La Marquise de Prétintaille (Jean-François Alfred BAYARD - DUMANOIR)

Comédie-vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Palais-Royal, le 23 avril 1836.

 

Personnages

 

LE MARQUIS DE PRÉTINTAILLE

LA MARQUISE DE PRÉTINTAILLE, 20 ans

LE CHEVALIER DE CHAMPFLEURY, leur cousin

JEAN GRIVET, paysan

LOUISON, jeune paysanne attachée au service du château

UN GARDE-CHASSE

DOMESTIQUES du château

 

La scène se passe en 1780, au château du marquis.

 

Le théâtre représente une salle du château donnant sur le parc ; porte au fond, portes à droite et à gauche.

 

 

Scène première

 

LE MARQUIS PLUSIEURS DOMESTIQUES, puis LOUISON

 

CHŒUR DES DOMESTIQUES.

Air : Allons, amis, point de tristesse. (La Savon nette Impériale.)

Jamais, non, non, jamais de grâce
Pour l’insolent que l’on va châtier !
Nous allons voir punir l’audace
De ce coquin de braconnier.

LOUISON, entrant, un petit panier au bras.

Que signifie un bruit semblable ?...
Qu’est-c’ que je vois ? c’est monseigneur...
Dieux ! quels regards ! quelle fureur !...

LE MARQUIS, sans la voir.

Oui, je dois être inexorable,
Je dois sévir avec rigueur.
Qu’on introduise le coupable...
Mon arrêt d’avance est rendu :
Je veux, morbleu ! c’est entendu,
Qu’il soit pendu !

LOUISON.

Pendu !... qui donc, pendu ?

CHŒUR.

Jamais... non, non, jamais de grâce ! etc.

Les domestiques sortent.

LE MARQUIS.

Bientôt ces manants-là viendront braconner jusque sous mes fenêtres !...

Apercevant Louison.

Ah ! c’est toi, Louison... Eh bien ! on dirait que tu as peur ?...

LOUISON.

Dam !... monseigneur paraît si fort en colère !...

LE MARQUIS.

Et tu arrives à propos... il fallait ta jolie petite mine pour me calmer.

LOUISON, faisant la révérence.

Monseigneur est bien honnête...

Le marquis marche avec agitation et d’un air courroucé.

LE MARQUIS.

Mais le drôle n’y perdra rien... Il faut un exemple... Nous verrons si ces coquins de paysans oseront encore chasser sur les terres du marquis de Pretintaille !...

LOUISON.

Là !... faut-il qu’ils aiment vos lapins, dans le village ?... ils sont tous après... comme des enragés, quoi !... 

LE MARQUIS.

Mais enfin, j’en tiens un... et celui-là va payer pour les autres.

LOUISON.

Il ne l’aura pas volé !... c’est il pas une horreur de tuer ces pauvres petites bêtes qui ne font de mal à personne ?...

LE MARQUIS.

Aussi bonne que jolie, friponne...

LOUISON.

Pardon, monseigneur... faut que j’aille porter les œufs frais de la ferme...

LE MARQUIS.

À qui donc ?...

LOUISON.

À madame la marquise.

LE MARQUIS.

À ma femme ?... Tu es toujours pressée de me quitter pour elle, qui ne t’aime pas autant que moi...

LOUISON.

Dam !... monseigneur... c’est vrai qu’elle ne me prend pas le menton comme vous...

LE MARQUIS.

Palsambleu !... je te crois... La marquise de Pretintaille !

Air : Adieu, je vous fuis, bois charmants.

Elle te parle avec dédain...
Elle, si hautaine, si fière,
Toucherait de sa noble main
Le menton d’une roturière !...
Ses trente quartiers bien acquis
Ont mis trop d’orgueil en son âme...

Il lui prend la taille.

LOUISON, se défendant.

Il paraît que monsieur l’ marquis
À moins de quartiers que sa femme

LE MARQUIS.

Tu me dis ça, méchante, parce que je trouve gentil de déroger, de me mésallier de temps en temps, avec de jolies filles comme toi... Ça leur fait honneur, et ça me fait plaisir... c’est tout profit.

LOUISON.

Mais, dites donc, si Mme la marquise trouvait aussi gentil de déroger pour son compte et pour son profit ?... Dam ! pour se venger...

LE MARQUIS.

Ah ! oui... la peine du talion... ce serait drôle tout juste... Par exemple, je suis tranquille sur ce point... Si jamais il m’arrivait un accident... fort improbable... je serais sûr, au moins, de le devoir à un homme de ma condition, d’avoir un rival de bonne maison, qualifié et blasonné... c’est une consolation... Nous autres gentilshommes, c’est différent... nous ne descendons pas, nous élevons jusqu’à nous... et si ma petite Louison désire s’élever...

LOUISON.

Du tout, monseigneur... je ne suis pas ambitieuse... et pourvu que j’épouse Jean Grivet...

LE MARQUIS.

Hein ?... Jean Grivet ?... quel est ce manant-là ?...

LOUISON.

C’est celui que j’aime, monseigneur... et il ne tient qu’à vous que ça ait des suites... Si vous lui donniez seulement une place de fermier ou de garde-chasse...

LE MARQUIS.

Lui donner une place ?... moi ?... Eh ! mais, on pourrait voir...

Lui prenant la taille.

Et je...

LOUISON.

On vient, monseigneur !...

LE MARQUIS, avec humeur.

Peste soit !...

 

 

Scène II

 

LES MÊMES, JEAN GRIVET, DOMESTIQUES, LE GARDE-CHASSE

 

Le garde porte un fusil et tin lapin ; deux domestiques tiennent Jean Grivet par le collet.

DOMESTIQUES, en dehors.

Drôle !... misérable !...

LE MARQUIS.

Ah ! ah !... c’est mon criminel qu’on amène... voilà ma colère qui me reprend... Tenez-le ferme... Un siège, bien...

À Louison.

Va chez la marquise...

LOUISON.

Mais, monseigneur, je suis curieuse... et maintenant que nous ne sommes plus seuls...

LE GARDE.

Amenez le criminel devant monseigneur.

Jean paraît.

LOUISON, se retournant vivement.

Ciel ! 

LE MARQUIS.

Qu’est-ce ?

LOUISON.

Ah ! monseigneur... c’est lui !... c’est Jean Grivet !...

JEAN, l’apercevant.

Tiens !... Louison !...

LE MARQUIS.

Comment !... ce braconnier ?... C’est pour un braconnier que tu me demandes la place de garde-chasse ?... il débute bien !...

JEAN, aux domestiques.

Laissez-moi donc tranquille, avec votre lapin... il n’y a pas de quoi fouetter un chat !

Bas à Louison.

Dis donc... parle pour moi... soutiens-moi ferme... c’est pour une bêtise... un lapin qui s’est trouvé dans la futaie, et que j’ai...

LE MARQUIS.

Ah ! ah ! coquin !...

Jean se retire vivement.

Te voilà donc enfin pris en flagrant délit !...

JEAN, prenant l’air naïf.

Flagrant délit ?... Je ne sais pas, monseigneur... mais moi innocent, incapable...

LE MARQUIS.

Hein ?... tu oses te dire innocent ?...

LOUISON.

C’est vrai ça, qu’il l’est...

LE MARQUIS.

Silence, Louison !...

LE GARDE.

Silence !...

LE MARQUIS.

Et ce lapin... qui l’a tué ?...

JEAN.

Pas moi, monseigneur... incapable.

LE MARQUIS.

Pas toi ?

JEAN.

Vrai !... j’aime plutôt pas le bon Dieu.

LE MARQUIS, avec impatience.

Mais qui donc ?... qui donc ?...

JEAN.

Dam !... c’est le fusil.

TOUS, riant.

Ah !... ah !... ah !... ah !...

LE MARQUIS.

Mais, le fusil, coquin !... c’est toi qui l’as tiré.

JEAN.

Bien innocemment, allez,  monseigneur... sans intention de mal faire.

LOUISON.

Oh ! pour ça, monseigneur, je vous jure...

LE MARQUIS.

Silence, Louison !...

LE GARDE.

Silence !...

LE MARQUIS.

Parbleu !... voilà qui est fort... et je serais curieux de savoir comment tu te justifieras...

Montrant le lapin.

car enfin, tu as tiré dessus.

JEAN.

Sur ce lapin, monseigneur ?... incapable... et je peux ben dire que quand sur la chose est arrivée, j’ai été encore plus vexé que lui.

LE MARQUIS.

Tu vas me prouver, peut-être, que c’est sa faute ?...

JEAN.

Oui, monseigneur, oui, c’est sa faute... Je ne lui en veux pas, à ce lapin... j’ai égard à son malheur... mais c’est lui qui a tort.

LE MARQUIS.

Ces manants sont d’une mauvaise foi !...

LOUISON, bas à Jean.

Va donc !... va donc !...

Elle l’engage à s’approcher du marquis.

JEAN.

Voilà ce que c’est... Je m’en allais donc porter ce fusil à Pierre Chenu, du village voisin... un grand sec... qui boit, qui boit...

Mouvement du marquis.

Enfin, c’est égal... Je traversais donc votre grande futaie... sans plus songer aux lapins... Qu’est-ce que ça me fait, les lapins ? Est-ce que ça me regarde, les lapins ?... J’y pensais si peu que je chantais à tue-tête...

Il chante.

Petits oiseaux dans le bocage...

LE MARQUIS.

Assez !... assez !...

JEAN.

Vous voyez, monseigneur, qu’il n’y a pas de lapins dans c’te chanson-là...

LOUISON.

Pas seulement la queue d’un.

LE MARQUIS.

Silence, Louison !...

LE GARDE.

Silence !...

JEAN.

Je marchais donc... avec mon fusil... le fusil de Pierre Chenu... sans me douter qu’il était chargé... C’est vrai, je ne pouvais pas deviner ça... Tout en marchant, je m’amusais avec le fusil... quand devant moi... v’là un fossé... le fossé de la Grenouillère... Tu sais, Louison... C’est là qu’il faut faire un fameux saut... et je l’ai fait... Écoutez donc, un saut, monseigneur, ça ne peut faire de mal à personne.

LE MARQUIS.

Eh !... qui est-ce qui te dit ?...

JEAN.

Eh ben !...v’là ce qui vous trompe... en sautant, je tombe sur mon nez, et mon fusil sur son chien... en me relevant, j’appuie sur la détente... là... pour m’aider... et tout-à-coup... pan !... le coup part... que j’en reste de là, comme une bête... Ces gredins d’fusils !... ils n’en font jamais d’autres... n’est-ce pas, Louison ?

LE MARQUIS.

Mais, le lapin, misérable ! le lapin... il est donc venu de lui même se placer au bout de ton fusil ?...

JEAN.

Juste, monseigneur !... hein ! quelle imprudence !... voilà comme ils sont tous, vos lapins... ils se promènent les bras croisés, ils viennent se fourrer dans vos jambes...

LOUISON.

Et ils ne prennent pas plus précautions...

LE MARQUIS.

Silence, Louison !...

À Jean.

Mais à ce compte, tu aurais dû l’atteindre à la tête... tandis qu’il est prouvé par les pièces qu’il a été frappé... de l’autre côté.

JEAN.

Dam !... monseigneur... c’est qu’il se sera retourné en me voyant.

LE MARQUIS.

Et toi... tu ne l’as pas aperçu ?...

JEAN.

Si fait, monseigneur... mais seulement quand il était mort... Alors, j’ai poussé des cris... mais des cris !... demandez à votre garde-chasse, que ça a fait venir... pour me prendre au collet... à preuve, que je l’ai laissé faire sans la moindre résistance...

LE GARDE.

Oui, avec deux coups de poing qu’il m’a détachés...

JEAN.

Innocemment, monseigneur... Dans mon désespoir d’avoir tué ce pauvre petit animal du bon Dieu, je me démenais comme ça... et votre garde...

LE MARQUIS.

S’est trouvé sur le pas sage de tes poings ?... comme mon lapin le passage de ton fusil...

JEAN.

Voilà... faut-il que j’aie du malheur !...

Air de Sommeiller encor, ma chère.

Je ne suis pas du tout coupable
De ces événements fâcheux :
Le hasard est seul responsable,
Et je dis qu’tout est pour le mieux.

LE MARQUIS.

Comment cela ?...

JEAN.

Jugez-en, de grâce :
L’hasard pouvait vouloir, enfin,
Que le coup d’feu fût pour le garde-chasse,
Et l’coup de poing pour le lapin !

LE MARQUIS.

Eh bien !... la prison du à château va se trouver sur ton passage, aussi par hasard... et tu y resteras au pain et à l’eau, en attendant que je t’envoie au baillage... pour qu’on te pende, drôle que tu es...

LOUISON.

Ô ciel !...

JEAN, à moitié pleurant.

Je ne suis pas drôle du tout, monseigneur... et quand je serai pendu, je le serai bien moins encore.

LOUISON, de même.

Ah !... monseigneur...

LE MARQUIS.

C’est bien... c’est bien.

CHŒUR.

Air : Je ne puis croire, etc. (Turiaf.)

C’est un arrêt plein de justice,
Point de pitié, point de pardon ;
À monseigneur qu’on obéisse,
Allons, marchons vite en prison.

 

 

Scène III

 

LES MÊMES, LA MARQUISE, en riche toilette, fourreau à panier, et un éventail à la main

 

LA MARQUISE.

Ah ! Dieu !... quel bruit !... quels cris assourdissants, marquis !...

Air : Vils roturiers, etc.

Que se passe-t-il donc ? parlez...
Pourquoi tons ces gens rassemblés ?
Que fait ici cette canaille ?...
Ô ciel ! chez moi des paysans !...
Quelle horreur... sortez tous, manants...
Vils roturiers,
Respectez les quartiers
De la marquise de Pretintaille.

LE MARQUIS, aux gardes.

Allez... allez donc... et au cachot !...

Chœur.

LES DOMESTIQUES.

C’est un arrêt plein de justice, etc.

Le garde et les domestiques emmènent Jean.

 

 

Scène IV

 

LE MARQUIS, LA MARQUISE, LOUISON

 

LOUISON, à part.

Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !... on l’emmène en prison !...

LA MARQUISE, s’éventant.

Eh ! quoi ! monsieur le marquis, vous souffrez qu’on amène ici de ces gens-là... à deux pas de mes appartements... dans l’air que je respire !...

LE MARQUIS.

C’était un braconnier...

LA MARQUISE.

Fi donc !...

Apercevant Louison.

Qu’est-ce encore, petite ?...

LOUISON, s’essuyant les yeux.

Les œufs frais que j’apporte à madame la marquise...

LA MARQUISE.

Bien...

La regardant.

Elle a du chagrin, je crois... hier, elle riait comme une folle... elle est bien heureuse... ça la change un peu... moi, je m’ennuie toujours...

Regardant le marquis.

toujours... ça ne change pas...

Elle se regarde dans une glace.

LOUISON, s’approchant du marquis et à mi-voix.

Ah ! monseigneur... si j’osais vous supplier...

LE MARQUIS, de même.

Supplie, mon enfant, supplie... tu sais que j’ai un faible pour toi...

Il lui prend la taille.

LA MARQUISE, sans se déranger.

Marquis... marquis, je vous vois.

LE MARQUIS surpris.

Comment ?...

LA MARQUISE.

Je vous vois parfaitement dans la glace...

LE MARQUIS.

Quoi donc, marquise ?... je disais seulement à cette petite...

LA MARQUISE.

C’est bon, c’est bon.

À Louison.

Va-t’en.

LOUISON, sortant, à part.

Oh !... il faut que j’aie sa grâce ; il le faut... ou j’en mourrai de chagrin.

Elle sort.

 

 

Scène V

 

LE MARQUIS, LA MARQUISE

 

LE MARQUIS.

Je n’ai assisté pas ce matin à votre lever, et je réclame la faveur...

Il va pour lui baiser la main.

LA MARQUISE, retirant sa main.

Ah !... fi !... vous sentez le peuple...

Elle s’assied sur un canapé, et se met à bâiller en jouant avec son éventail.

LE MARQUIS, à part.

Voilà la journée qui commence exactement comme hier, avant-hier... et toujours en remontant.

Haut.

Vous avez aujourd’hui votre migraine, marquise ?

LA MARQUISE.

Des vapeurs insupportables... les nerfs dans un état... affreux.

LE MARQUIS, à part.

Toujours comme hier, avant-hier... et cætera...

LA MARQUISE.

Air du premier prix.

Mon Dieu ! mon Dieu ! la triste vie !
Il n’est plus de bonheur pour moi ;
Tout me déplait et tout m’ennuie.

LE MARQUIS.

Vous vous ennuyez !... et pourquoi ?
Ici tout marche à votre guise...

LA MARQUISE.

Sans doute... le mal n’est pas là.

LE MARQUIS.

Je ne vous quitte plus, marquise.

LA MARQUISE, à demi-voix.

Eh ! mais, c’est peut-être pour ça.

LE MARQUIS.

Plaît-il ?... vous dites...

LA MARQUISE.

Que vous n’êtes pas amusant du tout... un mari !... et un mari chasseur !... qui ne sait vous parler que de chiens, de cerfs aux abois... qui s’endort de fatigue après dîner, pour rêver à ses bêtes, et se réveille en sursaut pour me faire peur... si vous croyez que c’est divertissant...

LE MARQUIS.

C’est vrai... c’est vrai... mais je veux vous entourer de plaisirs, donner des fêtes, réunir autour de vous tout le voisinage.

LA MARQUISE.

Qui ?... de petits hobereaux, qui n’ont que la cape et l’épée... et leurs pimbêches de femmes !... la finance de bas étage... et après ça... quoi ?... des paysans... ah !...

LE MARQUIS.

Dam, marquise, je ne peux pas vous rendre ici vos soupirants, vos adorateurs de Versailles.

LA MARQUISE.

Et qui vous dit que je les regrette ?... une foule de petits gentilshommes bien minces, bien nuls, bien monotones... espèces de poupées musquées et poudrées... qui soupirent tous dans la même note, vous adorent avec les mêmes phrases, et déposent à vos pieds un cœur dont la température est toujours la même, invariable... Chaque nouvelle passion est l’écho de la précédente, qui n’était elle même que la répétition de mille autres... Je bâille, rien que de penser à ces amours-là... je crois que j’aime autant le vôtre !

LE MARQUIS.

Merci... vous êtes bien bonne... Que faire pour vous distraire ?

LA MARQUISE.

Franchement, marquis, je n’ai jamais compté sur vous pour ça.

LE MARQUIS.

Oh ! il vous faudrait du nouveau... de l’extraordinaire... du merveilleux.

LA MARQUISE.

Mais, oui... j’aimerais assez le merveilleux !

LE MARQUIS.

Comme hier... ce cheval qui vous emporte... la frayeur qui vous fait perdre vos sens... un chevalier errant qui tombe des nues pour arrêter votre palefroi, vous prendre dans ses bras et vous déposer, évanouie, dans le pavillon du parc...

LA MARQUISE.

Et partir, s’éloigner, sans se faire connaitre !...

LE MARQUIS.

Vous en êtes fâchée ?...

LA MARQUISE.

Certainement... je l’aurais vu au moins... Il doit avoir quelque chose de chevaleresque... Ce ne peut-être qu’un gentilhomme...

LA MARQUISE.

Ou un imbécile...

LA MARQUISE.

Air : Vaudeville du Baiser au porteur.

Ingrat !... Sans témoins, sans défense,
Que pouvais-je lui refuser...
S’il eût à ma reconnaissance
Demandé... que sais-je ?... un baiser ?...

LE MARQUIS.

De vous, marquise, exiger un baiser !

LA MARQUISE.

Que voulez-vous ?... c’était justice.

LE MARQUIS.

Quoi ! vous l’auriez accordé ?

LA MARQUISE,

Le moyen
De refuser, pour un si grand service,
Ce qu’on donne souvent pour rien ?

 

 

Scène VI

 

LE MARQUIS, LA MARQUISE, LOUISON

 

LA MARQUISE.

Qu’est-ce ?... encore cette petite !

LOUISON.

C’est une lettre qu’on vient d’apporter pour Mme la marquise.

LA MARQUISE, la prenant.

Une lettre ?... donne... Ah ! quelle odeur de musc et d’ambre !...

Elle l’ouvre et en parcourt le contenu.

LOUISON, bas au marquis.

Il est en prison... Jean Grivet...

LA MARQUISE, avec joie.

Ciel !... c’est de lui !... de mon cousin !...

LE MARQUIS.

Du chevalier de Champfleury ?...

LA MARQUISE.

Eh ! oui... il est près d’ici, dans son château... Ce cher Hector !... Il va venir, voyez !... il me demande la permission de me présenter ses hommages.

LE MARQUIS.

Que le diable l’emporte !...

LA MARQUISE.

À la bonne heure, au moins... voilà une figure à voir... c’est un dédommagement... avec ses bonnes gros  ses joues, si fraîches, si rosées... son air de santé et de bonne humeur...

LE MARQUIS.

Oui, je me souviens... vous l’aviez surnommé le petit chanoine.

LA MARQUISE.

Et une tournure si élégante !...

LE MARQUIS.

Vous n’étiez pas insensible...

LA MARQUISE, sévèrement.

Hein ! plaît-il ?... croyez-vous que ce fût cela que j’ai mais en lui ?... avez-vous oublié cette grâce touchante, cet air naïf et timide... et le bien que nous répandions ensemble autour de nous ?... voilà des souvenirs qui restent là, dans le cœur... Eh ! mais, j’y pense, c’est lui !... oh ! oui, ce ne peut être que lui !...

LE MARQUIS.

Quoi donc ?...

LA MARQUISE.

Comment !... vous ne comprenez pas ?... lui, qui s’est trouvé hier sur ma route, qui m’a sauvé la vie, qui m’a enlevée dans ses bras...

LE MARQUIS.

Vous croyez ?...

LA MARQUISE.

Au fait, j’aime mieux que ce soit lui qu’un autre... à cause de la reconnaissance.

LOUISON.

On est là... on attend la réponse de Mme la marquise...

LE MARQUIS, vivement.

Je vais l’écrire...

À part.

Une lettre un peu sèche...

LA MARQUISE.

Dites-lui que je l’attends avec impatience...

LE MARQUIS.

Oui, marquise... soyez tranquille, soyez tranquille...

À part.

Un chevau-léger !... comme c’est rassurant !...

Il sort.

 

 

Scène VII

 

LA MARQUISE, LOUISON

 

LA MARQUISE.

Oh ! non, non, il est froid, glacial... il ne lui dira pas ce qu’il faut lui dire, ce qu’un cœur tendre sent si bien !... attendez...

LOUISON, à part.

Oh ! oui, je reste... il faut absolument que je parle.

LA MARQUISE, écrivant.

Ce bon chevalier !... il avait l’esprit si délicat !...

À Louison.

Tiens, tiens... remets cette lettre à ce domestique sur-le-champ...

Louison remet la lettre au domestique. La marquise continue

Il me semble le voir, là, près de moi...

Air.

Il fixait sur moi ses grands yeux,
Tout plein d’amour et d’innocence...
Fort heureusement pour nous deux,
Tremblant, il gardait le silence.
Mais Paris a dû l’amender,
Et je vois, son retour l’annonce,
Qu’à ce qu’il n’osait demander
Il vient chercher une réponse.

LOUISON, au fond, toussant.

Hum !... hum !...

LA MARQUISE.

Encore là, Louison ?...

LOUISON.

Madame la marquise...

LA MARQUISE.

Approche... ne tremble pas... que veux-tu ?... voyons, parle...

LOUISON.

C’est une grâce, madame la marquise, que je voudrais vous demander... mais je n’ose pas...

LA MARQUISE.

Demande, petite, demande... le moment est bon... Une grâce ? pour toi ?...

LOUISON.

Non, madame la marquise... pour un autre... un gros, qui était là, ce matin... quand vous avez dit : quelle horreur !...

LA MARQUISE.

Ah ! ce paysan... je ne l’ai pas vu.

LOUISON.

Tant pis.

LA MARQUISE.

Hein ?...

LOUISON.

Je dis : tant pis... pour lui... ça lui aurait fait du bien... et ça n’aurait pas fait de mal à madame la marquise... parce qu’un joli garçon... c’est toujours bon à voir.

LA MARQUISE.

Ah ! ah !... c’est un joli garçon ?...

LOUISON.

Superbe... et madame aurait fait quelque chose pour lui, j’en suis sûre.

LA MARQUISE.

Pour un paysan ?... je ne crois pas.

LOUISON.

Ah ! madame, il est si malheureux !... et moi de même, par contrecoup... Jugé et condamné à la prison, au pain et à l’eau ! et il sera conduit au baillage !... et il sera peut-être pendu !... et tout ça pour un lapin, un méchant lapin, qu’il a tué, sans le vouloir !...

LA MARQUISE.

Et tu t’intéresses donc beaucoup à ce jeune braconnier ?...

LOUISON.

Oh ! oui... et fièrement encore... et toutes les filles du pays de même... que c’est une désolation... Ce pauvre Jean Grivet !... Il ne vivra jamais de pain sec et d’eau claire... il mourra plutôt.

LA MARQUISE.

Il est donc bien délicat ton Jean Grivet ?

LOUISON.

Lui !... il est douillet, douillet !... Dam ! c’est tout simple... quand on est habitué à être cajolé, mijoté par toutes les filles, femmes, veuves, et cætera... Lui en donnent-elles, des friandises et des douceurs !...

LA MARQUISE.

Ah !... oui-dà ? M. Grivet est donc... comme vous dites, vous autres petites gens... le coq du village ?...

LOUISON.

Il est le coq... oh ! ça, c’est vrai, qu’elles en sont toutes folles... elles se l’arrachent.

LA MARQUISE.

Et il les a aimées toutes ?...

LOUISON.

Toutes... c’est-à-dire, les unes après les autres... mais à présent, je suis sûre...

LA MARQUISE.

Je suis fâchée de ne pas l’avoir regardé... ce doit être plaisant, un paysan, un rustre qui inspire de l’amour... à ces femmes-là.

LOUISON.

Dam ! c’est qu’il est bien... une bonne figure, de belles couleurs... et puis, des yeux, qui vous disent des choses !... avec ça qu’il a des dents, qui vous donneraient envie d’être mangé, quoi !...

LA MARQUISE.

Oui... je comprends.

À part.

Comme Hector de Champfleury...

LOUISON.

Mais, c’est à la danse surtout qu’il faut le voir...

LA MARQUISE.

Ah !... c’est un beau danseur ?...

LOUISON.

Lui !... Jean Grivet !... c’est-à-dire qu’on fait cercle pour le regarder... comme il est découplé !... comme il vous détache une sauteuse !... et puis, à la fin, il vous prend sa danseuse par la taille et vous la tient en l’air, le temps de dire un pater et deux ave... Et si madame l’entendait chanter au lutrin donc !!...

LA MARQUISE.

Ah ! ça ! mais, c’est un homme universel... Il a une belle voix ?...

LOUISON.

Une voix magnifique...qui fait trembler les vitraux... et tout de suite après, des petits sons doux comme miel... qui vous vont droit au cour... que ça vous procure un tic-tac... oh ! queu tic-tac !

LA MARQUISE.

Quelle chaleur !...

LOUISON.

Dam !... ce gars-là, voyez vous... il vous ensorcelle... il a pour ça des regards si tendres... des mots si jolis !... pour lui résister, il ne faudrait pas avoir de cœur... et on en a généralement chez nous.

LA MARQUISE, rêveuse.

Vous êtes bien heureuses... et en vérité, je n’aurais jamais pensé qu’il y eût si près de moi un homme à bonnes fortunes... Ce doit être amusant... et moins fade qu’à l’Œil-de-Bœuf.

LOUISON.

Si madame la marquise voulait le voir...

LA MARQUISE.

Jean Grivet ?... mais je n’aime pas à voir les vilains de si près... Celui-là a des qualités... à la bonne heure... Je ferai quelque chose pour lui, et d’abord...

Elle écrit sur un petit souvenir.

LOUISON.

Il sortira de prison ?...

LA MARQUISE.

Oui, provisoirement... pour demander sa grâce.

LOUISON.

Ah ! madame la marquise !...

LA MARQUISE.

Oh ! ce n’est pas moi qu’il faut remercier... c’est lui, mon cousin... Et puis, quand je suis heureuse, je ne sais rien refuser.

 

 

Scène VIII

 

LA MARQUISE, LOUISON, LE MARQUIS, puis LE CHEVALIER

 

LE MARQUIS, avec dépit.

Le voici !... ma foi, il n’a pas perdu de temps...

LA MARQUISE.

Qui donc ?...

LE MARQUIS.

Eh ! lui, le chevalier, votre cousin...

LA MARQUISE.

Vrai ?... déjà !...

À part.

Ah ! j’éprouve un trouble... une émotion !... je crois que je vais me trouver mal...

LE MARQUIS.

Eh ! mais... qu’avez-vous donc ?

LA MARQUISE.

Rien... rien... un éblouissement...

LOUISON.

Madame la marquise...

LA MARQUISE, lui donnant le souvenir.

Ah ! tiens... pour la mise en liberté de ce paysan... on l’entendra, et s’il mérite sa grâce...

LE MARQUIS.

La grâce de mon braconnier ?... je verrai...

Bas à Louison.

si on me la demande, à moi.

LE CHEVALIER, en dehors.

Eh ! oui, palsambleu ! c’est moi... bonjour, bonjour !

LA MARQUISE.

C’est sa voix !

LE MARQUIS.

Ah ! ah !... votre petit chanoine.

LA MARQUISE.

Si frais, si gentil !... Courons !...

Elle va pour sortir. Le chevalier paraît, pâle, maigre, efflanqué.

LE CHEVALIER, entrant.

Bien, bien. Ces animaux-là, ils ont une manière de rire qui ressemble à de l’impertinence.

LA MARQUISE, reculant.

Juste ciel !... que vois-je ?...

LE MARQUIS, de même.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

LOUISON.

Est-il efflanqué, le cousin !...

Elle sort.

 

 

Scène IX

 

LE MARQUIS, LA MARQUISE, LE CHEVALIER

 

LE CHEVALIER, avec admiration, et s’avançant pour lui baiser la main.

Oh ! oh !... c’est elle !... la marquise !... oh !...

LA MARQUISE, s’éloignant.

Monsieur est sans doute un ami...

LE MARQUIS.

De notre cousin, le chevalier de Champ-Fleury ?

LE CHEVALIER.

Mieux que ça... oh ! oh !... je suis le chevalier lui-même, en chair et en os.

LE MARQUIS.

Pas possible !...

LA MARQUISE, à part.

Ah ! l’horreur !...

LE CHEVALIER.

Hein ?...

LE MARQUIS, riant aux éclats.

Ah ! ah ! ah !...

LE CHEVALIER, se laissant aller.

Ah ! ah !... ah !...

La marquise s’efforce de sou rire.

Bah !... bah !... vous ne m’avez pas reconnu ?... comme ces brutes de paysans... qui m’ont trouvé fondu, fondu...

LE MARQUIS.

Le fait est que vous êtes réduit des trois quarts.

LA MARQUISE, à part.

Dieu !... qu’il est laid !... qu’il est laid !...

LE CHEVALIER.

N’est-ce pas ?... c’est pour cela que je viens me renfermer dans ma châtellenie...

LE MARQUIS.

Comme un sage.

LE CHEVALIER.

Pas de la Grèce...

Riant.

oh ! oh ! oh !... J’enverrai celui-là à mon ami, M. de Bièvre... c’est un calembour... mode nouvelle... Mais comme vous me regardez !... Je suis mieux... hein ?... beau coup mieux ?... Ah ! diable ! c’est que je ne suis plus ce gros enfant, bien innocent, bien candide, et rond comme une pelote... J’étais une vraie pelote... avec des couleurs de paysan.

LE MARQUIS.

C’est vrai...

LE CHEVALIER.

Et quelle ingénuité !...  j’en étais bête... bête comme tout... Je suis bien changé...

LA MARQUISE.

Mais non... pas trop...

LE CHEVALIER.

Si fait... au physique et au moral... mon moral surtout n’est pas reconnaissable... Je suis un scélérat de roué, comme mon ami Richelieu... je ne vaux pas le diable, vrai, ma parole d’honneur !... C’est étonnant comme Paris m’a formé, reformé et déformé... avec ses petits soupers, ses grandes orgies... et cætera... Ah !... ah !... ah !...

LE MARQUIS, riant aussi.

Ah !... ah !... ah !...

LA MARQUISE, sévèrement.

Chevalier !...

LE CHEVALIER.

Pardon, pardon...

À part.

Elle est bégueule !... je n’aime pas ça...

LA MARQUISE, à part.

Ah ! quel ton !... quelles manières !...

LE MARQUIS.

Et à présent, vous êtes le gentilhomme le plus pâle... le plus maigre... le plus...

LE CHEVALIER, toussant.

Hum !...hum !... étique, mon très cher !... hum !... hum !... Je vis de jujubes et de laits de poule.

LE MARQUIS.

Ce qui m’étonne, c’est qu’avec cette santé si frêle, vous ayez eu hier la force d’arrêter ce cheval emporté...

LE CHEVALIER.

Hein !... moi ?... quel cheval ?...

LA MARQUISE, l’observant.

D’enlever dans vos bras une femme évanouie !...

LE MARQUIS.

Sans respect pour ses quartiers !

LE CHEVALIER, étonné.

Quelle femme ?

LE MARQUIS.

Ce n’est donc pas vous ?...

À part.

J’en étais sûr !...

LA MARQUISE, à part.

J’en suis bien aise... Mais qui donc ?

LE CHEVALIER.

Ah ! ça... quelle diable d’histoire me faites-vous donc là ?... ah ! bien, oui... courir les champs, rattraper les chevaux, soutenir les femmes évanouies !... moi, qui me soutiens à peine !... Vrai... je n’ai plus que le souffle... Je viens dans mon château pour me reposer... C’est la Duthé qui m’a dit l’autre jour : « Chevalier, tu mourras sous le harnais... va-t’en au vert, mon cher, va-t’en au vert. »

Riant.

Ah ! ah ! ah ! ah !... et je viens ne mettre au vert.

LA MARQUISE.

Au vert ?...

LE MARQUIS, riant.

Ah !... ah !... ah !... Dites donc, en attendant, voulez-vous accepter quelque chose de chaud, chevalier ?

LE CHEVALIER.

Très volontiers... un bouillon... je ne vis que de ça...je suis un homme consommé... Ah ! encore un, que je dirai à mon ami, M. de Bièvre... À propos, je soupe avec vous... c’est mon seul repas... Je me grise... ça fait dormir ferme... La marquise sera des nôtres...

LA MARQUISE.

Impossible, chevalier... je vais ce soir à la chapelle qui est près de la grille du parc... où l’on doit m’attendre.

LE MARQUIS, à part.

Bravo !...

LE CHEVALIER.

Bah !...

LE MARQUIS, à part.

Pauvre chevau-léger !... je puis aller à la chasse...

Haut.

Venez-vous, chevalier ?

LE CHEVALIER.

À l’instant...

Bas à la marquise.

Mais je vous reverrai, mon adorée !... il le faut... Cette lettre que j’ai reçue, cette lettre charmante !...

LA MARQUISE, à part.

Ô ciel !... imprudente !

LE CHEVALIER.

Hum !... hum !... je n’en puis plus... je suis mort !...

Il tousse plus fort.

Hum !... hum !...

LA MARQUISE.

Il a la coqueluche !...

Ensemble.

Air : Contredanse de Musard.

LA MARQUISE.

Peut-on changer ainsi !
Et devais-je m’attendre
À le revoir ici
Tout comme le voici ?

LE MARQUIS.

Peut-on changer ainsi !
C’est bien fait pour surprendre :
Mais de le voir ainsi,
Pour moi, je suis ravi.

LE CHEVALIER.

Je le vois bien, ici,
On ne pouvait s’attendre
À me revoir ainsi,
Pâle, maigre et flétri.

LA MARQUISE, à part.

Ah ! grand Dieu ! voyez comme
Un pauvre gentilhomme
Nous revient de Paris !
De l’Opéra voilà les fruits !

Reprise de l’ensemble.

LA MARQUISE.

Peut-on changer ainsi, etc.

LE MARQUIS.

Peut-on changer ainsi, etc.

LE CHEVALIER.

Je le vois bien, ici, etc.

Il sort avec le marquis.

 

 

Scène X

 

LA MARQUISE, puis LOUISON, JEAN GRIVET

 

LA MARQUISE, seule d’abord.

Au vert !... on l’envoie au vert !... Et quel changement !... il a perdu cette grâce, cette naïveté que j’aimais en lui... c’est un sot, maintenant... Et la lettre que je lui avais écrite !... s’il en abusait contre moi !... il est capable de tout... au vert !...

LOUISON, entrant, à Jean.

Allons, entre, ne crains rien...

LA MARQUISE.

Qui est là ?... ah ! c’est toi...

LOUISON.

C’est lui... Jean Grivet...

LA MARQUISE.

Ah !...

Ensemble. 

Air : Ô ciel ! qu’entends-je ? eh quoi ! c’est elle. (Changée en Nourrice.)

Approche ici, calme ta peine,
Et que l’espoir rentre en ton cœur.
Je suis, dit-on, fière et hautaine :
Je veux montrer de la douceur ;
Allons, bannis toute frayeur.

JEAN, à part.

Quoi ! c’est ici qu’on me ramène !
Près d’elle ! ô ciel ! je meurs de peur.
Elle est si fière et si hautaine !
Je tremble et j’sens battre mon cœur ;
Près d’ell’ mon cœur bat de frayeur.

LOUISON.

Déjà j’éprouve moins de peine,
Déjà l’espoir rentre en mon cœur,
Elle est, dit-on, fière et hautaine,
Chacun se plaint de sa rigueur...
Voyez pourtant quelle douceur !

Bas à Jean.

Elle m’a promis de t’entendre :
Plaide ta cause avec chaleur ;
Surtout, prends cette voix si tendre,
Qui n’ manqu’ jamais d’aller au cœur.

Bas et parle, pendant la rentrée de musique.

Allons, ferme !... du courage !... prie-la bien fort... Je vas voir l’autre... le marquis...

Reprise de l’ensemble.

Déjà j’éprouve moins de peine, etc.

LA MARQUISE.

Approche ici... calme ta peine, etc.

JEAN.

Quoi ! c’est ici qu’on me ramène, etc.

Louison sort.

 

 

Scène XI

 

LA MARQUISE, JEAN

 

LA MARQUISE, le regardant, et à part.

Eh ! mais, il n’est pas mal, ce garçon-là... Un paysan !... ah !... fi donc !...

JEAN, à part.

Dieu !... comme elle me regarde en dessous !... c’est mauvais signe.

LA MARQUISE.

Approche.

JEAN, s’oubliant et s’avançant vivement.

Oh ! je ne demande pas mieux...

LA MARQUISE, avec dignité.

Hein !...

JEAN, reculant.

Suffit.

LA MARQUISE.

Tu recules, je crois ?...

JEAN.

Dam !... madame la marquise... c’est que j’ai peur... Dieu ! que j’ai peur !... mes jambes s’en vont, et j’ai des émotions qui me travaillent... qui me travaillent...

LA MARQUISE.

Il paraît que tu ne trembles pas toujours ainsi... Tu as de l’audace... trop d’audace.

JEAN, à part.

Ah ! mon Dieu !... qu’est-ce qu’elle veut dire ?...

LA MARQUISE.

Et tu ne respectes pas ce qui doit être sacré pour toi...

JEAN, à part.

Elle sait tout !...

LA MARQUISE.

Tu as osé...

JEAN.

Je suis perdu !... Grâce, madame la marquise !... grâce !... j’ai pas pu y résister... ça allait comme le vent, madame la marquise... et sans moi...

LA MARQUISE, étonnée.

Et que me faisait, à moi, le lapin que tu as tué ?...

JEAN.

Ah ! bah !... c’est les lapins qui doivent être sacrés ?... je m’ai trompé.

LA MARQUISE.

De quoi donc voulais-tu parler ?

JEAN.

Oh !... de rien, madame la marquise... c’est pas la peine...

LA MARQUISE.

Si fait... explique-toi...

JEAN.

Inutile, madame la marquise.

LA MARQUISE, frappant du pied.

Je le veux !...

JEAN, tremblant.

Dam ! vous vous fâcherez peut-être... mais voyez-vous, ça été plus fort que moi... quand j’ai vu...

LA MARQUISE.

Eh bien ?...

JEAN.

Ce satané cheval, qui vous emportait... brrrr !...

LA MARQUISE, vivement.

Ce cheval, dis-tu ?...

JEAN.

Ma fine, je n’ai pas réfléchi que vous ne voulez pas qu’on vous approche... Je me suis élancé, j’ai saisi la bride... au risque de me faire tuer... mais bah !... je m’inquiétais bien de ça...

LA MARQUISE, à part.

C’était lui !...

JEAN.

Vous étiez évanouie... vous alliez tomber... et alors... c’était bien hardi à moi, madame la marquise !... mais il n’y avait pas moyen de vous prendre sans vous toucher... Vous étiez dans mes bras... votre belle robe de satin toute chiffonnée...

Vivement.

Je n’ai pas regardé, madame la marquise...

LA MARQUISE.

Tu as bien fait... Va toujours !

JEAN.

Alors, j’ai couru... j’ai couru vers la chapelle du parc... où je vous ai déposée, toujours à moitié morte... et en vous demandant pardon d’avoir effleuré, de mes lèvres vos cheveux qui s’étaient dénoués et votre joue si fraîche, si gentille !...

Vivement.

Je ne l’ai pas embrassée, madame la marquise !

LA MARQUISE.

Tant pis pour toi... Continue...

JEAN.

Mais je vous regardais avec des yeux ! oh !... je tenais votre main, et je sentais mon cœur qui battait, battait !... Pardon, madame la marquise...

LA MARQUISE.

Et puis ?...

JEAN, vivement.

Voilà tout... il n’y a rien de plus... je vous ai entendue murmurer bien bas, bien bas...

Fredonnant les paroles de la marquise.

Vils roturiers...
Respectez les...

Et je me suis sauvé... comme si tous les diables de l’enfer étaient à mes trousses.

LA MARQUISE.

Et tu n’as rien dit ?...

JEAN.

Ah ! bien, oui !... j’avais trop peur... Je me rappelais une vieille histoire du village... C’était la bisaïeule de M. le marquis... elle était fière !... fière comme vous...

La marquise le regarde.

Ne faites pas attention... V’là qu’un jour elle tombe... d’une drôle de manière... et un paysan court à son secours... Je ne sais pas comment ça se fit... mais Mme la marquise lui donna de l’or et de l’argent, en veux-tu en voilà, pour lui payer son service... et monseigneur le marquis le fit pendre, pour avoir osé toucher Mme la marquise.

LA MARQUISE.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Approche-toi... de ma reconnaissance
Je veux que tu sois bien certain.

Lui tendant une bourse.

Tiens, prends cet or : voilà ta récompense...
Prends donc... Eh bien ! tu retires ta main ?

JEAN, troublé.

Je tremb’ d’y toucher...

LA MARQUISE, riant.

Quelle frayeur extrême !
Et qu’as-tu donc !

JEAN.

C’est justement comm’ ça
Qu’avec l’ancienn’ ça commença...
Et je crains qu’ ça n’ finisse de même.

La marquise s’approche, lui met la bourse dans la main, puis le regarde en silence.

LA MARQUISE, à part.

C’est qu’il est fort bien... des yeux d’un brillant !...

Haut.

Ne crains rien... je te pardonne.

JEAN, roulant son chapeau.

Puisque je me suis sauvé... dam !... ça coûte un peu.

LA MARQUISE.

Oui... je comprends... à toi, surtout, qui n’es pas habitué à la fuite... Je sais que tu es le coq de ton village...

JEAN, riant.

Oh ! oh ! oh !...

LA MARQUISE, à part.

Il a l’air bête...mais une bonne figure.

Haut.

Tu es, m’a-t-on dit, un séducteur... le favori, l’enfant gâté de toutes les jolies filles de ton endroit.

JEAN, avec satisfaction.

Oh !... alors... si on l’a dit à madame la marquise...

LA MARQUISE, à part.

Eh ! mais ! c’est fat comme un homme qui serait né... Je suis curieuse de savoir comment ça parle d’amour.

JEAN, à part.

Comme elle me regarde donc !... oh ! oh ! oh !...

LA MARQUISE.

Jean Grivet !...

JEAN, reprenant son sérieux.

Madame la marquise !...

LA MARQUISE, le faisant approcher.

Écoute... écoute... Tu as donc, pour les charmer, un langage bien tendre, bien séduisant ?...

JEAN.

Dam !... c’est selon...

LA MARQUISE.

Selon... quoi ?...

JEAN.

C’est selon qu’on a affaire à une fille sage et innocente... parce qu’il y en a dans le nombre... pas beaucoup... mais quelques-unes... ou bien à une femme...

Il hésite.

enfin, vous savez...

LA MARQUISE.

Ah !... oui-dà ?...

JEAN.

Il y a plusieurs façons...

LA MARQUISE.

Voyez-vous ?...

À part.

C’est roué comme un gentilhomme de Versailles.

JEAN, qui la regarde de plus près, à part.

C’est qu’elle est diablement avenante, la marquise !...

LA MARQUISE.

Voyons... explique-moi donc ça.

JEAN.

Oh ! oh ! oh !... j’ose pas...

LA MARQUISE.

Je l’exige.

JEAN.

Alors, j’oserai...

À part.

Tiens ! au fait... pourquoi pas ?... ça rapproche, de causer... et elle a tout ça... et tout ça... si gentil !...

LA MARQUISE.

Eh bien ?...

JEAN.

Eh bien !... supposons, madame la marquise, que je rencontre quelque part... dans le bois, par exemple... C’est souvent dans le bois, à cause... Enfin, je rencontre une fille... femme... ou veuve... n’importe... pourvu qu’elle soit jeune et jolie... comme vous... Ah ! pardon !

LA MARQUISE, à part.

Il ne s’exprime pas mal...

Haut.

Ensuite ?...

JEAN, à part.

Ça ne lui fait rien ?... bon !

Haut.

Faut-il qu’elle soit innocente ?...

LA MARQUISE, riant.

Comme tu voudras.

JEAN, la regardant.

Moi, je veux tout... et ça vous regarde.

LA MARQUISE.

Eh bien !... une innocente... tu n’en auras que plus de mérite.

JEAN.

Et plus de satisfaction. Pour lors, je m’approche d’elle, comme qui dirait de vous...

LA MARQUISE.

Ah !... c’est moi qui suis l’innocente ?...

JEAN.

Oh ! je ne dis pas ça pour humilier madame la marquise.

LA MARQUISE.

Continue...

À part.

C’est drôle...

JEAN.

Je dis donc que je m’approche d’elle, et je fais semblant de ne pas voir... je regarde les étoiles, s’il y en a... ou les arbres, s’il n’y en a pas... mais je vois qu’elle me reluque en dessous... comme v’là madame la marquise.

La marquise, qui le regardait, baisse vivement les yeux.

LA MARQUISE, à part.

Eh ! mais... il m’embarrasse.

JEAN.

Tiens ! que je lui dis : tiens ! c’est vous, Jacquotte !... Je dis Jacquotte, parce qu’il est gentil, ce nom-là... hein ?... Bonjour, Jacquotte !... et elle baisse les yeux, comme v’là madame la marquise. Là dessus, je lui donne une grosse...

Il va pour donner une tape à la marquise, et recule effraye.

Non, non, non... je ne donne rien !...

À part.

J’allais taper, tout d’ même...

LA MARQUISE.

Eh ! bien ?...

JEAN.

Ah !... bonjour, Grivet... qu’elle me répond... Ça entame la conversation... Je lui dis des choses qui me viennent de source...

S’échauffant comme s’il parlait à Jacquotte.

Oh ! que vous êtes bien comme ça !... que vous ayez de jolis yeux, et une taille !... Dieu ! que ce casaquin vous va bien, Jacquotte !...

LA MARQUISE.

Vous êtes bien bon, monsieur Grivet...

JEAN.

Juste !... madame la marquise dit ça comme les autres !...

LA MARQUISE.

Comme Jacquotte ?... tu me flattes.

JEAN.

Oh ! non... parole... C’est pour lors que je lui lance un coup d’œil... oh ! mais un fier coup d’œil... tenez, comme ça... ça lui fait de l’effet, à c’te petite... elle devient rouge comme une pomme d’apis... moi, malin, je profite de ça... je saute comme un possédé, je lui prends la main...

Il s’élance vers la marquise et recule de nouveau avec effroi.

Non, non, non !... je ne prends rien du tout.

LA MARQUISE.

Après... après ?...

JEAN.

Après !...

À part.

ah ! elle a dit : Après !... Bon ! bon ! bon !...

LA MARQUISE.

Jacquotte se fâche et s’enfuit ?...

JEAN.

Du tout... jamais... ah ! bien, oui !

LA MARQUISE.

Comment !... l’innocente ?...

JEAN.

L’innocente reste... Je lui serre la main, ferme... et voyant que j’en tiens, elle me regarde d’un petit air... oh ! quel drôle de petit air...

Voyant la marquise lui sourire.

Tenez, comme ça... juste !... la bouche en cœur... exactement ça... et ses yeux...

LA MARQUISE, le regardant avec plus d’expression.

Ses yeux ?...

JEAN.

Parfaitement ça...

S’animant.

Ces yeux-là, ça me trouble, ça me bouleverse... la tête n’y est plus, la raison va se promener, je ne connais plus rien... Jacquotte ! que je crie, ah ! Jacquotte ! Jacquotte !...

Air : Vils roturiers.

LA MARQUISE.

Et que fais-tu ?...

JEAN.

Ma fine, alors,
Redoublant d’amour, de transports,
Je lui prends hardiment la taille.

LA MARQUISE.

On te laisse faire ?

JEAN, lui prenant la taille.

Oui, comm’ ça...

LA MARQUISE, reprenant tout-à-coup sa fierté et lui donnant un coup d’éventail.

Eh ! manant !...

JEAN, troublé.

Dieu ! qu’ai-je fait là !...

LA MARQUISE.

Vils roturiers,
Respectez les quartiers
De la marquise de Pretintaille !

JEAN, au comble de l’effroi.

Oh ! c’est que... Ah ! je suis perdu !

Il s’enfuit.

 

 

Scène XII

 

LA MARQUISE, seule, et se remettant peu à peu

 

Ah ! il est parti... il a eu peur... et moi aussi... Mais, comme il y allait ! Si on les laissait faire, ces gens-là seraient d’une impertinence !... En vérité, c’est là un monde tout nouveau... et je m’ennuie tant dans l’autre !... Par bonheur, un coup d’œil jeté sur ma parure m’a rappelé mon origine, mon rang... mon mari... Ah ! il était temps !

 

 

Scène XIII

 

LA MARQUISE, LOUISON, puis JEAN GRIVET

 

LOUISON, entrant.

Tant pis, je dirai tout à Mme la marquise.

LA MARQUISE.

Ah ! c’est toi, Louison ?...

À elle-même.

C’est très dangereux...

JEAN, entrant et s’arrêtant au fond.

Eh ? Louison... Encore Mme la marquise !...

LA MARQUISE.

Qu’y a-t-il ?

LOUISON.

Il y a, madame la marquise, que sans vous nous sommes perdus.

LA MARQUISE.

Explique-toi.

LOUISON.

C’est encore pour ce pauvre Jean Grivet.

JEAN, à part.

Elle parle de moi.

LOUISON.

Pour avoir sa grâce, je me suis risquée près de M. le marquis... que j’ai rencontré.

JEAN, à part.

J’en étais sûr !...

LA MARQUISE.

Près de mon mari ?... tu as bien fait... il faut qu’il consente...

LOUISON.

Voilà, madame la marquise... Je lui ai demandé de toutes mes forces la grâce de ce pauvre garçon... et me voyant si désolée...

LA MARQUISE.

Eh bien ?

LOUISON.

Il me l’a promise...

LA MARQUISE.

Vraiment ?

JEAN, avec joie, à part.

Oh !...

LOUISON.

Mais, à une condition...

JEAN.

Ah !...

LA MARQUISE.

Une condition !... laquelle ?...

LOUISON.

C’est que, cette grâce... je viendrais la chercher ici, ce soir, dans ce salon.

JEAN, à part.

Oh !...

LA MARQUISE.

Ce soir ?

LOUISON.

Oui, madame la marquise...mais il m’a dit ça avec des yeux !... et puis des gestes !...

LA MARQUISE.

Ah ! il fait des gestes, le marquis ?

LOUISON.

Et il y a autre chose qui me fait peur...

JEAN, à part.

Encore ?

LA MARQUISE.

C’est ?...

LOUISON.

C’est qu’il a choisi justement l’heure où madame la marquise doit aller à la chapelle du parc... comme elle l’a dit.

JEAN, à part.

Un rendez-vous !

LA MARQUISE.

Ah ! il a choisi cette heure-là ?...

LOUISON.

Air : Qu’il est flatteur d’épouser celle.

Lorsqu’il vous verra disparaître
Derrière les arbr’s... crac ! il viendra.

LA MARQUISE.

Comment ! ici ?

JEAN.

Dir’ qu’c’est notr’ maître !

LA MARQUISE.

Et sais-tu ce qu’il te voudra ?

LOUISON.

Non.

LA MARQUISE.

Son but ?

LOUISON.

Dans le fond de l’âme,
Je n’ sais trop quoi m’imaginer...
Mais m’est avis qu’ vous, qu’êt’s sa femme,
Vous pourriez p’t êtr’ le deviner.

Il viendra... il viendra, madame la marquise.

JEAN, avec colère.

Nous verrons !

LOUISON, se retournant.

Hein ?...

LA MARQUISE.

Qu’est-ce ?...

Jean s’est esquivé et ne reparaît plus.

LOUISON.

Rien... rien... je m’ai trompée...

 

 

Scène XIV

 

LA MARQUISE, LOUISON

 

LA MARQUISE, à part.

Oh ! le marquis... le marquis !... Il ne craint pas de déroger, lui... et quand je défends si bien mes quartiers de noblesse, il fait bon marché des siens !...

LOUISON.

Vous voyez, madame la marquise, qu’il faut que vous nous fassiez aussi une grâce.

LA MARQUISE.

Une grâce ?...

LOUISON.

C’est que vous ayez la bonté de ne pas sortir ce soir...d’ailleurs, le temps est couvert.

LA MARQUISE, réfléchissant.

Ne pas sortir ?... au contraire... si je pouvais sortir...  et rester ?...

LOUISON, étonnée.

C’est difficile.

LA MARQUISE.

Peut-être... Ah ! il veut te parler en secret ?...

LOUISON.

Oui, il est très bavard.

LA MARQUISE, se promenant.

Très bavard... avec les paysannes, à ce qu’il paraît...Ah ! monsieur le marquis, il vous faut une mésalliance... Eh bien ! non, de par Dieu !... un tête-à-tête !... je suis curieuse de savoir ce qu’il veut à cette petite Louison.

LOUISON.

Madame...

LA MARQUISE.

Suis-moi dans mon appartement.

Air : Pour moi plus d’espérance (Discrétion).

Que ce soit un mystère ;
Sachons nous taire,
Et tout, j’espère,
Le trompera
Pourvu qu’elle soit prise
Pour la marquise,
Mon entreprise
Réussira.

ENSEMBLE.

Que ce soit un mystère ! etc.

LOUISON.

Quel est donc ce mystère ?
Que veut-ell’ faire ?
Je n’comprends guère
Ce projet-là.
Rien n’égal ma surprise.
Mais me v’là prise,
Si la marquise
Ne m’ tir’ pas d’là.

Louison entre dans l’appartement de la marquise ; celle-ci va la suivre, lorsque le chevalier paraît et l’arrête.

 

 

Scène XV

 

LA MARQUISE, LE CHEVALIER

 

LE CHEVALIER, en dehors.

Je me sens bien, très bien... ma parole d’honneur !

LA MARQUISE.

Le chevalier !...

LE CHEVALIER, entrant.

Un bouillon... ça vous donne du velouté, du moelleux.

Retenant la marquise qui va sortir.

Eh ! tête-Dieu ! c’est la marquise, ma belle cousine.

LA MARQUISE.

Je sors, chevalier, j’ai à parler à cette petite...

À Louison qui sort.

Va donc.

LE CHEVALIER.

Mais, moi aussi, moi aussi, j’ai à vous parler.

LA MARQUISE.

Impossible...

LE CHEVALIER.

Permettez... Et cette lettre charmante que j’ai reçue ?

LA MARQUISE, vivement.

Vous dites...

À part.

Ah ! j’aurai ma lettre... je l’aurai !

LE CHEVALIER.

Cette lettre, dont je n’abuserai pas assurément... Cela dépend de vous.

LA MARQUISE, à part.

Le monstre !

Haut.

Quelle lettre, chevalier ?

LE CHEVALIER.

Eh bien ! celle-ci...

La marquise veut la prendre, il la retire.

Ah ! pardon... c’est mon titre...

LA MARQUISE, à part.

Ciel !

LE CHEVALIER, lisant.

« Hector, mon âme va au-devant de la tienne ; reviens, que je retrouve avec toi ces jours si purs de nos douces causeries... »

LA MARQUISE, cherchant à prendre la lettre.

Donnez.

LE CHEVALIER, la retirant.

Moi aussi, en vous revoyant, je me suis senti là, dans le cœur, un retour de je ne sais quoi... il m’a pris un frisson...

LA MARQUISE, souriant.

C’est peut-être la fièvre ?

LE CHEVALIER, avec chaleur.

Fièvre d’amour, qui m’a emporté vers vous... tendre et passionné comme à Paris... et en ce moment encore...

LA MARQUISE, sévèrement.

Chevalier !

LE CHEVALIER.

Eh bien ! non... eh bien ! non... J’ai été un gueux, un scélérat, un vrai lion... mais je reviens avec des goûts paisibles, innocents et champêtres.

LA MARQUISE, suivant la lettre des yeux.

J’entends... vous êtes devenu pastoral.

LE CHEVALIER.

À la Florian !... Et puis, les champs, les forêts, le laitage, ça me remettra... Vous serez maa bergère...

LA MARQUISE.

Il ne vous manque plus que le troupeau.

LE CHEVALIER.

Ah ! oui, les moutons... c’est charmant !

LA MARQUISE, à demi-voix.

Surtout s’ils sont aussi gras que le berger.

LECHEVALIER.

Nous reprendrons, comme vous dites dans la lettre...

LA MARQUISE, se rapprochant.

Ah !...

LE CHEVALIER, continuant.

Nos douces promenades, quand tête-à-tête dans le parc, ma cousine s’appuyait nonchalamment sur mon bras potelé, en me donnant des petits coups d’éventail sur mes joues rondelettes... quand elle partageait les bonbons les plus exquis entre moi et son griffon, qui me mordait toujours les jambes.

LA MARQUISE, le regardant.

C’est donc ça...

LE CHEVALIER, montrant la lettre.

Vous me rappelez là des faveurs...

LA MARQUISE, prenant vivement la lettre.

Eh ! donnez donc.

LE CHEVALIER.

Auxquelles je ne comprenais rien... énorme imbécile que j’étais !...

LA MARQUISE, avec assurance.

Et qu’y auriez-vous compris ?

LE CHEVALIER.

Eh ! eh ! eh !... ce pauvre marquis... il l’a échappé belle...

LA MARQUISE.

Vous êtes un fat !...

LE CHEVALIER.

Ah !... ah !... c’est le nom que ces dames me donnaient là-bas... et je veux le gagner ici aux mêmes titres.

LA MARQUISE.

Vous êtes un insolent !

LE CHEVALIER.

La Duthé me l’a dit, un jour que je la brusquais.

LA MARQUISE.

Chevalier... sortez !...

LE CHEVALIER.

Ah ! de la colère !... Je n’y crois pas, et l’amour que je retrouve près de vous...

Elle le touche de son éventail, il tombe dans un fauteuil.

LA MARQUISE.

Asseyez-vous donc, chevalier, vous en avez besoin.

LE CHEVALIER, furieux et se levant.

Prenez garde !... vos airs de dédain ne font que m’irriter... et je vous forcerai bien...

LA MARQUISE, l’arrêtant du geste.

Tout beau, chevalier... on ne me force pas... Vous oubliez que vous êtes au vert... Allez, partez... et surtout cherchez d’autres pâturages que ceux de Pretintaille.

Elle sort avec dignité.

 

 

Scène XVI

 

LE CHEVALIER, puis JEAN GRIVET

 

LE CHEVALIER, seul et furieux.

Hein ?... des pâturages, à moi !... mais c’est absolument comme si elle m’envoyait...

Il est interrompu par sa toux.

Elle est piquée... Décidément, c’est une bégueule... nous verrons... Ah !... marquise, ma belle !... tu m’as défié !... tant pis pour toi... ou plutôt, tant mieux, friponne !...Ah ! il faut être impertinent pour triompher de certaines vertus revêches...

JEAN, entrant d’un air résolu.

Ma fine, j’entre ici et je n’en bouge plus.

LE CHEVALIER, à part.

Eh ! bien, palsambleu !... je serai impertinent... ça me va.

JEAN, à part.

Et si Louison vient au rendez-vous... j’y serai !...

LE CHEVALIER, l’apercevant.

Ah !... que fais-tu là, manant ?...

JEAN, de même.

Tiens !... ce grand sécot... je ne le voyais pas.

LE CHEVALIER.

Réponds... que viens-tu faire ?

JEAN, embarrassé.

Dam !... Voyez-vous... c’est l’heure oùs que Mme la marquise doit aller dans le bas du parc...

LE CHEVALIER.

Ah !... c’est juste... elle l’a dit... à la chapelle... Dieu !... si je pouvais... sur sa route !... Elle va sortir, dis-tu ?...

JEAN.

Oui... et pendant ce temps-là, le marquis...

LE CHEVALIER.

Le marquis... ah ! diable !... il m’embarrasse...

JEAN.

Tiens !... et moi, donc !... c’est in digne à lui... une jeunesse qui m’allait si bien !...

LE CHEVALIER, sans l’écouter.

Si je pouvais, par quelque bonne rouerie, le tenir éloigné, j’aurais ma revanche... Les bois touffus, l’obscurité, la surprise, la peur... tout seconde mes audacieux projets...

JEAN.

Il parle tout seul, M. l’effilé.

LE CHEVALIER.

Mais, le mari ?... pourquoi diable у a-t-il toujours des maris ?... Ah ! il ne faut pas s’en plaindre... c’est plus drôle... Manant ?...

JEAN.

Vous dites ?...

LE CHEVALIER.

Où est le marquis ?...

JEAN.

M. le marquis ?

LE CHEVALIER.

Oui, M. le marquis... ce garçon-là est obtus.

JEAN.

Il est dans la bibliothèque, oùs qu’il met ses fusils...

LE CHEVALIER.

Dans la bibliothèque ?... à droite ?... là ?

JEAN.

Oui, je l’ai vu à la fenêtre, qui guettait le départ de sa femme pour descendre... et...

LE CHEVALIER, s’écriant.

Oh !...

JEAN, s’approchant.

Hein ?...

LE CHEVALIER.

Ah !...

JEAN.

Bah !...

LE CHEVALIER.

Une idée !... oh ! Dieu ! de l’Œil-de-Bœuf... merci, merci... quelle rouerie !... on en parlera.

JEAN.

Eh bien !... qu’est-ce qui lui prend donc ?

LE CHEVALIER.

Manant... approche.

JEAN.

Voilà...

LE CHEVALIER.

Tais-toi.

La nuit commence.

Tu vas te glisser le long du treillage, jusqu’à la porte de la bibliothèque... prends garde qu’il ne te voie... le marquis...

JEAN.

Bon !... je me ferai petit, petit, petit.

LE CHEVALIER.

Tais-toi... Tu fermeras tout doucement la porte à double tour...

JEAN.

Et lui dedans ?...

LE CHEVALIER.

Eh ! oui... stupide !...

JEAN.

Stupide !... qu’est-ce que c’est que ce saint-là ?... Je m’appelle Jean...

LE CHEVALIER.

Tais-toi donc... Tu retireras la clef...

JEAN.

Ah ! ça... et le marquis ?... le marquis ?...

LE CHEVALIER.

Il ne t’entendra pas... et plus tard, s’il crie... tu ne l’entendras pas non plus.

JEAN.

C’est drôle... Comme ça, il ne viendrait pas, et c’est moi... Ah ! bien, oui... mais s’il se fâche ?...

LE CHEVALIER.

Je prends tout sur moi.

JEAN.

Et s’il me donne un coup de pied... quelque part... qui est-ce qui me le rendra ?...

LE CHEVALIER.

Moi, moi !

JEAN.

Vrai ?... en ce cas... Au fait... il voulait me...

Il fait le geste de pendre.

Et moi, je le...

Signe d’enfermer.

Superbe !

LE CHEVALIER.

Tiens, dépêche-toi... voilà deux louis pour ta peine, et ta discrétion.

JEAN.

Que vous êtes bête !... comme si j’avais besoin de ça... J’accepte.

LE CHEVALIER.

Dieu !... je l’aperçois... c’est elle !... cette taille élégante qui se dessine dans l’ombre...

À Jean.

Eh ! vite à la bibliothèque...

JEAN.

J’y cours...

À part.

Ô saint Jean, mon patron... je sauve Louison et je gagne deux louis !... merci, saint Jean !

LE CHEVALIER.

Chut !...

Il s’efface derrière la porte ; Jean va sortir par la gauche ; Louison, en costume de marquise, paraît en dehors dans le parc ; et au même instant la marquise, en costume de paysanne, paraît à la droite.

 

 

Scène XVII

 

LE CHEVALIER, JEAN GRIVET, LA MARQUISE, LOUISON

 

Ensemble.

LA MARQUISE et LOUISON.

Air de la Périchole.

Ah ! quelle aventure !
Quel moment pour moi !
Sous cette parure,
Je tremble d’effroi.

LE CHEVALIER.

La nuit est obscure...
Nous verrons, ma foi !
Si cette aventure
Tourne contre moi.

JEAN.

Ah ! quelle aventure !...
Le marquis, je crois,
F’ra triste figure...
Et j’en meurs d’effroi.

Jean sort par la gauche. Louison s’éloigne, et le chevalier le suit légèrement. La marquise reste seule.

 

 

Scène XVIII

 

LA MARQUISE, seule

 

Ah ! le marquis veut déroger... Eh bien ! nous verrons !... lui, si calme, si respectueux !... avec moi... Il paraît qu’il le serait moins avec Louison... Je ne suis pas fâchée de voir ça... Venez, marquis, venez !... Tandis que votre passion de village promène mes paniers et ma robe à queue dans les allées du parc, une marquise vous attend ici, en simple jupon de laine... c’est tout profit pour vous... et pour la morale.

Air : Ah ! combien ma jeune maîtresse. (De la Marquise. Opéra-comique.)

Récitatif.

Me voilà donc simple fillette,
Grâce au costume du pays...
Oublions le rang, l’étiquette,
Comme aux bals masqués de Paris.

Boléro.

Adieu, dame de parage :
Plus de rang, plus d’apanage ;
Oubliant mon haut lignage,
Soyons fille du hameau,
Et quittons pour le village
Les salons de mon château.
Adieu donc, grandes toilettes,
Beaux atours, riches aigrettes,
Noble écrin qui n’est plus là...
Quand je perds ici ma parure,
Ah ! du moins, puisse la nature
Remplacer pour moi tout cela !...
Adieu, dame de parage :
Plus de rang, plus d’apanage ;
Oubliant mon haut lignage,
Soyons fille du hameau,
Et quittons pour le village
Les salons de mon château.

Du bruit !... il aura vu passer ma petite marquise... c’est lui !...

 

 

Scène XIX

 

LA MARQUISE, JEAN GRIVET

 

JEAN, entrant doucement.

Il est dedans, le marquis... Chante, mon petit, car la cage est fermée...

Il se heurte contre un fauteuil.

Ouf... juste au genou... v’là le bonheur qui commence.

LA MARQUISE, à part.

Il ne se fait pas attendre ici, le traître... Il paraît que c’est piquant de déroger.

JEAN.

Louison !... Louison !... es-tu là ?...

LA MARQUISE, à part.

Eh ! mais !... cette voix...

JEAN.

Si tu n’y es pas... dis-le.

LA MARQUISE, à part.

Ô ciel !... Jean !...

JEAN.

C’est toi... je reconnais ton petit pas... c’est bête... viens donc.

LA MARQUISE, s’oubliant.

Hein ?

JEAN.

Oh !... ne te fâche pas... n’aie pas peur... le marquis n’est pas là... il est sous clef... dans la bibliothèque.

Riant.

Ah ! ah ! ah !...

LA MARQUISE, d’une voix étouffée.

Rentrons.

JEAN, lui saisissant le bras.

Ah !... je te tiens... Ne tremble donc pas comme ça... quand je te dis qu’il n’y est pas...à preuve : v’là la clef... Prends-la... tu lui rouvriras... je ne veux pas qu’il me voie.

LA MARQUISE, prenant la clef.

Donne...

Changeant sa voix.

Tu l’as enfermé ?...

JEAN.

À double tour... Vieux singe !... je te donnerai des rendez-vous avec Louison !... quand t’as une femme si gentille, si avenante... que le cœur m’en bat encore...

LA MARQUISE, à part.

Pauvre garçon !...

JEAN.

Mais, me v’là à sa place... et nous sommes maîtres du château... Les domestiques sont en train de souper... dis donc, nos gens soupent... La marquise est loin... et l’autre... le mari !...

Riant.

Ah !... ah !... ah !... mais ris donc, ris donc...

LA MARQUISE, s’efforçant de rire.

Moi !...

JEAN.

Va donc... t’as bien de la peine... ah ! ah ! ah !...

LA MARQUISE, avec contrainte.

Ah ! ah ! ah ! au fait, c’est drôle !...

JEAN.

Nous avons le temps de causer.

Air : Noble dame, pensez à moi.

Plus que l’marquis, je serai tendre ;
Je serai plus malin aussi.

LA MARQUISE, à part.

Sans déroger, je puis l’entendre :
Car Louison est seule ici...
Laissons-le faire, tout va bien
La marquise n’en saura rien.

ENSEMBLE.

Laissons-le faire, tout va bien :
La marquise n’en saura rien.

JEAN.

Nous sommes seuls et tout va bien :
Car le marquis n’en saura rien.

Lui prenant la main pendant la ritournelle de l’air.

Oh ! queue main ! queue main !... c’est du satin... un vrai velours...

LA MARQUISE, la retirant.

Aie !...

À part.

Ma main va me trahir !...

JEAN.

Pourquoi que tu la retires ? pourquoi que tu dis : Aie !...

LA MARQUISE, prenant et gardant pendant toute la scène le ton de paysanne.

Dam !... tu serres trop fort...

JEAN.

Oh ! oh !... tu crois donc que j’ai une poigne de marquis ?... une petite méchante poigne ?... oh ! bien, oui !... quand je serre, moi, faut crier... ça vaut mieux.

LA MARQUISE.

Oui... je ne dis pas... mais quand on n’est pas habituée...

JEAN.

Oh ! oh !... pas habituée !... est-ce que tu vas faire la fière, comme ta maîtresse ?...

LA MARQUISE.

Bah !... elle est donc fière ?...

JEAN.

La marquise !... fière !... qu’elle en étouffe... tant pis pour elle, donc !...

LA MARQUISE.

Comment ! tant pis !...

JEAN.

Certain’ment... c’te bêtise !... elle ne veut que de la noblesse... des quartiers, comme elle dit... ça doit être insipide... aussi, elle s’ennuie...

LA MARQUISE.

À se démonter la machoire...

JEAN.

Elle se prive, cette femme.

LA MARQUISE.

Ah !... tu crois ?...

JEAN.

Tiens !... me v’là, moi... une supposition... je ne suis pas noble, c’est vrai... encore, je ne suis pas bien sûr... parce que l’ancien seigneur...

LA MARQUISE.

Hein ?... qu’est-ce que tu dis ?...

JEAN.

Enfin, n’importe... mais ce qu’il y a de certain, c’est que tout à l’heure, ici, quand j’étais avec elle... tout manant que je suis... j’ai vu qu’elle me reluquait...

LA MARQUISE.

Ah !... tu as vu...

JEAN.

Je ne suis que j’en ai pas si bête l’air... elle avait une petite figure câline... et des yeux qui reluisaient... reluisaient !... alors, il m’a passé un vestige dans la tête... et en avant les mains... Par malheur, ça l’a réveillée, son orgueil est revenu, et v’lan... elle m’a tapé.

LA MARQUISE.

Elle t’a tapé ?...

JEAN.

Elle m’a tapé... en répétant... tu sais...

Chantant.

« Vils roturiers,
« Respectez les quartiers...

LA MARQUISE.

Comment ! est-ce que sans cela, tu aurais osé ?...

JEAN.

Tiens... je l’aurais embrassée tout de même, cette pauvre petite... ça l’aurait changée, et moi itou.

LA MARQUISE.

Mais voyez-vous... voyez-vous !...

À part.

Il me fait presque peur.

JEAN.

Avec ça que le marquis ne veut, pas qu’on chasse sur ses terres...

Riant.

Hein ?...

LA MARQUISE, riant aussi.

Oui, pour un braconnier ce serait drôle... Mais sais-tu que c’est bien mal à toi, Jean Grivet, d’être infidèle à toutes les jolies filles du village ?... à moi, surtout... qui t’aime tant !...

JEAN.

Bah !... t’es jalouse ?... t’as tort... parce que tu me plais mieux...

Il la presse.

LA MARQUISE.

Eh bien !... eh bien !... Jean, laissez-moi... Jean...

JEAN.

Ah ! bah ! tu vas dire comm’ Jacquotte ?...

LA MARQUISE.

Jacquotte !...

À part.

Ah ! mon Dieu !...

JEAN.

Air : Brune et Blonde (de Mlle Puget).

Cède à ma tendresse,
À mon ardeur ;
Ta main, que j’ la presse
Là, sur mon cœur !
Car tu me plais mieux, fillette friponne,
Que cette marquise avec ses quartiers ;
Je préfèr’ cent fois ta rob’ qu’on chiffonne
À ses brocarts d’or, à ses beaux paniers.
Et cependant, un’ grande dame,
Ça flatt’ toujours la vanité ;
J’en suis glorieux au fond d’ l’âme
Et j’ l’aimerais... rien qu’ par fierté.

Ensemble.

Cède à ma tendresse, etc.

LA MARQUISE.

Dieu ! quelle tendresse !
Et quelle ardeur !
C’est ma main qu’il presse
Là, sur son cœur !

GRIVET.

Ne me r’pousse pas...

LA MARQUISE.

Je dois me défendre.

GRIVET.

Où trouverais-tu, dans tout c’ pays-ci,
Quelqu’un d’plus gentil, d’plus galant, d’plus tendre.

LA MARQUISE, à part.

Quoi ! ce roturier, me parler ainsi !...
Et cependant, quoiqu’il m’en coûte,
Malgré mon orgueil, ma fierté,
Je ne fuis pas, et je l’écoute...
Rien que par curiosité.

Ensemble.

JEAN.

Cède à ma tendresse ! etc.

LA MARQUISE.

Dieu ! quelle tendresse ! etc.

JEAN.

J’ai embrassé Jacquotte... et je t’embrasserai itou...

LA MARQUISE.

Je te le défends... ma vertu...

JEAN.

Ah !... oui... ta vertu !... j’y crois joliment... Si le marquis était là... tu lui refuserais peut-être ?...

LA MARQUISE.

Je n’aurais rien à lui refuser.

JEAN.

Vois-tu, vois-tu... Je lui vole ses privilèges, à ton marquis... et je vas t’embrasser pour sa femme et pour toi...

LA MARQUISE, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah ! Jean !

JEAN.

Oh ! tu n’as pas d’éventail. toi !

La croix de la marquise tombe.

Qu’est-ce que c’est que ça qui tombe ?... ah ! bah !...

LA MARQUISE, riant plus fort.

Ah ! ah ! ah ! m’embrasser !... Je ne veux pas.

JEAN, l’embrassant.

Ris toujours... ris toujours... j’aime mieux ça.

LA MARQUISE.

Jean !...

Riant.

Ah ! ah ! ah !...

Elle veut s’échapper.

JEAN, poussant un cri et s’éloignant.

Ah ! c’est bête !... tu m’as pincé au sang !... au sang !...

LA MARQUISE.

Tiens !... ça t’apprendra...

JEAN.

Oui, on pince un petit peu... mais on n’emporte pas le morceau... Tu vas me payer ça...

LA MARQUISE, écoutant.

Chut ! on vient... je suis perdue !...

JEAN.

Je te suis...

LA MARQUISE.

Je te le défends !...

Elle se sauve dans son appartement dont la porte se referme aussitôt.

JEAN, la poursuivant.

Nous allons voir... Ah ! tu te renfermes...

Il va pour sortir au fond et aperçoit le marquis.

Ciel !... le marquis !...

Il saute par la fenêtre à droite.

 

 

Scène XX

 

LE MARQUIS, UN DOMESTIQUE, portant des flambeaux, puis JEAN GRIVET, poursuivi par LE GARDE et LES DOMESTIQUES

 

LE MARQUIS, furieux.

Cherchez-le... arrêtez-le... et cent coups de bâton, sur-le-champ !...

LE DOMESTIQUE.

Qui donc, monseigneur ?

LE MARQUIS.

Qui ?... je n’en sais rien... mais il me le faut... l’infâme ! le scélérat ! qui m’a enfermé là-haut... à double tour... en société avec un tas de bouquins, que j’ai déchirés de rage !

À part.

Quand j’avais ici le plus joli rendez-vous...

Avec rage.

Et pas moyen de sortir par porte... obligé, moi, moi... le marquis de Pretintaille, de descendre le long d’un treillage de vingt pieds de haut !

LE DOMESTIQUE.

Le fait est que monsieur le marquis glissait, glissait... comme un vrai écureuil, quoi...

LE MARQUIS.

Eh !... va-t’en au diable !... imbécile !... Et je suis sûr que cette petite Louison...

Apercevant la croix d’or qui est à terre.

Qu’est-ce que je vois là ?... une croix d’or !... la sienne !... Infortunée Louison !... j’arrive trop tard.

Air du Fleuve de la Vie.

C’est dans un moment de faiblesse
Que tomba... signe de malheur !...
Cette égide de la sagesse,
La croix qui brillait sur son cœur.
Tout a donc secondé l’audace
De ce manant... je vois cela...
Car la croix d’or n’était plus là
Pour défendre la place.

Ah ! les paysans... La marquise a raison... il faut être fier, dur, impitoyable avec eux... Ah ! je me vengerai...

JEAN, entrant, poursuivi.

Mais laissez-moi donc, je vous dis, laissez-moi donc, ou je me révolte...

LE MARQUIS.

Qu’est-ce ?...Ah ! ah ! Jean Grivet !...

JEAN, épouvanté.

Oh ! le marquis !...

LE MARQUIS.

C’est lui !...

LE GARDE.

Halte là !... Je viens de l’attraper, monsieur le marquis... il s’échappait de là, où j’entendais rire...

JEAN, à part.

Est-elle rieuse, cette Louison !... est-elle rieuse !...

LE MARQUIS, l’observant.

C’est donc toi, misérable, qui m’a enferme ?

JEAN.

Moi !... mon doux Jésus !... incapable, monseigneur...

LE MARQUIS.

C’est toi, drôle... avoue... je le veux.

JEAN.

Du moment que vous le voulez... je n’ai plus rien à dire... Bonsoir, monsieur le marquis.

LE MARQUIS.

Reste !...

S’approchant de Jean, et à demi-voix.

Et tu étais ici, tout à l’heure, Louison ?

JEAN.

Par exemple !... si on peut dire !...

LE MARQUIS.

Voici sa croix.

JEAN, à part.

Je suis frit...

LE MARQUIS.

Ah ! tu vas bien... Tous les deux ici... un rendez-vous !...

JEAN.

Dam ! monseigneur, elle vous cherchait... et en passant...

LE MARQUIS.

Et c’est pour la rencontrer seule, que tu t’es permis de...

Faisant le geste de fermer une porte à clé.

Voyons, que s’est-il passé entre elle et toi ?... Réponds.

Air de Turenne.

Quelle conduite fut la tienne ?...

JEAN.

Monsieur l’ marquis, à vot’ place, j’ai fait
C’que vous auriez fait à la mienne.

LE MARQUIS.

De tant d’audace, ah ! je suis stupéfait...
Moi, je suis maître et seigneur.

JEAN.

Quéqu’ça fait ?

LE MARQUIS.

Et la vertu !...

JEAN.

Tout comme vous, je l’aime :
Mais la vertu, c’est comm’ votre gibier ;
Tué par l’ maître ou par le braconnier,
Ça r’vient exactement au même.

LE MARQUIS.

Effronté ! c’en est trop !... et tu vas tout payer, pour les lapins tués, les filles séduites et ton seigneur outragé !... j’ai promis cent coups de bâton...

JEAN.

Je n’en veux pas...

Ensemble.

Air du Valet de Chambre.

Monseigneur, un peu d’indulgence !
Grâce !... je n’ai pas mérité
Que de moi vous tiriez vengeance...

Se défendant.

L’ premier qui m’ touche est éreinté !

LE MARQUIS.

Pour châtier son insolence,
Qu’il soit pris, qu’il soit garrotté...
De lui, je veux tirer vengeance,
Pour qu’il ne soit pas imite.

CHŒUR.

Quelle audace !... quelle insolence !...
Par lui monseigneur insulte
Nous demande aujourd’hui vengeance ;
Il faut punir cet effronte.

 

 

Scène XXI

 

LES MÊMES, LA MARQUISE

 

Les domestiques veulent arrêter Jean qui se défend. La marquise paraît dans son costume de grande dame.

LA MARQUISE.

Arrêtez !... Que vous a fait ce garçon-là ?...

JEAN, à part.

Bon ! la marquise... elle va m’achever.

LE MARQUIS.

Laissez faire... c’est un drôle qu’il faut punir...

LA MARQUISE.

Et de quoi ?... quel est son crime ?

LE MARQUIS.

Son crime ?...

JEAN.

Mais je vous dis...

LA MARQUISE.

Silence !...

LE MARQUIS.

Il a osé m’emprisonner...

LA MARQUISE.

Vous ?...

LE MARQUIS.

En personne.

LA MARQUISE.

Et où donc ?...

LE MARQUIS.

Dans ma bibliothèque... mais...

LA MARQUISE, avec sang froid.

Marquis vous vous trompez... ce n’est pas lui.

LE MARQUIS.

Qui donc, alors ?...

LA MARQUISE, le prenant à part, et à demi-voix.

Voici la clé.

LE MARQUIS.

Comment ! vous ?...

JEAN, à part.

Ils se parlent bas... ça va mal.

LA MARQUISE.

Oui, c’est une précaution que j’ai prise... et si vous en demandez la raison...

LE MARQUIS.

Merci... merci... c’est inutile...

À part.

Comment diable a-t-elle pu savoir ?... Ah ! petite Louison, tu me le paieras.

LA MARQUISE, aux domestiques.

Laissez le libre... et sortez.

JEAN.

Ah ! bah !...

À part.

Comme elle s’est radoucie, donc !...

LE MARQUIS.

Mais permettez, marquise...

LA MARQUISE, se rapprochant de lui et faisant jouer la clé qu’elle tient.

Ne serait-ce pas que vous aviez un rendez-vous, marquis ?...

LE MARQUIS.

Il s’agit de ce drôle-là... qui a jeté le désordre dans ce château... il était ici avec une jeune fille simple et innocente...

LA MARQUISE.

Lui ?... avec une jeune fille simple et... vous vous trompez encore.

LE MARQUIS.

Puisqu’il en est convenu.

JEAN.

Oui, je...

LA MARQUISE.

Il ment.

LE MARQUIS.

Je dois protéger, défendre la vertu de cette jeune fille...

JEAN.

La vertu de Louison !... ah ! bien, oui !...

LE MARQUIS.

Vous entendez !...

LA MARQUISE, avec impatience.

C’est faux, encore une fois... et je ne souffrirai pas que l’on calomnie une pauvre enfant qui n’a pour tout bien que sa réputation...

Montrant Jean.

Il a rêvé cela.

JEAN.

Moi, j’ai rêvé ?...

On entend rire Louison.

LE MARQUIS.

Eh ! parbleu ! voici quelqu’un qui va éclaircir l’affaire... c’est Louison elle-même.

JEAN.

Louison !... vous allez voir...

LA MARQUISE, à part.

Oh ! je suis tranquille... elle n’a rien à avouer.

 

 

Scène XXII

 

LES MÊMES, LOUISON, avec son premier costume

 

LE MARQUIS.

Avance, Louison, et réponds avec franchise...

LOUISON.

Oui, monseigneur...

À part.

Tiens !... qu’est-ce qu’il y a donc ?...

LE MARQUIS.

Ne viens-tu pas de te trou ver avec quelqu’un ?...

LOUISON.

Moi, monseigneur ?...

LE MARQUIS.

Je le sais.

LOUISON.

Dam ! monseigneur... puisque vous le savez... je ne puis pas le nier.

JEAN.

Là !... vous voyez bien...

LA MARQUISE.

Hein ?...

À part.

En voilà bien d’une autre !...

LE MARQUIS.

Après ?... après ?... ce drôle de Grivet t’a surprise.

LOUISON, étonnée.

Grivet ?... c’était Grivet ?... ce pauvre Grivet !

JEAN, à part.

Oh ! oh !... elle a l’air de ne pas savoir...

LOUISON.

Mais, ce n’est pas de ma faute... il sait bien que c’est lui qui m’a poursuivie, attaquée... je me suis sauvée...

JEAN.

Tu t’es sauvée, toi ?... Ah ! oui... après...

LE MARQUIS.

Tu l’as suivie ?

Jean va répondre.

LA MARQUISE.

Silence !...

À part.

L’explication va tout perdre.

LE MARQUIS.

Vous voyez bien...

LA MARQUISE.

Je vois qu’il y a là un désordre, un scandale, que je ne dois pas tolérer plus longtemps !... Puisqu’ils ont eu un rendez-vous...

À part.

Si j’y comprends un mot, je veux bien perdre mes quartiers...

Haut.

Un mariage seul peut réparer.

LE MARQUIS, JEAN, LOUISON, dans différents sentiments.

Un mariage !...

LA MARQUISE.

Il le faut, marquise, autrement, je croirais qu’une jalousie indigne de votre rang... 

Elle joue avec la clef.

LE MARQUIS, à part.

Diable de clef !...

Haut.

Sans doute... s’ils y consentent... mais je ne crois pas...

LOUISON.

Si fait... Jean consentait ce matin.

JEAN.

Ah ! dam... ce matin... C’est que vois-tu, t’es diablement rieuse...

LA MARQUISE.

Elle ?...

À part.

C’est juste.

LE MARQUIS.

Il refuse !

LOUISON.

Jean Grivet !... oh ! mon Dieu !... C’est peut-être à cause des soufflets...

JEAN.

Tu dis ?...

LE MARQUIS.

Ah ! il y a des soufflets...

LOUISON.

Mais oui... Je sens quelqu’un qui arrive, et qui me prend ferme la taille... Pan ! que j’ai dit... et je lui ai donné des soufflets... ferme aussi... Dam ! je ne savais pas...

JEAN.

Des soufflets !... allons donc !... ce n’est plus ça.

LOUISON.

Puisqu’il en est tombé tout de son long... ainsi...

LA MARQUISE, avec inquiétude.

Ça s’embrouille... ça s’embrouille.

LE MARQUIS, riant.

Tu les a reçus ?

JEAN, sans faire attention à la marquise qui tousse et fait des gestes.

Mais non !... mais non !... la preuve, c’est que je l’ai embrassée bien fort, qu’elle s’est laissée faire en riant... riant... seulement elle m’a pin...

La marquise, ne pouvant l’interrompre, lui pince le bras, ce qui lui coupe la parole. Il pousse un grand cri.

Ah !...

À part.

J’ai reconnu le pinçon ! absolument le même !

Regardant la marquise et devinant tout.

Oh !

Il reste immobile et ébahi.

LE MARQUIS.

Poursuis... continue... tu dis qu’elle t’a ?...

JEAN, balbutiant.

Oui... parce que...dam ! et puis...

À part.

Oh !... oh !... Dieu du ciel !...

LE MARQUIS.

C’est donc toi qui les as reçus ?...

JEAN.

Pardine !

LOUISON.

Je disais bien... mes soufflets ne peuvent pas être perdus.

LA MARQUISE, à part.

Je n’y suis plus du tout !... À qui les a-t-elle donnés ?

Sur les derniers mots de Louison, le chevalier est entré, il se trouve tout près de la marquise ; il a l’œil tout noir.

 

 

Scène XXIII

 

LES MÊMES, LE CHEVALIER

 

LE CHEVALIER, bas à la marquise.

Ah ! marquise... vous frappez bien fort.

LA MARQUISE.

Plaît-il, chevalier ?

Elle le regarde et part d’un éclat de rire.

Ah ! ah ! ah ! ah !

LE MARQUIS.

Comment !... Qu’est-ce que c’est, chevalier ?...

Le regardant.

Ah ! mon Dieu !... quelle figure !... Où avez-vous attrapé ça ?...

LE CHEVALIER.

Oh !... ce n’est rien... dans l’obscurité... je me suis heurté contre un arbre du parc, et je suis tombé...

LA MARQUISE, riant plus fort.

À la renverse... ah ! ah ! ah ! ah !

LE MARQUIS, riant aussi.

Vrai ?... Ah ! ah ! ah ! ah !

JEAN, à part, sautant de surprise.

Oh !... j’y suis, j’y suis !...

Il se met aussi à rire aux éclats.

Ah ! ah ! ah !

LOUISON, regardant le chevalier.

Le fait est qu’il est bien laid... Ah ! ah ! ah !

LE CHEVALIER, riant du bout des lèvres.

Oui, riez, riez... Je suis tout contusionné... ah ! ah ! ah !

LA MARQUISE, riant toujours.

Le fait est que pour un homme, qu’on envoyait au vert... vous tournez furieusement au noir.

LE CHEVALIER, riant.

Ah ! ah ! ah ! il est joli... je l’enverrai à mon ami M. de Bièvre.

JEAN, à part.

Elle a la main solide, c’te petite Louison.

LE CHEVALIER, bas à la marquise.

Ne pas attendre que je m’explique !

LA MARQUISE, regardant Louison.

Vrai ?... c’est bien...

Élevant la voix.

Vous arrivez à propos, chevalier, pour être témoin d’une bonne action que fait le marquis... Il marie cette jeune fille à ce bon gros paysan, qu’il prend pour son fermier...

Le marquis fait un mouvement... elle fait jouer la clé.

et pour dot, il donne quittance des six premiers mois.

LE MARQUIS.

Mais, madame...

LA MARQUISE, même jeu.

Il vous reste un regret, peut-être ?...

Le marquis la regarde et se tait.

JEAN.

Ainsi, monsieur le marquis me donne quittance... Bon ! bon !...

LOUISON.

Oh ! que je suis contente, mon petit Grivet !

LE CHEVALIER, se frottant l’œil.

Ça me cuit !... ça me cuit !

LE MARQUIS.

Vous qui étiez si impitoyable, si fière pour les petites gens !...

LA MARQUISE.

Je le suis encore... je le serai toujours... Mais je veux que désormais Pretintaille prenne un air de fête et de gaîté... Qu’on en ouvre les grilles à tout le monde... au tiers-état... comme à la noblesse... Oui, au tiers-état... qu’il vienne de la ville ou du village... J’aime mieux voir la face fraiche, riante, épanouie d’un vilain, que la figure usée, blasée et fardée, d’un marquis ou d’un chevalier.

LE CHEVALIER.

Je ne mets pas de fard...

Air : Vils Roturiers.

Mais rire n’est pas déroger,
Et notre blason, sans danger,
Peut risquer plus d’une bataille.
Oui, jusques au dernier moment,
Ma vertu dira noblement :
Vils roturiers,
Respectez les quartiers
De la marquise de Pretintaille !

LE MARQUIS.

À la bonne heure.

JEAN, à part.

Elle a du bon, cette marquise-là.

CHŒUR.

Air : Approche ici, calme to peine. (Scène X.)

Si par le nom, par la naissance,
Notre destin est différent,
Prenons conseil de la prudence
Et que chacun garde son rang.

LA MARQUISE, au public.

Air : Vaudeville du Baiser au Porteur.

Sans être marquise ou baronne,
Pour nous il est un rang à conquérir :
C’est le public qui nous le donne,
Et parfois j’ai cru l’obtenir...
Oui, vous avez bien voulu m’anoblir.
Sur mon blason, moi, j’inscris chaque pièce,
Dont le succès vous est dû tout entier...
Ce soir, messieurs, à ma noblesse
Daignez ajouter un quartier.

Reprise du CHŒUR.

Si par le nom, par la naissance, etc.

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