La ****, comédie anonyme (Louis DE BOISSY)

Comédie en trois actes et un prologue et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 17 août 1737.

 

Personnages du Prologue

 

MADEMOISELLE CATINE

MONSIEUR ROMAGNESI

 

Personnages de la Comédie

 

LA MARQUISE.

DAMON, suivante, sous le nom de MARTON

LÉANDRE, autre suivante, sous le nom de FINETTE

LE BARON, oncle de la Marquise

LA COMTESSE, mère de Léandre

ARLEQUIN

MADAME NISON, coiffeuse

 

La scène est à la Campagne, chez la Marquise.

 

 

PROLOGUE

 

 

Scène première

 

MADEMOISELLE CATINE, MONSIEUR ROMAGNESI

 

MONSIEUR ROMAGNESI.

Mais songez donc, Mademoiselle,

Que nous ne sommes plus ici dans le foyer.

MADEMOISELLE CATINE.

Je vous suivrai par tout, rien ne peut m’effrayer.

MONSIEUR ROMAGNESI.

En face du public, osez-vous...

MADEMOISELLE CATINE.

Bagatelle.

C’est lui que j’établis juge de la querelle.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Sans que vous le nommiez, il saura nous juger.

MADEMOISELLE CATINE.

Hé bien, en ma faveur, j’attends donc qu’il prononce.

Messieurs, quelle est votre Réponse ?

MONSIEUR ROMAGNESI.

Quoi, sans l’instruire ! Y songez-vous ?

Malgré l’attrait du sexe, il est Juge équitable.

Il ne suffit pas d’être aimable.

MADEMOISELLE CATINE.

Lorsqu’il naît entre nous une discussion,

Il doit juger d’abord, et par provision.

MONSIEUR ROMAGNESI.

S’il s’agissait de vos talents, sans doute,

Vous l’emporteriez sur le champ ;

Mais il est question d’un point tout différent.

Avant de vous juger, souffrez qu’il nous écoute.

MADEMOISELLE CATINE.

Épargnons-nous de vains discours ;

Sans avoir écouté, l’on juge tous les jours,

MONSIEUR ROMAGNESI.

Mais ce n’est point ici qu’on suit cette méthode.

MADEMOISELLE CATINE.

Hé bien, s’il faut parler, faisons-nous un effort.

Que dites-vous, Messieurs, de la nouvelle mode

D’une Pièce sans titre ? Hem. Que l’Auteur a tort.

Vous le voyez.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Fort bien.

MADEMOISELLE CATINE.

Il est très condamnable.

Ces Messieurs ont raison. Que veut dire aujourd’hui

Ce La mystérieux, ce La si pitoyable,

Qui, de quatre étoiles suivi,

Frappe, et choque les yeux du Lecteur raisonnable ?

Mais a-t-on vu jamais une affiche semblable ?

Elle n’a pas le sens commun.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Rien n’est plus simple ; à tort votre dépit la blâme.

Quand on craint de nommer quelqu’un,

N’est-il pas vrai qu’on met, Monsieur, ou bien, Madame,

Avec des étoiles au bout !

MADEMOISELLE CATINE.

On le pratique ainsi, quoique contre mon goût.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Hé bien, l’Auteur qui craint de nommer son Ouvrage,

Pour en cacher le titre, a suivi cet usage.

MADEMOISELLE CATINE.

Hé pourquoi le cacher ? Ces mystères sont sots.

Que l’Auteur est pusillanime !

Rien n’est pis à mon sens, qu’une Pièce anonyme,

Qu’on lit furtivement, qu’on apprend à huis clos ;

Je lui refuse mon estime.

Le secret qu’on affecte, et l’annonce qu’on tait ;

L’affiche même qu’on supprime,

Ou que l’on masque, qui pis est,

Blessent le droit, sont contre l’intérêt

De notre Juge légitime. ;

Et cet abus devient un crime.

Savez-vous que c’est dérober

Au Public qui s’en voit l’arbitre,

Le plaisir innocent de la faire tomber,

En lisant seulement le titre ?

MONSIEUR ROMAGNESI.

C’est un autre motif qui fait agir l’Auteur.

MADEMOISELLE CATINE.

Quel est cet Auteur ? Car je pense

Qu’il doit être, du moins, de notre connaissance.

Son nom ?

MONSIEUR ROMAGNESI.

C’est un secret.

MADEMOISELLE CATINE.

Encore autre fadeur,

Sans doute, il veut avoir l’honneur

Sans rien risquer, d’attirer l’indulgence

Du bénévole spectateur ;

Mais je souhaite de bon cœur

Qu’il sente plutôt sa vengeance.

L’Incognito révolte mes esprits.

Sans détour ma bouche s’exprime ;

À tous égards je proscris ;

Et, s’il me vient jamais un Amant anonyme,

Il peut compter sur mon mépris.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Vous vous trompez ; le charme du mystère

Lui deviendra favorable, au contraire,

Et votre esprit alors lui prêtera,

En vous l’offrant sous une douce image,

Plus de mérite qu’il n’aura ;

Et, dans le même temps, il vous dérobera

La moitié des défauts qui seront son partage.

MADEMOISELLE CATINE.

Non, je croirai plutôt son mérite imparfait,

Sitôt qu’à découvert il n’osera paraître.

J’ai le goût délicat sur un pareil sujet ;

Pour juger sainement je veux voir et connaître.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Vous pensez bien, en fait d’amour.

Revenons à l’Auteur de la Pièce du jour.

MADEMOISELLE CATINE.

Sa conduite, Monsieur, me blesse plus j’y pense

MONSIEUR ROMAGNESI.

Mais, se cacher, est un trait de prudence.

MADEMOISELLE CATINE.

Je lui pardonnerais de nous taire son nom ;

Mais celui de la Pièce ? Non.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Sa sagesse, par là, mérite qu’on la loue.

MADEMOISELLE CATINE.

Voyons un peu, le fait est curieux.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Ne conviendrez-vous pas qu’au Public, en ces lieux,

Tout ouvrage est soumis ?

MADEMOISELLE CATINE.

Oh ! Vraiment, je l’avoue.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Que lui seul démêlant le vrai d’avec le faux,

En connaît les beautés, en voit tous les défauts ;

Et que tout doit passer par sa juste critique ?

MADEMOISELLE CATINE.

J’en conviens hautement, et c’est sans politique,

Car rien n’échappe à son esprit :

Qui dirait le contraire, en aurait... Il suffit.

Vous l’entendez, Messieurs.

MONSIEUR ROMAGNESI.

Vous prévenez le Juge,

Mais sa justice est mon refuge :

C’est donc au Public seul, qui met à chaque Écrit

Sa valeur juste, et son prix véritable,

À lui donner un titre convenable,

Tout autre risque à se tromper de nom.

MADEMOISELLE CATINE.

Le bel emploi pour le Parterre !

MONSIEUR ROMAGNESI.

Bon !

S’il trouve la Pièce jolie,

Il la nommera sans façon ;

Son titre sera même une heureuse saillie.

MADEMOISELLE CATINE.

Mais a-t-on jamais pris de tels arrangements ?

MONSIEUR ROMAGNESI.

On aurait dû les prendre de tout temps.

La charge est aux Auteurs nuisible autant que vaine ;

Leur esprit échauffe, qui toujours se prévient,

N’a pas, de leur ouvrage, une idée allez saine,

Pour imposer le vrai nom qui convient.

Sur les droits du Public ces Messieurs entreprennent

C’est un orgueil extrême ; et, de-là vient,

Que tous les jours ils s’y méprennent.

S’ils s’en rapportaient tous à ses seuls sentiments,

La Comédie aurait dans ses affiches,

Moins de titres extravagants.

La plupart sont tirés, vagues, faux, ou postiches,

Et l’on fait choix des plus brillants,

Pour parer les fonds les moins riches.

MADEMOISELLE CATINE

Non, vains discours, je n’y puis plus tenir,

Et du mystère enfin, je déchire les voiles.

Meilleurs, gardez-vous de venir

À cette Pièce aux quatre étoiles.

Apprenez qu’on la joue en dépit des Acteurs

Contre la régie on l’a reçue ;

Elle n’a pas même été lue.

Devant notre Sénat, Juge né des Auteurs.

Scaramouche ne l’a point vue,

Et le Docteur ne la point entendue :

Mais ce qui doit le plus vous offenser,

Pour peu que je vous intéresse,

Dans le Ballet on me force à danser,

Sans m’avoir dit un mot du sujet de la Pièce.

Messieurs, jugez après cela,

Si vous devez la trouver bonne ?

Malgré l’Auteur, et Monsieur, que voilà,

 Je vous la recommande, et je vous l’abandonne.

On va la jouer, sifflez-la.

 

 

Scène II

 

MONSIEUR ROMAGNESI, seul, au Parterre

 

N’en faites rien, je vous supplie.

L’Auteur, Meilleurs, par ma voix vous en prie.

Ce qu’on vient de vous dire, a lieu de l’alarmer.

Croyez que s’il n’a point intitulé sa Pièce,

Il la fait par respect, non par fausse finesse.

Il ses vrais sentiments je dois vous informer.

Il ne veut ni flatter, ni feindre, ni surprendre,

C’est un hommage dû, qu’il veut simplement rendre :

Ou plutôt un abus qu’il prétend réformer

Aujourd’hui, pour vous-même, il ose réclamer

Votre autorité souveraine ;

Et, si d’avoir un nom, l’Ouvrage vaut la peine,

Ce soin vous appartient. On a beau déclamer,

Le titre est de votre domaine ;

Et, qui Juge la Pièce, a droit de la nommer.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

MARTON

 

Que ma condition est heureuse et charmante !

J’adore la Marquise, et je suis sa Suivante.

Je la vois, je la sers sous le nom de Marton.

Je serais moins heureux sous celui de Damon.

Son cœur qui craint mon sexe, et qui fuit notre hommage,

Auprès d’elle m’a fait jouer ce personnage.

Par mon déguisement ses regards sont déçus,

Et, grâce à son erreur, mes soins sont bien reçus,

Sur ses femmes déjà j’obtiens la préférence,

Pour avoir avec moi pris un ton d’indolence,

Dorine, hier matin, a reçu son congé.

On est sûr d’avoir plu, quand on est protégé.

Me voilà seul en droit d’avoir sa confiance,

Et, ce premier succès, flatté mon espérance.

Ma jeunesse aide encore à mieux tromper les yeux.

Tout ce qui m’embarrasse, et m’alarme en ces lieux,

Il faudra qu’à présent je coiffe ma Maîtresse ;

Et ma main, en ce genre, est d’une maladresse...

Arlequin vient, silence.

 

 

Scène II

 

MARTON, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Ah ! Te voilà, Marton ?

MARTON.

Je vous prie, entre nous, point de comparaison ;

Un ton si familier me révolte et me blesse.

ARLEQUIN.

Peste de la bégueule ! Elle fait la Princesse ;

Et je me sens pour elle un fond d’aversion,

Que ne saurait bien rendre aucune expression.

C’est un je ne sais quoi qui me passe moi-même.

Chaque moment ajoute à ma fureur extrême.

J’ai peine, en la voyant, à modérer mon feu ;

Et je l’étranglerais quand je songe, morbleu,

Que pour cette pimbêche on a chassé Dorine,

Dorine dont j’aimais l’humeur douce et badine,

Qui riait, folâtrait, et ne tracassait point :

C’était ce qu’on appelle une fille en tout point.

Je ne sais qui me rient, dans l’ardeur qui m’emporte,

Que mon poing...

MARTON, lui saisissant la main.

Doucement.

ARLEQUIN.

Tudieu ! Quelle mais forte !

Ne nous y jouons point, je perdrais à ce jeu ;

Il vaut mieux prudemment nous éloigne, un peu,

Présentement je puis lui dire des injures,

Je suis près de la porte. Adieu, des créatures

La plus sotte à mes yeux. Adieu, masque, laideron.

Madame vient, je rentre et file doux.

 

 

Scène III

 

LA MARQUISE, MARTON

 

LA MARQUISE.

Marton.

MARTON.

Madame.

LA MARQUISE.

Vous allez avoir une compagne.

MARTON.

Ah ! Madame, j’y perds bien plus que je n’y gagne.

LA MARQUISE.

Vous aurez moins de peine.

MARTON.

En ai-je auprès de vous,

Tous les soins que je prends me sont flatteurs et doux.

Madame, franchement, puisqu’il faut vous le dire,

Moi seule vous servir est ce que je désire ;

Mon zèle est assez fort, et je tremble d’effroi,

Que celle qui viendra ne plaise plus que moi.

Plus que vous ne pensez, je vous suis attachée ;

Mon inclination par respect est cachée,

Elle seule me fait craindre un si grand malheur :

Si la chose arrivait j’en mourrais de douleur.

LA MARQUISE.

Ne craignez rien, toujours vous me verrez la même,

Et vos profits...

MARTON.

Marton, sans intérêt vous aime.

Pardonnez-moi ce mot, il est libre entre nous ;

Mais il peut rendre seul ce que je sens pour vous.

LA MARQUISE.

Approchez ce fauteuil, Marton ; à ma toilette,

Comme je dois sortir, il faut que je me mette :

Vite, allons, coiffez-moi sans perdre un seul moment.

MARTON, à part.

C’est l’instant que je crains, et le frisson me prend !

LA MARQUISE.

Mais prenez donc ce peigne. Ô Ciel ! Qu’elle est novice !

Il faut que je lui montre.

MARTON, à part.

Ah ! Je suis au supplice !

LA MARQUISE.

Mon rouge, mes rubans.

MARTON, bas.

Le cruel embarras !

LA MARQUISE.

Mais c’est-là ma pommade, et vous n’y songez pas.

MARTON.

Pardon, je suis distraite.

LA MARQUISE.

Elle est d’un gauche extrême

Et j’aurai plutôt fait de me coiffer moi-même.

MARTON.

Madame, c’est l’effet d’un zèle, trop ardent,

Pour vouloir trop bien faire, on fait plus mal souvent.

 

 

Scène IV

 

LA MARQUISE, MARTON, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Nison, votre coiffeuse, attend dans l’antichambre.

Madame, et vous amène une femme de chambre,

LA MARQUISE.

Qu’elle entre.

 

 

Scène V

 

LA MARQUISE, MARTON, MADAME NISON, FINETTE, ARLEQUIN

 

MADAME NISON, à la Marquise.

Vous voyez, Madame, un vrai trésor

C’est un sujet unique, il vaut son pesant d’or.

LA MARQUISE.

Comment la nommez-vous ?

FINETTE.

Je m’appelle Finette,

Madame.

LA MARQUISE.

Je la trouve et séante et bien faite,

Son air prévient.

FINETTE.

Madame a bien de la bonté.

Je ne mérite pas...

ARLEQUIN.

Oh ! C’est la vérité.

MARTON, à part.

Sa taille est assez gauche, et sa mine empruntée.

MADAME NISON.

Elle est un peu timide.

ARLEQUIN.

Ou plutôt effrontée.

LA MARQUISE.

Quel âge a-t’elle bien ?

FINETTE.

Madame, vingt-deux ans.

MADAME NISON.

Elle jeune, jolie, et sage en même temps.

Je réponds de ses mœurs, je connais sa famille,

Et, comme elle, Madame, on ne voit point de fille ;

Exempte des défauts où son sexe est enclin,

Elle a l’art de se taire, et n’a point de cousin.

Vous aurez sur son âme une entière puissance,

Pour les hommes elle a beaucoup d’indifférence.

LA MARQUISE.

Voilà ce que je veux. Les hommes sont trompeurs,

Et l’on doit redouter leurs pièges séducteurs ;

À mes femmes surtout je défends la fleurette,

Et je ne veux chez moi d’amour ni d’amourette ;

Me plaire uniquement doit être leur emploi ;

Je prétends que l’on m’aime, et qu’on n’aime que moi.

FINETTE.

C’est dans cet esprit seul que je viens chez Madame.

LA MARQUISE.

Je suis fort difficile, et je sais qu’en m’en blâme.

Demandez à Marton, toutes mes volontés

Sont des lois.

MARTON.

Vos rigueurs sont même des bontés,

Et rien, quand on vous sert, ne doit être pénible.

FINETTE.

Je sens que pour Madame on ferait l’impossible.

ARLEQUIN.

Que de tatillonnage ! Et moi, morbleu, je sens

Qu’il est dur de servir, qui gêne trop ses gens.

LA MARQUISE.

Je prétends que l’on soit exacte et sédentaire.

MADAME NISON.

Elle ne sort jamais, c’est une solitaire.

LA MARQUISE.

Est-elle bien fidèle ?

FINETTE.

Ah ! C’est ma qualité.

MADAME NISON.

Oui, je suis caution de sa fidélité,

Elle est faite pour rendre une Maîtresse heureuse.

ARLEQUIN.

La bonne caution, qu’une Dame coiffeuse !

LA MARQUISE, à Finette.

Vos talents !

FINETTE.

Mais je crois posséder ceux qu’il faut ;

Et l’on n’a qu’à me meure à l’épreuve au plutôt.

MADAME NISON.

Oui, Finette, Madame, et cela sans louange,

Brode comme une Fée, et frise comme un Ange,

Elle arrange une tête, oh ! mieux que moi cent fois.

Rien n’égale, en un mot, l’adresse de ses doigts.

Mais c’est peu de ces dons, elle en a d’agréables ;

Aux solides talents, elle joint les aimables,

Elle sait la musique et danse joliment ;

Elle touche avec goût du clavecin.

LA MARQUISE.

Comment !

ARLEQUIN.

Du fifre et du tambour.

LA MARQUISE, à Finette.

C’est aujourd’hui ma fête,

Vos talents paraîtront dans les jeux qu’on apprête

À Marton.

Ma fille, retouchez à ces deux boucles-ci ;

Mais allez doucement.

MARTON.

N’ayez aucun souci.

LA MARQUISE.

Vous me blessez l’oreille, elle a beaucoup de zèle.

Mais je ne connais rien de si mal adroit qu’elle.

MARTON.

Il faut me pardonner. D’aujourd’hui seulement,

J’ai l’honneur d’approcher de Madame.

FINETTE, à Marion.

Un moment.

À la Marquise.

Permettez que j’y touche.

MADAME NISON.

Allez, laissez-la faire.

LA MARQUISE.

Comment ! C’est à charmer, elle a la main légère.

MADAME NISON.

Que vous avais-je dit ?

FINETTE.

J’en viendrai mieux à bout.

Quand j’aurai, de Madame, étudié le goût.

MARTON.

Finette a du bonheur.

LA MARQUISE.

Encore plus d’adresse.

MARTON.

Le nouveau plaît toujours.

LA MARQUISE.

La réplique me blesse.

À Finette.

Mes gens sont bien payés, on doit vous l’avoir dit.

FINETTE.

L’honneur de vous servir, Madame, me suffit.

LA MARQUISE.

Elle a des sentiments, et ce zèle m’enchante.

FINETTE.

Oui, quoique je ne sois qu’une simple suivante,

Je préféré la gloire à l’appas de l’argent,

Et l’amour de Madame au profit le plus grand.

LA MARQUISE.

Elle est vraiment polie.

MARTON.

Et dans tout approuvée.

MADAME NISON.

Ses parents ont du monde, et l’ont bien élevée.

LA MARQUISE.

Je la garde.

MADAME NISON.

Il suffit, plus vous la connaîtrez,

Madame, j’en suis sûre, et plus vous l’aimerez.

Elle gagne à l’user vous en serez contente ;

C’est vous en dire assez. Je suis votre servante.

Elle sort.

ARLEQUIN.

Pour moi, je me retire assez mal satisfait,

Dans le goût de Marton, c’est encore un sujet.

 

 

Scène VI

 

LA MARQUISE, MARTON, FINETTE

 

LA MARQUISE.

Écoutez, toutes deux, soyez bonnes amies,

Vous me servirez mieux quand vous serez unies.

 

 

Scène VII

 

LA MARQUISE, LE BARON, MARTON, FINETTE

 

LE BARON.

Bonjour, ma nièce. Hé bien, comment vous trouvez-vous

De l’air de la campagne ?

LA MARQUISE.

Il me paraît fort doux ;

Et pour moi ce séjour est des plus agréables.

LE BARON.

Tant mieux. Vous avez-là deux suivantes aimables.

LA MARQUISE.

N’est-il pas vrai, Monsieur, qu’elles sentent leur bien.

MARTON et FINETTE, faisant la révérence.

Monsieur, vous vous moquez.

LE BARON, à la Marquise.

Non ; changeons d’entretien.

Je viens pour vous parler d’affaire sérieuse.

 

 

Scène VIII

 

LE BARON, LA MARQUISE

 

LE BARON.

La douceur du veuvage est pour vous trop flatteuse.

 La raison vous défend d’y vivre plus longtemps.

J’attends un héritier, vous n’avez point d’enfants,

Notre nom va s’éteindre, et sa gloire m’est chère,

Je prétends de mes biens vous faire légataire.

Mais par un prompt hymen il faut le mériter.

Faites un choix, ma nièce, et sans plus hésiter,

Votre propre intérêt presse ce mariage,

Ma consolation fera votre avantage.

LA MARQUISE.

Mon Oncle, mon dessein, et mon premier désir

Est de vous plaire en tout, et de vous obéir ;

Mais vous me demandez un effort trop pénible,

Je sens pour l’hyménée une haine invincible ;

Et je ne veux pas être, en contraignant mes vœux,

Une seconde fois victime de ses nœuds.

LE BARON.

Vous choisirez vous-même, et votre résistance...

LA MARQUISE.

Ce choix est si trompeur, et mon indifférence

Est égale d’ailleurs pour tous les hommes.

LE BARON.

Bon.

LA MARQUISE.

Monsieur, je vous dis vrai, soie caprice, ou raison,

Je n’ai nul goût pour eux.

LE BARON.

Vous n’êtes pas croyable,

Ou c’est un ridicule, un travers effroyable.

LA MARQUISE.

Mais je suis faite ainsi.

LE BARON.

Mais, s’il est vrai, tant pis.

Pour trancher la dispute, il n’est que deux partis.

D’un époux ou plutôt vous ferez, choix, Madame,

Ou bien je prendrai, moi, dans huit jours une femme

Pour soutenir mon nom, je dois tout employer ;

Et de vous, ou de moi, je veux un héritier.

Pensez-y bien. Adieu.

 

 

Scène IX

 

LA MARQUISE, seule

 

L’Alternative est dure,

Et je ne sais que faire en cette conjoncture.

 

 

Scène X

 

LA MARQUISE, FINETTE

 

FINETTE.

Madame en ce moment n’appelle-t-elle pas ?

LA MARQUISE.

Non.

À part.

Je ne fus jamais dans un tel embarras.

FINETTE.

Madame paraît triste, on lit sur son visage...

LA MARQUISE.

Non, ce n’est rien.

FINETTE.

Je n’ose en dire davantage

Je vois que par respect je dois me retirer.

LA MARQUISE.

Vous ne me gênez point : Vous pouvez demeurer,

J’ai pout me dissiper besoin de compagnie.

FINETTE.

Mon bonheur sera grand, si je vous désennuie.

LA MARQUISE.

Votre air m’est revenu dès les premiers instants.

Cruelle est votre naissance, et qui sont vos parents ?

FINETTE.

Mon père était sorti d’une noble origine ;

Mais il est mort, Madame, et je suis orpheline.

Pour comble de malheur il ne m’a laisse rien,

Qu’un nom dur à porter, quand il est sans soutien.

LA MARQUISE.

La pauvre enfant ! Quel sort ! Elle attendrit mon âme.

FINETTE.

Une tante sans bien, mais très honnête femme ;

D’élever mon enfance ayant seule pris loin,

M’a montré la vertu, même au sein du besoin.

J’ai tâché d’hériter du fond de sa sagesse,

Trésor que je préfère à toute la richesse,

Le monde tend en vain des appas séducteurs,

La véritable estime est due aux bonnes mœurs.

La vertu, quoique pauvre, est seule respectable,

Et le vice opulent est toujours méprisable.

LA MARQUISE.

Voilà des sentiments qui gagnent tout sur moi,

Et chaque instant accroît le goût que j’ai pour toi.

Je t’aime, en même temps, et je te considère :

Je vois que tu n’es pas une fille ordinaire.

FINETTE.

Ah ! Madame, aimez-moi, c’est tout ce que je veux,

Et ce qui pourra seul rendue mon sort heureux.

LA MARQUISE.

Je m’intéresse à toi... Vous pouvez tout attendre...

FINETTE.

Vous disiez mieux d’abord ; et pourquoi vous reprendre ?

LA MARQUISE.

Il m’arrive fort peu de tutoyer mes gens.

FINETTE.

Tant pis, ils vous sont donc, Madame, indifférents.

LA MARQUISE,

Vous, ou toi, ne dit rien.

FINETTE.

Grande est la différence ;

L’un, marque la froideur ; l’autre, la confiance ;

Surtout d’une maîtresse il prouve l’amitié,

À toute heure il est doux d’en être tutoyé ;

Et je sens un plaisir qui transporte mon âme,

Lorsque j’ai le bonheur de l’être par Madame.

LA MARQUISE.

Plus je l’écoute, et plus son discours me ravit ;

En elle on trouve tout, sentiment, goût, esprit.

FINETTE, à part.

Bon, je prends auprès d’elle.

LA MARQUISE.

Ô, ma chère Finette !

Pour ne pas t’accorder ce que ton cœur souhaite,

Tu sais le demander trop agréablement.

FINETTE.

Honorez de ce bien Finette uniquement ;

Daignez la distinguer par là de tous les vôtres :

Gardez le toi, pour elle, et le vous, pour les autres.

LA MARQUISE.

Dans les grandes maisons tu dois avoir servi ;

Tes façons, tes discours, tout me le témoigne.

FINETTE.

Oui,

Les Dames du grand monde ont formé ma jeunesse,

Mon service a souvent mérité leur tendresse :

Mais malgré leurs bontés, je n’ai jamais senti

Ce que mon cœur pour vous sent dans ce moment-ci ;

C’est un zèle si fort qu’il ne peut se comprendre,

Et je n’ai point de mot qui puisse bien le rendre.

LA MARQUISE.

Je n’en ai point aussi qui puisse t’exprimer

À quel point ce discours a l’art de me charmer.

Finette, s’il est vrai, comme tu le confesses,

Que ton cœur me préfère à tes autres maîtresses,

Le mien peut t’assurer, sans nul déguisement,

Que ma bonté répond à ton attachement ;

Et je n’ai près de moi jamais eu de suivante,

Dont le zèle empresse, dont l’attache constante,

M’ait inspiré l’estime et les vifs sentiments,

Que tes soins ont fait naître en si peu de moments.

Tel est l’effet subit que produit le mérite ;

Il perce en un instant, et son pouvoir excite,

Dans quelque rang qu’il toit, la juste attention ;

Il sait faire oublier toute distinction

D’abord l’esprit ressent sa douce violence,

Et son premier abord obtient la confiance.

FINETTE.

Si j’obtenais la vôtre, ah ! Quel bonheur pour moi !

LA MARQUISE.

Je ne puis m’en défendre ; et trop sûre de toi,

Il n’est rien désormais que je ne te confie,

Je veux te regarder comme une tendre amie.

FINETTE.

Ce titre est trop flatteur.

LA MARQUISE.

Oui, mon cœur t’attendait,

Et je bénis le Ciel du présent qu’il m’a fait.

FINETTE.

Vous me comblez de gloire, et l’heureuse Finette.

Me sent plus le malheur de l’état de soubrette.

LA MARQUISE.

Chaque état a sa peine, et moi-même je sens

Que les rangs distingués font plus mécontents.

FINETTE.

Qu’entends-je ? Par ces mots vous m’étonnez, Madame ;

Quelque chagrin secret troublerait-il votre âme ?

LA MARQUISE.

Oui, je ne dois avoir rien de caché pour toi.

On veut gêner mon cœur ; mon Oncle, malgré moi,

Veut sans plus différer que je me remarie,

Et qu’à sa volonté mon goût se sacrifie :

C’est ainsi que l’orgueil immole avec éclat

À l’appui d’un vain nom, celles de mon état.

FINETTE.

Force-t-il votre choix ?

LA MARQUISE.

Non, j’en suis la maîtresse.

FINETTE.

Je m’étonne, en ce cas, du trouble qui vous presse.

Eh quoi ! L’hymen est-il un si grand mal pour vous ?

Ce nœud peut être aimable avec un jeune époux.

LA MARQUISE.

Pour goûter ses douceurs mon âme n’est point née :

Les cœurs indifférents doivent fuir l’hyménée.

Le mien est de ce nombre, et je dois pour jamais

Rester dans le veuvage où je trouve la paix.

FINETTE.

Votre cœur (pardonnez ma demande à mon zèle)

Est-il exactement insensible et rebelle ;

Il faut que de lui-même ii soit bien assuré :

Jamais aucun objet ne l’a-t-il effleuré ?

LA MARQUISE.

Mais un pareil discours m’embarrasse et m’étonne.

FINETTE.

C’est pour votre repos que je vous questionne.

LA MARQUISE.

Puisqu’il faut de mon cœur te montrer les replis ;

J’avouerai qu’un seul homme a sur mes sens surpris,

Fait une impression vive, mais passagère.

Je n’ai gardé de lui qu’une image légère :

C’est un jeune inconnu que je n’ai vu qu’au bal

Sous l’habit d’Espagnol.

FINETTE, à part.

Ô ! bonheur sans égal !

C’est moi dont elle parle.

LA MARQUISE.

Il me dit cent folies,

Je ne pus m’empêcher d’applaudir ses saillies.

Je le vis démasqué, Finette, et tu parais

En avoir un faux air à t’observer de près.

FINETTE.

À dire vrai, la chose est très particulière.

LA MARQUISE.

Ce rapport à mes yeux te rend encore plus chère.

Ma bouche t’en dit trop, tu vois que je rougis,

Et tu dois me blâmer.

FINETTE.

Non, je vous applaudis.

 

 

Scène XI

 

LA MARQUISE, FINETTE, MARTON

 

MARTON, à part.

Pour Finette en secret ma haine est violente ;

Elle est avec Lucinde, et mon dépit augmente ;

Écoutons leurs discours.

LA MARQUISE, à Finette.

Dans le cours d’un instant,

Je dévoile (quel est sur moi ton ascendant !)

Je dévoile à tes yeux mon âme toute entière,

Cette âme jusqu’ici si cachée et si fière,

Presque sans nul effort, je te confie à toi,

Ce que jamais Marton n’aurait appris de moi.

MARTON, à part.

Ciel ! Qu’est-ce que j’entends ? Je suis hors de moi-même.

FINETTE.

Elle mérite moins cette faveur extrême :

Mais la voilà qui vient par un soin maladroit.

Troubler notre entretien dans le plus bel endroit.

MARTON, à part.

Dévorons le dépit dont mon âme est pressée.

LA MARQUISE.

Approchez-vous, Marton ; je suis embarrassée

Sur le déguisement que je prendrai ce soir.

Dites-moi votre avis, je voudrais le savoir ;

Me conseilleriez-vous d’en prendre un caprice ?

MARTON.

Quelque déguisement que votre goût choisisse.

Vous l’embellirez plus qu’il ne vous parera.

FINETTE.

Je suis du sentiment de Marton en cela.

LA MARQUISE.

Il me vient dans l’esprit d’être en Vénitienne.

Je change de pensée ; il faut que je m’en tienne

À l’habit que j’avais au Bal, où je dansai

Avec cet Espagnol qui faisait l’empressé.

D’en faire tout l’éclat j’eus avec lui la gloire ;

Nous obtînmes tous deux l’honneur de la victoire.

MARTON.

Un masque qui dansa longtemps en Pantalon,

Méritait beaucoup mieux vos éloges, dit-on.

FINETTE, riant.

En Pantalon ? Ah ! Ah !

MARTON.

Qu’y trouvez-vous à dire ?

FINETTE.

Mais j’y trouve...

MARTON.

Achevés.

FINETTE.

Pantalon me fait rire.

MARTON.

Sur ce déguisement pourquoi vous récrier ?

FINETTE.

C’est qu’il est ridicule autant que singulier.

MARTON.

Mais celui d’Espagnol...

FINETTE.

Est plus galant, je pense ;

Il faut que Pantalon soit de sa connaissance.

MARTON.

Et l’Espagnol, sans doute, est fort de vos amis.

FINETTE.

Il est d’un meilleur goût.

MARTON.

Je suis d’un autre avis.

FINETTE.

J’ai pour les Pantalons une haine infinie.

MARTON.

J’ai pour les Espagnols la même antipathie.

FINETTE.

Madame les préfère, et cela me suffit.

LA MARQUISE.

Leur querelle est plaisante, elle me divertit.

MARTON.

Finette sur Marton n’aurait pas l’avantage,

Si son cœur n’était pas sur de votre suffrage.

LA MARQUISE.

Revenons à la fête, et laissons ce débat.

Pour augmenter du Bal et la joie et l’éclat,

Il me vient une idée, il faudra l’une et l’autre

Vous déguiser ce soir.

FINETTE.

Mon goût sera le vôtre.

MARTON.

Comment nous travestir ?

LA MARQUISE.

En hommes toutes deux,

Toi, tu seras, Finette, un fripon dangereux,

Et Marton est de taille à bien remplir ce rôle.

FINETTE.

Pour moi, je le jouerai sans peur qu’on me contrôle.

MARTON.

Je suis, sous cet habit, moi, sûre de mon fait ;

Je compte réparer le tort qu’elle me fait.

Et malgré tout l’espoir dont se flatte son âme ;

Gagner en Cavalier ce que je perds en Femme.

FINETTE.

Mous verrons.

MARTON.

À ce soir.

LA MARQUISE.

Plaisant défi, j’en ris.

J’entre en mon cabinet pour écrire à Paris,

Je n’y suis qu’un moment, et vous viendrez ensuite

M’habiller tout-à-fait pour aller en visite.

Elle rentre.

 

 

Scène XII

 

FINETTE, MARTON

 

MARTON.

M’as-tu considérée assez à ton loisir ?

FINETTE.

Mais j’admire ta taille, elle est faite à ravir.

MARTON.

Sais-tu que ton entrée en ces lieux m’inquiète ;

Et que tu pourrais bien...

FINETTE.

Mais Marton...

MARTON.

Mais Finette.

FINETTE.

Ton humeur est revêche, à ce qu’il me paraît.

MARTON.

Ton aspect me révolte.

FINETTE.

Et le tien me déplaît.

MARTON.

Ne m’aigris point mon âme est des moins endurantes.

FINETTE.

Et moi, quand je m’y mets, je suis des plus méchantes.

MARTON.

Tu plais à ma Maîtresse, et je dois t’en punir.

J’avais son amitié, tu viens me la ravir.

FINETTE.

Est-ce ma faute à moi, si je suis plus aimable ?

MARTON.

Par caprice plutôt elle t’est favorable :

Mais palsembleu !...

FINETTE.

Ce geste est assez Cavalier.

MARTON.

Et ton maintien, à toi, n’est pas moins singulier.

Je ne sais qui m’arrête...

FINETTE.

Elle se met en garde !

Quelle fille ! Vraiment l’attitude est gaillarde.

MARTON.

Ne me réplique plus, je ne plaisante pas.

FINETTE.

Toi-même prends bien garde à ce que tu feras.

 

 

Scène XIII

 

LA MARQUISE, MARTON, FINETTE

 

LA MARQUISE.

Mais quel bruit coures deux est-ce donc que vous faites ?

Et que veut dire ici l’embarras où vous êtes ?

MARTON, reprenant l’air modeste.

Madame, ce n’est rien.

FINETTE.

Marton a commencé.

MARTON.

Contre elle j’ai l’esprit justement offensé.

LA MARQUISE.

Je veux qu’on vive en paix.

FINETTE.

Marton a des manières...

MARTON.

Finette a des façons...

FINETTE.

Qui ne conviennent guères.

LA MARQUISE.

Suivez-moi l’une et l’autre, et venez m’habiller.

Je chasserai quiconque osera quereller.

MARTON.

Il m’est bien douloureux de voir...

LA MARQUISE.

Plus de langage,

Toute ma confiance entre vous se partage :

Disputez-la, Marton, par vos soins redoublés,

Et non par la chaleur de vos rots démêlés.

Elle rentre.

Marton et Finette s’en allant, se menacent derrière leur Maîtresse. La Marquise si retourne, et les fausses suivantes reprennent un maintien modeste.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

FINETTE, MADAME NISON

 

MADAME NISON.

On ne peut mieux remplir le rôle de suivante,

Et votre air tatillon me surprend et m’enchante.

FINETTE.

L’amour est un grand Maître, heureux ceux qu’il conduit !

À bien jouer mon rôle, il m’a lui-même instruit.

Pour mieux cacher la feinte, et mieux tromper la vue,

Mon âge est favorable, et ma taille est menue ;

De mon Emploi, d’ailleurs, j’ai l’esprit, le talent ;

Des suivantes au fond le mérite éminent,

Le grand art de coiffer, de tourner avec grâce

Une boucle badine, et de mettre en leur place

Une mouche, un ruban, est justement celui

Que possèdent le mieux les Marquis d’aujourd’hui.

Pour les ajustements leur science est parfaite,

Et le vrai petit Maître est à demi soubrette.

MADAME NISON.

Je vous ai par-dessus donné quelques leçons,

Mais quel est votre but, Léandre ? Raisonnons.

FINETTE.

De gagner par degré le cœur de la Marquise.

MADAME NISON.

Si vous réussissez, je serai très surprise.

Quel peut-être l’espoir que vous avez conçu ?

Comme femme, il est vrai, vous avez déjà plu,

Mais comme Amant, Monsieur, la chose est différente

Et l’Inconnu du Bal est loin de cette attente.

FINETTE.

Sous l’habit d’Espagnol j’ai fait quelque progrès,

Mais qu’attendre après tout de ces faibles essais ?

Rien, et l’impression que j’ai faite sur elle

Est faible, passagère et superficielle.

C’est un trait qui n’a fait que glisser sur son cœur,

Sa fierté doit plutôt me remplir de frayeur ;

Je suis épouvanté de son seul, caractère

N’importe, à force d’art, essayons de lui plaire.

J’ai commencé, je veux accomplir mon projet,

Ainsi songe au plutôt à rendre, mon Billet.

MADAME NISON.

Vous savez qu’en adresse, il n’est rien qui m’égale.

FINETTE.

Et tu connais aussi mon humeur libérale.

MADAME NISON.

Au plus grand des dangers je m’expose pour vous,

De la Marquise ici j’affronte le courroux ;

Votre mère d’ailleurs est d’une humeur sévère.

Si jamais elle apprend...

FINETTE.

Hé ! Laisses-là ma mère.

Tu feras beaucoup mieux de m éclair.cir un point.

Il s’agit de Marton, ne la connais-tu point ?

MADAME NISON.

De Marton., dites-vous ? La chose est fort plaisante,

Je l’ai vue autre part, la drôle de suivante !

Elle l’est comme vous, et sachez que Marton

Ressemble trait pour trait au Chevalier Damon..

FINETTE.

Qu’entends-je ?

MADAME NISON.

J’ai tantôt reconnu son visage.

Il a beau, de son mieux, jouer son personnage,

Mon œil qui le connaît n’y saurait être pris.

On voit le Chevalier à travers ses habits.

La Marquise se loue, à bon droit, de ses Femmes :

Vivent les Cavaliers pour bien servir les Dames.

FINETTE.

Du malheur que j’ai craint me voilà trop instruit.

MADAME NISON.

Par le même chemin l’amour vous a conduit ;

Il vient pareille idée à plus d’une personne :

Si vous le soupçonnez, croyez qu’il vous soupçonne.

Votre aspect l’a frappé. J’ai vu même, j’ai vu

Qu’avec un œil avide il vous a parcouru.

Son air disait tout haut : je n’en fuis pas la dupe,

J’aperçois un rival caché sous cette jupe.

FINETTE.

Je ne suis plus sut pris de son jaloux transport,

Ni de sa brusquerie à mon premier abord.

MADAME NISON.

La dispute était vive, et l’on vient de me dire

Qu’à toute la maison vous apprêtiez à rire.

FINETTE.

Nous ne dirons plus rien, l’ordre est trop rigoureux ;

Madame nous a fait défense à toutes deux,

D’avoir le moindre bruir et la moindre querelle,

Sous peine de sortir sur le champ de chez elle.

Elle a poussé la chose au point de nous forcer

D’oublier nos débats, et de nous embrasser.

MADAME NISON.

Si vous aviez suivi son penchant et le vôtre,

Vous vous feriez plutôt étranglés l’un et l’autre.

FINETTE.

Oui, je l’eusse étouffé voluptueusement.

La paix coûte aux rivaux.

MADAME NISON.

Et tient qu’un moment.

FINETTE.

Notre ainsi, par raisons, doit être pacifique.

MADAME NISON.

Oui, Monsieur, mais l’amour est mauvais politique,

Un premier mouvement l’emporte et fait la loi.

Vous êtes vifs tous deux.

FINETTE.

Arlequin vient ; tais-toi.

 

 

Scène II

 

MADAME NISON, FINETTE, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Toutes ces filles-là-sont de mauvaise emplette ;

Mais je vois la Nison avec cette Finette.

FINETTE, à Madame Nison.

C’est un original, je veux m’en divertir.

MADAME NISON.

Laissez, il est grossier.

FINETTE.

Je saurai le polir.

Viens, approche, Arlequin, et faisons connaissance.

Tu me devais, au moins, faire la révérence.

ARLEQUIN.

Jamais je ne salue.

FINETTE.

Allons, sois gracieux,

Et déride ton front.

ARLEQUIN.

Tu me rends sérieux.

FINETTE.

D’un pareil compliment j’ai lieu d’être surprise ;

Et, tu réponds bien mal...

ARLEQUIN.

Veux-tu que je te dise ?

Je ne puis te souffrir. Je fuis de bonne-foi.

MADAME NISON, à Finette.

Je vous l’ai dit.

ARLEQUIN.

La chose est plus force que moi.

MADAME NISON.

Le butord !

ARLEQUIN.

Taisez-vous, ô ! Coiffeuse du diable,

C’est vous qui produisez cette engeance effroyable.

MADAME NISON.

Tous les discours qu’il tient n’ont pas le sens commun.

FINETTE.

Il est ivre, à coup sûr.

ARLEQUIN.

Non, je te hais à jeun ;

Et, plus je te regarde, Ô ! Suivante baroque,

Plus j’ai d’antipathie, et plus ton air me choque.

Arlequin te déclare ici, qu’après Marton,

Il n’a jamais connu de plus grande guenon.

FINETTE.

Maraud ! Par quel motif est-ce que je m’attire ?...

ARLEQUIN.

Par un motif, morbleu, que je ne saurais dire,

Mais que je sens fort bien.

FINETTE.

Et pourquoi m’offenser ?

ARLEQUIN.

C’est afin de t’apprendre à venir m’agacer.

MADAME NISON.

Une fille d’honneur !

ARLEQUIN.

D’une plaisante espèce.

MADAME NISON.

C’est assez qu’elle soit le fait de ta Maîtresse.

ARLEQUIN.

Elle n’est pas, le mien du tout, mais point du tout.

Madame a ses raisons, Arlequin a son goût.

Je suis las de bâiller tout seul dans l’antichambre.

MADAME NISON.

Je te plains !

ARLEQUIN.

Ma Maîtresse a deux Femmes-de-chambre

Elle doit partager, et, dans la bonne-foi,

En prendre une pour elle, et puis l’autre pour moi.

Mais, sans me consulter, ton prend des créatures,

Dont l’air dégingandé découvre les allures.

Des mains d’une brodeuse on reçoit la Marton,

Et Finette nous vient par Madame Nison.

MADAME NISON.

Finiras-tu ?

ARLEQUIN.

Non, non ; avant que je déloge,

Laissez-moi, s’il vous plaît, achever votre éloge.

Illustre de nos jours, qui brillez dans Paris,

Le soutien des amants, et l’effroi des maris,

Qui du sexe formant les galantes parures,

Sur le front de l’époux placez d’autres coiffures,

Et dont l’agile main, zeste, glisse un poulet,

Aussi légèrement qu’elle frise un toupet.

MADAME NISON.

Un encens si flatteur blesse ma modestie,

Et tu me fais rougit ; Je quitte la partie.

 

 

Scène III

 

ARLEQUIN, FINETTE

 

ARLEQUIN.

Me voilà, de la masque, heureusement défait ;

Si je l’étais de toi, je serais satisfait.

FINETTE.

Si tu crois m’affliger, ta bêtise est étrange ;

La satyre d’un sot tourne à notre louange :

Mon esprit est flatté, non choqué de tes traits,

Et mon mérite est sûr, puisque je te déplais.

ARLEQUIN.

Pour une Chambrière, ô, voilà du haut style.

Arrive, voici l’autre, et pouf le coup ma bile

Redouble de moitié.

 

 

Scène IV

 

ARLEQUIN, FINETTE, MARTON

 

ARLEQUIN.

Je suis embarrassé.

De deux aversions mon cœur se sent pressé.

Voyons ce minois-ci, regardons ce visage ;

Je ne sais qui des deux me déplaît davantage.

On ne saurait aimer qu’un objet fortement,

Mais on en peut haïr plusieurs également.

Rendons à toutes deux mon mépris manifeste :

Finette, je te haïs, Marton, je te déteste.

FINETTE.

Mais l’aveu qu’il nous fait est tour-à-fait galant.

MARTON.

Vous déplaire, Monsieur ! Notre malheur est grand.

ARLEQUIN.

Il est vrai qu’à mes yeux vous êtes effroyables ;

Mais il est un moyen de vous rendre agréables :

Je vais vous l’enseigner. C’est de renouveler

La scène de tantôt, et de vous quereller.

Allons, c’est, sans tarder ; que ces Dames combattent ;

Pour moi, je suis charmé quand deux femmes se battent.

MARTON.

Mais coupons une oreille à cet animal-là.

FINETTE.

Madame à son retour pour nous le châtiera.

MARTON.

Je vais, en attendant, lui donner trois nasardes.

ARLEQUIN.

Ah ! Je vous prie un peu, voyez ces hallebardes !

Si j’étais le plus fort ; mais la peur me retient.

FINETTE.

Courons vite ; voilà Madame qui revient.

MARTON.

Oui, j’entends son carrosse, et c’est elle, je vole.

 

 

Scène V

 

ARLEQUIN, seul

 

Vite, gare, culbute, abattez-vous l’épaule,

Cassez-vous une jambe, ou rompez-vous le cou,

Vous me ferez plaisir. Vit-on rien de plus fou ?

Sur ce siège, pour moi, je demeure tranquille.

Je prendrais, après tout, une peine inutile.

Je ne sais point flatter, et médire des gens,

Ni faire encore moins ma cour à leurs dépens.

Si j’ai peu de vertu, je n’ai pas de grands vices :

Je suis brutal, bavard, mais exempt d’artifices.

Je les vois revenir avec empressement,

À Madame cédons la place poliment.

 

 

Scène VI

 

LA MARQUISE, FINETTE, MARTON

 

FINETTE, lui présentant, un fauteuil.

Dans ce fauteuil, Madame, asseyez-vous de grâce.

MARTON.

Daignez-vous reposer, vous devez être lasse.

LA MARQUISE.

Oui, je suis fatiguée, ennuyée à l’excès,

Et ce n’est que chez moi que je trouve la paix.

FINETTE.

Demeurez-y toujours.

LA MARQUISE.

C’est ce que je veux faites ;

Les visites surtout ont l’art de me déplaire.

L’usage les ordonne, et la gêne les suit,

La froideur les commence, et l’ennui les finit.

Il faut d’un vain dehors se rendre les esclaves ;

À ses vrais sentiments imposer des entraves ;

Aux caprices reçus immoler la raison ;

Fléchir devant la mode, applaudir au jargon ;

De cent originaux écouter les fadaises,

Affectant l’air aisé, n’oser prendre ses aises ;

Au faux mérite seul prodiguer ton encens,

Et faire le procès aux plus honnêtes gens,

Donner les préjugés pour vérités solides,

Et remplir l’entretien des discours les plus vides.

Voilà ce qui se fait, voilà ce qu’on entend,

Dans les cercles polis du monde le plus grand.

MARTON.

Il est vrai que, du faux, ii prend souvent la route.

FINETTE.

Et ce n’est bien souvent que du vent qu’on écoute.

LA MARQUISE.

Oui, mes chères enfants, et sachez qu’aujourd’hui,

J’en sens plus que jamais le clinquant et l’ennui.

Ma maison, chaque jour, me devient plus aimable,

Et vous contribuez à la rendre agréable :

Mon cœur trouve avec vous de la sincérité,

Beaucoup d’empressement, et de fidélité.

MARTON et FINETTE.

Madame...

LA MARQUISE.

Je l’avoue, un tel bonheur m’enchante ;

De mes femmes jamais je ne fus si contente.

Vous allez l’une et l’autre au-devant de mes vœux,

Et je n’en puis avoir qui me conviennent mieux.

FINETTE, lui baisant la main.

Permettez que mon cœur vous témoigne ma joie.

MARTON, la lui baisant aussi.

Souffrez qu’en même-temps la mienne se déploie.

LA MARQUISE.

Il est doux d’être aimée, et mon cœur est flatté.

MARTON ;

Mon esprit est ravi.

FINETTE.

Le mien est enchanté.

LA MARQUISE.

Dans ces lieux retirés leur innocent hommage,

Des vertus du vieux temps me retrace l’image.

MARTON.

Dans le fond de mon cœur elles logent encor.

FINETTE.

Dans ma fidélité vous voyez l’âge d’or.

LA MARQUISE.

Je sens fortifier mon goût pour la retraite.

FINETTE.

J’y respire à présent une douceur parfaite.

LA MARQUISE, à Marton.

Ah ! Doucement, Marton, vous me blessez le bras.

MARTON.

Finette en fait autant, et ne vous blesse pas.

LA MARQUISE.

Comment ! Vous retombez dans votre jalousie ?

La paix, par ce poison, sera bientôt bannie ;

Avec elle déjà le plaisir disparaît.

FINETTE.

Adieu le siècle d’or, celui de fer renaît.

LA MARQUISE.

Cette fille est étrange, et son humeur m’attriste.

MARTON.

Le moyen, s’il vous plaît, que l’âge d’or subsiste,

Quand Madame, entre nous, détruit l’égalité ?

LA MARQUISE.

Mon esprit est exempt de partialité ;

Mais votre cœur jaloux, du moindre rien s’alarme,

Et vient, de mon repos, traverser tout le charme.

Finette est différente, et son attachement...

MARTON.

Je sais trop qu’à vos yeux elle a plus d’agrément.

LA MARQUISE.

Dites plus de douceur. Songez que pour me plaire,

De toutes les vertus, c’est la plus nécessaire ;

Elle doit, de mes gens, régler tous les dehors.

Allez, pour l’acquérir, faites tous vos efforts ;

Et surtout, attendez, pour paraître à ma vue,

Que vous puissiez compter sur plus de retenue.

Toi, Finette, suis-moi.

Elle rentre, avec Finette.

 

 

Scène VII

 

MARTON, seul

 

Finette a sa faveur,

Et la cruelle encore m’ordonne la douceur.

Non, non, l’amant jaloux n’en est pas susceptible ;

Ce n’est qu’à la fureur qu’il peut être sensible.

Mon dépit est fondé sur le fatal soupçon,

Que depuis ce matin je forme avec raison.

Comme Marton, l’amour a travesti Finette,

Et c’est de sa façon qu’elle est ici soubrette.

D’un rival soupçonneux les yeux son clairvoyants,

Et percent à travers tous les déguisements.

Je prétends plutôt au démêler l’artifice,

La Nison en ces lieux en est l’introductrice,

Je la vois. Par la crainte arrachons son secret,

Et tâchons d’éclaircir mon soupçon tout-à-fait.

 

 

Scène VIII

 

MADAME NISON, MARTON

 

MARTON.

Parle. En cette maison oses-tu bien paraître ?

Si Madame savait, et venait à connaître...

MADAME NISON.

À connaître, quoi ?

MARTON.

Quitte un vain déguisement,

J’ai découvert ta ruse, et trembles en ce moment.

J’admire de ton front l’audace surprenante :

Présenter à Madame un homme pour suivante ;

Sous des habits trompeurs, sous un nom supposé,

Tu places auprès d’elle un amant déguisé !

MADAME NISON.

Quel amant déguisé ?

MARTON.

C’est la fausse Finette

Je sais de toutes deux, la manœuvre secrète.

Ce qui m’outre le plus, exposer mon honneur !

Me donner pour compagne un jeune suborneur !

Des filles comme moi...

MADAME NISON.

Laissons ces badinages,

Des filles comme vous sont des hommes peu sages.

MARTON.

Crains mon juste courroux.

MADAME NISON.

Point de terme impoli ;

Si vous me connaissez, je vous connais aussi,

Damon ; je ne puis vous rendre alarme pour alarme ;

Si vous faites du bruit, je ferai du vacarme.

MARTON.,

Elle me reconnaît !

MADAME NISON. :

Oui, parler, séducteur,

Osez-vous bien venir chez les femmes d’honneur,

Jouer honteusement le rôle que vous faites,

Endosser une jupe, arborer des cornettes,

Et prévenant Léandre en son hardi projet,

Condamner en nous deux ce que vous avez fait.

MARTON.

Frémis, dans la fureur qui possède mon âme,

Je m’en vais de ce pas dire tout à Madame.

MADAME NISON.

Prenez garde, Monsieur, que vos sens soient moins prompts.

Si vous nous découvrez, nous vous démasquerons.

Pour vous, comme pour nous, le prix est extrême.

Songez qu’en nous perdant vous vous perdez vous-même.

MARTON.

Où me vois-je réduit ? Ciel ! Faut-il me taire ?

MADAME NISON.

Oui.

Le parti du silence est le meilleur parti.

L’intérêt d’un rival est aujourd’hui le vôtre.

Vous devez vous garder le secret l’un à l’autre.

Vaincre soigneusement vos mouvements jaloux,

Si vous vous disputez, que ce soit entre vous

De prudence, de soins, d’empressement, de zèle ;

Et soyez mesuré sous un habit femelle.

MARTON.

Puis-je l’être en voyant mon rival préféré,

J’ai perdu tout crédit depuis qu’il est entré.

MADAME NISON.

Bon ! De la nouveauté, c’est qu’if a tout le charme ;

Faut-il donc pour si peu que votre amour s’alarme ?

Connaissez mieux le cœur et l’esprit féminin,

On le goûte aujourd’hui, vous-plairez mieux demain.

Laissez d’un premier feu, laissez passer la flamme, 

Et redoublez de soin pour regagner Madame,

À ses regards sur tout cachez votre dépit ;

Auprès d’elle, Monsieur, c’est lui seul qui vous nuit.

On déplaît à coup sûr, sitôt que l’on se pique ;

Il faut avec le sexe agir de politique.

Paraissez mécontent vous le révolterez ;

Usez de complaisance, et vous le soumettrez.

Croyez-en mes conseils ; j’ai l’âme bonne et ronde,

Monsieur, et je voudrais obliger tout le monde.

MARTON.

Ce qu’elle me dit-là, me paraît de bon sens.

Faisons-nous un effort, maîtrisons nos sens.

Ne désespérons pas de ma bonne fortune ;

Je veux te croire ; oublie...

MADAME NISON.

Oh ! je suis sans rancune,

Monsieur.

MARTON.

Adieu, je sors frappé de tes raisons ;

Et vais mettre au plutôt à profit ces leçons.

 

 

Scène IX

 

MADAME NISON, seule

 

J’ai bien fait l’arrêter cette fougue indiscrète,

Et tout était perdu. Mais on vient, c’est Finette.

 

 

Scène X

 

MADAME NISON, FINETTE

 

FINETTE, transportée.

Habit, habit charmant, présent cher et flatteur,

Puis-je trop vous baiser ? Vous enchantez mon cœur.

MADAME NISON.

Monsieur, êtes-vous fou ? Quelle ardeur vous transporte ?

FINETTE.

La robe...

MADAME NISON.

Quelle robe ?

FINETTE.

Eh ! Celle que je porte.

MADAME NISON.

Comment !

FINETTE.

D’un bien si doux laisse-moi donc jouir ;

Elle fait mon bonheur, elle fait mon plaisir.

MADAME NISON.

Voilà pour une robe une amitié bien forte.

FINETTE.

Je l’adore.

MADAME NISON.

Peut-on s’exprimer de la sorte ?

FINETTE.

C’est la robe enchantée.

MADAME NISON.

Elle a vraiment le don

De faire extravaguer.

FINETTE.

D’amour chère Nison.

Pour elle, avec sujet, mon âme est transportée ;

C’est une robe enfin que Lucinde a portée.

Tout à l’heure elle vient de m’en faire présent.

Juge si mes transports sont fondés à présent.

Faveur, pour un amant, nouvelle autant qu’extrême.

Qu’il est doux de porter l’habit de ce qu’on aime !

MADAME NISON.

D’accord, mais cet habit est un don proprement

Qu’on fait à la suivante, et non pas à l’amant.

FINETTE.

N’importe ! C’est l’amant qui toujours en profite.

MADAME NISON.

Tout à l’heure, Marton, que le dépit agite,

Vient de faire éclater des transports différents ;

Je viens d’en essuyer un affront des plus grands.

Vous m’avez attiré cette rude algarade ;

Sachez qu’elle est au fait de votre mascarade.

Par bonheur ma prudence a calmé sa fureur.

Monsieur, je vous exhorte à la même douceur.

Vous savez ce qu’il est, il sait ce que vous êtes,

Et, pour cacher ici le rôle que vous faites,

Vous vous devez tous deux des égards mutuels.

FINETTE.

Ce contretemps m’alarme, il est des plus cruels.

Mais as tu fait tenir ma Lettre à la Marquise ?

MADAME NISON.

Non ; est-elle seule ?

FINETTE.

Oui, va.

MADAME NISON.

J’y cours sans remise,

Vous, Finette, songez à ménager Marton ;

La voilà qui revient, et qui parle au Baron.

 

 

Scène XI

 

LE BARON, MARTON, FINETTE

 

MARTON, au Baron.

Je ne puis l’accepter, Monsieur, je vous rends grâce.

LE BARON.

Mais peux-tu refuser une si bonne place ?

MARTON.

Je songe qu’à Finette elle conviendra mieux.

Proposez-lui, Monsieur, elle s’offre à vos yeux.

LE BARON.

Mais c’est toi qu’on demande.

MARTON.

Elle est d’attraits pourvue :

On la préférera, sitôt qu’on l’aura vue.

LE BARON.

Finette, à son refus, dis-moi, voudrais-tu...

FINETTE.

Quoi !

LE BARON.

Tu vas en quatre mots l’apprendre, écoutes-moi.

Une Dame qui vint nous rendre hier visite,

Femme de qui le rang égale le mérite,

Trouve à son gré Marton, qu’elle a vue en passant.

Elle en a fait parler sur un ton fort pressant.

Comme pour peu de temps, elle est à la campagne,

Et qu’elle doit se rendre aux états de Bretagne ;

Elle souhaiterait ardemment de l’avoir,

Et pour la demander, doit revenir ce soir.

C’est comme compagnie, et comme Demoiselle,

Comme amie, en un mot, qu’elle sera près d’elle.

FINETTE.

Mais il doit... elle doit saisir l’occasion,

Et d’autres brigueraient cette condition.

MARTON.

Mais, puisque vous trouvez la place, si brillante,

Vous pouvez la remplir, j’en serai très contente.

FINETTE.

C’est vous qu’on a choisie, il ne me convient pas

De passer devant vous.

MARTON.

Je vous cède le pas.

LE BARON, à Manon.

Tu n’as point de prétexte.

MARTON.

En vain Monsieur me presse,

Je suis trop fortement attachée à sa nièce.

FINETTE.

J’ai la même raison pour ne pas la quitter.

LE BARON, à Marton.

D’autant plus volontiers tu devrais l’accepter,

Qu’au retour tu pourrais rentrer chez la Marquise.

MARTON.

Non, Monsieur. Quelle robe est-ce donc qu’elle a mise ?

LE BARON.

Il n’est pas question de robe ni d’habits ;

Il s’agit à présent d’en croire mon avis.

MARTON.

C’est la robe qu’hier Madame avait, c’est elle.

LE BARON.

Que diable ! Laissons-là...

MARTON.

Son audace est nouvelle.

LE BARON.

Mais je ne comprends rien à ses digressions.

FINETTE.

Monsieur, elle est sujette à des distractions.

MARTON.

Vous vous donnez les airs de vous parer, Finette,

Des robes de Madame ?

LE BARON.

Ah ! Discours de soubrette.

MARTON.

Cela ne convient point. Je dois l’en avertir ;

Et j’y vais de ce pas.

FINETTE.

Oh, vous pouvez partir.

Apprenez que je suis très en droit de la mettre

Madame dans ce jour veut bien me le permettre.

MARTON.

Le permettre ?

FINETTE.

Oui, je puis étaler son bienfait ;

Cette robe est un don que sa bonté m’a fait.

MARTON.

Un présent de Madame ?

FINETTE.

Oui.

LE BARON.

Tu n’as rien à dire.

MARTON.

Rien à dire, Monsieur ! C’est de quoi je soupire.

Comment ! Depuis un jour qu’elle est dans la Maison,

D’un magnifique habit Madame lui fait don ?

Et je l’en vois parée à notre préjudice.

Il m’est bien dur de voir une telle injustice.

De mes soins empressés, je reçois un beau prix.

La dernière venue obtient tous les profits.

Je n’en ai pas reçu la même récompense.

Je serais moins sensible à cette préférence,

Si j’avais moins de zèle et moins d’attachement.

Ce qui fait mon malheur, ce qui fait mon tourment,

Je sens au fond du cœur, je sens pour ma Maîtresse

Un amour, mais si fort qu’il tient de la faiblesse.

Ce cœur ne saurait voir, sans en être irrité,

Passer en d’autres mains un bien qu’elle a porté.

LE BARON.

Un habit n’a jamais causé douleur égale ;

Et cette fille-là paraît originale.

À part.

Ceci me détermine à la faire partir.

À Marton.

Mais n’en témoignons rien. Calme ton déplaisir,

Ne pleure pas, Marton, si ce présent te blesse,

À t’en faire un plus beau, j’obligerai ma Nièce.

MARTON.

S’il ne vient d’elle-même, il me flattera peu.

LE BARON.

Ô ! La plaisante fille ! Adieu, Marton, adieu.

 

 

Scène XII

 

FINETTE, MARTON

 

MARTON.

Écoutez, parlons bas. Je n’ai qu’u n mot à dire.

Léandre.

FINETTE.

Quoi ? Damon.

MARTON.

Nos noms doivent suffire ;

Ils vous mettent au fait de mes transports jaloux.

Ne nous trahissons pas.

FINETTE.

Vous-même observez-vous.

L’habit que nous avons suspend toutes querelles

MARTON.

Le tien porte à mon cœur des atteintes cruelles,

Et si présentement je ne me modérais,

Dans mon juste dépit, je le déchirerais.

FINETTE.

Fureur hors de saison. Pour vaincre une Maîtresse ;

Sous ce déguisement n’employons que l’adresse.

L’amour même nous fait un devoir d’être unis ;

Et met entre nous deux la victoire à ce prix.

MARTON.

Soit. Je me contraindrai pour supplanter Finette ;

Mais si je suis vaincu sous l’habit de soubrette,

Léandre, nous verrons, en découvrant nos feux,

Si l’habit Cavalier me sera plus heureux.

Adieu.

FINETTE.

Je soutiendrai l’intérêt de ma flamme,

Et tâcherai de vaincre en homme comme en femme.

 

 

Scène XIII

 

FINETTE, seule

 

Mais un soin plus pressant m’occupe et me retient.

Lucinde doit avoir... Je l’aperçois qui vient.

Elle lit un Billet, et c’est le mien, sans doute.

Voici l’instant critique, et mon cœur le redoute.

 

 

Scène XIV

 

LA MARQUISE, FINETTE

 

LA MARQUISE, tenant un Billet à la main.

C’est un aveu formel. Mais c’est presqu’un Roman.

Dois-je m’en offenser ? Non, plutôt rions-en.

Finette, te voilà ?

FINETTE.

Madame est occupée.

LA MARQUISE,

Je lisais une Lettre.

FINETTE, à part.

Elle en est peu frappée.

LA MARQUISE.

Tu ne devinerais jamais qui me l’écrit ?

C’est l’Inconnu du Bal. Cela me réjouit.

FINETTE.

L’Inconnu vous écrit ?

LA MARQUISE.

Oui, tiens, tu peux la lire.

FINETTE, après avoir lu.

Mais ce Billet n’est pas si plaisant qu’on peut dire.

Vous ne devriez pas le prendre si gaiement :

Il me paraît conçu très sérieusement.

J’y prends trop d’intérêt pour que je vous le cache.

LA MARQUISE.

Mais si je n’en ris point, il faut que je m’en fâche.

FINETTE.

Non, Madame, la Lettre est écrite d’un ton

Qui ne doit pas contre elle armer votre raison.

LA MARQUISE.

Il est vrai que le style en est sage ; à tout prendre,

Il est en même temps, respectueux et tendre.

FINETTE.

De s’en fâcher, Madame aurait donc très grand tort

Le respect pour l’amour est un sur passeport :

Mais comme dans sa force, et dans son étendue,

Une ardeur sérieuse y paraît bien rendue,

Votre cœur ne doit pas, tout pesé mûrement,

En badiner non plus, comme il fait maintenant !

Je tiendrais un milieu.

LA MARQUISE.

J’entends, je dois me taire,

Finette, et c’est aussi ce que je prétends faire.

FINETTE.

Ce n’est pas là du tout le parti que j’entends ;

Et pour rompre le cours de tous les incidents,

Je répondrais, Madame, à sa Lettre, au contraire ;

En termes sérieux, mais pourtant sans colère.

LA MARQUISE.

Non, d’aucune façon, à de pareils Billets,

Des femmes comme moi ne répondent jamais.

FINETTE.

Vous risquez beaucoup plus de garder le silence :

Il marque en son Billet, l’affaire est d’importance,

Que s’il ne reçoit point de réponse de vous, 

Lui-même il la viendra demander à genoux.

L’amour est imprudent, et la jeunesse est vive,

Vous devez empêcher que la chose n’arrive ;

Le moyen le plus sûr est d’écrire aujourd’hui.

Dans quelques sentiments que vous soyez pour lui,

Votre propre intérêt vous porte à l’en instruire,

Pour le congédier, ou bien pour le conduire.

LA MARQUISE.

Non, Finette, mon âme est ferme sur ce point ;

Quoiqu’il puisse arriver, je ne répondrai point.

Un Billet nous expose, et tire à conséquence :

Contre de tels aveux, il n’est que le silence.

FINETTE.

Celui qu’il vous a fait n’a rien que d’obligeant.

LA MARQUISE.

J’en conviens, son Billet est plein de sentiment.

FINETTE.

Vous m’avez dit tantôt qu’à la figure aimable,

Il joignait, qui plus est, un esprit agréable,

Et même qu’il avait effleuré votre cœur.

LA MARQUISE.

Il est vrai ; tout en lui m’a paru séducteur ;

Mais c’est un trait léger que la raison émousse.

FINETTE.

N’importe, je ferais une réponse douce.

LA MARQUISE.

Non, je n’en ferai rien.

FINETTE.

Pardon, j’ose insister,

Je sors de mon état pour vous représenter

Qu’une Dame aussi jeune, et du rang dont vous êtes,

Ne saurait plus longtemps vivre comme vous faites.

L’état du mariage est pour vous un devoir ;

Le grand éloignement que votre cœur fait voir,

Madame, aux yeux du monde est un défaut :

Si vous y persistiez, vous seriez condamnable :

L’usage souverain, la voix de la raison,

Un Oncle qui vous presse, et de votre Maison

La gloire et l’intérêt, joints à votre fortune,

Tout fait contre votre âme une ligue commune.

Choisissez un mari pour faire son bonheur ;

Qu’un choix si délicat toit l’ouvrage du cœur.

Pour l’Inconnu du Bal, s’il parle, et se déclare,

Par un penchant secret si le Ciel l’y prépare,

Si lui-même y répond, s’il est digne de vous,

Vous devez, sans rougir, le prendre pour Époux.

C’est tout ce qui vous manque, et ce qu’on vous souhaite :

Mariez-vous, Madame, et vous serez parfaite.

LA MARQUISE.

Ce discours fait sur moi beaucoup d’impression ;

Mais il ne peut changer ma résolution.

Je me suis dit en vain cent fois la même chose ;

Mon âme révoltée à ce lien s’oppose ;

Et quand je me vaincrais, pourrais-je faire choix

D’un Inconnu qu’au Bal je n’ai vu qu’une fois ?

FINETTE.

Vous savez sa naissance, il vient de vous l’écrire ;

Son nom qu’il a signé doit seul vous en instruire.

S’il est vraiment Léandre, ainsi qu’il vous l’apprend,

Sa Maison est connue, et tient un rang brillant.

On peut s’en rapporter à mon discours sincère,

Et j’ai vingt fois été chez Madame sa Mère.

LA MARQUISE.

Il paraît que son sort t’intéresse aujourd’hui.

FINETTE.

Oui, puisqu’il me ressemble, allons : écrivez-lui.

LA MARQUISE.

Ton zèle est trop pressant, et je ne sais que faire.

FINETTE.

Consultez votre cœur, qu’il décide l’affaire.

LA MARQUISE.

Mais que puis-je, Finette, écrire à l’Inconnu ?

FINETTE.

Vos sentiments au vrai.

LA MARQUISE.

Mes sentiments, dis-tu ?

Hé sont-ils décidés ? L’embarras est extrême.

FINETTE.

Mais il faut qu’ils le soient pour votre repos même :

Faites pencher vers lui la balance un moment.

LA MARQUISE.

Non, non, je ne veux pas prendre d’engagement.

FINETTE.

Oh, puisqu’il est ainsi, sans plus longtemps attendre 

Madame, marquez-lui qu’il n’a rien à prétendre.

LA MARQUISE.

Finette, c’est trop dire.

FINETTE.

En vain vous hésitez,

Il faut une réponse aigre, ou bien doute ; optez.

LA MARQUISE.

Il ne la faut point tendre, encore moins trop dure.

FINETTE.

Faites-la ménagée.

LA MARQUISE.

Oui, dans la conjoncture

C’est celle qui convient.

FINETTE.

Madame, écrivez-la,

Vous avez ce qu’il faut sur cette table-là.

LA MARQUISE.

L’embarras me retient, et ma main s’y refuse.

FINETTE.

Pour ôter tout prétexte, et toute vaine excuse,

Pour vous je vais l’écrire. Allons, dictez-la moi.

LA MARQUISE.

Attends, je veux peser chaque terme avec toi.

FINETTE.

Oui, vous ne devez pas du tout vous compromettre.

LA MARQUISE.

La sagesse avec art doit régner dans ma Lettre ;

Je veux, en détachant doucement ses esprits,

Lui marquer mon estime, et non pas mon mépris,

Lui donner des conseils d’une façon polie.

FINETTE.

J’entends ; c’est proprement une lettre d’amie.

LA MARQUISE.

Justement. Ma bonté ne veut pas l’affliger,

Ce jeune homme est aimable.

FINETTE.

Il faut le ménager :

J’approuve la douceur, bien loin que je la blâme.

À part.

Imitons de mon mieux l’écriture de femme.

LA MARQUISE dicte.

Je n’aurais jamais cru qu’un entretien au Bal.

FINETTE.

Au Bal.

LA MARQUISE.

Dût m’attirer, Monsieur, un billet tendre.

FINETTE.

Tendre.

LA MARQUISE.

Vous ignorez, et je dois vous l’apprendre,

Que d’un engagement, je fuis le nœud fatal.

FINETTE.

Après.

LA MARQUISE.

Je ne prends point le ton fier et sévère,

Et la raison, plutôt, m’inspire la douceur.

FINETTE.

Fort bien.

LA MARQUISE.

Comme j’ai lu votre aveu...

FINETTE.

Sans colère ?

LA MARQUISE.

Il est trop fort.

FINETTE.

Non, non.

LA MARQUISE.

J’y réponds...

FINETTE.

Sans aigreur ?

LA MARQUISE.

Sans aigreur. C’est le mot.

Elle dicte.

Ne m’aimez point, Monsieur.

FINETTE.

L’ordre me paraît dur, et je plains sa tendresse.

LA MARQUISE reprend.

Ne m’aimez point, Monsieur. C’est moi qui vous et presse ;

L’amour est un écueil trop fatal au bonheur :

C’est un conseil autant qu’une défense expresse.

Elle s’interrompt.

J’en dis trop. Effaçons tout ce commencement,

Il peut s’interpréter trop favorablement.

FINETTE.

Je n’obéirai point. Daignez me le permettre ;

Loin d’ôter, vous devez ajouter à la lettre.

Léandre est trop puni d’avoir l’exclusion.

Songez qu’il a besoin de consolation ;

Et joignez-y plutôt quelque mot favorable,

Qui l’aide à supporter le malheur qui l’accable.

LA MARQUISE.

Je me rends. Tes discours m’attendrissent pour lui.

FINETTE.

Tirez-le, tout au moins, de la foule.

LA MARQUISE.

Oui, poursuit.

Elle dicte.

J’ajoute un mot, Monsieur, pour consoler votre âme.

Des hommes que j’ai vus, vous êtes le premier

Que j’ai su distinguer.

FINETTE.

Mais dites-lui, Madame,

Quelque chose, après tout, de plus particulier.

Distinguer ; est un mot vague de sa nature.

LA MARQUISE.

Que lui substituer ? Et par quelle tournure...

FINETTE.

Voici celle, à peu près, qui peut le remplacer.

Vous êtes le premier dont l’esprit, la figure,

Et dont les sentiments ont su m’intéresser.

Est-ce-là votre idée ?

LA MARQUISE.

À peu près, je le pense ;

Mais ne le mets point.

FINETTE.

Bon !

LA MARQUISE.

Je t’en fais la défense.

FINETTE.

Mais vous avez pour lui quelque estime ?

LA MARQUISE.

Oui, vraiment,

Il est même le seul, le seul exactement,

Que je voudrais choisir pour ami véritable.

FINETTE.

Mais ce tempérament me paraît raisonnable ;

Je vais le lui marquer.

LA MARQUISE.

Finette, n’en fais rien.

Ce discours, entre nous, est bon pour l’entretien ;

Mais il ne s’écrit point.

FINETTE.

Votre âme en vain se cache.

Vous n’empêcherez pas, au fond, qu’il ne le sache.

Signez le Billet.

LA MARQUISE.

Non.

FINETTE, lui prenant la main pour l’engager à signer.

Madame...

LA MARQUISE.

Arrêtes-toi.

FINETTE.

La chose est nécessaire, et je la prends sur moi.

LA MARQUISE, signant.

Elle obtient tout. Prends soin de le faire remettre.

FINETTE.

Comptez que l’inconnu tient déjà votre lettre.

LA MARQUISE.

Je reviens, et je crains d’en avoir trop dicté.

Relis-moi le billet.

FINETTE.

Le voilà cacheté.

Point de crainte ; il est bien puisque j’en suis contente.

LA MARQUISE.

Il faut, jusques au bout, que je sois complaisante.

 

 

Scène XV

 

FINETTE, seule

 

De son estime enfin, je tiens un sur garant :

Désiré pour ami, j’espère comme amant.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

FINETTE, MARTON

 

FINETTE.

Quel heureux changement ! Marton paraît charmée.

MARTON.

Oui, ma gaieté revient. Madame est désarmée,

Mon repentir sincère a fléchi sa rigueur ;

Et, méritant ma grâce, il me rend sa faveur.

FINETTE.

Mais je vous félicite.

MARTON.

Et je vous remercie.

C’est grâce à vos conseils que je suis rétablie.

FINETTE.

Ils vous ont réussir ?

MARTON.

Par de-là mon espoir.

La douceur, près du sexe, a vraiment tout pouvoir ;

On obtient tout par elle, et mon âme ravie,

Au don qu’on vous a fait ne porte plus d’envie.

Lucinde (sans transport je ne puis y songer)

Vient, mais très amplement, de m’en dédommager :

Sa bonté me ravit ; et n’a point pareille,

Elle m’a fait présent de ses boucles d’oreille,

M’a donné ce collier avec ce bracelet,

Où l’on voit en émail son portrait.

FINETTE.

Son portrait ?

MARTON.

Oui, son portrait, Monsieur, celui de la Marquise.

FINETTE.

Qu’entends-je ? Juste Ciel !

MARTON, à part.

Ce n’est qu’une devise ;

Je mens, pour alarmer encore plus ses esprits.

FINETTE.

Voyons un peu.

MARTON.

Non, non, cela n’est pas permis.

FINETTE.

Un semblable refus m’oblige à n’en rien croire.

MARTON.

Ce que vous en pensez n’ôte rien à ma gloire.

FINETTE.

Si la peur d’un éclat ne retenait ma main,

Mon dépit, de ton bras, l’arracherait soudain.

MARTON.

Fureur hors de saison. Pour vaincre une maîtresse,

Sous ce déguisement n’employons que l’adresse.

Le respect doit tenir nos transports enchaînés.

Profitez des conseils que vous m’avez donnés.

FINETTE.

Oui, j’ai tort doublement ; ma crainte est mal fondée,

Tout me porte à bannir une jalouse idée ;

Et jamais un rival ne doit en être cru.

MARTON.

Bientôt, par le succès, vous serez convaincu.

L’heure du Bal approche ; et, c’est justement elle

Qui rendra ma victoire entière et plus réelle.

La Marquise s’attend de nous voir travestis,

Quand nous allons tous deux reprendre nos habits ;

Et ses yeux vont juger plus sainement, Léandre,

De notre vrai mérite, en croyant s’y méprendre.

FINETTE.

Cet orgueil me rassure au lieu de m’alarmer.

C’est un méchant vernis pour s’en faire estimer.

Il me promet le prix que mon cœur vous conteste ;

Et je vous craindrais plus si vous étiez modeste.

MARTON.

Mais, de l’être avec vous, je suis très dispensé :

On passe un peu d’orgueil, quand il est bien placé.

Adieu. Damon rempli du doux foin qui l’occupe,

Court, pour vaincre en épée, abandonner sa jupe.

FINETTE.

De cette vanité peut-être il rabattra.

 

 

Scène II

 

FINETTE, MARTON, LA COMTESSE

 

MARTON, rencontrant la Comtesse au fond du Théâtre.

Que souhaite Madame ?

LA COMTESSE.

Ah ! Marton, vous voilà.

C’est pour vous que je viens.

FINETTE, à part.

C’est ma Mère ! Ah ! Je tremble.

LA COMTESSE.

Pour la Bretagne, il faut que nous partions ensemble.

La Marquise y consent, et mon cœur satisfait...

MARTON.

C’est vraiment trop d’honneur que Madame me fait.

Je n’en puis profiter.

LA COMTESSE.

D’où vient, Mademoiselle ?

MARTON.

Finette ira pour moi. Je vous laisse avec elle.

Elle sort en lui faisant la révérence.

 

 

Scène III

 

LA COMTESSE, FINETTE

 

FINETTE, à part.

Ô Ciel ! Je suis perdu. Par où fuir maintenant !

LA COMTESSE.

Ce brusque procédé me paraît surprenant.

Parlons à sa compagne ; elle est assez bien faite.

Vous viendrez à sa place ; hem, n’est-ce pas Finette ?

Vous serez avec moi sur un pied des plus doux.

Mais répondez-moi donc. Pourquoi vous cachez-vous ?

FINETTE.

Excusez, on m’attend.

LA COMTESSE.

Ce son de voix me frape.

Demeurez. Ce n’est pas ainsi que l’on m’échappe.

Que je vous voie en face. Ah ! Ciel, c’est-là mon fils.

Son trouble le décèle à travers ses habits.

FINETTE.

Me voilà confondu.

LA COMTESSE.

Quel indigne équipage !

Qui vous fait donc jouer ce honteux personnage ?

FINETTE.

Ne devinez-vous pas ?

LA COMTESSE.

Non vraiment.

FINETTE.

C’est l’amour ;

C’est lui seul qui m’a fait soubrette en ce séjour :

Pour tromper et servir la Marquise que j’aime.

LA COMTESSE.

Deviez-vous employer un pareil stratagème ?

FINETTE.

Ses charmes et son cœur armé d’un fier dédain

Doivent servir d’excuse à ce hardi dessein.

LA COMTESSE.

Est-il rien qui jamais puisse rendre excusable

De votre passion la démarche coupable ?

Auprès de la Marquise, hé ! qui peur vous laver ?

Vous l’aimez, dites-vous, et pour le lui prouver,

On vous voit, dans l’ardeur du feu qui vous entraîne,

Faire tout ce qu’il faut pour mériter sa haine.

Elle reçoit de vous l’affront le plus cruel.

Que lui ferait de pis un ennemi mortel ?

L’amour éclate-t-il, en exposant l’amante ?

En faisant à sa gloire une injure sanglante ?

Non, un feu véritable en tout fuit le respect,

Et dans ses moindres pas se montre circonspect.

L’honneur de ce qu’on aime, est plus cher que la vie,

Et pour un bien si grand l’amant se sacrifie.

L’ardeur qui vous possède, est un feu suborneur,

Qui loin de le défendre, attaqué cet honneur.

Vous égarant vous-même, il trompe une maîtresse,

Dans les derniers excès porte votre faiblesse,

Vous fait jouer près d’elle un rôle extravagant,

Et vous rend ridicule, en la déshonorant.

FINETTE.

D’un trop juste remords ce discours me pénètre ;

La jeunesse étourdie ose tout se permettre.

Ma mère, pardonnez à mon aveuglement ;

Mon cœur n’en aime pas moins véritablement :

Il ne s’est égaré que pour être trop tendre,

Et le seul désespoir m’a fait tout entreprendre.

Je rougis de ma faute, et pour la réparer,

Conduirez votre fils, et daignez l’éclairer.

LA COMTESSE.

Dans cette occasion je suis la moins blessée ;

Songez que la Marquise est la plus offensée.

FINETTE.

Vous-même hâtez-vous de lui tout découvrir.

LA COMTESSE.

Je la révolterais, au lieu de la fléchir.

FINETTE.

Qui peut donc m’excuser près d’elle ?

LA COMTESSE.

Votre absence,

Mon fils, avec le temps, aidé de la prudence.

FINETTE.

Où me renvoyez-vous ? Vous me glacez d’effroi.

LA COMTESSE.

Il faut que vous veniez en Bretagne avec moi ;

Mais sous un autre habit que celui de Finette.

FINETTE.

Quoi ! Madame, sitôt quitter cette retraite !

LA COMTESSE.

Oui, suivez-moi sans bruit, mon fils, chaque moment

Que vous restez de plus dans cet appartement,

Est contre la Marquise une offense nouvelle.

FINETTE.

Il faut donc par respect que je m’éloigne d’elle.

Attendez, s’il vous plaît, je suis dans l’embarras,

Une réflexion retient ici mes pas.

LA COMTESSE.

Qui peut vous empêcher de partir tout à l’heure ?

FINETTE.

Marton.

LA COMTESSE.

Comment, Marton !

FINETTE.

Oui, Marton qui demeure.

LA COMTESSE.

Avec votre départ qu’a de commun Marton ?

Que vous importe ici qu’elle demeure ou non ?

FINETTE.

Madame, beaucoup plus que vous ne sauriez croire ;

De la Marquise même, et l’honneur, et la gloire

Y sont intéressés.

LA COMTESSE.

Intéressés ! En quoi ?

FINETTE.

Marton est en ces lieux suivante comme moi.

LA COMTESSE.

Comment donc ? Comme vous !...

FINETTE.

Oui, Finette est Léandre,

Et Marton est Damon.

LA COMTESSE.

Ciel ! Que viens-je d’entendre ?

Marton que je voulais emmener aujourd’hui,

Marton est un amant travesti comme lui ?

Pour la Marquise, ô ciel ! La fatale aventure !

Je la plains d’autant plus dans cette conjoncture,

Qu’ignorant le péril ou la livre le sort,

Dans la sécurité sa sagesse s’endort.

Ce nouvel incident redouble ma tristesse ;

Dans ce dernier danger faut-il que je la laisse ?

FINETTE.

Non, ma mère, au plutôt il faut l’en avertir,

Dans cet effroi mortel je ne saurais partir.

LA COMTESSE.

Je m’y vois obligée, et j’y suis résolue

Si la chose éclatait, elle serait perdue.

Ne laissons point sa gloire aux mains d’un étourdi ;

Mais montrons-nous prudente autant qu’il est hardi.

Son oncle est le premier que je dois en instruire ;

Reposez-vous sur moi du soin de tout conduire.

Sans perdre un seul instant je vais travailler.

Vous, gardez le silence, et courez dépouiller

L’habillement honteux où je vous vois paraître ;

Montrez-vous désormais tel que vous devez être.

FINETTE.

Oui, je vais le quitter pour reprendre le mien,

Et le bal m’en procureur un facile moyen.

 

 

Scène IV

 

FINETTE, seule

 

Je tombe dans l’effroi du sein de l’espérance.

On vient ; c’est Arlequin : Évitons sa présence.

 

 

Scène V

 

ARLEQUIN, seul

 

Il faut que je me plaigne à Monsieur le Baron ?

Et pour le haranguer, je parcours la maison :

Mais vers moi, par bonheur, je le vois qui s’avance.

 

 

Scène VI

 

LE BARON, ARLEQUIN

 

ARLEQUIN.

Monseigneur, je parois devant votre excellence,

Et je viens à vos pieds, d’un air humble et soumis,

De toute la maison porter les justes cris.

Ces cris sont excités par deux femmes iniques ;

Oui, je vous parle au nom de tous les domestiques

Depuis le marmiton jusqu’au maître d’hôtel,

Tout se plaint, tout leur fait un procès criminel.

Finette avec Marton fait naître nos murmures ;

Tout est bouleversé par ces deux créatures :

À Madame elles font leur cour à nos dépens.

Depuis que l’une et l’autre a mis le pied céans,

On n’entend que reproche, on n’entend que dispute ;

À leur langue maligne on est toujours en bute :

C’est un chaos maudit, un enfer déchaîné.

LE BARON.

De tout ce que j’entends, je demeure étonné.

ARLEQUIN.

Le bien public m’oblige à les faire connaître.

Monsieur aime la paix, qu’il la fasse renaître.

Avant que de les voir nous étions tous unis ;

Jamais le moindre mot ne troublait le logis,

Faites mettre dehors ces deux pestes contraires,

Nos débats finiront, et nous vivrons en frères,

Vous nous entendrez tous exalter vos bontés,

Et nous prierons le Ciel pour vos prospérités.

LE BARON.

Mais contre elles encore quels griefs sont les vôtres ?

ARLEQUIN.

De brouiller les esprits les uns avec les autres ;

De s’attirer le blâme et la haine de tous,

D’aigrir, par leurs rapports, Madame contre nous ;

Elles lui font du tort, joignent dans leur âme

Tous les défauts d’un homme au travers d’une femme.

On les entend tenir des discours cavaliers,

Et jurer bien souvent comme des grenadiers.

Méchantes avec art, et par goût rapporteuses ;

Jalouses à l’excès : insolentes, flatteuses ;

Se querellant toujours, aimant surtout le vin,

Et gourmandes, Monsieur, presqu’autant qu’Arlequin.

LE BARON.

Cet éloge est parfait. Je vois venir ma nièce,

Et je vais lui parler.

ARLEQUIN.

J’ai dit, et je vous laisse.

 

 

Scène VII

 

LE BARON, LA MARQUISE

 

LE BARON.

Arlequin vient ici dans ces mêmes instants,

De me faire une plainte au nom de tous vos gens,

Madame.

LA MARQUISE.

Contre qui ?

LE BARON.

Contre vos deux suivantes ;

On se plaint qu’elles sont tracassières, méchantes,

Qu’elles portent le trouble au sein de la maison.

LA MARQUISE.

Mes gens ont très grand tort, et parlent sans raison,

Mon Oncle, j’ai tout lieu d’en être satisfaite ;

L’une et l’autre est fidèle, et zélée ; et discrète ;

Elles prennent à cœur en tout mes intérêts,

Et ce sont-là, pour moi, deux excellents sujets.

LE BARON.

Je n’insisterai pas là-dessus davantage.

Avez-vous réfléchi sur votre mariage ?

LA MARQUISE.

Ne parlons maintenant que de nous réjouir ;

Ce soir est destiné, Monsieur, pour le plaisir.

Le bal est prêt, souffrez que mon âme contente.

Se livre à la gaieté d’une fête innocente.

LE BARON.

Soit, mais ce jour passé, tâchez d’y penser mieux ;

De la joie aujourd’hui, demain du sérieux.

 

 

Scène VIII

 

LA MARQUISE, seule

 

Demain du sérieux ! Le terme est un peu proche,

Je crains bien, malgré moi, d’attirer son reproche.

Cette réflexion trouble mon enjouement :

Mais quel est ce jeune homme ? Il entre hardiment.

 

 

Scène IX

 

LA MARQUISE, DAMON

 

LA MARQUISE.

Que demande Monsieur ?

DAMON.

Madame la Marquise ;

Madame.

LA MARQUISE.

Mais c’est moi.

DAMON.

Pardonnez ma surprise.

LA MARQUISE.

Votre nom, s’il vous plaît ?

DAMON.

Le Chevalier Marton.

LA MARQUISE.

C’est Marton elle-même, et le trait est fort bon.

DAMON.

Madame s’y méprend, je suis bien déguisée.

LA MARQUISE.

Oui, le premier coup d’œil m’a d’abord abusée.

Soyez le bien venu, Monsieur le Chevalier.

DAMON.

Madame, je ne sais si j’ai l’air cavalier ;

Mais loin que cet habit m’embarrasse et me pèse,

Je m’y trouve, en honneur, cent fois plus à mon aise 

Me sied-il, Madame ?

LA MARQUISE.

Oui, les yeux y sont trompés,

DAMON.

Mes airs, mes mouvements sont-ils développés ?

Cette jambe ?

LA MARQUISE.

Pas mal.

DAMON.

Ma taille ?

LA MARQUISE.

Mais bien faite.

DAMON.

Le maintien ?

LA MARQUISE.

Assez bon. Je voudrais voir Finette ;

Je suis sûre qu’elle est en homme joliment.

DAMON.

Je doute qu’elle y soit plus naturellement.

LA MARQUISE.

Ah ! La voilà qui vient. Son air me justifie.

 

 

Scène X

 

LA MARQUISE, DAMON, LÉANDRE

 

LA MARQUISE, à Léandre.

Approches, te voilà tout au mieux travestie.

À part.

Tournes-toi. Qu’elle est bien ! Je crois en cet instant,

Je crois voir l’Inconnu, le rapport est frappant.

Haut.

J’aime ce dehors sage. Il augmente sa grâce.

DAMON.

Oh ! Pour moi, cet habit me donne de l’audace.

LÉANDRE.

Dans moi tout au contraire il accroît le respect,

Il me rend plus timide, et bien plus circonspect.

LA MARQUISE.

Si le Ciel t’avait fait ce que tu représentes,

Finette, tes façons seraient trop séduisantes.

Tu serais redoutable, et l’air respectueux,

Près d’une femme sage, est le plus dangereux.

DAMON.

Le respect est fort bon, mais l’excès embarrasse.

Qui sait s’en écarter obtient aisément grâce.

Le sexe n’aime pas l’air neuf d’un Écolier,

Il préfère un maintien gai, libre, Cavalier.

LÉANDRE.

Un certain enjouement convient à des suivantes ;

Mais dans un homme il faut des façons plus décentes,

En présence, surtout, de la Dame qu’il sert ;

Trop heureux de la voir, et d’en être souffert.

LA MARQUISE.

Mais son ton persuade, à peine j’y résiste.

DAMON.

Ce n’est pas un malheur pour paraître si triste.

LÉANDRE, soupirant.

Je suis triste, il est vrai ; j’en ai plus d’un sujet.

LA MARQUISE.

D’où vient donc ?

LÉANDRE.

À son bras je vois un bracelet

Qu’il tient de votre main. Pardonnez, si mon âme

Viole ce respect dont je parlais, Madame,

Mais le ne saurais voir, sans un dépit secret,

Son bras paré d’un don, où tient votre portrait.

LA MARQUISE.

Mon portrait !

DAMON.

Elle rêve, et c’est une devise.

LÉANDRE.

Ce mot me désabuse, et je vois ma méprise.

LA MARQUISE.

C’est un vieux bracelet que j’ai tantôt quitté.

LÉANDRE.

Est-il moins précieux ? Madame l’a porté.

Mon chagrin délicat peut-être vous étonne ;

Mais mon cœur ne ressemble à celui de personne.

Et près d’une Maîtresse aussi belle que vous,

De la moindre faveur il se montre jaloux.

DAMON.

Mon âme n’est pas moins jalouse et délicate.

Son zèle est excessif, permettez qu’il éclate.

Oui, telle est la vertu de cet habillement,

Qu’il donne plus de force à mon attachement.

En faveur de la fête, oubliez qui nous sommes.

Supposez un moment que nous soyons deux hommes.

Prêtez-vous à la feinte.

LA MARQUISE.

Oui, soit, pour m’égayer.

DAMON.

Finette est le Marquis, je suis le Chevalier.

Nous venons tous les deux pour briguer votre estime.

Nous entrons. Votre aspect à plaire nous anime ;

Et dans la liberté que ce jour nous permet,

J’ose donner l’essor à mon amour secret.

Je l’exprime d’abord par une révérence

Faite du coin de l’œil.

LÉANDRE.

Et moi, par mon silence.

DAMON.

Le silence, à mon sens, est un triste entretien.

Que peut-on obtenir en ne demandant rien ?

Ensuite je vous dis, je ne puis plus, Madame,

Dérober à vos yeux le secret de mon âme.

Depuis deux mois entiers je tiens mes feux couverts.

Je brûle au fond du cœur, je vous vois, je vous sers.

Mon service déjà vous était agréable.

Mais le Marquis paraît. Ce Rival redoutable

Vient retarder ici le progrès de mes soins.

De vos bontés pour lui mes yeux font les témoins.

Et je suis transporté d’un mouvement de rage.

LA MARQUISE.

Là, doucement.

DAMON.

Pardon, cet aveu me soulage.

LA MARQUISE.

Elle s’échauffe trop, et ses transports sont fous.

DAMON.

Mais songés que je suis un Amant, et jaloux.

LÉANDRE.

Le personnage-là n’est jamais agréable.

LA MARQUISE.

Ce qu’elle vous dit-la, Marton, est véritable ;

Et je le sens.

LÉANDRE.

Mon feu n’a pas moins de chaleur.

Mais je sais le cacher dans le fond de mon cœur.

Dans un premier aveu, dans un premier hommage,

L’amour éclate moins, et prend un ton plus sage.

Regardant tendrement la Marquise.

Un regard en dit plus, et sans être bruyant.

LA MARQUISE

Oui, Finette au conseil joint l’exemple vraiment.

Examines-la bien, et prends-la pour modèle,

Elle s’agite moins, et tout exprime en elle.

DAMON.

J’ai pourtant un bon guidé, et le cœur me conduit.

LA MARQUISE.

Pour bien persuader, tiens, tu fais trop de bruit.

Le jeu muet toujours en fait bien plus entendre.

Je vois venir mon Oncle, et je veux le surprendre.

 

 

Scène XI

 

LA MARQUISE, LE BARON, LA COMTESSE, LÉANDRE, DAMON, ARLEQUIN

 

LA MARQUISE, au Baron.

Vous me voyez, Monsieur, en entretien secret

Avec deux Cavaliers dangereux tout-à-fait.

LE BARON.

Beaucoup plus dangereux que votre esprit ne pense.

Et si je n’écoutais la voix de la prudence...

LA MARQUISE.

Comment donc ? Vous prenez la choie au sérieux.

LE BARON.

Jamais témérité...

LA MARQUISE.

Mon Oncle, ouvrez les yeux,

Vous êtes dans l’erreur.

LE BARON.

Ah ! La vôtre est extrême.

LA MARQUISE.

Calmez donc ce transport.

LE BARON.

Tremblez plutôt vous-même.

LA MARQUISE.

Mais je ris de vous voir alarmé sans raison ;

Ces deux Cavaliers-là, sont Finette et Marton. 

LE BARON.

Marquise, connaissez le danger où vous êtes ;

Ce sont-là deux Amants travestis en soubrettes.

LA MARQUISE.

Mais vous n’y songés pas, Monsieur, absolument,

La chose est ridicule à penser seulement.

LE BARON.

Elle n’est pas moins vraie, et je dois vous apprendre

Que Marton est Damon.

LA COMTESSE.

Et Finette est Léandre.

Madame, c’est un fait qui n’est que trop réel.

LE BARON.

Oui, ma Nièce.

LA MARQUISE.

Damon, Léandre ! Juste Ciel !

Non, non, je n’en crois rien, cela ne peut pas être.

LA COMTESSE.

Mais Léandre est mon fils, et je dois le connaître.

LA MARQUISE.

Léandre est votre fils !

LE BARON.

Ce nom est convaincant.

LA MARQUISE.

Vous me percez le cœur cous deux en m’éclairant.

Leur crime est confirmé par leur profond silence.

À Léandre.

Quelle audace, Damon ! Et vous quelle imprudence !

LÉANDRE.

C’est un excès d’amour qui me rend criminel.

LA MARQUISE.

L’affront que je reçois n’en est pas moins mortel.

Où suis-je ? Je frémis du péril qui m’assiège.

La vertu peut-elle être à couvert d’un tel piège ?

Comptant sur ma sagesse, et de tout séducteur

Évitant avec soin le commerce trompeur,

Je dormais sans effroi, sûre de la victoire, 

Quand j’avais, près de moi, l’ennemi de ma gloire ;

Tout aidait à sa ruse ; et, pour me tromper mieux,

L’amour me le cachait en l’offrant à mes yeux.

LE BARON.

L’aventure est perfide autant que singulière ;

Mais c’est votre conduite.

LA MARQUISE.

Est-elle irrégulière ?

LE BARON.

Elle pèche plutôt par l’autre extrémité ;

Et vous avez fait voir trop de sévérité.

Votre humeur a jeté de trop vives alarmes

Dans le cœur des Amants, qu’ont enflammé vos charmes.

Madame, ils n’ont osé paraître à découvert.

Ils ont employé l’art, et c’est ce qui vous perd.

LA MARQUISE.

Hé, pouvais-je prévoir, était-il vraisemblable

Que leur amour prendrait cette route blâmable ?

LE BARON.

Quoique vous puissiez dire, et malgré tous vos soins,

Votre gloire est blessée, et n’en souffre pas moins.

Je ne puis vous flatter ; et, dans cette journée,

Pour rétablir ce tort, il n’est que l’hyménée.

LA COMTESSE.

Oui, ces nœuds sont pour vous une nécessité.

Il n’est plus de saison d’écouter la fierté.

LA MARQUISE.

Mais la chose est injuste ; elle est dure et cruelle.

De l’audace d’autrui ma gloire dépend-elle ?

Non, Vous voulez en vain effrayer mon esprit,

Et, pour me rassurer, ma sagesse suffit.

LE BARON.

Elle ne suffit pas ; et dans cette occurrence,

Songez que, contre vous, vous avez l’apparence.

Sur elle le Public décide hautement,

Sans descendre jamais dans notre sentiment.

En vain sur sa vertu votre sexe s’appuie,

Jamais par cette voie il ne se justifie.

Le préjugé l’emporte, et c’est l’opinion

Qui fait, ou qui détruit la réputation.

LA MARQUISE.

Vous comblez la douleur, dont mon âme est atteinte.

LE BARON.

Vous n’avancerez rien par une vaine plainte.

Prenez le seul parti qui peut tout réparer :

Faites un choix, Madame, et sans plus différer.

LA COMTESSE.

S’il tombait sur mon fils, j’en serais trop flattée.

LE BARON.

Allons, le temps est cher.

LA MARQUISE.

Que je suis agitée !

LÉANDRE.

Je me jette à vos pieds.

DAMON.

J’embrasse vos genoux.

LÉANDRE.

À mon vif repentir, Madame, rendez-vous.

Que je meure à vos yeux, ou que je vous fléchisse.

DAMON.

Et moi, Madame, et moi, que je vous attendrisse.

LÉANDRE.

Mon amour est extrême.

DAMON.

Et le mien, sans égal.

LÉANDRE.

Reconnaissez en moi, votre Inconnu du Bal ;

Vous devez couronner son ardeur délicate

DAMON.

Ah ! Songez que Damon est le premier en date.

LA MARQUISE.

Ô, bizarre dessin ! Où réduis-tu mon cœur ?

DAMON.

Un oui, de votre bouche.

LÉANDRE.

Un mot en ma faveur.

LA MARQUISE.

Par des nœuds éternels faut-il que je me lie !

LE BARON.

Votre Oncle vous en presse.

LA COMTESSE.

Et moi, je vous en prie.

LA MARQUISE.

Puisque le sort m’y force, et m’en fait une loi,

Puisque vous êtes tous déclarés contre moi,

Et que mon cœur pressé ne peut plus s’en défendre ;

Je vous donne ma main en ce moment, Léandre,

Et je vous donne à vous, Marton, votre congé.

DAMON.

Quel arrêt !

LÉANDRE.

Quel bonheur !

 

 

Scène XII

 

LISE, LE BARON, LA COMTESSE, LÉANDRE, ARLEQUIN

 

LE BARON, à la Marquise.

Vous avez bien jugé,

Tous mes vœux font remplis, contre mon espérance,

Livrons-nous à la joie, et le Bal commence.

Je veux avec Madame y danser aujourd’hui.

LA COMTESSE.

La faute de Léandre est heureuse pour lui.

ARLEQUIN.

Je vois clair à présent ; voilà qui justifie

Mon goût sûr pour le sexe, et mon antipathie.

Ces Soubrettes m’ont fait presque tourner l’esprit,

Mais nous en choisirons d’un meilleur acabit.

 

 

DIVERTISSEMENT

 

 

Marche

 

UN MASQUE.

Amants, déguisez vous auprès de vos Maîtresses,

L’amour est un vrai bal pour vous ;

Cachez de perfides tendresses

Sous le masque trompeur des transports les plus doux,

Et ne montrez vos jalouses faiblesses,

Que lorsque vous serez époux.

On danse.

 

 

Vaudeville

 

Le ridicule est le vrai lot 
De l’homme d’esprit et du sot,
Par le fond comme par la mine,
On a beau changer de vernis,
À Londres, à Venise, à Paris,
Tout est Pagode de la Chine.

Le monde ne gît qu’en saluts,
Qu’en coups de tête superflus.
Machinalement on s’incline.
On gesticule, on est forcé,
On se redresse, on est pincé.
Tout est Pagode de la Chine.

La vieille qui se rajeunit,
La prude qui jamais ne rit,
La coquette folle et badine,
La laide qui se radoucit,
Et la belle qui s’applaudit,
Tout est Pagode de la Chine.

Le Poète ronge ses doigts,
L’Avocat ampoule sa voix ;
Le Caissier étend sa poitrine,
Le Marquis lorgne en se carrant,
L’Abbé discret en se cachant,
Tout est Pagode de la Chine.

En public, pour être estimé,
Un vieux Robin paraît gourmé ;
Mais sa gravité n’est que mine.
Est-il chez lui ? Le bon vieillard
Rit, et joue à Colin-maillard.
Tout est Pagode de la Chine.

Au parterre.

Pour la Pièce tremblant,
Et voici le fatal instant.
Messieurs, devant vous je m’incline.
Pour montrer qu’elle a réussi,
Imitez ce mouvement-ci[1],
Soyez Pagodes de la Chine.


[1] Un signe de tête qui marque l’approbation.

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