Jeanne, reine d’Angleterre (Gautier de Costes, sieur de LA CALPRENÈDE)

Tragédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, en 1637.

 

Personnages

 

MARIE, Reine d’Angleterre

ÉLISABETH, Sœur de Marie

JEANNE, Reine d’Angleterre

GILFORT, Mari de Jeanne

LE DUC DE NORTHBELANT

LE DUC DE NOLFOK

LE COMTE DE CLOCESTRE

LE COMTE D’ERBY

LE COMTE D’ARONDEL

LE MARQUIS DE VINCESTRE

LE COMTE DE PEMBROX

ÉLÉONOR, suivante de Jeanne

LE CHANCELIER D’ANGLETERRE

LE CAPITAINE DES GARDES

UN ANGLAIS

LES SOLDATS

 

La Scène est à Londres.

 

 

À MONSIEUR L’ABBÉ D’ARMENTIÈRE

 

MONSIEUR,

 

L’estime dont je vous ai vu honorer cette pièce autorise en quelque façon, ou excuse tout à fait la hardiesse que je prends de vous l’offrir, et le dessein de satisfaire à la volonté de l’Auteur, m’impose l’heureuse et agréable nécessité de le faire. Car si feu Monsieur de la Calprenède avait jeté les yeux sur toute la France, il n’aurait pu rencontrer un plus digne appui de sa renommée, et de la gloire de son Poème. En effet, MONSIEUR, il serait difficile de trouver une personne dans la Cour dont l’esprit fut plus généralement estimé que le vôtre, de qui les lumières pénétrantes peuvent découvrir des taches dans les choses les moins défectueuses, et qui montrez que la jeunesse et la vertu ne sont pas incompatibles. Ainsi, MONSIEUR, j’ai fait deux choses, j’ai mis JEANNE dans la plus illustre protection qu’elle pouvait espérer, et je me suis acquitté de mon devoir, en vous témoignant que je suis,

 

MONSIEUR,

 

Votre très humble et très obéissant serviteur,

 

ANTOINE DE SOMMAVILLE.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LE COMTE DE CLOCESTRE, LE COMTE D’ARONDEL, UN ANGLAIS

 

LE COMTE DE CLOCESTRE.

Invincibles Anglais, peuple jadis fidèle,

Et maintenant ingrat, pardonnez à mon zèle,

Le devoir d’un sujet anime mon courroux,

Et de vos actions me fait rougir pour vous,

Oui peuple, je rougis de honte et de colère,

Et cette lâcheté si visible et si claire,

Qui vous laisse survivre à vos Princes trahis,

Me défend aujourd’hui d’avouer mon pays :

Cette fidélité si rare et si connue,

Par qui cette couronne autrefois maintenue,

Bravait, en sûreté ses plus grands ennemis,

Consent-elle aux forfaits que vous avez commis ?

Cependant qu’une femme abat ce grand courage,

Qu’un lâche usurpateur vous retient en servage,

Votre Reine campée au bout de vos fossés

Attend votre secours, et vous la repoussez ;

Elle vous tend les bras, vous somme et vous accorde

Ce que vous refusez de sa miséricorde.

Ô piété bannie ! ô foi que nous devons

Aux Princes souverains de qui nous relevons !

Ô Majesté jadis si sainte et si sacrée,

Faut-il que ta grandeur soit si peu révérée ?

Qu’un traître réussisse en ses lâches projets,

Qu’il s’arme contre toi de tes propres sujets,

Et que ceux que le Ciel a fait Dieux de la terre,

Soient chassés et bannis dans la seule Angleterre.

Je m’emporte, il est vrai, mais dans ce souvenir

À peine mes amis me puis-je retenir,

Quand cette trahison revient à ma mémoire,

Et que je suis témoin d’une action si noire,

Que je vous vois subir une honteuse loi,

Je ne vous connais plus, ou je vous méconnais :

En un mot de sujets si vaillants et si braves,

Par votre lâcheté vous vous rendez esclaves,

Et je croirais encor votre sort assez doux

Si vous n’étiez sujets d’un sujet comme vous :

Le Duc de Northbelant par ses trames perfides

Impose un joug honteux à vos âmes timides,

Élevant une femme à ce superbe rang,

Où son ambition veut élever son sang.

Sur sa tête coupable il a mis la couronne,

Et d’un commun accord le peuple la lui donne,

Il accepte le joug, et n’en murmure pas.

Ha ! vous deviez plutôt souffrir mille trépas,

Et pour ne perdre point votre gloire passée

Punir les déloyaux de la seule pensée,

Étouffer les auteurs de la rébellion,

Et couper en naissant la tête à ce Lyon :

Mais puisque du passé le repentir vous touche,

Comme mon compagnon l’a su de votre bouche,

Et comme votre front me le témoigne assez,

Vous pouvez réparer tous les crimes passés,

Implorer seulement la merci de la Reine,

Elle est juste, il est vrai, mais non pas inhumaine :

Allez sans craindre rien embrasser ses genoux,

Et vous en recevrez un traitement si doux

Que vous condamnerez vos dernières folies,

Qui dans vos repentirs seront ensevelies :

Si vous vous résolvez à deux doigts de la mort

Londres ne sera plus après ce grand effort,

Qui fera trébucher ses superbes murailles,

Qu’un théâtre sanglant de mille funérailles.

Amis opposez-vous à des malheurs si grands,

Conservez vos maisons, vos fils et vos parents,

Et ne permettez pas qu’une insolente armée

Avare de butin, et de meurtre affamée,

Dans les premiers transports d’une juste fureur

Remplissent vos maisons de misère et d’horreur,

Prévenez ce malheur, et courez au remède,

Pour moi dans ce besoin je vous donne mon aide,

Votre soumission détournera ce mal,

Et je promets à tous un pardon général.

LE COMTE D’ARONDEL.

Quand vous n’y seriez pas obligés de naissance

Votre salut dépend de votre obéissance,

Il faut suivre les lois qu’imposent des vainqueurs,

Ouvrez donc devant nous le secret de vos cœurs.

UN ANGLAIS.

Puisque je puis pour tous vous parler en ces termes,

Nos résolutions sont entières et fermes :

Seigneur quelque danger que nous puissions courir,

Dans nos premiers devoirs nous voulons tous mourir.

LE COMTE DE CLOCESTRE.

Je n’attendais pas moins de ces braves courages

Qui ramènent le calme après ces grands orages.

Oui si vous conservez ce généreux propos,

Vous allez recouvrer votre premier repos :

Mais fidèles sujets puisque le temps nous presse

Allez vous prosterner devant votre Princesse,

Témoignez à ses yeux votre fidélité,

Et ne permettez pas qu’elle entre en la Cité

Qu’elle n’ait de vos mains reçu cette Couronne,

Qu’après tous ses aïeuls la naissance lui donne,

Vous prendrez s’il vous plaît cette commission.

LE COMTE D’ARONDEL.

Je vais l’exécuter avec affection.

LE COMTE DE CLOCESTRE.

Tandis que pour couper la dernière racine

D’une rébellion qui penche à sa ruine,

Et prévenir des maux qui seraient éternels,

Je m’en vais de ce pas saisir les criminels :

Mais parce que le Duc n’est jamais sans escorte,

Donnez-moi des soldats pour me prêter main forte.

 

 

Scène II

 

LE MILORD GILFORT, JEANNE dans sa chambre

 

GILFORT.

Quoique le triste état où nos jours sont réduits

Puisse en quelque façon excuser vos ennuis,

Ma Princesse quittez un discours qui me tue,

Et que votre constance aujourd’hui s’évertue,

Je suis assez sensible à vos justes douleurs,

Sans que vous redoubliez ma peine par vos pleurs.

Et que vous témoignez qu’en perdant la Couronne

Vous ne regrettez rien que ma seule personne.

Ô de tous les honneurs de ma prospérité !

Le bonheur le plus grand et le moins mérité,

Indigne que je suis d’une amitié si forte

Dont le ressouvenir m’aveugle et me transporte,

Mais par cette beauté qui m’en veut honorer,

Souffrez que mon amour vous ose conjurer,

Avec tout son pouvoir et toute sa tendresse

De modérer un peu la douleur qui vous presse,

Nous n’avons pas perdu toute sorte d’espoir,

Puisqu’il nous reste encor le moyen de nous voir :

Et le Ciel qui connaît une amitié si rare

Nous donnera la mort avant qu’il nous sépare.

JEANNE.

Quoiqu’en me consolant tu penses m’obliger,

Tes consolations ne font que m’affliger.

Hélas ! je connais trop que notre heure est venue,

Que la justice enfin doit être reconnue,

Que le Ciel ne nous voit que d’un œil de courroux,

Et qu’il s’est justement déclaré contre nous.

Le sort qui m’éleva dans ce degré suprême

Me donna la Couronne, et me l’ôta de même,

Et ce trône périt ayant pour fondement

Avec l’ambition le crime seulement.

Héla ! quelle fortune à mon bien si contraire

Me rend si crédule aux Conseils de ton père,

Qui dessus ma grandeur le sienne bâtissant,

Abusa des bontés de mon âge innocent :

Que ne permit le Ciel que cette heure fatale

Où l’on me fit monter à la grandeur Royale,

Que mon front s’empara d’un insolent orgueil,

Eut été destiné à m’ouvrir le cercueil :

J’eusse été trop heureuse, et j’eusse rendu l’âme,

Sans infidélité, sans reproche et sans blâme,

Je serais à l’abri des injures du sort,

Et je ne craindrais pas une honteuse mort.

Voilà de mes regrets le sujet véritable,

Et si dans ma douleur je suis inconsolable,

Sache mon cher mari que bientôt le destin

Nous prépare à tous deux une tragique fin,

Dans les arrêts du Ciel notre perte est écrite,

Mes songes en dormant me l’ont cent fois prédite ;

Et mille visions de spectres et d’horreurs

Donnent à mon esprit de mortelles terreurs.

GILFORT.

Ces appréhensions condamnent de faiblesse

Les crédules esprits que cette crainte blesse,

Et vous devriez rougir d’avoir eu quelque peur,

Ou quelque affection pour un songe trompeur,

Ce n’est pas en effet que les cœurs les plus fermes

Ne fussent ébranlés de se voir en ces termes,

Et que le grand péril qui nous va menaçant

Pour vous intimider ne soit assez puissant,

La Princesse Marie à bon droit animée

Vient fondre sur nos bras avecque son armée

Ceux dont la lâcheté cédait auparavant,

La regardent déjà comme un Soleil levant,

Et toute l’Angleterre ayant pris l’épouvante,

Au seul bruit de son nom devient obéissante :

Il est vrai que tout cède, et que de toutes parts

Tous courent se ranger dessous ses étendards :

Mais il noue reste encor pour un dernier asile,

Et les meilleurs soldats, et la meilleure ville,

Le peuple soulagé par un règne assez doux,

Est déjà résolu de se perdre avec nous,

Et quand les ennemis connaîtront son courage,

Nous ferons notre paix avec plus d’avantage,

Ayant les Citoyens et des forces en main.

JEANNE.

Hélas ! que ton esprit est ridicule et vain,

Et que tu juges mal de ces armes si basses,

D’un Protée inconstant, d’un monstre à mille faces.

D’un faux Caméléon dont le corps décevant

Change en mille façons et se repaît de vent :

Le peuple a de tout temps cette lâche maxime

Qu’avecque la fortune il peut changer sans vivre,

Et qu’au moindre péril qui menace son sort,

Il doit suivre toujours le parti le plus fort,

Tu verras bientôt une nouvelle face,

Tu verras cette faible et vile populace

D’un ennemi plus fort embrasser les genoux,

Et faire en sa faveur ce qu’elle a fait pour nous.

GILFORT.

Voici le Duc Madame. Ô Dieu que ce visage

À nos afflictions sert de mauvais présage !

Quelle morne tristesse est peinte dans ses yeux.

 

 

Scène III

 

LE DUC DE NORTHBELANT, JEANNE, GILFORT

 

LE DUC DE NORTHBELANT.

Madame tout va mal.

JEANNE.

Je n’espérais pas mieux.

Et je connais trop la justice Céleste

Pour attendre du Ciel qu’un succès très funeste.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Madame il n’est plus temps de celer nos malheurs,

Au lieu de vous complaire et flatter vos douleurs,

Dans ces extrémités il faut que je vous die

Que l’État est perdu si l’on n’y remédie.

JEANNE.

Contre les coups du Ciel les remèdes sont vains,

De trop bons conseillers et de trop fortes mains,

D’une juste héritière embrassent la querelle.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Bien que tout le pays se déclare pour elle,

Que tous suivent déjà le parti le plus fort,

Si devez-vous encor faire un dernier effort.

JEANNE.

Hélas ! que puis-je faire en l’état où nous sommes ?

LE DUC DE NORTHBELANT.

Il est vrai que Marie avec trente mille hommes,

Et les plus grands Seigneurs à son parti rangés

Dans nos derniers remparts nous retient assiégés :

Mais de quelque rigueur que le sort nous outrage,

Il faut plutôt mourir que manquer de courage,

Et montrer que par là vous aviez mérité

Le sceptre et le bandeau que vous avez porté :

Quelques maux dont le Ciel afflige votre vie

Croyez que votre sort est plus digne d’envie,

Après ce grand éclat et ce superbe honneur,

Qu’ayant eu moins de gloire avec plus de bonheur.

JEANNE.

Ô funestes honneurs ! mais dites-moi de grâce

Dans cette extrémité que faut-il que je fasse ?

Il faut bien me résoudre à suivre vos avis,

Quoiqu’il faille périr pour les avoir suivis.

LE DUC DE NORTHBELANT.

De crainte que sur lui cette orage ne crève

Je doute que le peuple enfin ne se soulève :

Pour aller au-devant de ce coup important

Reprenez s’il se peut un visage content,

Et je vous conduirai dans la prochaine place

Pour remettre le cœur à cette populace ;

Là vous leur parlerez, là vous vous ferez voir,

Et vous les rangerez dans leur premier devoir :

Les visages des Rois ont un éclat auguste

Qui retient les esprits dans une crainte juste,

Et ce rayon secret de la Divinité

Imprime le respect avec la Majesté.

GILFORT.

C’est le meilleur conseil, quoiqu’on en puisse attendre,

Que la nécessité nous oblige de prendre,

Sans doute vos discours feront un grand effet.

JEANNE.

Je vous veux obéir comme j’ai toujours fait.

 

 

Scène IV

 

UN SOLDAT, JEANNE, GILFORT, LE DUC DE NORTHBELANT

 

LE SOLDAT.

Ha ! Seigneur.

JEANNE.

Je frémis.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Parle, dis qui t’amène.

LE SOLDAT.

Votre perte (Seigneur) et celle de la Reine,

La ville contre vous s’arme de tous côtés,

Et tous les Citoyens sont déjà révoltés.

JEANNE.

Enfin voici l’effet de toutes mes alarmes.

GILFORT.

Comment le savez-vous ?

LE SOLDAT.

Toutes les places d’armes,

Et tous les carrefours sont remplis de soldats.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Sais-tu le nom du Chef ?

LE SOLDAT.

On ne le nomme pas :

Mais d’un commun accord tout le peuple s’écrie,

Vive le sang Royal, et la Reine Marie.

JEANNE.

C’est ici que mon sort arrive au dernier point.

GILFORT.

Ma Reine, encor un coup ne désespérez point.

JEANNE.

Non, si je suis venue à mon heure dernière,

Croyez que sans regret je perdrai la lumière,

Vous me verrez sans crainte attendre le trépas,

Et si le Ciel le veut je n’en murmure pas.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Allons dans ce malheur déplorable et funeste

Tenter le seul moyen qui maintenant nous reste,

Par mes yeux seulement j’en dois être éclairci,

Madame en un moment nous revenons ici.

 

 

Scène V

 

JEANNNE, seule

 

Arbitre des humains, puissance souveraine,

Qu’on se sert vainement de la prudence humaine

Devant tes jugements si grands et si profonds,

Qui découvrant nos cœurs en pénètrent le fonds :

Bien que le plus souvent ta justice diffère

Aux crimes les plus noirs une peine exemplaire,

Ta foudre est toujours prête, et l’on travaille en vain

Pour détourner le coup de ta puissante main.

Dans la condition où je me vois réduite

Par le mauvais conseil de ceux qui m’ont séduite,

J’éprouve des malheurs qui nous font assez voir

Cette grande justice, et ce divin pouvoir :

L’autorité des miens m’a fait commettre un crime,

J’ai chassé d’un État la Reine légitime :

Mais si je le puis dire en cette extrémité,

J’eus moins d’ambition que de facilité ;

Le pouvoir absolu d’un époux et d’un père

Me firent embrasser une grandeur légère

Sue l’espoir incertain de mille faux appas,

Qu’on croit à la Couronne, et qu’on n’y trouve pas.

Charmeresse des sens, dangereuse Méduse ;

Vaine et folle grandeur dont l’éclat nous abuse,

Mer, qui toujours sujette à l’injure du temps

Ne nous peux présenter que des bonheurs flottants,

Inévitable écueil, fameux de cent naufrages,

Polipe, qui trahis sous mille faux visages,

Miroir, qui ne fais voir qu’un objet décevant,

Jouet de la fortune, ombre, chimère, vent,

Malheureux est celui se qui l’espoir se fonde

Sur votre vanité qui trompe tout le monde.

 

 

Scène VI

 

LE DUC DE NORTHBELANT, JEANNE, GILFORT

 

LE DUC DE NORTHBELANT.

J’avais toujours bien cru que ta légèreté

Te porterait enfin à cette lâcheté,

Peuple vil, peuple ingrat.

JEANNE.

Ô Dieu ! je suis perdue.

GILFORT.

Hélas ! c’est à ce coup que la ville est rendue,

Et que dans ce Palais nous sommes enfermés

Par un nombre infini de Citoyens armés,

Dont l’effort insolent ne respecte personne.

Mais j’entends un grand bruit dont le degré résonne.

 

 

Scène VII

 

LE DUC DE NORTHBELANT, LE COMTE DE CLOCESTRE, JEANNE, GILFORT

 

LE DUC DE NORTHBELANT.

Ha ! Comte, c’est donc vous ? cet abord m’est suspect,

La chambre de la Reine est un lieu de respect,

Où vous ne devez point entrer à main armée,

Si vous avez perdue la crainte accoutumée,

Et si vous n’oubliez ce que vous lui devez.

LE COMTE DE CLOCESTRE.

D’un injuste devoir nous sommes relevés,

Notre courage enfin ne peut plus se contraindre,

Il faut lever le masque, il n’est plus temps de feindre,

Vous demander un droit qu’on recevra de vous,

Vous êtes nés Anglais, et sujets comme nous.

JEANNE.

Ai-je déjà perdu le droit de Souveraine ?

Et ne croyez-vous plus parler à votre Reine.

LE COMTE DE CLOCESTRE.

Ha ! Madame, croyez que c’est bien malgré moi

Que je rends à l’État ces preuves de ma foi :

Mais vous pardonnerez au devoir qui m’ordonne

De m’assurer du Duc, et de votre personne.

GILFORT.

De sa personne, ô Ciel !

LE COMTE DE CLOCESTRE.

Et de la vôtre aussi.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Ha ! Comte, c’est donc vous qui nous traitez ainsi,

Et qui pour seconder une injuste querelle

Soulevez contre nous une ville rebelle,

Vous que j’ai toujours cru de nos meilleurs amis,

Vous nous avez trahis, et le Ciel l’a permis.

LE COMTE DE CLOCESTRE.

Si toujours sa justice éclate sur le crime,

Éprouvez-vous de mal qui ne soit légitime ?

Et pouvez-vous blâmer un fidèle sujet,

Qui n’ayant que son zèle, et l’honneur pour objet

Porté contre un tyran d’une équitable haine,

Arme des citoyens en faveur de sa Reine.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Comte, vous nous devez traiter modestement,

Et sans vous prévaloir d’un si grand changement,

Jugez combien du sort l’inconstance est extrême,

Et qu’en notre faveur il peut changer de même.

LE COMTE DE CLOCESTRE.

J’ai pour votre infortune une extrême douleur,

Mais je puis seulement plaindre votre malheur,

Et vous faire aujourd’hui prisonnier de la Reine.

GILFORT.

Il nous faut donc mourir.

LE COMTE DE CLOCESTRE.

La résistance est vaine.

Entrez dans cette chambre ou bien résolvez-vous

De tomber à nos pieds percé de mille coups.

Madame contre tous je vous prends à ma garde.

JEANNE.

Comte souvenez-vous que le Ciel vous regarde,

Que vous avez failli contre votre devoir,

Et que je puis rentrer dans mon premier pouvoir.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

MARIE, LE DUC DE NOLFOC, ÉLISABETH, LE COMTE DE CLOCESTRE

 

MARIE.

Le Ciel qui m’a rendu la fortune prospère,

Me guidant par la main au trône de mon père,

Qui me fait réussir dans de si grands projets,

Et me redonne enfin tant d’illustres sujets,

Lui qui force pour moi toute sorte d’obstacles,

Et qui pour la justice a fait tant de miracles,

Ne me peut empêcher de me ressouvenir

Que c’est de vous aussi que je dois tout tenir.

Oui, la reconnaissance aujourd’hui me l’ordonne,

C’est de vous et du Ciel que je tiens la Couronne,

Que je veux recevoir et du Ciel et de vous

Pour vous voir plus heureux sous un règne plus doux.

Un beau jour à la fin dissipe nos tempêtes,

La paix va ramener le calme sur vos têtes,

On verra la vertu du vice triompher,

Et rendre un siècle d’or pour un siècle de fer.

De mes prédécesseurs la sanglante mémoire,

Qui dans les cœurs Anglais est encore si noire,

Tant de lâches partis, et tant de trahisons,

Qui comblèrent d’horreur nos illustres maisons,

Disparaissent d’un Ciel plus serein et plus calme,

Et vos tristes Cyprès se vont changer en palme.

Oui, fidèles sujets, j’ai le Ciel pour témoin,

Que le soin de mon peuple est mon unique soin,

Et que plus que mon bien votre repos m’inspire

De prendre de vos mains les rênes de l’Empire ;

Aussi ne craignez point que mon cœur offensé

Garde le souvenir de ce qui s’est passé,

Et qui veuille punir par une tyrannie

Une rébellion que vous avez punie.

Non, je n’abuse point d’un absolu pouvoir

Sur un peuple qui craint, et rentre en son devoir :

Soyez donc assurez des bontés d’une Reine,

Qui ne reçoit de vous la grandeur souveraine,

Que pour vous témoigner par sa protection,

Et sa reconnaissance, et son affection.

LE DUC DE NOLFOC.

Retiré par vos mains d’une prison barbare,

J’éprouve le premier une bonté si rare,

Et je dois le premier à votre Majesté

Le serment solennel de ma fidélité :

Souffrez donc qu’à vos pieds je consacre une vie

Que je croirai toujours heureusement ravie,

Si le Ciel me permet de la perdre pour vous.

MARIE.

Les bonnes volontés que vous avez pour nous

Pour n’être pas ingrats nous rendent redevables,

Et ceux de votre rang nous sont considérables.

Et vous, dont le courage et la fidélité

Ne peuvent obtenir le loyer mérité,

Vous dont la main hardie a puni les rebelles :

Comment puis-je payer des actions si belles ?

Comment récompenser cette haute vertu,

Qui relève l’éclat d’un Empire abattu ?

LE COMTE DE CLOCESTRE.

Madame ce discours me tient la bouche close,

Et pour le mériter j’ai fait si peu de chose,

Que votre Majesté me contraint d’avouer

Que sa rare bonté ne se peut trop louer,

Et qu’à moi seul ma main rend un si bon office,

Puisque vous faites cas de si peu de service.

MARIE.

Vous n’aurez pas sujet de vous plaindre de moi,

Qui le veux reconnaître ainsi que je le dois.

Mais dites-nous l’état de ces Princes coupables,

Que leur ambition a rendu misérables ?

Comment les traitez-vous depuis ce changement ?

LE COMTE DE CLOCESTRE.

J’ai suivi de tout point votre commandement,

Et leur ayant donné des prisons séparées,

J’ai moi-même choisi des gardes assurées,

De qui je puis répondre à votre Majesté.

MARIE.

Ô maximes d’État ! qui choquez ma bonté,

Que ne relâchez-vous de cette loi sévère,

Qui porte à la rigueur mon humeur débonnaire ?

Et pourquoi maintenant ne me permettez-vous

De faire à ces ingrats un traitement plus doux ?

ÉLISABETH.

Ils ne peuvent souffrir qu’un malheur légitime,

Et si le traitement se mesure à leur crime :

Si vous les punissez d’une mort seulement,

Certes votre pitié les traite doucement.

MARIE.

Croyez ma chère sœur qu’une âme généreuse

Ne peut s’enorgueillir d’une fortune heureuse,

Et qu’il est messéant de regarder sans pleurs

Ses plus grands ennemis dans de si grands malheurs,

Du sommet élevé d’une inconstante roue,

Dont le cours éternel des Empires se joue,

Et traite également, sans mérite et sans choix,

Les ignobles Pasteurs, et les superbes Rois :

Il est bien malaisé de regarder leur chute

Sans regarder les coups où nous sommes en butte,

Puisque la même main qui les a terrassés

Nous peut remettre encor dans nos malheurs passés.

ÉLISABETH.

N’appelez pas leur chute une chute commune,

Elle est un coup du Ciel, et non de la fortune

Et ne les traitez pas comme des ennemis

Que le sort du combat à vos pieds eût soumis,

Qui se seraient armés dans une juste guerre

Pour conserver leurs droits, ou défendre leur terre :

Mais comme des sujets traîtres, lâches, ingrats,

Indignes d’un pardon qu’ils ne prétendent pas,

Le temps a-t-il sitôt de votre âme effacées,

Et leur rébellion, et nos peines passées,

Et dans ce changement ne vous souvient-il plus

De ce que vous étiez, et de ce que je fus :

Aussitôt qu’Édouard eut perdu la lumière,

On suscite à nos yeux cette belle héritière :

Le Duc de Northbelant ingrat, et déloyal

L’élève insolemment sur le trône Royal,

Assemble les États, les contraint à l’hommage,

Tandis que pour nous mettre à l’abri de l’orage,

Et chercher à nos jours un peu de sûreté,

À peine trouvons-nous un endroit écarté ?

À peine dans le sein de toute l’Angleterre

Trouvons-nous pour asile, un petit coin de terre ?

Ô mémoire honteuse à cet ingrat pays !

Mais sans être contents des sceptres envahis,

Les filles de Henry honteusement bannies

Leur semblèrent encor trop doucement punies,

Il fallait redoubler des maux si violents

Par des arrêts cruels, par des édits sanglants,

Qui souillaient notre nom d’opprobres, et de crimes,

Et qui nous déclaraient filles illégitimes,

Indignes pour jamais de la succession.

Madame pardonnez à cette passion,

À ce ressouvenir il faut que je m’emporte,

Tandis que vos sujets vous traitaient de la sorte.

Vous n’aviez de recours dans de si grands malheurs

Que de lever au Ciel vos yeux mouillés de pleurs :

Et le Ciel à la fin fut touché de vos larmes

Contre vos ennemis il nous donna des armes,

Et presque en un moment il les précipita

De ce faîte, insolent, où leur orgueil monta.

Maintenant que sa main met en votre puissance,

Ceux qui vous ont traitée avec tant d’insolence,

Pouvez-vous plus longtemps porter d’un même front

Le noir ressouvenir d’un si sensible affront.

MARIE.

Le Duc de Northbelant est vraiment très coupable,

Et dans les actions il n’est point excusable,

Aussi ne dépend-il que des Seigneurs Anglois,

De soumettre son crime à la rigueur des lois.

Je ne veux procurer ni sa mort, ni sa grâce,

Mais que sans passion la justice se fasse :

Le Ciel qui me remet dans un degré si haut

Veut que sa volonté s’observe comme il faut,

Que sur mes intérêts la justice l’emporte,

Et qu’enfin l’équité soit toujours la plus forte :

Mais ce qui plus m’afflige, et qui dans ce malheur

Me contraint de mêler ma tristesse, à la leur,

C’est le sort pitoyable et la triste aventure

D’un des plus beaux objets qu’ait produit la Nature,

D’une jeune Princesse à qui l’âge innocent

Fit commettre une faute en leur obéissant,

Oui, sa seule bonté la rendit criminelle,

Elle fut trop crédule, et non pas infidèle,

Aussi cette raison me lui fait accorder

Ce que par un des siens elle a fait demander.

Puisqu’elle le désire il faut que je la voie.

ÉLISABETH.

C’est abuser des biens que le Ciel vous envoie.

MARIE.

Le Comte d’Arondel l’amène devant nous

Traitez-la comme il faut.

 

 

Scène II

 

MARIE, JEANNE

 

MARIE.

Madame levez-vous.

JEANNE.

Non, Madame, souffrez qu’une de vos sujettes.

MARIE.

Non, je n’écoute rien en l’état où vous êtes,

Je connais votre rang, et votre qualité :

Levez-vous.

JEANNE.

J’obéis à votre Majesté.

Madame cette juste et divine puissance,

Qui remet cet État sous votre obéissance,

Et par un coup du Ciel vous a sitôt rendu

Le bien qu’on usurpait, et qui vous était dû :

Cet esprit qui pénètre aux fonds de mes pensées,

Qui connaît l’avenir, et les choses passées,

Qui lit dans votre cœur, et dans le mien aussi,

Connaît bien le dessein qui me conduit ici,

Je le conjure aussi par sa bonté suprême

De faire qu’à mon front vous le jugiez de même,

Ou qu’il vous fasse voir au-dedans de mon cœur

Quel est le sentiment que j’ai de mon malheur,

Si l’on peut écouter une bouche coupable,

Si je puis être encor criminelle, et croyable,

Et si vous ne jugez, ou que mon repentir,

Ou que mon intérêt m’obligent à mentir,

Madame que le Ciel, s’il est encor possible,

Ajoute à mes malheurs un malheur plus sensible,

Si le regret que j’ai me vient d’avoir perdu

Le sceptre que j’avais, et qu’il vous a rendu.

Non, Madame, jamais je ne me suis fondée

Sur une Royauté que j’ai si peu gardée,

Et j’ai toujours prévu dans mon aveuglement

Qu’elle durerait peu sur un tel fondement.

Quelque vaine grandeur dont je fusse charmée,

J’ai jugé que bientôt elle irait en fumée.

Aussi je perds bien peu lorsque je perds le bien,

Qui fut vôtre en naissant, et ne fut jamais mien :

Bien loin de soupirer après votre Couronne,

Je bénis avec vous la main qui vous la donne,

Et me veux soulager par sa rare bonté

D’un fardeau si pesant, et si peu mérité :

Tout le regret que j’ai c’est de m’être approchée

De ce Trône élevé, dont je suis trébuchée,

Et d’avoir aux dépens de votre Majesté

Offensé mon devoir, et ma fidélité.

Oui, Madame, croyez que je mourrais contente

Si j’avais le bonheur de mourir innocente,

Et que si je pouvais revenir à ce point

Dans mes autres malheurs je ne me plaindrais point :

Mais puisque maintenant il ne m’est pas possible,

Et que pour la nier ma faute est trop visible,

Que l’honneur et le sang m’empêchent d’accuser

Ceux de qui le pouvoir me pourrait excuser,

Je n’abuserai point d’une douceur extrême,

Qui m’écoute, me voit, et me souffre de même,

Et je confesserai que mon ambition

Est digne de reproche, et de punition,

Que je suis criminelle, ingrate, déloyale,

Et qu’ayant usurpé la dignité Royale,

Cette marque suprême, et cet auguste nom,

Je ne puis mériter ni grâce, ni pardon :

Mais si le souvenir de ma faute passée

Me peut encor permettre une telle pensée,

Du moins que cet espoir ne me soit pas ôté,

Qu’on aura quelque égard à notre qualité,

Et que je pourrai perdre une coupable vie

Sans que ma mort de honte, et d’opprobre suivie

Fasse finir mes jours avec indignité,

C’est tout ce que j’attends de votre Majesté.

MARIE.

Bien que dans mon esprit votre sort déplorable

Imprime pour vos maux un regret véritable,

Que parmi les grands cœurs il ne soit pas permis

De fouler lâchement ses plus grands ennemis,

Et redoubler encor leur mauvaise fortune

D’un reproche insolent, et qui les importune :

Ne trouvez pas mauvais que sans aucune aigreur

Devant vous seulement je décharge mon cœur,

Et que je vous remette aux yeux de la pensée,

Sans haine et sans courroux votre faute passée,

Et sans aucun dessein d’aggraver vos malheurs,

Puisque je participe à vos justes douleurs.

Ce démon ennemi du repos de nos âmes,

Qui souffle dans nos cœurs ces dangereuses flammes,

Et qui le prévenant de mille passions

Dérobe à notre esprit toutes ces fonctions.

Ce monstre qui nous charme, et dont l’âme aveuglée,

Suit une ambition trompeuse, et déréglée,

S’était-il tellement emparé de vos cœurs

Qu’il ne vous permit point de prévoir vos malheurs ?

Et qu’il est dessus nous des puissances plus hautes

Qui lisent dans nos cœurs, et punissent nos fautes,

Vous faisant embrasser un bien pernicieux,

Pour les événements vous fermait-il les yeux ?

Et ne jugiez-vous point que cette félonie

Ne pouvait pas longtemps demeurer impunie ?

Que quand tout l’Univers en serait diverti,

Le Ciel à son défaut prendrait notre parti.

Ha ! Madame, pour lors était-il bien possible

Qu’à ce raisonnement vous fussiez insensible,

Et pussiez consentir à cette trahison

Sans laisser un moment agir votre raison.

Pourquoi ce bel esprit que tout le monde estime

Ne pouvait-il prévoir sa perte dans ce crime,

Et que vos Conseillers prononçaient votre arrêt,

Non pas pour votre bien, mais pour leur intérêt ?

Je veux bien avouer, puisqu’il est véritable,

Que de votre malheur vous êtes moins coupable,

Ayant eu seulement trop de facilité,

Que l’ayant entrepris de votre volonté :

Je sais que les conseils d’un insolent beau-père

Mirent dans votre esprit ce dessein téméraire,

Et que ce Duc ingrat régnait absolument,

Lorsque vous ne régniez que de nom seulement :

Vous ne saviez trouver de prétexte valable.

Non, ne l’excusez point, il n’est point excusable,

Et vous vous feriez tort de défendre un parti

Où contre votre humeur vous avez consenti.

JEANNE.

Si votre Majesté permet que je réponde,

Je dirai les raisons qui payaient tout le monde,

Bien que par le succès il soit pernicieux,

Le prétexte, Madame, est asses spécieux,

Et pourrait abuser une âme un peu grossière :

Édouard en mourant me fit son héritière,

Et dans son testament il ne nomma que moi,

Le Duc exécuta la volonté du Roi,

Peut-être il en fit trop en couronnant sa fille,

Pour élever plus haut l’éclat de sa famille,

Puisque notre alliance allait déjà mêlant

Les maisons de Sulfoc, et de Northbelant,

Mais.

MARIE.

Comment Édouard, et par quelle maxime

Peut-il ravir ses droits à sa sœur légitime ?

Et quelle est cette Loi qui peut autoriser

L’injuste procédé dont il voulut user ?

Non, ne défendez plus une injuste querelle,

Vous fûtes bonne fille, et lui père infidèle :

Mais si vous désirez quelque chose de nous,

Sans nous parler de lui, demandez-la pour vous.

JEANNE.

C’est un commandement qui me ferme la bouche,

Mais puisque pour nos maux quelque pitié vous touche,

Pourrai-je sans rougir de ma témérité,

Demander une grâce à votre Majesté :

Oui, puisque sa bonté m’en permet la demande,

Je la veux supplier d’une chose assez grande,

Mais qui ne saurait nuire au bien de son État,

Et qui ne tombe point dans un esprit ingrat ;

Dans l’étroite prison où je suis retirée,

De mon pauvre mari je me vois séparée,

Que votre Majesté m’accorde ce pouvoir

Qu’avant notre trépas nous nous puissions revoir,

Et si vous l’approuvez, que par votre ordre il vienne

Sous la garde qu’il a de sa chambre à la mienne.

Madame c’est un bien que j’espère de vous,

Et que notre amitié vous demande à genoux.

MARIE.

Bien que dans la coutume et l’État où vous êtes,

On accorde fort peu de semblables requêtes

Pour divers accidents qu’elles pourraient causer :

Je n’ai point le pouvoir de vous le refuser.

Comte je vous remets le soin de cette affaire,

En tout ce qui se peut tâcher de lui complaire,

Et traitez-la toujours selon sa qualité.

Pour vous espérez tout de ma facilité,

Et que pour vos malheurs n’étant pas insensible,

Je vous veux obliger autant qu’il m’est possible.

JEANNE.

Je ne méritais pas un traitement si doux,

Doncques sur cet espoir, je prends congé de vous ;

Et conjure le Ciel de vouloir reconnaître

Cette rare bonté que vous faites paraître

Et qu’un règne si doux soit à jamais heureux,

Puisque mon impuissance a seulement des vœux.

MARIE.

Quelque infidélité qui te soit reprochée,

Je ne le puis nier, mon âme en est touchée,

Et déjà la pitié qui me parle pour toi,

M’en a fait oublier mes intérêts et moi ;

Mais toute la journée en affaire passée,

En ces longs entretiens m’ont tellement lassée,

Que je m’en vais tandis que le temps le permet

Prendre un peu de repos dedans le cabinet.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

JEANNE, ÉLÉONOR

 

JEANNE, dans sa prison.

Après ce changement, après ce coup de foudre,

Ma constance à la fin il faut bien se résoudre,

Ma raison qui revient t’oblige à revenir

Pour chasser de mon cœur l’importun souvenir

Qui vient entretenir une coupable pensée

Du vain ressentiment de ma gloire passée,

Quitte-moi ma mémoire, et ne compare plus

L’état où je me vois à l’état où je fus :

N’afflige plus une âme assez persécutée,

Et fuis l’ambition qui m’a déjà quittée :

Que mes malheurs sont grands pour des bonheurs si courts,

Et que s’achève bien un règne de dix jours.

ÉLÉONOR.

Madame quelqu’un entre, et si j’ai bonne vue,

C’est le Prince Gilfort, je ne suis point déçue.

 

 

Scène II

 

GILFORT, JEANNE

 

GILFORT.

La Reine me permet de venir en ce lieu

Pour vous dire, Madame, un éternel adieu,

Et pour vous témoigner le regret qui me reste

De vous avoir réduite en cet état funeste.

Mais, hélas ! quelque Amour qui m’y puisse porter,

Madame avec quel front me puis-je présenter ?

Ou plutôt de quel œil supportez-vous la vue

De celui qui vous perd, ou qui vous a perdue ?

Non, quelque naturel si clément et si doux,

Quelque rare bonté que je connaisse en vous,

Je crains que mon espoir ne soit pas légitime,

Si j’espère de vous le pardon de mon crime,

Si vous eussiez plutôt choisi cette prison

Que notre infortunée, et fatale maison,

Si vous eussiez reçu le plus vil de la terre

Dans le plus noble sang de toute l’Angleterre,

Pardonnez ce discours à mon ressentiment,

Vous ne gémiriez pas sous un tel changement,

Vous braveriez le sort qui vous a combattue,

Et je serais exempt du remords qui me tue,

Ah ! Dieu se peut-il bien qu’à ce ressouvenir

Cette faible prison te puisse retenir,

Âme lâche, âme ingrate, et que tu ne t’envoies

Pour suivre dans les airs ces dernières paroles.

Ah ! Madame, il est vrai que je manque d’amour,

Puisque dans le remords je conserve le jour,

Et que je fais paraître au destin qui me brave

La naissance d’un Prince, et le cœur d’un Esclave.

JEANNE.

Il est vrai, cher époux, que vous manquez de cœur,

Puisque vous succomber à ce dernier malheur,

Et que votre vertu que je croyais plus forte

Ne modère pas mieux le deuil qui vous emporte.

Certes, c’est mal user du reste de nos jours,

Que d’aigrir nos douleurs d’un semblable discours,

Et si mon amitié vous est considérable,

Vous devez mieux traiter un amour si durable :

Cet abîme de maux, et ces adversités

Où le courroux du Ciel nous a précipités

La perte de ces biens, et de cette Couronne,

Que presque en même temps sa main m’ôte et me donne.

Les malheurs de ma chute, et ceux de ma prison

Ne me feront jamais haïr votre maison,

Vous me fûtes trop cher, et je fais trop d’estime

Des bonheurs innocents d’une amour légitime,

Quelques maux que ce lieu me fasse ressentir

Pour souffrir dans mon âme un lâche repentir.

Oui, croyez qu’une flamme et si sainte, et si pure

Par les coups du malheur ne reçoit point d’injure,

Et que jusqu’au moment qui finira mes jours,

Ce cœur qui vous aima, vous aimera toujours.

Je considère en vous une chose plus haute

Que ces vaines grandeurs que la fortune m’ôte,

Et le sceptre pour moi n’eût jamais rien de doux

Que pour en partager les douceurs avec vous.

GILFORT.

Déités qui d’en haut écoutez ce langage,

Ne me permettez pas de vivre davantage,

Et faites par un coup digne d’elle, et de vous

Que pour mourir content, je meurs à ses genoux.

Ah ! Madame, à ce coup il faut que je confesse

Devant votre hauteur mon extrême bassesse,

Et que cette vertu que dans mon intérêt

Je ne connus jamais si parfaite qu’elle est,

Au lieu de consoler mon amoureuse flamme,

Me met le désespoir, et la rage dans l’âme.

Oui, cette inviolable, et constante amitié

Me tue en même temps d’amour, et de pitié,

Et je ne puis songer au moment qui sépare

Un esprit si divin d’une beauté si rare,

Sans prévenir le coup de mille et mille morts.

JEANNE.

La vertu vous oblige à de plus grands efforts,

Et si vous aviez su les discours de la Reine,

Vous jugeriez encor notre perte incertaine.

Après m’avoir reçue avec civilité,

Elle m’a donné rang selon ma qualité,

Et m’ayant écoutée avecque patience,

Après une assez longue et paisible audience,

Elle m’a fait sa plainte assez modestement,

Et m’a fait espérer un meilleur traitement.

GILFORT.

Ah ! Madame, étouffer cette vaine espérance,

Et ne vous flattez plus d’une fausse apparence

Si je n’avais tant vu de signes évidents,

D’un cœur victorieux de tous les accidents,

Et que vous démentez en grandeur de courage

À ma confusion, votre sexe, et votre âge,

Je ne vous ferais pas de funeste rapport,

Ceux qui vous ont flattée, ont conclu votre mort,

Et la civilité que vous avez reçue

De qui les faux appas vous ont si tôt déçue,

Outre qu’on la devait à votre qualité

Témoigne leur adresse, et non pas leur bonté :

Cette nouvelle Reine eût été mal instruite,

Si dans cette grandeur, où le sort l’a conduite,

Et dans le propre jour de son couronnement 

Vous eussiez reçu d’elle un mauvais traitement :

Lorsqu’un Prince commence à porter la couronne

On reçoit aisément l’impression qu’il donne

Et lors pour attirer le cœur de ses sujets,

Il charme leur esprit de mille faux objets,

Et les éblouissant d’une adroite malice,

Il cache ses défauts, et déguise son vice

Pour empêcher le peuple à son avènement,

De craindre son humeur, et son gouvernement.

C’est par cette raison que la Reine vous traite

À ce premier abord en illustre sujette :

Mais sa bonté contrainte avec ce feint respect

Me rend de plus en plus son procédé suspect.

Je connais bien Marie ; elle n’est pas si bonne,

Outre qu’elle est d’un sang qui jamais ne pardonne,

Et que son naturel n’est pas encor guéri

Des cruelles leçons de son père Henry.

Et quand pour nos malheurs, ce qui n’est pas croyable,

Cet esprit orgueilleux se rendrait pitoyable,

Madame quel espoir nous peut être permis,

Puisque ses Conseillers sont tous nos ennemis ?

Si le Duc de Nolfoc possède son oreille,

Jugez si ce cruel nous rendra la pareille,

Et s’il peut oublier les maux de sa prison

Contre le Duc mon père, et contre sa maison.

Après tant de raisons, considérez, Madame,

Quel espoir désormais peut rester dans votre âme,

Et si sans vous flatter par un déguisement

Je puis dissimuler mon juste sentiment,

Non de quelque regret que ce discours me touche,

L’arrêt de votre mort doit sortir de ma bouche,

Et ma fidélité vous croirait offenser,

Si je craignais encor de vous le prononcer.

JEANNE.

Si le maître des Rois l’ordonne de la sorte,

Vous connaîtrez (Monsieur) ma constance assez forte.

Et que sans murmurer je sais voir d’un même œil

Les présents qu’on me fait d’un sceptre ou d’un cercueil :

Que si mon cœur se trouble en ce départ funeste,

Jugez, mon cher mari, du regret qui me reste,

Et si considérant l’état où je vous vois

Je verse quelques pleurs, jugez s’ils sont pour moi,

Si pour moi je m’afflige, et si...

GILFORT.

Cessez, Madame,

Un discours qui me blesse au plus vif de mon âme,

J’atteste devant vous le pouvoir souverain

De qui nous ressentons la justice, et la main,

Et lui fais de bon cœur mille ardentes prières,

Que ma mort seulement commence mes misères,

Et qu’après mon trépas cet esprit criminel

Souffre dans les enfers un tourment éternel.

Si mon malheur prochain m’afflige ou m’épouvante,

Pourvu que par le mien vous en soyez exempte.

Que le mal tombe tout sut ce coupable front,

Et que pour vous sauver : Mais on nous interrompt.

 

 

Scène III

 

LE COMTE D’ARONDEL, JEANNE, GILFORT

 

LE COMTE D’ARONDEL.

Madame je sais bien que je vous importune,

Mais croyez qu’avec vous je plains votre infortune,

Et que c’est à regret que je fais mon devoir,

Je remène Monsieur, la Reine le veut voir.

GILFORT.

La Reine me veut voir ?

LE COMTE D’ARONDEL.

Oui, la Reine elle-même.

JEANNE.

En me l’ôtant si tôt sa rigueur est extrême.

LE COMTE D’ARONDEL.

Madame vous pourrez le revoir aujourd’hui.

Vous plaît-il de partir ?

GILFORT.

Oui, Monsieur, je vous suis,

Puisqu’on me le commande il faut que j’obéisse,

Mais que j’aille à la Reine, ou que j’aille au supplice,

Du moins ce bien me reste après tant de malheurs,

Que vivant je suis vôtre, et que vôtre je meurs.

JEANNE.

Et moi. Mais la douleur dont ce départ me touche,

Empêche les adieux qui sortaient de ma bouche,

Et m’a presque ravi l’usage de la voix.

Hélas ! je l’ai revu pour la dernière fois,

Et j’ai lu dans ses yeux, et dessus son visage

De sa perte prochaine un tragique présage :

Mais la force me manque, et mon corps s’affaiblit,

Ma chère Éléonor menez-moi sur mon lit.

 

 

Scène IV

 

LE DUC DE NOLFOC et LES BARONS ANGLAIS

 

LE DUC DE NOLFOC.

Puisqu’il faut maintenant, ô mon souverain Juge !

En qui mon innocence a trouvé son refuge

Dans les malheurs communs de notre nation,

Protestez devant vous de mon intention :

Je conjure du moins cette grande justice,

Que pour les criminels je souffre le supplice,

Sans espérer un jour aucun trait de pitié,

Si je me souviens plus d’aucune inimitié,

Et si la passion de nos vieilles querelles,

Qui met dans nos maisons des haines éternelles,

M’empêche de juger avec cette équité,

Dont je dois rendre compte à votre Majesté

Dans le haut Tribunal où ma charge m’amène,

Et le désir que j’ai d’obéir à la Reine.

Je vous protesterai que s’il m’était permis

Je me déporterais du soin qu’on m’a remis,

Et serais très content que quelqu’un de vous autres,

De qui les intérêts sont moindres que les nôtres,

Qui dans ceux de l’État ne mêle point les siens,

Occupât aujourd’hui la place que je tiens :

Mais puisqu’à ce dessein la Reine est résolue,

Et qu’on ne peut choquer sa puissance absolue,

Selon ma conscience, et selon mon pouvoir,

Je suivrai vos avis, et ferai mon devoir.

 

 

Scène V

 

LE CHANCELIER D’ANGLETERRE, LE DUC DE NORTHBELANT, LE DUC DE NOLFOC, LE MARQUIS DE VINCETRE, LE COMTE DE CLOCESTRE, GILFORT

 

LE CHANCELIER.

De par l’autorité Royale et souveraine,

Et le commandement que j’en ai de la Reine,

Très illustres Barons, je dirai devant vous

Le sujet qui vous mène, et que vous savez tous.

Le respect qui se doit à nos lois anciennes

Oblige ce Royaume à conserver les siennes,

Et les formalités qui des siècles plus vieux,

Viennent de père en fils de nos premiers aïeux,

Vous avez conservé soit en paix, soit en guerre

Ce droit qui n’appartient qu’aux Barons d’Angleterre,

De juger des Seigneurs de votre qualité,

Même les criminels de lèse Majesté.

Le Duc de Northbelant accusé de ce crime

Doit recevoir de vous un arrêt légitime,

Son fils est devant vous pour les mêmes excès,

Et vous êtes ici pour faire leur procès :

Mais parce que la loi que nous avons pour guide

Commande qu’un de vous sur les autres préside,

La Reine par ma bouche ordonne expressément

Que le Duc de Nolfoc préside au jugement.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Je n’espérai jamais, mes Juges équitables ;

Que la faveur du Ciel assistât les coupables,

Et que je pusse encore implorer la bonté,

Et des Barons Anglais, et de sa Majesté.

Mais parmi tant de maux, et dans un précipice,

Où l’on m’a vu tomber avec tant de justice

Dans les remords d’un crime et l’horreur du trépas.

J’ai ressenti des coups que je ne craignais pas.

Non, jamais cette peur ne vint à ma pensée,

Quoi qu’on peut redouter d’une Reine offensée,

Qu’on eut voulu traiter avec indignité

Un Prince de mon âge, et de ma qualité,

Et je ne crus jamais qu’une si juste Reine

Eut encore ajouté cette honte à ma peine

De voir le plus cruel de tous mes ennemis

Élevé sur un trône où ma chute l’a mis,

Qu’elle eut remis ma tête en des mains si cruelles,

Et le couteau Royal pour venger ses querelles.

Si le Duc de Nolfoc n’a pu par le passé

Punir un ennemi qui l’avait offensé,

La Reine, et son malheur lui donnent la matière :

D’assouvir contre lui sa rage toute entière,

Et le pied sur la gorge il lui peut aujourd’hui

Reprocher à sa mort qu’il se venge de lui.

Ah ! certes, quelque crime, et quelque grande offense,

Dont on m’ait vu choquer la Royale puissance,

La Reine pouvait bien me punir autrement,

Et je méritais d’elle un autre traitement.

J’ai failli, je l’avoue, et je suis punissable,

Mais on sait qui je suis, bien que je sois coupable,

Les marques dont ce corps n’est pas encor guéri,

Le sang que j’ai perdu pour son père Henry,

Mon illustre naissance, et ce poil qui grisonne

Dans les plus hauts degrés qui suivent la Couronne,

Et mille autres raisons la devaient obliger

À choisir parmi vous quelqu’un pour me juger.

LE DUC DE NOLFOC.

Bien que vous nous donniez une preuve assez forte

Que dans votre discours la haine vous emporte,

Et que dans un état si digne de pitié

Vous persistez encor dans votre inimitié,

J’aurai bien le pouvoir de retenir ma langue

Contre les traits piquants d’une injuste harangue,

Et ne vous ferai point des serments superflus,

Que pour nos démêlés il ne m’en souvient plus :

Pour me justifier il suffit que la Reine

Qui nous connaît tous deux, et qui sait votre haine,

Entre tant de Seigneurs de même qualité

M’ait donné cet honneur contre ma volonté.

Mais puisque sa grandeur m’en a jugé capable,

Envers sa Majesté je me rendrais coupable,

Si commis à juger des intérêts plus grands,

Je ne parlais ici que de nos différents.

Donc puisque ce courroux ne sert qu’à vous confondre,

Que je dois demander, que vous devez répondre,

Dans ma commission ne m’interrompez plus,

Et lavez-vous ici de ce qu’on vous met sus.

Vous êtes accusé d’avoir trahi la Reine,

Et que pour envahir la grandeur souveraine

Après la triste mort de notre défunt Roi,

Contre le droit Divin, et contre votre foi,

Vous étant allié par le nœud d’Hyménée,

Vous avez mené Jeanne, et l’avez couronnée :

Que vous avez de plus porté ce jeune esprit

À faire prononcer ce rigoureux édit

Qui chassant les deux sœurs de leur natale terre,

Les privait pour jamais du sceptre d’Angleterre,

Et que depuis le jour de son couronnement

Elle a toujours suivi vos conseils seulement.

Un peuple qui se plaint de votre tyrannie

Vous accuse aujourd’hui de cette félonie :

C’est à vous maintenant à répondre pour vous,

Et de vos actions vous purger devant nous.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Esprit du grand Henry, dont la haute mémoire

Règne encor dans mon cœur avecque tant de gloire,

Regrette dans le Ciel l’état où tu me vois

Pour t’avoir obéi plus que je ne devais.

Je ne saurais nier mes actions passées

Devant ceux qui jadis lisaient dans mes pensées,

Aux yeux de tout le monde elles ont trop paru,

Et par tout l’Univers le bruit en a couru :

Il est vrai que suivant la volonté dernière

Du feu prince Édouard qui fit Jeanne héritière,

Je lui gardai les biens que le Roi lui donna,

Et j’exécutai tout comme il me l’ordonna,

Oui, oui, j’ai tout commis : mais, ô souverains Juges !

Si je meurs pour ce crime, où seront vos refuges ?

Et de quel front enfin me voulez-vous nier ?

Qu’entre les criminels je ne sois le dernier,

Quand j’élevai mes yeux à ces grandeurs légères,

Qui devait obliger vos âmes mercenaires

À me persuader avecque tant d’ardeur

Ce que vous condamnez avec tant de rigueur.

Ai-je couronné Jeanne ? ai-je entrepris la guerre

Que par la volonté des Barons d’Angleterre ?

Et vous qui nous traitez comme vos prisonniers,

Ne me l’avez-vous pas conseillé les premiers ?

Vous Comte d’Arondel, vous Marquis de Vincestre,

Vous, comte de Pembrox, vous Comte de Clocestre,

Et vous qui devenu par un coup si soudain

D’un de mes Conseillers mon Juge souverain,

Avez déjà la foudre et la sentence prête,

Pour la faire éclater sur ma coupable tête :

N’avez-vous pas vous-même aggravé mes péchés,

Et causé les malheurs que vous me reprochez ?

LE MARQUIS DE VINCETRE.

Ah ! c’est trop, je ne puis en souffrir davantage

Et cette calomnie indignement outrage

Ceux de qui l’innocence et les fidèles soins

Se peuvent avérer par cent mille témoins.

Je veux, Monsieur, je veux que tout le monde sache

Que ma fidélité ne reçoit point de tache,

Et que vous pourriez voir en une autre saison

Si vous l’avez blessée avec peu de raison.

LE COMTE DE CLOCESTRE.

J’ai donné contre vous assez de connaissance

De mon intention, et de mon innocence,

Pour croire que jamais homme n’en doutera,

Et que dans vos discours on vous récusera

Toutes les actions qu’on remarque en ma vie,

Bravent la médisance, et les traits de l’envie,

Et je suis en état de ne craindre plus rien,

Puisque je suis fidèle, et fort homme de bien.

LE DUC DE NOLFOC.

Pour vous justifier vous prenez trop de peine,

De vos déportements rendez compte à la Reine,

Et ne répliquez point à tous ces entretiens,

Il n’est pas notre Juge, et nous sommes les siens :

Donc sans nous amuser d’un discours inutile

Par sa confession si libre et si facile,

Nous sommes éclaircis de ce qui le touchait

Puisqu’il vient d’avouer ce qu’il nous reprochait.

Le fils est convaincu par la bouche du père,

Mais sa confession est aussi nécessaire,

Vous êtes accusé des mêmes actions,

D’avoir suivi partout ses inclinations,

Et par l’autorité que le sexe vous donne,

Obligé votre femme à prendre la Couronne,

Que l’ayant conseillée en tout ce qu’elle a fait,

Elle régnait de nom, vous régniez en effet.

GILFORT.

Si ma femme est coupable, et si dans votre estime

Cette pauvre Princesse a pu commettre un crime,

Je ferai devant vous un serment solennel,

Que de ses actions je suis seul criminel,

Que dans cette innocence, et cet âge si tendre,

Jamais ce jeune cœur n’aurait osé prétendre

À la succession des filles de Henry,

Sans les mauvais conseils d’un imprudent mari :

Comme je l’adorais, je fus trop aimé d’elle,

Mais mon ambition la rendit infidèle,

Je pris sur son esprit des pouvoirs absolus,

Et ployai sa jeunesse à ce que je voulus.

Non, elle n’a failli que pour être trop bonne,

Seul je la contraignis de prendre la Couronne :

Et seul.

LE DUC DE NORTHBELANT.

N’abusez point de leur attention,

Ils jugent clairement de votre intention,

Et l’amour conjugale est assez évidente,

Il est vrai toutefois que Jeanne est innocente,

Que je les ai réduits dans cette extrémité,

Et qu’ils n’ont point agi que par ma volonté.

LE DUC DE NOLFOC.

Nous en savons assez, garde qu’on les remène,

Avant que passer outre, allons trouver la Reine,

Et pour en voir bientôt d’infaillibles succès,

Sur leur confession on fera leurs procès.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

MARIE, ÉLISABETH, LE DUC DE NOLFOC, LE COMTE DE CLOCESTRE

 

MARIE.

Ah ! c’est trop acheter les biens d’une Couronne,

Je ne puis recevoir les conseils qu’on me donne,

Et j’aime mieux déchoir de ce superbe rang

Qu’établir ma grandeur au prix de tant de sang :

Quoi que Jeanne entreprenne, et quoi qu’elle conspire,

N’ai-je pas des moyens pour conserver l’Empire ?

L’appui de tous les miens n’est-il pas assez fort

Sans qu’il faille chercher mon salut dans sa mort ?

Certes des fondements d’une telle nature

Pour le bien d’un État sont de mauvais augure,

Et l’exemple des miens me peut bien enseigner

Que le meurtre et le sang ne nous font point régner.

ÉLISABETH.

Notre père pourtant régna de cette sorte.

MARIE.

L’exemple est fort mauvais, et la raison peu forte.

Dans cette pompe vaine, et ces trompeurs appas,

Quelque absolu qu’il fut, Henry ne régna pas,

Et vous me contraignez de dire de mon père

Ce que jusqu’à ce jour le respect m’a fait taire :

On doit nommer son règne un Empire de fer,

Un antre de Cyclope, ou plutôt un enfer.

Quelque habile qu’il fut parmi les politiques,

Considérez ma sœur ses malheurs domestiques,

Et voyez si le sang si souvent répandu

Lui redonna le calme, et le repos perdu.

Bien que plusieurs raisons autorisent nos crimes !

Je ne puis approuver ces dernières maximes,

Et je crois que le Ciel soumet un peuple à nous,

Pour recevoir des Rois un traitement plus doux.

ÉLISABETH.

On se peut relâcher d’une exacte justice,

Lorsque notre bonté paraît sans préjudice :

Mais ordinairement elle va dans l’excès,

Et se fait condamner par des mauvais succès,

Pourvu qu’on pèse tout d’une juste balance,

Je ne condamne point une adroite clémence,

C’est une qualité dont on peut bien user,

Mais je hais ces bontés qui se font mépriser.

Et donnent aux sujets un sujet assez ample

Sur l’espoir du pardon de faillir par exemple.

Enfin telles douceurs passent en lâcheté,

Et sont directement contre la Majesté.

De moi bien que j’abhorre une humeur sanguinaire,

J’approuve les leçons d’Hérode, et de Tibère,

Je ne puis m’empêcher de les louer tous deux,

De les estimer grands, et mon père avecque eux :

Ceux qui dans un État se savent bien conduire,

Ne pardonnent jamais, si le pardon peut nuire.

MARIE.

Je crois qu’Élisabeth en userait ainsi.

ÉLISABETH.

Et si vous la croyez vous le ferez aussi,

C’est le plus sûr moyen, et le meilleur remède

Pour conserver en paix un sceptre qu’on possède,

Et sans aller chercher des exemples plus loin,

Soyez de nos malheurs le Juge, et le témoin.

Certes, dans cet État je serais inhumaine.

Si je gardais contre elle aucun reste de haine,

Et si dans mes discours j’avais un autre but

Que le bien du Royaume, et que votre salut.

Oui (Madame) croyez que je suis détachée

De tous ces intérêts, qui m’ont si fort touchée,

Et que hors de colère et de ressentiment

Je regarde en ceci votre bien seulement :

Il faut tarir nos maux dedans leur origine,

Et couper par raison la dernière racine,

Et la dernière tête, à la rébellion,

User de la justice et de l’occasion :

Par la plus courte voie et la plus souveraine

Il faut que Jeanne meure, ou qu’elle vive Reine.

Voyez si vous voulez vous dépouiller pour eux,

Ou bien si l’Angleterre en pourra souffrir deux ?

MARIE.

Sous les noms spécieux de devoir et de zèle

Vous ne sauriez cacher cette humeur naturelle,

Ce sont les sentiments de cette cruauté,

Où depuis si longtemps votre esprit est porté :

Je vous l’ai dit cent fois, ma sœur prenez-y garde,

Vous savez qu’après moi le sceptre vous regarde,

Et que par le pouvoir du Juge souverain

Peut-être devez-vous me succéder demain ?

Voyez si vos sujets craindront votre Couronne,

Et quelle impression ce naturel leur donne.

ÉLISABETH.

Je ne méritais pas que votre Majesté,

Rendit ce compliment à ma fidélité,

Et bien que jusque au cœur son intérêt me touche,

C’est le dernier conseil qu’elle aura de ma bouche.

MARIE.

Ma sœur ce que j’ai dit ne vous doit point fâcher,

Et je n’en parle point pour vous le reprocher :

Mais je serai bien aise, et vous le devez être

Qu’une semblable humeur se fasse moins connaître,

Mais que dois-je espérer de votre sentiment ?

LE DUC DE NOLFOC.

Je n’en parlerai point.

MARIE.

Dites-le hardiment.

LE DUC DE NOLFOC.

Si votre Majesté défend que je le cache,

Qu’elle m’excuse donc si ce discours la fâche,

Puisque cette bonté qu’elle veut témoigner

Choque directement les moyens de régner,

La raison de Madame est toujours la meilleure,

Et celles de l’État veulent que Jeanne meure ;

La justice l’ordonne, et votre sûreté,

C’est ce que j’en puis dire à votre Majesté.

Tant que Jeanne vivra vous êtes assurée

Que parmi tous les siens votre perte est jurée,

Et que les insolents feront à tout propos

Mille complots nouveaux contre votre repos.

Croyez que cette humeur ne l’aura point quittée,

Et que cette grandeur qu’elle a déjà goûtée

Élèvera son âme à de nouveaux désirs,

Qui soumettront la vôtre à mille déplaisirs.

L’espoir d’une couronne est une douce amorce,

Elle attire les cœurs avecque tant de force,

Qu’il est bien mal aisé que l’obligation

La puisse délivrer de cette passion

MARIE.

Le Duc de Northbelant étant privé de vie,

Qui pourra désormais lui donner cette envie ?

Et quand ce jeune esprit n’en serait point guéri,

S’il ne lui reste plus, ni père, ni mari :

Sans avoir le conseil ni l’appui de personne,

Osera-t-elle encor prétendre à la Couronne ?

LE COMTE DE CLOCESTRE.

De deux exterminés il en renaîtra cent,

Et l’appas des grandeurs est un charme puissant,

Qui par mille ressorts attire à sa cordelle.

Que si votre bonté se déclare pour elle,

Je crois qu’elle le peut en toute sûreté,

Lui donnant pour retraite un endroit écarté,

Où loin de cet éclat, dont elle fut charmée,

Le reste de ses jours elle vive enfermée.

MARIE.

Elle serait punie assez sévèrement,

Et je ne puis lui faire un pire traitement,

Puisque dans sa jeunesse, et dans son innocence

Elle n’a pu faillir que par obéissance :

Me reposant sur vous de tous mes intérêts,

Je n’ai point contredit à vos justes arrêts,

Et n’empêcherai point l’effet de la justice,

Qui destine le père et le fils au supplice.

L’HUISSIER DU CABINET.

Une dame à la porte attend la liberté

De parler un moment à votre Majesté.

MARIE.

Oui, qu’on la fasse entrer, il faut que je l’écoute.

ÉLISABETH.

Ce message importun met mon esprit en doute.

 

 

Scène II

 

ÉLÉONOR, MARIE

 

ÉLÉONOR.

Celle que maintenant je sers dans la prison

Comme ayant eu l’honneur d’être de sa maison,

M’a commise (Madame) à porter cette lettre,

Que si votre bonté vous peut encor permettre

De recevoir ces mots, et jeter l’œil dessus,

Elle ajoute ce bien à ceux qu’elle a reçus.

Lettre de Jeanne à MARIE, qu’elle lit.

Si parmi les douleurs que le remords imprime ;
Et la honte d’un crime,
Il m’est encor permis d’implorer la bonté
D’une Reine si juste, et si fort offensée,
Excusez ma pensée,
Et souffrez que j’espère en votre Majesté.
Je ne lui ferai point une injuste requête
Pour garantir ma tête
Des injures du Ciel, qui s’arme contre nous,
Et je verrai la mort avec la même face,
Si j’obtiens cette grâce
De sauver en mourant mon innocent époux.

Si dans mon intérêt ma bouche était croyable,
D’un rapport véritable,
Et si mes sentiments m’étaient encor permis,
Je prendrais à témoin la Divine puissance,
Et de son innocence,
Et des lâches complots de tous ses ennemis.

Dans les grandeurs que j’eus pour le prix de ma faute,
Et la Majesté haute,
Qui comme un prompt éclair parut et disparut,
Jamais l’ambition, ne pût vaincre sa flamme,
Et faire qu’en son âme
Pour cette passion la première mourut.
Il faisait moins d’état du sceptre d’Angleterre,
Et de toute la terre,
Que des biens innocents de nos chastes amours,
Et quand il obéit aux volontés d’un père,
Le respect lui fit faire
Ce que dans son esprit il condamna toujours.

Ce n’est pas que choquant cette grandeur Auguste
Sa peine ne fut juste,
Et qu’il ne fut puni pour l’avoir mérité :
Mais bien que le respect de ce degré suprême
Rende son crime extrême,
Il est moindre que vous, et que votre bonté.

Je vous conjure donc par vos jours pleins de gloire,
Par la haute mémoire,
Et le nom redouté du glorieux Henry ;
Par celle d’Édouard encore si révérée,
Et sa cendre sacrée,
De conserver la vie à mon pauvre mari.
Qu’ainsi le Ciel rende vos jours plus calmes,
Et plus couverts de palmes
Que des plus fortunés qui régnèrent jamais,
Que tout puisse ployer sous votre obéissance,
C’est la reconnaissance
Que j’espère de vous, et que je vous promets.

Marie poursuit.

Certes la plus sauvage et plus fière tigresse

Pour un amour si belle aurait de la tendresse,

Et je croirais avoir une âme de rocher,

Si la compassion ne la pouvait toucher.

Oui, la pitié que j’ai d’une amitié si sainte

Donne dans mon esprit une si vive atteinte,

Qu’il ne sentit jamais par mon propre malheur

Une si violente et si vive douleur.

Dure raison d’État que tes lois sont barbares,

Que je digère mal ce que tu me prépares,

Et que ta tyrannie et tes ordres secrets

Vont soumettre mon âme à d’extrêmes regrets :

Ma fille, vissiez-vous comment je serais prête,

S’il dépendait de moi, d’accorder sa requête :

Mais selon la Coutume, et la rigueur des Lois,

Elle ne dépend plus que des Barons Anglois,

Je ne m’en mêle plus, et je m’en suis démise

Pour leur remettre un droit que le temps autorise.

Que s’il m’était permis, comme je le voudrais,

Vous seriez le témoin de ce que je ferais :

Assurez toutefois cette pauvre Princesse

De la part que je prends dans le mal qui la presse,

Et pour la consoler sachez que je ferai

Pour elle et pour les siens tout ce que je pourrai.

ÉLÉONOR.

Le Ciel reconnaîtra cette bonté parfaite

Par des biens infinis comme elle le souhaite.

MARIE.

Quoique la pitié fasse, et quoi qu’elle ait voulu,

Encore mon esprit demeure irrésolu,

Une affaire douteuse et de telle importance

Avant l’exécuter mérite qu’on y pense,

Et que mon intérêt n’y prenne point de part,

Assemblez le Conseil dans une heure au plus tard.

 

 

Scène III

 

GILFORT, LE DUC DE NORTHBELANT, LE CAPITAINE DES GARDES

 

GILFORT.

Vous qui depuis trois jours lui rendiez des hommages,

Viviez à son service, et receviez ses gages,

Après l’avoir servi dans un degré si haut,

L’osez-vous bien mener dessus un échafaud ?

Et cette juste Reine à qui le Ciel prospère

A rendu malgré lui le sceptre de son père

Devait-elle oublier la naissance et le rang

Venger ses déplaisirs par un si noble sang,

Et rendre une si belle et si fameuse vie

D’une honteuse mort indignement suivie.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Mon fils dépouillez-vous de tous vos intérêts,

Et ne condamnez point de si justes arrêts.

Pour moi dans le remords dont mon âme est atteinte

Je ne me puis former aucun sujet de plainte,

Et blâmer d’injustice et de sévérité

Un supplice si juste et si bien mérité :

Je n’espérai jamais un plus digne salaire,

Ainsi que mon trépas, mon crime est exemplaire :

Et bien que mon malheur s’expose aux yeux de tous,

Quelque infâme qu’il soit, il me semble trop doux.

Oui, le Ciel m’est témoin que ma coupable bouche

Ne saurait exprimer le regret qui me touche,

Et que le repentir blesse plus vivement

Mon esprit criminel que la peur du tourment.

Toutefois il n’est point de constance si forte

Qu’en l’état où je suis le désespoir n’emporte,

Et contre mes enfants je serais criminel,

Si je pouvais cacher un amour paternel,

Et si je ne pleurais à mon heure dernière

La ruine et la mort de ma famille entière.

Ô d’un malheureux père enfants plus malheureux,

Compagnons innocents de mon sort rigoureux

Donc par la cruauté de votre destinée

Je dois ravir la vie à qui je l’ai donnée,

Et vous devez périr pour n’avoir pu trahir

Ce devoir naturel qui vous fit obéir,

Sans doute mes enfants, cette belle jeunesse

Amollirait le cœur d’une juste Princesse,

Si tous les Conseillers contre nous conjurés

Ne lisaient sur vos fronts que nous vous vengerez.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Je viens vous consoler d’une bonne nouvelle,

Ne croyez pas, Monsieur, la Reine si cruelle,

Sa Majesté pardonne à vos trois jeunes fils.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Puis-je bien m’assurer en ce que tu me dis,

Ami n’abuse point l’affection d’un père.

LE CAPITAINE DES GARDES.

C’est une lâcheté que je ne saurais faire,

Et dans le triste état où je vous vois réduit,

Cette feinte, Monsieur, serait de peu de fruit.

Oui, j’ai vu de mes yeux leur grâce entérinée.

LE DUC DE NORTHBELANT.

Arbitre souverain de notre destinée,

Après ce grand effet de ta rare bonté,

Je ne murmure plus contre ta volonté.

Non, non, je meurs content, et ta dernière grâce

Qui conserve aujourd’hui le reste de ma race,

Me fait aller joyeux au lieu de mon trépas :

Mais puisque mon malheur ne me le permet pas,

Supplée à mon défaut, et par ta récompense

Reconnais justement cette auguste clémence,

Et comble les auteurs de mon dernier bonheur,

De gloire, de plaisir, de repos, et d’honneur.

GILFORT.

Demandant pour ma Reine une grâce dernière,

Vous ferai-je, Seigneur, une injuste prière.

Puisque vous employez son esprit et son corps

Pour nous faire admirer vos plus rares trésors.

Soyez touché pour elle, et sauvez du naufrage

Votre plus admirable et plus charmant ouvrage :

Mais que j’ai peu d’espoir dans ces vœux imparfaits.

Hélas ! puis-je douter d’un malheur que je fais ?

Et dans l’aveuglement de mon ardeur extrême,

Crois-je me consoler en me trompant moi-même.

Non, non, il n’est plus temps revenez ma raison :

Mais ou mon œil me trompe, ou je vois sa prison,

C’est dans cette maison que Jeanne est retenue,

Et ce mur envieux la dérobe à ma vue :

Du moins auparavant que partir de ce lieu

Je prendrai congé d’elle, adieu, Madame, adieu.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Monsieur nous tardons trop.

 

 

Scène IV

 

JEANNE, GILFORT, LE CAPITAINE DES GARDES, ÉLÉONOR

 

JEANNE.

C’est une voix pareille

À celle de Gilfort, qui frappe mon oreille.

Ha ! chère Éléonor.

GILFORT.

Adieu, Madame.

JEANNE.

Hélas !

LE CAPITAINE DES GARDES.

Allons, Monsieur, allons.

JEANNE.

Arrête un peu tes pas,

Et pour le dernier soin d’une amitié si rare,

D’un regard seulement ne me soit point avare.

Arrête à ma prière. Ha ! je te parle en vain,

C’est pour me dire adieu que tu me tends la main.

Oui, mon cœur, je t’entends, et je te tends la mienne,

Je sais que tu meurs mien, comme je mourrai tienne ;

Mais ta fuite, cruel, s’oppose à mes adieux,

Et la foule déjà te dérobe à mes yeux,

Entouré d’une ingrate et vile populace,

Tu t’approches sans peur de la mortelle place,

Où déjà les horreurs de la mort qui t’attend

Font pâlir de frayeur tout un peuple assistant.

Et bien reçois la mort sans changer de visage,

Dans ce dernier moment signale ton courage,

Fais voir que tes malheurs l’ont en vain combattu,

Et témoigne en mourant ta première vertu.

Pour moi puisque après toi le Ciel me laisse en vie,

Crois, crois, mon cher mari, que je te porte envie,

Que mon âme déjà quitte ce faible corps

Pour aller te rejoindre à l’empire des morts :

Vois qu’elle m’abandonne, et suit sans violence

De nos Juges communs la commune sentence.

ÉLÉONOR.

Madame, Juste Ciel ! son visage pâlit,

Et ses yeux sont fermés. Portons-la sur son lit.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

JEANNE, ÉLÉONOR

 

JEANNE, dans sa prison.

Ces consolations te rendent criminelle,

Et tu ne peux tromper une flamme si belle,

Bien que ton amitié te porte à ce dessein,

Crois que c’est me donner d’un poignard dans le sein.

Que mon amour reçoit une éternelle tache,

D’écouter sans mourir un sentiment si lâche,

Et que si je pouvais la soupçonner encor,

J’ai droit de soupçonner la foi d’Éléonor.

Oui, trop fidèle esprit, te serais-je déloyale

Et je croirais trahir l’amitié conjugale,

Si contre les serments d’une éternelle foi,

J’écoutais les conseils qui m’éloignent de toi :

Si je pouvais changer le dessein de te suivre

À de lâches désirs d’espérer et de vivre,

Et si t’ayant perdu je différais un jour

À renouer au Ciel une innocente amour.

De ces vaines grandeurs mon âme détachée

Force cette prison qui la tenait cachée,

Et d’un vol courageux s’élevant aisément,

Va chercher près de toi son premier élément :

C’est là que ton amour lui conserve une place,

Et que la recevant d’une joyeuse face,

Tu lui donnes sa part des plaisirs glorieux,

Que parmi les élus tu goûtes dans les Cieux :

Là tu la garantis des rigueurs de Marie,

Et des lâches complots d’une ingrate patrie,

Et n’ayant le souci de ces frêles honneurs,

Tu lui fais ressentir de solides bonheurs.

Vaine félicité, que mon âme a songée,

Que tes illusions me laissent affligée,

Et lorsque je reviens de cette douce erreur,

Que pour de si grands biens tu me laisses d’horreur.

Quelque espoir de bonheur que la mort me présente,

Je ne connais que trop que je reste vivante,

Et bien que mon esprit erre parmi les morts,

Et n’en reste que trop pour animer ce corps.

Belle âme à qui toujours mon âme fut ouverte.

Oui, tu vois que je vis pour survivre à ta perte,

Et pour la déplorer former un large étang,

Et de larmes d’amour et de larmes de sang.

Du moins si ces cruels, dont le pouvoir injuste

Abusa lâchement d’une grandeur auguste,

M’eussent encor permis de te fermer les yeux,

Et sur ta lèvre morte imprimer mes adieux :

Je t’eusse ranimé par un baiser de flamme,

Et dans ton pâle corps j’eusse inspiré mon âme :

Mais avec tous mes biens ceux-là me sont ravis.

En un mot, cher époux, tu n’es plus, et je vis :

Cette belle union qui joignait nos deux âmes,

A permis aux couteaux de séparer nos trames,

Et bien qu’un seul esprit animât nos deux corps,

L’un a perdu le jour sans que tous deux soient morts :

Mais si dans cet État et cette haute gloire

De nos feux innocents tu gardes la mémoire,

De ce brillant éclat détourne un peu les yeux,

Et d’un de tes regards fends la voûte des Cieux.

Si tu gardes pour moi tes premières tendresses,

Regarde avec pitié l’état où tu me laisses,

Tu n’as pas oublié le chemin de mon cœur,

Vois dedans cher esprit, vois quelle est ma douleur,

Il me semble déjà qu’au son de ces paroles,

Ton amour se réveille, et que tu me consoles,

Je te vois, ce me semble un visage riant,

Mais qui dans son bonheur paraît impatient,

Cette félicité d’éternelle durée,

Par ton impatience est un peu modérée :

Tu brûles du désir de m’attirer à toi,

Et déjà ton amour intercède pour moi.

Et bien, ô cher esprit, rends-moi ce bon office,

Fais que nos ennemis avancent mon supplice,

Et que pour te rejoindre en cet heureux séjour,

Je meure par raison, ou d’État, ou d’Amour.

ÉLÉONOR.

Certes vos volontés seraient mieux exaucées

Si vous divertissiez ces mortelles pensées,

Mais le Comte d’Erby vous en vient divertir.

 

 

Scène II

 

JEANNE, LE COMTE D’ERBY, ÉLÉONOR

 

JEANNE.

Hé bien, Monsieur, hé bien, est-il temps de partir,

Celle dont le pouvoir règle ma destinée

Veut-elle point couper ma trame infortunée ?

Ou me réserve-t-elle à de plus grands malheurs.

Parlez, monsieur, parlez.

LE COMTE D’ERBY.

Jugez-le par mes pleurs,

Ma douleur sur mon front est assez manifeste,

Et vous connaissez trop que ma charge est funeste,

Le Conseil des barons vous destine à la mort,

Et condamne ma bouche à ce mortel rapport.

JEANNE.

C’est un coup de ta main, j’en reconnais la trace,

Tu m’exauces, Seigneur, ta pitié me fait grâce,

Et le port de salut que tu me viens offrir

Efface tous les maux que tu m’as vu souffrir ;

Ma navire agitée après tant de naufrages

Trouve un havre assuré contre tous les orages,

Et goûtant sur le ferme un solide repos,

Brave dorénavant l’insolence des flots.

Je vous confesserai sans aigreur et sans haine

Qu’avant que de vous voir je condamnais la Reine,

Et que je me plaignais de cet arrêt cruel

Qu’elle a fait éclater sur le moins criminel.

Je croyais que les coups d’une juste tempête

Devaient plutôt tomber sur ma coupable tête,

Et qu’on me punirait de mon ambition

Plutôt que mon mari de son affection :

Mais puisque notre crime égale notre peine,

Qu’on ne sépare point une si douce chaîne,

Et qu’il m’est accordé de suivre mon mari :

De tous ses déplaisirs mon esprit est guéri.

Je trouve dans la mort un bonheur véritable,

Je ne condamne point un arrêt équitable,

Et si dans cet État ces mots me sont permis,

De bon cœur je pardonne à tous mes ennemis.

LE COMTE D’ERBY.

Ha ! Ciel, conserviez-vous ma dernière vieillesse

Pour une si sensible et mortelle tristesse,

Et preniez-vous les soins que vous prîtes de moi

Pour me rendre témoin des choses que je vois.

JEANNE.

Certes cette douleur dément mon courage,

Et ce discours messied aux hommes de votre âge,

Consolez-vous, Monsieur, et ne m’enviez pas

Le bonheur glorieux qui suivra mon trépas.

Croyez que mon destin est meilleur que le vôtre :

Je quitte cette vie, et passe dans une autre,

Dont l’essence immortelle et le cours immortel

Assurent mon esprit d’un repos éternel :

Toutefois si le cœur ne dément point la bouche,

Vous me témoignerez vos bonnes volontés,

Et je verrai du Ciel toutes vos charités,

De tant de serviteurs d’une grande famille,

Il ne me reste plus que cette pauvre fille :

L’amour qu’elle me porte et que je connais bien :

M’a sans doute obligé à lui faire du bien,

Mais puisque par ma mort elle perd l’espérance

De ce qu’elle attendait de ma reconnaissance,

Si j’osais vous prier en l’état où je suis,

Je vous conjurerais autant que je le puis

D’intercéder pour elle, et faire que la Reine,

Pour témoigner à tous sa bonté souveraine,

Supplée à mon défaut, et fasse à mon trépas

Ce que je dois faire, et que je ne fais pas :

Ne m’accordez-vous pas ce que je vous demande.

LE COMTE D’ERBY.

Je ferais bien, Madame, une chose plus grande,

Pussai-je vous servir en me perdant pour vous.

JEANNE.

Non, non, de mon bonheur ne soyez point jaloux,

Et pour cette bonté qui m’est si manifeste,

Recevez de mes mains ce diamant qui me reste,

Que vous conserverez, et pour l’amour de moi,

Et parce que je l’eus de votre défunt Roi.

LE COMTE D’ERBY.

Comme un présent du Ciel, je le reçois, Madame,

Et j’en conserverai la mémoire dans l’âme,

Avec même respect et même humilité,

Que si je le tenais d’une divinité.

JEANNE.

Souffrez qu’en sa faveur je dispose du reste,

ÉLÉONOR.

Et que votre bonté souffre que je proteste

Qu’elle ne me fera que des biens superflus,

Et qu’après son trépas je n’en jouirai plus.

 

 

Scène III

 

LE CAPITAINE DES GARDES, ÉLÉONOR, JEANNE

 

LE CAPITAINE DES GARDES.

Madame.

ÉLÉONOR.

Juste ciel !

JEANNE.

Oui, je suis toute prête,

Où voulez-vous, monsieur, que je porte ma tête ?

Je lis sur votre front votre commission.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Lisez-y ma pensée, et mon affliction.

Madame on vous attend.

JEANNE.

Certes j’en suis marrie :

Mais il faut en blâmer le Conseil de Marie,

S’il en eût pris le soin de me faire avertir,

Avec mon cher mari j’étais prête à partir.

Adieu, ma fille, adieu, permets que je t’embrasse,

Cache, cache les pleurs qui coulent sur ta face,

Et ne t’oppose plus au bonheur que j’attends :

Allons, Monsieur, allons, nous y serons à temps.

 

 

Scène IV

 

ÉLISABETH, MARIE, LE COMTE DE CLOCESTRE, LE DUC DE NOLFOC

 

ÉLISABETH.

Puisque votre bonté de mes discours s’offense,

Il semble que je prenne une injuste licence,

Mais contre ma promesse et contre mon serment

Je ne puis déguiser mon juste sentiment,

Et me sens obligée à ne vous jamais taire,

Me dussiez-vous haïr un conseil salutaire,

Car, Madame, après tout de quoi vous plaignez-vous ?

Est-ce d’avoir contraint ce naturel si doux ?

Et fait à votre humeur un peu de violence

Pour établir un trône, et vivre en assurance.

Hé ! Madame, ce deuil que vous en témoignez,

Ferait à d’autres gens croire que vous feignez,

Mais moi qui connais trop cette bonté Royale,

Et qui n’en sache point au monde qui l’égale,

J’en fais le jugement.

MARIE.

Tout tel qu’il vous plaira,

Jamais mon amitié ne s’en offensera :

Mais ma sœur après tout êtes-vous satisfaite,

Et votre cœur a-t-il enfin ce qu’il souhaite ?

ÉLISABETH.

Ce cœur que vous blâmez n’a jamais souhaité

Que le bien seulement de votre Majesté.

MARIE.

Je le sais bien, ma sœur, et vous en remercie,

Mais enfin ma rigueur doit être radoucie,

Mais pour vous obéir j’ai versé tant de sang,

Que vous êtes paisible en votre premier rang :

Vous avez vu périr une illustre famille,

Le Duc de Northbelant, et son fils, et sa fille

Ont servi de victime à ce juste courroux.

ÉLISABETH.

Ne m’en accusez point, vous le faites pour vous,

Et pour tout intérêt je n’en ai que le vôtre.

MARIE.

Votre bon naturel n’en aura jamais d’autre,

Et le vôtre ma sœur me touche également.

ÉLISABETH.

Je n’ai pas mérité.

MARIE.

Trêve à ce compliment.

Dites-nous cependant la nouvelle certaine

De la mort de ce Duc.

LE COMTE DE CLOCESTRE.

La ville en est si pleine

Qu’il est bien malaisé de ne l’apprendre pas.

Et l’entretien commun n’est que de son trépas,

Et du père et du fils l’admirable constance,

Ont charmé les esprits de toute l’assistance,

Et jamais un lion n’alla plus ardemment

Au butin désiré qu’ils allaient au tourment.

Gilfort de qui le cœur était encor en flamme,

A déploré tout haut le malheur de sa femme,

Et témoigné pour elle une si vive ardeur,

Qu’on a cru sur le champ qu’il mourait de douleur.

MARIE.

Certes dans son amour il n’était point blâmable,

Et l’on ne vit jamais un objet plus aimable.

Ha ! Triste souvenir, est-elle morte enfin.

LE DUC DE NOLFOC.

Son arrêt n’est donné que depuis ce matin.

Et vous savez assez que la mort différée

A prolongé ses jours de ce peu de durée.

Je crois qu’à ce moment elle a perdu le jour :

Mais le comte d’Erby qui revient de la tour,

Vous en peut mieux que tous apprendre la nouvelle.

 

 

Scène V

 

LE COMTE D’ERBY, MARIE

 

LE COMTE D’ERBY.

Ô mort qui nous ravis une chose si belle !

Pourquoi ce faible corps et cet âge chenu

Qui dans son juste cours est déjà parvenu ?

Ne donne mort ingrate à ta main meurtrière

Une plus convenable et plus juste matière,

Mais retiens cette plainte et ces cris superflus.

MARIE.

Elle est morte, elle est morte. Ha ! je n’en doute plus.

LE COMTE D’ERBY.

Bel astre que ton cours est de peu de durée.

MARIE.

Vous nous en apportez la nouvelle assurée.

LE COMTE D’ERBY.

Que votre Majesté pardonne à tant de pleurs,

Je me rends criminel par mes vives douleurs,

Et je devrais bannir cette ingrate pensée,

Qui me fait regretter ceux qui l’ont offensée :

Mais si vos yeux voyaient ce que les miens ont vu,

Quelque visible tort que la Princesse ait eu,

Quelque rébellion qui lui soit reprochée,

Madame assurément vous en seriez touchée,

Et tous les intérêts ne vous retiendraient pas,

Que vous n’accordassiez des pleurs à son trépas.

MARIE.

Déjà par ce discours qui sort de votre bouche,

Le regret que j’en ai si vivement me touche,

Qu’il prive mon esprit de joie et de repos :

Mais si vous le pouvez, dites-nous en deux mots.

LE COMTE D’ERBY.

Puisque vous l’ordonnez, il faut que j’obéisse,

La crainte de la mort, et l’horreur du supplice,

Qui peuvent ébranler les plus faibles esprits,

N’ont trouvé dans le sien qu’un généreux mépris,

Qui lui fait recevoir mon funeste message,

D’une constance égale, et d’un même visage,

Après des mouvements de tendresse et d’amour,

D’un pas majestueux elle sort de la tour.

Certes jamais mon œil ne la trouva si belle,

Sa grâce surpassait toute beauté mortelle,

Son front était serein, son port plus glorieux,

Un éclat tout divin faisait briller ses yeux,

Et dans la vanité de la pompe Romaine,

Jamais le plus superbe et plus grand Capitaine

Sur un char triomphant ne se vit emporté.

Avec tant d’assurance et tant de majesté,

Elle marche à la mort comme au but de sa gloire,

Regarde un échafaud comme un champ de victoire,

Et monte ces degrés avec un front égal

À celui qu’elle avait sur le trône Royal.

Le murmure confus de toute l’assistance

L’oblige quelque temps à garder le silence.

Elle déclare enfin d’un esprit tout remis

Comme elle pardonnait à tous ses ennemis,

Qu’elle se dépouillait de colère et de haine,

Et ne murmurait point des arrêts de la Reine,

Qui lui faisaient attendre un éternel repos :

Et pour conclusion elle ajoute ces mots.

Je reçois la mort qu’on me donne
Comme une peine due à mon ambition,
Non pas que cette passion
Ait porté mon esprit à ravir la Couronne :
Mais pour n’avoir pas rejeté
Un sceptre qu’on m’a présenté.

Elle achève ces mots avecque tant de charmes,

Qu’à ce funeste objet le peuple fond en larmes,

Et pousse dans le Ciel un mélange confus,

De cris et de sanglots qu’on ne discerne plus.

Madame vous croiriez la voyant si constante

Que tous sont criminels, et qu’elle est assistante :

Son courage jamais ne la porta si haut,

Et vous la jugeriez dessus un échafaud,

Pour avoir le plaisir d’une belle carrière,

Ou pour donner le prix d’un combat de barrière.

Mais croyant à la fin qu’elle perdrait le temps,

Et que cette longueur lassait les assistants,

Elle veut de ses mains rajuster sa coiffure,

Et mettre en liberté sa belle chevelure,

Qui forçant ses liens échappe à gros bouillons,

Et comme des flots d’or tombe sur ses talons.

Mais l’ayant ralliée, elle-même l’arrête,

Par un nœud qu’elle fait au sommet de la tête :

Et par un doux regard, prenant congé de tous,

Elle fait sa prière, et se met à genoux :

L’exécuteur approche, et sa main déjà prête,

D’un si beau corps sépare une si belle tête,

Qui dessus l’échafaud bondit deux ou trois fois,

Et ceux qui sont plus près entendent une voix,

Qui murmure en mourant une basse parole,

Le corps tombe sanglant, et son âme s’envole.

MARIE.

Que la mienne la suive, et que dorénavant

Ma douleur me bâtisse un sépulcre vivant.

Que jusqu’à mon trépas je vive ensevelie

Dans les plus noirs cachots de la mélancolie,

Et que le juste Ciel n’accorde à mon désir,

Ni consolation, ni repos, ni plaisir.

Et vous âmes de fer, vous conseillers iniques,

Allez renouveler vos mortelles pratiques,

Allez vous réjouir de ce que j’ai commis,

Et voyez s’il vous reste encor des ennemis.

Allez exterminer les derniers d’une race,

Dont le ressentiment à bon droit vous menace.

Allez couvrir la ville et de flamme, et de sang,

Et vous vous maintiendrez dans cet illustre rang ;

La mort seule des grands rend votre bien paisible :

Pour moi je vous souhaite autant qu’il m’est possible,

Que vous puissiez tomber sous le règne d’un Roi,

Qui pour se maintenir en use comme moi,

Et pour vous souhaiter une fortune pire,

Que ma sœur après moi succède à cet Empire.

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