous êtes ?... vous m’avez bousculé de porte en porte, sans m’écouter... On n’entre pas comme ça, chez le monde, à cinq heures du matin !... Ce n’est pas l’heure des visites... Ça ne se fait pas à Moulins, que diable, ni ailleurs !...

VALORY, à part.

Il faut me débarrasser de cet homme !...

VASLIN.

Madame de Brée, ma maîtresse, est au bal de la préfecture.

VALORY, froidement.

Je le sais.

VASLIN.

Ah !... Et si elle apprenait... moi, qui ne suis ici que d’hier...

VALORY, froidement.

Je le sais...

VASLIN, étonné.

Ah !...

À part.

Il sait donc tout !...

Haut, avec colère.

Monsieur, voulez-vous vous en aller !... Avec votre manteau sur la figure, on pourrait vous prendre pour un...

VALORY.

Insolent !

VASLIN.

Dame ! c’est louche... un manteau, la nuit...

VALORY, haut, avec dignité.

M. Vaslin !

VASLIN, à part.

Il sait aussi mon nom !

VALORY.

Souvenez-vous que la discrétion et la politesse sont les premiers devoirs d’un portier ! Je vous pardonne parce que vous êtes nouveau venu ; mais, à l’avenir, ne l’oubliez pas, ou je vous chasse !...

Il remonte.

VASLIN, à part.

Je vous chasse ! c’est quelqu’un de comme il faut... Oh !... peut-être le prétendu que Madame attend...

Il passe à droite et pose sa lanterne sur la toilette.

On m’a recommandé de lui ouvrir à toute heure... Ah ! quelle maladresse ![2]

VALORY, qui est redescendu.

Eh bien ! vous êtes encore là ?

VASLIN.

Je m’en vais, Monsieur, je m’en vais... Mais dites-moi seulement une chose.

Baissant la voix.

Ne seriez-vous pas le futur de Madame ?

VALORY.

Moi !...

VASLIN, finement.

Je ne vous vois pas... mais vous m’en avez bien la mine.

VALORY.

Chut !

À part.

Il me prend pour cet imbécile de Chabriac... Je suis sauvé !

Haut.

Ah ça ! tu m’as donc reconnu, coquin ?...

VASLIN, content de lui.

Tout de suite, Monsieur !... sur ce qu’on m’avait dit !

VALORY, à part.

À merveille !

VASLIN.

Monsieur veut-il que j’allume ?

VALORY.

Sans doute.

Vaslin prend sa lanterne. Valory lui tourne le dos. Demi-nuit jusqu’à la scène VII.

VASLIN, allumant une bougie.

Aussitôt que Madame rentrera, je la préviendrai.

VALORY.

Garde-t’en bien !... Je veux lui ménager une surprise... Ah ! tu ne te coucheras pas... Je repars dans une heure !... tu m’attendras...

VASLIN.

Ça suffit !

Fausse sortie.

VALORY.

Surtout, pas un mot de mon arrivée à personne !

Vaslin redescend la scène.

Tiens, voilà pour payer ton silence.

Il lui présente une bourse.

VASLIN.

Une bourse ! Monsieur...

VALORY.

Air : Vaudeville de Madame Havart.

Tu n’acceptes pas cette somme ?

VASLIN.

Monsieur, vous me rendez confus.
Et je ne puis, en galant homme,

Prenant la bourse.

Vous affliger par un refus.

VALORY, souriant.

C’est très bien !

VASLIN, à part.

Sans inquiétude,
À ma log’, je puis retourner.
Car les voleurs ont l’habitude

Regardant Valory et la bourse.

De prendre et non pas de donner !

Il sort par la porte du fond à droite.

 

 

Scène II

 

VALORY, seul

 

Enfin, me voilà seul !... À l’œuvre ! ne perdons pas une minute !

Il se débarrasse de son manteau, pose sur la toilette une paire de pistolets et sur le fauteuil son manteau.

Pour plus de sûreté, coupons ces cordons qui pourraient servir à donner l’alarme !

Il coupe les cordons de sonnette qui sont de chaque côté de la cheminée.

Maintenant, voyons si mes renseignements sont exacts...

Il ouvre la porte du boudoir à droite.

Là, le boudoir de Madame de Brée...

Il ouvre la porte du salon à gauche.

de l’autre côté, le salon... et près de la porte, un secrétaire... C’est bien cela...

Il s’approche du secrétaire.

La clé n’y est pas !... je devais m’y attendre !... Comment faire pour arriver jusqu’à ce portefeuille ?... Toute la fortune de Madame de Brée est là... 300 000 francs en billets de banque... Dire qu’un si léger obstacle me sépare de ce trésor... et... Quel bruit sous cette fenêtre ? Est-ce qu’un autre ?... un voleur, peut-être ! Celui-là serait piquant...

Montrant la porte de droite.

Chut ! De là, j’entendrai tout.

Il prend son manteau et ses pistolets, souffle la lumière et se retire dans le boudoir à droite. Au même moment on voit la tête de Chabriac au-dessus de la fenêtre.

 

 

Scène III

 

CHABRIAC, VALORY, caché

 

Ensemble.

Air : Allons tout d’suite.

CHABRIAC, à mi-voix.

De la prudence,
Ici, sans bruit,
C’est l’espérance
Qui me conduit.

VALORY, à part.

De la prudence,
Ici, la nuit,
Quelqu’un, je pense,
Monte sans bruit.   

Chabriac, en costume de voyage et chapeau gris, descend de la fenêtre, une valise sous le bras.

CHABRIAC, descendant en scène.

Parole d’honneur, c’est la première fois que ça m’arrive !

VALORY, à part.

Chabriac !... par la fenêtre. Que veut-il ?

Il attire la porte sur lui.

CHABRIAC.

C’est très audacieux, ce que j’ai fait là !... s’introduire par le jardin !... escalader un entresol... Je pouvais me fracturer !... Heureusement qu’il y a, eu bas, un certain pommier qui m’a prêté une main secourable ! Toi, je te ferai arracher dès que je serai marié... Je n’ai pas envie que tu fasses la courte échelle pour d’autres...

Regardant autour de lui.

Tiens ! pas la moindre veilleuse ! Sacrebleu ! j’ai manqué mon effet... Une entrée si romanesque que j’étudie depuis Paris, dans la diligence ! Il y a de quoi se pendre !... C’est vrai !... au moment de m’unir à ma charmante cousine, Madame de Brée (les bans sont publiés et le mariage doit se célébrer demain), il était urgent de lui prouver la vivacité de mon amour... mon empressement... Et un futur qui tombe chez sa belle par la fenêtre !... il n’y a rien de plus vif !... Les gens froids entrent tout bonnement par la porte... Et puis ça la compromet... ça l’empêche de regarder en arrière... et il n’y a pas de mal... car tant que son procès n’a pas été jugé, je dois convenir que j’ai été un peu vaccillant... L’issue en était fort douteuse, et ma foi... Mais aujourd’hui c’est un excellent parti... Depuis qu’elle a gagné !... jolie comme un ange... sans appel... et 300 000 francs... en dernier ressort !... Sacrebleu ! faut-il que j’aie manqué mon effet ! On me proposait bien à Paris un autre mariage... la fille d’un passementier de la rue aux Fers... 200 000 francs... qui louche... 100 000 francs de moins qu’ici... J’aime cent mille fois mieux ma cousine ! Fi !... une louchon... je n’épouserai jamais une louchon... on pourrait croire que j’ai des vues... détournées... Ah ça ! je voudrais bien y voir clair.

Il s’approche à tâtons de la toilette et prend le flambeau.

Où diable trouver...

Regardant la cheminée.

Oh ! du feu !... que je suis bête !...

Il va à la cheminée cherchant un papier dans ses poches.

Je dois avoir là mon bulletin de diligence...

Montrant un paquet cacheté.

Diable ! pas ça !... la nomination d’un de mes amis aux fonctions de substitut ! Pauvre garçon ! sera-t-il heureux quand je lui apprendrai demain, car il ne se doute de rien ; c’est son oncle qui a fait toutes les démarches...

Prenant un papier et allumant.

Ah ! voilà !

Il revient à la toilette et trouve une lettre.

Qu’est-ce que c’est que ça ! « Bal de la préfecture. » Une lettre d’invitation... Elle danse en pensant à moi...

Il s’assied dans le fauteuil.

Attendons-la... Oh !... une idée ! si je me poétisais un peu pour son retour... Je vais passer mon habit marron, et mon gilet glacé...

Il se lève.

Le fait est que je ne suis guère en tenue de roman... Il n’y a que mon chapeau qui soit ban style.

Lisant dans le fond du chapeau.

Ambrois, Chaussée-d’Antin. Je ne connais que cet homme-là pour vous coiffer proprement... Je cours passer mon habit marron... Sacrebleu !... j’ai récupéré mon effet...

Il prend sa valise et le flambeau.

Ah ! Faublas ! scélérat de Faublas que tu es !...

Il entre dans le cabinet du fond à gauche.

 

 

Scène IV

 

VALORY, seul

 

Il sort de la chambre de droite, se dirige vers le cabinet où est Chabriac, et ferme doucement la porte a deux tours.

En cage, M. de Faublas ! S’il crie, je saurai bien le faire taire.

Il se place devant le secrétaire.

Et maintenant pas une minute à perdre... J’entends marcher... ! C’est Madame de Brée qui revient du bal... Elle n’est pas seule... prenons garde.

Il se cache dans le salon à gauche.

 

 

Scène V

 

MADAME DE BRÉE, en domino, CORALIE, portant une lampe allumée qu’elle place sur la toilette

 

Elles entrent par la porte du fond à droite.[3]   

MADAME DE BRÉE.

Ah ! quelle foule ! quel ennui !... Ôte-moi ce capuchon, Coralie... Ce bruit, ces danses, tout ce qui inspire le plaisir me fait mal. Décidément, il faut que je me retire du monde.

CORALIE.

Y pensez-vous, Madame ?... Lui dire adieu, vous, si jeune, si recherchée !

MADAME DE BRÉE.

Recherchée ! Oh ! sans doute... surtout depuis le gain de ce procès, qui a fait d’une pauvre veuve sans fortune un des plus riches partis du département. Quel tourbillon de soupirants !

Air du Premier Prix.

En cautionnement en souffrance
Brûle pour moi de mille feux...
Une charge à payer d’avance
Me poursuit de ses tendres yeux.
Enfin, s’il vante mon mérite,
Je lis sur le front d’un marchand :
« Madame, épousez-moi bien vite,
Ou je dépose mon bilan. »

CORALIE.

Oh ! Madame, tous les hommes ne sont pas si intéressés.

Elle cherche sur le secrétaire une pelote à épingles.[4]

MADAME DE BRÉE.

Tous !... non... J’en connais un...

Avec un soupir.

un noble jeune homme, lui...

CORALIE.

Que dites-vous ?

MADAME DE BRÉE.

Rien... un souvenir !... qui remplira longtemps mon existence.

Elle va à la toilette et s’assied.

CORALIE, la suivant et posant la pelote sur la toilette.

Une aventure ! Oh ! contez-moi donc cela, Madame, pendant que je vais vous coiffer.

MADAME DE BRÉE.

Curieuse !

CORALIE.

Ne m’avez-vous pas habituée à être de moitié dans tous vos secrets ?

MADAME DE BRÉE.

C’est vrai !... Mais celui-là me semblait plus précieux que les autres, et je l’ai gardé longtemps, là... pour moi seule !

CORALIE.

Mais, maintenant ?...

MADAME DE BRÉE.

Oui, maintenant qu’un mariage inévitable...

Une pause.

Tu te souviens de ce voyage que je fis, il y a six mois, en Italie, quelque temps après mon veuvage ?

CORALIE.

Et dont vous revîntes si triste ?...

MADAME DE BRÉE.

Eh bien ! j’étais à Naples. Un soir, en revenant d’une promenade sur les bords du golfe, je trouvai à ma glace un billet ainsi conçu : « Madame, je vous aime... Je suis jeune, j’ai 30 mille livres de rente, et l’unique désir de ma vie serait d’obtenir votre main. Je ne me présenterai à vous que lorsque vous me le permettrez... mais je prends ici rengagement de vous suivre partout et de veiller sur vous ! »

CORALIE.

Sans se montrer !... Un drôle d’amoureux !

MADAME DE BRÉE, se levant.

Je ne répondis pas à cette lettre, que je considérai d’abord comme une plaisanterie... mais un mois après, jour pour jour, je me trouvais alors à Rome, j’en reçus une seconde absolument conçue dans les mêmes termes... À Florence, à Venise, à Milan, même exactitude de la part de mon inconnu ! et, pourtant, je n’avais encore répondu à aucune de ses lettres.

CORALIE.

Comment ?... Est-ce que plus tard ?...

MADAME DE BRÉE.

J’y fus forcée par un événement effroyable. Je traversais de nuit le Simplon sur une route qui n’est qu’un long précipice... Je dormais au fond de ma chaise, quand soudain je suis réveillée par les cris des postillons... Je regarde... oh ! c’était affreux !... La voiture suspendue au-dessus d’une horrible fondrière... Le moindre mouvement pouvait l’entraîner.... c’était là mort !... Tout-à-coup un homme qui nous suivait, sans doute, accourt, s’élance, et, avec la promptitude de l’éclair, coupe les traits des chevaux, qui roulent seuls dans l’abîme... puis, s’approchant de la portière : « C’est moi, me dit-il, Madame, qui ai juré de veiller sans cesse sur vous... » Et il disparut, sans que je pusse distinguer sa figure.

CORALIE.

Oh ! le brave jeune homme !

MADAME DE BRÉE, baissant la tête.

Le mois suivant, sa lettre ne resta pas sans réponse.

CORALIE.

Cela en valait bien une... Et que lui avez-vous dit ?...

MADAME DE BRÉE, revenant s’asseoir à la toilette.

La vérité... que ma main était promise à un autre. Je lui racontai comment, dans mon enfance, le père de Chabriac avait sauvé le mien d’une faillite certaine... comment plus tard cet homme généreux fut ruiné à son tour... comment, enfin, mon père, pour s’acquitter envers lui, m’avait fait promettre d’épouser Chabriac.

CORALIE.

Et le pauvre garçon se l’est tenu pour dit ?...

MADAME DE BRÉE.

Oh ! tu le connais peu... Deux heures après, je reçus ces simples mots : « Madame, j’espère toujours. »

CORALIE.

Ah ! à la bonne heure ! Et jamais il ne s’est présenté devant vous ?

MADAME DE BRÉE.

Jamais ! Je ne pourrais le reconnaître... Bien mieux, depuis un mois sa correspondance a cessé.

CORALIE, tristement.

Il se sera découragé.

MADAME DE BRÉE.

J’en ai peur !

Air : Tu ne sais pas.

Oui, c’est ainsi que l’amour se prononce
Il est discret, timide et généreux...

Elle se lève.

Vois, à ma main, de lui-même il renonce :
Quand tant de fats m’accablent de leurs feux.
Loin d’imiter ceux que l’or seul captive,
Et cette foule ardente à s’enrichir...
C’est au moment où la fortune arrive 
Qu’il est parti pour ne plus revenir !

CORALIE.

Eh bien ! sans l’avoir jamais vu, je l’aime, celui-là... Il ne pense pas à votre fortune, lui... ce n’est pas comme votre cousin.

MADAME DE BRÉE.

Et c’est mon cousin que j’épouse ! Il n’y a maintenant qu’un coup du ciel qui puisse empêcher ce mariage... Les bans sont publiés, Chabriac arrive demain.

CORALIE.

Sans compter qu’il n’est pas beau ! Allons, Madame, il faut du courage.

MADAME DE BRÉE, avec un soupir.

Ah ! oui, il en faut !... Mais c’est assez nous occuper de souvenirs qui bientôt deviendraient coupables... Il est tard, tu peux te retirer.

CORALIE, prenant son bougeoir.

Vous n’avez plus besoin de moi ?

MADAME DE BRÉE.

Non, mon enfant.

À la toilette.

Bonsoir.

CORALIE, en sortant.

Ah ! je suis sûre que je vais rêver de l’inconnu.

Elle sort par la droite.

 

 

Scène VI

 

MADAME DE BRÉE, puis, VALORY et CHABRIAC

 

Valory sort doucement de la chambre, en suivant à pas de loup Coralie, pendant ce temps, Madame de Brée passe à gauche. Valory pose ses pistolets et son manteau près de la porte du fond à droite.

MADAME DE BRÉE, à elle-même.

Tâchons de prendre un peu de repos.[5]

MADAME DE BRÉE.

C’est encore toi, Coralie ?

Elle se retourne.

Ciel ! un homme !

VALORY.

Point de bruit, Madame, je vous en conjure.

MADAME DE BRÉE.

Que voulez-vous, Monsieur ?

VALORY.

Remettez-vous, de grâce... car je me reprocherais toute ma vie d’avoir pu vous causer la moindre frayeur.

MADAME DE BRÉE, à part.

Les forces me manquent... si je pouvais appeler !

Elle veut se diriger vers la porte du fond.

VALORY.

Ne faites pas venir vos gens, Madame, vous me forceriez à punir...

Il montre ses pistolets.

MADAME DE BRÉE.

Des armes ?

VALORY, les posant sur la cheminée.

Celui qui troublerait un si précieux tête-à-tête...

MADAME DE BRÉE, devant le secrétaire, à part.

Ah ! mon Dieu ! et ce portefeuille... cet argent que j’ai reçu depuis peu...

VALORY, prenant au fond un fauteuil qu’il pose près de celui qui est devant la toilette.

Je voyage souvent seul, la nuit, et c’est une précaution que je suis habitué à prendre... Les routes sont si peu sûres.

Il s’avance poliment, prend la main de Madame de Brée et la conduit au fauteuil.

Mais, ne tremblez pas ainsi, Madame... Employer la violence contre une femme ! fi ! ce serait du plus mauvais ton... Asseyez-vous donc, je vous en prie...

Elle s’assied.

Je viens. Madame, vous proposer une affaire...

Avant de s’asseoir.

Vous permettez...

MADAME DE BRÉE, à part, se levant et s’approchant de la lampe.

Si je pouvais connaître les traits...

VALORY, l’arrêtant.

Pardon, Madame, j’ai la vue si faible... une trop grande clarté...

Il tourne la lampe du côté de la coulisse. Madame de Brée s’assied.

et puis, l’affaire que je traite en ce moment exige le plus strict incognito.

Il s’assied.

MADAME DE BRÉE.

Eh bien ! il s’installe !

VALORY.

J’arrive de Paris, Madame... j’y exerce ont profession honorable.

MADAME DE BRÉE, à part.

Oh ! je m’en doute...

VALORY.

Je suis lancé dans les grandes entreprises industrielles ; mon nom est assez répandu dans le haut commerce.

MADAME DE BRÉE.

Mais, Monsieur, je ne vois pas quel rapport...

VALORY.

De grâce, un peu de patience.

Reprenant.

J’ai été malheureux... De riantes spéculations qui promettaient les plus beaux résultats ont échoué entre mes mains... ce qui a apporté dans mes finances un embarras momentané.

MADAME DE BRÉE.

Encore une fois, Monsieur...

VALORY.

M’y voici ! Je tiens dans ce moment les fils d’une opération magnifique... Ou peut doubler ses capitaux en moins d’un an... mais j’ai besoin de 300 000 francs pour compléter la mise de fonds.

MADAME DE BRÉE, à part.

300 000 francs !... On m’aura trahie !...

VALORY.

Sans les pertes récentes qui vous ont inspiré tout à l’heure un si touchant intérêt, je n’aurais pas recours, Madame, à une bourse étrangère ; j’aurais même pu trouver vingt fois cette somme à Paris... mais j’ai craint d’ébruiter l’affaire, et je pense que vous me saurez gré de vous avoir donné la préférence !

Il se lève.

MADAME DE BRÉE, se levant et feignant l’étonnement.

À moi ! Monsieur ?... Mais, je n’ai pas cette somme.

VALORY.

Oh ! ne craignez rien, Madame, vous aurez toutes les sûretés nécessaires... ma signature, d’abord...

Il remet en place le fauteuil de Madame de Brée.

et puis, il va sans dire qu’outre votre part dans les bénéfices, vos fonds vous rapporteront 10 pour cent, qui vous seront exactement payés à chaque trimestre... Je vais prendre note des échéances.

Il s’assied à la toilette.

MADAME DE BRÉE.

Je vous répète, Monsieur...

VALORY.

Vous ne conserverez plus aucune crainte, quand vous saurez que c’est moi, moi seul qui suis le gérant responsable !

MADAME DE BRÉE, à part.

Le fripon !

VALORY, tirant son carnet de sa poche et prenant des notes.

Je suis jeune, actif, intelligent... j’ai fait des études spéciales... enfin, je possède toutes les qualités gui peuvent assurer le succès d’une entreprise semblable !

Il remet le carnet dans sa poche.

Je vais donc vous donner un petit reçu provisoire, pendant que vous prendrez la peine de me compter la somme.

Il prend une plume et se prépare à écrire le reçu sur un papier qu’il trouve sur la toilette.

MADAME DE BRÉE.

Mais, je ne l’ai pas... je ne l’ai jamais eue...

VALORY.

Ah ! je suis trop au courant des affaires pour ignorer l’arrêt si juste de la cour royale qui vous remet en possession... Je prends les frais de l’acte à ma charge... Vous voyez, Madame, que j’agis rondement !

MADAME DE BRÉE.

Quelle audace !

VALORY, prenant un journal.

Ah ! la lecture partage aussi vos loisirs... la Gazette des Tribunaux, le journal à la mode... On trouve dans cette feuille des tours de voleurs tout-à-fait bouffons... Il faut avouer qu’il y a de ces coquins-là qui ont bien de l’esprit.

Il écrit le reçu.

MADAME DE BRÉE, à part.

Il ne manque pas d’amour-propre... Que faire ? Ah ! cette sonnette communique à l’étage des domestiques !...

Elle se dirige vers la cheminée.

CHABRIAC, paraissant à l’œil-de-bœuf du cabinet du fond à gauche.

Qui diable s’est amusé à me renfermer là-dedans !... Ma future !... Sacrebleu !... j’ai encore manqué mon effet.

MADAME DE BRÉE, avec effroi.

Ah !... les cordons sont coupés !

VALORY.

Me pardonnerez-vous cette innocente précaution.

MADAME DE BRÉE.

Mais c’est un guet-apens !

CHABRIAC, à part.

Ah ça ! mais, ma cousine n’est pas seule !

VALORY, se levant, sans prendre le reçu.

Voici le petit reçu...

CHABRIAC, à part.

Un homme !

VALORY, passant à gauche.

Maintenant, quand il vous plaira de verser les fonds...

MADAME DE BRÉE.

Mais, cela m’est impossible ! Vous concevez qu’une femme ne garde pas une pareille somme... 300 000 francs !

VALORY, allant au secrétaire.

Où sont-ils donc, Madame ?...

MADAME DE BRÉE.

Chez mon notaire.

VALORY, feignant de mal entendre.

Hein ?... dans votre secrétaire ?

MADAME DE BRÉE, à part.

Il sait tout !

VALORY.

Oh ! c’est imprudent !... Pardonnez-moi ce petit reproche... mais, ma nouvelle qualité d’associé me donne le droit de vous gronder un peu !

MADAME DE BRÉE, à part.

L’effronté !

CHABRIAC, à part.

Ma femme a un associé !...

VALORY.

Vous avez oublié, je crois, de me donner la clé ?

MADAME DE BRÉE.

La clé ?... Je l’ai perdue !

CHABRIAC, à part.

Mais, c’est un escroc que cet homme-là !

VALORY.

Cherchez un peu, Madame... En vérité, ce serait dommage de briser un si joli meuble !

CHABRIAC, à part.

Le scélérat plaisante avec l’effraction !

MADAME DE BRÉE, résolument.

Monsieur, il est inutile de feindre plus longtemps... et je vous déclare que je ne céderai qu’à la violence...

VALORY, s’avançant. Madame de Brée recule.

Moi ! de la violence envers vous !... Vous êtes parfaitement libre...

Il se dirige vers la cheminée.

Et je n’ai jamais eu la pensée de vous contraindre en aucune façon... je viens vous proposer une affaire... elle ne vous convient pas...

Il joue avec ses pistolets.

MADAME DE BRÉE, à part.

Oh ! mon Dieu !

CHABRIAC, à part.

Il prend ses pistolets !

VALORY.

Mais, de grâce, réfléchissez un moment sur vos véritables intérêts.

Il arme un pistolet.

MADAME DE BRÉE, à part.

Je suis morte !

CHABRIAC, à part.

Il va l’assassiner... et moi avec, si je pousse un cri !

VALORY, s’avançant vers elle.

Allons, Madame, je vois que vous n’avez pas confiance.

CHABRIAC, à part.

Oh !

MADAME DE BRÉE, vivement.

Si ! si ! Monsieur, prenez tout !

CHABRIAC, à part.

Je suis ruiné !

VALORY, posant les pistolets sur la cheminée.

Je suis ravi devons avoir persuadée... Oserai-je vous demander où est la clé ?

MADAME DE BRÉE, s’appuyant contre son fauteuil.

Sur la cheminée, dans ce vase...

VALORY, la prenant.

Mille grâces ! Vous me remercierez plus tard.

Il met la clé dans la serrure.

J’espère au moins que vous ne conservez aucun regret, aucune arrière-pensée ?

Il ouvre le secrétaire vivement.

CHABRIAC, s’oubliant.

Arrêtez !... Oh !...

Il disparaît un moment.

MADAME DE BRÉE, vivement.

On a parlé dans ce cabinet !

VALORY.

Vous croyez ?... Sans doute un de mes gens que j’ai pris la liberté de loger là...

Madame de Brée s’assoit dans le fauteuil près de la toilette.

CHABRIAC, qui a reparu indigné.

Un de ses gens !

VALORY.

Ignorant si la somme était en billets de banque ou en espèces, je pouvais avoir besoin de ce mercenaire pour la porter jusqu’à mon tilbury.

CHABRIAC, à part.

Mercenaire !... Insolent !...

VALORY, très haut.

Mais, s’il se permet de nous troubler encore, je le fais sauter par la fenêtre.

CHABRIAC, disparaissant tout à fait.

Par la fenêtre !

MADAME DE BRÉE, à part.

Et personne !... aucun moyen !

VALORY, fouillant dans le secrétaire.

Un portrait... dans ce tiroir ? Le vôtre, peut-être... Rassurez-vous, Madame... je n’aurai pas l’indiscrétion... et pourtant, de tous vos biens celui-ci est, à mes yeux, le plus précieux !

MADAME DE BRÉE, à part.

Il ose me faire des compliments !

VALORY, tirant un autre tiroir.

Ah ! ah ! ce tiroir-là est plus difficile.

Air : Il ne faut pas la réveiller.

Pourtant, j’ai pour moi la pratique,
Il ne cède qu’avec effort ;
Des diamants ! Ah ! je m’explique
Comment il résistait si fort,
Ce tiroir, sous la main rebelle, 
Semble en effet nous avertir
Que Madame, pour être belle,
N’a jamais besoin de l’ouvrir !

MADAME DE BRÉE, à part.

Il ne manque pas d’esprit... mais c’est un homme affreux...

VALORY, tirant un troisième tiroir.

Par exemple !... ici, c’est le contraire.

Même air.

Cet autre qui sous ma main glisse,
Renferme, je le parierais,
L’aumône aux malheureux propice,
Car vous êtes bonne à l’excès !
Le pauvre, en sa misère extrême,
Par vous jamais n’est rebuté.
Voyez !... Il s’ouvre de lui-même,
Le tiroir de la charité !

MADAME DE BRÉE, à part.

Qui croirait jamais que c’est un scélérat !

VALORY.

Ah ! voici, je crois, notre portefeuille.

Il ferme le secrétaire. Madame de Brée se lève.

Ce fermoir d’argent est d’un travail exquis ! La somme y est bien, n’est-ce pas ?

MADAME DE BRÉE.

Monsieur...

VALORY.

Je ne compte pas après vous...

Allant à la toilette.

Ah ! et votre reçu, que j’oubliais...

Il le prend.

MADAME DE BRÉE.

Je le crois parfaitement inutile.

VALORY.

Oui, entre gens comme nous, ces sortes de précautions sont de pures formalités ; mais pour notre acte de société... prenez toujours, j’y tiens... on ne sait ce qui peut arriver.

Madame de Brée serre le reçu dans la poche de son domino, en le froissant.

MADAME DE BRÉE.

Oh ! Monsieur...

Toussant.

Hum !... hum !...

VALORY.

Mais, vous prenez froid, Madame... Je vois qu’il serait indiscret de prolonger ma visite et de vous retenir plus longtemps...

Il prend son manteau.

Je vais prendre congé de vous...

Il salue.

J’emporte, Madame...

MADAME DE BRÉE, à mi-voix.

Je sais... je sais, Monsieur, ce que vous emportez.

VALORY, achevant sa phrase.

L’espérance que cette entrevue ne sera pas la dernière...

Il sort par la porte du fond à droite.

MADAME DE BRÉE, seule.

Il va m’échapper !... Si je pouvais donner l’alarme !

Elle s’approche de la fenêtre.

Au secours ! au voleur !

CHABRIAC, à l’œil-de-bœuf, d’une voix altérée.

Je suis sûr qu’il la massacre... Au secours !... au secours !

Il se retire en voyant Valory.

VALORY, rentrant.

Comment ! vous trahissez déjà votre associé ? Ah ! Madame, ce n’est pas loyal...

Saluant.

Je vous réitère, Madame, l’expression de mes hommages les plus respectueux !

Il sort et ferme la porte à double tour.

MADAME DE BRÉE, tombant dans un fauteuil, près de la porte de sortie.

Ah ! je succombe !... je n’ai plus la force d’appeler...

 

 

Scène VII

MADAME DE BRÉE, CHABRIAC

 

CHABRIAC, à l’œil-de-bœuf, pale et avançant la tête.

Spst ! spst !... cousine !... Je n’entends plus rien... Est-il parti ?

MADAME DE BRÉE, étonnée, se levant.

Comment ! vous étiez là ?

CHABRIAC.

Parbleu ! depuis une heure ; j’ai tout entendu.

MADAME DE BRÉE.

Et vous n’avez rien dit ?

CHABRIAC.

Qu’est-ce que vous vouliez que je dise ? quand vous-même... Il faut convenir, cousine, que vous avez bien peu de caractère !... On ne se laisse pas dévaliser comme ça... on appelle, on crie !

MADAME DE BRÉE.

Mais, n’était-ce pas à vous de l’effrayer, vous, un homme ?...

CHABRIAC.

Moi, c’est différent... je descends de diligence, je suis très fatigué... et puis, il m’avait enfermé, le scélérat !... Si j’avais été libre... Ah ! ah !... je ne suis qu’un homme, mais sacrebleu !... La porte, s’il-vous-plaît ?

MADAME DE BRÉE.

Comment ! il vous avait enfermé ! Oh ! pauvre cousin ! Attendez, attendez !

Elle va ouvrir.

CHABRIAC, entrant.

Où est-il ?... où est-il ?... le scélérat !

Ici le jour arrive tout-à-fait.

MADAME DE BRÉE.

Il ne peut être encore bien loin... et en mettant la police sur ses traces...

CHABRIAC.

Vous me donnez une idée !... je cours chez le procureur du roi !

MADAME DE BRÉE.

Mais il est absent.

CHABRIAC.

Alors, je cours chez son substitut !

MADAME DE BRÉE.

C’est comme un fait exprès, nous n’en avons pas depuis quinze jours.

CHABRIAC.

Moi, j’en ai un là, moi... dans ma poche.

MADAME DE BRÉE.

Comment ?

CHABRIAC.

Je l’apporte de Paris !... Un de mes amis... Je lui conte l’affaire, et dans cinq minutes je vous l’amène, mort ou vif... le substitut... non, le voleur !... non... je dis bien... le substitut !

MADAME DE BRÉE.

Il perd la tête...

CHABRIAC, s’animant et prenant la nomination dans sa poche.

Le voilà !... ah ! nous allons verbaliser... on retrouvera le voleur et les trois cent mille francs avec... Il faut d’abord fouiller l’hôtel, la rue, le quartier... dans tous les sens... et je cours...

Il essaie d’ouvrir la porte.

Fermée encore !... Mais ces sonnettes ? les cordons coupés... Oh ! pour le coup !...

MADAME DE BRÉE.

Appelez... par cette fenêtre...

CHABRIAC.

Comment, appeler ?... mais je vais crier... je vais mugir...

Il va à la croisée.[6]

Au secours !... au voleur !... au vol... Ah ! mon Dieu !

Regardant sur la cheminée.

Des pistolets !... Il a oublié ses pistolets !...

Il les prend et s’approche de Madame de Brée.

Ça va nous servir.

MADAME DE BRÉE, effrayée.

Comment ?

CHABRIAC.

N’ayez pas peur, cousine... c’est pour sonner vos gens.

Il s’approche de la fenêtre et lâche la détente.

Ils ne sont pas chargés !... Le lâche !... Si je l’avais su !...je l’aurai traité...

MADAME DE BRÉE, appelant près de la porte du fond à droite.

Coralie ! Vaslin !...

CHABRIAC, appelant aussi.

Coralie ! Vaslin ! Personne ne vient !... Il ne me reste plus que la fenêtre... un entresol... le pommier... un saut ! et je suis en bas...

Il s’approche du balcon.

MADAME DE BRÉE, effrayée.

Qu’allez-vous faire ?

CHABRIAC.

Ne craignez rien ! c’est par là que je suis venu... Je voulais produire un effet, je l’ai manqué... n’en parlons plus... Je vais envoyer toute la maison, et je cours éveiller l’autorité... Adieu ! 

MADAME DE BRÉE.

Prenez garde !

CHABRIAC, en dehors.

Le pommier me connaît... Il n’y a aucun danger...

MADAME DE BRÉE, au balcon.

Et votre chapeau qui est tombé !... Ah ! il ne m’entend pas !... Il est déjà bien loin...

 

 

Scène VIII

 

MADAME DE BRÉE, puis, CORALIE, VASLIN et LES DOMESTIQUES

 

MADAME DE BRÉE, seule.

La frayeur lui aura troublé la cervelle... Et moi-même, malgré mon courage, je suis encore tout émue !... A-t-on idée d’une pareille audace ?... Et quel esprit ! quel sang-froid, au milieu du crime.

Bruit.

Ah ! voici mes gens qui viennent à mon secours... quand tout est fini !... C’est juste !

Coralie, Vaslin et les domestiques entrent par le fond. Ils entourent Madame de Brée.[7]

CORALIE, effrayée.

Un voleur dans la maison !...

MADAME DE BRÉE.

Eh ! oui, sans doute...

Aux domestiques.

L’avez-vous vu s’échapper ?...

TOUS.

Non ! ni moi ! ni moi !...

MADAME DE BRÉE.

Et vous, Vaslin ?...

VASLIN.

Je n’ai connaissance que d’un homme dans un manteau qui se disait le futur de madame et qui s’est installé ici...

MADAME DE BRÉE.

Eh bien ?

VASLIN.

Je ne l’ai pas vu ressortir... 

À part.

Il est vrai que je dormais dans ma loge...

MADAME DE BRÉE.

Il est encore dans l’hôtel... Ne perdez pas une minute... Parcourez tous les étages... qu’on visite soigneusement l’office, les écuries, les remises... Allez, allez...

CHŒUR, en sortant.

Air : Nous voici pleins d’ardeur.

Un voleur ! quoi ! vraiment !        
Que notre vigilance
Le punisse à l’instant !

Ils sortent par le fond. Vaslin emporte la lampe.

 

 

Scène IX

 

CORALIE, MADAME DE BRÉE

 

Madame de Brée s’assied près de la toilette.

CORALIE.

Miséricorde !... et vous n’êtes pas morte de frayeur, Madame ?... Votre cousin assure que les misérables...

MADAME DE BRÉE.

Comment, les misérables !... c’est bien assez d’un.

CORALIE.

M. Chabriac vient de me dire qu’il en avait compté quatre...

MADAME DE BRÉE, souriant malgré elle.

Quatre ! Oh ! ce pauvre cousin !

Elle se lève.

CORALIE.

Enfin, c’est égal !... se trouver seule, la nuit, avec un pareil brigand...

MADAME DE BRÉE.

Oh ! oui, c’est affreux... et rien que d’y penser !...

CORALIE.

Ça donne le frisson ! Je le vois d’ici... une tournure atroce... Il devait sentir l’eau-de-vie, le tabac... Pouah ! l’air en est encore empesté !...

MADAME DE BRÉE.

Quelle folie ! J’ai causé une heure avec lui... et...

CORALIE.

Vous avez pu causer avec un pareil scélérat ?

MADAME DE BRÉE.

Ai-je causé ? je n’en sais rien... Mais j’étais bien forcée de répondre à ses questions, et il me semble que sa conversation ne manquait pas d’une certaine grâce...

CORALIE.

De la grâce !... un voleur !

MADAME DE BRÉE, souriant.

Mon Dieu ! on se fait des idées sur ces gens-là... Mais en les voyant de plus près...[8] À quoi pensé-je ?... Ce substitut du procureur du roi va venir... je ne puis le recevoir en domino... La justice n’y voit pas, c’est vrai... mais il faut l’intéresser, et pour cela il ne faut pas lui faire peur ! Tu m’avertiras de son arrivée.

CORALIE.

Oui, Madame.

Madame de Brée entre dans le salon à gauche.

 

 

Scène X

 

CORALIE, seule, puis, CHABRIAC et VALORY

 

CORALIE.

Eh bien ! je trouve qu’elle n’est pas assez en colère... Ô Dieu ! si pareille chose m’arrivait ! si un scélérat venait me prendre ce que j’ai... je lui en voudrais à la mort !

Entrent Chabriac et Valory par la porte du fond.[9]

VALORY, à Chabriac qui l’amène et résistant.

Mais, non, te dis-je !

CHABRIAC.

Ah ! corbleu ! tu ne peux pas refuser...

VALORY.

Je te répète que je refuse très positivement.

CHABRIAC, le retenant.

Oh ! je ne te lâche pas !...

À Coralie.

Prévenez votre maîtresse que M. le substitut est arrivé.

CORALIE, à elle-même.

Il est très bien, pour un homme de loi !

Elle sort.

 

 

Scène XI

 

VALORY, CHABRIAC

 

VALORY.

Moi, substitut !... Mais, encore une fois, je ne le suis pas, je ne veux pas l’être... je n’ai rien demandé.

CHABRIAC.

Tu n’as rien demandé ! Homme rare, va !... Mais on a demandé pour toi... ton oncle. 

VALORY, vivement.

Mon oncle, le président ?...

CHABRIAC.

Qui adore la robe ! et qui ne sera content que lorsque son cher neveu en sera revêtu.

VALORY, à part.

Que le diable l’emporte !... Si j’avais pu prévoir...

Haut et voulant sortir.

Eh bien ! je donne ma démission.

CHABRIAC.

Eh quoi ! c’est dans le moment où la société t’appelle à son secours par ma voix, que tu veux déserter ton poste ?

VALORY, à part.

Morbleu !

Haut.

Mais, enfin, que veux-tu ?

CHABRIAC.

Que tu reçoives ma plainte.

VALORY, à part.

Au fait, s’il ne s’agit que de cela, je suis trop avancé maintenant... et puis, je la reverrai.

D’un air grave.

Allons, je t’écoute.

CHABRIAC.

Comme magistrat ?

VALORY.

Comme magistrat.

CHABRIAC, triomphant.

Ah ! bravo ! fonctionne... Je vais déposer.

VALORY, à part.

Parbleu ! il est assez piquant...

CHABRIAC.

Voici le théâtre du crime... tu comprendras mieux.

VALORY, toussant d’un air doctoral.

Hum ! très bien !...

CHABRIAC.

Figure-toi, mon cher... je descendais de diligence... j’arrivais de Paris, où j’ai passé une huitaine. Ma première idée, en mettant pied à terre, fut de voir ma cousine... idée bien naturelle, puisque je devais l’épouser aujourd’hui, tu sais ?... je l’avais écrit...

VALORY.

Pour te servir de témoin.

CHABRIAC.

J’accourais donc plein d’amour, lorsqu’en approchant de cette porte,

Il montre la porte du fond.

j’entends un sourd gémissement partir de cette chambre ! Aussitôt, tu connais ma vivacité, je m’élance sur la serrure... fermée... Le sourd gémissement continuait... alors, d’un coup de poing... tu connais ma force musculaire... j’enfonce la porte !

VALORY, souriant, à lui-même.

C’est un peu fort...

CHABRIAC.

Très fort... Mais je ne connais pas ma force !

Reprenant.

D’un coup de poing j’enfonce la porte, et je vois...

VALORY.

Quoi ?

CHABRIAC.

Rien... la lampe était éteinte !... Mais je me trouve nez-à-nez avec un homme énorme... des moustaches longues de ça... Ma cousine était tombée dans un fauteuil, sans connaissance... mais pâle... mais pâle !...

VALORY.

Puisqu’il faisait nuit, tu ne pouvais pas voir...

CHABRIAC.

Quand on se trouve mal, on est toujours pâle... Mais là n’est pas la question. À ce tableau, je sens la colère me monter au cœur... Tu connais ma vivacité... je me jette, moi sans armes, sur cet homme armé jusqu’aux dents... Il résiste... Suis-moi bien... alors, s’engage une lutte terrible... Tu connais ma force musculaire... Je le terrasse... Il se relève et cherche à gagner la porte...

Il remonte.

mais j’avais eu soin de la fermer !

VALORY, riant sous cape.

Comment ! la porte que tu avais en foncée d’un coup de poing ?

CHABRIAC.

D’un seul... mais là n’est pas la question. Le brigand, voyant que cette issue lui est interdite, se dirige vers la fenêtre...[10] Je le devine... je me précipite de nouveau... Suis-moi toujours bien !... Je le saisis pour la seconde fois, et nous nous roulons.

VALORY, feignant de frémir.

Ah ! Dieu !

CHABRIAC.

Air du Ménage de garçon.

Armé d’un courage féroce,
Surtout d’un sang-froid sans égal,
Je résumais l’humeur atroce
De l’ours, du lion, du chacal,
Et du tigre du Sénégal !...

Le regardant et parlant.

Tu ris ?...

VALORY, continuant l’air.

Non, mais j’admire avec surprise,
Qu’après ces sanglants démêlés,
Ta cravate soit si bien mise,
Et les cheveux si bien bouclés !

CHABRIAC, avec un peu d’embarras.

Oh ! je me suis donné un coup de brosse

Montrant la fenêtre.

après que le misérable s’est élancé...

VALORY, se récriant.

Tu l’as laissé échapper !

CHABRIAC.

Que veux-tu ? une anguille, mon cher ! Il m’a glissé entre les mains...

S’essuyant le front.

Quelle nuit !

VALORY.

Ah ça ! tu n’as reçu aucune blessure, au moins ?...

CHABRIAC, se tâtant.

Moi, non... je ne crois pas... mais lui !... il doit être bleu, mon cher... bleu des pieds à la tête. Je lui ai appliqué, entre autres, sur le crâne, un coup de ce poing-là... Tu connais ?

VALORY.

Oui... ta force musculaire.

CHABRIAC, redescendant.

Il ne portera pas celui-là en paradis !... Ah ça ! maintenant, mon cher Valory, il faut mettre toute ta police sur pied, ensemencer les routes de gendarmes... Je suis ton ami, je m’en rapporte à toi... Tu me feras retrouver mon argent...

VALORY.

Ton argent ?...

CHABRIAC.

L’argent de ma femme... c’est la même chose, puisque j’épouse aujourd’hui la jolie veuve.

VALORY, à part.

Aujourd’hui !...

Haut et prenant un ton magistral.

Je ferai ce que je pourrai.

CHABRIAC.

J’y compte ! Chut !... Voici Madame de Brée !

VALORY, à part.

Elle !

 

 

Scène XII

 

VALORY, CHABRIAC, MADAME DE BRÉE

 

CHABRIAC, allant lui donner la main.

Arrivez donc, cousine, arrivez donc ; vous faites attendre la justice.[11]

MADAME DE BRÉE, saluant et examinant Valory.

Pardon... quelques ordres à donner... Monsieur serait...

CHABRIAC.

Mon ami le substitut... qui, en l’absence du procureur du roi, vient vous interroger à domicile... Qu’avez-vous donc à le regarder ?

MADAME DE BRÉE.

C’est singulier... il me semble que ce n’est pas la première fois...

CHABRIAC.

Ah bah !

VALORY, galamment.

Aurais-je déjà eu le bonheur de rencontrer Madame dans le monde ?

MADAME DE BRÉE.

Je ne le pense pas, Monsieur, et pourtant... Mais laissez-moi vous remercier d’abord d’un empressement...

VALORY.

Qui est bien naturel, Madame ! Un malheur qui vous arrive est une calamité pour tous ! Vous êtes encore tout émue, Madame... Rassurez-vous... Nous avons le temps.

CHABRIAC.

Comment, le temps !... Mais il va se sauver, l’autre...

VALORY.

Sois donc tranquille. À quelle heure, Madame, cet audacieux coquin a-t-il pénétré chez vous ?

MADAME DE BRÉE.

Mon Dieu, Monsieur... je revenais du bal... Il n’était pas encore jour...

VALORY.

Ah ! diable !... il a une grande avance...

CHABRIAC.

Alors, il faut courir...

VALORY.

Un moment ! Il n’a peut-être pas quitté la ville... c’est même une tactique que ces messieurs emploient souvent. J’ai connu un voleur...

CHABRIAC.

Hein ?...

MADAME DE BRÉE.

Vous, Monsieur ?...

VALORY.

Mon ancienne profession d’avocat m’a mis en rapport avec ces gens-là... J’ai beaucoup connu un voleur qui ne se cachait jamais moins que lorsqu’il avait commis un méfait... Après un vol, par exemple, on le voyait se pavanant à la promenade, au théâtre, dans le monde, partout... Tranquille, l’air aisé, faisant l’aimable auprès des dames... Aussi, ne le soupçonnait-on jamais !

CHABRIAC.

À la bonne heure... Mais on ne peut pas arrêter tous les gens aimables...

D’un air agréable, à Madame de Brée.

sans cela, ma cousine et moi... Hé ! hé !...

Il remonte.

MADAME DE BRÉE, à part et troublée.

Plus j’examine... Oh ! quelle folie !... c’est impossible !...

VALORY, allant s’asseoir à la toilette et changeant, subitement de ton.

Mais comment a-t-il pénétré jusqu’ici ?[12]

MADAME DE BRÉE.

Je l’ignore... J’étais là... j’entends du bruit, je me retourne... il était devant moi !

VALORY, écrivant, avec intérêt.

Pauvre dame !

Regardant Chabriac.

Heureusement, votre cousin est accouru à votre défense, et d’un seul coup de poing...

CHABRIAC, bas.

Hum ! ne lui rappelle donc pas ces détails-là... ça la crispe...

MADAME DE BRÉE, à part, agitée.

C’est étrange... mais chaque mot qu’il prononce...

VALORY, à Madame de Brée.

J’attends de vous quelques renseignements sur l’extérieur de l’individu.

MADAME DE BRÉE.

Oh ! pour cela, je n’ai pas bien remarqué...

CHABRIAC.

Hum ! ni moi.

VALORY, à mi-voix.

Comment, toi qui l’as terrassé !

CHABRIAC, de même.

Dans la nuit... dans la nuit, mon cher... et puis, la nuit, tous ces coquins sont... se ressemblent.

VALORY.

Sa taille ?

CHABRIAC, de même.

Peuth !

MADAME DE BRÉE.

Mon Dieu ! Monsieur, je vous demande bien pardon... mais à peu près la vôtre...

CHABRIAC.

Tiens ! c’est vrai, ça... Absolument la tienne.

VALORY, écrivant.

Taille...

MADAME DE BRÉE.

Taille élégante.

VALORY, souriant.

Vous êtes bien bonne !... La somme ?

CHABRIAC.

Cent mille écus...

VALORY, se récriant et se levant.

Cent mille écus !...

Il passe au milieu.[13]

CHABRIAC.

Les misérables n’ont rien de sacré...

Ajoutant.

En billets de banque...

VALORY.

Et... où était le portefeuille ?... Dans votre secrétaire ?...

MADAME DE BRÉE, dont la surprise augmente, et regardant Valory en face.

En vérité, Monsieur, vous devinez avec une précision...

VALORY.

Oui, la grande habitude...

Il va au secrétaire.[14]

Et puis, les billets de banque, cela se place toujours dans le tiroir le plus mystérieux d’un secrétaire.

Il l’ouvre.

MADAME DE BRÉE, à part.

C’est lui !

Chabriac remonte.

VALORY, ouvrant le tiroir.

Celui-ci, par exemple.

MADAME DE BRÉE, à part.

Ah ! il me fait peur !

VALORY, secouant la tête.

Hum ! Cet homme-là doit avoir une longue pratique de ces sortes d’expéditions... et j’ai bien peur...

CHABRIAC, s’approchant de lui.[15]

Comment, tu crois ?

VALORY, à mi-voix.

Il nous échappera, mon cher... il faut en faire son deuil ! Mais dans deux ou trois ans, peut-être, il se fera arrêter pour autre chose, et alors...

CHABRIAC, bas.

Que le diable t’emporte !... Il sera bien temps ! Les trois cent mille francs seront mangés.

VALORY.

C’est probable.

CHABRIAC, furieux.

Mais c’est là ce que la justice doit empêcher. Je n’ai été te chercher que pour ça !

À Madame de Brée.

Eh bien ! ma cousine, vous ne dites rien ? Ça n’a pas l’air de vous émouvoir.

Il s’approche d’elle.

MADAME DE BRÉE, sans l’écouter et très émue.

Dites-moi, Chabriac, ce jeune homme, vous le connaissez ?...

CHABRIAC.

Qui ? le voleur ?...

MADAME DE BRÉE.

Non... ce jeune homme qui est là... C’est bien celui que...

CHABRIAC.

Mon ami le substitut, pourquoi ça ? Mais, oui, c’est parfaitement lui !... Pas l’ancien, le nouveau...

Élevant la voix.

Pas l’ancien !

MADAME DE BRÉE.

Vous en êtes bien sûr ?...

CHABRIAC.

Parbleu ! un camarade de collège !

Il va à Valory et lui prend la main.

MADAME DE BRÉE, à elle-même.

Quel doute affreux !

CHABRIAC, bas, à Valory.

Tu penses donc que ces renseignements...

VALORY.

Je tremble qu’ils ne soient insuffisants.

CHABRIAC, à part.

Je réagis vers la passementière... Deux cent mille francs en maisons... Ça louche, mais ça ne se vole pas.

VALORY, s’approchant de Madame de Brée.

À moins, cependant, que Madame ne puisse nous fournir quelque preuve... quelque indice personnel...

MADAME DE BRÉE, passant en le regardant fixement.

Assez, Monsieur... songez que je puis compromettre...[16]

VALORY.

Et qui donc ?...

MADAME DE BRÉE.

Mais un homme que sa position...

VALORY.

Quel qu’il soit, pas de ménagements pour le coupable...

CHABRIAC.

Pas le moindre ménagement... Je voudrais le pulvériser !...

VALORY et CHABRIAC, à Madame de Brée.

Eh bien ?...

MADAME DE BRÉE.

Eh bien !... eh bien ! oui Monsieur... cet homme m’a laissé un billet par lequel il prétendait reconnaître l’emprunt bizarre qu’il me faisait...

VALORY.

Et vous avez conservé ce papier ?

MADAME DE BRÉE.

Il doit être encore dans la poche du domino que je portais en sortant du bal...

CHABRIAC.

Mais... allez donc le chercher !...

MADAME DE BRÉE, avec intention.

Monsieur est-il de cet avis ?

VALORY.

Tout-à-fait... Madame...

CHABRIAC.

C’est ça... Et toi, en attendant, pousse jusqu’à la Préfecture... Ce matin, j’ai donné quelques renseignements pour commencer les premières poursuites... Va-s-y, mon ami... va vite !

VALORY.

Madame est-elle de cet avis ?

MADAME DE BRÉE.

Tout-à-fait, Monsieur...

Valory donne la main à Madame de Brée, et la conduit a la porte du salon.[17 

Ensemble.

Air : Valse de Strauss.

MADAME DE BRÉE, à part.

À mon effroi.
Plus je le voi,
Je reconnais
Sa voix, ses traits.
Mais quel espoir
Peut-il avoir ?
Quel intérêt ?...
C’est un secret !

VALORY, à part.

Oui, son effroi
Me dit, je croi :
Je reconnais
Ta voix, tes traits.
Mais concevoir
Mon fol espoir,
Qui le pourrait ?...
C’est mon secret !

CHABRIAC, à part.

Dans mon effroi,
Oui, je le croi,
Si j’écoutais
Mes intérêts...
Mais un espoir
Vient m’émouvoir,
Et rend discret
Mon vœu secret !

Madame de Brée et Valory se saluent et sortent, elle, par la gauche, lui, par le fond.

 

 

Scène XIII

 

CHABRIAC, seul

 

Ouf ! quelle secousse !...

Se jetant dans un fauteuil, près de la cheminée, et s’essuyant le front.

J’en suis en nage !... La position est atroce pour un cœur délicat !... Au moment d’épouser celle que j’adore... 300 000 fr. de moins !... c’est-à-dire tout !...

Se levant.

Allons doucement, Chabriac... L’événement décidera du parti que je dois prendre, et de mon amour !... Car, enfin, ma cousine... certainement c’est une bonne petite femme... mais elle est veuve... elle est veuve, au bout du compte... et une veuve... dame ! c’est toujours moins flatteur !... Et puis aussi pourquoi a-t-elle eu la maladresse de se laisser dévaliser ?... Car, ça me révolte, ça m’indigne !... Après tout, je ne dois pas en souffrir, moi !... Je n’ai pas envie de faire un mariage d’inclination... Je ne suis pas assez... Malvina, pour ça...

Air : Vaudeville des Maris ont tort.

Pour épouser une héritière,
Le ciel tout exprès m’a bâti ;
Quand on a ce qu’il faut pour plaire,
On doit chercher un bon parti,
Moi, je veux un riche parti.
l est juste que ma future
Soit très libérale à son tour...
Je suis doté par la nature,
Je dois l’être aussi par l’amour !

C’est décidé !... Si les nouvelles ne sont pas bonnes... je romps... J’aime à mener les affaires rondement !... Au fait, comme dit Valory... si on ne retrouve le voleur que dans deux ans... la belle avance !... Il aura eu le temps de placer son argent à fonds perdus !... Ces gens-là ont si peu de conduite !...

 

 

Scène XIV

 

CHABRIAC, CORALIE

 

CORALIE, entrant par le fond, une lettre à la main.

Monsieur ! Monsieur !...[18]

CHABRIAC.

Qu’est-ce que tu veux ?

CORALIE, cherchant des yeux.

Ce n’est pas vous... c’est l’autre... le joli garçon...

CHABRIAC.

Que vous êtes bête ! Coralie... Vous ne pouvez pas dire M. le substitut ?

CORALIE.

Justement !... C’est une lettre pour lui qui arrive de la Préfecture... c’est très pressé !...

CHABRIAC, prenant la lettre.

De la Préfecture !... Les renseignements que nous attendions...

Il brise le cachet.

CORALIE.

Mais ce n’est pas pour vous !

CHABRIAC, défaisant l’enveloppe.

Plaît-il ?... Puisque c’est pour mon ami... et que ça concerne notre affaire... Une minute de retard peut compromettre...

Voyant Coralie qui reste.

Qu’est-ce que vous faites donc là ?...

CORALIE.

J’écoute, Monsieur !...

CHABRIAC.

Elle écoute !... Mais, allez-vous-en donc, Coralie... Vous restez là... plantée... Est-ce que ça vous regarde ?...

CORALIE, passant à gauche.

Je m’en vais, Monsieur, je m’en vais...

À part.

Oh ! le vilain homme !... Je ne voudrais pas l’épouser en peinture !...

Elle sort par le salon à gauche.

CHABRIAC, seul, ouvrant la lettre.

On ne saurait trop se défier... ces gens-là sont d’une curiosité !... Voyons un peu...

Lisant.

« M. le substitut, je m’empresse de vous annoncer que la police est sur les traces du voleur... »

Parlé.

Déjà !... victoire !...

Continuant.

« Nous avons une pièce de conviction... » Ils ont une pièce de conviction !... Et moi qui voulais rompre !... Excellente police de Moulins, va !... « Un chapeau de feutre gris imperméable... » Tiens, comme le mien... « Sortant des ateliers de M. Ambrois, 22, rue de la Chaussée-d’Antin... » Mon chapelier !... Ces coquins-là se mettent bien... Pour ce que ça leur coûte...

Lisant.

« On a vu sauter le voleur par la fenêtre du jardin... »

Parlé.

Hein ?... par la fenêtre !... « Et le chapeau a été ramassé au-dessous d’un pommier... »

Tâtant sa tête.

Eh ! mais, mon chapeau ?... Où est mon chapeau ?... Qui est-ce qui a pris mon chapeau ?... Je me rappelle maintenant... en sautant... C’est le mien... Plus de doute, c’est moi qu’on soupçonne !...

Il descend.

Oh ! oh ! police de Moulins, que vous êtes stupide !... Il y a un postscriptum !... Je parie que c’est une bêtise !... « On est sûr qu’il n’a pas quitté la ville... aussi, tous nos agents sont sur pied... à l’intérieur... » À l’intérieur !... Là... qu’est-ce que je disais ?... Pendant que l’autre gagne le large... ils vont concentrer leurs recherches... sur un chapeau gris... Oh ! les ânes !... les ânes de Moulins !... Il n’y a pas un moment à perdre... Je cours prévenir Valory... Ah ! c’est lui !...

 

 

Scène XV

 

VALORY, CHABRIAC[19]

 

VALORY, entrant par la porte du fond.

Bonne nouvelle, mon ami !... bonne nouvelle ! Nous tenons le voleur...

CHABRIAC.

Oui, oui, je sais... Le chapeau, n’est-ce pas ?... le chapeau gris...

VALORY.

Qui te l’a dit ?...

CHABRIAC.

Cette lettre pour toi... que j’ai lue...

VALORY, à part.

J’en étais sûr !...

Haut.

Eh bien ! tu dois être content ?...

CHABRIAC.

Très content !... Mais, si tu savais, mon ami !... ce malheureux imperméable...

VALORY.

Oh ! tu peux être tranquille... Dans une heure, les portes de la ville seront gardées... et je le défie bien de s’évader...

CHABRIAC.

Permets donc !...

VALORY.

Dès ce soir, il sera jeté dans un cachot... vingt pieds sous terre !...

CHABRIAC, ému, à part.

Les jambes me manquent !...

VALORY.

Du pain noir à discrétion.

CHABRIAC, à part.

C’est restaurant.

VALORY.

Nous le logerons toujours là, en attendant... jusqu’aux prochaines assises... et dans trois mois...

CHABRIAC, à part.

Trois mois de prison !...

VALORY.

Tu vois que j’y mets du zèle...

CHABRIAC.

Merci !... bien obligé !... Mais, enfin, si tu te trompais... si les apparences...

VALORY.

C’est impossible !... ce chapeau...

CHABRIAC, vivement.

Mais tout le monde en porte, des chapeaux... Toi, lui, moi-même... Enfin, si c’était le mien... Ça n’est pas ; mais, suppose que c’est le mien...

VALORY.

Si c’était le tien !... j’en serais désolé... mais je serais obligé de le faire arrêter préventivement... Mon cœur en gémirait, mais je te ferais coffrer... parce que, vois-tu ? le devoir avant tout...

CHABRIAC, à part.

Miséricorde !...

VALORY, le secouant.

Eh bien ! eh bien !... qu’est-ce que tu as donc ?...

CHABRIAC, piteusement.

Rien, mon ami... la chaleur, l’émotion...

VALORY.

De ton combat nocturne ?...

CHABRIAC.

Précisément... 

À part.

Dans une heure, les portes de la ville fermées...

Haut.

Et puis, la position dans laquelle je me trouve vis-à-vis de ma cousine...

VALORY.

Comment !... ta cousine...

CHABRIAC.

Oui... Pauvre femme !... Toute réflexion faite, je me suis aperçu que j’en aimais une autre...

VALORY.

Ah bah !...

CHABRIAC.

Et comme un honnête homme n’a qu’une parole, je veux retirer la mienne.

VALORY.

Une rupture !...

CHABRIAC.

Oh ! si ma cousine était dans le malheur, je m’en garderais bien !... Mais, puisque tu vas retrouver ses 300 000 fr...

VALORY.

C’est fort douteux...

CHABRIAC.

Non... ça ne peut pas manquer avec... les données que tu as... Et dès que je suis tranquille sur sa fortune... je ne dois pas la tromper...

VALORY.

Ce serait barbare.

CHABRIAC.

Ce serait... barbare !... Vois-tu, j’adore une petite Parisienne charmante !... rue aux Fers... Une fraîcheur !... des yeux !...

VALORY, à part.

Qui ne sont pas pareils...

CHABRIAC.

J’en suis fou !... Mais la passion est très pressée... et je voudrais l’aller rejoindre tout de suite... Pour cela, mon bon Valory, rends-moi un service... Toi, qui es éloquent comme Cicéron, charge-toi de dire à ma cousine... 

VALORY.

Y penses-tu ?... Moi, qui la connais à peine... C’est trop délicat...

CHABRIAC.

Tu ne veux pas ?... Eh bien ! tant pis... je pars tout de même... Elle pensera de moi ce qu’elle voudra... Je viendrai m’excuser un jour ou l’autre... en passant dans le quartier... Adieu, Valory...

Il passe à droite.[20]

VALORY, à part.

Diable ! non... À tout prix, il me faut sa renonciation...

Haut.

Tu ne peux pas t’en aller ainsi... ce serait d’une inconvenance... Si tu crains de lui parler, que ne lui écris-tu ?... Je me charge de lui remettre ta lettre.

CHABRIAC.

Ah bah ! je n’aurais pas le temps...

VALORY.

Si !... Deux mots, là... pendant que je vais interroger le jardinier.

CHABRIAC.

Comment ! le jardinier ?

VALORY.

Oui, qui a vu sauter le scélérat, et qui le reconnaîtrait entre mille !

CHABRIAC.

Non, non... je le gênerais... Je vais écrire dans ce boudoir... Je vais voir si je puis trouver une phrase honnête... Renvoie-le vite... Ça me trouble, quand je compose...

Il entre dans le boudoir à droite.

 

 

Scène XVI

 

VALORY, seul, puis, MADAME DE BRÉE

 

VALORY.

Chabriac !... 

À lui-même.

Écrira-t-il ? C’est qu’il me faut absolument cette lettre... C’est à ce prix seul qu’elle peut me pardonner mon expédition de cette nuit !

MADAME DE BRÉE, qui a paru du côté à gauche et qui a entendu ces derniers mots.[21]

C’était lui !... j’en étais sûre ! Mais dans quel but ?... Je le saurai.

VALORY, l’apercevant.

C’est elle !

MADAME DE BRÉE, s’avançant.

Vous voilà de retour, Monsieur ?...

VALORY.

J’arrive...

MADAME DE BRÉE, à part.

Menteur !... Ah ! M. le substitut, vous me paierez la frayeur que vous m’avez causée.

VALORY.

Eh bien ! Madame, vous avez retrouvé ce papier ?...

MADAME DE BRÉE.

Oui ; mais en le lisant, car je ne l’avais pas lu d’abord, j’ai été cruellement désappointée...

VALORY.

Bon !

MADAME DE BRÉE.

Oh ! je suis furieuse ! ce misérable a ajouté le persifflage... Figurez-vous que ce n’est point un reçu, mais un madrigal... des fadeurs sur ma grâce, ma beauté...

VALORY.

Cela prouve, au moins, qu’il ne manque pas de goût...

MADAME DE BRÉE.

Mais, non, Monsieur ; c’est à en devenir folle de dépit... car ses vers sont très mauvais...

VALORY, interdit.

Ah !... vous les trouvez...

MADAME DE BRÉE.

Détestables...

À part.

Il se mord la lèvre, c’est lui.

Haut.

Ça rime... voilà tout...

VALORY, à part.

C’est flatteur !...

MADAME DE BRÉE.

Des vers de Moulins, c’est tout dire...

VALORY, à part.

Suez donc sang et eau...

MADAME DE BRÉE.

Et si je désire sa punition maintenant... c’est peut-être encore plus à cause de sa poésie que de son vol...

VALORY, déconcerté.

Il faut que ce soit bien mauvais !... Eh bien ! Madame, confiez-moi ces malheureux vers, et nous parviendrons sans doute...

MADAME DE BRÉE.

Je ne les ai plus.

VALORY.

Comment ?...

MADAME DE BRÉE.

Une rencontre... un événement dont vous allez être enchanté... Le juge d’instruction, M. de Pommereuse, qui est un peu mon parent, sort de chez moi !

VALORY, un peu ému.

Le juge d’instruction !

MADAME DE BRÉE, à part.

Je ne l’ai pas vu seulement.

VALORY.

Je le croyais à la campagne.

MADAME DE BRÉE, l’observant.

Justement... Il est accouru sur la clameur publique... Je lui ai montré cette sotte épître... Il a cru reconnaître l’écriture...

VALORY, à part.

Je crois bien ! je lui ai écrit vingt fois.

MADAME DE BRÉE, de même.

Oui... oui, s’est-il écrié, c’est bien cela ! mais ce serait inouï... incroyable... Il faut que je vérifie... que je compare...

VALORY, agité.

Et il a emporté le papier ?...

MADAME DE BRÉE.

Sans doute...

VALORY, à part.

Miséricorde ! Et moi qui n’avais pas songé...

Il veut sortir.

MADAME DE BRÉE.

Où allez-vous donc ?...

VALORY, plus troublé.

L’aider dans ses recherches...

MADAME DE BRÉE.

C’est inutile... vous ne pourrez pas sortir.

VALORY, plus troublé.

Je ne pourrai pas ?...

MADAME DE BRÉE.

Le juge d’instruction a donné ordre à la gendarmerie de garder toutes les issues, dans l’espoir que le coupable était encore ici...

Elle se dirige vers la toilette.

VALORY, à part, en descendant.

Me voilà bien !

Haut.

Oh ! encore ici... ce n’est guère probable...[22]

MADAME DE BRÉE, le regardant.

Si... moi, je le crois... Ces hommes-là sont d’une audace... Comme vous disiez tantôt... vous savez, ce voleur... que vous avez beaucoup connu... qui ne se cachait jamais moins.

Elle s’assied.

VALORY, à part.

Morbleu !...

MADAME DE BRÉE, lui montrant un fauteuil.

En attendant l’arrivée de M. de Pommereuse, asseyez-vous donc, je vous en prie, et causons tranquillement.

VALORY, plus agité.

Oui, tranquillement.

Il s’assied. À part.

Je suis sur des charbons ardents... M. de Pommereuse... qui va venir, et qui...

MADAME DE BRÉE.

Lisez-moi donc un article de la Gazette des tribunaux, le journal à la mode... il y a quelquefois des tours de voleurs tout-à-fait bouffons.

VALORY.

Eh ! Madame...

MADAME DE BRÉE.

Mais quelle heureuse idée vous avez eue là, de songer à ce papier !...

VALORY, d’un air contraint.

Oui... oui... c’est une idée assez heureuse...

MADAME DE BRÉE.

Admirable !... C’est à vous que nous devrons la découverte du voleur... sa punition...

VALORY, hésitant.

Ah !... vous tenez beaucoup à ce qu’il soit puni ?...

MADAME DE BRÉE.

Comment donc !... Comme vous disiez tantôt, quel qu’il soit, point de pitié... pas de ménagements... Est-ce que ce n’est plus votre avis ?...

VALORY, à part.

Ce n’est pas possible... elle se moque de moi !

MADAME DE BRÉE.

Hein ?...

VALORY.

Peut être, Madame.

MADAME DE BRÉE, se levant.

Comment ! peut-être ?

VALORY, se levant.

Oui... j’ai réfléchi. Et les circonstances de ce prétendu vol me semblent si bizarres, si originales, qu’il est bien permis de lui chercher un autre motif que celui que nous lui donnions.

MADAME DE BRÉE.

Ah ! vous croyez qu’un autre motif ?...

VALORY, à mi-voix.

Oui !...

MADAME DE BRÉE, à part.

Enfin, je vais savoir...

Haut.

Et lequel ?...

VALORY.

Mais... l’amour, par exemple...

MADAME DE BRÉE.

L’amour !

VALORY.

C’est une supposition...

MADAME DE BRÉE, à part.

Allons donc... on a bien de la peine à lui arracher cela...

Haut et souriant.

L’amour des billets de banque...

VALORY, avec force.

Non, Madame... Le sentiment le plus vrai, le plus profond ! N’y avait-il pas là quelques circonstances atténuantes ?...

MADAME DE BRÉE.

Oh ! les circonstances atténuantes, on les fourre partout !

VALORY, avec force.

Je suppose une de ces passions irrésistibles que nul obstacle, nulle puissance ne peuvent arrêter...

MADAME DE BRÉE, émue.

C’est une supposition ?...

VALORY, continuant.

Instruit qu’un autre va devenir votre époux, qu’une promesse solennelle vous engage,

Baissant la voix.

mais certain, en même temps, que cet autre est indigne de tant de bonheur... qu’il ne chérit, n’adore que votre fortune... on n’avait peut-être qu’un moyen de vous sauver... c’était de vous ruiner tout-à-coup... complètement... d’amener ainsi la renonciation du rival que l’on redoutait, et de vous conserver à celui qui vous aime plus que sa vie !

MADAME DE BRÉE, à part

Ah ! je commence à comprendre...

Haut.

Le moyen eût été un peu vif... M’exposer à mourir de peur !...

VALORY.

Oh ! Madame... on connaît votre courage, votre sang-froid. Et puis, pour être certain que cela se passât avec tous les égards... on n’a voulu s’en rapporter qu’à soi-même... Et, jugez donc !... que d’amour ne fallait-il pas pour tout sacrifier ?...

MADAME DE BRÉE, à part, le regardant avec intérêt.

En effet... comme il est ému !...

VALORY, avec chaleur.

Pour compromettre son nom, sa réputation, au seul désir de vous conserver votre liberté.

MADAME DE BRÉE, à part et tout attendrie.

Il a raison !... Pauvre garçon ! faut-il qu’il m’aime... pour être venu me voler ainsi !

VALORY.

Oh ! tenez, Madame, je me mets à sa place !...

MADAME DE BRÉE.

C’est toujours une supposition.

VALORY.

Mais il me semble que cette preuve d’amour est plus forte que toutes les protestations, tous les sermons... et qu’une femme qui est sûre d’être aimée à ce point de folie, d’extravagance... ne pourrait, sans cruauté, se jouer d’une pareille affection !...

MADAME DE BRÉE, se composant.

Fort bien, Monsieur... mais, pour donner quelque vraisemblance à ce roman, que vous improvisez avec beaucoup de grâce et d’imagination... il ne manque que la renonciation du rival...

VALORY.

Sans doute...

Passant à droite, à part.

Écrira-t-il, le malheureux ?

MADAME DE BRÉE, s’asseyant à droite.

Et cette renonciation ? Je l’attends...

VALORY, inquiet, à part.

Je l’attends aussi...

MADAME DE BRÉE.

Et je l’attendrai vainement !

 

 

Scène XVII

 

VALORY, MADAME DE BRÉE, CHABRIAC, entr’ouvrant la porte du boudoir[23]

 

CHABRIAC.

Oh !... ma cousine qui est là !...

MADAME DE BRÉE, sans le voir, et continuant.

Car on a calomnié les sentiments de mon cousin... Je connais son cœur... mon défaut de fortune ne le changera pas.

CHABRIAC, à part.

Elle y tient !... Et moi, qui hésitais !...

Il referme la porte doucement sur lui.

MADAME DE BRÉE.

Et je ne puis mieux le venger d’un semblable soupçon qu’en persistant à l’épouser... Oui, Monsieur...

On voit le bras de Chabriac sortir du boudoir, agitant une lettre.

Et je l’épouserai aujourd’hui même...

VALORY.

Mais, enfin, Madame, s’il vous écrivait ?

Chabriac s’approche doucement de Valory en se baissant. 

MADAME DE BRÉE, appuyant.

Oui, mais cette lettre ne vient pas... elle ne viendra pas...

Chabriac glisse la lettre dans la main de Valory, qui la saisit vivement. Chabriac se sauve par le fond.

VALORY, la présentant à Madame de Brée, après que Chabriac est sorti.

La voici !

MADAME DE BRÉE, passant à droite.

Comment ? En effet... c’est de sa main...[24]

Elle ouvre et lit.

« Chère cousine, vous connaissez mon cœur. Ce n’est pas quelques centaines de mille francs de plus ou de moins qui pourraient altérer mon amour... »

À Valory.

Vous voyez.

VALORY, à part.

Que le diable l’emporte !

MADAME DE BRÉE, continuant.

« Mais je suis excessivement délicat sur certain chapitre... Et la présence d’un jeune homme chez vous, au milieu de la nuit, fait jaser à tel point, dans la ville, que pour ma propre dignité je dois vous rendre votre parole... »

VALORY, avec transport.

Est-il possible ?

MADAME DE BRÉE, regardant Valory.

Ainsi voilà une visite qui me coûte ma fortune et ma réputation.

VALORY, vivement.

Que vous importe ? s’il peut tout réparer !... Vous voilà libre... libre de votre main...

MADAME DE BRÉE, avec ironie.

Qu’en savez-vous, Monsieur ?... Si j’en aimais un autre... en secret... depuis longtemps... qui m’a sauvé la vie... et dont j’ai parfaitement reconnu l’écriture...

VALORY, avec transport.

Comment, Madame ?...

MADAME DE BRÉE.

Eh ! oui, Monsieur. Ne voyez-vous pas que depuis une heure je prends ma revanche ?

VALORY, lui baisant la main.

Ah ! tant de bonheur !...

MADAME DE BRÉE, le masquant.

Silence !... on vient !

 

 

Scène XVIII

 

VALORY, MADAME DE BRÉE, VASLIN, puis, CHABRIAC, conduit par les domestiques, et CORALIE, qui entre de côté[25]

 

VASLIN, criant en dehors.

Madame, Madame... nous tenons le voleur !

MADAME DE BRÉE, souriant à Valory, dont elle tient la main.

Moi aussi !

VASLIN, accourant.

Il est arrêté !

MADAME DE BRÉE, étonnée.

Le voleur !

VALORY.

C’est un peu fort !...

VASLIN.

C’est vot’ garçon jardinier qui l’a saisi au moment où il se sauvait,

Montrant la gauche.

et sans chapeau, ce qui est clair.

VALORY, à part.

Je devine !...

VASLIN.

Le voici.

CHABRIAC, se débattant au milieu des domestiques.

Lâchez-moi donc, impertinents ! Je vous apprendrai...[26]

MADAME DE BRÉE.

Mon cousin !

CORALIE, qui est entrée.

Le futur de Madame !

VASLIN.

Le futur ?... Du tout... je le connais, c’est un grand...

Regardant Valory.

CHABRIAC.

C’est un grand ! c’est un grand !... Vieil entêté ! Il veut le savoir mieux que moi... La valetaille est stupide !

MADAME DE BRÉE, à ses gens.

Laissez Monsieur... Il n’y a plus personne à arrêter.

VALORY, remettant le portefeuille sur le bureau.

Car Madame a retrouvé son portefeuille.

TOUS.

Ah bah !

CHABRIAC, faisant un bond, et passant entre Valory et Madame de Brée.

Il l’a renvoyé...

MADAME DE BRÉE.

Oui, mon cousin.

CHABRIAC.

Et mon chapeau, l’a-t il renvoyé aussi ?

VALORY.

Il est au greffe !

CHABRIAC.

Autant de flambé !... C’est égal, voilà un honnête homme !

Tendrement.

Ah ! chère cousine ! si vous saviez combien je partage...

Bas, à Valory.

Dis donc, rends-moi ma lettre.

MADAME DE BRÉE.

Oui, je sais que vous aimez à partager...

CHABRIAC.

Votre joie, votre satisfaction...

Tendant la main à Valory.

Rends-moi donc ma lettre ?

Haut.

C’est si naturel !

Bas, à Valory.

Tu ne l’as pas remise, j’espère ?

VALORY, bas.

Ma foi, mon ami, tu semblais si pressé.

CHABRIAC, à part, et remontant à la droite de Valory.

Oh ! imbécile !

Haut.

Permettez, cousine... du moment que le portefeuille est intact, cela fait disparaître toute espèce de malentendu... et...

MADAME DE BRÉE.

Oh ! non, non, mon cousin... Il resterait toujours ce tête-à-tête... avec un jeune homme, au milieu de la nuit... Et moi, qui connais votre délicatesse !... Aussi, en reprenant la parole que vous m’avez rendue, et pour échapper aux propos... je vous annonce que demain je pars pour l’Italie.

CHABRIAC.

Pour l’Italie !

MADAME DE BRÉE, bas, à Valory.

Je crois que les tribunaux entrent en vacances.

VALORY, avec joie.

Aujourd’hui même !

MADAME DE BRÉE.

Coralie... tu m’accompagneras...

CHABRIAC, galamment.

Quoi ! toutes deux seules...

MADAME DE BRÉE, souriant.

Non... nous serons trois...

CHABRIAC, prenant cela pour lui, d’un air agréable.

Ah !

MADAME DE BRÉE, tendant la main à Valory.

Mon mari vient avec nous...

CHABRIAC, stupéfait.

Son mari !

À Valory.

Comment ! tu partirais ?...

VALORY.

Oui, mon cher, c’est une idée qui nous est venue tout à l’heure en parlant du Simplon !

CORALIE, qui comprend, bas, à Madame de Brée.

C’était donc lui ?...

CHABRIAC.

Le Simplon !... Connais pas...

À part.

Au fait, en luttant avec un procureur du roi, je devais n’attendre à être mis dedans.

Haut.

Mais, puisqu’il en est ainsi, je me déporte...

TOUS.

Ah ! mon Dieu !

CHABRIAC.

Rue aux Fers, 47.

VALORY, à Chabriac.

Dis donc... prends garde... Chabriac, tes héritiers loucheront.

CHABRIAC, à part, étonné.

Comment sait-il ?...

Avec dignité.

Ça me regarde, Monsieur...

VALORY, souriant.

C’est-à-dire que ça regarde tout le monde... et de travers !

CHŒUR.

Air du chœur final des Secondes Noces.

Quelle heureuse alliance !
Et quel tendre avenir pour nous !
Et quel tendre avenir pour vous !
La plus douce espérance
Brille, enfin, pour ces deux époux !


[1] Vaslin, Valory.

[2] Valory, Vaslin.

[3] Madame de Brée, Coralie.

[4] Coralie, Madame de Brée.

[5] Madame de Brée, Valory.

[6] Chabriac, Madame de Brée.

[7] Coralie, Madame de Brée, Vaslin, les valets derrière.

[8] Madame de Brée, Coralie.

[9] Coralie, Valory, Chabriac.

[10] Chabriac, Valory.

[11] Chabriac, Madame de Brée, Valory.

[12] Madame de Brée, Chabriac, Valory.

[13] Madame de Brée, Valory, Chabriac.

[14] Valory, Madame de Brée, Chabriac.

[15] Valory, Chabriac, Madame de Brée.

[16] Valory, Madame de Brée, Chabriac.

[17] Madame de Brée, Valory, Chabriac.

[18] Chabriac, Coralie.

[19] Chabriac, Valory.

[20] Valory, Chabriac.

[21] Madame de Brée, Valory.

[22] Valory, Madame de Brée.

[23] Madame de Brée, Valory, Chabriac.

[24] Valory, Madame de Brée.

[25] Valory, Madame de Brée, Coralie, Vaslin.

[26] Valory, Madame de Brée, Coralie, Chabriac, Vaslin.

PDF