La Mort des enfants d’Hérode (Gautier de Costes, sieur de LA CALPRENÈDE)

Tragédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, en 1638.

 

Personnages

 

HÉRODE

ALEXANDRE, fils d’Hérode et de Mariane

ARISTOBULE, fils d’Hérode et de Mariane

PHÉRORE, frère d’Hérode

ANTIPATRE, fils naturel d’Hérode

GLAPHIRA, princesse de Cappadoce, femme d’Alexandre

SALOMÉ, sœur d’Hérode

RACHEL, damoiselle de Glaphira

DIOPHANTE, secrétaire d’Hérode

MÉLAS, ambassadeur du Roi de Cappadoce

 

La scène est à Jérusalem.

 

 

À MONSEIGNEUR L’ÉMINENTISSIME CARDINAL DUC DE RICHELIEU

 

MONSEIGNEUR,

 

Vous aurez raison de dédaigner un devoir que je vous rends si tard, et de méconnaître celui qui semble s’intéresser si peu dans les obligations que tout ce Royaume vous a. Il est vrai MONSEIGNEUR, que je parais mauvais Français, et que je devais plutôt employer le peu que je sais à publier les bonheurs qui nous accompagnent depuis que le Ciel nous a mis sous votre protection, qu’à représenter les malheurs de Mithridate, d’Élisabeth, ou d’Hérode. Le ressentiment général m’obligeait sans doute à cette reconnaissance, et le soin de toute la réputation que je puis tirer de mes ouvrages m’en devait faire puiser la matière dans les merveilles d’une vie beaucoup plus illustre que les leurs. Mais MONSEIGNEUR, si votre bonté me permet de dire quelque chose pour ma justification je supplierai votre Éminence de considérer qu’Hector tua bien Patrocle, et brûla les Navires des Grecs, mais dut s’enfuir devant Achille, et quel heureux succès d’un dessein de peu d’importance ne nous doit point faire méconnaître, et nous porter aveuglément à des entreprises trop hautes, J’ai épousé les passions de mes Héros, et les ai traitées assez heureusement puisque votre Éminence s’y est divertie. Certes c’est le plus glorieux fruit que l’on pouvait jamais attendre, mais l’approbation que vous m’en daignâtes faire paraître ne m’ôta point la connaissance de mes forces, et j’ai toujours bien jugé qu’il m’était plus facile d’exposer la générosité de Mithridate qu’un rayon de la vôtre, et de traiter les maximes d’État d’Élisabeth, et d’Hérode que d’écrire les éminentes vertus de celui qui possédant toutes les bonnes qualités que ces deux âmes politiques ont possédées est exempt de toutes les mauvaises. Cette raison m’a toujours retenu et bien que je demeurasse muet parmi tant de personnes qui publiaient mes ressentiments et ceux de toute la France dans les leurs, e conservais toujours dans l’âme un zèle d’autant plus grand que je suis moins capable de l’exprimer, et m’étais formé une idée dont la hauteur m’a véritablement épouvanté. C’est une imprudence que d’attacher sa vue sur une lumière trop brillante dont l’éclat nous l’affaiblit insensiblement, et nous la ferait enfin perdre ; on défend aux esprits faibles la lecture de beaucoup de points importants pour leur salut ; mais trop relevés pour eux, et nous avons dans l’Église des choses de qui pour être sacrées l’attouchement ne nous est pas permis. Ceux qui jettent les yeux sur votre Éminence avec autre dessein que d’admirer simplement toutes ses actions tombent dans la même faute et sont des présomptueux de qui la chute est d’autant plus dangereuse qu’ils ont pris une volée trop haute. Il faut des Homère pour des Achille, des Virgile pour des Énée, et des Tasse pour des Godefroi, et de toutes les actions d’Alexandre je n’en trouve point de plus judicieuse que la défense qu’il fit, de faire son image à tout autre que Lisippus. Et certes MONSEIGNEUR, quand je considère les prodiges de votre vie, je ne crois plus qu’il soit au pouvoir des hommes d’écrire des choses si infiniment au-dessus d’eux, ils n’en peuvent parler que comme les Perses du Soleil ; et les plus prudents à l’imitation du Peintre couvriront sans doute d’un voile ce qu’ils ne pourront assez bien exprimer, aussi quelle satisfaction peut-on en tirer de ces veilles en mettant au jour ce que la postérité ne prendra que pour des fables puisque les merveilles qui leur fourniront de matière semblent aussi éloignées de la vérité qu’elles le sont de l’apparence, et du pouvoir des hommes. Qu’on laisse donc à la renommée ce que nous ne pouvons exécuter, ses cent bouches suppléeront à notre faiblesse, et toute l’Europe est une table où l’histoire de votre vie est gravée en des caractères éternels. C’est sur cet ample Théâtre que vous avez paru avec tant de pompe, et que vous avez obligé toute la terre à suspendre ses propres intérêts pour regarder avec quelle prudence et quelle haute conduite vous démêlez les nôtres. C’est là qu’elle vous a vu comme un Ajax couvrir toute la France de votre Bouclier, et repoussant ses ennemis leur porter la terreur, la honte, et la ruine dans leurs terres. C’est par vous qu’elle a vu un jeune Alcide étouffer tant de monstres, et surmonter des difficultés sous qui le premier eut infailliblement succombé. Elle vous considère comme l’Ulysse de ce Diomède, sa main peut tout exécuter pourvu que votre tête le seconde, et tant que son courage et votre prudence seront unis, les Empires pendront à la pointe de son épée. Mais vous ne travaillez pas seulement pour la gloire, et dans le grand soin que vous prenez pour le succès de ses armes vous conservez celui de sa conscience, dans toutes ses actions, et les vôtres la justice éclate visiblement, et toutes vos entreprises ont des motifs si raisonnables que les plus religieux et sévères Casuistes ne les considèrent que comme des œuvres méritoires. Aussi le zèle pour le service de Dieu que votre Éminence fait tous les jours paraître dans un État où la religion était très affaiblie attire visiblement les grâces du Ciel sur nos têtes, et je ne doute point, que ce ne soit à vos souhaits, qu’il a donné un Dauphin que nous n’osions plus espérer. La France doit ajouter cette faveur au nombre de celles qu’elle reçoit de votre protection, et demander ardemment à Dieu qu’il vous conserve pour le fils comme il vous a fait naître pour le père, avec cette grâce elle obtiendra l’Empire de l’Europe, et paraîtra plus triomphante sous le règne de ce Prince que la superbe Rome ne le fut sous celui d’Auguste. Il lira dans votre vie tout ce qui le doit instruire à bien régner, et quand le feu d’une bouillante jeunesse sera modéré par votre conduite il n’osera rien qu’il n’achève avec gloire, et facilité. Mais MONSEIGNEUR, où me suis-je insensiblement laissé emporté ; Je ne tiens plus dans mes premiers termes ; je viens de faire ce que je condamnais aux autres, et contre ma résolution j’ai avec témérité parlé de votre Éminence. Pardonnez MONSEIGNEUR, au zèle qui m’a aveuglé, croyez qu’il est très véritable que je suis d’une nation et d’humeur qui ne saurait feindre, et que l’état où vous êtes, bien qu’il doive obliger toute la terre à avoir de la complaisance pour vous, ne m’a rien fait dire contre mes vrais sentiments. Plût à Dieu que je vous en pusse donner des preuves, et qu’il me fut permis d’employer pour votre Éminence une vie que je perdrais glorieusement si j’avais l’honneur de la perdre pour son service. En attendant que le Ciel m’en fasse connaître les occasions, acceptez, MONSEIGNEUR, ce Politique que je vous offre, s’il eut des vices que vous détestez, il eut des vertus que vous estimez sans doute, et son courage et sa bonne conduite ont effacé une partie des taches de sa vie. Pardonnez-moi MONSEIGNEUR, la liberté que je prends de le mettre sous votre protection, et excusez la témérité que j’ai de me dire,

 

MONSEIGNEUR

 

DE VOTRE ÉMINENCE,

 

Le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur,

 

LA CALPRENÈDE.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

GLAPHIRA, ALEXANDRE

 

GLAPHIRA.

De grâce, guérissez de cette frénésie

Bannissez ces soupçons de votre fantaisie,

Vous les avez conçus sans aucun fondement

Votre crédulité nous perd également,

Et votre jalousie ingrate et criminelle

Blesse notre amitié d’une offense mortelle,

Qu’ai-je fait cher mari qui vous dut obliger

À prendre tous les jours ce soin de m’affliger.

À quelles actions me suis-je dispensée

Qui vous puissent donner cette ingrate pensée,

Ai-je rien entrepris contre ce que je dois

Aux serments mutuels d’une éternelle foi,

N’ai-je point vécu.

ALEXANDRE.

Cesse, cesse mon âme,

Je n’ai jamais douté de ta pudique flamme

Et les soupçons cruels dont je suis combattu

Attaquent mon repos et non pas ta vertu,

Par mille beaux effets elle m’est si connue

Et paraît à mes yeux si charmante et si nue

Que si dans mes soupçons je doutais de ta foi

Je me rendrais indigne et du jour et de toi,

Mais je crains un amour armé d’une puissance

Contre qui ta vertu n’aura point de défense

Qui foule aux pieds l’honneur les lois et le devoir

Et dans sa volonté limite son pouvoir.

Oui je redoute Hérode, oui je redoute un père

Qui tout fumant encor du sang de notre mère,

Ne peut voir à souhait ses désirs assouvis

S’il ne souille la couche et l’honneur de son fils,

Outre ce que j’en sais, je vois dans ses caresses

Qu’il traite avecque toi comme avec ses maîtresses,

C’est pour toi qu’il s’ajuste et qu’il peint ses cheveux

Qu’il se farde le teint qu’il adoucit ses yeux :

Ces yeux rouges de sang dont les traits redoutables

Portent dans leurs regards des morts inévitables,

Et qui lancent la foudre avecque les éclairs

Sont devenus pour toi plus sereins et plus clairs

Ce grand homme d’État dont l’âme ne respire

Que de sanglants moyens d’assurer son Empire,

Oublie auprès de toi ses maximes de Cour

Se rend plus sociable et cède à ton amour,

Mais il ne t’aime point comme sa belle-fille

Ce monstre n’eut jamais d’amour pour sa famille,

Tant d’horribles succès l’ont assez témoigné

Tu sais trop comme il règne et comme il a régné.

GLAPHIRA.

Oui je le connais trop, mais cette connaissance

Ne me peut empêcher de prendre sa défense

Et de vous protester quoi qu’Hérode ait commis

Que cette invention vient de vos ennemis,

Qu’on travaille à vous perdre, et que votre jeunesse

Affronte aveuglément l’embûche qu’on lui dresse,

Ouvrez ouvrez les yeux et d’un sens plus rassis,

Considérez un Roi de qui vous êtes fils.

Jugez sans passion de toutes ses caresses

Et vous découvrirez les mortelles adresses,

De ceux qui vous ont fait ces mauvaises leçons

Et qui vous veulent perdre en toutes les façons,

Jeune Prince bon Dieu que ta faiblesse est grande

Et qu’est-ce qu’aujourd’hui ton amour appréhende.

ALEXANDRE.

J’appréhende un voleur qui m’enlève mon bien

J’appréhende celui qui n’appréhende rien,

Celui de qui la main sacrilège et profane

Coupa le beau filet des jours de Mariane,

Et ravit à la terre un soleil précieux

Qui brille maintenant nouvel astre des Cieux,

Une vertu charmante une beauté divine

Un courage Royal, causèrent sa ruine,

Et ce monstre insolent n’arma sa cruauté

Que contre un grand courage et contre une beauté.

Lui qui fit succéder notre innocente mère

Au meurtre d’un aïeul à la perte d’un frère,

Et qui ne la tira de ses mortels liens

Qu’étant déjà souillé du sang de tous les siens,

Il ne reste que nous de cette illustre tige

De qui l’objet déjà l’épouvante et l’afflige,

Et que sans la douceur d’Auguste et du Sénat

Il eut sacrifiés à ses raisons d’État,

Il perd tout ce qu’il craint sans forme et sans scrupule

Et ce qui fit périr le jeune Aristobule,

Dans sa gloire naissante et la fleur de ses ans

Fera bientôt périr ses malheureux enfants,

Ce qui chez d’autres Rois passe pour de grands crimes

Reçoit ici le nom d’actions légitimes,

Et l’on n’y connaît point l’horreur d’un attentat

S’il touche ses plaisirs ou ses raisons d’État

Cette funeste Cour le Théâtre tragique

Des noires actions d’un sanglant Politique,

Est toute accoutumée à souffrir sans horreur

Ces prodiges nouveaux de rage et de fureur,

Déjà l’assassinat y passe en habitude

Et dans cette honteuse et vile servitude,

Parmi ses Courtisans et ses lâches flatteurs

Et le meurtre et l’inceste ont des approbateurs,

C’est comme règne Hérode et c’est ce que j’espère

D’un tel frère, et mari, d’un tel Roi, d’un tel Père.

GLAPHIRA.

Je condamne avec vous les horribles excès

Dont nous avons pleuré les funestes succès,

Je déteste avec vous Hérode et ses maximes

Son objet m’épouvante, et j’abhorre ses crimes,

Et ne doutai jamais qu’il ne se put porter

À tout ce qu’un barbare à pouvoir d’inventer,

Mais si je tiens un rang qui dans la bienveillance

Me puisse auprès de vous donner quelque créance,

Si vous ne doutez point de ma fidélité

Et de ce saint amour que je vous ai porté,

Par tous les mouvements de ces pudiques flammes

Qui d’un feu mutuel embrasèrent nos âmes,

Je vous veux conjurer d’ajouter quelque foi

À celle qui vous parle et pour vous et pour soi,

Que je sois pour jamais l’objet de votre haine

Et que tout ce qu’Hérode a mérité de peine,

Dans ce règne de sang qui le rend odieux

Retombe sur ma tête et m’accable à vos yeux,

Si dans ses actions présentes et passées

J’ai reconnu pour moi que de justes pensées,

Et si ni ses discours ni ses yeux m’ont appris

Rien qui peut offenser la femme de son fils.

ALEXANDRE.

Notre âme ne saurait soupçonner en quelque autre

Des crimes dont l’excès fait horreur à la nôtre,

Et la tienne ignorante aux malices du Roi

Ne peut connaître en lui ce qu’elle ignore en soi,

Mais je le connais trop, et je ne saurais vivre

Parmi ces noirs soupçons que je ne m’en délivre,

Oui je le veux savoir, oui je veux aujourd’hui.

GLAPHIRA.

Quel est votre dessein.

ALEXANDRE.

Je m’en veux plaindre à lui

Et dans les sentiments que la rage m’imprime

Je le ferai rougir du remords de son crime.

GLAPHIRA.

Alexandre bon Dieu, vous courez au trépas.

ALEXANDRE.

Puisqu’il y faut courir j’y courrai de ce pas.

 

 

Scène II

 

HÉRODE, parlant à Salomé, Phérore et Antipatre qui se retirent

 

Conseillers inhumains qui bourrelez ma vie

Qu’on me laisse en repos, allez monstre d’envie,

Et ne revenez plus enchanter ma raison

Par votre calomnie, et par votre poison

J’abhorre vos discours, je hais qui me conseille

Je ne vous prête plus ni la main ni l’oreille,

J’ai perdu tous les miens par votre mouvement

Vous en fûtes et j’en suis l’instrument,

Oui je suis l’instrument de vos rages maudites

Je suis vos volontés, je fais ce que vous dites,

Ce que vous haïssez il me le faut haïr

Le suis né votre esclave, et vous dois obéir,

Vous m’avez enlevé la moitié de ma vie

Mais jusques dans le Ciel mon âme la suivie,

Laissant entre vos mains ce misérable corps

Qui privé de son âme agit par vos ressorts,

Oui ce trône dépouillé de toute sa lumière

A perdu son esprit et sa cause première,

Et n’est plus animé que d’un reste d’amour

Qui pour de longues morts lui conserve le jour,

Ce Vautour éternel qui donne à mes journées

Le cours infortuné des plus longues années,

Travaille sans relâche à nourrir mes douleurs.

Et la suite du temps ne peut tarir mes pleurs

Lui qui dévore tout lui qui guérit les âmes,

Des plus vives douleurs, et des plus vives flammes.

S’efforce vainement à me guérir du mal

Dont je hais le remède autant qu’il m’est fatal.

Si les ressentiments de ta gloire suprême,

Te laissent un moment détacher de toi-même.

Et sur ton ennemi jeter encor les yeux

Tu le vois Mariane, oui tu le vois des Cieux.

Puisque tu peux juger de l’état où nous sommes,

Tu connais si je vis, comme vivent les hommes,

Si j’ai quelque repos, si j’ai quelque plaisir,

Si j’ai quelque raison, si j’ai quelque désir,

Si de ses passions mon âme est plus touchée

Si parmi les mortels elle est plus attachée,

Et si de tous ses maux elle peut ressentir

Que celui de ta perte et de mon repentir,

Toi seule quelquefois éclaires mes ténèbres

Tu ramènes le jour à mes ombres funèbres,

Et me parais pompeuse avec mille clartés

Qui dissipent la nuit de mes obscurités,

Mille éclatants rayons environnent ta tête

Et tes yeux plus brillants que pour une conquête,

Me lancent des regards dans ce superbe état

Dont mon œil ébloui ne peut souffrir l’éclat.

Tandis que mon remords redoute tes approches

Que je n’attends de toi que de sanglants reproches,

Et que je crains encor ce noble et juste orgueil

Qui t’armas contre moi jusques dans le cercueil,

Au lieu de m’accabler ta bonté me console

Et d’une charitable et charmante parole,

Tu me fais espérer une place avec toi

Si dans mon repentir je fais ce que je dois,

Je me rends téméraire après cette assurance

Je te veux embrasser, mais la main qui s’avance,

N’embrasse que du vent et l’ombre qui s’enfuit

Me laisse enseveli dans ma première nuit.

Ah belle Mariane, esprit plein de lumière

Déité que j’adore écoute ma prière.

Et me permets au moins pour la dernière fois

Et de voir ton visage et d’entendre ta voix,

Vois que je souffre seul la peine de ta perte

Que tu bravas la mort, et que je l’ai soufferte,

Que tout ce que ma rage employa contre toi

Par une juste peine est retombé sur moi,

Et que je ne vis plus que parmi des supplices

Qui doivent t’affliger au milieu des délices,

Vois que tout me trahit, que tes fils et les miens

Conspirent contre moi par de lâches moyens,

Et pour venger la mort d’une innocente mère

Ils la portent au sein de leur coupable père,

Que leur crime est visible et que ton souvenir,

Tous criminels qu’ils sont défend de les punir

Mais Dieu je vois l’aîné, dont le visage blême

Témoigne à cet abord une douleur extrême,

Il frémit, il pâlit, et par ses changements

Il me découvre assez ses divers mouvements.

 

 

Scène III

 

HÉRODE, ALEXANDRE

 

HÉRODE.

Qu’avez-vous Alexandre, et quel mauvais présage

Tirai-je de vos yeux et de votre visage.

ALEXANDRE.

Vous demandez Seigneur ce que vous jugez bien.

HÉRODE.

Parlez plus clairement, ou je ne comprends rien.

ALEXANDRE.

Oui oui, je veux parler, et ce dessein m’amène

Oui, dussé-je trouver le destin de la Reine,

De votre propre sang saouler votre rigueur

Je ne cacherai plus ce que j’ai sur le cœur.

HÉRODE.

Ce discours me surprend.

ALEXANDRE.

Pardonnez à ma rage,

Le tort que l’on me fait me surprend davantage

Et me fait emporter outre ce que je dois

À l’auguste présence et d’un père et d’un Roi,

Cette brûlante ardeur que j’ai pour mon épouse

Rend mon âme éperdue aussitôt que jalouse,

Et je ne puis sans mourir à vos pieds

Bien que fils et sujet que vous me l’enleviez,

À quelle intention me l’aviez-vous donnée

Et joint nos deux esprits par un saint Hyménée

Si contre votre fils vous portiez dans le sein

Cette maudite flamme, et ce lâche dessein,

Que n’accomplissiez-vous vos désirs sacrilèges

Avant que m’attirer dans vos damnables pièges,

Et pourquoi vouliez-vous que je fusse embrasé

Avant le désespoir que vous m’avez causé,

Bien il est encor temps, et tout vous est loisible

Oui vous en serez maître et possesseur paisible,

Je ne conteste rien à votre Majesté

Et les Rois peuvent tout de leur autorité,

Servez-vous, servez-vous des droits de la Couronne

Si Glaphira vous plaît le sceptre vous la donne,

Son mari vous la cède, et n’y prétends plus rien

Vous êtes père et Roi disposez de son bien,

Mais avant que ce fils se dépouille et vous voie

Triompher de son bien par cette indigne voie,

Ne lui conservez plus ce qu’il reçut de vous

Sa mort le satisfait et vous assure tous.

Oui oui, je veux mourir, et dans mon infortune

Prévenir par ma mort notre honte commune,

C’est l’unique moyen, et vos belles amours

Trouveront le repos dans la fin de mers jours.

HÉRODE.

Mon fils qui vous a mis dedans la fantaisie

Ces étranges soupçons et cette jalousie,

Sur quoi les fondez-vous.

ALEXANDRE.

Ah j’en suis trop certain,

Phérore qui le sait m’a dit votre dessein.

HÉRODE.

Phérore vous l’a dit. Qu’on appelle Phorore

Qu’on coure de ce pas, ce bien vous reste encore.

Que vous traitez du pair avecque votre Roi

Et que vous vous pouvez éclaircir avec moi,

Il est juste mon fils que je vous satisfasse

Mais vous m’accorderez cette dernière grâce,

Que je me justifie avec un peu de soin

Et que je m’éclaircisse avec votre témoin,

Des crimes importants et de cette nature

Permettent bien d’user de cette procédure,

Sans doute votre mal est un mal violent

L’affront que l’on vous fait est un affront sanglant,

Et si mon délateur se trouve véritable

Je ne saurais nier que je ne sois coupable,

Ah le voici qui vient et votre esprit jaloux

Se pourra contenter.

 

 

Scène IV

 

HÉRODE, PHÉRORE, ALEXANDRE

 

HÉRODE.

Mon frère approchez-vous.

Et ne refusez point sur un fait qui vous touche

Dont on peut s’éclaircir par votre seule bouche,

De nous tirer de doute avec la vérité

Que nous espérons tous de votre intégrité,

Vous dont l’esprit pénètre au fond de mes pensées

Sur quelles actions présentes ou passées,

Avez-vous pu fonder vos louables soupçons

Pour en faire à mon fils de si belles leçons,

Par quels déportements avez-vous pu comprendre

Que je voulais souiller la couche d’Alexandre,

Et que je caressais sa fidèle moitié

Au-delà des effets d’une honnête amitié,

Répondez.

PHÉRORE.

Ah Seigneur.

HÉRODE.

Parlez parlez sans feinte,

Et ne vous troublez point de remords ni de crainte,

Soutenez hautement ce que vous avez dit

Vous vous êtes vanté de beaucoup de crédit,

De lire dans mon cœur les secrets de mon âme

De savoir mes desseins et ma honteuse flamme,

Oui oui, vous l’avez dit, et vous cachez en vain

Ce qu’on saura de vous.

PHÉRORE.

J’ai parlé sans dessein,

Le Prince l’a mal pris, oui croyez je vous prie

Que j’ai fait ce discours comme une raillerie.

HÉRODE.

Comme une raillerie impudent effronté

Monstre d’ingratitude et d’infidélité,

Cœur vil, cœur sans honneur, dont l’âme noire et basse

Par mille lâchetés déshonore sa race,

Comme une raillerie un discours sans dessein

Qui met la honte au front et la mort dans le sein

Qui peut armer un fils d’une juste colère,

À porter un poignard dans le sein de son père

Comme une raillerie, ah c’était bon à toi

Qui vis en fainéant en frère de Roi.

Toi dont la belle flamme et l’amitié constante

T’ont fait hausser les yeux jusques à ta servante,

Et que par un beau choix digne de ton grand cœur

Devant son mari tu fis ma belle-sœur,

Mais un Prince bien né, ne peut souffrir ces taches

Sans se perdre ou punir des injures si lâches

Ces infâmes desseins et cette trahison

Ne souillèrent jamais cette illustre maison,

Et n’y viendront jamais si tu ne les y portes

Va j’ai pour te punir des raisons assez fortes,

Et l’on en voit périr par une juste loi

Qui sont moins criminels et moins lâches que toi.

Mais puisque mon malheur t’a fait naître mon frère

Que tu ne fus jamais digne de ma colère,

Et qu’il n’est point pour toi d’assez honteuses morts

Je te laisse punir à tes propres remords,

Mais pour ne troubler plus ceux que ta vue offense

J’ordonne pour ta peine une éternelle absence,

Que tu te gardes bien de rentrer dans ma Cour

Je donne à ton départ le reste de ce jour,

Vide avec ta famille et leur maudite race,

Et si l’on te revoit n’espère plus de grâce

Hérode se retire.

Va, ne réplique point. Êtes-vous satisfait

Pour me justifier voyez ce que j’ai fait,

Si de mes actions je vous ai rendu compte

Et si j’ai réparé notre commune honte,

J’ai disputé ma cause et mon droit devant vous

Mais la loi pour le moins est égale entre nous,

Je viens de dépouiller ma dignité suprême

Pour me justifier. Vous en ferez de même,

Et ne vous plaindrez point de répondre après moi

Et devant votre père, et devant votre Roi.

ALEXANDRE.

Seigneur mes actions sont toutes innocentes

Et vous en recevrez des preuves évidentes,

Que n’ayant point failli, je ne redoute rien

Que je suis sans remords.

HÉRODE.

Ça sera votre bien,

Mais vous trouverez bon que je m’en éclaircisse

Et puis à votre tour vous me rendrez justice.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

ARISTOBULE, ANTIPATRE

 

ARISTOBULE.

Certes il est des cœurs que le ressentiment

Eut sans doute portés à quelque changement,

Mais ni le souvenir de nos premières pertes

Ni les indignités que nous avons souffertes,

N’ont jamais pu tirer nos esprits mutinés

Des termes de bons fils et de Princes bien nés

Nous vîmes en naissant nos forces destinées,

Menacer de cent morts nos premières années

Et ne vîmes le jour d’un œil infortuné

Que pour le voir ravir à qui nous l’a donné,

La trahison des siens et leur ingrate haine

Mirent dans le tombeau cette innocente Reine,

Nous privant d’une mère et d’un fidèle appui

Qu’Hérode nous ravît et qu’il pleure aujourd’hui

Nos malheurs du depuis croissent avec notre âge,

Et de nos ennemis la venimeuse rage,

Attaque l’innocence avec tous ses efforts,

Et contre la vertu fait jouer cent ressorts,

On nous amène à Rome on nous destine aux peines

Mais l’innocence éclate et détache nos chaînes,

Nous redonne le jour que nous n’espérions plus,

Et rend nos ennemis étonnés et confus

Le Sénat est pour nous la clémence d’Auguste,

Donne en notre faveur une sentence juste

Et le Roi voit sortir ses glorieux enfants

Du piège préparé pompeux et triomphants

Il n’est point du depuis de malice et d’envie

Dont ses bons Conseillers n’attaquent notre vie,

Il leur prête l’oreille approuve leur dessein

Et leur donne le fer pour nous percer le sein,

Nous ne l’ignorons point mais cette connaissance

Ne nous fait point encor oublier la naissance,

Nous savons ce qu’il est, nous savons ce qu’il peut

Nous devons obéir et vouloir ce qu’il veut.

ANTIPATRE.

Fais parler ce jeune homme aigrisse davantage

Et par ta flatterie irrite son courage,

Certes Hérode a tort de vous avoir traités

Avec moins de douceur que vous ne méritez,

Vos royales vertus votre bonne naissance

Votre beau naturel et votre obéissance,

Sans doute l’obligeaient à paraître pour vous

Meilleur qu’il ne paraît, et père et Roi plus doux

Mais puisque sans choquer l’autorité Royale

Vous supportez vos maux d’une constance égale,

Et voyez les faveurs, et les indignités

Avec le même front et les mêmes bontés

S’il lui reste de soin que celui de vous plaire

Il ne mérite plus la qualité de Père,

Et bien que je sois fils et sujet comme vous

Je blâme les devoirs que nous lui rendons tous.

ARISTOBULE.

Ce traître dissimule, et ce traître t’abuse

Il te veut découvrir par sa mortelle ruse

Et bien que fils d’Hérode et ton frère à demi

Il est ton plus cruel et plus lâche ennemi,

Mais ne le flatte plus encore qu’il te flatte,

Certes votre bonté visiblement éclate,

Et vous nous témoignez des excès d’amitié

Dans votre complaisance et dans votre pitié,

Mais vous ne dites pas les raisons plus valables

Et qui dans cet état rendent considérables,

Les justes héritiers des Empires reçus

De cet illustre sang dont nous sommes issus,

Après ses grands aïeuls dont on les voit descendre

Les fils de Mariane ont seuls droit d’y prétendre,

Et peuvent espérer avec juste raison

La pourpre et le bandeau qui sort de leur maison

Que des fils engendrés d’un tas de viles femmes

Qu’Hérode a mis au jour par des moyens infâmes,

Et qui virent leur honte avecque la clarté

Vivent dans la bassesse et dans l’obscurité,

Qu’ils aillent relégués au fond de nos Provinces

Déguisés d’un métier la qualité de Princes,

Employer à leur vie et l’esprit et la main

Esclaves des Tyrans et du peuple Romain,

Nous qu’une plus illustre et plus haute naissance

Élève au-dessus d’eux et de la complaisance,

Nous vivrons dans la gloire et le superbe rang

Que nous avons reçu de ceux de notre sang.

ANTIPATRE.

Ceux dont vous rabaissez la naissance inégale

Sont aussi bien que vous de la maison Royale,

Et vous ne devez pas les mettre à si vil prix

Et traiter vos égaux avec tant de mépris

Moi qui suis de ce nombre, et le moindre des autres

Bien que mes sentiments soient contraires aux vôtres

Je souffre tout de vous, et ne m’offense point,

D’un étrange discours qui blesse au dernier point,

Il suffit que le Roi nous ait en autre estime

Que par ses actions son sentiment s’exprime,

Et qu’il traite ses fils dans cette égalité

Que la vertu leur donne avec la qualité.

ARISTOBULE.

C’est que vous l’emportez par la cajolerie

Et que votre bassesse et votre flatterie,

Vous donnent tous les jours pour des biens apparents

Comme aux Caméléons mille fronts différends,

Votre établissement est votre ignominie

Et c’est par les rapports et par la calomnie,

Que vous avez gagné son approbation

Plutôt que par le bruit d’une belle action

Vous ne nous armez point que contre une innocence.

ANTIPATRE.

Ah c’est me traiter mal, cette mortelle offense

Que je n’attendais point de recevoir chez vous,

Me force à la retraite.

ARISTOBULE, seul.

Arme-toi mon courroux

Et porte sur ce traître une juste colère.

 

 

Scène II

 

ALEXANDRE, ARISTOBULE, GLAPHIRA

 

ALEXANDRE.

Je vous vois tout ému qui vous trouble mon frère.

ARISTOBULE.

C’est que le plus adroit de tous nos surveillants

Antipatre est venu nous épier céans,

Mais il sort mal content d’une telle visite

Et je ne l’ai traité que comme il le mérite.

ALEXANDRE.

Vous avez fort bien fait, je l’eusse fait aussi.

GLAPHIRA.

Mais que ce traitement augmente mon souci,

Qu’il saura bien le traître en prendre la vengeance,

Il en a l’industrie, il en a la puissance,

Il mettra tout en œuvre et cet homme sans foi,

Qui possède l’esprit et l’oreille du Roi,

Et que la flatterie élève de la boue

De degrés en degrés au sommet de la roue,

Puisqu’il est offensé se saura bien venger

Et vous mettra sans doute en extrême danger.

ALEXANDRE.

N’importe dans l’état où je vois nos affaires,

Les feintes maintenant ne sont plus nécessaires,

Le train qu’elles ont pris va dans l’extrémité

Nous n’avons plus d’asile et plus de sûreté

On a levé le masque on nous fait guerre ouverte,

Le Roi consent à tout il signe notre perte

Et ce cruel esprit déjà préoccupé

Se plaît dans son erreur, et veut être trompé,

En un mot notre vie à ce point est réduite

Qu’elle n’a de salut que dans la seule fuite,

Il se faut donc sauver tandis qu’il est permis,

Fuir d’une terre ingrate, et de tant d’ennemis,

Passer en Cappadoce, ou comme je l’espère

Nous serons caressés et reçus de ton Père,

Tu sais comme il nous aime et prend notre intérêt

Déjà pour ce dessein tout l’équipage est prêt.

Ne faisons point ici de plus longue demeure,

Ce séjour m’est fatal il faut avancer l’heure,

Et déloger demain sans escorte et sans bruit.

La faveur du silence, et d’une sombre nuit,

Nous en peuvent donner des moyens très faciles

J’ai pour notre départ des serviteurs habiles,

Des guides pleins d’esprit et de fidélité,

Et qui nous conduiront en toute sûreté,

Tenez-vous prêt mon frère, et gardez le silence.

GLAPHIRA.

Si ce divin pouvoir qui défend l’innocence

Veut conduire à bon port un si juste désir,

Que je ressentirai de joie et de plaisir,

Je verrai dans les bras d’un charitable père,

Un adorable époux, un très aimable frère.

Et loin des embarras de cette horrible Cour,

Nous vivrons en repos dans cet heureux séjour.

ALEXANDRE.

Qu’après notre départ le Roi lance la foudre

Qu’il renverse l’État qu’il mette tout en poudre,

Pourvu que je te voie à l’abri de ses coups,

Étant auprès de toi mon destin sera doux,

Et mon bannissement me sera supportable

Goûtant dans ton repos un repos véritable.

ARISTOBULE.

Pour abuser le Roi comme toute la Cour

Allons tout de ce pas lui donner le bon jour,

Et lui rendre aujourd’hui la dernière visite.

ALEXANDRE.

Je n’y vais qu’à regret il faut que je vous quitte,

Et que pour un moment je rende ce devoir

À celui que je vois pour ne le plus revoir.

 

 

Scène III

 

ANTIPATRE, DIOPHANTE

 

ANTIPATRE.

Vous obligez un Prince et beaucoup de personnes

Qui peuvent justement prétendre à des couronnes,

Et qui dans leur bon heur ne vous oublieront pas

Moi qui suis de ce nombre, et qui hais les ingrats,

Si je goûtais sans vous une bonne fortune

Croyez que sa douceur me serait importune,

Et que je ne veux plus prétendre à ce bon heur,

Que pour vous élever à de hauts rangs d’honneur,

Mais enfin cet esprit et cette main adroite.

DIOPHANTE.

Il suffit que sa main est si bien contrefaite

Qu’Alexandre lui-même à peine y connaîtrait

La moindre différence avec le moindre trait,

Et qu’il ne l’oserait désavouer lui-même

Mais vous en jugerez.

ANTIPATRE.

Il lit les Lettres.

Cette adresse est extrême

Mais sans plus différer allons trouver le Roi,

Il en sera surpris et trompé comme moi.

 

 

Scène IV

 

HÉRODE, SALOMÉ

 

HÉRODE, dans sa chambre.

Un rayon de clarté dissipe cette nue

Dont les brouillards épais s’opposaient à ma vue,

Et je sors à la fin de cet aveuglement,

Qui m’empêchait d’agir avecque jugement,

La lâcheté des miens commence de paraître

Je connais malgré moi qu’Alexandre est un traître

Et que malgré le sang et le titre de Roi,

Aristobule et lui conspirent contre moi,

Ciel qui m’as élevé par un bon heur extrême,

Au superbe sommet de la grandeur suprême,

Et qui m’as établi par ta seule bonté

Dans ce faîte d’honneur où je me vois monté,

Toi qui me pris en soin du plus bas de mon âge,

Toi qui dans les combats as guidé mon courage,

Et m’as fait dissiper un monde d’ennemis,

Qui par ton assistance à mes pieds sont soumis,

Pourquoi m’élevais-tu d’une obscure naissance

À cette monstrueuse et fatale puissance,

Pourquoi me rendais-tu par une aveugle loi

Le plus victorieux le plus superbe Roi,

Et le plus fortuné de tous les Politiques

Si tu me réservais ces malheurs domestiques,

Et si tu me donnais ces honneurs triomphants

Pour armer contre moi femme frères enfants,

Et forcer ma justice à faire un cimetière

Du funeste débris de ma famille entière.

SALOMÉ.

Vous le devez louer du soin qu’il a de vous

Sa bonté vous protège, et nous conserve tous,

Et quand vous arrivez au point de votre perte

Les traîtres sont connus, leur trame est découverte,

Il vous ouvre les yeux et vous fait éviter

L’abîme où vos bontés vous vont précipiter,

Quoi qu’on ait entrepris contre votre personne

Vous méprisez toujours les conseils qu’on vous donne

Et vous ne songez point à votre sûreté,

Qu’au bord du précipice et dans l’extrémité,

Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’Alexandre conspire

En naissant il jeta les yeux sur votre Empire,

Et ne reçut le jour qu’avec l’ambition

Qui donne la naissance à son aversion,

Vous régnez trop longtemps pour les vœux d’un jeune homme.

Et les instructions qu’ils reçurent à Rome,

Chez ce peuple tyran, altier, et souverain

Rend leur humeur altière, et leur esprit Romain,

Aussi l’on voit assez que par un choix injuste

Leurs bonnes volontés sont toutes pour Auguste,

Et qu’en vous détestant quand ils parlent de lui

Ils le nomment leur Dieu, leur père et leur appui,

Ces gardes qu’Alexandre a reçus à ses gages

Donnent de son dessein d’assez clairs témoignages,

Et les voyant chassés hors de votre maison

Il ne les retira que pour sa trahison,

Leur bouche l’a nié, mais leur front le confesse

Ils découvriront tout, pour peur que l’on les presse.

HÉRODE.

Qu’on les mette à la géhenne, et que la vérité

S’arrache de leur bouche, avec sévérité.

Qu’on donne la torture à leurs moindres complices

Et qu’on les interroge au milieu des supplices,

Tant qu’il ne reste plus de sujet d’en douter.

SALOMÉ.

C’est le plus sûr moyen, qu’on y puisse apporter

Mais Seigneur, Antipatre amène Diophante

Pour vous entretenir d’une affaire importante.

 

 

Scène V

 

HÉRODE, ANTIPATRE, DIOPHANTE, SALOMÉ

 

HÉRODE.

Approchez Antipatre et bien.

ANTIPATRE.

Sur un avis

Qu’au déçu de Philon j’ai reçu de son fils.

J’ai travaillé Seigneur avec la diligence

Qu’on doit à des desseins de si grande importance,

Diophante en ceci m’a fort bien assisté

Et c’est par son moyen qu’on sait la vérité,

Vos enfants se servaient dans leur trame infidèle

De Philon Gouverneur de votre Citadelle,

Qui gagné par présents secondait leurs desseins

Et leur avaient promis de vous mettre en leurs mains,

Mais son fils ennemi de ces desseins iniques

Vient de nous découvrir ces mortelles pratiques,

Il m’a donné sous main cet avertissement

Et pour vous assurer encor plus clairement

De toute leur menée et du biais qu’on doit prendre

Ces lettres que son père a reçu d’Alexandre,

Que votre Majesté peut lire s’il lui plaît

Et connaître sa main, jusques au moindre trait.

HÉRODE.

Donnez ah juste Ciel, il est donc véritable

Que de ces trahisons Alexandre est capable,

Il les lit.

Que ces dénaturés sont des enfants de Roi

Qu’ils me veulent ravir ce qu’ils tiennent de moi,

Et qu’altérés d’un sang qui leur donna la vie

Ils ont pu sans mourir concevoir cette envie,

Ah mon ressentiment c’en est fait désormais

Chasse toute amitié ne l’écoute jamais.

Et bannis loin de moi cette amour importune

Qui seule a toujours fait ma mauvaise fortune,

Monstres vous connaîtrez si je suis résolu

D’user dorénavant d’un pouvoir absolu,

Et de vous témoigner dans ma juste colère

Que je suis votre Roi n’étant plus votre père,

Que violant l’honneur, et le sang et la foi,

Rien ne vous garantit de la commune loi,

Et que je puis venger avec ma propre injure

Celle que vous faisiez à toute la Nature.

DIOPHANTE.

Seigneur si ce complot était moins important

J’eusse celé des maux qui vous affligent tant,

Et n’eusse point donné ces mauvaises nouvelles

Dont vous avez reçu les atteintes mortelles,

Mais quand tout le malheur eût dû tomber sur moi

Voyant qu’il s’agissait du salut de mon Roi

J’eusse cru mériter avec tous les complices

Et le même reproche, et les mêmes supplices,

Si j’eusse déguisé.

HÉRODE.

Sois secret seulement,

Je te suis obligé de ce bon mouvement

Et tu verras un jour si je sais reconnaître

Les bonnes volontés que tu me fais paraître,

Mais je les vois venir ces monstres ces ingrats

Recevoir un accueil qu’ils n’en espèrent pas.

 

 

Scène VI

 

HÉRODE, ALEXANDRE, ARISTOBULE

 

HÉRODE.

N’approchez point de moi traîtres lâches perfides.

Non n’en approchez point barbares parricides,

Et ne prétendez plus sur vos fronts criminels

La première douceur des baisers paternels,

J’ai pour vous désormais de plus fortes tendresses

Je vous ai destiné de plus justes caresses,

ET pour cette amitié que vous avez pour moi

J’ai conservé pour vous celle que je vous dois,

Je vivais trop pour vous, vous ne l’avez pu feindre,

Oui, vous avez raison, oui vous le deviez craindre,

Et vous reconnaîtrez mieux que vous n’avez fait

Que je vis trop pour vous, que je règne en effet,

Et que je sais punir les desseins téméraires

Des horribles meurtriers, et des Rois, et des pères.

ALEXANDRE.

Qu’avons-nous fait Seigneur, digne de ce courroux

Et qu’est-ce que vos fils ont osé contre vous,

Contre nos ennemis vos bras sont nos refuges.

HÉRODE.

Vous n’en trouverez plus que dans ceux de vos juges

Il vous sera permis de vous justifier,

D’avouer votre crime ou bien de le nier

Et je n’empêche point le cours de la justice

Qui vous ordonnera la grâce ou le supplice

Vite que de ce pas on les mène à la tour,

Et qu’ils soient bien gardés.

ARISTOBULE.

Vous connaîtrez un jour

Ceux qui vous servent bien, et ceux qui vous trahissent.

HÉRODE.

Ah Dieu, c’est donc ainsi que les miens m’obéissent

Qu’on les ôte d’ici. Pour en voir le succès.

Qu’on aille de ce pas instruire leur procès,

Saisir la Citadelle avec le Capitaine

Et faire à ces soldats donner la double géhenne.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

GLAPHIRA, SALOMÉ

 

GLAPHIRA.

Vous avez sur le père un absolu pouvoir

Et le bon naturel que vous devez avoir,

Vous oblige Madame à conserver la vie

D’un Prince qui jamais ne vous a desservie,

Madame vous savez leur naissance et leur rang

Qu’ils ont tous deux l’honneur d’être de votre sang,

Et que vous en aurez de très justes reproches

Si vous laisser périr des personnes si proches.

SALOMÉ.

Je sais bien que le sang m’oblige à les sauver

Et que si je le puis je les dois conserver

Mais par ce libre accès, qui m’approche du père,

Je connais son humeur et son esprit sévère,

Que le conseil rebute et dont le cœur hautain

Ne relâche jamais de son premier dessein,

Certes si la pitié n’amollit son courage

Mes discours ne feront que l’aigrir davantage,

Et les croyant servir je les desservirais.

GLAPHIRA.

Force ton naturel pour la dernière fois

Et bien que ton discours l’importune et la fâche

Pour sauver ton mari ne crains point d’être lâche

Quoi que dans son esprit Hérode ait résolu

Vous avez sur son âme un empire absolu,

Et ce puissant génie élevé sur tout autre

Ne fait qu’exécuter ce qu’inspire le vôtre,

Dans tout ce que son règne a d’aimable et de doux

Ce grand homme d’État n’agit point que par vous,

Et ce sont vos conseils qui par toute la terre

Font épandre son nom soit en paix soit en guerre.

Madame vous devez signaler aujourd’hui

Ce merveilleux pouvoir que vous avez sur lui.

Et par une bonté que nulle autre n’égale

Conserver l’innocence et la maison Royale,

Si vous les protégez d’un soin officieux

Votre haute vertu ne parut jamais mieux.

Voyez ce qu’ils vous sont, et ce que vous leur êtes,

Vous sauvez votre sang si vous sauvez leurs têtes,

Et par cette bonté que vous aurez pour eux

Ils seront vos enfants et non pas vos neveux.

Si toutes ces raisons ne sont assez valables

Et s’ils ne vous sont pas assez considérables,

Par les lois de l’honneur, par la force du sang

Et par ce qui se doit à leur illustre rang,

Du moins ayez pitié d’une pauvre Princesse

Et voyez ses malheurs avec quelque tendresse,

Cet amour innocent et ces pudiques feux

Qui dans un saint Hymen nous embrasent tous deux,

Et qui nous consommant de légitimes flammes

Ont formé pour jamais l’union de nos âmes,

Vous conjurent pour moi mieux que je ne le puis

De regarder mon sort, et l’état où je suis,

Ne souffrez pas qu’Hérode en la fleur de mon âge

Par la mort de son fils me condamne au veuvage

Ou plutôt que m’ôtant ma vie et mon appui

Dans le même cercueil il m’enferme avec lui,

La générosité sans doute vous oblige

À détourner ce coup dont la crainte m’afflige,

Et de considérer qu’embrassant vos genoux.

SALOMÉ.

Vous vous moquez Madame. Ô Dieu que faites-vous,

Je vous dois ces honneurs, et suis toute confuse.

GLAPHIRA.

C’est ainsi que mon sort ordonne que j’en use

Bien que pour mon malheur je sois fille de Roi,

Je ne saurais trop rendre à qui peut tout pour moi.

SALOMÉ.

À qui peut tout pour vous. Cette injuste créance,

N’a pour tout fondement qu’une fausse apparence

Et qu’un éclat trompeur des caresses du Roi,

Mais le connussiez-vous comme je le connais,

Et vous verriez bientôt que vous êtes déçue

Dans cette opinion que vous avez conçue

Cet esprit orgueilleux délibère, résout,

Entreprend, exécute, il se défère tout,

Et ne défère rien au jugement des autres,

Et dans sa belle humeur s’il écoute les nôtres,

Il le fait par adresse, et par formalité,

Ou pour nous témoigner quelque trait de bonté,

Mon crédit ne s’étend qu’à de simples affaires

Où ses yeux seulement ne sont pas nécessaires,

Et qui ne touchent point ni lui ni son État

Mais dans cette rencontre et dans un attentat,

Qui regarde sa vie autant que sa Couronne

Madame assurez-vous qu’il n’écoute personne,

Qu’il demande conseil de ce qu’il a conclu

Et met en jugement ce qu’il a résolu,

Et de plus excusant un dessein infidèle

Mon intercession me rendra criminelle,

Et je ne puis Madame importuner le Roi

Après ce qu’ils ont fait sans l’aigrir contre moi,

Certes leur entreprise est si noire, et si lâche

Que la maison Royale, en reçoit une tache,

Dont la honte demeure à tous ceux de leur rang

Et qu’on ne peut laver au prix de tout leur sang,

Bien que leur infortune infiniment me touche

Leur crime me confond et me ferme la bouche,

Et l’intérêt du Roi me défend d’en parler

Que pour plaindre le vôtre et pour vous consoler,

Je vous offre Madame avecque mes services

Tout ce qu’on peut pour vous, et tous les bons offices,

Que mon peu de crédit peut rendre auprès du Roi

À celle que j’honore ainsi que je le dois.

GLAPHIRA.

Croirai-je qu’un esprit puissant comme le vôtre

Défère aveuglement aux bassesses d’un autre,

Et que vous puissiez croire avec peu de raison

Ces complots prétendus et cette trahison,

Que vous prêtiez l’oreille à ces damnables pestes

Qui contre la vertu font des rapports funestes,

Ou que favorisant leur perfide dessein

Contre des innocents vous leur prêtiez la main.

Madame pardonnez un courroux légitime

À ce feu violent que ma colère exprime,

Donc par de faux rapports votre esprit abattu

Accable l’innocence et la même vertu,

Et les devant sauver par un trait de justice

Vous-mêmes les poussez dedans le précipice,

Vous dont ils attendaient l’infaillible secours

À qui ces malheureux auront-ils donc recours,

Qui pourra désormais leur servir de refuge

Leur père est aujourd’hui leur partie et leur Juge,

Leur frère les accuse avecque lâcheté,

D’une trahison feinte, et d’un crime inventé,

Leur oncle les trahit dans leur sort déplorable

Et parmi tant de maux leur tante les accable,

Privés de l’assistance et de l’appui des leurs

Et persécutés d’eux dans leurs derniers malheurs,

Qui pourront-ils fléchir, où chercher un asile

Mais je vous fais Madame un discours inutile,

Au lieu de vous toucher je vois qu’il vous aigrit

Je connais votre humeur, je connais votre esprit,

Et votre intention m’est assez découverte

Vous êtes la première à pourchasser leur perte,

Dès le commencement je n’en ai point douté

Mais j’ai pour mon mari fait cette lâcheté,

Je ne m’en repens point, et j’en ferais bien d’autres

Si j’avais à fléchir d’autres cœurs que les vôtres,

Eh bien maintenez-vous dans cet illustre rang

Sur ces beaux fondements de poussière et de sang,

Ajoutez à celui de leur défunte mère

De son aïeul Hircan, et de son pauvre frère,

Et de tout le Palais, que vous avez détruit

Celui de vos neveux dont la vertu vous nuit,

Ce Dieu qui prend en main notre juste défense

Vous réserve là-haut la digne récompense,

Des belles actions par où vous témoignez

Comment Hérode règne ou comment vous régnez

Adieu Madame.

 

 

Scène II

 

SALOMÉ, seule

 

À Dieu femme importune,

Qui viens troubler le cours de ma bonne fortune

Et qui par un discours qui ne te sert de rien

Veux amollir un cœur endurci pour son bien,

Je sais ce que je puis et ce que je dois faire

Pour les superbes fils d’une superbe mère,

Et pour ma sûreté, je n’ai que trop permis

Celle de ces ingrats qui sont mes ennemis,

Bien qu’ils soient obligés à tous mes bons offices

Et qu’ils cachent leur haine avec mille artifices,

Ils gardent pour jamais un désir dans le sein

De venger Mariane. Et je vois leur dessein,

S’ils obtenaient un jour la dignité suprême

Je croirais mon salut dans un péril extrême,

C’est pour ma sûreté que je les dois punir

En un mot je les crains et les veux prévenir.

 

 

Scène III

 

HÉRODE, MÉLAS

 

HÉRODE.

Votre Maître est si fort ami de la justice

Qu’il en voudrait lui-même avancer le supplice,

Et ne les punirait que de sa propre main

S’il était averti de leur lâche dessein

Dont les preuves déjà sont toutes manifestes.

MÉLAS.

Ah Seigneur, croyez-vous à ces rapports funestes

De ces méchants esprits qui par leur trahison

Tâchent de ruiner toute votre maison,

Donc cet esprit sublime et si plein de lumière

Perdant toute sa force et sa clarté première,

Et paraissant aveugle en son propre intérêt

Donne contre soi-même un implacable arrêt,

Oui oui, contre vous-même, et non pas contre d’autres

Oui, vous vous détruisez en détruisant les vôtres,

Et vous souffrirez seul en perdant un appui

Que les mauvais conseils vous ôtent aujourd’hui,

Quoi bon Dieu ! vous pourrez sans remords et sans honte

Par une procédure et si rude et si prompte,

Résoudre votre esprit à ces cruels desseins

Dans votre propre sang, tremper vos propres mains,

Et vous ne trouverez aucune résistance

Ni dans ce qu’ils vous sont ni dans leur innocence,

De quoi profitez-vous en les faisant mourir

Quel bruit et quel honneur croyez-vous acquérir,

Après mille actions qui par toute la terre

Vous ont fait estimer soit en paix, soit en guerre,

Et vaillant Capitaine et grand homme d’État

Croyez-vous ajouter quelque nouvel état,

À ce renom brillant d’une immortelle gloire

Faisant une action si sanglante et si noire,

Que diront vos voisins qui d’un œil envieux

Ont toujours regardé cet État glorieux,

Et ce superbe point de haute renommée

Où vous avez porté les armes d’Idumée,

Et que leur jalousie et leur ambition

N’ont jamais entrepris qu’à leur confusion,

Après avoir atteint la dignité suprême

En leur prêtant la main vous le faites vous-même,

Et de votre malheur ils reçoivent le fruit

Puisque pour leur repos vous vous êtes détruit,

Mais si vos ennemis ressentent une joie

Qu’un si grand ennemi lui-même leur octroie,

De quel œil vos amis vous verront-ils périr

Sans que leur amitié vous puisse secourir,

Et mon maître surtout que leur perte intéresse

Avec quels sentiments de mortelle tristesse,

Recevra-t-il la mort de celui qu’un lien

Avait déjà rendu votre fils et le sien,

Oui, comment verra-t-il la perte d’Alexandre

De ce Prince bien né, de cet aimable gendre,

Qu’il n’avait accepté que pour l’amour de vous,

De sa très chère fille, et cher, et digne époux,

Comment Seigneur, comment pourra-t-il se contraindre

Après tant de raison qu’il aura de se plaindre,

Deviez-vous pas du moins donner un mot d’avis

À ce Roi le premier de vos meilleurs amis,

Et pour la part qu’il a dedans votre famille,

L’avertir du malheur qui menace sa fille

Mais ce bon Prince à part, et tous ses intérêts

Pouvez-vous prononcer ces souverains arrêts,

Et ce mortel décret, quand même il serait juste

Sans en avoir reçu la puissance d’Auguste,

Vous savez à quel point il aime vos enfants

Comme il les a chéris dès leurs plus jeunes ans,

Et qu’étant élevés auprès de ce grand homme,

Ils ont gagné son cœur et l’amitié de Rome,

Vous savez qu’une fois il les a défendus

Et que sans son appui vous les auriez perdus,

Puisqu’il les aime encor craignez qu’il ne les venge

Seigneur ma liberté vous doit sembler étrange,

Mais vous pardonnerez les choses que je dis

Et la témérité d’un discours si hardi,

À cette passion dont le courant m’emporte

Et qui pour votre bien m’aveugle de la sorte.

HÉRODE.

J’ai goûté vos raisons avec contentement,

D’autant plus que leur poids touche mon sentiment,

Et que contre mon gré ma justice procède.

Contre mes chers enfants à ce sanglant remède,

Certes je suis mari d’avoir été si prompt

Je ne les puis haïr tous criminels qu’ils sont,

Et le sang qui pour eux me parle en leur défense

Oppose à notre loi celle de la naissance,

Et combat ma rigueur par des efforts puissants

Ciel prends leur cause en main, fais qu’ils soient innocents,

Donne-leur le secours que la terre leur nie

Et décile mes yeux contre la calomnie,

Rends-moi plus clairvoyant dans mon propre intérêt

Et ne me permets point de donner un Arrêt,

Dont l’exécution rigoureuse et sévère

Mettrait dans un tombeau les enfants et le père,

Et toi qui vois du Ciel leur malheur et le mien

Protège Mariane et mon sang et le tien,

Fais défendre tes fils par ce pouvoir suprême

Contre cet inhumain qui te perdit toi-même,

Et ne lui permets point par une injuste loi

De perdre le seul bien qui lui reste de toi.

 

 

Scène IV

 

ANTIPATRE, HÉRODE, DIOPHANTE, MÉLAS

 

ANTIPATRE.

Par votre ordre Seigneur votre Cour Souveraine

Vient de faire appliquer ces gardes à la géhenne,

Ils ont nié d’abord ce qui s’était passé

Mais à la fin seigneur ils ont tout confessé,

Et nous ont faits frémir de l’attentat horrible

Que nous avons su d’eux.

HÉRODE.

Ô Ciel, est-il possible.

Qu’ont-ils donc avoué.

ANTIPATRE.

Je ne saurais Seigneur

Étant ce que je suis en parler sans horreur

Mais vous le pouvez mieux savoir de Diophante.

DIOPHANTE.

J’ai même horreur que vous, mais la chose importante

Dans cette extrémité ne se peut plus celer

Et le devoir défend de le dissimuler,

Ils nous ont avoué qu’ils s’étaient laissé prendre

Étant disgraciés aux bienfaits d’Alexandre,

Et son frère et lui les ayant obligés

Par un sacré serment les avaient engagés,

À venger contre vous leur commune disgrâce

Et qu’ils devaient enfin vous tuer à la chasse.

HÉRODE.

Juste Ciel, mais retiens la douleur que tu sens

Et bien vous le voyez comme ils sont innocents.

MÉLAS.

On arrache souvent à force de supplices

Des crimes inventés avec de faux complices,

Et pour se délivrer de maux si véhéments

On dit plus qu’on ne sait au milieu des tourments,

Mais cette preuve est faible, où n’est pas assez forte

Pour faire condamner des hommes de leur sorte.

ANTIPATRE.

Le Roi n’en a que trop qui découvrent assez

Et leurs désirs présents et leurs desseins passés.

MÉLAS.

Quoi Seigneur c’est ainsi qu’un Prince signale

Et qu’un homme sorti de naissance Royale,

Témoigne maintenant sa générosité

À ses frères réduits dans cette extrémité,

Vous en avez ailleurs des moyens assez amples

Et d’autres ennemis et de meilleurs exemples,

Que vous pouvez tirer d’une illustre maison

Que l’injustice accable avec la trahison,

Laissez mourir en paix vos misérables frères

Et ne redoublés point leurs dernières misères,

Leur mort sera plus douce et leur destin plus doux

De se voir opprimés par d’autres que par vous.

ANTIPATRE.

Vous vous émancipez devant le Roi mon père

Plus qu’un Ambassadeur n’a pouvoir de le faire,

Mais cette qualité ne vous défendrait pas

Si le respect du Roi ne retenait mon bras,

Je sais ce que je dois.

HÉRODE.

Qu’on se taise Antipatre,

Ce n’est pas avec lui que vous devez débattre,

Et vous justifier de ce que vous devez

Suffit que je l’agrée et que vous le pouvez,

Et vous qui m’ordonniez ce que je devais faire

Et qui par un discours qui n’est pas ordinaire,

Condamniez ma justice et ma sévérité

Avec peu de raison et trop de liberté,

Apprenez qu’il n’est point de puissance assez forte

Pour imposer des lois aux Princes de ma sorte,

Que je rends la justice ainsi que je la dois

Et qu’Hérode en un mot ne rend compte qu’à soi,

Le bruit de mes voisins leur joie et leur envie

Ne saurait altérer le calme de ma vie,

Ils me connaissent trop ils savent mon pouvoir

Et que ce n’est pas d’eux que j’apprends mon devoir,

Que je suis plus grand qu’eux et suis plus habile homme

Je ne redoute point l’autorité de Rome,

Et j’ai de l’Empereur de qui seul je le tiens

Un pouvoir absolu de disposer des miens,

Mais si ma procédure offense votre maître

Comme par vos discours vous le faîtes paraître,

Vous savez qu’il a tort, et n’a plus de raison

D’appuyer ces ingrats après leur trahison,

Qu’une autre fois déjà, je lui donnai son gendre

Que lui seul conserva le perfide Alexandre

Et que je le rendis à sa seule amitié

Plus qu’à son innocence et plus qu’à ma pitié,

Pour la seconde fois il attaque une vie

Que sans les bons avis il m’eût déjà ravie,

J’ai pris pour l’amender mille soins superflus

Et je suis résolu de ne l’épargner plus,

Puisque ma sûreté veut que je les punisse

Mais je les veux traiter avec toute justice,

Et je leur permettrai de se justifier

Sur une trahison qu’on doit vérifier,

Je veux qu’ils soient ouïs et qu’en leur présence

Ou avéré leur crime ou bien leur innocence.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

HÉRODE, ALEXANDRE, ARISTOBULE et LES JUGES

 

HÉRODE, dans un trône au milieu des Juges.

Vous voyez mes amis un Prince à qui le Ciel

Détrempe ses douceurs d’amertume et de fiel,

Et qui n’est élevé dans la grandeur suprême

Que pour y ressentir des misères de même,

Et contrebalancer à des degrés si hauts

Et des bonheurs si grands, la grandeur de ses maux,

J’ai des honneurs en paix, j’ai des honneurs en guerre

Je suis victorieux et par mer et par terre,

Tout vit à mes desseins pour le bien de l’État.

J’ai pour mes bons amis Auguste et le Sénat,

Tous les Princes voisins redoutent ma puissance

Et je tiens un Pays sous mon obéissance,

Dont la possession et le Sceptre en ma main

Se doit plus estimer que l’Empire Romain,

Mais à quoi ces honneurs et ces grandeurs publiques,

Si je suis accablé de malheurs domestiques,

À quoi tant d’étrangers à mon pouvoir soumis

Si j’élève chez moi mes plus grands ennemis

Il l’avoue en mot puisqu’il ne se peut taire

J’eusse été trop heureux si je n’eusse été père,

Et j’eusse avec bonheur passé mes derniers ans

Si je n’eusse produit ces malheureux enfants,

Certes je suis fâché de souiller vos oreilles

Du discours importun de misères pareilles,

Et de vous exposer par une juste loi

Ces monstres odieux qui sont sortis de moi,

Vous voyez des méchants que l’exécrable envie

De retrancher le cours d’une trop longue vie,

Par une détestable, et noire trahison

Vient d’armer contre moi de fer, et de poison,

Je règne trop pour eux, et le sang de leur père

Doit guider ces ingrats au trône héréditaire,

Je leur avais ouvert les portes de l’honneur

Ils pouvaient s’élever à ce dernier bonheur,

S’ils eussent attendu que la mort naturelle

Leur en ouvrit la voie et plus sûre et plus belle,

Mais par un parricide ils veulent de trois jours

D’un bien qui leur est dû, précipiter le cours

Bien que l’autorité que j’ai dans ces Provinces

Autant que les plus bas me soumette les Princes,

Et que par le pouvoir que César m’a donné

J’en dusse disposer, comme il m’est ordonné !

J’ai plus de retenue et plus de modestie

Je ne paraîtrai point leur Juge et leur partie,

Et je me démettrai du pouvoir souverain

Que j’en avais reçu pour vous le mettre en main,

Contre mon propre sang vous êtes mes refuges

Oui je ne veux de vous, ni de Rois ni de Juges,

Et ce n’est que de vous que j’espère un Arrêt

Que vous prononcerez sans aucun intérêt

Mais considérez bien la nature du crime

Et que votre justice en ma faveur s’exprime,

Oui je vous la demande et l’espère de vous,

De vous que je maintiens, et que je connais tous.

ALEXANDRE.

Seigneur ce procéder qui n’est pas ordinaire

Est un étrange effet de l’amitié d’un Père,

Vous voulez éprouver si nous avons des cœurs

Dignes de vos enfants et de vos successeurs,

Et ce dessein paraît dans votre procédure

Plutôt que le désir d’offenser la nature,

Vous dépouillant d’un nom et si cher et si doux

Pour répandre ce sang que nous tenons de vous,

Si votre Majesté voulait ôter la vie

À des enfants ingrats qui l’eussent desservie,

À quoi tant de façon, étant père, étant Roi

Sans ces formalités elle l’eut pu de soi,

Et nous eut immolés à sa juste vengeance

Sans nous faire amener aux pieds de sa clémence,

Mais celui qui d’en haut pénètre dans nos seins,

Qui lit dans nos secrets, et connais nos desseins,

Veut d’une trahison épouvantable et noire

Sauver notre innocence et tirer notre gloire,

Et nous fait à vos pieds trouver la sûreté

Digne de nos desseins et de votre bonté,

Donc pour justifier une innocence nue

Qui déjà par nos fronts vous est toute connue,

Souffrez que je demande à votre Majesté

Qu’avons-nous entrepris, qu’avons-nous attenté,

Et quelle trahison a pu rendre coupables

Ceux de qui tout le crime, est d’être misérables,

Et que jusqu’à ce jour rien ne rend odieux

Que l’abandonnement de la terre et des Cieux,

Nous avons-nous dit-on, attaqué votre vie

Et notre ambition nous fit naître l’envie,

De monter par le fer à ce superbe rang

Et des degrés souillés de votre propre sang,

Du sang de notre Roi du sang de notre père

Ah Seigneur quelle forme est ici nécessaire,

Si vous en concevez un soupçon seulement

Pourquoi nous laissez-vous respirer un moment,

Et que différez-vous d’envoyer au supplice

Ces monstres, ces serpents, sans forme de justice,

Et comment pouvez-vous les ouïr et les voir

Mais si votre bonté m’en donne le pouvoir

Je lui demanderai sur quelles apparences

A-t-elle pu fonder ces injustes créances,

Et former un soupçon qui paraît aujourd’hui

Des Princes de son sang, des Princes nés de lui,

Et qui n’ont pu tirer de lui, ni de leur race

Des exemples d’un crime indigne de sa grâce,

À quel propos Seigneur cet appétit brutal

D’un bien avant le terme et d’un Sceptre fatal,

Qui depuis si longtemps a traîné la ruine

De tous ceux qu’on a vus régir la Palestine,

Mais confessons qu’un trône a beaucoup de douceur

Et qu’il comble de gloire un juste possesseur,

Pourquoi précipiter par un dessein horrible

Ce qui par vos bontés nous était infaillible,

N’avions-nous pas reçu de votre Majesté

Les marques et l’espoir de cette dignité,

Connaissant votre amour par des preuves si chères

Pouvons-nous envier le bonheur de nos frères,

Pouvions-nous redouter un changement d’état

Certains de l’amitié d’Auguste et du Sénat,

Doncques quelles raisons nous poussaient à le faire

Possible pour venger la mort de notre mère,

Pardonnez-moi Seigneur si dans l’extrémité

Je retrace une perte à votre Majesté,

De qui le souvenir fera rouvrir ses plaies

Oui nos maux furent grands, nos douleurs furent vraies

Oui nous avons donné nos regards et nos pleurs

Au funeste récit de nos communs malheurs,

Et tout autre qu’un Père eut senti la vengeance

Que demandait de nous le droit de la naissance,

Mais outre cette marque et ce titre de Roi

Nous vous étions liés par une même loi,

Et nous soulagions mal notre douleur extrême

En ne vengeant son sang que par votre sang même,

Si le ressentiment devait armer nos mains

C’eût été seulement contre ces inhumains,

Dont les mauvais conseils pleins de rage et d’envie

Vous privent de repos en la privant de vie,

Ils n’ont pas assouvi toutes les cruautés

Et c’est d’elle et de vous que nous sommes restés,

Pour les souiller d’un sang qui demande vengeance

Contre ces inhumains bourreaux de l’innocence,

Et vous voyez Seigneur que le Ciel a permis

Que nous ayons encor les mêmes ennemis,

Ceux qui nous ont poussés dedans le précipice

Ont mené devant nous Mariane au supplice,

Et feront trébucher toute votre maison

Si vous ne vous armez contre leur trahison,

Phérore a devant vous confessé sa malice,

Par quelle invention et par quel artifice,

Il voulut obliger ce fils infortuné

À sortir du respect que doit un fils bien né,

Si quelque passion peut aigrir mon courage

C’est cet amour Seigneur, et la jalouse rage,

Que cet esprit malin me coula dans le sein

Pour faire réussir son perfide dessein,

Je vous l’ai découvert avec une innocence

Qui prouvait ma franchise, et mon peu de prudence,

Même ayant abusé des bontés de mon Roi

Sans doute mes discours l’ont aigri contre moi,

J’eus trop peu de respect Seigneur je le confesse

Mais vous pardonnerez au feu d’une jeunesse,

Que l’amour aveuglait et ce ressentiment

Ce défaut de mon âge et de mon jugement,

D’une noire action nous sommes incapables

Mais si votre bonté nous peut croire coupables,

Nous sommes tous soumis le trépas nous est doux

Nous haïssons le jour étant haï de vous,

Et nous ne voulons plus conserver une vie

Que d’un père irrité nous voyons poursuivie,

Pour nous avoir produits le rendre infortuné

Et garder malgré lui ce qu’il nous a donné.

HÉRODE.

Tyrans de mon repos inhumaines maximes

Qui sous ombre d’un bien nous portez à des crimes,

Bourreaux des passions et de l’esprit d’un Roi

Dures raisons d’État éloignez-vous de moi,

Et ne contraignez point un misérable père

À commettre pour vous un crime nécessaire,

Et de son propre sang vous saouler tant de fois

En se sacrifiant à vos sévères lois,

Juste Ciel qui connais les malheurs d’une vie

De peines de périls, et d’horreurs poursuivie,

Donne quelque relâche aux peines que je sens

Et rends le père aveugle ou les fils innocents,

Rends-moi moins clairvoyant, et souffre que j’ignore

La flamme et la clarté du feu qui me dévore.

Certes jamais un cœur ne se trouva réduit

Dans l’état pitoyable où mon sort m’a conduit,

Et jamais on ne vit une âme traversée

Des mouvements divers dont la mienne est pressée,

La vengeance et l’amour, m’emportent à leur rang

D’un côté la Justice, et de l’autre le sang,

Bourrellent à l’envi cette âme infortunée

De ces deux passions également géhennée,

Ces Princes sont mes fils mais ils sont criminels

Indignes de l’amour, et des soins paternels,

Mon fils Aristobule, et mon fils Alexandre

Ils sont tous deux mon sang, ils le veulent répandre,

Je leur donnai la vie ils m’en veulent priver

Ils doivent donc périr si je me veux sauver,

Et je ne saurais plus éviter la tempête

Qu’en faisant retomber l’orage sur leur tête,

Que deviendras-tu donc Hérode infortuné

À quel de ces deux maux te vois-tu destiné,

Dois-tu tendre la gorge au fer qui la menace

Ou conserver ta vie aux dépens de ta race,

Suivre les mouvements d’une aveugle amitié

Ou bien dans ta Justice étouffer ta pitié,

Ah mes fils si ce nom après son parricide

Doit être encor permis à ma race perfide

Enfants dénaturés où me réduisez-vous

Tout ce qu’un nom de père a d’aimable et de doux

Se dissipe et se perd dans l’horreur de vos crimes

Et toutes mes bontés ne sont plus légitimes,

Car enfin malheureux vous ne pouvez nier

Ce que le juste Ciel vient de vérifier,

Oui le Ciel contre vous se déclare lui-même

Et m’ayant découvert par sa bonté suprême,

Et par un juste soin ce que vous attentez

Il décile nos yeux avec tant de clartés,

Qu’on ne peut plus douter après tant de lumière

Sur une trahison qui se découvre entière.

ARISTOBULE.

Seigneur, si nos desseins sont ainsi découverts

Pourquoi nous tiendrez-vous plus longtemps dans les fers,

Pourquoi ne perdez-vous ces monstres de nature

Sans autre jugement, sans autre procédure

Sans autre témoignage, et sans formalité

Puisque vous faites tout de votre autorité,

Et que vous vous servez dans des crimes énormes

De nouveaux procédés et de nouvelles formes,

Nous sommes convaincus de quelque trahison,

Et vous nous reprochez le fer et le poison,

Mais vous nous ne nous montrez, ni témoins ni complices.

HÉRODE.

Ils ont perdu la vie au milieu des supplices

Mais avant que de la perdre, ils ont tout confessé,

Et vos Juges ont vu, tout ce qui s’est passé.

ALEXANDRE.

Pauvres infortunés que la rage et l’envie

Pour le malheur d’autrui vient de priver de vie,

Innocents accablés que je plains votre sort

Innocents comme vous nous causons notre mort.

ARISTOBULE.

Ah Seigneur, ha Seigneur, c’est ainsi qu’on nous traite

Et votre Majesté sera donc satisfaite,

Pourvu qu’elle nous perde et qu’il lui soit permis,

De verser tout le sang de nos meilleurs amis,

Doncques d’un faible cœur, et de quelque âme lâche,

À force de tourments votre rigueur arrache,

Un malheureux aveu de crimes inventés

Et ferme par la mort la bouche aux vérités,

Que vous sert d’emprunter ces formes de justice,

Puisque vous êtes Juge, et partie, et complice

Que dans votre conseil il est délibéré

Que nous soyons punis pour avoir conspiré,

Oui, oui, nous l’avons fait et nous le devions faire

Salomé votre sœur, Phérore votre frère,

Et toute votre Cour conspirent avec nous,

Et vous régnerez seul si vous les perdez tous,

Oui faites tout périr vous le pouvez sans blâme.

HÉRODE.

Silence Aristobule.

 

 

Scène II

 

HÉRODE, GLAPHIRA, ALEXANDRE, ARISTOBULE, MÉLAS

 

HÉRODE.

Approchez-vous Madame.

GLAPHIRA.

Quoi votre Majesté ne me fait appeler

Que pour aigrir mes maux, et pour les redoubler,

Ne vous semblai-je pas assez infortunée

Dans la condition où je suis destinée,

Sans me rendre témoin de mon propre malheur

Et montrer à mes yeux cet objet de douleur,

Ah mon cher Alexandre, ah mon Prince ah mon âme,

Vous vois-je en cet état.

ALEXANDRE.

Consolez-vous Madame,

Et ne m’enviez point le repos que j’attends

Dans un autre séjour nous vivrons plus contents,

Et contre nos tyrans, et les rigueurs d’un père

Nous aurons un asile aux pieds de notre mère,

Nous serons à l’abri dans ce port de salut

Des persécutions dont nous sommes le but,

Et nous nous moquerons d’un esprit qui se fonde

Sur le sable inconstant des vanités du monde,

Aussi bien ma Princesse il est temps de partir

Et mon âme déjà se lasse de pâtir,

Les malheurs qui toujours lui déclarent la guerre,

Lui donnent de l’horreur pour les biens de la terre

Et si quelque douleur lui peut encor rester

Ce n’est que le regret qu’elle a de vous quitter.

GLAPHIRA.

Me quitter ? ah perdez cette injuste créance

Qui fait à mon amour une mortelle offense,

Ou vous ne croyez point que le coup du trépas

Me sépare de vous, ou vous ne m’aimez pas,

Bien que vous me quittiez jamais je ne vous quitte,

Mon âme quelque part que vous preniez la fuite

Suivra toujours la vôtre et rien n’est assez fort,

Pour séparer du vôtre un cœur vivant et mort,

Mais mon cher Alexandre est-ce là l’espérance

Que vous deviez tirer d’une illustre naissance,

Sont-ce là les honneurs qu’Hérode destina

Au glorieux mari que sa main me donna,

Est-ce là le Bandeau, le Sceptre, et la Couronne

Que le droit vous conserve et qu’un père vous donne,

Qu’est-ce qu’on vous prépare, et me fait-on venir

Pour vous voir couronner, ou pour vous voir punir.

HÉRODE.

Bien que de leurs complots vous ne soyez coupable

Que d’une trahison je vous juge incapable,

Et que vous détestiez leur infidélité

Sur un léger soupçon qui m’est encor resté,

Madame, j’ai voulu vous donner cette peine

Pour en savoir de vous la vérité certaine.

ALEXANDRE.

Oui, Seigneur, elle peut vous en rendre certain

Elle lit dans mon âme, elle sait mon dessein,

Et je n’en eus jamais d’une importance extrême

Qui ne lui soient toujours plus connues qu’à moi-même.

GLAPHIRA.

Alexandre a pour moi cette rare bonté

De fier ses secrets à ma fidélité,

Aussi quelque péril qui menace sa tête

Il menace la mienne, et je suis toute prête

À confesser un crime où je n’ai point pensé

Pour peu que mon mari s’y trouve intéressé.

ALEXANDRE.

Vous pouvez sans rougir confesser tous vos crimes

Vous dont les actions sont toutes légitimes,

Et qui n’avez péché que pour avoir chéri

Plus que vous ne deviez un malheureux mari,

Un innocent époux dont le sort déplorable

Pour l’avoir trop aimé vous rendra misérable,

Mais qui veut mourir vôtre, et vivre en vous aimant

Tout malheureux qu’il est jusqu’au dernier moment.

GLAPHIRA.

Mon âme avec la tienne est si bien attachée

Qu’on ne l’en verra point par la mort arrachée,

Et tu dois recevoir des preuves de ma foi

Me voyant toujours vivre, et mourir avec toi,

Que sur le criminel le Roi lance la foudre

Qu’il frappe un de nous deux et qu’il le mette en poudre,

Le coup qu’il recevra mettra l’autre au tombeau

Et rien n’est assez fort pour rompre un nœud si beau.

ALEXANDRE.

Vous dont la cruauté la rend infortunée

Pourquoi père inhumain me l’avez-vous donnée,

Pour me voir de ses maux lâchement abattu

Regretter son malheur après tant de vertu,

Mais si pour nous notre faute est trop grande

Du moins après ma mort je vous la recommande,

Révérez sa vertu Seigneur vous le devez

Les preuves qu’elle en donne, et que vous en avez,

Ces merveilles de foi, d’amour, et de tendresse

Vous obligent sans doute à traiter ma Princesse,

Avec tout le respect et la civilité

Que mérite son rang et sa fidélité,

Je demande à genoux.

GLAPHIRA.

Alexandre.

ALEXANDRE.

Madame.

GLAPHIRA.

Ô Dieu je n’en puis plus.

RACHEL.

La Princesse se pâme.

Ah Madame.

ALEXANDRE.

Bon Dieu me veux-tu prévenir,

Attends encor un peu.

HÉRODE.

C’est trop se retenir.

Ma justice succombe, et cet objet me tue.

MÉLAS.

Ah Seigneur accordez leur grâce à cette vue

Vous reconnaissez trop comme ils sont innocents,

Différez pour le moins.

HÉRODE.

Oui Mélas j’y consens,

Mon courroux se dissipe et ma constance est vaine,

Que chacun se retire et que l’on les remène.

GLAPHIRA.

Adieu cher Alexandre.

ALEXANDRE.

Adieu Madame.

GLAPHIRA.

Hélas,

Te reverrai-je encore.

ALEXANDRE.

Non qu’après mon trépas.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

ALEXANDRE, ARISTOBULE dans sa prison

 

ALEXANDRE.

Ah ne conteste plus ma mort est assurée

Tu n’en dois plus douter Hérode l’a jurée,

Elle est trop importante au bien de ses amours

D’une vie importune il retranche le cours,

Et transporté du feu qui bourrelle son âme

Il donne le repos à sa honteuse flamme,

Oui Glaphira nous perd sa fatale beauté

Nous a réduits mon frère à cette extrémité,

Hérode par mon sang se va tracer la voie

Qui le dois élever au comble de sa joie,

Je lui suis trop suspect et tandis que je vis

Il ne peut caresser la femme de son fils,

Il faut donc que je meure afin qu’il se contente

Oui, Glaphira me perd mais elle est innocente,

Cette pauvre Princesse abhorre sa fureur

Elle a comme elle doit son amour en horreur,

Elle n’approuve point ses feux illégitimes

Évite son abord, et déteste ses crimes,

Mais las toute innocente et pudique qu’elle est

La pauvreté nous perd parce qu’elle lui plaît,

Mais bon Dieu si ma vie à ce monstre odieuse.

Doit enfin assouvir son âme furieuse

Te dois-je envelopper dans mon funeste sort

Te rendre compagnon de ma tragique mort,

Et donner à l’amour d’un détestable père

Mon épouse ma vie et celle de mon frère.

ARISTOBULE.

À mon frère mettez votre esprit en repos

Et perdez ces soupçons conçus mal à propos,

Vous avez satisfait à cette jalousie

Dont trop aveuglement votre âme fut saisie,

Par l’éclaircissement que vous avez du Roi

Vous avez vu la fraude et la mauvaise foi,

De ceux qui vous ont mis en cet état funeste

Ils perdirent la mère, et perdent ce qui reste,

D’une illustre maison dont les braves aïeuls

À tous les successeurs jettent la poudre aux yeux,

Ayant versé leur sang ils demandent le nôtre,

Cette raison nous perd et n’en cherchez point d’autre,

Depuis que de ce mal vous êtes attaqué

Avec beaucoup de soin j’ai toujours remarqué

Jusqu’au moindre discours et la moindre caresse

Comment le Roi vivait avecque la Princesse,

Mais le Ciel m’est témoin si j’ai rien aperçu

Digne de ce soupçon que vous avez conçu,

L’amour se cache mal, et quand une âme brûle

Il est bien malaisé qu’elle le dissimule.

ALEXANDRE.

Ton esprit innocent juge à la bonne foi

Mais connais-tu si mal les adresses du Roi,

Cette adresse partout si rare et si connue,

Et par qui sa grandeur s’est toujours maintenue,

C’est en dissimulant que ce Prince est monté

De degrés en degrés jusqu’à la Royauté,

C’est en dissimulant qu’il garantit sa tête,

Des éclats d’une foudre à tomber toute prête,

Lorsque devant Antoine il se vit accusé

Et qu’il le confondit par son esprit rusé,

C’est en dissimulant qu’il sauva sa Couronne

Lorsque devant César il parut en personne,

Et qu’après le destin d’un ami malheureux

Aux pieds de ce grand homme il fit le généreux,

Regarde comme il feint et comme il dissimule

Dans la tragique mort du pauvre Aristobule,

Combien à son trépas il lui donne de pleurs

Vois le vieillard Hircan et ses derniers malheurs,

Avec combien de soin et de feintes promesses

Ce cruel l’attira, de combien de caresses,

Ce rusé le déçut pour lui donner la mort

Sa bouche avec son cœur ne fut jamais d’accord,

Et les raisons d’État sont bien assez puissantes

Pour donner à son front cent formes différentes,

Il feint dans son amour, comme il a toujours feint.

C’est le bruit, c’est César, c’est moi-même qu’il craint,

Tu sais comme il procède, et comme sa malice

Donne à ses actions des couleurs de Justice,

Et qu’il n’entreprend rien qu’un sujet spécieux

N’abuse de son peuple et l’esprit et les yeux,

Pour s’arracher de l’âme une fâcheuse épine

Lui-même fait jouer sa mortelle machine,

Cherche des délateurs, aposte des témoins,

Et de son procéder prend lui-même les soins.

ARISTOBULE.

Pour quelque beau dessein que sa colère éclate

Sa dernière action de quelque espoir me flatte,

Ce cœur de trahisons et de rapports aigri

A par un triste objet paru tout attendri,

Et la pitié sans doute a fléchi son courage

J’en ai tiré mon frère un assez bon présage,

Et j’ai lu dans ses yeux qu’il serait bien aisé

D’apaiser son courroux s’il n’était apaisé.

ALEXANDRE.

C’est ce qui te console et c’est ce qui m’afflige

Non non, ne pense pas que la pitié l’oblige,

À relâcher pour nous de sa sévérité

Ce fut s’il t’en souvient l’objet d’une beauté

Oui oui, ce fut l’amour, et son âme enflammée

Ne peut voir ma Princesse entre nos bras pâmée,

Prête à rendre l’esprit sans en être touché

Cet amour éclata qu’il tenait tant caché,

Et le visible effet de la maudite flamme

Réveilla le soupçon qui bourrelle mon âme,

Ce que le triste objet, de ceux qu’il a produits

Et l’état malheureux où nous sommes réduits,

Essayaient vainement sur cette âme de Roche

La Princesse l’obtint dès sa première approche,

Et d’un simple regard, elle attendrit ce cœur,

Qui poursuivait ses fils avec tant de rigueur,

Quelle visite ô Dieu, quels étranges visages,

Ah je n’en puis tirer que de mauvais présages.

 

 

Scène II

 

ALEXANDRE, ARISTOBULE, DIOPHANTE avec DES GARDES

 

ARISTOBULE.

Leur abord me surprend, que voulez-vous de nous.

DIOPHANTE.

Une chose Seigneur, qui nous afflige tous,

Vissiez-vous le regret que ma charge me donne,

C’est qu’il vous faut mourir, et que le Roi l’ordonne.

ARISTOBULE.

C’est qu’il nous faut mourir.

DIOPHANTE.

Oui Seigneur de ce pas.

ALEXANDRE.

Hérode à ses enfants ordonne le trépas,

Et ne redoute point la vengeance céleste.

DIOPHANTE.

Nous sommes envoyés pour ce destin funeste,

Et c’est bien malgré nous que nous sommes forcés,

À faire cette action indigne.

ALEXANDRE.

C’est assez.

Taisez-vous discoureur et faites votre office,

Oui servez sans regret Hérode et sa justice,

Très dignes officiers d’un tel maître que lui

Et des commissions qu’il vous donne aujourd’hui,

Nous aimons mieux quitter une importune vie

Et de son propre sang voir sa rage assouvie,

Que de nous voir encore exposés et soumis

Aux cruautés d’un père et de tant d’ennemis.

ARISTOBULE.

Je ne souffrirai point l’approche de ces traîtres

Ils sont nos serviteurs et nous sommes leurs maîtres,

Et bien que désarmé je ne permettrai pas

Qu’ils me donnent sans peine un infâme trépas.

Non ne m’approchez point.

ALEXANDRE.

Retenez-vous mon frère

À qui résistez-vous, et que pensez-vous faire,

Ces ministres sanglants des passions du Roi

Sont ici trop puissants et pour vous et pour moi,

C’est au Ciel seulement, qu’une faible innocence

Doit d’une telle mort demander la vengeance,

Élevons-y mon frère et les yeux et le cœur,

Auteur de l’univers Père et conservateur

Maîtres des actions et du salut des hommes,

Toi qui vois nos malheurs et l’état où nous sommes,

Lance Père éternel un regard de pitié

Sur une inviolable et constante amitié,

Je ne demande point à ta bonté suprême

Qu’elle sauve ma tête en ce péril extrême,

Qu’elle venge ma mort, et punisse le Roi

Non, ce n’est pas Seigneur ce que j’attends de toi,

Je ne te ferai point une injuste requête

Convertis ce tyran et conserve sa tête,

Mais si le puis attendre un trait de ta pitié

Protège après ma mort ma fidèle moitié,

Conserve en son entier une vertu si rare

Garantis son honneur des efforts d’un barbare,

Et sauve du péril qui le va menaçant

Un courage Royal un esprit innocent,

Une foi sans pareille, une amour pure et belle

Bref toutes les vertus que tu mis avec elle,

Ne perdons point le temps en discours superflus

Allons mon frère, allons, et ne résistons plus.

Où devons-nous passer.

DIOPHANTE.

Dans la chambre prochaine.

ARISTOBULE.

Allons saouler ce monstre, et rejoindre la Reine.

 

 

Scène III

 

GLAPHIRA, HÉRODE, SALOMÉ, ANTIPATRE

 

GLAPHIRA.

Grâce, grâce Seigneur.

HÉRODE.

Madame levez-vous.

GLAPHIRA.

Non, je ne bouge point de ces sacrés genoux

Que dans votre pitié ma douleur ne m’obtienne

Le salut de vos fils dont la mort est la mienne,

Je demande un mari que vous m’avez donné

Et qu’à d’autres honneurs vous avez destiné,

Je demande un mari que le sang vous demande

Et si sa force encor n’était pas assez grande,

Pour nous faire obtenir cette grâce de vous

Par le ressouvenir et si cher et si doux

De celle dont la mort n’éteint point notre flamme,

Et qui possède au Ciel la moitié de votre âme,

Conservez par amour, par grâce et par pitié

Ce qui vous reste d’elle, et de votre amitié,

Mariane le veut, Mariane l’espère

Elle vous en conjure et le doux nom de Père,

Que l’un ou l’autre obtienne.

HÉRODE.

Oui Madame je veux

Quand je devrais périr, les contenter tous deux.

Et Marianne et vous obtenez vos requêtes

Je vous donne leur grâce, et vous sauvez leurs têtes.

Allez à ces ingrats indignes de ce don

Vous-mêmes prononcer ma grâce et leur pardon,

Allez leur témoigner votre pouvoir extrême

Et puisqu’ils ont failli, punissez-les vous-même

Je les mets en vos mains. Vous allez promptement

Amener la Princesse à leur appartement,

Que tout lui soit ouvert.

GLAPHIRA.

Seigneur cette clémence

Trouvera dans le Ciel sa juste récompense.

 

 

Scène IV

 

HÉRODE, ANTIPATRE, SALOMÉ

 

HÉRODE.

Pauvre Princesse hélas, je regrette ton sort

Je t’accorde leur vie, et j’ai signé leur mort,

Et si l’on a failli contre l’obéissance

Je crois que leur salut n’est plus en ma puissance.

ANTIPATRE.

Déjà pour cet effet Diophante est parti,

Et si de vos desseins, il n’est pas averti,

Sans doute ils seront morts avant que la Princesse

Apporte leur salut.

HÉRODE.

Déplorable jeunesse

D’un Père infortuné misérables enfants,

Bourreaux de mon repos et de mes derniers ans,

Où m’avez-vous réduit, où portez-vous ma vie

D’horreur, et désespoir, et de regrets suivie,

Vous qui m’avez porté dans ces extrémités

Voyez dans quel enfer vous me précipitez.

SALOMÉ.

Il se faut consoler d’un malheur nécessaire

Si vous vous souvenez que vous étiez leur père,

Pour chasser vos douleurs il vous faut souvenir

Que votre sûreté vous les a fait punir.

Mais que doit devenir cette pauvre Princesse

Certes dans son malheur ma pitié m’intéresse,

Et vous ferez fort bien d’éloigner de vos yeux

Celle à qui vous serez un objet odieux,

Et qui ne vous peut voir.

HÉRODE.

Il n’importe j’espère

L’éloigner de ma Cour, et la rendre à son père

Il faut avoir le soin de l’y faire amener,

Et moi dorénavant je me veux confiner

Dans un abîme affreux, ou dans un cimetière

Où jamais le soleil ne lance sa lumière,

Où repassant l’horreur des maux que j’ai commis,

Du sang de mes enfants, femme frères amis.

Je finisse une longue, et détestable vie

Au milieu des remords, dont elle est poursuivie.

 

 

Scène V

 

RACHEL, GLAPHIRA, dans sa prison, auprès des corps d’Alexandre et Aristobule

 

GLAPHIRA.

Alexandre Alexandre, ouvre, ouvre un peu tes yeux

Revois pour un moment la lumière des Cieux,

Et regarde à tes pieds de ta fidèle femme

Le misérable corps dépouillé de son âme,

Retiens encor un peu la tienne qui s’enfuit

Et redonne le jour à cette sombre nuit,

Où tes yeux renfermés et ta bouche pâlie

Retiennent pour jamais mon âme ensevelie,

Tu ne me réponds point ma vie et ta rigueur

Me ferme avec tes yeux ton oreille et ton cœur,

Et te fais refuser au regret qui me touche

Un regard de tes yeux, et deux mots de ta bouche,

Ah si le souvenir d’une sainte amitié

Te peut encor toucher d’un rayon de pitié,

Ne me refuse point cette dernière grâce

Où si comme ton corps, ton esprit est de glace,

Et si cette insensible et mortelle froideur

De tes membres gelés te pousse jusqu’au cœur,

Souffre que je t’enflamme, et que mon feu t’anime

Par les ardents baisers que ma bouche t’imprime

Quitte-moi vain esprit qui ne me sers de rien

Abandonne mon corps et passe dans le sien,

La main qui te forma d’une essence immortelle

T’unit avecque lui d’une chaîne éternelle,

Et rien dorénavant ne t’en peut séparer

Ou si cette moitié devait encor durer,

Puisque l’autre s’en va, prends ce qu’elle te donne

Anime tous les deux ou n’anime personne,

Ah folle, ces discours ne sont plus de saison

Reviens reviens à toi, rappelle ta raison

De quoi que ton amour vainement s’entretienne

Ton Alexandre est mort sans espoir qu’il revienne

Vois comment le trépas sur son visage est peint

Vois la nuit de ses yeux, la pâleur de son teint,

La livide couleur de sa lèvre déteinte

En un mot sa lumière est pour jamais éteinte,

Tu ne le verras plus dans ce superbe état

Qui déjà lui donnait tant de pompe et d’éclat,

Et faisait prosterner toute la Palestine

Dans le naissant espoir d’une vertu divine

Ce sont là les honneurs qu’Hérode préparait

À celui que déjà tout le monde adorait,

Et de qui la beauté l’esprit et le courage,

À ce bourreau des siens ont donné tant d’ombrage,

Ce monstre a pour jamais éteint ce clair flambeau

Dont le feu s’épandait trop brillant et trop beau,

Tant de rares vertus n’étaient plus légitimes

Dans la Cour d’un Tyran abîmé dans les crimes,

Et celui dont le règne est si défectueux

Ne l’a pas cru son fils étant si vertueux,

Mais ne crois pas meurtrier d’une faible innocence

Ne crois pas échapper à ma juste vengeance,

Malgré tout ton pouvoir et la grandeur de Roi

La mort de mon mari m’armera contre toi,

Tu verras une faible et courageuse femme

Porter dans ton Palais, et le fer et la flamme,

Soulever contre toi pour ton sang et le sien

Tout ce que l’univers porte de gens de bien,

S’élancer dans le fer de dix-mil hallebardes

Te chercher sans frayeur au milieu de tes gardes,

Achever dans leurs bras son généreux dessein

Et porter sa vengeance et la mort dans ton sein,

Là te sacrifiant à l’ombre d’Alexandre

De ton infâme sang l’arroserai sa cendre

Et l’ayant satisfait ainsi que je le dois

Je mourrai sans regret ne mourant qu’après toi.

RACHEL.

Vous qui connaissez bien la rage qui l’emporte

Apaisez juste Ciel une douleur si forte,

Et ne permettez point que son cœur abattu

Perde dans ce malheur sa première vertu.

GLAPHIRA.

Ah faible, quel transport t’aveugle de la sorte

Pour en venir à bout tu n’es pas assez forte,

Ton amour entreprend, mais pour un tel dessein

Son sexe n’a reçu ni le cœur ni la main,

Seule tu ne saurais venger ton Alexandre

C’est du Ciel seulement que tu le dois attendre,

Oui Seigneur, c’est de vous que mon amour l’attend

Armez en ma faveur ce tonnerre éclatant,

Ces flammes, ces éclairs, cette immortelle foudre

Qui réduit les Palais, et les villes en poudre,

Foudroyez juste Dieu ce Nemrod renaissant

Vengez votre querelle et le sang innocent,

Et toi dans le Ciel ayant pris ta volée

Près de ton pâle corps me laisses désolée,

Toi qui goûtes là-haut des bonheurs éternels

Et me laisses en proie aux déplaisirs mortels,

Dans le superbe éclat d’une éternelle gloire,

De ta chère moitié ne perds point la mémoire,

Songe à ce que je fus, songe à ce que je suis

Et parmi tes bonheurs regarde mes ennuis,

Ne laisse point traîner une mourante vie

Vois de combien d’horreur elle est déjà suivie,

Ce moment qu’après toi je conserve le jour

Semble déjà durer un siècle à mon amour,

Sans toi je ne vis plus, sans toi je ne puis vivre

Mon amour fit mon mal, mon amour m’en délivre,

Et me fait ressentir en m’élevant à toi

Les biens qu’il te défend de ressentir sans moi,

Oui je m’élève à toi sur des ailes de flamme

Et ce feu dans le Ciel porte déjà mon âme,

Laissant auprès du tien ce corps pâle et glacé

Mais avant mon départ beau portrait effacé

De ce que j’aimais tant souffre que je te touche

Et rendre en expirant mon esprit sur ta bouche.

Elle s’évanouit sur le corps d’Alexandre.

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