Jeannette (DE BEAUNOIR)

Comédie-proverbe en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre des Grands Danseurs du Roi, en mai 1780.

 

Personnages

 

MONSIEUR MINUTTE, notaire

UN CLERC DE COMMISSAIRE

MADAME DU HAZARD, revendeuse en boutique

CADET, fils de Madame du Hazard

JEANNETTE, servante de Madame du Hazard

BABET, servante de Monsieur Minutte

CARILLON, sonneur du Commissaire

 

La Scène est à Paris.

 

Le Théâtre représente une Place publique. À droite, es la Maison de Madame du Hazard ; à gauche, celle de Monsieur Minutte ; et dans le fond, celle du Commissaire.
L’Action commence à huit heures du matin

 

 

Scène première

 

BABET, CARILLON

 

On entend la sonnette de Carillon. Aussitôt Babet sort d’un air empressé de sa maison, un balai à la main, se met en devoir de balayer le devant de la porte.

CARILLON.

Bonjour, Mamzelle Babet.

BABET.

Votre servante, Monsieur Carillon... Ah ! mon Dieu ! votre sonnette a le son clair aujourd’hui comme de l’eau de roche.

CARILLON.

Que vous avez l’œil fripon, Mamzelle Babet.

Il fait mine de vouloir l’embrasser

BABET, le repoussant.

Tout beau, Monsieur Carillon. La peste ! vous êtes guilleret de bien bon matin.

CARILLON.

C’est que je viens d’avaler deux petits coups de st’affaire, et à jeun, ça porte un peu à la tête.

BABET.

Et les jambes s’en ressentent.

CARILLON.

J’ai tant de peines.

BABET.

Oui, vous êtes bien à plaindre.

CARILLON.

Vraiment, si vous aviez comme moi une femme qui crie comme un diable, et six enfants qui mangent comme des satans, croyez-vous que ça ne donne pas bien du tintouin.

BABET.

Et vous noyez vos chagrins dans le vin ?

CARILLON.

Tenez, Mamzelle Babet, c’est qu’on n’a que st’ami-là dans le monde ; et comme vous savez, ou comme vous ne savez pas, rien n’abrège la vie comme le chagrin.

BABET.

Et vous avez envie de vivre longtemps, à ce qu’il paraît ?

CARILLON.

Est-ce que vous ne l’avez pas cette envie-là, vous, Mamzelle Babet ?

BABET.

Si-fait, vraiment... Mais quand vous rentrez chez vous comme ça un peu gris, est-ce que la bourgeoise ne fait pas le train ?

CARILLON.

Elle gronde comme un tonnerre ; mais voyez-vous, Mamzelle Babet, pour faire taire une femme, il ne faut pas tant de mots, il ne faut que deux poings.

BABET.

Diable ! vous avez l’air méchant, Monsieur Carillon.

CARILLON.

Oh ! dame, quand je suis en colère, je bats, je rosse, j’assomme, je tue.

BABET.

Eh ! mon Dieu, vous mettez-vous souvent en colère ?

CARILLON.

Jamais.

BABET.

À la bonne heure.

CARILLON, prenant la main de Babet.

Ah ! Mamzelle Babet, si j’avais une petite femme comme vous.

BABET.

Eh bien !

CARILLON.

Comme je la caresserais...

BABET.

Comme le vin rend tendre !

CARILLON.

Non, le diable m’emporte, si je mens. Vous êtes bien a plus jolie Cuisinière du quartier.

BABET.

Allons donc... Et Jeannette ?

CARILLON.

Eh bien, Jeannette ?

BABET.

C’est celle-là qu’est gentille !

CARILLON.

Où demeure-t-elle donc ?

BABET.

Eh ! là...

CARILLON.

Comment ! là, chez la commère du Hazard ?

BABET.

Dites donc Madame du Hazard ?

CARILLON.

Madame du Hazard ?

BABET.

Eh ! sans doute. Est-ce que vous ne savez pas qu’elle est devenue grosse Dame, depuis qu’elle a placé son fils, Monsieur Cadet, dans l’Écriture ?

CARILLON.

Dans l’Écriture ?

BABET.

Eh ! dans la bonne, encore. Il est Saute-ruisseau chez mon Maître. Dame ! ça f’ra un de ces jours un Homme de Plume, et ça volera, faudra voir... Ça nous éclaboussera.

CARILLON.

Et sa mère a pris une servante ?

BABET.

De dix écus, et qui est toute neuve encore... Ah ! la v’là qui sort, je crois... Non, c’est Madame du Hazard elle-même.

CARILLON.

Tant-pis... Adieu, Mamzelle Babet.

Carillon s’en va en tintant sa sonnette.

BABET.

Au revoir, Monsieur Carillon.

 

 

Scène II

 

MADAME DU HAZARD, BABET

 

MADAME DU HAZARD, ouvrant sa boutique.

Mon Dieu ! quel bruit désagréable fait cette maudite sonnette ! Ça vous arrache les oreilles.

BABET.

Que ne faites-vous mettre du fumier devant votre porte ?

MADAME DU HAZARD.

Ah ! bonjour, Babet.

BABET.

Bonjour, Madame du Hazard.

MADAME DU HAZARD.

N’avez-vous pas vu ma servante ?

BABET.

Votre servante ?

MADAME DU HAZARD.

Jeannette.

BABET.

Non, Madame.

MADAME DU HAZARD.

Je ne sais pas à quoi s’amuse cette petite sotte-là. Il y a au moins une heure qu’elle est sortie, et elle ne rentre pas.

BABET.

Vous l’avez envoyée en commissions ?

MADAME DU HAZARD.

Sans doute... Mais il y a deux heures qu’elle devrait être revenue. N’est-il pas cruel qu’une femme comme moi soit obligée d’ouvrir elle-même sa boutique ?

BABET.

Vous avez eu cette peine-là si longtemps.

MADAME DU HAZARD.

À la bonne heure ; mais quand on a des Domestiques, c’est pour se faire servir ; et puis, autrefois c’était Cadet, Mamzelle. Mais vous sentez bien qu’à présent qu’il est Apprenti chez un Notaire, il ne lui conviendrait pas...

BABET.

Certainement.

MADAME DU HAZARD.

À propos de ça, en êtes-vous contente de mon fils, Mamzelle Babet ?

BABET.

Très contente.

MADAME DU HAZARD.

C’est un joli garçon vraiment, et qui se poussera.

BABET.

Il commence déjà.

MADAME DU HAZARD.

C’est étonnant combien il a d’esprit.

BABET.

Il a de qui tenir.

MADAME DU HAZARD.

C’est qu’aussi je lui ai donné une bien belle éducation. Il a toujours eu un Maître d’écriture et d’arismétique. Écoutez donc, les enfants ne sont que ce qu’on les fait.

BABET.

Vous avez bien raison.

MADAME DU HAZARD.

Je vous le recommande, Mamzelle Babet.

BABET.

À moi ?

MADAME DU HAZARD.

Dame ! voyez-vous, si vous vous aperceviez qu’il se dérangeât, je vous prierais de m’en avertir.

BABET.

Il est trop bien élevé.

MADAME DU HAZARD.

C’est que vos Messieurs ont l’air furieusement éveillés, et comme dit le Proverbe : Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es.

BABET.

Allez, Madame du Hazard, s’il se dérange, ce ne sera pas chez nous.

MADAME DU HAZARD.

J’en suis bien persuadée : mais c’est une manière de parler.

BABET.

À la bonne heure.

MADAME DU HAZARD.

Mais voyez donc si cette Jeannette revient... Je n’ai jamais été si mal servie.

BABET.

Que depuis que vous ne vous servez plus vous-même.

MADAME DU HAZARD.

C’est bien vrai, ça.

BABET.

Elle est bien gentille au moins, Jeannette.

MADAME DU HAZARD.

Mais elle est d’une simplicité...

BABET.

Elle se dégourdira, Madame du Hazard.

MADAME DU HAZARD.

Allez, Mamzelle Babet, je suis obligée tous les jours de faire la moitié de mon ouvrage moi-même.

BABET.

Avec du temps et de la patience, ça viendra ; Paris n’a pas été fait en un jour. Elle a l’air bien douce et de bonne volonté.

MADAME DU HAZARD.

C’est une brave fille ; faut lui rendre justice. Ça n’a pas d’allures, et c’est un grand point.

BABET.

Tenez, la voilà.

 

 

Scène III

 

MADAME DU HAZARD, BABET, JEANNETTE

 

Jeannette tenant sous son bras un panier de Boucherie dans lequel est de la viande et des légumes.

MADAME DU HAZARD.

J’ai cru que tu n’arriverais pas aujourd’hui.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Dame ! vous m’avez envoyée dans tant d’endroits aussi.

MADAME DU HAZARD.

Tu raisonnes, je crois.

JEANNETTE.

Je n’ai pas perdu de temps...

MADAME DU HAZARD.

Paix... As-tu été à la Boucherie ?

JEANNETTE, d’un ton triste.

Oui, Madame... Mais il est bien désagréable, Monsieur votre Boucher.

MADAME DU HAZARD.

Qu’est-ce qu’il t’a donc fait ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Il ne m’a rien fait ; mais c’est qu’il ne veut jamais me donner de réjouissance, tandis qu’il en donne à tout le monde.

MADAME DU HAZARD.

Eh bien ! oui ; tu n’as qu’à t’aviser d’en apporter, je t’en donnerai, moi, de la réjouissance.

BABET.

Eh ! ma pauvre Jeannette, il faut bien te garder d’en prendre.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Mais pourquoi donc ça ?

BABET.

C’est que c’est la plus mauvaise viande.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Ah dame ! je n’en savais rien, moi... De-là, j’ai été chez Monsieur votre Peintre.

MADAME DU HAZARD.

Mon portrait avance-t-il ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Vous l’aurez demain.

MADAME DU HAZARD.

L’as-tu vu ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Sans doute.

MADAME DU HAZARD.

Eh bien ! comment le trouves-tu ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Oh ! c’est vous toute crachée. Il est si bien fait, si bien fait, qu’il m’a fait peur, et que ceux même qui ne vous auront jamais vue, vous reconnaîtront tout de suite.

MADAME DU HAZARD.

Tant mieux.

JEANNETTE, gaiement.

Il est bien honnête lui, Monsieur votre Peintre.

MADAME DU HAZARD.

Comment donc ça ?

JEANNETTE.

Ah ! dame, c’est qu’il m’a promis...

MADAME DU HAZARD.

Quoi ?

JEANNETTE.

Ça ne vous fâchera pas ?

MADAME DU HAZARD.

Eh non ! non... Eh bien ! il t’a promis...

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

De me peindre dans un petit coin du Tableau, de manière que personne ne pourra me voir, mais que je pourrai entendre ce que diront tous ceux qui le verront.

MADAME DU HAZARD.

Comment ! tu ne vois pas qu’il s’est moqué de toi ?

JEANNETTE.

Oh ! que non, Madame. Il m’a trop bien examinée.

MADAME DU HAZARD.

Que tu es bête, ma pauvre Jeannette.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Ce n’est pas ma faute.

MADAME DU HAZARD.

As-tu passé chez l’Apothicaire ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Oui, Madame.

MADAME DU HAZARD.

Que t’a-t-il dit ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Il m’a dit de vous dire, que si vous sentiez encore je ne sais quelle douleur, vous n’aviez qu’à prendre de je ne sais quelle herbe, que je préparerais je ne fais comment, pour la mettre ensuite je ne sais où, et que vous seriez guérie je ne sais quand.

MADAME DU HAZARD.

Voilà qui est bien clair.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Voilà vos souliers que j’ai été chercher chez le Cordonnier ; il leur a donné un coup de forme, et il m’a dit qu’à présent ils vous chausseraient comme un gant.

MADAME DU HAZARD.

C’est bon ; monte tout cela là-haut. Tu mettras bien vite le pot au feu, et puis...

JEANNETTE.

Tenez, j’allais tout justement l’oublier.

MADAME DU HAZARD.

Quoi ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Je viens de rencontrer le Facteur qui m’a remis cette lettre pour vous.

MADAME DU HAZARD.

Donne... Je fais ce que c’est...

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Ah ! Madame, ne la déchirez pas.

MADAME DU HAZARD.

Pourquoi donc ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Donnez-la-moi plutôt.

MADAME DU HAZARD.

Qu’en veux-tu faire ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Dame je l’enverrai à ma mère, qui ma bien recommandé, en partant, de lui en envoyer de temps en temps.

MADAME DU HAZARD.

Mais bête que tu es, cette lettre n’est pas écrite pour ta mère.

JEANNETTE.

Bah ! c’est égal, puisqu’elle ne fait pas lire...

MADAME DU HAZARD.

Tu as fait bien du bruit cette nuit.

JEANNETTE.

C’est que je me suis relevée.

MADAME DU HAZARD.

Et pourquoi faire ?

JEANNETTE.

Dame ! comme je dormais bien fort, j’ai entendu du monde dans la rue crier tout bas tant qu’il pouvait au Voleur ; je me suis levée aussitôt pour voir ce que c’était ; mais je n’ai pas osé me mettre à la fenêtre. J’ai regardé douce ment à travers le rideau, et comme j’ai vu que je ne voyais rien, je me suis recouchée toute tremblante d’avoir eu peur.

MADAME DU HAZARD.

Rentre, et reviens vite balayer le devant de la porte.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Dans deux tours de main je suis à vous.

Elle sort.

 

 

Scène IV

 

MADAME DU HAZARD, BABET

 

MADAME DU HAZARD.

Eh bien ! Mamzelle Babet, ça ne vous démonterait-il pas, ça ? Avez-vous jamais vu une fille plus sotte et plus niaise ?

BABET.

Non, en vérité.

MADAME DU HAZARD.

Vous ne voyez rien encore.

BABET.

Tout de bon !

MADAME DU HAZARD.

Oui, tout de bon ; elle commence à se former.

BABET.

Elle ne vas pas vite.

MADAME DU HAZARD.

Imaginez-vous que le lendemain du jour que je la retins à mon service, ne la voyant pas descendre à neuf heures du matin, je l’appelle... Jeannette ? – Madame. – Est-ce que tu ne relèves pas aujourd’hui ? – Je vous attends. – Eh ! pourquoi ? – Pour m’habiller. – Comment ! pour t’habiller ? – Eh ! oui. Hier, en m’arrêtant, ne m’avez-vous pas dit que vous me donneriez douze écus de gages (car je lui donne tout autant, Mamzelle Babet,) et que vous me nourririez et m’habilleriez ?... Comment trouvez-vous celui-là ?

BABET.

Impayable... Ah ! voilà, Monsieur le Commissaire.

MADAME DU HAZARD.

Ce n’est que son Clerc.

BABET.

C’est tout un ; le Commissaire est à la campagne.

MADAME DU HAZARD.

Jeannette ?

JEANNETTE, dans la maison.

Plaît-il, Madame ?

MADAME DU HAZARD.

Descendras-tu, coquine ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ, dans la maison.

J’emmanche le balai.

 

 

Scène V

 

LE CLERC DU COMMISSAIRE, MADAME DU HAZARD, BABET

 

LE CLERC.

Bon. Cette porte est bien balayée.

BABET.

C’est la mienne, Monsieur le Clerc.

LE CLERC.

C’est fort bien.

BABET.

J’ai toujours grand soin de tenir le devant de notre maison propre.

LE CLERC.

Je suis content de vous, et je ne me rappelle pas même de vous avoir jamais trouvée en contravention

BABET.

Oh ! pour ça non.

LE CLERC.

Ah ! ah !... Voilà qui est un peu différent... Qu’est ce qui demeure-là ?

MADAME DU HAZARD.

C’est moi, Monsieur.

LE CLERC.

Pourquoi votre Porte n’est-elle pas encore balayée ?...

MADAME DU HAZARD.

Parce qu’elle va l’être dans l’instant.

LE CLERC.

Comment ! dans l’instant. Huit heures sont sonnées, vous êtes dans le cas de l’amende.

MADAME DU HAZARD.

L’amende !... Vous badinez, Monsieur le Clerc.

LE CLERC.

De trente livres ; le Texte est précis.

MADAME DU HAZARD.

Comment ! trente livres pour une misère ?

LE CLERC...

Une misère !...

MADAME DU HAZARD.

Mais, Monsieur le Clerc, écoutez-moi donc : c’est la faute de ma Servante, et non la mienne...

LE CLERC.

Les Maîtres sont responsables pour leurs Domestiques ; les Marchands et Artisans, pour leurs Garçons et Apprentis. Trente livres d’amende.

MADAME DU HAZARD.

Mais enfin, Monsieur le Clerc, pour une fois que je me trouve en retard d’un quart-d’heure...

LE CLERC.

Tout le monde n’a qu’à en dire autant, où seront, je vous demande, l’ordre et la propreté ?

MADAME DU HAZARD.

Une fois n’est pas coutume.

LE CLERC.

La Loi y est précise.

MADAME DU HAZARD.

La Loi... la Loi, tant que vous voudrez ; mais, Monsieur le Clerc... vous êtes fait pour m’écouter et quand je vous dis...

LE CLERC.

Monsieur le Clerc ! Monsieur le Clerc ! Point de raisons ; ne me faites pas verbaliser. Je rentre dans notre Hôtel, où je reçois les amendes jusqu’à midi, entendez-vous ?

Il sort.

MADAME DU HAZARD.

Trente livres d’amende ! C’est cette petite drôlesse qui en est la cause ; elle va me le payer cher.

 

 

Scène VI

 

BABET, dans la rue, MADAME DU HAZARD, JEANNETTE, dans la maison

 

BABET.

Écoutez donc, Madame du Hazard ; ce n’est pas sa faute à elle...

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Aïe ! aïe ! aïe !...

MADAME DU HAZARD.

Je t’apprendrai, coquine, à me faire mettre à l’amende : Je ne sais qui me tient de te tuer sur la place !

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Aïe ! aïe ! aïe !...

MADAME DU HAZARD.

Sors de chez moi.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Laissez-moi donc prendre au moins mon paquet.

MADAME DU HAZARD.

Ton paquet ? Il servira à payer l’amende.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Et mes gages ?

MADAME DU HAZARD.

Ah ! tes gages ?... Tiens, tiens, les voilà...

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Aïe ! aïe ! aïe !...

MADAME DU HAZARD, un bâton à la main, le met dehors de la maison, dont elle ferme la porte.

Ne remets jamais les pieds chez moi.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

C’est indigne, ça. On ne se sert pas d’une pauvre fille sans la payer, et on ne lui donne pas des coups de bâton pour ses gages.

MADAME DU HAZARD, à sa fenêtre.

Veux-tu que j’aille te donner ton reste ?

JEANNETTE.

Donnez-moi plutôt mon paquet.

MADAME DU HAZARD, à sa fenêtre.

Tu l’iras chercher chez le Commissaire, c’est lui qui te le rendra.

BABET.

C’est abominable ça, Madame du Hazard.

MADAME DU HAZARD, à sa fenêtre.

De quoi vous mêlez-vous ? Est-ce que ça vous regarde ?

BABET.

Il ne vous convient pas de battre ainsi cette pauvre fille.

MADAME DU HAZARD, à sa fenêtre.

C’est ma Servante.

BABET.

Vous est-il permis pour cela de la frapper ? Vous pouvez la renvoyer, comme elle est maîtresse de vous quitter : il n’y a pas d’esclaves en France.

MADAME DU HAZARD, à sa fenêtre.

Taisez-vous, je ne suis pas faite pour parler à une Servante.

BABET.

Eh, mon Dieu ! ne faites donc pas tant votre embarras ; on fait ben ce que vous êtes. Eh, parguienne ! si je suis Servante chez le fils, vous l’étiez chez le père ; il ne faut pas tant faire la Madame, et vous oublier si vite.

MADAME DU HAZARD, à la fenêtre.

Vous êtes une impertinente, et puis c’est tout.

BABET.

Les impertinentes vous ressemblent. Descendez donc un peu.

MADAME DU HAZARD, fermant sa fenêtre.

Allez, je ne suis pas faite pour me compromettre avec de la canaille.

 

 

Scène VII

 

JEANNETTE, BABET

 

BABET.

De la canaille !...

JEANNETTE.

Ne vous mettez pas en colère, Mamzelle Babet.

BABET.

Je n’y suis pas... Mais c’est que ça fait pitié !

JEANNETTE.

Avez-vous vu les coups qu’elle m’a donnés ?

BABET.

Non... mais je les ai bien entendus.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Que vais-je devenir à présent ?

BABET.

Il faut prendre patience, mon enfant.

JEANNETTE.

Prendre patience ! Ça vous est bien aisé à dire, Mamzelle Babet ; je n’ai ni argent, ni connaissance, ni ressources, et l’on me garde mes hardes encore.

BABET.

Elle a tort.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Certainement... Où irai-je ?... Qui voudra de moi ?

BABET.

La pauvre enfant !

JEANNETTE.

Dites-moi un peu : qu’est-ce que je m’en vais faire ?

BABET.

Écoute, Jeannette : mon Maître est un brave homme, lui, qui prend volontiers pitié des pauvres filles, et qui ne demande pas mieux que de leur faire plaisir...

JEANNETTE.

Vous êtes bienheureuse, vous !... Je ne puis trouver personne qui veuille me faire plaisir... moi.

BABET.

Je m’en vais lui conter ton malheur, je suis certaine qu’il aura pitié de toi.

JEANNETTE.

Vous croyez ?

BABET.

J’en suis sûre.

JEANNETTE.

Vous êtes bien bonne, Mamzelle Babet.

 

 

Scène VIII

 

JEANNETTE, BABET, CADET

 

CADET.

Mamzelle Babet ?

BABET.

Eh bien ! quoi ?

CADET.

Monsieur Minutte vous demande.

BABET.

Je rentre... Attends-moi là, Jeannette ; je vais voir ce que mon Maître me veut, et en même temps je lui parlerai de toi... Ne t’éloignes pas.

JEANNETTE.

Non, Mamzelle Babet.

Babet sort.

 

 

Scène IX

 

CADET, JΕΑΝΝΕΤΤΕ

 

CADET.

Bonjour, Mamzelle Jeannette.

JEANNETTE.

Bonjour, Monsieur Cadet.

CADET.

Qu’est-ce donc que vous avez, Mamzelle Jeannette ?

JEANNETTE.

Rien, Monsieur Cadet.

CADET.

Comment, rien !... Et vous pleurez ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

C’est qu’on m’a battue.

CADET.

On vous a battue, Mamzelle Jeannette ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Et bien fort, encore ; que j’en suis toute noire, je gage.

CADET.

Ah, Ciel ! Eh ! quel est donc le monstre ?...

JEANNETTE, vivement.

N’en dites pas de mal, Monsieur Cadet.

CADET.

Pourquoi donc ça ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

C’est que c’est votre chère mère.

CADET.

Ma chère mère !

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Elle-même.

CADET.

Eh ! à quel propos donc ça, Mamzelle Jeannette ?

JEANNETTE.

À propos de ce qu’on l’a mise à l’amende, parce que je n’avais pas balayé le devant de la maison, elle m’a battue, m’a chassée, et m’a mise à la porte.

CADET.

C’est-y possible ça ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Très possible... Mamzelle Babet peut vous le dire, elle l’a vu, aussi bien que je l’ai senti.

CADET.

Que je suis malheureux !

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Pourquoi donc ça, Monsieur Cadet ?

CADET.

Ma mère vous a battue.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Et bien fort.

CADET.

Vous ne m’aimerez plus.

JEANNETTE.

À cause de quoi ?

CADET.

À cause de ça.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Ce n’est pas votre faute à vous.

CADET.

Écoutez, Mamzelle Jeannette ; voulez-vous me promettre de m’aimer toujours ?

JEANNETTE.

Oh ! mon Dieu ! oui, je vous le promets.

CADET.

Eh bien ! moi, Jeannette, je vous promets que si vous voulez, je vous épouserai.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Vous vous moquez peut-être de moi ?

CADET.

Non, Jeannette ; non. Je vous ferai, en attendant, une promesse de mariage sur papier timbré.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

C’est bien honnête à vous. Mais, ça s’ra-t-il bientôt que vous m’épouserez ?

CADET.

Sitôt que j’aurai vingt-cinq ans. Je serai majeur, voyez-vous, et alors je ferai mes soumissions respectueuses à ma chère mère, et tout de suite je vous épouserai.

JEANNETTE.

Oui ; mais ça s’ra peut-être encore bien long ?

CADET.

J’ai déjà dix-sept ans ; vous voyez que nous n’en avons que huit à attendre.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Mais en attendant, que vais-je devenir ?

CADET.

Laissez-moi faire, Mamzelle Jeannette ; je vais entrer chez ma mère ; je tâcherai de l’apaiser, et de l’engager à vous reprendre chez elle.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

C’est qu’elle est bien mauvaise.

CADET.

Oui... mais dans le fond elle est bonne femme.

JEANNETTE.

Oh ! c’est bien vrai... Elle ne gronde jamais que quand elle est en colère.

CADET.

Je vais tâcher de faire votre paix.

JEANNETTE.

Je ne lui en veux pas beaucoup ; et si ce n’était les coups qu’elle m’a donnés, et qu’elle m’a mise à la porte, et qu’elle me retient mes gages et mon paquet, je ne lui en voudrais pas du tout.

CADET.

Le charmant caractère !

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Allez, Monsieur Cadet, vous le savez bien, que je ne suis pas méchante.

CADET.

Si vous l’étiez, votre physionomie serait bien trompeuse. Attendez-moi là ; je vais entrer chez ma mère : quand son premier mouvement de colère est passé, j’en fais tout ce que je veux.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Allez donc.

CADET.

Il ne faudra pas lui dire que nous nous aimons.

JEANNETTE.

Pourquoi pas...

CADET.

Ce serait une raison de plus pour qu’elle ne vous reprît jamais à son service.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Et si elle s’en aperçoit...

CADET.

Nous aurons soin de nous cacher d’elle.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Je ferai tout ce que vous voudrez, moi, Monsieur Cadet.

CADET.

Sans adieu, Mamzelle Jeannette... Ah ! si vous vouliez me permettre...

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Quoi ?

CADET.

De baiser cette jolie main.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Que ne m’embrassez-vous plutôt ? Ça me ferait bien plus de plaisir.

CADET.

C’est que je n’osais pas ; mais puisque vous ne le permettez...

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

De tout mon cœur.

CADET.

Je vous aime pour la vie, Mamzelle Jeannette.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Et moi de même, Monsieur Cadet.

Cadet sort.

 

 

Scène X

 

JEANNETTE, seule

 

C’est un bien joli garçon, que Monsieur Cadet. Dame ! c’est lui qui en a, de l’esprit ; s’il pouvait m’en donner un peu, la mère ne me reprocherait plus tant que je ne suis qu’une sotte... Et puis, ça n’est pas fier ; voyez, tout Monsieur qu’il est, il parle de m’épouser, moi, qui ne suis qu’une pauvre Servante.

 

 

Scène XI

 

MONSIEUR MINUTTE, JEANNETTE, BABET

 

Monsieur Minutte reconduit une personne jusqu’à la porte de son Étude, en lui faisant de grandes révérences. Quand il est prêt à rentrer, Babet sort de la maison, et la Scène commence.

BABET.

Tenez, la voilà.

MONSIEUR MINUTTE, en robe-de-chambre.

Elle est charmante !

BABET.

Eh bien ! elle est encore plus innocente et plus sage.

MONSIEUR MINUTTE, à part.

Divine !...

BABET.

Voulez-vous que je la fasse entrer ?

MONSIEUR MINUTTE.

Non, non ; ce n’est pas la peine. Je vais lui dire deux mois, et voir si réellement elle mérite qu’on s’intéresse à elle.

BABET, à Jeannette.

Tiens, ma pauvre Jeannette, voilà Monsieur Minutte, à qui j’ai raconté toute ton aventure. Il veut bien avoir des bontés pour toi. Aie confiance en lui ; tu ne t’en repentiras pas.

Elle sort.

 

 

Scène XII

 

MONSIEUR MINUTTE, JEANNETTE

 

MONSIEUR MINUTTE.

Eh bien ! qu’est-ce, ma belle enfant ? On vous a donc battue ?

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR MINUTTE.

Comment peut-on avoir, le courage de frapper une fille aussi aimable !

JEANNETTE, lui faisant une grande révérence.

Vous êtes bien bon.

MONSIEUR MINUTTE veut lui prendre la main, qu’elle retire avec précipitation.

Vous êtes charmante, Jeannette !

JEANNETTE, lui faisant une grande révérence.

Ça vous plaît à dire, Monsieur.

MONSIEUR MINUTTE.

Est-il possible qu’une fille comme vous soit Servante ?

JEANNETTE.

Que voulez-vous donc que je fois...

MONSIEUR MINUTTE.

Ah ! Jeannette, vous serez tout ce que vous voudrez.

JEANNETTE.

Je ne veux qu’être honnête fille.

MONSIEUR MINUTTE.

Vous avez raison, Jeannette.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Ma mère me l’a bien recommandé en m’envoyant à Paris, et de ne me jamais laisser enjôler par les belles paroles, ni par la vue plus dangereuse encore de l’or et de l’argent.

MONSIEUR MINUTTE.

Vous ne vous méfiez pas sans doute de moi.

JEANNETTE.

Je ne me méfie de personne, moi.

MONSIEUR MINUTTE.

Vous êtes à Paris sans parents, sans ressource.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR MINUTTE.

Eh bien ! je veux prendre soin de vous, moi, Jeannette.

JEANNETTE.

Vous êtes bien bon.

MONSIEUR MINUTTE.

Me promettez-vous d’être toujours honnête ?

JEANNETTE.

Est-ce qu’on peut être autrement ?

MONSIEUR MINUTTE.

Vous n’êtes pas faite pour être une simple Servante.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Pardonnez-moi, Monsieur ; c’est bien du bonheur pour moi, encore.

MONSIEUR MINUTTE.

Non, Jeannette, non. Je veux vous mettre à la place que vous méritez. Vous portez là des habits indignes de vous.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Ah ! Monsieur, c’est mon juste de tous les jours, j’en ai un dans mon paquet, qui est bien plus beau ; mais je ne le mets que les Dimanches et Fêtes... Il et de soie.

MONSIEUR MINUTTE.

Vous ne m’entendez pas, Jeannette ; ce sont des belles robes ; les ajustements les plus galants, des diamants même, si vous en désirez, que je vous propose.

JEANNETTE.

À moi, Monsieur !

MONSIEUR MINUTTE.

À vous même... J’ai une petite maison délicieuse à une lieue de Paris ; je vous y enverrai.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Pour en être la Jardinière ?

MONSIEUR MINUTTE.

Non, Jeannette non ; mais pour en être la Maîtresse et la Souveraine. Vous y commanderez en Reine. Rien ne vous y manquera. J’irai tous les soirs souper avec vous, et quelquefois si vous le permettez...

JEANNETTE.

Je le vois bien ; vous vous moquez de moi, ou vous voulez me tromper.

MONSIEUR MINUTTE.

Vous tromper !...Moi, Jeannette !...Je ne veux que vous rendre heureuse.

JEANNETTE.

Allez, Monsieur, je suis bien simple ; mais je gagerais que quand on donne tant à une pauvre fille, c’est qu’un veut la perdre.

MONSIEUR MINUTTE.

Moi, vouloir vous perdre, Jeannette !

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR MINUTTE.

Que vous me connaissez peu. Vous êtes charmante ; mais votre innocence me plaît plus encore que votre personne.

JEANNETTE.

Justement ; voilà pourquoi vous voulez me la ravit.

MONSIEUR MINUTTE.

Non, Jeannette, non. Votre vertu est tout ce que j’aime dans vous.

JEANNETTE.

Eh bien ! ne m’exposez donc pas au danger de perdre tout ce que vous aimez.

MONSIEUR MINUTTE.

Que de candeur ! Que d’innocence ! Je le vois, Jeannette ; vous êtes aussi sage que belle, et je renonce au dessein cruel que j’avais formé de vous séduire.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Vous le vouliez donc ?

MONSIEUR MINUTTE.

Oui, Jeannette, je le voulais ; mais cette douce candeur qui se peint dans vos yeux, change tout mon amour en respect ; et Jeannette plus belle que jamais, ne me paraît plus qu’intéressante.

JEANNETTE.

Vous ne me trompez pas.

MONSIEUR MINUTTE.

Non, mon enfant... Écoutez-moi, Jeannette, vous êtes entourée de précipices : tout ceux qui vous verront chercheront à vous séduire ; vous êtes jeune, sans expérience, on vous trompera.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Hélas ! Monsieur, je m’y attends bien.

MONSIEUR MINUTTE.

Il n’est qu’un moyen pour vous sauver, et moi-même peut-être. Il faut vous marier.

JEANNETTE.

Me marier...

MONSIEUR MINUTTE.

Oui, Jeannette... auriez-vous de la répugnance pour le mariage ?

JEANNETTE.

Oh ! mon Dieu non, Monsieur, bien au contraire.

MONSIEUR MINUTTE.

Quelle ingénuité !

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Mais, qui est-ce qui voudra d’une pauvre fille comme moi.

MONSIEUR MINUTTE.

Ne me déguisez rien.

JEANNETTE.

Je ne sais pas encore mentir.

MONSIEUR MINUTTE.

Aimez-vous quelqu’un... Vous rougissez, Jeannette...

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

C’est de plaisir...

MONSIEUR MINUTTE.

Vous aimez donc ?

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR MINUTTE.

Et quel est cet heureux mortel ?

JEANNETTE.

C’est Monsieur Cadet.

MONSIEUR MINUTTE.

Le fils de Madame du Hazard ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Lui-même.

MONSIEUR MINUTTE.

Il vous aime, sans doute.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Oui, Monsieur, puisqu’il me le dit, et qu’il doit m’épouser quand il sera majeur ; et qu’en attendant, il m’a promis de me faire une promesse de mariage sur du papier timbré.

MONSIEUR MINUTTE.

Cela suffit, Jeannette... Je suis le Parrain de Cadet, sa mère m’a plus d’une obligation... Allez chez le Commissaire qui demeure là, réclamez-vous de moi ; dites-lui que je m’intéresse beaucoup à votre affaire, et que je la lui recommande.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Et qu’est-ce que je ferai chez le Commissaire ?

MONSIEUR MINUTTE.

Vous lui ferez une plainte de ce que Madame du Hazard vous a battue, et de ce qu’elle vous retient vos effets...

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Et qu’en arrivera-t-il ?

MONSIEUR MINUTTE.

Elle sera punie.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Ah ! Monsieur, je serais bien fâchée qu’on lui fit de la peine ou du mal par rapport à moi ; elle m’a battue, mais je le lui pardonne, je ne veux que mon paquet.

MONSIEUR MINUTTE.

L’aimable enfant... Faites ce que je vous dis, Jeannette, j’ai mes raisons pour cela... Je vais m’habiller, et vous, sitôt votre plainte faite, venez chez moi, nous irons ensemble chez Madame du Hazard.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Oui, Monsieur.

MONSIEUR MINUTTE.

Je fais une réflexion, Jeannette, vous n’avez peut être pas d’argent !

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Il est vrai.

MONSIEUR MINUTTE.

Prenez cet écu.

JEANNETTE.

Que voulez-vous que j’en fasse ?

MONSIEUR MINUTTE.

Il vous le faut pour payer votre plainte. Allez, Jeannette, ne perdez pas de temps... Je vous attends.

Monsieur Minutte sort.

 

 

Scène XIII

 

JEANNETTE, seule

 

Oh le brave homme !... Mamzelle Babet avait bien raison de dire que c’est un bon Maître, et qui n’est pas fier ; que je serais heureuse, s’il voulait me prendre aussi à son service... Voilà la maison de Monsieur le Commissaire. Frappons... Il ne répond pas... Il est peut-être embarrassé... Frappons plus doucement...

 

 

Scène XIV

 

LE CLERC DU COMMISSAIRE, JΕΑΝΝΕΤΤΕ

 

LE CLERC sort de la maison en examinant plusieurs papiers ; il parle à Jeannette sans la regarder.

Est-ce vous qui frappez à la porte ?

JEANNETTE, faisant la révérence.

Oui, Monsieur.

LE CLERC.

Y a-t-il longtemps que vous êtes là ?

JEANNETTE.

Un peu.

LE CLERC.

Que ne frappiez-vous, plus fort ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

J’avais peur de vous déranger.

LE CLERC.

Que demandez-vous ?

JEANNETTE.

Monsieur le Commissaire.

LE CLERC.

Il est à la campagne pour huit jours.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Je ne puis donc pas lui parler ?

LE CLERC.

Non... Mais pendant son absence, je le représente et c’est comme si vous parliez à lui-même... De quoi s’agit-il ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Monsieur, je suis la Servante de Madame du Hazard qui demeure là, et que vous venez de mettre à l’amende, parce que je n’avais pas balayé le devant de sa porte.

LE CLERC.

Eh bien ! apportez-vous l’amende ?

JEANNETTE.

Non, Monsieur.

LE CLERC.

Que voulez-vous donc ?

JEANNETTE.

Je viens de la part de Monsieur Minutte, qui m’a dit de me réclamer de lui, et de vous dire, qu’il s’intéressait à mon affaire, et qu’il vous la recommandait.

LE CLERC, la regardant, et souriant.

Ah ! ah !... Elle est ma foi gentille... Eh bien ! voyons, mon enfant ; que voulez-vous ?

JEANNETTE.

Je viens, Monsieur, vous faire une plainte.

LE CLERC.

Une plainte !

JEANNETTE, lui présentant l’écu de Monsieur Minute.

Oui, Monsieur, et voilà...

LE CLERC.

Gardez, mon bijou ; gardez... Quand on est aussi gentille que vous, on n’a besoin ni de recommandation, ni d’argent.

JEANNETTE, lui faisant une grande révérence.

Vous êtes bien honnête.

LE CLERC.

De qui vous plaignez-vous ?

JEANNETTE.

De personne, Monsieur.

LE CLERC.

Et vous venez faire une plainte ?

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

LE CLERC.

Contre qui ?

JEANNETTE.

Contre Madame du Hazard.

LE CLERC.

Votre Maîtresse ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Oui, Monsieur.

LE CLERC.

Que vous a-t-elle donc fait ?

JEANNETTE.

Elle m’a chassée, et m’a battue.

LE CLERC.

Elle vous a battue !

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Oui, Monsieur.

LE CLERC.

Bien fort ?

JEANNETTE.

Oui, Monsieur ; j’en aurai les marques.

LE CLERC.

Tant mieux ! Ça fait de bons témoins. Il faudra me les montrer.

JEANNETTE.

Oh ! Monsieur, vous êtes trop bon.

LE CLERC.

Laissez-moi faire, je vais la mener grand train... Battre une si jolie fille ; elle s’en repentira, je vous en réponds.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Ne lui faites pas trop de peine.

LE CLERC.

Eh ! pour quelle raison s’est elle portée contre vous à à cette violence ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Parce que je n’avais pas balayé le devant de la porte ; que vous l’avez mise à l’amende.

LE CLERC.

Je n’ai pu faire autrement ; l’Ordonnance y est formelle.

JEANNETTE.

Après m’avoir battue, elle m’a chassée, et elle ne veut pas me rendre mon paquet.

LE CLERC.

Et sa raison ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Elle dit qu’il servira à payer l’amende.

LE CLERC.

Écoutez-moi, mon bijou : je vous remettrais bien l’amende ; mais votre Madame du Hazard pourrait se douter de la bonne volonté que j’ai pour vous, et ce lui ferait un moyen victorieux de défense, pour ne pas payer les dommages et intérêts auxquels je vais la condamner envers vous. Il faut mieux faire : en voilà le montant... Prenez ces dix écus, prenez-les.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Que voulez-vous que j’en fasse ?

LE CLERC.

Vous allez les lui porter pour payer l’amende à laquelle elle a été condamnée par votre négligence.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Les lui donnerai-je de votre part ?

LE CLERC.

Eh ! non, mon enfant ; il ne faut pas parler de moi. Vous gâteriez tout. Vous retirerez tout uniment votre paquet.

JEANNETTE.

Mais dès qu’elle m’aura rendu mon paquet, tout sera dit ; je ne demande rien davantage.

LE CLERC.

Que vous êtes simple. Vous ne connaissez pas nos ressources. Les coups qu’elle vous a donnés iront loin ; je vous en réponds. Vous êtes en bonnes mains... Mais j’espère bien aussi que je n’obligerai pas une ingrate, et que vous serez reconnaissante de mes peines.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Certainement.

LE CLERC.

Vous voilà sur le pavé ; avez-vous quelqu’autre condition ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Non, Monsieur, et j’ai bien peur de n’en pas trouver : car je suis toute neuve.

LE CLERC.

Je le vois bien... Mais n’en cherchez pas.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Eh ! que voulez-vous donc que je devienne ? Je suis une pauvre fille ; je ne connais personne ; je ne fais où aller.

LE CLERC.

Ne vous inquiétez pas ; je me charge de vous loger, moi.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Vous avez bien de la bonté.

LE CLERC.

J’ai une petite chambre toute meublée ici prés, dont je puis disposer, et dans laquelle vous logerez en attendant mieux. Vous irez passer la journée chez une Marchande de modes de ma connaissance, qui se fait un plaisir d’obliger de jeunes infortunées.

JEANNETTE.

Elle me fera donc travailler ?

LE CLERC.

Oui, mon bijou.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Et je gagnerai de l’argent ?

LE CLERC.

Beaucoup.

JEANNETTE.

Oh ! pourvu que j’en gagne assez pour me nourrir, m’habiller et en envoyer un peu à ma mère, voilà tout ce que je désire.

LE CLERC.

Comment vous nommez-vous ?

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Jeannette, Monsieur ; à vous servir.

LE CLERC.

Eh bien ! Jeannette, laissez-moi faire ; je veux avant six mois vous voir dans un équipage brillant.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Allons donc, Monsieur ; vous vous moquez de moi. Une pauvre Servante...

LE CLERC.

Avec une figure comme la vôtre vous ferez de l’or à Paris. Eh ! combien en ais-je vu qui ont commencé de plus bas encore, et qui étalent aujourd’hui tout l’orgueil de l’opulence. Vous êtes encore toute simple.

JEANNETTE.

Oui, Monsieur.

LE CLERC.

Eh bien !... je vous formerai... Rentrez chez Monsieur Minutte ; mais ne lui parlez ni de la petite chambre, ni de la Marchande de modes, entendez-vous.

JEANNETTE.

Pourquoi donc ?

LE CLERC.

J’ai mes raisons. Dites-lui seulement qu’il sera content de la manière dont je vous ferai rendre justice. Après quoi, vous reviendrez ici, et sur la brune je vous conduirai à votre nouvelle demeure. Allez, Jeannette ; je vais travailler pour vous...

À part.

Ah ! ah ! Madame du Hazard, vous payerez, ma foi, les frais de l’emménagement.

 

 

Scène XV

 

LE CLERC DU COMMISSAIRE, JEANNETTE, BABET

 

BABET.

Eh bien !... es-tu contente ?

JEANNETTE.

On ne peut davantage. Je ne sais pourquoi tous ces Messieurs ont tant de bonté pour une pauvre Servante.

BABET.

Je le sais bien, moi... Mais entre ; Monsieur est occupé pour quelques instants. Il m’a recommandé de ne te pas quitter. Tu lui parleras dans l’instant.

 

 

Scène XVI

 

LE CLERC DU COMMISSAIRE, MADAME DU HAZARD, CADET

 

LE CLERC.

La charmante enfant ! C’est la simplicité même. J’en ferai tout ce que je voudrai, et en travaillant pour elle, je travaillerai pour moi-même. Holà ! quelqu’un.

CADET.

Que voulez-vous, Monsieur ?

LE CLERC.

Madame du Hazard est-elle là ?

CADET.

Oui, Monsieur.

LE CLERC.

Faites-la venir.

CADET.

Ma chère mère ?

MADAME DU HAZARD, dans le fond de la Boutique.

Eh bien !

CADET.

C’est un Monsieur qui vous demande.

MADAME DU HAZARD.

Me voilà, me voilà.

LE CLERC.

Votre serviteur, Madame du Hazard.

MADAME DU HAZARD.

Votre servante, Monsieur. Qui vous amène encore ?

LE CLERC.

Une affaire très importante, Madame, et que par amitié pour vous je viens arranger à l’amiable.

MADAME DU HAZARD.

Au sujet de l’amende ? On a les vingt-quatre heures.

LE CLERC.

C’est bien d’une autre conséquence, vraiment... Vous aviez chez vous une jeune Servante, nommée Jeannette ?

MADAME DU HAZARD.

Oui, Monsieur, une paresseuse, qui est même cause...

LE CLERC.

Vous l’avez chassée...

MADAME DU HAZARD.

Sur-le-champ, Monsieur ; vous sentez bien qu’on ne peut pas garder...

LE CLERC.

Sans lui payer ses gages, sans lui rendre son paquet pour payer.

MADAME DU HAZARD.

Est-il juste, Monsieur, que je paie l’amende à laquelle vous m’avez condamnée pour la négligence. Je suis prête à lui rendre son paquet, quand elle me remettra mes dix écus.

LE CLERC.

Vous avec raison. Mais ce n’est pas de cela dont il s’agit... Vous l’avez battue.

MADAME DU HAZARD.

Un petit mouvement de vivacité, dont je n’ai pas été la maîtresse...

LE CLERC.

Eh ! de quel droit, s’il vous plaît, l’avez-vous battue ?

MADAME DU HAZARD.

Monsieur...

LE CLERC.

Elle est venue se plaindre, et je lui dois justice ; c’est mon premier devoir... Cette affaire peut aller très-loin, Madame, et je vous conseille de l’apaiser le plutôt possible. Si une fois je verbalise, je n’en ferai plus le maître.

MADAME DU HAZARD.

Eh bien, Monsieur, je consens à la reprendre ; aussi bien l’ai-je promis à mon fils...

LE CLERC.

Il ne s’agit pas de cela ; vous l’avez battue, il lui faut des dommages, et vous ne pouvez pas lui offrir moins de six cent livres, pour l’engager au silence.

MADAME DU HAZARD.

Six cent livres !

LE CLERC.

Tout autant.

MADAME DU HAZARD.

Écoutez-moi, Monsieur ; je vais vous expliquer cette affaire.

LE CLERC.

Je suis instruit de tout, Madame ; vous ne savez donc pas que les voies de fait sont expressément défendues, quand même celui qui s’en servirait pourrait avoir raison, parce qu’il n’est permis à qui que ce soit de se faire justice.

MADAME DU HAZARD.

Comment ! Monsieur, pour quelques coups donnés à une malheureuse Servante...

LE CLERC.

Et cette Servante est-elle une esclave ou une citoyenne ? Tous les devoirs dans la société sont respectifs et balancés. Plus le Serviteur a de devoirs à remplir vis-à vis de ses Maîtres, plus il s’acquiert de droits à leur bienveillance ; d’où il s’ensuit qu’ils ne doivent jamais les maltraiter... Levis castigatio permittitur, non fævitia.

MADAME DU HAZARD.

Mais aussi, Monsieur, six cent livres...

LE CLERC.

Vous faites rébellion, je crois.

MADAME DU HAZARD.

Non, Monsieur ; mais considérez donc que me voilà ruinée ; où voulez-vous que je trouve jamais six cent livres ?

LE CLERC.

Je vous donne un quart d’heure, Madame, sinon je vous fais exécuter sur-le-champ, et vous n’en ferez peut-être pas quitte pour mille écus : vous ne connaissez pas la conséquence de ces affaires-là. Dans un quart d’heure je suis ici ; que votre argent soit prêt, entendez vous ?

Il sort.

 

 

Scène XVII

 

MADAME DU HAZARD, CADET

 

MADAME DU HAZARD

Cadet ?

CADET.

Ma chère mère.

MADAME DU HAZARD.

Approche ici, approche... C’est une bien jolie fille que ta Jeannette.

CADET.

Pas vrai donc, ma chère mère ?

MADAME DU HAZARD.

Oh ! que je m’en veux de ne l’avoir pas étranglée tantôt.

CADET.

Quoi donc qu’elle a fait encore !

MADAME DU HAZARD.

Elle a fait une plainte contre moi, et me demande six cent livres de dommage.

CADET.

Six cent livres !

MADAME DU HAZARD.

Eh bien ! conseille-moi donc encore de reprendre cette petite drôlesse-là ? Voilà, voilà des preuves de la douceur et de son honnêteté.

CADET.

Je n’en reviens pas.

MADAME DU HAZARD.

Nous voilà ruinés ; où veux-tu que je trouve six cent livres ?

CADET.

Quelqu’un qui nous en veut, l’aura certainement conseillée ; jamais Jeannette, d’elle-même, ne nous eût joué un pareil tour.

MADAME DU HAZARD.

Tais-toi... Tu me ferais soupçonner que Jeannette... Si je le croyais...

CADET.

La voilà avec Monsieur Minutte.

 

 

Scène XVIII

 

MONSIEUR MINUTTE, MADAME DU HAZARD, CADET, JEANNETTE

 

MONSIEUR MINUTTE.

Venez, Jeannette ; venez.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

J’ai peur, moi ; elle n’a qu’à me battre encore...

MONSIEUR MINUTTE.

Ne craignez rien ; je veux vous raccommoder ensemble ; et récompenser Monsieur le Clerc du Commissaire de ses bonnes intentions pour vous... Bonjour, Madame du Hazard.

MADAME DU HAZARD.

Votre servante, Monsieur Minutte.

MONSIEUR MINUTTE.

Voulez-vous bien que je vous ramène Jeannette ?

MADAME DU HAZARD.

Comment ! cette effrontée ose se représenter devant moi.

MONSIEUR MINUTTE.

De la douceur.

CADET.

Allez, Mamzelle Jeannette, c’est bien mal tout ce que vous nous faites ; je vous croyais de l’amitié pour moi, mais je vois bien que vous n’êtes qu’une trompeuse.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Qu’est-ce que j’ai donc fait moi, Monsieur Cadet ?

CADET.

Ce que vous avez fait, Mamzelle ; vous avez été vous plaindre chez le Commissaire contre ma chère mère.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Ce n’est pas ma faute ; c’est Monsieur qui l’a voulu.

MADAME DU HAZARD.

Comment, Monsieur Minutte !

MONSIEUR MINUTTE.

Elle dit vrai, c’est moi-même.

MADAME DU HAZARD.

Vous, qui jusqu’à ce moment m’avez marqué tant d’amitié...vous, pour qui... Je ne l’aurais jamais cru...

MONSIEUR MINUTTE.

Il n’y a pas si grand mal.

MADAME DU HAZARD.

Comment ! lorsqu’on me condamne à lui payer six cent livres.

MONSIEUR MINUTTE.

Six cent livres !

MADAME DU HAZARD.

Tout autant... Où voulez-vous que je les trouve ?

MONSIEUR MINUTTE.

Monsieur le Clerc a pris vivement ses intérêts.

MADAME DU HAZARD.

Je le crois bien... et j’en fais aussi la raison : c’est qu’elle est jolie, et qu’il la paie de ses complaisances avec mon argents.

MONSIEUR MINUTTE.

Vous ne lui rendez pas justice ; je puis vous répondre, moi, qu’elle est aussi sage que belle.

CADET.

Oh ! pour ça, c’est bien vrai.

MONSIEUR MINUTTE.

Il y a moyen d’arranger tout cela de manière que vous soyez tous contents... Jeannette est bonne.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Oh ! mon Dieu ! Madame, je serais bien fâchée, moi, de vous faire de la peine. Je ne vous demande qu’à rentrer à votre service. Je payerai l’amende, et pour les coups que vous m’avez donnés, je vous en demande pardon...

MONSIEUR MINUTTE.

Relevez-vous, Jeannette... Écoutez-moi, Madame du Hazard ; vous n’êtes pas méchante, vous, votre fils aime Jeannette.

MADAME DU HAZARD.

Mon fils aime Jeannette ?

CADET.

Qui, chère mère, je l’aime, et pour la vie encore.

MADAME DU HAZARD.

Est-il possible ?...

MONSIEUR MINUTTE.

Jeannette l’aime aussi.

JEANNETTE.

Oh ! c’est bien vrai, ça.

MONSIEUR MINUTTE.

Eh bien ! marions-les.

MADAME DU HAZARD.

Y pensez-vous, Monsieur Minutte ? Un homme comme mon fils épouser ma Servante !

MONSIEUR MINUTTE.

Ne vous oubliez pas, Madame du Hazard ; vous savez...

MADAME DU HAZARD.

Mais, Monsieur, elle n’a pas un sol de bien.

MONSIEUR MINUTTE.

Et les six cent livres que vous devez lui payer...

JEANNETTE.

Oh ! je n’en veux pas.

MONSIEUR MINUTTE.

Écoutez, je lui donne sa dot, moi.

MADAME DU HAZARD.

Vous ?

MONSIEUR MINUTTE.

Oui... J’ai dans ce moment une Charge d’Huissier à verges à vendre ; eh bien ! en faveur de ce mariage, j’en fais présent à Cadet.

MADAME DU HAZARD.

Tout de bon ?

MONSIEUR MINUTTE.

Oui, tout de bon.

MADAME DU HAZARD.

Mon fils, Huissier à verges !

MONSIEUR MINUTTE.

Y consentez-vous ?

MADAME DU HAZARD.

Si j’y consent ?... De tout mon cœur.

CADET.

Oh ! ma chère mère ! Monsieur ! ma Jeannette !

JEANNETTE.

Nous allons donc être mariés tout de suite !

CADET.

Oui, tu seras ma femme.

JEANNETTE.

Oh ! que j’en suis aise.

MADAME DU HAZARD.

Viens m’embrasser, Jeannette, et pardonne-moi ma petite vivacité.

JEANNETTE.

Est-ce que j’y peux songer encore ?

MONSIEUR MINUTTE.

Chut, voici Monsieur le Clerc.

 

 

Scène XIX

 

LE CLERC DU COMMISSAIRE, MONSIEUR MINUTTE, JEANNETTE, MADAME DU HAZARD, CADET

 

LE CLERC.

Аh ! Monsieur, je suis charmé de vous rencontrer ici. Vous allez voir que je n’ai rien négligé pour vous prouver tout le cas que je fais de vos recommandations... Eh bien ! Madame, avez-vous donné à cette pauvre enfant les six cent livres auxquelles elle a bien voulu restreindre les demandes.

MONSIEUR MINUTTE.

Oui, Monsieur ; et Jeannette est contente.

LE CLERC.

J’espère que ceci vous servira de leçon, et qu’à l’a venir vous serez un peu plus modérée.

MADAME DU HAZARD.

Je vous le promets.

LE CLERC, bas à Jeannette, lui donnant une clef en cachette.

Voilà la clef de la petite chambre... Prenez donc...

MONSIEUR MINUTTE.

Voulez-vous bien que je vous fasse tous mes remerciements de la chaleur avec laquelle vous avez daigné prendre las intérêts de cette pauvre Jeannette.

LE CLERC.

Je n’ai fait que mon devoir, Monsieur. Ne doit-on pas avoir compassion des pauvres filles ? Il est si doux de faire le bonheur d’une jeune personne !

MONSIEUR MINUTTE.

Aussi l’avez-vous fait, puisque, grâce à vos bontés pour elle, Madame consent à son mariage avec son fils.

LE CLERC.

Est-il possible ?

MONSIEUR MINUTTE.

J’espère que vous voudrez bien signer le contrat de mariage, et que, pour mettre le comble aux bontés que vous avez pour Jeannette, vous lui servirez de témoin.

JEANNETTE, lui rendant la clef.

Voulez-vous bien aussi que je vous remercie de la petite chambre.

LE CLERC, prenant la clef vivement.

Paix, paix... C’est moi qu’on joue, je crois... Je suis enchanté que tout se soit arrangé à l’amiable. Vous êtes bien maîtresse, Jeannette, de remettre à Madame les dommages auxquels je l’avais condamnée envers vous ; mais il faut absolument qu’elle paye l’amende des dix écus.

JEANNETTE.

Eh ! Monsieur, les voilà. Vous savez bien que c’est vous.

LE CLERC.

Taisez-vous donc... Allez, Jeannette, je veux aussi contribuer à votre bonheur. Je ne veux pas que rien trouble la paix d’un si beau jour. En faveur de votre mariage avec Monsieur Cadet, je remets à Madame son amende. C’est mon présent de noce.

JΕΑΝΝΕΤΤΕ.

Grâce à votre bonté et à votre compassion pour les pauvres filles.

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