La Clé de Métella (Henri MEILHAC - Ludovic HALÉVY)

Comédie en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 24 novembre 1862.

 

Personnages

 

LE MARQUIS DE VOLSY

GONTRAN DE VARINS

JEANNE DE VOLSY

JACQUELINE

 

À Paris, chez le marquis de Volsy.

 

Un salon, neuf heures du soir. Au fond, un piano, à gauche, une cheminée, cordon de sonnette de chaque côté. Premier plan, une fenêtre, une petite table à ouvrage, table faisant face au public et se trouvant près de la cheminée ; au fond à droite, une porte. Premier plan, une porte, un chiffonnier sur le devant de la scène, un canapé.

 

 

Scène première

 

JEANNE, GONTRAN, JACQUELINE

 

Au lever du rideau, Jeanne est debout près de la cheminée, Jacqueline, à droite, achève de ranger et, voyant Gontran entrer du fond à droite, elle va à lui.

JACQUELINE, voix basse.

Monsieur !

GONTRAN, de même.

Qu’y a-t-il ?

JACQUELINE.

Madame est furieuse...

GONTRAN.

Furieuse...

JACQUELINE.

Positivement furieuse, et contre vous, je crois. Elle a hésité à vous recevoir...

GONTRAN.

Par exemple !

JACQUELINE.

Vous êtes averti !...

Elle sort.

 

 

Scène II

 

JEANNE, GONTRAN

 

GONTRAN.

Madame !...

Silence. Jeanne va s’asseoir dans le fauteuil placé à gauche de la cheminée ; à part.

La réception est froide !

Haut.

J’ai diné au cercle et j’ai dîné vite parce que je savais que vous m’attendiez...

Jeanne le regarde, à part.

Quel regard !

Haut.

Que vous m’attendiez avec impatience... nous avions à lire le dernier chapitre de ce roman qui paraît dans la Revue des Deux-Mondes et qui vous intéresse... vous étiez pressée d’en connaître le dénouement, et vous m’aviez recommandé d’être exact... Vous voyez que je n’ai pas oublié la recommandation.

Silence ; à part.

Décidément, Jacqueline avait raison !

Haut, prenant la Revue et s’asseyant.

Je commence... je vous dis que je commence.

Il lit.

« Georges écoutait Pauline avec une sourde colère ; une si parfaite façon de raisonner lui semblait intolérable dans un pareil moment... »

JEANNE, l’interrompant.

Je suis allée chez ma mère, hier soir...

GONTRAN.

Je le sais. C’est à cause de cela que je ne vous ai pas lu ce chapitre hier, et que je vous le lis aujourd’hui... « Georges » écoutait... »

JEANNE, l’interrompant.

Ma mère avait d’abord l’intention de rester chez elle.

GONTRAN.

Vous me l’avez dit !

JEANNE.

Elle a su que l’on donnait aux Variétés une pièce jouée il y a 25 ans... une pièce qu’elle avait vue peu de jours après son mariage... il lui a pris fantaisie de la revoir.

GONTRAN, avec inquiétude.

Aux Variétés ?

JEANNE.

Aux Variétés. J’y suis allée avec ma mère, dans une baignoire.

GONTRAN.

Vous vous êtes amusée ?...

JEANNE.

En face de nous, il y avait une jeune femme... jolie, mais commune, très commune, excessivement commune... Mademoiselle Métella... C’est son nom !...

GONTRAN.

Vous savez le nom...

JEANNE.

À chaque entr’acte, une dizaine de jeunes gens se donnaient rendez-vous sous notre baignoire, ils passaient en revue les femmes qu’il y avait dans la salle... Quand ils arrivaient à cette... demoiselle, ils la nommaient tout haut et plusieurs fois ; j’en ai conclu qu’il y avait un certain orgueil à avoir l’air de la connaître. Si ces jeunes gens étaient si fiers de l’admirer de loin, celui qui la pouvait admirer de près, dans sa loge, devait être plus fier encore... sans doute il ne manquerait pas de se montrer, ne fût-ce qu’un instant, pour jouir de son triomphe... C’est ce qui arriva, il se pencha en avant, fut regardé, reconnu...

GONTRAN.

Hum !

JEANNE.

Et du même coup perdit une amitié qui peut-être valait la peine d’être traitée avec plus de ménagement...

GONTRAN.

Vous dites... ?

JEANNE.

J’avais d’abord pensé à vous faire répondre que je n’y étais pas ; j’ai préféré vous recevoir encore une fois, afin de vous dire que je ne vous recevrais plus.

GONTRAN.

Vous ne me recevrez plus ?...

JEANNE.

Oh ! vous me comprenez bien... je vous verrai très volontiers les jours où j’ouvre ma porte à tout le monde. Mais quant à ces soirées que, de temps en temps, nous passions ensemble, l’un près de l’autre, il n’y faut plus songer !

GONTRAN.

Voyons... voyons... C’est impossible !

JEANNE.

Très possible, au contraire, puisque cela est !

GONTRAN.

Vous n’y pensez pas, marquise. Il y a six mois que je viens ici ; le jour où j’ai été refusé à Saint-Cyr... ça ne s’oublie pas, ça... vous m’avez consolé avec de si douces paroles que, depuis, je suis revenu tous les soirs... ou à peu près ; songez à toutes ces chères habitudes que vous m’avez laissées prendre et auxquelles vous me dites qu’il faut renoncer !

JEANNE.

À qui la faute ?

GONTRAN.

À qui la faute ?... J’ai parlé de moi, je pourrais parler de vous. Si j’ai bonne mémoire, ce fameux jour où je suis venu, le jour de Saint-Cyr, je vous ai trouvée, vous, tout émue d’une conversation un peu sérieuse que vous veniez d’avoir avec mon cousin, votre mari, Au bout de deux mois de mariage, vous lui aviez offert votre amitié en lui demandant la sienne... il s’était piqué, il avait accepté... et vous vous seriez trouvée seule, si je n’avais été là. Que deviendrez-vous, si vous me renvoyez ? Que deviendrez-vous, lorsque vous ne trouverez plus votre ombre près de vous ? Moi parti, qui attisera le feu ? qui fera le thé ? qui vous lira le roman que vous aimez ?... Un fauteuil qui n’est pas à sa place vous bouleverse ! Que sera-ce donc lorsque vous ne me trouverez plus à la mienne, moi, le meuble le plus indispensable de votre salon ?

JEANNE, se levant.

J’ai dit ce que j’ai dit !

GONTRAN.

Mais pourquoi enfin ?... Pourquoi ? Je n’ai rien fait, il me semble...

JEANNE, passant à droite.

Vous ne niez pas ! vous étiez dans la loge de cette personne ?

GONTRAN, se levant, avec une certaine satisfaction.

Je ne nie pas ! à quoi bon mentir ?

JEANNE.

Et puis vous êtes bien content de répéter encore une fois que vous étiez dans cette loge... on voit l’orgueil, vos yeux pétillent...

GONTRAN.

Il faut avouer que vous êtes d’une prodigieuse injustice, et si j’osais, je vous dirais certaines choses...

JEANNE.

Quelles choses, s’il vous plaît ?

GONTRAN.

Je n’ose pas... et puis, je ne saurais trop comment vous les dire...

JEANNE.

Dites-les comme vous voudrez, mais je veux les entendre...

GONTRAN.

Je vais essayer...

JEANNE.

Dites !...

GONTRAN.

C’est vous qui l’aurez voulu !...

JEANNE, avec impatience.

Dites !...

GONTRAN.

Eh ! bien, il est certain que j’étais fort heureux près de vous... ce salon était pour moi un paradis... mais enfin... ne vous fâchez pas... un paradis sans pommes...

Mouvement de Jeanne.

Je vous avais prévenue... je ne m’en plains pas au moins... je sais fort bien que je ne devais pas m’attendre ici... mais pourquoi me reprocher d’être allé une pauvre petite fois...

Autre mouvement.

Vous ne ferez rien contre cela, marquise.

JEANNE.

Adieu !

Elle passe devant Gontran et va à la table.

GONTRAN.

Vous êtes sévère ! je pensais, moi, avoir parlé avec quelque délicatesse...

JEANNE, debout près de la cheminée.

Quel changement !

GONTRAN, allant à la table.

Voyons ! si vous n’aimez pas ce que je vous dis, vous aimerez peut-être mieux ce que vous dira ce roman...

Il prend la Revue.

JEANNE.

Non ! vous avez tort de ne pas prendre au sérieux ce que je vous ai dit... Je ne saurais vous entendre...

GONTRAN, remettant le livre sur la table.

Décidément, vous allez un peu loin...

JEANNE.

Un enfant !...

GONTRAN, se levant.

Je ne suis pas un enfant, je suis un homme ! et je ne puis me laisser traiter...

Il prend son chapeau.

JEANNE.

Je vous engage à retourner chez cette personne...

GONTRAN.

Vous me renvoyez ?...

JEANNE.

Oui !

GONTRAN.

Et vous me conseillez d’aller chez... ?

JEANNE.

C’est ce que vous avez de mieux à faire !

GONTRAN.

J’y vais, madame !...

Il sort par le fond à droite.

 

 

Scène III

 

JEANNE, seule

 

 J’y vais, madame !... Ce mot n’est rien... mais c’est la joie mal contenue avec laquelle il l’a dit... il semblait qu’il fût délivré... Allons ! c’est un garçon perdu... Je le trouve singulièrement impertinent de dire que je me suis habituée à lui et que je ne saurais me passer... Il me lisait ce roman... Eh ! bien je le lirai toute seule... il n’en sera que cela...

Elle s’assied et prend la Revue ; tout en cherchant la page.

C’est assez drôle ce qu’il m’a dit sur les pommes... Là ! voici la page... on n’a pas besoin de quelqu’un pour trouver...

Elle lit.

« Georges écoutait Pauline avec une sourde... » cette table remue... « Georges écoutait Pauline... » C’est insupportable ! « Georges écoutait... » il est impossible de lire !

Elle sonne.

 

 

Scène IV

 

JEANNE, JACQUELINE

 

JACQUELINE.

Madame ?

JEANNE.

Voyez donc cette table... elle remue...

JACQUELINE.

Oui, madame... j’ai déjà remarqué cela. H n’y a que M. de Varins qui sache la faire rester tranquille.

JEANNE.

Comment ?

JACQUELINE.

Il a un moyen pour ça. Moi, madame, je ne sais pas...

JEANNE.

Il faut essayer...

JACQUELINE.

Je veux bien !

Elle remue la table très fort.

Là ! madame, ça ne se peut pas... il n’y a que M. de Varins...

JEANNE.

Ah ! nous arriverons bien !...

Elle remue la table avec Jacqueline.

JACQUELINE.

Non ! non ! Les tables, madame, c’est comme les personnes, si on les bouscule, ça les met en colère, et elles s’obstinent...

JEANNE.

Mettez ce papier plié en quatre sous le pied...

JACQUELINE.

Je crois, madame, que c’est ce qu’il y a de mieux. Mais avec M. de Varins, on n’aurait pas eu besoin...

JEANNE.

Encore !

JACQUELINE.

Quoi ! Madame ?...

JEANNE.

Vous êtes la filleule de monsieur le marquis, et comme telle un peu gâtée dans la maison ; vous en abusez quelquefois !

JACQUELINE.

Je ne croyais pas...

JEANNE.

Est-ce fait ?...

JACQUELINE, en se relevant.

Oui, madame !

JEANNE.

C’est bien, alors !

JACQUELINE.

Madame n’a plus rien à me demander ?...

JEANNE.

Non ! Rien !

JACQUELINE.

Du reste, s’il arrive encore quelque chose... comme je suis là, Madame n’aura qu’à sonner...

JEANNE.

Hein ?...

Jacqueline sort.

 

 

Scène V

 

JEANNE, seule

 

Jacqueline se moque de moi, et elle n’a pas tort... il est évident qu’il vaudrait mieux avoir là sous la main quelqu’un... c’est la seule raison qui pourrait me faire regretter M. de Varins... et encore... il est bon d’avoir quelqu’un, mais il n’est pas indispensable que ce quelqu’un soit M. de Varins... Il ne manquera pas de gens qui seront heureux de prendre la place dont il s’est rendu indigne... Voyons, cherchons... il y a... Oh ! pas celui-là... je bâille rien que pour y avoir pensé... il y a... ah ! oui, mais celui-ci ne passerait pas deux heures dans le paradis sans vouloir... C’est déci dément assez drôle ce qu’il m’a dit sur les... Voyons, il y a... il y a... au fait, il y a...

Elle rit.

Mais pourquoi pas après tout !...

Elle rit.

Il y a mon mari !... Jacqueline !

 

 

Scène VI

 

JEANNE, JACQUELINE

 

JACQUELINE.

Madame... qu’y a-t-il à arranger ? je ne vois pas...

JEANNE.

Il n’y a rien !

JACQUELINE.

Ah !

JEANNE.

Il s’agit d’autre chose. Est-ce que monsieur le marquis est sorti ?

JACQUELINE.

Non, madame ! La voiture est encore dans la cour...

JEANNE.

Allez dire à monsieur le marquis que je le prie de passer chez moi...

JACQUELINE, avec surprise.

Madame...

JEANNE.

Ne m’entendez-vous pas ?

JACQUELINE.

Si fait, madame, si fait !

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

JEANNE, seule

 

J’ai eu un moment d’inquiétude ; enfin, me voici rassurée... je ne resterai pas seule... une chose utile qu’un mari... même quand il a eu des torts. La société songe à tout. Elle a prévu le cas où une femme comme moi, qui aime à se faire lire la Revue des Deux-Mondes, le soir, serait réduite à la lire elle-même, ce qui est moins amusant. Et elle a dit à cette femme : « Ne crains rien, le jour où ton lecteur ordinaire te manquera, tu en auras sous la main un autre, que je te donne... Cet autre, c’est ton mari ! »

Lucien entre.

 

 

Scène VIII

 

JEANNE, LUCIEN

 

LUCIEN, sur le seuil de la porte.

Vous avez à me parler, Jeanne ?

JEANNE.

Vous alliez sortir ?...

LUCIEN, descendant en scène.

Oui. Le soir, à cette heure-ci... j’ai l’habitude...

JEANNE.

Est-ce fort important ce qui vous fait sortir ?

LUCIEN.

Non ! J’allais à l’Opéra, et j’ai tout le temps de vous écouter.

JEANNE.

Il n’y a rien à écouter... j’ai, moi, l’intention de ne pas sortir, et si vous aviez voulu passer la soirée près de moi...

LUCIEN, très étonné.

Vous dites ?

JEANNE.

Est-ce que vous n’avez pas compris ?

LUCIEN.

Redites encore une fois !...

JEANNE.

Je vous demande si vous pouvez passer la soirée près de moi... c’est bien simple...

LUCIEN.

Bien simple ! Bien simple !

JEANNE.

Vous refusez ?

LUCIEN.

Je ne dis pas cela !...

JEANNE.

Le jour où nous avons reconnu que jamais nos deux façons d’être ne pourraient s’accorder, il a été convenu que vous restiez mon meilleur ami, n’est-ce pas ?...

LUCIEN, lui tendant la main.

Sans doute, sans doute...

JEANNE.

Il me semble que je ne vous demande rien que l’on ne puisse demander à un ami.

Lucien rit.

Qu’avez-vous à rire ?...

LUCIEN, prenant un air sérieux.

Je ne ris pas... Un peu de surprise peut-être...

JEANNE.

Ah !

LUCIEN.

Il faut bien avouer que, depuis quatre mois, il ne vous est pas arrivé souvent, malgré cette belle amitié... raison de plus, du reste, pour que je profite de cette bonne fortune.

JEANNE.

Vous restez ?

LUCIEN.

Je reste !

JEANNE, vivement.

Ah ! que je suis heureuse...

LUCIEN, un peu ému.

Vraiment ?

JEANNE.

Oui, car je suis habituée, quand je passe la soirée ici, à avoir quelqu’un près de moi...

LUCIEN.

Ah ! c’est pour ça ?

JEANNE.

Vous comprenez ?...

LUCIEN, remontant et se dirigeant à gauche.

Parfaitement, et je suis très heureux de prendre la place de ce quelqu’un... afin qu’il n’y ait rien de changé à vos habitudes...

Il se met dans le fauteuil où la marquise était assise pendant la première scène.

JEANNE.

Si vous tenez à cela, ne vous mettez pas dans mon fauteuil...

LUCIEN.

Ah ! je suis dans votre...

JEANNE.

Oui.

Lucien se lève.

Mettez-vous dans celui-là !

LUCIEN.

Pardonnez-moi !

Il s’assied dans l’autre fauteuil. La marquise s’assied dans son fauteuil et pousse un soupir de satisfaction que répète le marquis ; puis celui-ci, machinalement, se met à battre la mesure avec ses pieds.

JEANNE.

Seulement, ne piétinez pas, parce que ça me...

LUCIEN.

Ah ! ça vous...

Cessant et se tenant immobile.

Comme ceci, alors ?

JEANNE.

Oui, c’est très bien !

Avec un nouveau soupir de satisfaction.

Ah ! à la bonne heure ! je me retrouve !

LUCIEN.

Tant mieux ! tant mieux !

JEANNE.

Vous riez encore ?...

LUCIEN.

Mais non, je ne ris pas... voyons ! qu’est-ce que nous allons faire maintenant ?...

JEANNE.

Prenez ce livre.

LUCIEN, il prend la Revue et après en avoir regardé le titre.

La Revue des Deux-Mondes... hum !...

JEANNE.

Qu’avez-vous ?

LUCIEN.

Qu’est-ce que vous comptez me faire faire de ça ?

JEANNE.

Mais... vous faire lire... dedans !

LUCIEN.

Voilà justement ce que je craignais !...

JEANNE.

Pourquoi ? je suis sûre que vous lisez très bien ! Tenez !... C’est là qu’il faut lire !...

Le marquis dérange tout ce qu’il y a sur la table pour poser son livre ; il pose la corbeille à ouvrage devant la marquise ; celle-ci le regarde avec inquiétude.

Eh bien ?

LUCIEN.

Je lis ! je lis !

Lisant très haut.

« Georges écoutait Pauline avec une sourde colère...

La marquise replace la corbeille à ouvrage devant Lucien ; celui-ci la replace devant la marquise.

Une si parfaite façon de raisonner... »

JEANNE, l’interrompant.

Qu’est-ce que c’est que cela ?

LUCIEN.

Est-ce que je ne lis pas assez haut ?

JEANNE.

Beaucoup trop haut... et puis vous n’avez pas l’air de comprendre...

LUCIEN.

Que voulez-vous que je comprenne à un roman que vous me faites commencer par le dernier chapitre. Dites-moi, au moins, pourquoi ce Georges écoutait cette Pauline avec une sourde colère ?...

JEANNE, cherchant.

Pourquoi ce Georges ?...

LUCIEN, riant.

Vous ne le savez pas ?...

JEANNE.

Ça ne paraît que tous les quinze jours... vous comprenez... je suis habituée à ce qu’avant de me lire un chapitre, on me rappelle en quelques mots le chapitre précédent.

LUCIEN.

Ce chapitre précédent... Ce n’est pas moi qui l’ai lu...

JEANNE.

Par conséquent, il vous est impossible... ne lisons pas alors...

LUCIEN.

Pour cela, je m’en console...

Il ferme la Revue, se lève et fait quelques pas.

JEANNE, avec effroi.

Vous allez marcher ?...

LUCIEN.

Il ne faut pas ?...

JEANNE.

Non ! parce qu’en marchant, vous faites un bruit... revenez ici !

LUCIEN.

Je reviens !

Il revient sur la pointe des pieds.

JEANNE.

Là ! remettez-vous là ! comme vous étiez... C’est cela !...

LUCIEN, se rasseyant.

Voilà ! voilà !

JEANNE.

C’est bon... d’être ainsi l’un près de l’autre !...

LUCIEN.

C’est délirant !

JEANNE.

Ah ! vous riez encore !...

LUCIEN, se balançant sur sa chaise.

Mais non, je ne ris pas...

JEANNE.

Cessez, je vous prie...

LUCIEN.

Ah ! ça vous... Qu’est-ce que nous allons faire, puisque nous ne lisons pas ?...

JEANNE.

Nous occuper d’une toilette... que je rêve !

LUCIEN.

Ah ! cela, c’est intéressant !...

JEANNE.

Il y a du papier, des crayons... nous allons travailler ensemble.

LUCIEN.

Comme la reine avec mademoiselle Bertin... Mais je vous ferai observer que mademoiselle Bertin était modiste... moi je ne suis rien du tout. J’ai été capitaine de cuirassiers...

JEANNE.

Vous savez dessiner, cela suffit !...

LUCIEN.

Vous allez me faire faire des dessins de modes !

JEANNE.

Je me rappelle... Nous n’étions pas mariés alors... C’était chez ma mère... vous avez pris un crayon, une feuille de papier... et en cinq minutes, vous avez fait un dessin...

LUCIEN.

Un cuirassier qui épargne son ennemi, l’ennemi est comme ceci.

Il prend une pose.

Le cuirassier comme cela...

Autre pose.

JEANNE.

C’était charmant !

LUCIEN.

Peuh !

JEANNE.

Le moment est venu d’employer ce talent à quelque chose qui me soit agréable !...

LUCIEN.

Le moment est venu de vous faire un aveu !

JEANNE.

Un aveu ?...

LUCIEN.

Oui, Jeanne !... Il y a des professeurs d’écriture qui, en trois coups de plume, exécutent Androclès et son lion, à main levée. Ne leur demandez pas autre chose... Ils ne sauraient pas. Je suis un peu comme cela. Je ne sais pas dessiner, je sais faire un dessin... Au régiment, le major m’a indiqué une marche...

Il prend une feuille de papier et dessine.

C’est très facile, et vous-même, si vous vouliez... l’ennemi d’abord, puis le casque du cuirassier... puis sa figure... Voyez-vous les moustaches... je réussirai cinq cents fois de suite le cuirassier qui épargne son ennemi... toujours dans la même pose, bien entendu...

Faisant un grand paraphe.

Là ! le plumet de l’ennemi... regardez... C’est très joli !... mais le major ne m’a appris que cela... Je me déclare donc parfaitement incapable de dessiner vos corsages et vos coiffures !

JEANNE.

C’est vrai cela ?

LUCIEN.

C’est vrai, hélas !... Désirez-vous que j’en fasse un autre ?...

JEANNE.

Non, non... Encore une chose à laquelle il faut renoncer...

LUCIEN.

Si vous le voulez, je remplacerai cela par une discussion philosophique sur les gens qui, n’ayant jamais su faire qu’un dessin dans leur vie, n’en sont pas moins arrivés...

JEANNE.

Je vous remercie !...

LUCIEN.

Ça ne vous amuserait pas ?... Je n’ose plus vous demander ce que nous allons faire ?

JEANNE.

Vous ferez ce que vous voudrez. Quant à moi, donnez-moi ma broderie...

LUCIEN.

Votre broderie ?...

Il regarde autour de lui.

JEANNE.

Oui !

LUCIEN.

Où est-elle, s’il vous plaît ?... je ne sais pas, moi !...

JEANNE.

Je ne sais pas non plus. Ayez la complaisance de chercher...

LUCIEN.

Très volontiers !

Il se lève et cherche.

JEANNE.

Eh bien ?...

LUCIEN, qui a mis sens dessus dessous la corbeille à ouvrage.

Ma foil je ne la trouve pas... Elle n’est pas là !...

JEANNE.

Cherchez ailleurs...

LUCIEN.

Ailleurs... ailleurs... Où diable Gontran peut-il l’avoir cachée ?

JEANNE.

Vous dites...

LUCIEN.

Je dis que je ne me doute pas de l’endroit où Gontran...

Il étouffe un éclat de rire.

peut avoir caché...

JEANNE.

Pour le coup, vous riez !...

LUCIEN.

Eh bien ! oui, je l’avoue... et j’avoue aussi que j’ai une question sur les lèvres depuis que je suis ici...

JEANNE.

Une question...

LUCIEN.

Oui, je voulais vous demander...

JEANNE.

Quoi ?...

LUCIEN.

Comment il se fait que, ce soir, Gontran ne soit pas ici ?...

Jeanne se lève et sonne ; entre Jacqueline.

 

 

Scène IX

 

JEANNE, LUCIEN, JACQUELINE

 

JACQUELINE.

Madame !...

JEANNE.

Cherchez ma broderie, Jacqueline, et donnez-la-moi !

JACQUELINE.

Elle doit être dans la corbeille.

Elle va à la table.

LUCIEN.

J’ai regardé, Jacqueline.

JACQUELINE, voyant le désordre de la corbeille.

Oh ! monsieur !...

LUCIEN.

Elle n’y est pas !

JACQUELINE.

Là dedans alors...

Elle ouvre le tiroir de la table et ôte tout ce qu’elle y trouve.

Non !

LUCIEN, fouillant dans le chiffonnier et en ôtant deux tiroirs qu’il pose sur le canapé.

Enfin ! elle doit être quelque part !...

JACQUELINE.

Assurément, monsieur !

LUCIEN.

Cherchons, Jacqueline, cherchons !

JACQUELINE.

Cherchons, monsieur...

Elle quitte la table et va au canapé.

JEANNE, impatientée.

Mais que faites-vous ? ne pouvez-vous laisser les choses en place...

JACQUELINE.

Il faut bien chercher, madame !

LUCIEN, après avoir bouleversé tous les tiroirs du chiffonnier.

Rien ! Cette broderie ne peut pas s’être envolée pourtant ! Cherchons, Jacqueline...

Il va au piano et éparpille la musique qui s’y trouve placée.

JACQUELINE.

Cherchons, monsieur...

Elle cherche sous les coussins du canapé et en laisse tomber un à terre.

JEANNE.

Jacqueline, je vous défends...

JACQUELINE.

Ne craignez rien, madame, nous remettrons les choses en place quand nous aurons trouvé.

LUCIEN, il va à la cheminée, dérange la pendule, prend un des vases de la garniture, regarde dedans et le secoue.

Pas dans celui-ci !

Il pose le vase sur la table.

JEANNE, irritée.

Ah ! c’est trop !

JACQUELINE, regardant sous le canapé.

Trouvez-vous, monsieur ? moi, je ne trouve pas !

LUCIEN, en train d’examiner le second vase.

Moi non plus !

JACQUELINE, s’oubliant.

Il faut que M. de Varins ait imaginé une cachette !

JEANNE, furieuse.

Jacqueline !

JACQUELINE.

Madame !

JEANNE.

Je me passerai de cette broderie. Laissez-nous !

JACQUELINE.

Mais, madame !

JEANNE.

Laissez-nous !

Jacqueline sort.

 

 

Scène X

 

JEANNE, LUCIEN

 

LUCIEN.

Jacqueline a raison ; il faut que M. de Varins ait imaginé une cachette... Si je savais où il est, j’irais lui demander...

JEANNE.

S’il ne faut, pour interrompre le cours de vos dévastations, que vous dire où est M. de Varins, je vous le dirai très volontiers.

LUCIEN.

Où est-il ?...

JEANNE.

Chez une demoiselle Métella !...

LUCIEN, bondissant et laissant tomber à terre un petit coffret qu’il vient de prendre sur le piano.

Métella !...

JEANNE.

Oui, c’est bien le nom... il ne vous l’a pas dit... Cela me sur prend ! il est assez fier cependant...

LUCIEN, qui a ramassé le coffret et le pose sur la table.

Non... il ne m’en a pas parlé, et je m’étonne qu’il vous en ait parlé... à vous.

JEANNE.

Oh ! c’est par hasard que j’ai appris... maintenant que vous savez où il est, n’allez-vous pas le chercher ?...

LUCIEN.

Si fait ! si fait !...

À part, et cherchant partout son chapeau qu’il n’a pas apporté, à part.

Chez Métella, pendant que je suis là, moi, à chercher des broderies...

Il donne un coup de pied dans le coussin qui est par terre.

JEANNE.

Qu’est-ce que vous faites ?... Ça va recommencer ?...

LUCIEN.

Mon chapeau, vous ne l’avez pas vu ?...

JEANNE.

Il est chez vous.

LUCIEN.

Ah !... c’est vrai ! vous me pardonnez de vous quitter ?...

JEANNE.

Si je vous pardonne !... Mais regardez donc autour de vous... vous êtes ici depuis une heure... vous vous êtes assis dans mon fauteuil, vous avez crié en lisant, vous avez dessiné des cuirassiers, vous avez arrêté la pendule, mis mon salon au pillage... vous avez froissé toutes mes habitudes... et vous me demandez si je vous pardonne de vous en aller... mais je vous en remercie, au contraire, et je vous supplie de partir tout de suite...

LUCIEN.

Voilà qui me met à mon aise... Au revoir, alors...

JEANNE.

Au revoir !

Lucien va pour sortir par le fond.

Vous sortez sans chapeau !...

LUCIEN.

Ah !...

En sortant par la droite, à part.

Chez Métella !...

 

 

Scène XI

 

JEANNE, puis JACQUELINE

 

JEANNE, seule.

Où va-t-il ? est-ce qu’il irait vraiment demander ?... Après tout, que m’importe !... il est parti, enfin...

Elle regarde autour d’elle.

Mon salon !... Qu’est-ce qu’il en a fait !... Oh ! moi aussi, je vais sortir... je ne puis pas rester ici... je ne puis pas... Jacqueline !

JACQUELINE, entrant.

Madame !

JEANNE.

Un chapeau, un manteau, vite !

JACQUELINE, étonnée.

Bien, madame !

Elle entre chez la marquise.

JEANNE.

Je vais aller passer une heure chez ma mère. Il me semble que j’ai besoin de pleurer un peu... et d’entendre dire beaucoup de mal de mon mari.

Rentre Jacqueline, la marquise met son chapeau, etc.

Je serai revenue dans une heure, Jacqueline, et rappelez-vous que si, à mon retour, je trouve une épingle qui ne soit pas à sa place, vous ne resterez pas à mon service !...

JACQUELINE, souriant.

Oh ! madame !...

JEANNE, allant à la fenêtre.

La voiture de mon mari est toujours là... je la prends... C’est un commencement de vengeance !

Elle sort.

 

 

Scène XII

 

JACQUELINE, puis LUCIEN

 

JACQUELINE.

Me renvoyer... Je l’en défie bien... Elle est trop habituée à moi... je ne serais pas partie depuis deux heures...

Bruit de voiture.

LUCIEN, au dehors.

Eh bien ! ma voiture s’en va...

Entrant.

Jacqueline, ma voiture.

JACQUELINE.

Madame l’a prise !

Elle commence à ranger.

LUCIEN.

Madame est sortie ?

JACQUELINE.

Elle reviendra dans une heure !

LUCIEN, à part.

Voilà une chose particulière, On me force à me marier, je me marie. Au bout de deux mois, les manies de ma femme m’étonnent et m’irritent. Je me fâche, je m’ennuie et je m’en vais me... désennuyer chez Métella. Aujourd’hui, je revois ma femme et je retrouve les mêmes manies. Nouvelle irritation ! Mais comment se fait-il qu’aujourd’hui je trouve dans cette irritation un charme ?

Il va s’asseoir sur le canapé.

Un charme positivement... le mot n’est pas trop fort... Comment se fait-il qu’au lieu de partir, je reste et que je ne songe pas à en vouloir à Métella, qui se moque de moi ?... Qu’est ce que cela veut dire ?...

JACQUELINE, elle a ramassé un coussin et vient pour le remettre sur le canapé.

Pardon, monsieur...

LUCIEN.

Quoi, Jacqueline ?...

JACQUELINE.

Il faut que je range, monsieur...

LUCIEN.

Ah ! je vous gêne.

Il se lève.

JACQUELINE.

Madame m’a dit que si elle ne trouvait pas chaque chose à sa place... Elle n’était pas de bonne humeur, madame...

LUCIEN.

Est-ce qu’elle se fâche quelquefois ?...

Il se met machinalement à ranger les tiroirs du chiffonnier.

JACQUELINE.

Oh ! pas souvent, monsieur... mais elle n’aime pas qu’on touche à ses habitudes...

Elle remonte pour ramasser la musique et les partitions.

LUCIEN, à part.

Je m’en suis aperçu... Vous les connaissez, vous ?...

JACQUELINE.

Quoi, monsieur ?...

LUCIEN.

Les habitudes de la marquise ?...

JACQUELINE.

Je les connais... en gros...

Elle prend le coffret sur la table.

LUCIEN, à part.

Hum ! C’est en détail qu’il faudrait les connaître...

Il trouve un flacon sur le canapé.

JACQUELINE.

Où était ce coffret, monsieur ? Savez-vous ?...

LUCIEN.

Je ne sais pas. Et ce flacon ?...

JACQUELINE.

Je ne sais pas non plus, monsieur !...

LUCIEN.

C’est embarrassant...

Entre Gontran.

 

 

Scène XIII

 

JACQUELINE, LUCIEN, GONTRAN

 

JACQUELINE.

Ah ! M. de Varins !... nous sommes sauvés !...

À Gontran.

Où met-on cela, monsieur ?

GONTRAN.

Ce coffret ?... ici...

Il porte le coffret sur le piano.

LUCIEN.

Où met-on cela, Gontran ?

GONTRAN.

Là-bas, le deuxième tiroir, à droite !

Il prend le flacon et va le mettre dans le tiroir du chiffonnier.

LUCIEN, à part.

Voilà celui qui les connait en détail, les habitudes de la marquise, voilà celui qui peut...

JACQUELINE, jetant pêle-mêle plusieurs objets dans la corbeille.

Je vais arranger cela par là, je le rapporterai tout à l’heure...

LUCIEN.

Bien, Jacqueline, bien !

Il suit de l’œil Gontran, qui, ne trouvant pas les choses parfaitement en ordre, corrige certains détails ; Jacqueline sort.

GONTRAN, rangeant sur la cheminée, puis sur la table, à part.

Qu’est-ce qu’ils ont fait ?...

 

 

Scène XIV

 

GONTRAN, LUCIEN

 

LUCIEN, à part.

Les connaît-il bien, les habitudes de ma femme !

GONTRAN, à part.

Quel désordre !

LUCIEN.

C’est la marquise que tu venais voir ?...

GONTRAN.

Non, c’est vous !...

LUCIEN.

Moi !...

GONTRAN.

Oui ; on m’a dit chez vous que vous étiez ici et que la marquise n’y était pas... je viens vous demander un service !...

LUCIEN.

Un service... moi aussi, j’en ai un à te demander...

GONTRAN.

Écoutez-moi d’abord, je vous en prie. Il y a trois jours, plusieurs de mes amis m’ont introduit dans un monde que je ne connaissais pas... ils m’ont mené à un souper... il y avait des femmes, une surtout...

LUCIEN.

Un ange ?

GONTRAN.

Métella !...

LUCIEN.

Oh ! cousin !... cousin !... Les ailes de ces anges-là sont faites avec les plumes...

GONTRAN.

Comment ! avec les plumes... Ah ! bien, non, pas de morale, n’est-ce pas... ? D’autant que, depuis trois jours, j’ai furieusement entendu parler de vous... dans ce monde-là !...

LUCIEN.

Hein !... Tais-toi !...

GONTRAN, riant.

Il paraît que vous n’en sortez pas...

LUCIEN.

Tais-toi !... Tu veux donc...

GONTRAN.

Je ne veux pas vous perdre... mais, je le répète, pas de morale... rendez-moi tout uniment le service que je vous demande...

LUCIEN.

Quel service, voyons ?...

GONTRAN.

Je suis allé chez Métella tout à l’heure... Elle était seule !... jugez de mon bonheur... une soirée à passer près d’elle !... Eh bien, non !... il y a dans ce monde des habitudes que je ne connais pas, un langage que je comprends à peine... je n’ai pas tardé à sentir que je commettais fautes sur fautes, maladresses sur maladresses... Métella s’est d’abord contentée de se moquer de moi, mais peu à peu l’impatience l’a prise, et elle a fini par me mettre à la porte... ou peu s’en faut...

LUCIEN.

Et tu te plains...

GONTRAN.

Une fois au grand air, je me suis heureusement rappelé que j’avais un cousin qui possède, lui, cette expérience qui me manque. Et je viens vous demander à vous, qui connaissez si bien ce monde-là, de quelle façon il faut se conduire pour y passer une soirée sans se rendre absolument ridicule... voilà !...

LUCIEN.

À mon tour maintenant... j’ai eu occasion de constater tout à l’heure que les habitudes de la marquise ne m’étaient pas aussi familières qu’il le faudrait ; je me suis heureusement rappelé que j’avais un cousin qui possède, lui, l’expérience qui me manque. Et je te prie de me dire, toi, qui connais si bien ce salon, de quelle façon il faut se conduire pour y passer une heure sans se rendre absolument désagréable... voilà...

GONTRAN.

Comment donc !

LUCIEN.

Tu veux bien ?

GONTRAN.

De grand cœur ! mais à condition que... de votre côté...

LUCIEN.

C’est entendu !

GONTRAN.

Commençons alors.

LUCIEN.

Commençons... j’écoute...

Ils s’asseyent sur le canapé.

GONTRAN.

La marquise se met dans ce fauteuil là-bas, il faut s’asseoir dans l’autre... il faut s’asseoir de façon à... écoutez bien... à ce qu’on puisse atteindre, avec sa main droite, la sonnette, l’écran, la pelle, la lampe et les pincettes... et avec la main gauche... écoutez bien... la lampe, l’album, le couteau à papier, les ciseaux et le Journal des Modes...

LUCIEN.

Hum ! c’est un peu compliqué.

GONTRAN.

Mais non, c’est très simple : main droite, écran et pincettes... main gauche...

LUCIEN, se levant.

C’est inutile, jamais je ne retiendrai tout ça. Tes explications gagneraient beaucoup à être complétées par un peu de mise en scène.

 

 

Scène XV

 

GONTRAN, LUCIEN, JACQUELINE

 

JACQUELINE, entrant avec la corbeille qu’elle pose sur la table.

Je rapporte la corbeille, monsieur.

LUCIEN.

Eh pardieu ! voici notre mise en scène qui arrive... venez ici, Jacqueline.

JACQUELINE.

Que me voulez-vous, monsieur ?...

LUCIEN, à Gontran.

Au lieu de me dire comment je dois jouer ce rôle, tu vas le jouer devant moi.

Prenant Jacqueline par la main et la faisant asseoir dans le fauteuil.

Mettez-vous là, Jacqueline.

JACQUELINE, étonnée.

Dans le fauteuil de madame ?

LUCIEN.

Oui...

Il la fait asseoir, puis allant à Gontran.

Avec toi, Jacqueline sera marquise...

GONTRAN.

Je comprends... et avec vous, elle sera...

LUCIEN.

Bien entendu...

Il prend la chaise placée près du canapé et s’assied comme dans une stalle.

Commence, je regarde et j’écoute.

JACQUELINE.

Et moi, monsieur... qu’est-ce qu’il faut faire ?

LUCIEN.

Vous laisser faire... voilà tout.

JACQUELINE.

Bien, monsieur.

GONTRAN, allant à Jacqueline.

Vous voilà placée, Jacqueline. Maintenant tâchez de prendre un peu des mines d’une grande dame.

Il lui donne un petit écran et il arrange les plis de sa robe.

LUCIEN, à part.

Il connaît même les plis de la robe !...

JACQUELINE, se posant.

Est-ce bien ?

GONTRAN.

Parfait ! voyez comme elle est tout de suite arrivée à se donner des airs de princesse, c’est vraiment chose singulière que la facilité avec laquelle la première femme venue...

LUCIEN.

C’est admirable...

GONTRAN.

Là... vous y êtes ?

LUCIEN.

J’y suis.

Gontran sort, on entend un léger coup de sonnette, Gontran entrebâille la porte.

GONTRAN.

J’entre, vous voyez...

LUCIEN.

Je vois, je vois.

GONTRAN, va poser son chapeau sur le piano après avoir fait un profond salut à Jacqueline qui lui fait un petit signe de tête, puis il s’avance vers elle.

Je prends la main... avec un grand respect...

LUCIEN.

Bien entendu.

GONTRAN.

Un grand respect où perce cependant...

LUCIEN.

Cependant... ?

GONTRAN.

Où perce cependant une certaine émotion.

LUCIEN, à part.

Cette émotion m’inquiète...

GONTRAN.

Enfin, il faut que, malgré le respect, on sente que j’embrasse la main d’une jolie femme...

LUCIEN.

Ah !

GONTRAN.

Quelque chose comme ceci, tenez...

Il embrasse la main de Jacqueline.

LUCIEN.

Je commence à comprendre... continue.

GONTRAN.

Non pas... à votre tour maintenant.

LUCIEN, se levant.

Allons, je le veux bien !... venez ici Jacqueline.

JACQUELINE, se levant.

Me voici, monsieur.

LUCIEN.

Mettez-vous là sur le canapé... vous n’êtes plus grande dame... vous êtes tout bonnement une jolie femme.

JACQUELINE, comprenant.

Ah ! bien, monsieur.

LUCIEN.

Une jolie femme qui, lorsqu’elle est chez elle, n’étudie pas ses poses...

Jacqueline s’étend sur le canapé ; Lucien lui ébouriffe les cheveux et lui fait tomber quelques petites mèches sur le front.

et qui les réussit.

JACQUELINE.

Est-ce bien, monsieur ?

LUCIEN.

À merveille... C’est vraiment chose singulière que la facilité avec laquelle la première femme venue arrive à prendre les airs...

GONTRAN.

C’est frappant, vous l’avez placée tout à fait comme Métella... vous la connaissez donc ?

LUCIEN.

Elle ou une autre, c’est la même chose. Là... y es-tu ?

GONTRAN, qui s’est placé sur une chaise du côté de la table.

J’y suis.

LUCIEN, sort ; un violent coup de sonnette se fait entendre ; Lucien entre le chapeau sur la tête.

J’entre... tu vois...

GONTRAN.

Je vois.

LUCIEN, tout en chantonnant, va à la cheminée, se regarde un instant dans la glace, ôte son chapeau qu’il pose sur le piano, approche un fauteuil de la cheminée, se chauffe, puis sans regarder Jacqueline et du ton le plus indifférent.

Bonjour, chère, comment allez-vous ?

JACQUELINE, sans bouger.

Pas mal, pas mal, marquis !

LUCIEN, se levant.

Hein !

À Gontran, tout en allant vers Jacqueline.

Tu vois, mon ami, l’air ennuyé, pas d’empressement... un calme complet ! Tu vas à la femme, elle te tend la main par-dessus la tête...

Jacqueline fait le geste.

Très bien, Jacqueline !... Tu prends la main... et tu embrasses... à côté...

Il embrasse Jacqueline sur la joue, elle pousse un cri.

Et on ne crie pas.

GONTRAN.

À moi maintenant, ôtez-vous !

JACQUELINE, se levant.

Ah ! non, par exemple... vous n’êtes pas mon parrain, vous...

LUCIEN, retenant Gontran.

Tu as vu, tu te rappelleras... seulement tu te précipitais trop... un calme complet, je te l’ai dit.

GONTRAN.

Je n’aurais pas été fâché...

LUCIEN.

Je comprends cela... Continuons... nous voici entrés... la soirée maintenant... C’est moi qui regarde...

GONTRAN.

Revenez au fauteuil, Jacqueline.

JACQUELINE.

Je redeviens grande dame... monsieur ?

GONTRAN.

Oui, Jacqueline.

JACQUELINE.

Voilà, monsieur.

Elle remet sa coiffure en ordre, traverse le salon avec des airs de princesse et va se rasseoir ; Lucien se remet sur la chaise près du canapé.

GONTRAN, s’asseyant de l’autre côté de la table.

Moi, je prends mon fauteuil... en me plaçant ici, quand vient l’heure de la lecture, je puis lire... et lire à voix basse.

LUCIEN.

Ah ! il faut lire à voix basse... Et moi qui ai fait tout le contraire.

GONTRAN.

Oui... et très vite... jusqu’à ce qu’on arrive à une phrase qui ait quelque rapport... c’est-à-dire où il soit question d’un jeune homme et d’une jeune femme... il y a toujours de ces phrases-là dans les romans... alors on s’y arrête, on les lit avec émotion...

LUCIEN, à part.

Encore l’émotion.

GONTRAN.

Et quelquefois même pour rendre l’allusion plus directe... on saisit la main...

LUCIEN.

Encore !

GONTRAN.

On saisit la main... mais au moment où l’on va la porter à ses lèvres... la femme la retire en disant...

JACQUELINE, retirant sa main.

Que faites-vous ?... vous êtes un enfant !

GONTRAN.

Elle l’a trouvée du premier coup !...

LUCIEN.

Quelles dispositions...

JACQUELINE.

C’est une réponse que j’ai entendue, monsieur...

LUCIEN.

Continue...

GONTRAN.

Non, retournons chez Métella.

JACQUELINE, se levant.

Je ne suis plus grande dame, monsieur ?

LUCIEN.

Non... Jacqueline !

JACQUELINE.

Ah ! bien tant mieux !

Elle fait de nouveau tomber ses cheveux sur ses yeux, puis court s’asseoir sur le canapé et s’appuie sur le côté droit.

LUCIEN.

Tu es donc entré, et te voilà assis.

Il s’assied à la droite de Jacqueline.

GONTRAN, s’asseyant aux pieds de Jacqueline sur un petit tabouret à gauche.

Tout près ?

LUCIEN.

Aussi près que tu voudras... pourvu que tu puisses avec ta main gauche, ouvrir le tiroir de la toilette et y prendre des jeux de cartes... Tu les trouveras à côté de la Clé des songes un petit volume bleu...

GONTRAN.

À côté de la Clé des songes... très bien...

LUCIEN.

Quel jeu connais-tu ?

GONTRAN.

Je n’en connais aucun.

LUCIEN.

Tu n’en perdras que mieux... tout en jouant tu pourras causer à voix basse ou à voix haute... et même crier si cela t’amuse... l’important est que tu glisses rapidement sur les idées qui sont indifférentes à Métella, et que tu arrives au plus vite à quelques-unes de ces phrases qui lui feront comprendre que tu as quatre-vingt mille livres de rente...

JACQUELINE, se retournant vivement vers Gontran.

Vraiment, monsieur ?

LUCIEN.

Tu vois l’effet ! ces phrases-là, on s’y arrête, on les dit avec onction... et pour rendre l’allusion plus sensible... on saisit...

GONTRAN, prenant la main de Jacqueline.

La main...

LUCIEN.

La main... si tu veux. La femme vous la laisse en disant...

JAQUELINE.

Le carrossier est venu.

LUCIEN.

C’est cela, pardieu !

GONTRAN.

Quelles dispositions !

LUCIEN.

Cette fois, Jacqueline, vous n’avez pas entendu...

JACQUELINE.

J’ai deviné, monsieur.

LUCIEN.

Je pense que toi tu devines le reste. On répond : Je ne veux pas que ce carrossier vous tourmente, et, comme, à ce moment, la partie est terminée et qu’on a perdu... on paye ses dettes de jeu !

Il se lève et jette sa bourse dans le tablier de Jacqueline.

JACQUELINE.

Merci, monsieur.

GONTRAN, se levant.

C’est très facile !... dites-moi la phrase, Jacqueline.

JACQUELINE.

Le bijoutier est venu.

GONTRAN, lui donnant de l’argent.

Voici pour le bijoutier !...

JACQUELINE.

Et la lingère...

GONTRAN, même jeu.

Voici pour la lingère.

JACQUELINE, avec volubilité.

Et le propriétaire, et le tapissier, et la fleuriste, et le marchand de gants, et le marchand de fourrures, et le marchand...

GONTRAN, qui n’a cessé de donner et qui cherche dans ses poches.

Ma foi, je n’ai plus rien...

LUCIEN.

Bravo, Gontran, c’est comme cela qu’il faut donner.

JACQUELINE.

Est-ce comme cela qu’il faut prendre, monsieur ?

LUCIEN.

Oui, Jacqueline, et vous ferez bien de garder ma bourse, puisqu’avec moi vous jouez le rôle de Métella ; mais il faut lui rendre son argent, avec lui vous êtes femme du monde.

JACQUELINE, avec une révérence.

Pardonnez-moi ! monsieur, c’est pour les pauvres !

LUCIEN.

Hein !

JACQUELINE, vivement.

C’est une phrase que j’ai entendue !...

GONTRAN.

Ah ! gardez tout, Jacqueline.

À part, en tâtant ses poches rides.

Je passerai chez moi avant d’aller...

Bruit de voiture.

JACQUELINE.

C’est madame qui revient !

Elle sort.

 

 

Scène XVI

 

LUCIEN, GONTRAN

 

GONTRAN.

Je ne veux pas que la marquise me trouve ici...

Il prend son chapeau.

LUCIEN.

Passe par chez moi, tu vas mettre la leçon à profit ?

GONTRAN.

Sans perdre une minute...

LUCIEN.

Va, mon ami... Ah ! j’allais oublier... où diable as-tu fourré la broderie...

GONTRAN, la tirant de la poche de son habit.

La broderie... la voici !

LUCIEN, étonné.

Dans la poche ?

GONTRAN.

De temps en temps, la marquise se figure qu’elle y travaille... Pour ne pas détruire cette illusion j’emporte la broderie et je la confie à une brodeuse qui, tout doucement...

LUCIEN, prenant la broderie.

Très ingénieux... l’adresse de la brodeuse ?

GONTRAN.

Mademoiselle Rosalie, 12 rue Laffitte...

LUCIEN.

Merci... sauve-toi. J’entends ma femme.

Gontran sort par l’appartement du marquis.

 

 

Scène XVII

 

LUCIEN, puis JEANNE

 

LUCIEN, il regarde la broderie, sourit, hausse imperceptiblement les épaules ; puis met la broderie dans sa poche.

Somme toute, le coupable, c’est moi... Qu’ai-je fait de Jeanne ?... qu’étais-je en train de la laisser faire d’elle-même ?... Allons... il s’agit de son bonheur et du mien... La partie vaut la peine d’être bien jouée.

Le marquis remonte à droite se tenant dans l’ombre. Entre Jeanne qui n’aperçoit pas le marquis ; celui-ci l’observe. La marquise fait un geste de contentement en retrouvant le salon en ordre ; elle va pour retirer son manteau. Le marquis qui s’est avancé sans bruit s’approche de Jeanne ; étonnement de celle-ci. Il lui retire sa pelisse et va la porter au fond, puis revient à elle, défait les brides de son chapeau, crainte de Jeanne. Le marquis la rassure du geste, il emporte le chapeau avec toutes sortes de précautions et va le poser sur un fauteuil, surprise croissante de la marquise. Le marquis, marchant sur la pointe des pieds, se dirige vers le fauteuil à gauche, l’avance un peu, place un petit tabouret, va prendre la marquise par la main, la conduit au fauteuil, la fait asseoir, puis il va au fauteuil placé à droite de la table et se prépare à s’y installer.

LE MARQUIS, cherchant à se rappeler les indications de Gontran, à part.

Voyons... pincettes, écran, Revue des Deux-Mondes...

Il s’assied et prend la Revue.

JEANNE, inquiète.

Vous allez lire ?

LUCIEN.

Oui.

JEANNE, inquiète.

Comme il y a une heure ?...

LUCIEN.

Non, plus bas... Rassurez-vous... Jeanne, ce qui est arrivé il y a une heure n’arrivera plus... J’ai froissé vos habitudes ; je ne les connaissais pas... Je les connais maintenant ; je ne les froisserai plus.

JEANNE.

Vous les connaissez ?

LUCIEN.

Oui ; je me suis informé, et désormais je veillerai moi-même à ce qu’il n’y ait pas un pli de dérangé dans votre existence... Nous lirons, nous broderons, nous chiffonnerons ensemble... Lisons d’abord...

Tout bas.

Georges écoutait Pauline...

JEANNE.

Vous dites ?

LUCIEN.

Plaît-il ?

JEANNE.

Vous dites ?

LUCIEN.

Je dis :

Tout bas.

« Georges écoutait Pauline avec une sourde... »

JEANNE.

Il faut lire plus haut... je n’entends pas...

LUCIEN.

Au lieu de lire plus haut, si je me rapprochais un peu...

JEANNE.

Vous rapprocher ?...

LUCIEN.

Mais oui ; voyez donc... nous sommes à une lieue l’un de l’autre... Que Gontran se tienne à une pareille distance... c’est fort bien... mais moi votre mari...

JEANNE.

Rapprochez-vous si vous le voulez...

LUCIEN.

Cela vaut mieux.

Il se rapproche.

Maintenant, vous allez entendre...

Plus bas encore.

« Georges écoutait Pauline. »

JEANNE.

Mais non, je n’entends pas davantage.

LUCIEN.

Vous n’entendez pas, c’est que nous ne sommes pas encore assez près.

JEANNE.

Oh !

LUCIEN.

Je ne puis plus me rapprocher, moi... mais vous, il me semble...

JEANNE.

Moi !...

LUCIEN.

Est-ce que vous ne pouvez pas un peu... ?

JEANNE.

Si fait, si cela est nécessaire...

Elle se rapproche.

LUCIEN.

Merci, Jeanne, merci...

Il lui embrasse la main.

JEANNE.

Mais... que faites-vous ?

LUCIEN.

Je vous remercie.

Même jeu.

Gontran serre un peu moins fort sans doute, il a raison, mais moi votre mari... Maintenant je crois que vous entendrez.

Il va pour lire.

JEANNE.

Non, ne lisez pas.

LUCIEN.

Comment !

JEANNE.

Je vous en prie... je n’ai pas la tête...

LUCIEN.

C’est vous qui ne voulez pas que je lise...

JEANNE.

Non... en ce moment il me serait impossible de m’intéresser...

LUCIEN.

À monsieur Georges et à mademoiselle Pauline... c’est fâcheux... Autre chose... si nous brodions ?

Il tire la broderie de sa poche.

LA COMTESSE.

Vous l’avez trouvée ?

LUCIEN.

Je l’ai tant cherchée ! et j’ai bonne envie en vous la donnant de me mettre à genoux devant vous ?

JEANNE.

Vous mettre à genoux ?

LUCIEN.

Oui, Jeanne, et d’y rester jusqu’à ce que vous m’ayez dit que vous me pardonnez...

JEANNE.

Qu’ai-je donc à vous pardonner ?

LUCIEN.

De ne pas vous avoir dit plus tôt ce que Gontran ne vous a jamais dit, j’aime à le croire, mais ce qu’il aurait peut-être fini par vous dire.

JEANNE.

Quoi donc ?

LUCIEN, à part.

Qu’une femme n’est pas faite pour broder à telle heure et lire des romans à telle autre entre le Journal des Modes à gauche, et les pincettes à droite... mais pour être aimée beaucoup... et aimer un peu... si ça ne dérange pas trop ses habitudes.

 

 

Scène XVIII

 

LUCIEN, JEANNE, JACQUELINE, puis GONTRAN

 

JACQUELINE.

Monsieur...

LUCIEN.

Qu’est-ce que c’est, Jacqueline ?

JAQUELINE.

C’est M. de Varins.

LUCIEN, à part.

Gontran !

JEANNE.

Pourquoi n’entre-t-il pas ?

JACQUELINE.

Il voudrait parler à monsieur le marquis.

LUCIEN.

Eh bien, faites-le venir.

JACQUELINE, sortant un peu.

Venez, monsieur, venez.

S’avançant.

Monsieur, il ne veut pas.

LUCIEN, allant au fond.

Entre donc, qu’est-ce que cela signifie ?

GONTRAN, entrant d’un air très embarrassé ; Jacqueline le regarde un instant et sort.

Marquise, vous me pardonnez, il est un peu tard.

Bas au marquis.

Je croyais vous trouver chez vous... Je crains...

JEANNE.

Vous voulez parler au marquis ?

GONTRAN.

Oui.

JEANNE.

Au marquis... tout seul ?

GONTRAN.

Oui ; vous permettez ?...

JEANNE.

Sans doute, sans doute...

Elle remonte à gauche.

LUCIEN, à droite avec Gontran.

Eh bien ?

GONTRAN, bas.

Eh bien, j’y suis allé...

LUCIEN.

Et la leçon ?

GONTRAN.

Ah ! j’en aurais profité sans doute... mais j’ai eu beau sonner...

LUCIEN.

On n’a pas ouvert ?

GONTRAN.

Non !

LUCIEN.

C’est que celui que l’on attendait ce soir ne devait pas sonner... il devait ouvrir lui-même...

GONTRAN.

Avec quoi ?

LUCIEN.

Avec la clé.

Il lui met la clé dans les mains.

GONTRAN, stupéfait.

Oh !

JEANNE.

Hein ! qu’est-ce qu’il y a ?

LUCIEN.

Rien, Jeanne, rien !

À part.

encore une habitude que je brise !

Haut.

Au revoir, cousin.

GONTRAN.

Bonsoir, cousin, bonsoir marquise.

LUCIEN.

Bonsoir cousin.

Il le reconduit jusqu’à la porte, Gontran sort. Le marquis s’approche lentement de la marquise.

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