La Rue Saint-Denis (CHAMPMESLÉ)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel Guénégaud, le 17 juin 1682.

 

Personnages

 

MONSIEUR ARMOSIN, marchand

MADEMOISELLE MARGOT, fille de Monsieur Armosin

MADAME BINON, tante de Mademoiselle Margot

DAMIS, amant de Mademoiselle Margot

MONSIEUR GUINDÉ, marchand

JEAN GUINDÉ, fils de Monsieur Guindé

MONSIEUR DE BOISDOUILLET, frère de Monsieur Guindé

MADAME DE BOISDOUILLET, femme de Monsieur de Boisdouillet

MONSIEUR NIFLE, cousin de Monsieur Guindé

MADAME NIFLE, femme de Monsieur Nifle

MONSIEUR POULAILLER, parrain de Jean Guindé

MADAME POULAILLER, femme de Monsieur Poulailler

SAINT BLAISE, garçon de Monsieur Guindé

ORONTE, ami de Damis

LA MOUCHE, fourbe

UN LAQUAIS

UNE SERVANTE

 

La Scène est dans la rue Saint Denis.

 

 

Scène première

 

SAINT BLAISE, tenant quatre Bouteilles de Vin

 

L’Ouverture représente la Boutique de Monsieur Guindé.

En quel endroit cacherai-je ces quatre Bouteilles de Vin que je viens d’escamoter à notre bon Homme de Maître ? s’il s’en aperçoit, il ne manquera pas de les chercher partout. Mettons-les dans ce Tiroir de Points de France. Il ne s’aviserai pas de fouiller-là.

 

 

Scène II

 

DAMIS, SAINT BLAISE

 

DAMIS.

Hé bien, Saint Blaise mon ami, n’y a-t-il rien de changé ? Monsieur Guindé donne-t-il ce soir à souper à ses Parents ? Et Jean Guindé son fils donnera-t-il le Bal ensuite à Mademoiselle Margot ?

SAINT BLAISE.

Oui. Le soupé doit commencer à sept heures précises ; et le Bal le doit suivre immédiatement après.

DAMIS.

Nous n’avons plus guères de temps à attendre ; six heures sont sonnées à l’Horloge de Saint Leu.

SAINT BLAISE.

J’ai dit à Mademoiselle Margot, que vous viendriez au Bal déguisé en Égyptienne.

DAMIS.

Hé, qu’a-t’elle répondu ?

SAINT BLAISE.

Rien.

DAMIS.

Est-ce que cette Mascarade ne lui plairait pas ?

SAINT BLAISE.

Pardonnez-moi ; c’est que comme elle ne peur faire un pas sans être obsédée de quelqu’un, elle est toujours dans la défiance, et il est difficile de deviner ce qu’elle pense. Ce que je sais bien, c’est qu’elle n’aime point du tout Monsieur Jean Guindé, qu’on lui destine pour Époux.

DAMIS.

Hé, comment pourrait-elle l’aimer ? C’est la plus impertinente figure que je connaisse. Il est beaucoup plus guinde d’effet que de nom. C’est l’esprit le plus marchand qui soit dans la Rue Saint Denis, et la personne la plus bourgeoise que Paris ait jamais vu naître, avec son jargon de Boutique qu’il emploie partout son rire à faire peur aux petits enfants, et son frottement perpétuel de mains qui accompagne si joliment ses badaudes manières. C’est un vrai Personnage à mettre sur le Théâtre. Je ne sais ce que Mademoiselle Margot en pense, mais j’ai peine à croire qu’elle se résolve à épouser un aussi sot homme.

SAINT BLAISE.

Ce que vous dites est vrai ; mais elle a tant d’obligation au père, que je ne sais comment elle fera pour refuser le Fils. Elle ne s’en est défendue jusqu’ici que par l’absence de Monsieur Armosin son père, qui, comme vous savez, fit banqueroute il y a quelques années ; mais je ne sais si elle en sera toujours la maîtresse. Jean Guindé presse furieusement les affaires, et je m’imagine que le Festin de ce soir ne se fait pas pour rien.

DAMIS.

Qui sont les Gens qui doivent être de ce soupé ?

SAINT BLAISE.

Il y a Madame Binon, Tante de Mademoiselle Margot ; Monsieur Nifle, Cousin de Monsieur Guindé, grand faiseur de compliments ; et son gros bilboquet de Femme qui accompagne d’une révérence chaque parole qu’elle dit. Il y aura aussi Monsieur de Boisdouillet, qui ne parle qu’en Vers ; et sa femme la façonnière, avec Monsieur Poulailler, qui ne dit que des quolibets et des pointes ; sans oublier, Madame sa chère moitié, qui ne répond qu’en Proverbes.

DAMIS.

Il est vrai que jamais famille bourgeoise ne fut plus féconde en originaux que celle de Monsieur Guindé. Mais lui-même avec la surdité qu’il a héritée de feu son père, a-t-il toujours le mot Chose à la bouche ?

SAINT BLAISE.

Toujours. C’est son épée de chevet. Il ne saurait dire trois mots qu’il n’y fourre celui de Chose. Il n’a jamais su ce que c’était que de trouver un nom propre du premier coup. Le mot de Chose est un supplément à son manque de mémoire. Tout est Chose chez lui, le plus souvent on ne saurait ce qu’il dit, si l’on ne devinait ce qu’il veut dire.

DAMIS.

On ne peut faire un assemblage plus plaisant que celui-là ; mais je crains bien, comme tu dis, qu’il ne se fasse pas pour rien. J’ai conçu un dessein qui pourrait me mettre en repos, si tu approuve que je le mette en exécution.

SAINT BLAISE.

Quel est-il ?

DAMIS.

J’ai un ami qui n’est point connu de Monsieur Guindé. Si je renvoyais chez lui comme un homme qui aurait fait connaissance dans le voyage avec Monsieur Armosin, et qui le viendrait assurer de sa part que dans trois mois il ferait à Paris, et que cependant il le prierait de suçoir jusqu’à ce temps le mariage de son fils avec sa fille. Hem ?

SAINT BLAISE.

La chose est très bien avisée ; car quand elle ne serait pas crue de Monsieur Guindé, ce serait toujours nue raison pour Mademoiselle Margot, qui ne cherche que des prétextes pour reculer.

DAMIS.

Pendant ce temps je tâcherai de me mettre bien dans son esprit, et à prendre des mesures pour le rompre tout-à-fait.

SAINT BLAISE.

Oui, je vous conseille d’envoyer votre ami dès ce soir. L ‘heure n’est pas trop propre à porter une telle nouvelle ; mais comme il faut que Mademoiselle Margot soit présente à ce discours, vous auriez peine à trouver un temps plus favorable.

DAMIS.

Je vais instruire mon ami de tout ce qu’il faut qu’il dise, et m’ajuster pour la Mascarade.

SAINT BLAISE.

Allez, l’irai vous prendre au petit Panier de la Rue Trousse-Vache, quand il fera temps, que vous veniez ici. J’entends Monsieur Guindé, retirez-vous.

 

 

Scène III

 

MONSIEUR GUINDÉ, SAINT BLAISE

 

MONSIEUR GUINDÉ.

Chose ?

SAINT BLAISE.

Hé bien, ne le voilà-t-il pas ? C’est moi qui suis Chose... Je voudrais qu’il fut aussi muet qu’il est sourd, pour ne plus entendre ce vilain mot-là.

MONSIEUR GUINDÉ.

Écoutez, Chose, allez-vous-en un peu chez Chose, pour voir si... si... mon Chose est prêt.

SAINT BLAISE.

Que diable veut-il dire avec tous ces Choses ? Que dites-vous ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Je dis que vous alliez chez cet homme... Eh là... cet homme... qui fait des Chapeaux, pour voir si le mien est prêt.

SAINT BLAISE.

Chez votre Chapelier ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Oui. Si par hasard il n’était pas repassé, dites-lui que je le veux avoir pour demain de bon matin, parce que je veux être des premiers à l’Œuvre. Écoutez, dites-lui qu’il mette bien du Chose dessus.

SAINT BLAISE.

De quoi ?

MONSIEUR GUINDÉ.

De ce Chose... de ce Chose qui les rend reluisants.

SAINT BLAISE s’en va.

C’est assez.

MONSIEUR GUINDÉ.

Je me défaits exprès de ce Garçon, pour voir si ce n’est point lui qui m’a pris quatre Bouteilles de Vin que l’on m’a dérobées. Voyons s’il ne les aurait point fourrées dans quelque coin.

 

 

Scène IV

 

MONSIEUR GUINDÉ, JEAN GUINDÉ

 

JEAN GUINDÉ.

Mon père, j’ai trouvé Marchand pour l’affaire que vous savez.

MONSIEUR GUINDÉ, sans voir son fils.

Elles ne sont point ici. Je ne sais où le Pendard peut les avoir mises.

JEAN GUINDÉ.

Que cherchez-vous mon père ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Ah, ah, c’est vous mon fils. On me vient de dérober quatre Choses.

JEAN GUINDÉ.

Quatre quoi ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Quatre bouteilles de Vin. Je soupçonne notre garçon du vol, et je tâche à découvrir l’endroit où il peut les avoir mises.

JEAN GUINDÉ.

J’ai une affaire à vous dire plus importante que cela.

MONSIEUR GUINDÉ.

Attendez. Passez du côté de ma bonne oreille, et laissez-moi prendre mon cornet, afin de vous dispenser de me parler si haut. Que dites-vous ?

JEAN GUINDÉ, lui parlant dans le cornet.

Que j’ai trouvé un homme pour ce que vous savez.

MONSIEUR GUINDÉ.

Bon.

JEAN GUINDÉ.

C’est notre vrai ballot. Moyennant quatre Louis d’or que je lui ai donné, il m’a promis d’exécuter de point en point la fourberie que vous avez imaginé.

MONSIEUR GUINDÉ.

Paix. Ne m’en dites pas davantage, ces lieux peuvent avoir des oreilles. C’est une affaire que nous devons cacher à tout le monde. Écoutez, Jean, j’ai un secret sur le cœur, dont il est temps que je vous fasse part...Là-haut nous pourrions être entendus de votre Maîtresse ? ici nous sommes seuls.

JEAN GUINDÉ.

Quel est ce secret ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Les marchandises qui sont dans ce Magasin, les Billets de Change qui sont faits à mon profit, l’argent comptant qui est dans mon coffre fort, et cette maison dont je me dis le propriétaire, tout cela n’est point à moi.

JEAN GUINDÉ.

Et à qui donc, mon père ?

MONSIEUR GUINDÉ.

C’est à Monsieur... Monsieur... ce Monsieur dont vous devez épouser la fille.

JEAN GUINDÉ.

Qui ? Monsieur Armosin, père de Mademoiselle Margot ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Lui-même.

JEAN GUINDÉ.

Et pourquoi ce bien-là est-il à lui, et qu’il n’est pas à vous ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Il est à lui, parce qu’il n’est pas à moi ; et il n’est pas à moi, parce qu’il est à lui.

JEAN GUINDÉ.

Voilà un compte bien embrouillé.

MONSIEUR GUINDÉ.

Je vais vous le mettre au net. Monsieur de... de Armosin, ayant jugé à propos pour s’enrichir, de faire banqueroute, il m’en fit la confidence, et me mit de la partie, car il me faisait l’honneur de m’estimer beaucoup.

JEAN GUINDÉ.

C’était vous en donner des marques honorables.

MONSIEUR GUINDÉ.

Nous passâmes un Contrat de société ensemble dans lequel il paraissait que j’avais mis une somme considérable à la communauté, sans que j’eusse aucune part aux dettes créées avant la société.

JEAN GUINDÉ.

Oh, oh, plus fin que vous n’est pas bête.

MONSIEUR GUINDÉ.

Après que je lui eus passé une contre-lettre de tout ce qu’il laissa en mon pouvoir, un beau soir il fit un trou à la lune, et prit congé de tout le monde sans dire adieu à personne.

JEAN GUINDÉ

Il fit prudemment.

MONSIEUR GUINDÉ.

Les Créanciers se rendirent en foule dans ma maison. Leur ayant fait voir que le plus beau et le meilleur était à moi, je leur abandonnai le reste, qu’ils partagèrent entre eux au sol la livre.

JEAN GUINDÉ.

Ils furent bien chanceux...

MONSIEUR GUINDÉ.

Depuis ce temps j’ai fait rouler le Commerce de Monsieur Armosin sous mon nom, suivant l’accord passé entre nous. Ainsi vous voyez bien que nous ne sommes pas si riches que vous croyez.

JEAN GUINDÉ.

Je vois bien que si je n’épousais pas Mademoiselle Margot, j’aurais un grand de compte à faire avec la fortune.

MONSIEUR GUINDÉ.

Elle ne sait rien du commerce que j’ai avec son père ; il faut profiter de son ignorance.

JEAN GUINDÉ.

Il ne faut pas s’amuser à marchander cette affaire.

MONSIEUR GUINDÉ.

Comme son père me mande qu’il sera bientôt de retour ici avec un bien considérable, il faut passer ce mariage ; il ne serait pas d’humeur à vous la donner.

JEAN GUINDÉ.

C’est bien dit. Je m’étonne même de ce que vous avez été si longtemps à conclure cet Hymen.

MONSIEUR GUINDÉ.

Ce n’est que du dernier ordinaire que j’ai appris le retour d’Armosin. Je ne croyais pas qu’il voulût jamais mettre le pied en France ; mais nous avons assez de temps, il est encore loin d’ici.

JEAN GUINDÉ.

Et d’où vous a-t-il écrit ?

MONSIEUR GUINDÉ.

De Chose.

JEAN GUINDÉ.

D’où ?

MONSIEUR GUINDÉ.

De... de la Ville de... et la... de cette Ville qui est si loin, si loin.

JEAN GUINDÉ.

Du Japon ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Non c’est cette Ville où demeure le grand Chose.

JEAN GUINDÉ.

Le Grand qui ?

MONSIEUR GUINDÉ.

La, c’est ce grand Chose qui n’est pas Chrétien.

JEAN GUINDÉ.

Le Grand Mogol ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Non.

JEAN GUINDÉ.

Le Grand Sophy ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Non, non.

JEAN GUINDÉ.

Le Grand Cam de Tartarie ?

MONSIEUR GUINDÉ.

Et non, non. Où diantre allez-vous percher tous ces noms-là ? C’en est un qui n’est pas si malaisé cent fois.

JEAN GUINDÉ.

Et qui donc ? le Grand Turc.

MONSIEUR GUINDÉ.

Oui, oui, le voilà justement. Comment appelez-vous la Ville où il loge ?

JEAN GUINDÉ.

Constantinople.

MONSIEUR GUINDÉ.

C’est de cette Ville-là qu’il m’a écrit.

JEAN GUINDÉ.

Voici un mariage qui est plus pressé que je ne pensais ; c’est une marchandise qu’il faut promptement mettre en vente ; et l’homme que je viens d’arrêter, ne vous aidera pas peu pour en faire le débit. Vous le connaîtrez à une face large et rubiconde, qui a tout l’air d’un bon gros Sans-souci ; et en cas que quelqu’un de la compagnie s’avisait de le questionner, il a par mes soins réponse à tout.

MONSIEUR GUINDÉ.

Madame Binon, Tante de Mademoiselle Margot, croyant que la seule honnêteté m’a fait élever sa nièce, prend notre parti, moyennant quelque somme que je lui ai promise, dont vous savez que la Dame a un peu de nécessité.

JEAN GUINDÉ.

La voici qui vient.

MONSIEUR GUINDÉ.

Vous pouvez lui dire le complot que vous avez dressée avec votre homme, afin qu’elle prenne des mesures là-dessus.

 

 

Scène V

 

MADAME BINON, MONSIEUR GUINDÉE, JEAN GUINDÉ

 

MADAME BINON.

Messieurs, je vous donne le bonsoir.

MONSIEUR GUINDÉ.

Madame, je vous le rends. Voici mon fils Jean, à qui je viens de dire les bontés que vous avez pour lui. Il va vous foire aussi confidence d’une petite fourberie que nous avons concertée pour avancer nos desseins. Crainte que ma surdité ne vous incommode, je vais vous laisser, et je cours donner, des ordres, pour notre soupé.

 

 

Scène VI

 

JEAN GUINDÉ, MADAME BINON

 

JEAN GUINDÉ.

Madame, mon père m’a appris-les bontés que vous voulez bien avoir pour moi. Je vous proteste que vous ne les mettez point à fonds perdu, et j’en aurai toutes les reconnaissances imaginables.

MADAME BINON.

Ce que je fais pour vous ne mérite point cela. Ma Nièce est une fille sans biens, à qui vous faites trop d’honneur quand vous la voulez épouser, et si je m’émancipe à lui donner des conseils en votre faveur, c’est plutôt pour, ses intérêts que pour les vôtres.

JEAN GUINDÉ.

Oh, point du tout, Madame. Vous savez les petites difficultés qu’elle apporte à la conclusion du Contrat de société qui doit joindre nos deux personnes par un lien indissoluble. Elle a de la peine à donner son aveu, sans voir auparavant le consentement de son père. Il se passera peut-être bien du temps avant que nous ayons de ses nouvelles, et mon amour ne saurait lui accorder une usance de si longue haleine. C’est ce qui a fait naître à mon père une petite invention pour couper court à ce retardement. Il s’est imaginé qu’il fallait trouver quelqu’un qui fît semblant d’avoir voyagé avec Monsieur Armosin, et qu’il vient ici apporter des nouvelles de sa mort. Ce quelqu’un parlant à Mademoiselle Margot lui fera concevoir que les dernières volontés de son père ont été pour la consommation du mariage d’entr’elle et moi au plutôt, et sans cérémonies. Comme elle est extrêmement soumise aux volontés de son père, le poids de cette nouvelle fera pencher la Balance de son côté.

MADAME BINON.

Vous avez raison, il ne se peut rien de mieux imaginé ; mais la difficulté est de trouver un homme qui sache conduire adroitement cette intrigue.

JEAN GUINDÉ.

J’en ai un tout trouvé. Quatre Louis d’or m’ont acquis le plus assuré menteur qui soit, à plus de vingt lieues à la ronde. Il doit le rendre ce soir ici, comme tout frais débarqué d’un grand voyage, et demandera à parler à mon père. Il ne le connaît pas, et cela fera mieux le jeu. Ensuite il lui fera le rapport de tout ce dont nous sommes convenus.

MADAME BINON.

C’est donc ce soir que cet homme doit venir.

JEAN GUINDÉ.

Dès ce soir. Le soupé que mon père donne à nos parents, n’est en partie que pour cela. J’ai donné rendez-vous à cet homme après les boutiques fermées, afin que devant tous les conviés il vienne rendre témoignage de la mort de Monsieur Armosin.

MADAME BINON.

Vous ne pouviez faire mourir un homme plus à propos pour le bien de vos affaires.

JEAN GUINDÉ.

Chut. Voici Monsieur Poulailler mon parrain, et sa femme. Allez auprès de votre nièce lui parler en ma faveur.

 

 

Scène VII

 

MONSIEUR POULAILLER, MADAME POULAILLER, JEAN GUINDÉ

 

Un Laquais marche devant eux avec un flambeau.

MONSIEUR POULAILLER.

Bonsoir, mon Fillo. Nous venons souper, ici ma femme et moi, et nous apportons de quoi manger.

JEAN GUINDÉ.

Ah, mon parrain, ne me faites pas ce déplaisir-là. Ce serait nous déshonorer que de...

MONSIEUR POULAILLER.

Bon, bon ; ne comprenez-vous pas ce que je veux dire ? Ce sont nos dents que nous apportons, nos dents.

JEAN GUINDÉ.

Je ne m’attendais pas à ce détour.

MADAME POULAILLER.

Voila des comtes jaunes de Monsieur Poulailler ; il donne toujours du Brie-Comte-Robert, et lorsqu’il dit sa râtelée, il semble qu’il prend la Pie au nid.

JEAN GUINDÉ.

Il aime à rire. Mon Parrain, montez là-haut, mon père vous attend.

MADAME POULAILLER.

Petit Garçon, retournez au logis vite comme le vent, et revenez à minuit. Éteignez votre flambeau, afin qu’il y en ait assez pour nous en retourner.

JEAN GUINDÉ.

À moins que le pauvre Garçon ne se serve de l’invention du Laquais de l’Après soupé des Auberges il court risque de se brûler les doigts. Voici le cousin et la cousine Nifle.

 

 

Scène VIII

 

MONSIEUR NIFLE, MADAME NIFLE, JEAN GUINDÉ

 

Une Servante porte devant eux une lanterne.

MONSIEUR NIFLE.

Monsieur mon Cousin, bonsoir. Bonsoir, Monsieur mon Cousin.

JEAN GUINDÉ.

Bonsoir Monsieur mon Cousin. Monsieur mon Cousin, bonsoir.

MADAME NIFLE.

Votre Servante, mon Cousin.

JEAN GUINDÉ.

Votre Serviteur ma Cousine.

MONSIEUR NIFLE.

Je ne sais, Monsieur mon Cousin, ce que vous direz, Monsieur mon Cousin, de la liberté, Monsieur mon Cousin, que nous prenons Monsieur mon Cousin, de venir céans, Monsieur mon Cousin, vous incommoder, Monsieur mon Cousin.

JEAN GUINDÉ.

Vous vous moquez, Monsieur mon Cousin. Prenez la peine, Monsieur mon Cousin, de monter là-haut Monsieur mon Cousin. Mon père Monsieur mon Cousin, aura l’honneur, Monsieur mon Cousin, de vous y recevoir, Monsieur mon Cousin.

MADAME NIFLE.

Mon Cousin, j’ai fait provision de joie en venant ici. Je veux m’y divertir. Ne prétendez-vous pas m’y divertir après le soupé ?

JEAN GUINDÉ.

Assurément. Montez ma Cousine. Voici mon Oncle Boisdouillet, et sa femme.

 

 

Scène IX

 

MONSIEUR DE BOISDOUILLET, MADAME DE BOISDOUILLET, JEAN GUINDÉ

 

MONSIEUR DE BOISDOUILLET, une Chandelle à la main dans un papier, et une Épée sous son bras.

Bonsoir, Neveu très cher, l’honneur de cette Rue,

Nous nous rendons chez vous prête, à bride abattue,

Suivant exactement en tout votre désir,

Peur manger votre bien, et vous faire plaisir.

JEAN GUINDÉ.

Soyez le bien arrivé, mon Oncle. Je voudrais comme vous savoir versifier des Sonnets pour vous répondre.

MADAME DE BOISDOUILLET.

En conscience, mon Neveu, si je n’avais point eu peur.de vous scandaliser, je me serais dispensée de venir. J’ai un mal de cœur qui n’est pas concevable, et je tombe en faiblesse de moment en moment. Demandez plutôt à Monsieur.

JEAN GUINDÉ.

Qu’a donc ma Tante, mon Oncle ?

MONSIEUR DE BOISDOUILLET.

Lorsque langueur secrète

Que veut cacher Femme discrète,

Rend yeux battus, gâte teint beau,

Fait jeter du cœur sur du carreau,

Il ne faut pas être grand Sire,

Ni grand Docteur alors pour dire,

Voyant signes si convaincants,

Petits pieds font mal aux grands.

MADAME DE BOISDOUILLET.

Ne vous voilà-t-il pas, Monsieur de Boisdouillet ? Vous vous plaisez étrangement à prêcher ma grossesse à toute la terre. Est-ce qu’il y apparait à ma taille ? Taisez-vous, Mourette, vous me laites toujours rougir en compagnie.

MONSIEUR DE BOISDOUILLET.

Honneur cacher ne doit pas ?

Œuvre bon ;

Il ne faut renier, sinon

Vilain cas,

Va, va, petite follette,

Quand moi seul, et toi seulette ;

Nous prenons de doux ébats,

Ah, petite Femmelette,

Alors tu n’en rougis pas.

JEAN GUINDÉ.

Ah, ma Cousine, vous êtes donc grosse ? Je souhaite que le fruit arrive à bon port.

MONSIEUR DE BOISDOUILLET.

Oui, mon Neveu, il tient bien et tiendra,

Et à bon port Garçon arrivera,

J’y ai regardé.

MADAME DE BOISDOUILLET.

En vérité, Mourette je crois que la cervelle vous tournera à la fin avec votre langage de travers. Que ne parlez-vous tout droit comme les autres ? Est-ce à faire à Un Marchand Bonnetier de dire des Tragédies ? Vous devriez quitter ce métier-là ; aussi bien on dit que la plupart des gens qui s’en mêlent, sont fols.

MONSIEUR DE BOISDOUILLET.

Taisez-vous, je suis Bonnetier

Je n’en ferai qu’à ma tête ;

Votre esprit ignorantifìé,

Devant le mien doit mettre bas la crête.

Apprenez que je fuis enfant d’Apollon, et il n’est pas qui veut Poètes.

JEAN GUINDÉ.

Mon Oncle a raison, mais on n’attend plus que nous pour souper. Allons, mon Oncle, passez le premier. Ma Tante, donnez-moi la main, crainte de quelque accident. Saint Blaise, achevez de fermer la Boutique, et vous nous viendrez verser à boire.

SAINT BLAISE.

Je t’en réponds. S’ils ne boivent point d’autre vin que celui que je leur verserai, ils courent tous grand risque de faire un repas de Brebis. Allons-nous-en attendre Damis au Petit Panier, et rirons la porte tout contre, afin que nous puissions entrer quand nous voudrons. Voici quelqu’un. Détalons promptement, de peur qu’il ne nous arrête.

 

 

Scène X

 

MONSIEUR ARMOSIN

 

Hé bien, grâce au Ciel, ô mon pauvre Armosin, te voilà de retour dans ta chère Patrie. Je revois encore une fois cette bienheureuse Rue Saint Denis, où il y aura soixante et trois ans, vienne la nuit du Mardi gras bonjour, bon œuvre, que je pris naissance. J’ai pensé mourir de joie, en voyant la Fontaine des Saints-Innocents, dont la sculpture est admirable, à ce qu’on dit, car pour moi je ne m’y connais pas je n’ai pu retenir mes larmes, quand j’ai vu à la lueur des Lanternes le gros Poteau qui est dans le milieu de la Rue. Me voici justement devant ma maison. Je voudrais avant que d’y entrer, trouver quelqu’un qui pût m’instruire de la façon qu’en use Monsieur Guindé. J’étais à Lyon lorsque je datai ma dernière de Constantinople, et je n’ai voulu arriver qu’entre chien et loup, afin de trouver quelqu’un avec qui je puisse prendre langue avant que de le voir. Voici un homme qui a la mine de chercher quelque chose. Voyons si par lui je ne pourrais point trouver ce que je cherche aussi.

 

 

Scène XI

 

MONSIEUR ARMOSIN, LA MOUCHE

 

LA MOUCHE.

Huit heures sont frappées comme je passais devant Saint Sauveur. C’est à peu près le temps qui m’est marqué par ce jeune homme, pour venir apporter des nouvelles d’un homme mort qui est encore vivant, et que je n’ai jamais vu. Mais n’importe, pour les quatre pistoles qu’il m’a données, je ne le tuerais pas seulement de paroles, je le tuerais encore d’effet, s’il en était besoin.

MONSIEUR ARMOSIN.

Cet homme a la mine d’un Ployeur de Toilette.

LA MOUCHE.

Où diable trouverai-je l’Enseigne du Chat-huant ? Je n’y vois goûte ; mais j’entrevois un homme qui pourra me renseigner. Oh, mon ami, ne saurais-tu me dire où est le Chat-huant ?

MONSIEUR ARMOSIN.

Vous voilà tout vison-visu. À qui en voulez-vous dans cette maison ?

LA MOUCHE.

Belle demande ! Ne vois-tu pas à ma mine Sue je ne suis point un homme à en vouloir à d’autres qu’au Maître.

MONSIEUR ARMOSIN.

Le connaissez-vous ?

LA MOUCHE.

Non.

MONSIEUR ARMOSIN.

J’ai bien vu que vous ne le connaissiez pas.

LA MOUCHE,

Pourquoi ?

MONSIEUR ARMOSIN.

C’est que si vous l’aviez connu, vous auriez feu que c’est moi.

LA MOUCHE.

C’est toi qui est le maître de cette maison ?

MONSIEUR ARMOSIN.

Moi-même.

LA MOUCHE.

Monsieur, je fuis votre serviteur, excusez, s’il vous plaît.

MONSIEUR ARMOSIN.

Il n’y a pas de mal. Qui vous amène ici ?

LA MOUCHE.

Je viens vous apporter des nouvelles du meilleur de vos amis.

MONSIEUR ARMOSIN.

Et de qui ?

LA MOUCHE.

Du bon homme Armosin.

MONSIEUR ARMOSIN, bas.

Du bon homme Armosin ! il me vient apporter des nouvelles de moi-même. Voici quelque Fourbe.

LA MOUCHE.

Il me l’a bien dit, que vous pâmeriez de joie en entendant prononcer son nom.

MONSIEUR ARMOSIN, bas.

Oh ! je vous en assure. Tâchons à pénétrer le dessein de cet homme.

LA MOUCHE.

Ma foi, il est bien de vos amis ?

MONSIEUR ARMOSIN.

On ne peut pas être plus des siens que je le suis. Vous le connaissez donc particulièrement ?

LA MOUCHE.

Si je le connais ! Nous avons passé les Déserts de l’Arabie ensemble, les Îles de Madagascar, la Caramanie, la Cochinchine, la Mésopotamie, le Japon, l’Égypte, les Indes Orientales et Occidentales. Enfin bref nous avons fait plus de quatre-vingt lieues de compagnie. Regardez si c’est pour nous connaître.

MONSIEUR ARMOSIN.

Voilà bien du chemin en un petit espace. On voit bien que vous savez bien voyager. Et pourquoi, Monsieur Armosin n’est-il pas venu avec vous ?

LA MOUCHE.

Il y serait venu, sans un petit accident qui nous a séparé.

MONSIEUR ARMOSIN.

Quel accident, qu’et-ce qui vous a séparez ? qu’est-il devenu ?

LA MOUCHE.

Il devenu mort.

MONSIEUR ARMOSIN.

Mort.

LA MOUCHE.

Oui, mort et enterré.

MONSIEUR ARMOSIN.

Qu’est-ce à dire mort ?

LA MOUCHE.

C’est-à-dire, être sans vie, trépassé, allé en l’autre monde, quitter celui-ci in aternum, enfin bref, tout comme il vous plaira.

MONSIEUR ARMOSIN, bas.

Je serais mort moi ? Oh le fourbe.

LA MOUCHE.

Comment, il semble que vous doutiez de la chose ? Est-ce que vous croyez le petit homme immortel ?

MONSIEUR ARMOSIN.

Non. Mais que vous a dit cet homme en mourant ?

LA MOUCHE.

Il m’a dit de vous dire, que pour témoignage de la bonne amitié qu’il vous portait, il vous conjurait d’unir votre famille à la sienne, et de faire épouser au plutôt, et sans cérémonie, votre fils à sa fille qu’il laissa entre vos mains.

MONSIEUR ARMOSIN.

Il vous á dit cela ?

LA MOUCHE.

Oui, voilà ses dernières paroles, je n’y ajoute pas une syllabe.

MONSIEUR ARMOSIN, bas.

Hon, hon, le Drôle. Je lui suis bien obligé de ses bons sentiments, et je vous remercie de la peine que vous avez prise.

LA MOUCHE.

Ce n’est pas tout. Je dois voir aussi sa fille pour lui dire la même chose, et pour rassurer de sa part de toutes sortes de prospérités, en cas qu’elle y consente ; ou de sa malédiction, si elle y apporte la moindre difficulté. Où est-elle ? que je lui parle.

MONSIEUR ARMOSIN.

Un fort grand mal de tête l’a obligée de se coucher de bonne heure. Mais ne vous mettez pas en peine ; me l’avoir dit, c’est comme si elle le savait.

LA MOUCHE.

Non, non. On m’a surtout chargé de parler à elle ; car pour vous, on m’a fort assuré que vous n’y apporteriez aucune difficulté.

MONSIEUR ARMOSIN.

Il n’est pas nécessaire, vous dis-je. Mais en cas que nous ayons besoin de votre témoignage, vous n’avez qu’à me dire votre demeure et je vous enverrai querir.

LA MOUCHE.

Volontiers. À quelqu’heure que ce soit je suis à vous. Vous n’avez qu’à envoyer aux Petits-Carreaux, entre un Cabaretier et un Pâtissier, dans une petite porte ronde, monter à la cinquième Chambre, et demander Michelon la Ravaudeuse. C’est où vous trouverez votre Serviteur la Mouche...

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR ARMOSIN

 

Bonsoir, Monsieur le Cadet la Mouche. Voici un Drôle qui ne vient pas ici pour rien, et je commence à développer le sujet pour lequel il est envoyé. Ge Monsieur Guindé est un peu plus de mes amis que je ne pensais, puisqu’il me veut donner son fils pour Gendre ; Il ne le prend pas mal, ma foi : mais la chose n’ira pas comme il pense, j’arrive à propos pour rompre ses desseins. Il n’y a point de temps à perdre, ta porte de ma maison est ouverte. Entrons, et allons voir ce qui s’y passe. Aussi voici un flambeau qui vient, et je ne veux pas être vu.

 

 

Scène XIII

 

DAMIS, ORONTE, UN LAQUAIS

 

DAMIS.

Arrête, Laquais. Mon cher ami, voici la maison dont il est question. C’est où tu dois faire le message que tu m’as promis. Remarque-là bien, afin de ne t’y pas méprendre. C’est l’Enseigne du Chat-huant. Voilà la porte où tu dois frapper, et le maître s’appelle Monsieur Guindé.

ORONTE.

C’est assez. Je te promets de me bien acquitter de mon emploi.

DAMIS.

Allons attendre Saint Biaise au petit Panier. Là nous te marquerons le moment que tu dois venir dans cette maison. Laquais, marche du côté de la Rue Troussevache.

 

 

Scène XIV

 

MONSIEUR ARMOSIN

 

La Ferme s’ouvre, et le Théâtre représente une Chambre.

Il y a grand Festin ici ; tous les Valets sont occupés à la Cuisine, et je suis monté jusques en cette Chambre sans que l’on m’ait aperçu. Je n’ai point voulu entrer dans la Salle où l’on mange, de crainte d’y trouver des visages qui ne m’auraient pas plu. Mais, à n’en point mentir, cette bombance me donne de l’inquiétude. Serait possible que ce fût le festin des noces ? Si cela était, je serais arrivé trop tard. C’est de quoi il faut m’éclaircir. J’entends quelqu’un. Retirons-nous dans ce petit Cabinet, j’y pourrai entendre ce qui se dira ici et peut-être j’apprendrai ce que je veux savoir.

 

 

Scène XV

 

MADAME BINON, MADEMOISELLE MARGOT, MONSIEUR ARMOSIN, caché

 

MADAME BINON.

Vous voyez tout ce que Monsieur Jean fait pour vous. Un Roi ne pourrait pas donner un plus beau Soupé qu’il vient de vous donner. On ne peut pas avoir plus de petits pieds qu’il y avait dans le plat de Rôt. Pour le fruit, tout y était en abondance, jusques aux oranges de Portugal. Le pauvre Enfant se tuait de vous servir de tout, et vous n’avez pas daigné seulement le regarder. Il a bu plus de douze fois à votre santé, sans que vous ayez bu une fois à la sienne.

MADEMOISELLE MARGOT.

Est-ce qu’il sied bien aux filles de boire aux garçons, ma Tante ? et devez-vous me blâmer de cela ?

MADAME BINON.

Hé, mon Dieu, il y a Garçons et Garçons.

MADEMOISELLE MARGOT.

Comment, ma Tante, est-ce qu’il n’est pas fait comme les autres ?

MADAME BINON.

Pardonnez-moi ; mais vous devriez le regarder autrement qu’un étranger, puisqu’il doit être un jour votre époux.

MADEMOISELLE MARGOT.

Il ne l’est pas encore ma Tante. Quand il sera, alors comme alors.

MADAME BINON.

Il ne l’est pas, il est vrai, mais il devrait l’être, mort de ma vie. Ma nièce, est-ce que ce n’est pas un bon parti ?

MADEMOISELLE MARGOT.

Et qui vous dit que non, ma Tante ?

MADAME BINON.

Hé bien donc, pourquoi ne le prenez-vous pas ?

MADEMOISELLE MARGOT.

Est-ce que c’est à une fille à prendre un homme ? Et puisque j’ai un père, ne faut-il pas qu’il y consente ?

MADAME BINON.

Mais est-ce que vous ne l’aimez pas ?

MADEMOISELLE MARGOT.

Moi ?

MADAME BINON.

Vous.

MADEMOISELLE MARGOT.

Hé, je l’aime comme il faut l’aimer.

MADAME BINON.

Le voici.

 

 

Scène XVI

 

JEAN GUINDÉ, MADAME BINON, MADEMOISELLE MARGOT, MONSIEUR ARMOSIN, caché

 

JEAN GUINDÉ.

Vous nous avez bientôt privée de votre présence, Mesdames. Est-ce que la Compagnie ne vous plaît pas ?

MADAME BINON.

Votre bonne chère nous a contraintes de quitter la Table ; mais ne vous en scandalisez pas. Nous ne nous en sommes absentées que pour parler de vous.

JEAN GUINDÉ.

Ah, vous vous moquez de moi, Mesdames, je ne mérite pas d’être dans de si belles bouches.

MADAME BINON.

Ma Nièce et moi, nous ne pouvons revenir de l’admiration où nous a mise la somptuosité de votre régal.

JEAN GUINDÉ.

Ce n’est qu’un échantillon d’une pièce de galanterie mesurée à l’aulne des perfections de Mademoiselle Margot.

MADAME BINON.

Elle vous est bien obligée ; et si elle n’y répond pas, c’est que sa modestie lui ferme la bouche.

JEAN GUINDÉ.

Oh, je le sais bien. Aussi jusques à un certain jour je veux bien lui faire crédit ; mais la nuit de ce certain jour-là je veux être payé comptant.

MADAME BINON.

Cela s’en va sans dire.

JEAN GUINDÉ.

Comme il y a longtemps que j’ai fait mes avances ; quand cette Marchandise sera arrivée à bon port, j’en ferai monter les Effets à cent pour cent.

MADAME BINON.

C’est fort bien avisé.

JEAN GUINDÉ.

Ce sera un joli petit assortiment que le nôtre.

MADAME BINON.

Sans doute.

JEAN GUINDÉ.

L’agrément de cette union rendra la nuance de nos affections fort agréable.

MADAME BINON.

Assurément.

JEAN GUINDÉ.

Nous ferons sans cesse un gentil petit négoce de badineries.

MADAME BINON.

Fort bien...

JEAN GUINDÉ.

Nous nous appellerons des plus jolis noms au monde. Elle sera Margoton, et je serai son Janot.

MADAME BINON.

Il ne se peut pas une vie plus délicieuse, ma Nièce.

JEAN GUINDÉ.

N’est-il pas vrai ? Ce qui la rendra encore bienheureuse, c’est cette petite circonstance que vous savez bien. Il ne la faut pas oublier, vertuchou ; c’est la plus belle Rose de notre Chapeau.

MADAME BINON.

Je ne l’ai pas oubliée, mais j’ai peine à m’en ressouvenir. Qu’est-ce que c’est ?

JEAN GUINDÉ.

C’est que nous sommes Gentilhomme. N’avez-vous pas vu la Carte de notre Généalogie, qui est dans la Salle où nous avons soupé, où il y a une belle Bordure d’ébène ?

MADAME BINON.

Oui, votre père me l’a montrée plus de cent fois.

JEAN GUINDÉ.

Il prend un grand soin de la montrer à tout le monde. Cela est beau, oui, d’être Gentilhomme, et de vendre de la marchandise.

MADAME BINON.

Assurément c’est un beau privilège.

JEAN GUINDÉ.

Il n’y a dans notre Race que des gens nobles, nous avons est un grand-père qui a eu l’honneur d’être Conseiller à la Table de marbre.

MADAME BINON.

Conseiller, ma Nièce !

JEAN GUINDÉ.

Nous avons eu un autre nommé Sylvestre Guindé, qui est mort Grand Guidon de la Compagnie des Arbalétriers de Soissons.

MADAME BINON.

C’est être illustre par la Robe et l’épée.

JEAN GUINDÉ.

Je vous laisse à penser. Que n’y a-t-il point encore à dire sur Marcou Guindé, qui était honoré de tous les grands Seigneurs de France à qui il faisait crédit ? Ayant fait mal ses affaires, il fût si considérable à l’État, qu’il en obtint des Lettres de Répit. Oh, oh, sont-ce des Prunes que cela ?

MADAME BINON.

Nenni, vertu-de-ma-vie. Il y a peu de Nobles qui avent porté la marchandise si haut.

JEAN GUINDÉ, à Mademoiselle Margot.

Dépêchez, mon petit cœur, dépêchez de dire oui. Vous ne l’aurez pas si tôt dit, que je vous ferai Dame damée.

MADAME BINON.

Modérez vos transports. Voici nos gens qui viennent.

 

 

Scène XVII

 

MONSIEUR NIFLE, MADAME NIFLE, MONSIEUR DE BOISDOUILLET, MADAME DE BOISDOUILLET, MONSIEUR POULAILLER, MADAME POULAILLER, JEAN GUINDÉ, MADAME BINON, MADEMOISELLE MARGOT, MONSIEUR ARMOSIN, caché

 

Les Dames ont chacune une Orange de Portugal à leur main.

MONSIEUR NIFLE.

Tout ainsi, Monsieur mon Cousin, que l’ambre, Monsieur mon Cousin, attire le fétu, Monsieur mon Cousin ; votre absence, Monsieur mon Cousin, attire ici toute la compagnie.

JEAN GUINDÉ.

À moi n’appartient pas tant d’honneur, Monsieur mon Cousin. Je ne suis que de paille ; Monsieur mon Cousin ; comme vous, Monsieur mon Cousin, et Mademoiselle Margot, Monsieur mon Cousin, est l’ambre, Monsieur, mon Cousin, qui attire ici tous les fétus.

MADAME NIFLE.

Comment donc, mon Cousin, nous mandez-vous ici pour ne rien faire ? Nous voilà tous les bras croisés. Hé quoi, Messieurs ? Qu’est-ce, Mesdames ? Est-ce que nous ne danserons pas un peu, quand ce ne serait que pour ébattre nos morceaux ?

MONSIEUR DE BOISDOUILLET.

Madame Nifle parle en Femme d’esprit,

Quand elle ramentait le proverbe qui dit,

Qu’après la pouce.

Vient la danse...

JEAN GUINDÉ.

Faites venir les Violons.

MADAME POULAILLER.

Ce sont les Députés de Vaugirard, ils ne sont qu’un.

JEAN GUINDÉ.

Avec la permission de la Compagnie, je vais commencer avec Mademoiselle Margot.

MONSIEUR POULAILLER.

Mon Fille, voilà une jolie tendron. Si l’on vendait de la viande comme cela à la Boucherie ; je n’y enverrais pas ma Servante.

JEAN GUINDÉ.

Oh, oh, voici des Masques. C’est une Bohémienne, qui nous dira notre bonne aventure.

 

 

Scène XVIII

 

DAMIS, MONSIEUR NIFLE, MONSIEUR DE BOISDOUILLET, MONSIEUR POULAILLER, JEAN GUINDÉ, MADAME BINON, MADEMOISELLE MARGOT, MADAME NIFLE, MADAME DE BOISDOUILLET, MADAME POULAILLER, MONSIEUR ARMOSIN, caché

 

DAMIS, en Bohémienne.

Il ne tiendra qu’à vous de la savoir : Je n’ai ni le langage, ni la fourberie des autres, et beaucoup de sincérité fait toute ma science.

JEAN GUINDÉ.

Tenez voilà une Demoiselle que je vous donne à deviner ; Voyons un peu comment vous vous y prendrez.

DAMIS.

Il ne fait pas être un grand Devin, pour dire que voilà la plus belle personne du monde, et qui mérite le mieux d’être aimée d’un honnête homme.

JEAN GUINDÉ.

Il a raison, il a raison.

DAMIS.

Donnez-moi, s’il, vous plaît, votre main, Mademoiselle. Qu’elle est belle ! L’Albâtre n’eût jamais tant de blancheur. Quelle a de quoi faire un heureux mortel ! qu’il serait heureux si cette main, guidée par les mouvements du cœur, s’attachait à la sienne par une foi inviolable !

JEAN GUINDÉ.

Le Drôle ne débite pas mal sa marchandise.

DAMIS.

Voilà des signes qui marquent que vous serez la plus heureuse personne du monde, si vous en voulez croire quelqu’un qui n’est pas loin d’ici.

JEAN GUINDÉ.

C’est de moi qu’il veut parler.

DAMIS.

La Fortune qui vous a été avare de ses biens ; autant que les Grâces vous ont été libérables, vous plonge maintenant dans un grand embarras. Mais n’appréhendez rien, un peu de résolution vous mettra au-dessus de bien des choses, et avec la possession d’une personne qui vous adore, et qui n’est pas tout-à-fait indigne de vous, vous aurez la jouissance d’un bien considérable.

JEAN GUINDÉ.

Hé bien, vous le voyez, je ne lui fais pas dire. Il parle juste. Qu’avez-vous à répondre, à cela, Hem ?

DAMIS.

Ne la pressez pas davantage. Ce soupir en dit plus que vous ne pensez. Il n’en faut pas tant pour se faire entendre à un homme qui a un peu d’intelligence

JEAN GUINDÉ.

Oh je le comprends bien. À un bon entendeur il ne faut que demi mot. Que je vous suis obligé ! Mais voyons si vous ferez aussi bonne Prophétesse pour moi que pour elle. Il ne me serait pas difficile de vous apprendre votre destinée ; mais je n’ai de science aujourd’hui que pour les Dames, et puis je ne veux point interrompre vos divertissements.

MADAME BINON, à Jean Guindé.

Votre homme ne vient point.

JEAN GUINDÉ.

Je ne sais ce que cela veut dire. Mais que veut cet homme-là.

 

 

Scène XIX

 

ORONTE, DAMIS, JEAN GUINDÉ, MONSIEUR DE BOISDOUILLET, MONSIEUR POULAILLER, MONSIEUR NIFLE, MADEMOISELLE MARGOT, MADAME BINON, MADAME DE BOISDOUILLET, MADAME NIFLE, MADAME POULAILLER, MONSIEUR ARMOSIN, caché

 

ORONTE.

Est-ce ici où demeure Monsieur Guindé ?

JEAN GUINDÉ.

Oui, Monsieur.

ORONTE

Je voudrais lui parler.

JEAN GUINDÉ.

Le voilà qui vient. Mon père, voilà Monsieur qui veut vous parler.

 

 

Scène XX

 

MONSIEUR GUINDÉ, MONSIEUR DE BOISDOUILLET, MONSIEUR POULAILLER, MONSIEUR NIFLE, ORONTE, DAMIS, JEAN GUINDÉ, MADEMOISELLE MARGOT, MADAME BINON, MADAME DE BOISDOUILLET, MADAME POULAILLER, MADAME NIFLE, MONSIEUR ARMOSIN, caché

 

MONSIEUR GUINDÉ, à part.

Voici notre homme. Je le connais à sa large face.

ORONTE.

Je viens de la part de Monsieur Armosin.

MONSIEUR GUINDÉ.

De Monsieur Armosin ? Comment se porte-t-il ?

ORONTE.

Il se porte fort bien, et souhaite de vous voir avec transport.

MONSIEUR GUINDÉ.

Il est mort ? Quel dommage !

ORONTE.

Je ne dis pas cela. Je dis qu’il se porte fort bien.

MONSIEUR GUINDÉ.

Qu’il me la recommande bien ? Ah je n’y manquerai pas.

ORONTE.

Je dis qu’il se porte bien, et avant qu’il soit trois mois, il viendra vous embrasser, et retirer sa fille.

MONSIEUR GUINDÉ.

Avant qu’il soit un mois, je donne mon fils en mariage à sa fille ? Volontiers.

JEAN GUINDÉ.

Il ne dit pas cela, mon père.

MONSIEUR GUINDÉ.

J’entends bien. Il dit qu’il me prie de vous faire épouser sa fille.

JEAN GUINDÉ, criant aux oreilles de son père.

Il ne dit pas cela, vous dis-je.

MONSIEUR GUINDÉ.

Qu’est-ce qu’il dit donc ?

JEAN GUINDÉ.

Il dit que Monsieur Armosin se porte bien ; et qu’il sera ici dans trois mois.

MONSIEUR GUINDÉ.

Ce n’est donc pas ce Chose dont vous parliez ?

MONSIEUR ARMOSIN, sortant du Cabinet où il s’était caché.

Il est temps que je me montre, pour confondre tous ces Imposteurs.

MONSIEUR GUINDÉ, à Oronte.

Allez, vous nous venez conter ici des fagots. Monsieur Armosin n’est plus au monde. Je sais de bonne part qu’il est mort. Apercevant Monsieur Armosin. Mort... mort, mort.

MONSIEUR ARMOSIN se montre à lui.

Et moi je viens vous assurer qu’il est vif, vif, vif, et qu’on ne peut être plus vif.

MONSIEUR GUINDÉ.

Ah, Monsieur Chose, c’est... C’est vous, Monsieur Armosin !

JEAN GUINDÉ.

Monsieur Armosin ! Il est donc venu comme un Champignon.

MADEMOISELLE MARGOT.

Ah, mon Père, se peut-il que j’aie encore la joie de vous embrasser ?

MONSIEUR ARMOSIN.

Oui, ma fille me voici de retour assez à temps pour te délivrer de la tyrannie de ces ingrats. Ah, ah, Monsieur Guindé, c’est donc ainsi que vous me payez de toutes les bontés que j’ai eues pour vous ? Certain homme que j’ai rencontré là-bas, me venait tuer de votre part ; mais je me fais revivre de la mienne, pour vous reprocher toutes vos perfidies.

MONSIEUR DE BOISDOUILLET.

Ah, Seigneur Armosin, tout doux, ne fumetis,

Nous voulons marier votre fille à son fils,

Et dans cette union de bien, de corps et d’âme,

On peut bien dire que Monsieur vaut bien Madame.

MONSIEUR ARMOSIN.

Que nous vient conter celui-là ? Qu’est ce-à-dire, Monsieur vaut bien Madame ? Savez-vous bien que c’est mon Facteur, et que tous les biens dont il se pare sont à moi ?

MONSIEUR DE BOISDOUILLET.

Neveu, serait-vrai ?

JEAN GUINDÉ.

Hé, mon père me l’a dit à-peu-près comme cela.

MONSIEUR DE BOISDOUILLET.

Oh, mi Frater, il faut et plutôt que plus tard,

Rendre à César ce qui appartient à César.

MONSIEUR GUINDÉ.

Je n’ai que faire de César pour rendre mes comptes, je les rendrai bien tout seul. Ils sont tous prêts. Je vais les mettre en état.

MONSIEUR ARMOSIN.

Mais sachons un p.eu qui envoyait cet homme.

DAMIS.

C’est moi, Monsieur. Sachant la répugnance ce que Mademoiselle votre fille avait pour ce mariage, j’avais imaginé cette invention pour en reculer l’effet... Je l’aime, et...

MONSIEUR ARMOSIN.

Vous l’aimez ! Et qui êtes-vous ?

DAMIS.

Je suis le fils de Monsieur de Vauverbec, Banquier de cette Ville.

MONSIEUR ARMOSIN.

C’était un honnête Flamand de ma connaissance, qui avait la réputation d’être riche de deux cents mille livres.

DAMIS.

Je puis dire qu’il m’en a laissé davantage.

MONSIEUR ARMOSIN.

Ah, Monsieur, vous êtes honnête homme, si ce que vous dites est vrai ; mais demain nous en parlerons plus amplement. Souffrez que j’aille prendre possession de ma maison. Allons, ma fille, suivez-moi.

Ils s’en vont.

MONSIEUR POULAILLER.

Cousin, il ne faut point tant s’attrister. Venez avec moi noyer vos chagrins dans une bourrée.

JEAN GUINDÉ.

Marchand qui perd ne peut rire.

MONSIEUR DE BOISDOUILLET.

Mon Neveu a raison, donnons-nous le bonsoir,

Allons chacun chez nous. Adieu, jusqu’au revoir.

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