La Boîte de Pandore (Philippe POISSON)

Comédie en un acte et un prologue, et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, par les Comédiens ordinaires du Roi, le 18 mars 1729.

 

Personnages du Prologue

 

LE CHEVALIER

LE MARQUIS

LA PRÉSIDENTE

MONSIEUR SERPOLET

UN LAQUAIS

 

Personnages de la Comédie

 

PLUTON

MERCURE

L’AMOUR

CARON

L’ESPÉRANCE

LA VIEILLESSE.

LA MIGRAINE

LA NÉCESSITÉ

LA HAINE

L’ENVIE

LA PARALYSIE

L’ESQUINANCIE

LA FIÈVRE

LE TRANSPORT

 

La scène est dans une place publique.

 

 

PROLOGUE

 

 

Scène première

 

LE CHEVALIER, LE MARQUIS

 

LE CHEVALIER.

Marquis, restons ici, le grand monde m’accable,

Et c’est dans les foyers un bruit épouvantable :

Surtout un homme est là qui fait le bel-esprit,

Et qui m’impatiente à chaque mot qu’il dit.

LE MARQUIS.

Et ce poète encor, d’une nouvelle espèce,        

Qui déjà s’évertue à décrier la Pièce ;

Et qui, contre l’Auteur sottement prévenu,

Condamne son Ouvrage avant que l’avoir vu.

LE CHEVALIER.

Et ce Beau, dont la voix à l’oreille est funeste,

Et qui nous a chanté tout l’Opéra d’Alceste :

J’en ai, je vous le jure, un mal de tête affreux :

Je l’ai pensé brusquer...

LE MARQUIS.

Que l’on est malheureux,

De se voir accosté des gens de cette sorte !

LE CHEVALIER.

Le remède à cela, c’est de gagner la porte,

Comme nous avons fait ; et lorsque par la main         

Vous m’avez emmené, j’avais même dessein.

Mais avez-vous ouï cette vieille Baronne ?

LE MARQUIS.

Ah ! que je la connais, et qu’elle a l’âme bonne !

Je ne crois pas qu’il soit, à parler franchement,

Dans le reste du monde un esprit plus méchant.        

Il n’est point de repas, il n’est point d’assemblées,

Où les femmes ne soient par elle déchirées :

En arrière toujours ses grands coups sont portés,

Et les hommes souvent ni sont pas mieux traités :

Cependant elle affecte un air doux, plein de zèle ;     

Et personne ne sait se déguiser comme elle :

Que d’une Dame on vante, ou les mœurs ou l’esprit,

Plus on en fait l’éloge, et plus elle en médit :

Elle aura, selon elle, un air de précieuse ;

Ou sa conduite, enfin, sera trop scandaleuse.

Si cette Dame arrive, aussitôt à grand pas,

Elle court au-devant pour lui tendre les bras ;

Et lorsque d’un côté la Traîtresse l’embrasse,

De l’autre, au même instant, elle fait la grimace.

LE CHEVALIER.

Elle est là qui s’égaie avec de jeunes fous.       

LE MARQUIS.

C’était pour l’éviter que j’ai couru vers vous.

LE CHEVALIER.

Hé bien ! nous avons donc, cette même journée,

L’un et l’autre à-peu-près la même destinée.

J’ai voulu d’une folle aussi me garantir ;

Et quand j’ai, comme vous, résolu de sortir,

C’était pour éviter une Provinciale,

Que je voyais venir à moi de l’autre salle :

Elle ne manque pas de beauté, ni d’esprit,

Mais elle est ridicule en tout ce qu’elle dit ;

Et son extravagance est à tel point poussée...

 

 

Scène II

 

LE MARQUIS, LE CHEVALIER, LA PRÉSIDENTE

 

LA PRÉSIDENTE.

Oh ! pour le coup, je crois, que j’en serai blessée.

LE CHEVALIER.

Ah ! ciel !

LA PRÉSIDENTE.

Ce qui m’arrive est trop particulier.

Mais que vois-je ? Est-ce vous, Monsieur le Chevalier ?

LE CHEVALIER.

Vous ne vous trompez point, c’est moi-même Madame :

J’enrage.

LA PRÉSIDENTE.

Chevalier, vous voyez une femme  

Grosse de quatre mois, aujourd’hui jour pour jour,

Et qui vient de verser au prochain carrefour :

Je sens du mal partout ; la chute était hardie.

LE CHEVALIER.

Il faudrait retourner...

LA PRÉSIDENTE.

Sans voir la Comédie ?

LE CHEVALIER.

Au mal que vous sentez, vous devriez pourvoir,       

Et...

LA PRÉSIDENTE.

Cela ne fait rien, Monsieur, je la veux voir.

LE CHEVALIER.

Mais...

LA PRÉSIDENTE.

Non, jusqu’à ce soir d’ici je ne déloge ;

Et quand je devrais même accoucher dans la loge,

Je prétends bien la voir ; mais voici mon Laquais.

Hé bien ! la Fleur...

 

 

Scène III

 

LA PRÉSIDENTE, LE CHEVALIER, LE MARQUIS, LA FLEUR

 

LA FLEUR.

Hé bien ! voilà pour vous des frais :

Madame, le carrosse est mis tout en cannelle.

LA PRÉSIDENTE.

Madame la Comtesse, enfin, comment est-elle,

De cette chute-là ? dis.

LA FLEUR.

Bon ! elle est debout.

On l’a tâté, Madame ; elle n’a rien du tout.

LA PRÉSIDENTE.

C’est assez, c’est assez ; qu’au logis on se rende,

Et dites à Monsieur, qu’à souper il m’attende.

LA FLEUR.

Oui, Madame...

LE MARQUIS.

La folle !...

LE CHEVALIER.

Elle l’est en effet.

LA PRÉSIDENTE.

Mais me trompé-je ? Non, c’est Monsieur Serpolet.

 

 

Scène IV

 

LA PRÉSIDENTE, LE MARQUIS, LE CHEVALIER, MONSIEUR SERPOLET

 

MONSIEUR SERPOLET.

Madame...

LA PRÉSIDENTE.

Serpolet, que de réjouissances !

Je retrouve aujourd’hui toutes mes connaissances ;

Quoi ! vous avez été quatre mois sans me voir ?

J’arrivai de ma Terre avant-hier au soir.

LE MARQUIS.

Quelle est donc cette femme ?

LE CHEVALIER.

Eh ! c’est cette étourdie,

Que je tâchais de fuir ; elle est de Normandie.

LA PRÉSIDENTE.

J’avais passé là-bas du temps sans mon époux ;         

Je viens le retrouver, Monsieur ; qu’en dites-vous ?

MONSIEUR SERPOLET.

C’est de votre tendresse une marque pressante.

LA PRÉSIDENTE.

Je l’ai trouvé changé, je n’en suis pas contente.

Cela m’afflige fort ; car enfin il est mal,

Et très mal. À propos, je vais demain au Bal ;

Mais quelle est, dites-moi, cette Pièce nouvelle ?

Cette Boîte enfin ? dites donc, parle-t-elle ?

Chante-t-elle ?

MONSIEUR SERPOLET.

On m’en dit l’autre jour le sujet ;

Mais c’est fort peu de chose, à vous en parler net.

LA PRÉSIDENTE.

Est-elle en vers ?

MONSIEUR SERPOLET.

En vers.

LE CHEVALIER.

Et l’intrigue en est belle.

MONSIEUR SERPOLET.

Bon ! elle n’en a point...

LA PRÉSIDENTE.

Pandore y paraît-elle ?

MONSIEUR SERPOLET.

Non.

LE MARQUIS.

Est-elle en un acte ?...

MONSIEUR SERPOLET.

Oui, Madame.

LA PRÉSIDENTE.

Y rit-on ?

MONSIEUR SERPOLET.

Non, non.

LA PRÉSIDENTE.

On n’y rit pas. Comment y pleure-t-on ?

MONSIEUR SERPOLET.

Non.

LA PRÉSIDENTE.

Y voit-on briller l’amitié, la tendresse ?

MONSIEUR SERPOLET.

Non, l’on ne l’aime point du tout dans cette Pièce.

LA PRÉSIDENTE.

Quoi ! l’on ne l’aime point ! le peut-on concevoir ?

Je me fais un scrupule à présent de la voir ;

Et la chose, entre nous, me paraît inouïe,

Qu’il ne soit point d’amour dans une Comédie.

LE CHEVALIER.

Cela peut arriver...

LA PRÉSIDENTE.

Ah ! que dites-vous là ?

Point d’amour ! Point d’amour ! la Pièce tombera.

LE MARQUIS.

Apparemment qu’elle est fort pleine de morale ?

MONSIEUR SERPOLET.

Morale sans morale, et tout ce qu’elle étale...

LE CHEVALIER.

Le dénouement, Monsieur, vient-il heureusement ?

MONSIEUR SERPOLET.

Monsieur, elle n’a point du tout de dénouement.      

LA PRÉSIDENTE.

Comment ! sans dénouement, sans amour, sans intrigue ?

Qu’on ne m’en parle plus, le récit m’en fatigue ;

Mes sens en sont troublés, et j’ai certain effroi...

Ah !... ah !... Monsieur, sortons, remenez-moi chez moi.

LE MARQUIS.

Peste soit de la folle...

LE CHEVALIER.

Il nous en débarrasse ;

Mais on va commencer...

LE MARQUIS.

Allons donc prendre place.

 

 

COMÉDIE

 

Le Théâtre représente les avenues du Palais de Pluton.

 

 

Scène première

 

L’AMOUR, L’ESPÉRANCE

 

L’AMOUR.

Hé quoi ! vous me suivez jusques dans ce séjour ?

L’ESPÉRANCE.

L’Espérance ne peut abandonner l’Amour :

Comment ! l’Amour sans moi veut régner sur la terre ?

L’AMOUR.

Ainsi l’a résolu le Maître du Tonnerre :

Et contre les Mortels, animé de courroux,

Il veut que tous tes Dieux secondent sa vengeance ;

Et que, pour leur porter de plus sensibles coups,

L’Amour y soit sans l’Espérance.

Je ne le cèle point, il me serait bien doux         

De rester toujours avec vous ;

Mais puis-je, sans être coupable,

Désobéir à Jupiter,

Et violer son Arrêt redoutable ?

L’ESPÉRANCE.

Oui, vous pouvez, cruel, y résister :

Tout ce que fait l’Amour est toujours pardonnable.

L’AMOUR.

Hé bien ! il faut vous contenter ;

Mais ne paraissons point être d’intelligence ;

À vos désirs, chère Espérance,

Je vois quelques chemins ouverts :

Mercure doit venir pour tirer des Enfers,

De tous les maux l’assemblage funeste ;

Qui pour servir la vengeance céleste

Doit désoler tout l’Univers.

Jamais occasion ne fût plus favorable :

Déguisez votre nom, changez de vêtements,

Et parmi la foule innombrable

De maux...

L’ESPÉRANCE.

Amour, je vous entends,

Il ne fout pas m’en dire davantage.

L’AMOUR.

Caron conduit Mercure au ténébreux rivage,

Il ne faut pas paraître à prêtent devant lui.

Adieu. Songez à votre personnage,

Nous nous reverrons aujourd’hui.

L’ESPÉRANCE.

Je prétends que le Sort sans cesse nous rassemble ;

L’Espérance et l’Amour sont faits pour être ensemble.         

 

 

Scène II

 

MERCURE, CARON

 

MERCURE.

Nous sommes donc enfin arrivés chez Pluton ?

CARON.

Vous voila sain et sauf, Mercure ;

Et vous n’avez point eu de fâcheuse aventure ?

MERCURE.

Ah ! les vilains endroits que votre Phlégéton,

Votre Styx, et votre Cocyte !         

Quels bourbiers empestés ! grâce au ciel, j’en suis quitte.

CARON.

Quoi que vous disiez, cependant,

Proserpine s’y baigne, et trouve l’eau fort belle.

MERCURE.

Ce sont-là ses bains ?

CARON.

Oui, vraiment.

MERCURE.

Quand elle sort de-là, dis, où se lave-t-elle ?

CARON.

Ma foi, je n’en sais rien ; mais, à ce que je vois,

Vous venez dîner ici....

MERCURE.

Moi !

CARON.

Sans doute. Il faudra bien que Pluton vous régale.

MERCURE.

Je ne suis point tenté d’une table infernale ;

D’autres raisons m’amènent dans ces lieux :

Je suis Ambassadeur aujourd’hui d’importance,

Et veux avoir de Pluton audience,

De la part du Maître des Dieux.

CARON.

Qu’est-il donc arrivé de nouveau dans les Cieux ?

Depuis qu’au ténébreux Empire,

J’ai pris le soin de vous conduire,

Vous n’en avez encor rien dit.

MERCURE.

Ne veux-tu point que j’aille en instruire chaque Ombre ?

Et crois-tu que je sois du nombre

De ces messagers à grand bruit,

Dont le secret si mal se cache,

Que tout le monde en est instruit,

Avant que le Maître le sache ?

CARON.

Je suis accoutumé, tant que dure le jour,

À savoir ici des nouvelles ;          

Et les Mortels qui, tour-à-tour,

Arrivent jusqu’en ce séjour,

M’en disent quelquefois de belles.

MERCURE.

Parbleu ! nous le savons fort bien :

Les Mortels autrement savent-ils se conduire ?

Ils disent tout sans faire rien ;

Mais les Dieux font tout sans rien dire.

Tout ce que je puis t’assurer,

C’est qu’avant qu’il soit peu, tu verras bien du monde,

Tant femelle que mâle, arriver sur ton Onde :

Tu n’as qu’à te bien préparer.

Les Ombres te diront encor bien des nouvelles ;

Puisque tu te plais tant à jaser avec elles.

CARON.

Tant mieux ; c’est-là tout mon amusement :

Et comme il est de votre ministère         

De les conduire ici, j’espère

Que nous nous verrons plus souvent.

Voici Pluton. Je me retire.

 

 

Scène III

 

PLUTON, MERCURE

 

PLUTON.

Ah ! c’est vous, Mercure, bonjour.

MERCURE.

Jupiter aujourd’hui m’envoie à votre Empire,

Et de sa part, Seigneur, j’ai beaucoup à vous dire.

PLUTON.

De quoi serait-il question ?

MERCURE.

Prêtez-moi de l’attention,

Vous allez le savoir : le Maître du Tonnerre

À tout le genre humain a déclaré la guerre ;

Prométhée a causé cet arrêt si cruel,

En dérobant le feu du Ciel :

Et Jupiter, voulant soutenir sa puissance,

A juré par le Styx, et même en ma présence,

Que, loin de lui faire quartier,

Il punirait le Monde entier,

Et que tout sentirait le poids de sa vengeance.

PLUTON.

Il faut que Jupiter soit fâché vivement.

MERCURE.

On ne dérobe rien aux Dieux impunément.

PLUTON.

Quel nouveau zèle aujourd’hui vous transporte !      

Vous devriez aider les fripons un peu mieux ;

On sait jusqu’où votre penchant vous porte,

Et vous faites souvent des larcins dans les Cieux.

MERCURE.

Bon ! c’est pour rire, entre nous autres Dieux.

PLUTON.

On ne le prend pas de la sorte.

MERCURE.

Voilà comme souvent, presqu’en tout l’Univers,

Ce qui se fait là-haut, est pris tout de travers.

Pour satisfaire donc au courroux qui l’enflamme,

Jupiter par Vulcain a fait faire une femme ;

Qui de Vénus est le vivant portrait,       

Ayant belles couleurs, et chevelure blonde...

De Jupiter j’admire le projet ;

Et je crois qu’il suffit d’une femme en effet

Pour faire enrager tout le monde.

Chaque Dieu, chaque Déité         

Pour cette nouvelle Beauté,

Suivant son pouvoir se cotise,

Et d’un présent la favorise.

Mais écoutez, voici le principal :

Une boîte de métal,

Entre ses mains doit être mise ;

Et ce beau coffret à ressorts,

Sera rempli, jusques aux bords,

De tous les maux que votre Empire,

Par sa puissance, peut produire :

Après quoi, cette Belle à l’instant partira ;

Et ce fera par son adresse

Que sur la terre s’ouvrira

Cette boîte si traîtresse :

Et comme de ces maux que nous vous demandons,

Il est très important que je sache les noms,

Les qualités, j’en veux voir l’étalage ;

Ensemble nous les choisirons,

Je suis chargé de l’emballage.

PLUTON.

Cette nouvelle me plaît fort.        

Comment donc tous les maux vont régner sur la terre ?

MERCURE.

Ainsi le veut le Maître du Tonnerre ;

Cela va des Enfers augmenter le rapport.

PLUTON.

Oui, vraiment, et je m’imagine

Que cela rendra Proserpine         

Plus sédentaire en ce sombre Manoir ;

Car vous n’ignorez pas que je suis sans le voir

Toute la moitié de l’année.

La chose fut ainsi par mon frère ordonnée ;

Et quoiqu’il soit le Souverain des Dieux,         

Ce n’est pas, entre nous, ce qu’il a fait de mieux.

MERCURE.

À Jupiter ne donnez point ce blâme ;

Il a fait, croyez-moi, plus pour vous que pour lui ;

Et je crois qu’il voudrait, comme vous aujourd’hui,

Être six mois sans voir sa femme.           

PLUTON.

Mais vous qui parcourez tous les jours l’Univers,

Et qu’on voit si souvent, et par mont, et par plaine,

Dites-moi ce que fait la mienne,

Quand elle n’est point aux Enfers.

MERCURE.

Trop longue serait cette histoire :

Je ne suis pas ici pour cela, dans le fond ;

Et d’ailleurs, croyez-vous que je tienne un mémoire

De tout ce que les femmes font ?

Momus à ce sujet pourrait mieux vous instruire :

Vous savez que de notre Empire

Il est l’Historien fécond.

Il a depuis peu fait des Œuvres très galantes,

Où tout mystère est dévoilé.

PLUTON.

Sont-elles fort divertissantes ?

MERCURE.

C’est un recueil, ma foi, dont il fera parlé.        

PLUTON.

Comment est-il intitulé ?

MERCURE.

Vies et Mœurs des Déesses errantes.

PLUTON.

Je ne suis pas pour la lecture, moi.

MERCURE.

Vous avez raison, par ma foi :

Mais revenons au sujet qui m’amène ;

Il s’agit de servir le Souverain des Dieux.

PLUTON.

Je vais vous contenter, et dans ces mêmes lieux,

Par ma puissance souveraine,

Maux, Passions, vont s’offrir à vos yeux,

Chacun d’eux paraîtra sous une forme humaine,       

Pour que vous les connaissiez mieux.

MERCURE.

Pluton, que votre Seigneurie

Mette à tous ces maux-là plus de blanc que de noir :

Et qu’ils ne soient point, je vous prie,

Si désagréables à voir.

PLUTON.

Ils vont paraître tous, mettez-vous sur mon Trône.

Mégère, Alecton, Thisiphone,

Animez vos Serpents ;

Et du poison de leurs haleines

À nos yeux à l’instant, sous des formes humaines,

Produisez les maux les plus grands.

Que dites-vous de cette Compagnie ?

MERCURE.

Peste ! la belle Colonie !

PLUTON.

Vous voyez le pouvoir de ces lieux infernaux ;

Les femmes, dites-moi, comment vous semblent-elles ?       

MERCURE.

Toutes ces femmes-là, par ma foi, sont fort belles :

Pourquoi faut-il que ce soient-là des maux ?

Allons, que tour-à-tour, chacun ici s’avance ;

Je vais, à tous, vous donner audience.

PLUTON.

Si vous voulez, ils se présenteront         

Par ordre, et suivant leur mérite.

MERCURE.

Du cérémonial, par ma foi, je vous quitte ;

Qu’ils viennent tous, comme ils se trouveront.

Mais quel est celui-ci ? L’on voit dans sa figure

Un air tout rempli de douceur.

 

 

Scène IV

 

PLUTON, MERCURE, L’AMOUR, déguisé

 

MERCURE.

Qu’êtes-vous, jeune enfant, à blonde chevelure ?

L’AMOUR.

Seigneur, je suis le Mal-de-cœur.

MERCURE.

Mais ce mal-là n’est pas d’une nature

À tourmenter les humains, et je crois

Que vous aurez là-haut fort peu d’emploi.      

L’AMOUR, se découvrant.

Plus que tu ne pense, Mercure.

MERCURE.

Que vois- je ? C’est l’Amour.

L’AMOUR.

Eh ! vraiment oui, c’est moi.

Sous ce déguisement j’ai voulu te surprendre.

MERCURE.

À vous voir en ce lieu je n’ai pas dû m’attendre,

Et vous m’avez surpris, ma foi.

Si vous ne vous étiez découvert, je vous jure

Que je n’aurais pas pu vous remettre en cent ans ;

Et quoique je sois fait à vos déguisements,

Vous auriez pu fort loin pousser cette aventure.

L’AMOUR.

Il est de mon destin, Mercure,

De ne me pas cacher longtemps.

MERCURE.

Mais à venir ici, quel sujet vous engage ?

L’AMOUR.

Comme tu fais un assemblage

De tous les maux les plus cruels,

Pour envoyer chez les Mortels,

J’ai cru devoir aussi me mettre du voyage.

MERCURE.

Comment ! l’amour est-il un mal ?

L’AMOUR.

Non pour les Dieux ; et jamais dans mes chaînes

Ils n’auront que d’aimables peines ;

Mais aux Mortels je vais être fatal.         

Jusques à présent sur la terre,

Je n’ai dans tous les cœurs, fait qu’une douce guerre ;

Mes traits, de roses parsemés,

N’ont causé que d’heureuses flammes,

Et n’ont fait naître dans les âmes

Que des désirs remplis aussitôt que formés.

Mais Jupiter, en colère extrême,

Voulant punir tous les humains,

Pour eux je ne suis plus le même,

Et cède à l’ordre des Destins.

MERCURE.

Vous allez donc là-haut faire bien du ravage ?

L’AMOUR.

Je causerai dans l’Univers

Plus de trouble, plus d’orage,

Plus de désespoir et de rage

Que n’en produisent les enfers.

Amertumes, douleurs, jalousie, inconstance,

Cruautés, pleurs, dépit, transport, fureur, vengeance ;

Voilà la trempe de mes traits ;

Juge quels feront leurs effets.

MERCURE.

Voilà des armes, moi, que je ferais défendre,

Si j’étais le Maître des Cieux.

L’AMOUR.

Pourquoi ? je ne veux pas m’en servir pour les Dieux.

MERCURE.

Et si vous allez vous méprendre...

L’AMOUR.

Va, va, Mercure, ne crains rien.

Je vais chez les Mortels, et m’en servirai bien.

Sans nul égard pour les rangs, ni les âges,

À tous moments je ne ferai chez eux

Que de bizarres assemblages ;

Je lierai les folles aux sages,

Je joindrai les jeunes aux vieux ;

Et portant dans les cœurs toujours de nouveaux feux,

Je troublerai tous les ménages ;

Mais je brûle déjà d’exercer mon pouvoir ;

Mercure, adieu.

MERCURE.

Jusqu’au revoir.

 

 

Scène V

 

PLUTON, MERCURE

 

PLUTON.

De la façon qu’il va s’y prendre,

Il fera bien des malheureux :

Mais je ne crois pas que ses feux

Le puissent faire ici descendre,

Et je n’ai vu dans ce séjour

Nul Mortel qui soit mort d’amour.        

MERCURE.

Il ne faut pas non plus s’attendre

Que les Mortels meurent de trop d’ardeur ;

Mais l’Amour fera naître entre eux quelque querelle ;

Il en embrasera plusieurs

Pour les attraits d’une Beauté nouvelle ;          

Et tels qui prétendront en être possesseurs,

S’entretueront pour l’amour d’elle.

Que voulez-vous de mieux ?

PLUTON.

Ah ! cela sera bien.

MERCURE.

J’admire le grave maintien

De celui-ci. Venez. Qu’êtes-vous ?

 

 

Scène VI

 

MERCURE, PLUTON, LA VIEILLESSE

 

LA VIEILLESSE.

La Vieillesse.        

MERCURE.

Et que produirez-vous aux Mortels ?

LA VIEILLESSE.

La faiblesse.

Par moi, sous de livides traits,

Leur jeunesse sera noyée ;

Et tous n’auront que les regrets

De l’avoir bien mal employée.

MERCURE.

Vous marchez difficilement ;

Et je sens fort bien, à ce compte,

Que vous ne pourrez pas les voir si promptement.

LA VIEILLESSE.

Il est vrai que chez eux j’irai bien lentement,

Mais ils me trouveront bien prompte ;

Et lorsque je les surprendrai,

Et que je les accablerai

Des maux dont ma langueur est sans cesse suivie,

Adieu pour eux les douceurs de la vie.

À travers leurs tristes soupirs,

Ils en voudront en vain rappeler les délices ;

Ils verront fuir bien loin d’eux les plaisirs,

Et n’auront plus que des désirs,

Qui feront souvent leurs supplices.

MERCURE.

Mais les femmes auront l’esprit ingénieux ;

Elles sauront mettre en usage

Des moyens artificieux,

Pour maintenir longtemps l’éclat de leur visage,

Et cacheront, par-là, les deux tiers de leur âge.

LA VIEILLESSE.

De quoi serviront tous ces soins ?

En cachant de leurs ans, en auront-elles moins ?

Il faut qu’à mon pouvoir tout cède :

Les Mortels subiront, par moi, même destin ;

Je suis de tous les maux, enfin,

Celui contre lequel il n’est point de remède.

MERCURE.

Allez, je vous retiens. Pluton, qu’en dites-vous ?

Je crois la Vieillesse capable

De porter aux humains de redoutables coups.

PLUTON.

N’en doutez point. Ce séjour formidable

Ne produit rien qui ne soit redoutable.

MERCURE.

Oh ! je sais de ces lieux quel est tout le pouvoir.

PLUTON.

J’aurais pu vous cacher quelle en est l’étendue ;

Et j’aurais dû soustraire à votre vue

Tout ce qu’ils ont d’affreux, pour vous mieux recevoir ;

Mais vous y pouvez être en sûreté, Mercure.

MERCURE.

Tout ce que j’y vois, je vous jure,

Ne me fait point de peine à voir.

Celle-ci me plaît fort dans sa taille moyenne ;

Elle n’est pas mal faite, il faut bien qu’elle vienne ;

Holà, la jeune fille, approchez près de nous ;

Parlez, quelle espèce êtes-vous ?

 

 

Scène VII

 

PLUTON, MERCURE, LA MIGRAINE

 

LA MIGRAINE.

Moi, Seigneur, je suis la Migraine,

Et vous pouvez en moi trouver des qualités.

MERCURE.

Et quelles sont vos facultés ?

LA MIGRAINE.

De troubler le repos des Belles,

Et d’altérer tous leurs appas.

MERCURE.

Pensez-vous que toutes n’auront pas

Des moyens sûrs pour vous éloigner d’elles ?

LA MIGRAINE.

Je ne crains cela nullement :

Je pourrai n’être pas tous les jours chez les Belles ;

Mais mille occasions nouvelles

Me produiront dans le moment.

MERCURE.

Et de quelle façon ? Comment ?

LA MIGRAINE.

Qu’une Coquette en sa semaine,

Malgré ses soins, et son ajustement,

N’ait pu faire qu’un seul Amant,

D’abord matière à la Migraine.

 

Qu’une Maîtresse, en Carnaval,

Surprenne son Amant au Bal

Aux genoux de quelqu’inconnue,

Voilà la Migraine venue.

 

Qu’une fille, en son cœur, ait d’amoureux combats,

Et que dans le mal qu’elle endure,

Sa mère à tous moments accompagne ses pas ;

Ce sera pour la fille une Migraine sûre.

 

Qu’une Belle, pendant l’absence d’un Jaloux,

Soit avec son Amant chez elle en rendez-vous,

Que le Jaloux frappe à la porte ;

Je serai pour tous trois, Migraine la plus forte.

 

Qu’une fille obsédée ait fait choix d’un Amant,          

Et que par un hasard plaisant,

Le Galant seul la surprenne ;

Voilà pour neuf mois de Migraine.

Je pourrais bien encor m’étendre là-dessus,

Mais par respect : je ne dis rien de plus.

MERCURE.

Je suis content de vous, je vous arrête ;

Et pour partir tenez-vous toujours prête.

LA MIGRAINE.

Je ne vais guère sans mes sœurs.

MERCURE.

Quelles sont-elles ?

LA MIGRAINE.

Les Vapeurs.

MERCURE.

Hé bien ! amenez-les. Quelle est cette figure ?

L’on remarque aisément à son peu de parure,

Qu’elle n’a pas beaucoup de vanité ;

On peut dire qu’elle est, et sans rouge, et sans mouche ;

Mais dans ses traits, quelle variété !

Elle a de la laideur, elle a de la beauté ;

Et cependant, malgré son air farouche,

En elle on voit quelque chose qui touche.

 

 

Scène VIII

 

MERCURE, PLUTON, LA NÉCESSITÉ

 

LA NÉCESSITÉ.

Vous voyez la Nécessité.

Je saurai sur la terre avoir-un grand empire ;

Je vais en peu de mots vous dire,

Jusqu’où peuvent aller mes tyranniques droits ;

Et pourquoi je parais belle et laide à la fois :

Je ne puis aux Mortels offrir que des abîmes

Et tels qui seront mes victimes,

Contre moi ne pouvant tenir,

Se verront forcés d’en venir

À des secours illégitimes.

Par moi de jour en jour ils formeront leur cœur

Aux attentats, aux trahisons, aux crimes,

Et porteront partout l’épouvante et l’horreur ;

Voilà ce qui fait ma laideur.

D’autres, je l’avouerai, me feront résistance ;

Et loin de me montrer un courage abattu,

Par le secours de la vertu

Sauront s’armer de patience,

En dépit des malheurs et de l’adversité ;

Voilà ce qui fait ma beauté :

Mais de ces derniers-là, Mercure,

Il en fera peu, je vous jure.

MERCURE.

Votre discours est beau, je l’ai bien entendu ;

Mais vous n’êtes point du voyage.

Ne m’en dites pas davantage,

Car ce serait du temps perdu.

LA NÉCESSITÉ.

Ne suis-je pas un mal dont la puissance est grande ?

MERCURE.

D’accord, mais ce mal-là par nous est condamné ;

Vous êtes, en un mot, un mal de contrebande,

Qui de l’ordre des Dieux ne peut être émané.

LA NÉCESSITÉ, d’un ton de colère.

Hé bien ! Chez les Mortels, sans vous je pourrai naître,

Et je saurai bientôt me montrer à leurs yeux.

MERCURE.

Je le crois ; tout cela peut être :

Mais ce fera leur faute, et non celle des Dieux.

De la Nécessité jusqu’où va l’arrogance !

De la douceur, elle a, sans résistance,

Passé tout-à-coup à l’aigreur,

Et vient de se montrer dans toute sa laideur.

PLUTON.

C’est qu’elle a du dépit de n’être pas choisie.

MERCURE.

Aux autres. Quelle est celle-ci ?

Elle a beaucoup de peine à venir jusqu’ici.

 

 

Scène IX

 

PLUTON, MERCURE, LA PARALYSIE

 

LA PARALYSIE.

Seigneur, je suis...

MERCURE.

Quoi ?

LA PARALYSIE.

La Paralysie.

On peut me mettre au rang des plus grands maux ;

Les Mortels contre ma puissance

Auront beau raire résistance,

J’empêcherai tous leurs travaux.

MERCURE.

Comment cela ?

LA PARALYSIE.

Daignez m’entendre.

À tout âge, en tout temps, je saurai les surprendre,

Et ce sera par leurs excès,

Que j’aurai chez eux tout accès.

Quelque légèreté qui tous les rende ingambes,

J’attaquerai si bien leurs jambes,

Qu’ils ne pourront faire un seul pas :

Je tomberai de même sur leurs bras :

Et lorsqu’ils prétendront rire, manger, ou boire,

Je leur arrêterai dans l’instant la mâchoire.

MERCURE.

Peste ! votre mérite est grand,

Vous êtes un mal excellent,         

Et vous ferez ici descendre bien des âmes ;

Mais pourrez-vous agir de même sur les femmes ?

LA PARALYSIE.

Tout de même, Seigneur ; hors, véritablement,

Une seule partie, où difficilement...

Je pourrais...

MERCURE.

Comment ! Quelle est-elle ?      

LA PARALYSIE.

La langue.

MERCURE.

Ah ! je le crois vraiment.

Ce n’est pas une bagatelle

D’arrêter les ressorts d’une langue femelle ;

Et c’est, à ne vous rien cacher,

Ce que nous autres Dieux ne pourrions empêcher.

LA PARALYSIE.

Ma Sœur ici serait venue,

Mais elle est par les pieds un peu trop retenue ;

C’est un Sujet fort bon, sans contredit.

MERCURE.

Elle a du mérite ?

LA PARALYSIE.

Sans doute.

MERCURE.

Comment rappelez-vous ?

LA PARALYSIE.

La Goutte.

Nous sommes Sœurs du même lit.

MERCURE.

Nous l’enverrons chercher ; allez, cela suffit.

La Boîte, ma foi, va bientôt être close.

Seigneur Pluton, j’imagine une chose ;

Et vous approuverez, sans doute, mes desseins,        

C’est d’envoyer aussi là-haut des Médecins.

PLUTON.

Comment ! pour qu’aux mortels ils donnent assistance,

Et dans leurs plus grands maux toujours les soulager ?

MERCURE.

Pour soulager leurs maux ! Mais vous rêvez, je pense ;

Au contraire, vraiment ! C’est pour les prolonger.      

 

 

Scène X

 

L’ENVIE, LA HAINE, MERCURE, PLUTON

 

L’ENVIE.

Sur vous j’aurai la préférence.

LA HAINE.

Non, non, ne vous en flattez pas.

MERCURE.

Quel est ce différend ? Pourquoi tous ces débats ?

PLUTON.

C’est l’Envie et la Haine ; et, félon l’apparence,

Elles se disputent le pas

Pour paraître en votre présence.

L’ENVIE.

Seigneur, la Haine ici veut me faire la loi :

Elle croit sa puissance au-dessus de la mienne ;

Mais, quelle enfin que puisse être la sienne,

J’aurai chez les humains plus qu’elle de l’emploi ;    

Pour troubler leur repos, pour consumer leur vie,

Quel poison est plus fort que celui de l’Envie ?

LA HAINE.

Je ne me vante point, et sais me signaler :

Je puis chez les Mortels porter partout la guerre ;

Pour peu qu’on m’y laisse installer,      

On verra bientôt sur la terre

Jusqu’où la Haine peut aller.

L’ENVIE.

Il n’est Royaume, il n’est Empire,

Où je ne puisse m’introduire.

Que de Mortels, grands et petits

À mon pouvoir seront assujettis !

Que d’envieux sous mon obéissance !

Les Rois de leurs voisins envieront la puissance ;

Les Courtisans, dans le fond de leur cœur,

De leurs pareils envieront la faveur.

Chacun à l’autre dans la vie,

Saura porter sans cesse envie.

Le Soldat enviera l’état de Commandant ;

Le Conseiller, celui de Président ;

Le Riche enviera la Noblesse ;

Les Guerriers les exploits, le Pauvre la richesse :

Enfin, surtout ce qui respirera,

L’Envie aura toujours un empire suprême ;

Et je ne puis vous dire même

Jusqu’où le Sexe l’étendra.

LA HAINE.

Le mien sera plus redoutable.

Que de Mortels vont me tendre les bras !

Et qui d’une constance aveugle, inébranlable,

Me garderont jusqu’au trépas.

De moi l’on ne pourra sans effort se défaire ;

Je m’enracinerai dans l’âme, dans le sang ;

Et parmi ceux du plus illustre rang,

Je serai même héréditaire.

De la Haine on verra les plus sanglants effets ;

L’homme par moi deviendra noir, perfide,

Cruel, scélérat, parricide,

Et je pourrai lancer mes traits

Jusqu’aux lieux mêmes où réside

La plus pure union, la plus tranquille paix.

MERCURE.

Vous avez toutes deux du mérite : il me semble        

Qu’il est même égal entre vous.

Je vous admets au rang des maux que je rassemble ;

Entre vous deux plus de courroux,

Pour vous mettre d’accord, vous partirez ensemble.

Vos cœurs doivent être liés,        

Et je veux toutes deux que vous vous embrassiez.

La Haine et l’Envie s’embrassent en rechignant.

Comme on ne s’accommode guère

Avec toutes sortes d’esprits,

Dites-nous un peu : sur la terre,

Quels seront vos lieux favoris ?

L’ENVIE.

Moi ? je serai partout, chez les peuples, les Princes ;

J’aurai, de toute part, des droits bien étendus.

MERCURE.

Mais où régnerez-vous le plus ?

L’ENVIE.

Chez les Coquettes des Provinces,

Ce seront-là mes grands bureaux.          

MERCURE.

Et vous, la Haine ?

LA HAINE.

Et moi chez les Bigots.

MERCURE.

Vous aurez toutes deux, je crois, de l’exercice.

 

 

Scène XI

 

MERCURE, PLUTON, LA FIÈVRE

 

LA FIÈVRE.

Je suis la Fièvre, moi, fort à votre service.

MERCURE.

Que la fièvre vous crève, et ce n’est pas sur moi

Que s’exercera votre emploi.

Voyons, quel est votre mérite ?

LA FIÈVRE.

De passer promptement dans le sang des Mortels.

MERCURE.

Mais ne craignez-vous point qu’ils n’aient par la suite

Quelques secrets universels

Pour vous faire prendre la fuite ?

LA FIÈVRE.

Si l’on sait prudemment agir,

Il faudra bien que je m’évade ;

Mais croyez qu’avec le malade

On me fera souvent partir.

MERCURE.

Vous me paraissez assez digne

De faire enrager les humains,

Et votre esprit paraît des plus malins.

LA FIÈVRE.

Vous ne vous trompez pas, je suis souvent maligne.

MERCURE.

Mais quel est cet écervelé

Qui du fond de cette assemblée,

Tout-à-coup, sans être appelé,

Pour venir jusqu’à vous prend si haut sa volée ?

LA FIÈVRE.

C’est mon fils...

MERCURE.

Peste ! il est léger comme un oiseau ?

Je veux savoir comme il se nomme.

Holà, parlez nous, le jeune homme ?

 

 

Scène XII

 

MERCURE, PLUTON, LE TRANSPORT

 

LE TRANSPORT.

Je suis le Transport au cerveau,

Par moi la raison égarée,

Faisant en un instant mille divers trajets,

À de fantômes vains, laisse au cerveau l’entrée ;

J’y fais naître un amas d’objets,

Dont l’hétéroclite mélange,

Et la confusion étrange,

Précipitant les ressorts de l’esprit,

Font qu’à la fin il se trouble et périt.

MERCURE.

Voilà pour la Boîte un sujet admirable !

LE TRANSPORT.

À mon pouvoir il n’est rien de semblable.

J’offre aux regards un bizarre tableau,

Du plaisant, et du triste, et du laid, et du beau.

Par moi cent choses différentes,

Vaines, vagues, extravagantes,

Se voient toutes à la fois :

Des vaisseaux, des clochers, des animaux, de plantes,

Des lapins dans les eaux, des poissons dans les bois,

Des souris sur des chats, des châteaux dans les nues,

Des fleurs, des fruits, des hannetons,

Des sangliers, des femmes nues,

Des singes, des chevaux, des Abbés, des moutons.

MERCURE.

Oh ! quel parleur ! par ma foi je suis ivre.

Allez plus doucement, pour qu’on puisse vous suivre.

LE TRANSPORT.

Cela n’est point en mon pouvoir ;          

Écoutez : aux Rois je fais voir

Des Empires, des traits, des finances perdues,

Des trônes usurpés, des voisins trop puissants,

Des places prises, et rendues,

Des conspirations, des peuples gémissants,

Des palais dépouillés, et des forêts tondues...

MERCURE.

Oh ! le Transport devient trop furieux.

LE TRANSPORT.

Je représente à tout ambitieux,

Des tribulations, des chutes,

Des trahisons, et des culbutes,

Des bannissements, des prisons ;

Des gênes, des bourreaux, des glaives, des poisons...

MERCURE.

Ah ! Pluton, le Transport me tue ;

Je n’y puis plus tenir, qu’on l’ôte de ma vue.

PLUTON, après avoir couru avec le Transport.

À la fin, je le tiens, il ne reviendra pas.

MERCURE.

Respirons. Ciel !

PLUTON.

Par où s’est-il pu faire issue ?

LE TRANSPORT.

Plus, aux Fous je fais voir des rats,

Aux Chasseurs du gibier, aux Guerriers des combats,

Aux Avaricieux des bourses dérobées,

Aux Auteurs des Pièces tombées...        

MERCURE.

Le traître !

LE TRANSPORT.

Aux Souffleurs, des trésors ;

Aux Joueuses, des matadors ;

Aux vieux Soupirants, des calottes ;

Aux Petits-Maîtres, des marottes ;

Aux Commerçants, des galions ;

Aux Financiers, des millions ;

Aux Pucelles, des fruits précoces ;

Aux Veuves, des secondes noces ;

Aux Usuriers, des intérêts ;

Aux Musiciens, des cabarets ;

Aux Libertins, des précipices ;

Aux Gens de Robe, des épices ;

Aux Femmes, des points, des colliers.

Du blanc, du rouge, des paniers.

MERCURE.

À ce transport, il faut mettre des bornes.          

LE TRANSPORT.

À leurs Amants...

MERCURE.

Oh ! tais-toi.

LE TRANSPORT.

Des faveurs.

À leurs maris.

MERCURE.

Te tairas-tu ?

LE TRANSPORT.

Des cornes.

MERCURE.

Peste soit du Transport ! Va-t’en crier ailleurs ;

Qu’on me le mette à part avec sa mère.

Ma foi, je suis bien las de ce préliminaire ;      

J’ai peine à respirer, oui, je suis tout en eau,

Et je crois que j’aurai le transport au cerveau :

Éloignons de ces maux le cruel assemblage :

Pluton, ne n’en veux pas consulter davantage.

De leur pouvoir je suis trop éclairci,

Que, sans autre examen, ils partent tous d’ici.

 

 

Scène XIII

 

L’ESPÉRANCE

 

L’Occasion, pour moi, ne peut être plus belle :

Suivons sans différer cette foule cruelle.

Mortels, que je vous plains ! quels redoutables coups,

Vous prépare aujourd’hui la céleste vengeance !       

Mais sachez les supporter tous ;

Il est un prix pour la constance,

Quel que soit des Dieux le courroux,

Attendez tout de l’Espérance.

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