Histoire du Théâtre Français depuis son origine jusqu’à présent - Tome I (Claude PARFAICT - François PARFAICT)

Histoire du Théâtre Français depuis son origine jusqu’à présent. Avec la Vie des plus Célèbres Poètes Dramatiques, des Extraits exacts, et un Catalogue raisonné de leurs Pièces, accompagnés de Notes Historiques et Critiques, François et Claude Parfaict. Tome I. Chez André Morin, à l’Image Saint André et Flahault, au Palais, Galerie des Prisonniers. 1734.

 

 

PRÉFACE

 

Il est de certains Tableaux, qui, considérés dans l’éloignement, présentent aux yeux des Plaines charmantes, des Côteaux riants, des Montagnes superbement élevées, des Rivières larges, profondes, et remplies d’une eau argentine, enfin tous les agréments d’une belle Campagne. Approche-t-on de cette perspective ! tout disparaît, et des traits couchés grossièrement sur une muraille prennent la place des objets enchanteurs que l’œil trompé par l’art du Peintre regardait avec admiration.

Voilà la juste comparaison de ce qui arrive à ceux qui forment le dessein de donner une Histoire du Théâtre Français : Tout semble leur promettre une carrière aisée et brillante, Pièces singulières, Auteurs célèbres, faits anecdotes intéressants, Comédiennes et Comédiens renommés dans leur art : Mais ces flatteuses idées se trouvent totalement confondues lorsqu’on consulte les Histoires générales et particulières. On trouve, à la vérité, l’origine et l’établissement des Confrères de la Passion à Paris, le lieu où ils firent leurs représentations ; mais après cette époque, la suite et les progrès de ce premier Théâtre sont absolument ignorés ; ce n’est que de loin en loin qu’on apprend quelques faits, et ces faits sont si peu considérables, et si fort isolés, qu’il est impossible d’en former une Histoire suivie.

Le Théâtre de l’Hôtel de Flandres, et celui de Bourgogne n’est pas plus connu, et ce ne fut que sous le Règne de Louis XIII que ce dernier devint célèbre, par les nombreuses pièces que les beaux Esprits de ce temps-là y firent représenter.

Si l’Historique du Théâtre est sec, celui des Poètes et des Acteurs ne l’est pas moins. Les différents Poèmes dramatiques qui parurent avant Henri II sont presque tous sans nom d’Auteur, et ce peu de noms, qui nous reste n’est accompagné d’aucunes circonstances.

À l’égard des Acteurs, le talent qu’ils ont exercé ne les a point tirés du néant dont ils sortaient, et ils y sont rentrés si parfaitement, qu’on n’en retrouve peu de vestiges[1].

Les Mystères représentés par les Confrères, occasionnèrent les Jeux des Clercs de la Bazoche ; à ces Jeux succédèrent les pièces des Enfants sans souci, dont le Chef se nommait le Prince des Sots, ou de la Sottise : Nouvelles obscurités et nouvelles peines perdues pour les éclaircir. C’est cependant l’Histoire des trois Sociétés qu’on vient de nommer qui doit faire celle du Théâtre Français depuis son origine en 1402 jusqu’au commence ment du XVII siècle.

Ces difficultés sont sans doute rebutantes, et nous ne doutons point qu’elles ne soient la cause pour laquelle jusqu’à ce jour les personnes qui possèdent le plus cette matière, se sont refusés au pénible et dangereux emploi de remplir les souhaits du Public, en lui donnant un ouvrage qu’il demande avec quelque forte d’empressement, et qu’il s’imagine pouvoir être exécuté dans toutes ses parties. S’il était possible d’engager ceux qui ont des renseignements, tant sur le Théâtre, que sur les pièces et les Auteurs, à en faire part au Public, peut-être pourrait-on débrouiller ce chaos ; Mais c’est demander ce que personne ne voudra faire ; c’est prier quelqu’un de défricher des terres incultes, et l’avertir en même temps que d’autres en recueilleront les fruits. Cependant plus on retardera à donner cet Ouvrage, et plus les matériaux qui peuvent le composer deviendront rares ; il s’en perd tous les jours, malgré les recherches des curieux, et c’est autant de parties enlevées au tout.

Cette dernière réflexion l’a emporté sur toutes les autres, et nous a déterminés à donner une Histoire complète du Théâtre Français, malgré les obstacles que nous venons d’exposer.

Qu’on ne mette point sur le compte de notre amour propre, le parti que nous avons pris ; si nous avions suivi ses conseils, peut-être le Public se serait-il laissé enlever une estime, qu’un travail méthodique et recherché aura peine à lui arracher. Deux routes différentes et presqu’également faciles nous y étaient ouvertes et nous y conduisaient.

Nous pouvions d’abord rendre compte en peu de mots de l’origine et des progrès de la Comédie jusqu’au commencement du dix septième siècle, qu’on peut appeler celui des Arts et des Sciences, et qui fournit d’amples recueils tant sur les Auteurs Dramatiques et leurs Ouvrages, que sur les Acteurs et le Théâtre, qui prit alors une forme régulière, et que les chefs d’œuvres de Messieurs Corneille et Racine, et ceux de l’inimitable Molière, portèrent à sa plus haute perfection. Quel heureux canevas à remplir ! et qu’il est facile avec un pareil fond d’instruire et d’amuser ses Lecteurs ! Passons à la seconde manière qui n’est pas moins propre à satisfaire une paresse orgueilleuse.

C’était décomposer une Chronologie du Théâtre des Auteurs, et des pièces, depuis l’origine des Spectacles en France jusqu’à présent. Par cet arrangement la disette des faits n’était plus un obstacle à l’Ouvrage, on aurait assuré le Lecteur d’un ton d’autorité, que par ce moyen il jouirait de tout l’agrément de l’Histoire, sans en essuyer les détails inutiles : Cela posé, et à l’aide des Bibliothèques, des recherches, et des avis de deux ou trois curieux, dans ce genre, de littérature, on prend en toute sûreté le titre d’Auteur à la mode ; cette route est favorable, elle épargne d’ennuyeuses lectures, et fait éviter bien des soins et des embarras.

Celle que nous avons suivi est longue et difficile, et même très arbitraire pour le succès ; mais néanmoins la seule qui semble devoir satisfaire l’attente du Public, ; car en rassemblant les différents discours des personnes qui souhaitent une Histoire du Théâtre Français, on sent qu’ils espèrent y trouver aussi celle des Auteurs, des pièces, et des Acteurs ; reste à savoir s’il est possible de contenter leur curiosité.

Nous l’avons déjà dit, et nous le répétons encore, la négligence des Historiens, et l’impossibilité de consulter certains livres renfermés dans les Cabinets de différents particuliers, nous obligeront à laisser quelques vides dans notre Ouvrages mais d’un autre côté nous avons reçus des secours si considérables, que nous avons tout lieu de nous consoler. Nous les devons aux bontés de Monsieur l’Abbés Sallier, dont le mérite, la science et les talents sont connus de tout le monde, qui nous a fait part des livres les plus précieux de la Bibliothèque du Roi, avec des soins et des attentions dont il est seul capable.

Monsieur l’Abbé Desmarais, si digne de la place de Bibliothécaire qu’il occupe au Collège Mazarin, s’est prêté très favorablement à notre entreprise, en nous faisant donner tout ce que nous lui avons demandé ; Monsieur l’Abbé Contet qui remplit avec distinction un pareil emploi à l’Abbaye S. Victor, dont il est Chanoine, nous a ouvert la Bibliothèque de sa maison avec toutes les politesses possibles ; et beaucoup d’autres illustres amis qui nous ont confié leurs Recueils. Pénétrez d’une vraie reconnaissance, nous saisissons avec joie l’occasion de la leur marquer, et nous aurons attention de citer les sources où nous avons puisé[2].

L’Histoire du Théâtre Français, depuis son origine jusqu’en MDC comprend non-seulement celles des Confrères de la Passion, des Clercs de la Bazoche, et des Enfants sans Souci ; mais encore celle des Poètes qui ont travaillé pour ces différentes Sociétés, et des pièces qu’ils donnèrent. Ces faits demandent un ordre qui ne fatigue point la mémoire des Lecteurs ; celui que nous avons suivi nous a paru de ce genre, le Public en décidera, nous nous contentons de le lui exposer.

Notre Ouvrage commence par l’origine des Spectacles en France et cette origine remonte jusqu’au Règne de Charlemagne.

En suivant l’ordre des temps, nous avons trouvé les célèbres Troubadours, qui non-seulement furent les premiers Poètes qui ont paru en Europe, mais aussi les vrais Restaurateurs du Poème Dramatique. Le détail que nous donnons de leurs personnes et de leurs ouvrages, n’est pas sans mérite de notre part : et nous ne craignons point d’avancer, que ceux qui voudront traiter après nous le même sujet, auront quelque peine à ne nous pas copier. Revenons à notre plan.

Enfin, les Cantiques Spirituels, que les Pèlerins qui revenaient de Jérusalem, de S. Jacques de Compostelle, de Sainte Reine, et du Mont S. Michel, donnèrent occasion à quelques gens de former entre eux une Société pour représenter une espèce de Poème en Dialogue, intitulé, Le Mystère de LA PASSION, Ce dessein fut autorisé par des Lettres Patentes de Charles VI. Les Confrères de la Passion (car c’est le titre qu’ils prirent) dressèrent un Théâtre à l’Hôpital de la Trinité où ils représentèrent différents Mystères pendant un assez longtemps. Ce lieu leur ayant été ôté, ils se transportèrent à l’Hôtel de Flandres[3], et delà à celui de Bourgogne, qu’ils achetèrent : mais le Parlement leur fit défenses de représenter à l’avenir aucun sujet tiré de l’Écriture Sainte. Cet ordre obligea les Confrères trop pieux pour jouer des pièces profanes, à louer leur Hôtel à une troupe de Comédiens qui se forma pour lors. 

Si ces événements paraissent un peu trop sommairement rapportés, ne s’en faut prendre ni à nous, ni aux Auteurs de qui nous les empruntons ; ces derniers ne devaient pas en dire davantage ; ils traitaient l’Histoire Générale, et celle du Théâtre Français y tient une trop petite place pour mériter de plus longs éclaircissements.

Ce n’est que par les pièces de ce Théâtre qu’on peut connaître les Auteurs et les Acteurs, et apprendre plusieurs faits qui tiennent à l’Histoire que nous traitons ; c’est le premier motif qui nous a engagé à donner des Extraits circonstanciés de tous ces Poèmes Dramatiques accompagnés de Notes, qui éclaircissent les endroits obscurs.

À la vérité, nous aurions pu joindre les faits particuliers aux généraux, mais ce n’aurait été qu’en en tassant citation sur citation ; méthode excellente, mais déplacée dans un Ouvrage de la nature de celui-ci, qui malgré les recherches dont il est chargé annonce, plus d’amusement que de savoir[4].

La seconde raison qui nous a déterminés à faire des Extraits, des Mystères, des Moralités, des Sottises, et des Farces, n’est pas moins importante à l’exécution de notre projet. Ces Poèmes, indépendamment de leur extrême rareté, sont ennuyeux à l’excès. Tout y contribue, plan ridiculement construit, vers sans cadences et sans règles, langage qui est devenu presque inintelligible, ignorances, et grossièretés sans nombre ; en un mot, tout ce qui peut rendre une lecture rebutante se trouve rassemblé dans ces pièces. Nous nous en rapportons à ceux qui en possèdent quelques-unes. Il a donc fallu essuyer tous les désagréments que nous venons de peindre, pour mettre le Lecteur en état de jouir du peu de bon, et de naturel qui se trouve dans ces sortes d’ouvrages. Cela ne s’est pas fait sans peines, et sans soins, et nos espérances seraient terriblement trompées, si le Public ne nous en tenait pas quelque compte. Soumis à ces décisions, continuons de lui expliquer l’arrangement de nos extraits.

Après l’historique du Théâtre, que nous coupons en 1548 temps où les Confrères cessèrent de représenter. Suivent les Extraits des Mystères de la Conception, Passion Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cela forme six Poèmes, distingués par Journées[5]. La Conception fait la première, la Passion les quatre suivantes, et la Résurrection la sixième. On s’est un peu étendu sur ces Mystères ; ce sont les premiers, les meilleurs, et ceux qui ont constitué la forme, et le fond du Théâtre des Confrères : et où, à force de patience, on ne laisse pas de trouver des situations ménagées avec assez d’art, et des morceaux de versification très poétiques.

Comme bien des gens blâmeront sans doute la longueur des Extraits qui remplissent le premier volume, il est nécessaire de leur prouver qu’en les faisant plus cours, on  mériterait leur censure.

Les Mystères dont on rend compte, sont si inconnus au Public en général, qu’à peine en sait-il le titre[6]. Et même la plupart des personnes qui en ont recueilli quelques-uns, négligent, ou n’osent en entreprendre la lecture. Il fallait donc satisfaire la curiosité des uns, et se prêter à la paresse des autres. Pouvait-on exécuter autrement ce dessein, qu’en mettant le Lecteur en état de juger par lui-même, non-seulement du fond, et de la forme de ces poèmes, mais encore du génie des Auteurs qui les ont composés, des caractères des personnages, du goût de la versification, et de la façon dont le tout s’exécutait ? Un Mystère seul ne suffisait pas ; les six que nous donnons, et qui forment le genre et l’espèce de nos anciens Spectacles, sont si intimement liés ensemble, qu’en les séparant, c’était ôter, à ceux qui seraient restés, l’agrément qu’ils pouvaient avoir[7].

L’attention avec laquelle ces Extraits sont composés, fait espérer qu’on y trouvera de quoi s’instruire en s’amusant. Les Notes historiques et critiques, sans être nombreuses, n’en seront pas moins utiles, aussi bien que l’explication de plusieurs mots, et façons de parler, qui ne sont plus en usage. Pour une plus grande commodité, on a mis à la tête de chaque Journée, les noms des Personnages qui y paraissent, et distingué par des chiffres, chaque Action du Poème, ce qui ne se trouve point dans l’Original.

L’occasion de venger ces Poèmes du mépris où ils sont tombés depuis très longtemps, moins par leur propre défectuosité, que par l’ignorance et la malice de quelques particuliers, est trop favorable pour n’en pas profiter. L’obscurité à laquelle ces pièces furent condamnées, par le bon goût, et la politesse, les anéantit tellement aux yeux du Public, qu’il n’en resta que des notions très vagues, qui bien tôt devinrent fausses, au moyen de quelques mauvais lambeaux de vers, qu’on disait tirés de ces Pièces. La bassesse et le ridicule de ces prétendus passages scandalisèrent les simples, et inspirèrent aux gens du mon de une prévention, qui a toujours été en augmentant.

Avant que de combattre des préjugés si généralement reçus, il faut rapporter le morceau auquel on ajoute le plus de créance : il se trouve dans les Aventures de Dassoucy. Ce Poète dit avoir lu, dans un Ouvrage qui fut vendu très cher, le passage suivant.

C’est Jésus-Christ qui vient appeller S. Matthieu à l’Apostolat[8].

DIEU.

Matthieu ?

MATTHIEU.

Plaît-il, Dieu ?

DIEU.

Prends ton bâton, et ton épieu,
Et me suis en Galilée.

MATTHIEU.

Prendrai-je aussi mon épée ?

Sans entrer dans un plus long examen que l’on compare seulement le langage, et la tournure de ces vers avec ceux qu’on trouvera dans les Extraits, et l’on connaîtra aisé ment l’ignorance et la bêtise de Dassoucy. Ce trait, et quelques autres encore plus méprisables, qu’on défie de trouver dans aucune pièce de Théâtre, soit ancienne ou moderne, sont tellement répandus, que l’on ne peut assez en faire voir l’impertinence et la fausseté.

Les Poèmes dramatiques de l’ancien Théâtre Français, renferment tant de choses capables de les ridiculiser, qu’il est étonnant que ceux qui ont tâché de les rendre tels, en aient emprunté de leur imagination. Cependant à travers de mille défauts inexcusables on trouve des morceaux qui ne sont pas sans mérite. Disons plus, ces mêmes défauts dont on vient de parler, disparaîtraient en partie, si l’on voulait choisir le point de vue nécessaire pour juger de ces Ouvrages. Il faut donc le transporter dans le siècle qui leur donna naissance ; siècle où la France désolée par des guerres intestines et étrangères, gémissait dans une ignorance presque totale. Malgré ces calamités, l’idée d’un Spectacle pieux, donné par des Pèlerins, est adoptée par une Société de Bourgeois : on donne une forme dramatique au Mystère de la Passion de Jésus-Christ, on élève un Théâtre pour en donner la représentation, le peuple y court en foule, la vue d’un Dieu mourant pour le racheter des peines de l’enfer, le touche, l’attendrit : il pleure avec effusion de cœur, et les épisodes burlesques qui accompagnaient un Mystère si respectable, loin de distraire la dévotion, ne font que l’augmenter.

Car enfin, les choses qui nous paraissent les moins en place, sont peut-être celles qui ont fait le plus d’impression ? L’image de l’Enfer, et les discours comiques que les Diables débitaient, faisaient rire les Spectateurs, mais ces derniers n’étaient pas moins effrayés des châtiments réservés aux scélérats. D’autres personnages, tels que ceux des Satellites de Pilate, de Cayphe, etc. qui nous paraissent si scandaleux, faisaient une toute autre impression sur leur esprit.

Une plus longue apologie serait superflue ; notre dessein n’est pas d’excuser toutes les inepties de ces pièces, mais de détruire à leur sujet une prévention qui n’a aucun fondement : il faut laisser au Lecteur la satisfaction de décider par lui-même du prix des poèmes dont on lui présente les Extraits. C’est par ces Extraits que finit le premier Volume.

Le second ouvre par l’Histoire des Clercs de la Bazoche, au temps où ils commencèrent à représenter des pièces de Théâtre, jusqu’au temps où ils cessèrent ces amusements. L’extrait d’une moralité, et une Farce complète, achèvent de faire con naître cette Société.

L’Article des Enfants sans Souci ne sera pas moins curieux que le précédent : on le finira par une de leurs Pièces, pour laquelle on demande quelque indulgence, et beaucoup d’attention.

On trouvera ensuite tout ce qu’on a pu rassembler de faits historiques, et anecdotes sur les Auteurs, et les Acteurs, depuis 1402 jusqu’en 1547. Les Notes suppléeront au texte : Des Extraits extrêmement concis, mais qui ne donneront pas moins l’intelligence, le singulier, et l’esprit de chaque pièce, rempliront le reste du Volume. En suivant un ordre Chronologique, on a distribué ces Extraits en trois Classes ; la première comprendra les Mystères de l’Ancien, et du Nouveau Testament, et quelques autres d’un genre diffèrent, suivis de ceux de Saints et de Saintes. La deuxième, les Moralités et les Farces ; et la dernière les Jeux de Pois-Pilez, ou Sottises.

Jodelle, la Peruse, Grévin, et enfin Garnier, guidés par la lecture des Poètes Grecs et Latins, qui leur fournit de judicieuses réflexions, donnèrent au Théâtre Français une forme plus raisonnable, et bannirent, par leurs productions, presque toutes celles qui avaient paru jusqu’à leur temps. Mais ceux qui les suivirent, jusqu’au règne de Louis XIII bien loin de perfectionner ces heureux commencements, en retardèrent les progrès par la faiblesse de leurs Ouvrages. Mayret, Rotrou, Durier, etc. plus éclairés, joignirent le bon sens, à la noblesse des expressions ; Corneille, après avoir suivi quelque temps ses contemporains, prit l’effort, et devint un modèle par ses chefs-d’œuvre. Racine, avec un génie moins élevé, mais plus sage, prit place auprès de ce grand homme, et lui ravit quelques-uns de ses lauriers. Molière, pétri, animé, et conduit par la simple, et belle nature, s’éleva si supérieurement dans le Comique, que plus on s’éloigne de son temps, et plus il devient inimitable. Ces événements, et ceux qui les sui virent jusqu’en 1700 achèveront de remplir le dessein que nous avons entrepris.

 

 

ORIGINE DES SPECTACLES EN FRANCE

 

Il serait inutile de remonter plus haut que le commencement du XIIe Siècle, pour trouver l’origine de la Comédie en France ; quoique sous la première Race de nos Rois, il soit fait mention des Histrions, sous le nom desquels étaient compris les Farceurs, Danseurs, et Bateleurs, Charlemagne, par une Ordonnance de 789 supprima leurs jeux, à cause des obscénités qui y étaient répandues. Cet ordre fit tellement disparaître cette sorte de gens, que sous les Rois de la seconde Race il n’en est plus fait aucune mention. Cependant le goût des Spectacles existait toujours parmi le peuple, et par un abus encore plus énorme, il s’était introduit jusques dans les Églises, et ce ne fut que vers l’an 1197 qu’Eudes de Sulli, Évêque de Paris, fit tous ses efforts pour réprimer un désordre qui se commettait tous les ans, publiquement dans son Église, aussi bien que dans plusieurs autres du Royaume.

C’est ce qu’on nommait LA FESTE DES FOUX, reste d’une superstition Païenne plus digne d’horreur que d’imitation. En ce jour de réjouissance l’Église se trouvait remplie de gens masqués, qui la profanaient par des danses, des jeux, et des chansons infâmes, des bouffonneries sacrilèges, et par toutes sortes d’excès ; quelquefois jusqu’à effusion de sang[9]. Eudes donna l’an 1198 un Mandement pour retrancher un désordre si scandaleux. Mais il y a grande apparence que par son autorité il ne put venir à bout de retrancher absolument la Fête des Foux dans son Église, puisqu’elle subsistait encore 240 ans après, comme on en peut juger par la censure de la Faculté de Théologie de Paris, en datte du 12 Mars 1444 rapporté à la suite des Œuvres de Pierre de Blois, page 788.

La Provence que les Romains avaient tant estimée, a toujours passé pour un pays dont les Habitants sont nés avec une agréable vivacité d’esprit, et une certaine gaieté, à laquelle la chaleur du climat contribue peut-être. C’est-là que vers la fin du XIe Siècle on vit paraître ces aimables génies, qui tirèrent les Muses de l’assoupissement où elles étaient depuis longtemps en France, et donnèrent l’idée des Spectacles qui parurent dans la suite. Ces Poètes Provençaux, qu’on appela Trouvères, ou Troubadours, c’est-à-dire inventeurs, composèrent différentes sortes de Poésies qui furent nommés Chant, Chanterel, Chanson, Son, Sonnet, Vers, Mot, Layz, Depport, Soulas, Pastorales, Syrventes, Tensons, et Comédies. (Nous ne parlerons que des trois derniers genres, les autres étant étrangers à notre sujet.) De plus ces Trouvères eurent la gloire d’avoir les premiers fait sentir à l’oreille les véritables agréments de la rime. Jusqu’à eux elle était indifféremment placée au commencement, au repos, et à la fin du Vers. Ils la fixèrent où elle est maintenant, et il ne fut plus permis de la changer.

Les voyages pour le recouvrement de la Terre-Sainte, que tous les Princes de l’Europe entreprirent dans le XIe siècle, et les Victoires qu’ils remportèrent sur les Infidèles, furent célébrées par les Troubadours ; les Pièces qu’ils composèrent à ce sujet, et qu’on nomma Syrventes, étaient des espèces de Poèmes mêlés de louanges, et de satires.

À l’égard des Tensons, c’étaient des demandes fines et délicates sur l’amour, et sur les amants : En voici quelques-unes pour en donner une idée.

Un amant a eu deux maîtresses ; l’une ne lui a accordé son cœur qu’après de longues poursuites ; l’autre ne l’a pas fait soupirer longtemps : on demandait à laquelle des deux il avait plus d’obligation.

Un amant est si jaloux qu’il s’alarme de la moindre chose, un autre est si prévenu de la fidélité de sa maîtresse qu’il ne s’aperçoit pas seulement qu’il a de justes sujets de jalousie, on demandait lequel des deux marquait plus d’amour.

Deux Dames ont chacune un amant, celui de la première compte aller exercer la valeur, et son adresse à un Tournois qui se prépare cependant comme cette maîtresse lui défend d’y aller, il obéît : La seconde au contraire, ordonne à son amant de se trouver à ce même Tournois, et quoiqu’il soit faible, et peu courageux, il part dans le moment même. On demande lequel de ces deux amants a marqué plus d’amour pour sa Dame.

Ces demandes donnaient lieu à mille ingénieuses réponses ; et parce que les sentiments étaient toujours partagés, il en naissait d’agréables disputes qu’on appelait Jeux mi-partis.

Ces disputes étaient envoyées à une société de Dames, autant illustres par leur naissance, que par leur savoir, qui résidaient ordinairement à Romanin, ou à Pierre-feu, qui donnaient leur décision sur les différentes matières que l’amour peut fournir. Elles rendaient leurs jugements sur les jalousies, et sur les brouilleries des amants : c’est pour cela qu’on appelait cette Société la Cour d’Amour.

Ces Poésies mirent la Langue Provençale en usage par toute l’Europe, et les Troubadours en une si grande réputation que les deux Empereurs, Fréderic premier ; et second du nom, en attirèrent plusieurs à leur Cour. Richard Cœurs-de-Lyon, Roi d’Angleterre, les honora de son amitié et de ses bienfaits. : Le Roi Louis, le jeune, non seulement les reçût à la Cour, et leur fit d’aussi riches présents que les Princes que l’on vient de nommer ; mais même quand il partit en 1147 pour la conquête de la Terre-Sainte, il voulut en avoir à sa suite, espérant qu’ils lui seraient d’un grand secours pour adoucir les ennuis d’un si long voyage.

Avant que de rendre compte des Comédies, composées par les Trouvères ou Troubadours, il est nécessaire de parler des Conteurs, Chanteurs, et Jongleurs qui parurent dans le même temps.

Les premiers composaient les Proses historiques et romanesques ; car il y avait Romans rimés, et sans rime. Les Romans rimés étaient faits par les Trouvères, et les autres par les Conteurs. Ce fut alors qu’on parla des Soudans d’Acre, de Damas de Babylone, et autres Princes de l’Asie inconnus avant les voyages d’Outre-mer.

Les Chanteurs, dont le nom exprime assez l’emploi, chantaient les productions des Poètes Troubadours ; à l’égard des Jongleurs, ils étaient plus anciens que ceux dont nous venons de parler, car il est fait mention d’eux dès le temps de l’Empereur Henri II qui mourut en 1056. Ces Jongleurs qui jouaient de différents instruments, s’associèrent avec les Chanteurs et les Troubadours, pour exécuter les ouvrages de ces derniers ; et ainsi de compagnie, ils s’introduisirent dans les Palais des Rois, et des Princes, et en tiraient de magnifiques présents.

Tel était l’état de bel esprit en Provence, lorsqu’en 1162 l’Empereur Fréderic premier du nom, donna cette Province en Souveraineté à Raymond Berenger, Comte de Barcelone, en faveur du mariage que ce dernier contracta avec Rixende, ou Richilde sa Nièce.

Les Maures qui avaient subjugué l’Espagne, y avaient porté la Poésie ; le Comte de Barcelone et ses Courtisans en connaissaient les beautés, quand ils vinrent en Provence : Ainsi les Troubadours n’eurent pas besoin de Mécènes pour s’introduire à cette Cour, où ils furent toujours agréablement reçus : Les Comtes de Sault, les Barons de Grignans, ceux de Castellane, et tous les Seigneurs de Provence, faisaient gloire d’avoir auprès d’eux de ces nouveaux Poètes, auxquels ils donnaient des chevaux, des armes et des habits magnifiques.

Ces fameux Poètes Provençaux brillèrent en Europe environ 250 ans, c’est-à-dire depuis 1120 ou 1130 jusqu’à la fin du Règne de Jeanne première du nom, Reine de Naples et de Sicile, Comtesse de Provence, qui mourut en l’an 1382. Alors défaillirent les Mécènes, et défaillirent aussi les Poètes, dit Nostradamus. D’autres voulurent suivre les traces des premiers Trouvères, mais n’en ayant pas la capacité, ils se firent mépriser : de sorte que tous ceux de cette profession se séparèrent en deux différentes espèces d’Acteurs ; les uns sous l’ancien nom de Jongleurs, joignirent aux instruments le chant, ou le récit des vers ; les autres prirent simplement le nom de Joueurs (Joculatores). C’est ainsi qu’ils sont nommés dans les anciennes Ordonnances.

Tous les jeux de ceux-ci, consistaient en gesticulations, tours de passe-passe, par eux, ou par des Singes qu’ils portaient, ou en quelques mauvais récits du plus bas burlesque. Les uns et les autres tombèrent enfin dans un tel mépris, que les folies qu’ils débitaient dans le Public, parurent si scandaleuses, que par un commun proverbe, lorsqu’on voulait parler d’une chose mauvaise, folle, vaine, ou fausse, on la nommait Jonglerie ; et Philippe Auguste, dès la première année de son règne les chassa de la Cour, et les bannit de les États.

Quelques uns néanmoins qui se reformèrent, s’y établirent, et y furent soufferts dans la suite du règne de ce Prince, et des Rois ses successeurs. Nous en avons la preuve dans un tarif qui fut fait par S. Louis, pour régler les droits de péage, qui se payaient à l’entrée de Paris, sous le Petit-Châtelet ; l’un des Articles porte, que le Marchand, qui apporterait un Singe pour le vendre, paierait quatre deniers ; que si le Singe appartenait à un homme qui l’eût acheté pour son plaisir, il ne donnerait rien, que s’il était à un Joueur, il en jouerait devant le péager, et que par ce jeu, il serait quitte du péage, tant du Singe, que de tout ce qu’il aurait, achète pour son usage : C’est de là que vient cet ancien proverbe populaire payer en monnaie de Singe, en gambades. Un autre article porte, qu’à l’égard des Jongleurs, ils seraient aussi quittes de tous péages, en faisant le récit d’un couplet de chanson devant le péager.

Tous prirent dans la suite le nom de Jongleurs, comme le plus ancien, les femmes qui s’en mêlaient celui de Jongleresses. Ils se retiraient à Paris dans une seule rue qui en avait prit le nom de rue des Jongleurs, et qui est aujourd’hui celle de S. Julien des Ménétriers : on y allait louer ceux que l’on jugeait à propos pour s’en servir dans les fêtes, ou assemblées de plaisir.

Il y a une ancienne Ordonnance de Guillaume de Germont, Prévôt de Paris, du 14 Septembre 1341 qui défend à ceux ou à celles des Jongleurs ou Jongleresses qui auraient été loués pour venir jouer dans une assemblée, d’en envoyer d’autres en leurs places, ou d’en amener avec eux un plus grand nombre que celui dont on serait convenu.

Par une autre Ordonnance de la même date, et du même mois de l’an 1395 il leur fut défendu de rien dire, représenter ou chanter dans les places publiques ou ailleurs, qui pût causer quelque scandale, à peine d’amende, et de deux mois de prison au pain et à l’eau. Depuis ce temps-là, il n’en est plus parle.

Ce n’est pas que l’usage de ces spectacles se perdît, mais les principaux d’entre les Acteurs s’étant adonné à faire plusieurs tours surprenants et périlleux avec des épées et d’autres armes, on commença de les nommer Batolores, et en français Bateleurs. Et enfin ces jeux devinrent le partage des Danseurs de corde, et des Sauteurs.

Nous avons dit que les Poètes Provençaux, furent les Inventeurs des Syrventes, des Tensons et des Comédies : Nous avons rendu compte des deux premiers genres de Poésie, passons présentement au dernier.

Ancelme Faydit qui mourut en 1220 est auteur de l’Hérésie des Pères[10], Pièce Satirique, que Boniface, Marquis de Montferrat fit jouer publiquement sur les terres. (Nous en dirons le sujet dans la vie de ce Poète.) Luco de Grimauld mort en 1308 composa plusieurs Comédies contre le Pape Boniface VIII. René d’Anjou, Roi de Sicile et de Naples, et Comte de Provence, selon Jean du Bouchet dans ses Annales d’Aquitaine, fit plusieurs Rondeaux, Balades, et Comédies. Mais celui de tous les Poètes Troubadours qui mérita la plus haute réputation, fut B. de Parasols, qui composa cinq Tragédies satiriques contre Jeanne première, Reine de Naples et de Sicile, Comtesse de Provence, qu’il dédia au Pape Clément VII qui résidait à Avignon.

Comme toutes ces pièces ne sont pas parvenues jusqu’à nous, il n’est pas aisé d’en porter un jugement bien sûr : mais à les comparer à celles qui les suivirent, et qui restent, (on entend les Mystères de la Passion,) on peut assurer qu’elles ressemblaient plutôt à des Dialogues qui exprimaient l’action que l’Auteur satirisait, qu’à des Comédies telles qu’on a commencé d’en composer sous le règne de Charles IX. Voilà tout ce qu’on peut dire de plus vraisemblable sur ces ouvrages.

Il faut maintenant parler des illustres Troubadours qui ont travaillé dans le genre Théâtral : mais pour les mieux faire connaître, il est bon de dire que parmi ces Poètes, il y en eut qu’on nomma Comiques, c’est à-dire Comédiens ; parce qu’en effet ils jouaient eux-mêmes dans les Pièces qu’ils composaient, et peut être dans celles qu’ils débitaient à la Cour des Rois et des Princes où ils étaient admis. Et en cela ils ne crurent point s’avilir, au contraire on les regardait avec plus d’estime, puisqu’ils joignaient aux talents de la Poésie, et de la Déclamation celui de la Représentation.

DANIEL (ARNAUD,) naquit à Tarascon, quelques uns disent à Beaucaire, et d’autres enfin à Montpellier ; quoiqu’il en soit, la Noblesse fut le seul bien qu’il reçut en naissant ; à peine ses parents furent-ils en état de lui donner une éducation convenable. Daniel ayant fini ses études, devint amoureux d’une Dame Provençale, pour laquelle il composa beaucoup de chansons, Sextines, Tensons, et Syrventes : mais il n’osa jamais la nommer, à cause de la haute naissance ; et cette Dame ne paya ses soins et ses Poésies que de mépris. Daniel s’attacha à une autre personne, qui était l’Épouse d’un Seigneur de Gascogne nommé Guillaume de Bouille, à qui il donna le nom Cyberne, quoiqu’elle se nommât Allaëte. On ignore si notre Poète fut plus heureux dans cette seconde passion. Tout ce qu’on sait de plus certain, est qu’il florissait en 1189 et qu’il composa plusieurs Tragédies et Comédies, et un Poème intitulé les Illusions du Paganisme[11]. Pétrarque a bien su profiter des Poésies de Daniel.

FAYDIT (ANCELME,) fils d’un Bourgeois d’Avignon, qui faisait les affaires du Légat en cette Ville, fut tout ensemble Poète, et Musicien. Comme il aimait le plaisir et la bonne chère, on dit qu’ayant perdu tout son bien au jeu de dés, il se fit Poète Comique, c’est-à-dire, qu’il représentait dans les pièces de la composition. Et non content des présents que les Seigneurs lui faisaient pour ses ouvrages, il fit souvent dresser un lieu propre à jouer ses Comédies, et recevait l’argent que les spectateurs donnaient à la porte. Richard surnommé cœur-de-Lyon, Roi d’Angle terre, le prit à son service, et lui fit beaucoup de bien : mais ce Prince étant mort en 1199 Faydit accoutumé à faire une grande dépense, ne trouvant plus personne qui voulût fournir à toutes ses prodigalités, tomba dans une extrême indigence. Il épousa une jeune Demoiselle nommée Guillemette de Souliers, d’une des meilleures Maisons de Provence, qu’il avait séduite, et enlevée d’Aix, d’un Couvent où elle était ; il courut la France avec elle ; comme elle avait la voix parfaitement belle, il lui faisait chanter ses productions. Il ne garda pas longtemps cette Épouse : elle aimait autant que lui la bonne chère, et les excès qu’elle fit lui causèrent une maladie, dont elle mourut en peu de jours. Faydit, qui commençait à vieillir, prit le parti d’aller offrir ses services à Boniface, Marquis de Montferrat, Prince qui aimait, et protégeait les gens de lettres. Ses espérances ne furent point trompées, Boniface le reçût avec bonté, et lui donna une pension considérable. Ce fut à la Cour de ce Prince que Faydit mit au jour une Comédie intitulée l’Hérésie des Pères[12]. Mais pour bien entendre toute la force de ce titre ; il est nécessaire de dire ici en peu de mots qu’elle était l’idée de l’Auteur. Au commencement du XIIe siècle, Pierre de Bruys, et Arnaud de Bresle publièrent plusieurs discours erronés, dont le principal but était de détourner les hommes de l’usage des Sacrements, de renverser l’ordre Hiérarchique, et de troubler la discipline de l’Église. Ces erreurs se répandirent dans la Provence, et firent tant de progrès, qu’elles pénétrèrent jusques dans l’Allemagne, l’Italie et l’Angleterre. Elles furent condamnées d’abord dans un Concile tenu à Toulouse en 1119. Canon IIe qui fut répété dans le Concile de Latran de l’an 1139 et dans celui de Tours de l’an 1163 vers la fin du même siècle, les disciples de Pierre Valdo, appelés Vaudois ou Pauvres de Lyon, se joignirent aux Sectateurs de Pierre de Bruys, et d’Arnaud de Bresle et ces deux Sectes furent généralement appelées du nom d’Albigeois, de la Ville d’Albi, où ils s’étaient établis. Je passe le détail de leurs erreurs, et je viens à l’histoire qui rapporte que Gilbert de Lyon les condamna pour la première fois dans un Concile tenu à Lombés en 1176. Deux ans après, Pierre Cardinal, accompagné des Archevêques de Bourges, de Narbonne et des autres Missionnaires, vinrent dans Languedoc, à dessein de les ramener à leur devoir : et l’année suivante, le Concile de Latran employa encore toutes les foudres de l’Église contre ces Novateurs. Le mal s’était longtemps caché, l’hérésie s’était couverte d’une fausse apparence de piété, et lorsqu’on voulut s’y opposer, elle avait déjà pris de si fortes racines, qu’il fallut employer le fer et le feu pour l’exterminer. En 1206 Diego Évêque d’Osme en Espagne ; suivi de S. Dominique son diocésain, d’Arnaud Abbé de Cîteaux, de Pierre de Châteauneuf, Évêque de Carcassonne et d’autres, entreprirent de prêcher contre les Albigeois : quoi que ceux-ci eussent pour protecteurs les Comtes de Toulouse, et tous les Princes voisins qui les soutenaient ou par intérêt, ou par inclination, ou par politique. Pierre de Châteauneuf avait le titre de Légat du Saint-Siège : Raymond IV du nom, Comte de Toulouse, le chassa du Languedoc, et le fit assassiner lors qu’il se jetait dans un bateau pour passer le Rhône. Cette affaire eut des suites fâcheuses, mais comme elle ne regarde plus notre histoire, nous nous arrêterons seulement sur ce fait, qui est l’époque de la pièce de Faydit. Boniface était ami et fauteur de l’hérésie que le Comte de Toulouse soutenait. Ainsi il y a grande apparence que le Poète pour plaire à son bienfaiteur, forma le dessein de tourner en ridicule les auteurs des Conciles qui avaient condamné les Albigeois ; et pour cela il fallait les traiter eux-mêmes d’hérétiques ; c’est ce que le titre de : l’Hérésie des Pères promet, et que la Comédie exécuta. Nostradamus nous apprend que Faydit avait composé cette pièce très secrètement et qu’il ne la montra qu’à Boniface, mais que ce Prince charmé de ce morceau satirique, la fit jouer publiquement dans ses États. On ne sait pas pourquoi Faydit se retira en Provence, chez le Marquis de Sault, mais on sait seulement que ce Marquis lui fit beaucoup de bien, et qu’il mourut à Agoult, Terre appartenant à ce Seigneur, en 1220. Pétrarque a parlé de ce Poète dans son IV chapitre du Triomphe de l’amour.

BRUNET (HUGUES,) Gentilhomme de la Ville de Rodez, fut simplement Poète Comique, c’est à-dire qu’il ne composa point de pièces, et qu’il se contenta d’exécuter celles qu’on lui disait de jouer ; mais il faisait de jolies chansons, que les Chanteurs débitaient ; car Brunet n’avait point de voix. Le Roi d’Aragon  l’appela à la Cour, et lui fit du bien : Brunet y demeura quelque temps, et passa successivement du Comte de Toulouse, au Comte de Rodez, et enfin au Dauphin d’Auvergne. Il devint amoureux d’une Dame nommée Julienne de Monteil qui passait pour la plus belle, et la plus spirituelle de toutes les Dames de Provence, mais le peu de progrès que ce Poète fit sur son cœur, l’obligea à quitter la Cour du Dauphin d’Auvergne, il revint chez le Comte de Rodez, où il adressa ses hommages à la Comtesse son épouse. Le Comte qui connaissait sa vertu, ne s’alarma pas de l’amour que Brunet avait pour elle, et ne lui en fit pas un moindre accueil. Brunet mourut en 1223 il avait composé un Poème intitulé les Traverses de l’Amour[13].

USEZ (GUY D’) Seigneur en partie du lieu dont il portait le nom, puîné de deux frères qui n’avaient pas plus de bien que lui, puisque tout l’héritage de leur Père consistait en ce petit Fief. L’aîné nommé Ebles, remontra à Guy, et à Pierre ses cadets, qu’il leur était honteux de rester ainsi enterrés dans une Chaumière, tandis que la Nature leur avait donné le moyen de vivre dans l’abondance : que son sentiment était qu’ils allassent tous trois de compagnie promener leurs talents à la Cour des Princes de l’Europe. Cet avis fut goûté, et pour augmenter la bonne compagnie, ils engagèrent Elias, leur cousin, bon Poète Comique, et qui n’était pas plus riche, à voyager avec eux. Avant le départ, ils convinrent, que les Chansons de Guy et les Syrventes d’Ebles, seraient chantées par Pierre, qui savait la Musique, et qui avait la voix fort belle : qu’Elias représenterait les Comédies, et que le profit serait partagé également entr’eux. Il fut de plus convenu, qu’ils ne se quitteraient qu’après leur retour. Ces conventions faites ils partirent, et arrivèrent à la Cour de Reynauld Vicomte d’Albuzon qui les reçût avec plaisir, aussi bien que Marguerite sa femme, étant tous deux grands amateurs de la Poésie Provençale. Nos Poètes firent des merveilles, et furent bien récompensés de leurs productions. Au bout d’un certain temps ils prirent congé de leurs bienfaiteurs, et montés comme des Paladins, ils passèrent dans les États de la Comtesse de Montferrat, qui ne leur fit pas un moindre accueil que le vicomte d’Albuzon. Ils y brillèrent beaucoup, mais ayant fait des Syrventes sous le titre de La Vie des Tyrans[14] où ils déchiraient la réputation des Papes, des Rois, et des Princes de l’Europe ; le Légat du Pape leur imposa silence, et les menaça de les faire punir publiquement. Ce fut l’écueil de leurs travaux poétiques : Usez, ses frères et son cousin, s’en retournèrent chez eux, comblés de biens et de tristesse. Guy mourut peu de temps après en 1230 à l’égard des autres, l’histoire n’en par le plus.

SAINT-REMI (PIERRE DE) d’une des plus illustres familles de Provence, composa plusieurs Comédies, et des Chansons, qu’il adressa à Antoinette Dame de la Suze, de la Maison de Lambesc, et un ouvrage satirique contre les habitants des principales Villes de la Provence. S. Remi mourut en 1263.

PERDIGON, Gentilhomme du Gévaudan, fut tout ensemble, Poète, Musicien, Joueur d’instruments, et Comique. Le Dauphin d’Avergne le fit Chevalier, et lui donna de belles terres. Mais ce Prince étant venu à mourir, son fils, qui n’avait point de goût pour la Poésie, congédia Perdigon. Ce dernier se retira chez le Comte Raymond Berenger dernier du nom, Comte de Provence, qui répara toutes les pertes que Perdigon avait faites. Aussi ses victoires furent célébrées en beaux vers Provençaux : car ce Poète en composa un Poème, qu’il intitula Les Victoires de Monsieur le Comte[15]. Perdigon épousa une Dame de Provence, de la Maison de Sabran : de laquelle, n’ayant point eu d’enfant, et se voyant déjà avancé en âge l’un et l’autre, ils firent une donation de tous leurs biens, au Comte de Provence. Ils moururent tous les deux environ l’an 1269.

NOUES (RICARD DE) Gentilhomme du lieu dont il portait le nom, suivit pendant quel que temps le fort des armes, où il s’acquit beaucoup de réputation : et quoique son père eût pris le parti des ennemis de Bérenger, Comte de Provence, Noves n’en fut pas moins bien reçu de ce Prince, à la louange duquel, il fit plusieurs Poésies. « Ce Poète fut bon Comique, et allait chantant ès maisons des grands Seigneurs en se promenant, et faisant gestes à ce convenables, par le remuement de sa personne, et changement de voix, et par autres actions requises à vrai Comique, en quoi il gagna un grand trésor. » On rapporte ce passage tiré de Nostradamus, pour appuyer ce que nous avons avancé, au sujet des Poètes qu’on appela Comiques. Noves mourut en 1270.

BOURNELH (GIRAUD DE) Gentilhomme Limosin, mais si peu accommodé des biens de la fortune, que ses Ouvrages furent son seul patrimoine. Il fut surnommé le Maître des Troubadours. On dit qu’il composait ses Ouvrages l’hiver, et que l’Été il allait à la Cour des Princes, accompagné de deux excellents Musiciens, qui récitaient ses chansons, et ses syrventes. Il ne voulut jamais se mettre aux gages d’aucun Prince, et après avoir amassé du bien par son économie, il mourut en 1278.

LUCO ou LUCAS, de la Ville de Grimaud en Provence, aima, et fut aimé d’une Demoiselle de la même Province, de la Maison de Villeneuve, cette Demoiselle,

  Qui l’aima trop, si l’on peut trop aimer[16],

Craignant de le perdre, lui donna un breuvage qui devait (lui avait-on dit) augmenter son amour. Nostradamus l’appelle le Breuvage amatoire. Mais à peine Lucas l’eût pris, qu’il s’alluma dans son sang un feu si cruel, que ne pouvant résister aux douleurs qu’il ressentait, il se donna la mort de ses propres mains, l’an 1308 ; n’ayant encore que 35 ans. On trouva parmi les papiers beaucoup de chansons qu’il avait faites pour sa trop tendre, et cruelle maîtresse, et plusieurs Comédies contre le Pape Boniface VIII composées dans sa jeunesse, mais qu’il avait été obligé de jeter au feu, par l’ordre des Magistrats, et que depuis il avait rappelées dans la mémoire, et augmentées de traits satyriques. On se croit dispensé de faire connaître quel pouvait être le sujet des Comédies de Lucas. Ceux qui ignoreront le caractère du Pape Boniface VIII prendront la peine de lire la vie de Philippe le Bel dans Mezeray.

ROGER (PIERRE,) fut dans son jeune âge Chanoine à Arles : mais le goût de la Poésie, et l’envie de briller dans le Monde, car il avait tout ce qu’il fallait pour cela, de l’esprit, du bien, de la jeunesse, et de la bonne mine, lui firent prendre la résolution de se faire Poète Comique, et d’aller ainsi parcourir l’Europe. Il composa plusieurs Comédies, et fut reçu avec tout l’agrément possible des Princes et des grands Seigneurs. Étant à la Cour du Comte de Foix, les charmes de Huguette de Baux, demoiselle d’honneur de la Comtesse de Foix, fixèrent le cœur de Roser : il lui consacra sa Muse, et les soins, et en reçût, dit St. Cezari, les derniers effets de l’Amour. Cela n’empêcha pas la demoiselle de Baux d’épouser Blacas de Baudinard, Seigneur d’Aups en Provence. On ignore les regrets, et les adieux de Roger, et de son Amante ; tout ce qu’on sait de plus positif, est que Roger fut assassiné en 1330 par les parents de sa Maîtresse, sur de faux rapports qui leur avaient été faits.

PARASOLS (B. DE) naquît à Sisteron : son père était Médecin de la Reine Jeanne, Comtesse de Provence. Parasols avait infiniment d’esprit, et de délicatesse, et ses Poésies furent recherchées avec soin par les personnes de goût, mais rien ne lui fit plus d’honneur que cinq Tragédies qu’il composa contre Jeanne, Reine de Naples et de Sicile, Comtesse de Provence, et qu’il dédia au Pape Clément VII qui pour lors résidait en Avignon. Ce présent fut récompensé d’un Canonicat à Sisteron. Mais Parasols ne jouit que peu de jours de cette dignité, car il mon rut empoisonné, en 1383.On ne dit pas par qui, et pour quel sujet ce malheur lui arriva.

Pour ne point interrompre le récit de la vie de Parasols, nous avons passé légèrement sur ses cinq Tragédies, cependant elles méritent d’être marquées dans notre histoire ; mais ce ne serait pas assez d’en rapporter les titres, il est nécessaire d’en donner le plan. C’est ce que nous allons faire en peu de mots.

L’ANDRIASSE I. TRAGÉDIE.

JEANNE première Reine de Naples, issue de Charles d’Anjou, frère de St. Louis, succéda au Roi Robert son aïeul, l’an 1343. Il y avait déjà dix ans qu’elle avait épousé son cousin, fils de Charles Roi de Hongrie, le 26 Septembre 1333. Ils régnèrent ensemble trois ans, au bout desquels, on prétend qu’elle le fit étrangler. Voici comment Mézeray dans son Abrégé Chronologique de l’Histoire de France, Tom. III, rapporte ce fait.

« André n’étant pas assez au gré de Jeanne, et s’étant fait couronner Roi par le Pape, prétendant que le Royaume lui appartenait, quelques conjurés le firent lever s la nuit d’auprès d’elle, et l’étranglèrent à une fenêtre. Charles Prince de Duras, qui était aussi du Sang des Rois de Sicile, et avait épousé Marie, sœur de Jeanne, fut le conseiller et l’auteur de cette infâme action. Jeanne n’en était pas innocente ; elle eut beau se lamenter, ses larmes, et ses cris l’en justifièrent bien moins que son mariage subséquent avec Louis son Cousin-germain, beau Prince, et selon ses désirs ne l’en convainquit. »

LA THARANTA II. TRAGÉDIE.

La suite de l’Histoire de Jeanne, fera l’Argument de cette seconde Tragédie.

« Ce Prince Louis était fils de Philippe, Prince de Tarente, que Jeanne épousa un an après la mort de son premier mari, mais il ne jouit pas tranquillement de son second mariage. Car (c’est Mézeray qui parle) Louis le Grand ; Roi de Hongrie, étant venu en Italie, pour venger la mort de son frère André, et pour recueillir son Royaume, traita Charles de Duras tout de même qu’on avait traité le Roi André. Il en eût fait autant à la Princesse, et à son beau mari, s’ils fussent tombés entre ses mains, c’est pourquoi elle se sauva de bonne heure en la Comté de Provence, et son mari peu de temps après elle. Le Pape Clément VI lui rendit de grands honneurs ; mais profitant de l’extrême nécessité où elle était réduite, il tira d’elle la Ville et le Comté d’Avignon, qu’il n’acheta que quatre-vingt mille florins d’or de Florence[17]. Mais par dessus le marché, il approuva le mariage avec le Prince Louis, qui en récompense ratifia cette vente. On dit que Louis ne gardant point la modération nécessaire dans les caresses qu’il faisait à la Reine sa femme, y ruina sa santé, et mourut bientôt ; mais c’est une médisance, car Louis vécut jusqu’en 1362 c’est-à-dire, quinze ans après son mariage, étant rentré dans ses États en 1350 par la médiation du Pape. » Cependant pour suivre l’idée du Poète, qui ne prétendait pas justifier la Reine Jeanne, nous lui fournirons un garant : c’est Brantome qui va prendre ce soin. « Elle épousa (c’est de Jeanne qu’il parle) après, et aussitôt la mort d’André, un de ses cousins, fils du Prince de Tarente, qu’elle aimait fort durant la vie de son mari, qu’elle traita bien, et demeura avec elle trois ans en fort grande amitié, mais il mourut tout exténué de s’être excessivement, et trop souvent employé au service de la Reine. »

LA MALHORQUINA III. TRAGÉDIE.

Servons-nous encore de Brantome, pour donner le plan de cette Tragédie. « Jeanne épousa après, pour son tiers mari, Jacques d’Aragon, Infant de Majorque, qui était pour lors le plus délibéré Prince ; dispos, et beau personnage, qui se trouvât en la place ; qu’elle ne voulut pourtant qu’il portât le titre de Roi, ainsi de simple Duc de Calabre, car elle voulait seule dominer, et ne voulait pas avoir de Compagnon, ainsi qu’elle faisait bien, et lui montra bien aussi ; car ayant su qu’il s’était donné á une autre femme, (malheureux qu’il était, car de plus belle n’en pouvait-il choisir que la sienne) lui fit trancher la tête, et ainsi mourut. » Ce qu’il y a de plaisant, c’est que Brantome persuadé que la Reine ne fit point mourir son troisième époux, ne laisse pas de dresser une longue apologie de ce prétendu supplice, qu’il finit par ces mots : « Qui n’eût condamné ce Prince d’avoir faussé compagnie à cette belle Reine, et s’être dérobé pour aller habiter avec une autre qui ne la valait pas en la moindre partie de son corps. C’était tout ainsi qu’un, qui pour éteindre sa soif, délaissé la nette et claire fontaine, pour aller boire dans un Marais, sale, boueux, et tout vilain.

L’ALLAMANDA IV. TRAGÉDIE.

Enfin Jeanne (car c’est toujours la continuation de son histoire) se maria l’an 1376 avec Othon de Brunswic, Prince Allemand, avec lequel elle vécut en bonne intelligence ; mais Charles Durazzo, Général des Troupes du Roi de Hongrie, vainquit Othon dans une bataille, et le fit prisonnier. Ensuite de quoi il marcha vers Naples, où ayant été reçu sans résistance, il assiégea la Reine et la Princesse Marie sa sœur, dans le Château de l’Œuf, et les força de se rendre. Alors maître de la vie de Jeanne et d’Othon, il les fit étrangler tous les deux en la présence. Brantome conte un peu autrement la mort de Jeanne, voici ses termes. « Charles du Durazzo, maître du Royaume, et de la personne de la Reine Jeanne, fit savoir au Roi de Hongrie l’état des choses, et lui demanda ce qu’il ferait de cette Princesse. Le Roi de Hongrie envoya à Charles deux de ses Barons, pour le congratuler de la victoire, et fit réponse qu’il devait mener la Reine au lieu propre auquel elle avait fait étrangler André, et que en même lieu, et en même manière il la fit pendre, et étrangler ; ce qui fut fait ; et ce corps porté à Ste. Claire à Naples. Et après avoir été trois jours morte sur terre, fut enterrée, et les deux Barons en ayant vu l’exécution, en portèrent les nouvelles en Hongrie.

LA JOHANNELA OU LA JOANNADA (la Jeanne) V. TRAGÉDIE.

Il y a grande apparence que cette Tragédie n’était qu’une récapitulation des divers événements de la vie de Jeanne de Naples. Car Nostradamus, en annonçant cette pièce, « ajoute que le Poète n’y avait rien oublié depuis que cette Reine fut de l’âge de six à sept ans, jusqu’à la fin de ses jours qu’elle prit une telle et malheureuse fin qu’elle avait fait prendre à André son mari. » Nous dirons seulement que Jeanne mourut en 1382 âgée de 58 ans.

PEZARS (BERTRAND DE) Gentilhomme de la Ville de Pézenas, excellent Poète Provençal et habile chanteur, enseigna publiquement l’art de la Versification. Ainsi qu’il le démontre en l’une de ses chansons, dit Nostradamus. Étant devenu amoureux d’une Demoiselle de Provence de la Maison d’Oraison, qui avait la voix fort belle, et à qui il avait appris à versifier, il l’épousa. Unis par l’amour, et égaux en talents, ces époux jeunes, beaux, et remplis d’esprit, quittèrent leur pays, et promenèrent leurs productions en différentes Cours. On dit qu’ayant la facilité de composer en impromptu lorsqu’ils arrivaient chez quelque Prince ou grand Seigneur, ils avaient la précaution de s’informer de leurs aventures, de leurs alliances etc. et sur le champ ils faisaient une chanson, où tout ce qui pouvait flatter la vanité, ou les passions de ceux à qui elle était adressée, était employé, ce qui leur attira quantité de présents. Pezars, et sa femme revinrent à Avignon, dans le temps que Jeanne Reine de Naples, et le Prince Louis de Tarente son second mari, s’y étaient refugiés à cause de la guerre que leur faisait Louis Roi de Hongrie qui était entré dans le Royaume de Naples, pour venger la mort d’André son frère. Pezars, et sa femme qui savaient ce tragique événement le mirent à profit, et s’étant présentés devant le Roi et la Reine de Naples, ils célébrèrent par un chant funèbre, les vertus d’André ; ensuite en fins courtisans, faisant succéder la joie à la douleur, ils chantèrent une Épithalame sur le mariage des nouveaux époux. Nostradamus dit que ces Poètes furent amplement récompensés, et de plus « la Reine fit donner à la Dame Poète l’une de ses Cottes de Velours cramoisi, et le Roi l’un de ses beaux manteaux de soie au Poète. » Pezars et son épouse comblés d’honneurs et de richesses, moururent en 1384.

 

Après avoir donné une idée complète des Comédies Provençales, et rapporté la vie des plus célèbres Troubadours, il est juste de dire ici quelque chose des fameux Musiciens[18] Français qui chantèrent, ou composèrent dans cette langue, et brillèrent du temps des Poètes dont nous venons de parler. Les Picards furent les premiers qui apprirent des Trouvères à faire des chansons, des Tensons et des Syrventes, Thibaut Comte de Champagne qui vivait dans le XIIIe Siècle se signala dans ce genre de Poésie. Tout le monde sait qu’étant devenu amoureux de la Reine Blanche, mère de S. Louis, il composa diverses chansons à la louange de cette Princesse : il en fit écrire plusieurs contre les murailles, et sur les vitres de son Château de Provins. Il y avait à la Cour quantité de Poètes, parmi lesquels on distinguait Gaces Brulé Seigneur du premier rang. Ils s’assemblaient souvent pour examiner leurs ouvrages, et Thibaut ne dédaignait pas de présider à cette assemblée, que l’on peut regarder comme la première Académie Française.

L’accueil favorable que l’on fit en France à tous ces Poètes et Musiciens, en fit croître le nombre. Ils se trouvaient ordinairement aux assemblées de plaisir, et aux festins des Princes, et des grands Seigneurs, et récitaient des chansons et des Fabliaux qui étaient des espèces de petits Contes, à peu près pareils à ceux de Bonaventure des Periers. Les plus fameux furent Colin Muset, Jean Bodel, Jonglet, Rutebeuf, Lambert Lycors, Alexandre Paris, Huon de Villeneuve etc. Ces Musiciens étaient bien récompensés de leurs peines, et souvent ils recevaient des Seigneurs, devant lesquels ils avaient chanté, des habits de prix qu’ils ne manquaient pas de porter dans les autres maisons où ils étaient appelés, dans le dessein d’engager ceux-ci à la même générosité. Duverdier page 8 de la Bibliothèque, dit qu’il se souvenait d’avoir vu Martin Baraton (« jà vieil mesnestrier d’Orléans, :) lequel aux festes et nopces bâtoit Tabourin d’argent, semé de plaques aussi d’argent, gravé des armes de ceux à qui il avait appris à danser. »

Nous avons été obligés de nous écarter un peu de notre sujet, pour mieux faire entendre la suite de cette histoire. C’est dans le même dessein que nous suspendons encore l’origine des Confrères de la Passion, pour parler de celle de la Bazoche.

Le pouvoir de la BAZOCHE, s’étend sur tous les Clercs qui ne sont ni mariés ni pourvus d’offices de Procureur. Quelques Auteurs voulant nous donner l’origine de ce nom, l’ont tiré de deux mots Grecs, qui signifient répandre des discours, parce qu’une des occupations les plus importantes des Clercs de la Bazoche, était autrefois de représenter au Palais des pièces de Théâtre dans le goût de l’ancienne Comédie. Mais sans donner la torture au mot Bazoche, il suffit de remarquer que tous les lieux qui s’appellent dans les titres latins Basilica, ont porté en français, depuis plusieurs siècles le nom de Bazoche, Bazoge, ou Bazouges. Or le premier usage que les Romains aient fait du terme Basilica, a été pour désigner les auditoires spacieux où les Préteurs administraient la justice. Jamais auditoire n’a mieux mérité ce nom, que la grande Salle du Palais de Paris, et le terme de Basilique, c’est-à-dire Royal, convient encore à juste titre au Palais où nos Rois ont si longtemps demeuré. C’est sans doute de ce nom de Basilique que la Bazoche a pris le sien.

Cet établissement se fit vers l’an 1303 par le Roi Philippe le bel, qui donna même le nom de Roi au chef de cette Juridiction, dont les Officiers furent appelés Chancelier, Maître des Requêtes, Avocat et Procureur Général, grand Référendaire, grand Audiencier de la Chancellerie, Secrétaires, Greffiers, Huissiers etc. Il permit aussi à ce Roi de la Bazoche de porter la Toque Royale, et au Chancelier de porter la Robe et le bonnet. Il ordonna que les plaidoiries ordinaires se tiendraient deux fois la semaine ; à savoir le Mercredi et le Samedi sur les cinq heures de relevée : et que tous les ans le Roi de la Bazoche serait faire montre à tous les Clercs du Palais, avec tambour et trompette, accompagné de tous les Clercs ses sujets sous la conduite d’un Colonel, et de douze Capitaines.

Nous parlerons dans la suite des progrès de la Bazoche et des pièces qu’elle représenta, il faut présentement dire ce qui donna lieu aux Mystères de la Passion qui parurent sous Charles VI.

Il est certain que les Pèlerinages introduisirent ces spectacles de dévotion. Ceux qui revenaient de Jérusalem, et de la Terre sainte, de S. Jacques de Compostelle, de la Ste. Baume en Provence, de Ste. Reine, du Mont S. Michel, de Notre-Dame du Puy, et de quelques autres lieux de piété, composaient des cantiques sur leurs voyages, et y mêlaient le récit de la vie et de la mort du Fils de Dieu, ou du Jugement dernier, d’une manière grossière, mais que le chant, et la simplicité de ces temps-là semblaient rendre pathétique ; ils chantaient les miracles des Saints, leur martyre, et certaines fables, à qui la créance du peuple donnait le nom de visions et d’apparitions[19].

Ces Pèlerins qui allaient par troupe, et qui s’arrêtaient dans les rues et dans les places publiques, où ils chantaient le bourdon à la main, le chapeau et le mantelet chargé de coquilles, et d’images peintes de diverses couleurs ; faisaient un espèce de spectacle qui plut et qui excita la piété de quelques Bourgeois de Paris, à faire un fond pour acheter un lieu propre à élever un Théâtre, où l’on représenterait ces mystères les jours de Fête : autant pour l’instruction du Peuple, que pour divertissement.

Leur premier essai se fit au Bourg de S. Maur, à deux petites lieues de Paris. Ils prirent pour sujet la Passion de Notre-Seigneur. Ce qui parut fort nouveau, et fit grand plaisir aux spectateurs. Le Prévôt de Paris en étant averti, fit une Ordonnance le 3 Juin 1398 portant défense à tous les habitants de Paris, à ceux de S. Maur, et autres Villes de la juridiction, de représenter aucuns jeux de personnages, soit des Vies des Saints : ou autrement, sans le congé du Roi, à peine d’encourir son indignation, et de forfaire envers lui[20]. Cette Ordonnance obligea les nouveaux Acteurs de se pourvoir à la Cour en faisant ériger leur société en Confrérie de la Passion de Notre-Seigneur. Le Roi Charles VI assista à quelques-unes de leurs Représentations, et ce Prince en fut si satisfait qu’il leur accorda le 4 Décembre 1402 des lettres pour leur établissement à Paris. Comme elle sert de pièce fondamentale à cette Histoire, il ne sera pas hors de propos de la rapporter ici.

« CHARLES, par la grâce de Dieu, Roi de France, savoir faisons à tous présents et advenir, Nous avoir reçue l’humble supplication de nos bien amez et Confrères les Maîtres et Gouverneurs de la Confrairie de la Passion et Résurrection Notre-Seigneur, fondée en l’Église de la Trinité à Paris, contenant comme pour le fait d’aucuns mysteres,tant de Saincts comme de Sainctes, et mesmement du Mystère de la Passion, que derrainement[21] ont commencé, et sont (prêts pour faire devant nous comme autrefois auraient faict, et lesquels ils n’ont peu bonnement continuer,pource que nous n’y avons peu estre lors présents : Duquel faict, et Mystère, ladicte Confrairie a moult frayé[22] et despendu du sien, et aussi ont les Confrères un chacun proportionablement : Disans en outre que s’ils jouaient publiquement, et en commun, que ceseroit le profit d’icelle Confrairie, ce que faire ne pourraient bonnement sans nostre congé et licence : Requerans sur ce nostre gracieuse provision. Nous qui voulons et désirons le bien, profit, et utilité de ladicte Confrairie, et les droicts, et revenus d’icelle estre par nous accreus et augmentés de grâces et privilèges, afin qu’un chacun par dévotion se puisse et doibve adjoindre et mettre en leur compagnie à iceux maistres, gouverneurs et confrères de la Passion Nostre Seigneur, avons donné et octroyé, donnons et octroyons de grâce especial, pleine puissance et autorité Royal, ceste fois par toutes et à tousjours perpétuellement par la teneur de ces présentes Lettres, autorité, congé, et licence, de faire jouer quelque mystère que ce soit, soit de ladite Passion, et Résurrection, ou autre quelconque, tant  de Saincts, comme de Sainctes qu’ils voudront eslire, et mettre sus, toutes et quantes fois qu’il leur plaira, soit devant nous, devant nostre commun[23] et ailleurs, tant en recors[24] qu’autrement, et de ceux convoqués, communiqués et assemblés en quelconque lieu et place licite à ce faire qu’ils pourroient trouver, tant en nostre dicte Ville de Paris, comme en la Prévosté, et Vicomté ou Banlieue d’icelle, présens à ce trois, deux, ou l’un de ceux qu’ils voudront eslire de nos Officiers, sans pour ce commettre offence aucune envers nous, et justice, et lesquels Maistres et gouverneurs, et Confrères susdicts, et un chacun d’iceux, durant les jours ezquels ledict mystère qu’ils joueront se fera, soit devant nous ou ailleurs, tant en recors, comme autrement, ainsy, et par la manière que dit est, puissent aller, venir, passer, et rapasser paisiblement vestus, habillez, et ordonnez un chacun d’eux en tel estat ainsy que le cas le désire, et comme il appartient selon l’ordonnance dudict Mystère, sans distourbier, et empeschement. Et à greigneur[25], confirmation et seureté, nous iceux Confrères, Gouverneurs, et Maistres, de nostre plus abondante grâce, avons mis en nostre protection, et sauvegarde durant le cours d’iceux jeux, et tant comme ils joueront seulement, sans pour ce leur méffaire ne à aucun d’iceux à cette occasion, autrement comment que ce soit au contraire. Si donnons en Mandement au Prevost de Paris, et à tous nos autres Justiciers et Officiers présens, et à venir, ou à leurs Lieutenans et chacun d’eux, si comme il luy appartiendra, que lesdicts Maistres Gouverneurs, et Confrères, et un chacun d’eux fassent, souffrent, et laissent jouyr et user pleinement, et paisiblement, de nostre présente grâce, congé, licence, don, et octroy dessus dict, sans les molester, faire ne souffrir empescher, ores ni pour le temps à venir comment que ce soit chose ferme et estable à tous jours, nous avons faict mettre nostre Scel à ces Lettres, sauf en autres choses nostre droict, et l’autruy en toutes : Ce fut fait et donné à Paris en nostre Hostel lez St.-Paul, au mois de Décembre l’an 3 de grâce MCCCCII. Et sur le reply est escrit, PAR LE ROY. Messires Jacques de Bourbon l’Admiral, le Bègue de Vieulaines, et plusieurs autres présens, signé, MOIGNON, et appert avoir esté scellées en lacs de soyes et cire verte. Et au dos des dictes Lettres est escript ce qui s’ensuit : Le lundy XII jour de Mars M CCCCII Jehan Dupin, Guillaume de Doisemont, Maistres de la Confrairie nommés en blanc, présentèrent ces Lettres à M. Robert de Buiselier, Lieutenant de celui de Monsieur le Prévost, lequel, veues icelles Lettres, octroye que lesdict Maistres, leurs Confrères et autres se puissent assembler pour le faict de la Confrairie et, le faict des jeux, selon ce que le Roi nostre Sire le veut par icelles Lettres. Et pour estre présens avec eux en ceste présente année, commet Jehan le Pu, Sergent de la Douzaine, Jehan de Sancerel, Sergent à verges l’un d’eux, ou le premier autre Sergent de la Douzaine, ou à verge dudict Chastelet. Et au dessous est escript. It à est. Signé Leginant. Tiré d’un vidimus d’Anthoine du Prat, Chevalier Baron de Thiert, et de Viteaux, Seigneur de Nantouillet et de Précy, etc. Garde de la Prévosté de Paris, du 20 Decembre MDLIV.

 

 

PREMIER THÉÂTRE FRANÇAIS ÉTABLI À L’HÔPITAL DE LA TRINITÉ

 

Peu de temps après avoir obtenu ces Lettres, les Confrères de la Passion, qui avaient déjà fondé le service de leur Confrérie à l’Hôpital de la Trinité[26], formèrent aussi le dessein de s’y établir. Les Religieux d’Hermières[27], qui étaient en possession de cet Hôpital, leur en louèrent la principale pièce, qui était une Salle de vingt et une toises de longueur, sur six de large, élevée au rez-de-chaussée, et soutenue par des arcades : Les Confrères y firent un Théâtre, et donnèrent au Peuple les jours de Fêtes, (excepté les solennelles) divers spectacles de piété, tirés du nouveau Testament, qui plurent tellement au public, qu’on avança ces jours là les Vêpres en plusieurs Églises, afin de donner le temps d’assister à ces pieux amusements. Il serait impossible de donner un détail bien circonstancié de ce premier Théâtre Français ; tout ce qu’on peut dire de plus positif est, que ce nouveau genre de plaisir de vint extrêmement à la mode ; et que la Ville de Paris ne fut pas la seule qui le goûta ; celle de Rouen, d’Angers, du Mans, et de Metz se signalèrent à l’envi, et on y représenta différents Mystères avec tout le succès possible.

Les Règnes de Charles VI, Charles VII et une partie de celui de Louis XI quoique extrêmement agités de guerres civiles, ne dérangèrent point, autant qu’ils l’auraient dû, le spectacle établi par les Confrères ; non seulement il continua durant ces temps orageux, mais il s’en éleva encore d’autres, tels furent ceux donnés par les ENFANTS SANS SOUCI et LES CLERCS DE LA BAZOCHE. Mais comme ce sont des genres différents, nous avons crû qu’il était à propos, pour ne point embarrasser la mémoire du Lecteur, d’en faire des Articles séparés ; où nous rendrons compte de leur origine, de leur progrès, et de leur décadence.

Après un assez longtemps, on se  lassa de ces Mystères, qui parurent trop sérieux : De sorte que les Acteurs, pour satisfaire le public, et le rappeler, mêlèrent à leurs dévots spectacles des scènes tirées de sujets profanes et burlesques, qui firent beaucoup de plaisir au peuple qui aime ces sortes de divertissements, où il entre plus d’imagination que d’esprit. Ils les nommèrent par un quolibet vulgaire JEUX DE POIS PILEZ, et ce fut, selon toutes les apparences, à cause du mélange du sacré, et du profane, qui régnait dans ces sortes de Jeux. Mais les Confrères, trop pieux pour représenter eux-mêmes ces pièces qu’on appelait SOTISES, (car c’est ainsi qu’elles sont intitulées dans les imprimés qui nous en restent) confièrent ce soin aux ENFANTS SANS SOUCI, dont le chef prenait la qualité DU PRINCE DES SOTS, ou de la SOTISES[28] qui s’en acquittèrent avec applaudissement.

Voilà de quelle façon les Confrères soutinrent leur Théâtre jusqu’au règne de François I qui leur donna en 1518 des Lettres patentes par lesquelles il confirmait tous les privilèges, qui leur avaient été accordés par Charles VI. Ils continuèrent leurs Représentations jusqu’en 1539 que la maison de la Trinité fut de nouveau destinée à un Hôpital, suivant l’esprit de la fondation ; ce projet ne fut pourtant, exécuté qu’en 1547 mais les Confrères furent cependant obligés d’en déloger, et de prendre à loyer une partie de l’Hôtel de Flandres, où ils firent construire leur Théâtre, et y représentèrent jusqu’en 1543 qu’ils furent forcés d’en sortir, attendu que François I ordonna la vente et démolition de cet Hôtel, aussi bien que de ceux d’Arras, d’Estampes, et de Bourgogne.

Les Commissaires du Roi, nommés pour cet effet, en firent la visite le 29 Octobre 1543 et les jours suivants ; et en firent faire le partage en plusieurs places ; après quoi la vente fut criée les 10 et 19 Novembre suivants. Quelques-unes de ces places furent aussitôt vendues, et les enchères de celles qui restaient à vendre, commencèrent le 24 du même mois, et furent adjugées, après les formalités accoutumées, à divers particuliers, qui déclarèrent enfin le 8 Décembre de la même année, que les enchères qu’ils avaient mises, étaient au profit de Jean Rouvet, Bourgeois de Paris, déjà adjudicataire de quelques autres[29].

Les Confrères lassés des dépenses qu’ils étaient obligés de faire, tant pour le loyer des salles où ils jouaient, que pour le transport de leur Théâtre, se résolurent d’acheter une place, et d’y faire bâtir ; de sorte qu’ils s’accommodèrent d’une portion considérable de l’Hôtel de Bourgogne, consistant en une masure de dix-sept toises de long, sur seize de large, tenant d’une part à la Rue neuve S. Français, depuis peu dressée dans ce lieu, et qui avait issue dans la Rue Mauconseil, et d’autre part, aux maisons des veuves et héritiers de Matthieu et Fiacre Rouvet, situées dans cette Rue Mauconseil. Cette portion fut acquise de Jean Rouvet par les Confrères, à condition d’en payer au Roi seize livres de cens et rente par an, dont elle était chargée, et deux cens vingt-cinq livres tournois de rente annuelle, et perpétuelle, à Jean Rouvet, et ses hoirs et ayants cause. Pour la sûreté du payement, la Confrérie obligea tous ses biens, et en particulier vingt-cinq livres de rente rachetable pour trois cens livres que devaient à la Confrérie Henry Guyoit, et Jean Olivier dit Margot, sur la maison DES SOTS ATTENDANTS sise rue Darnetal ; il fut aussi stipulé par le marché, que Jean Rouvet aurait une des Loges qui seraient faites dans la Salle de l’Hôtel de Bourgogne, pour lui, ses enfants, et amis, leur vie durant, sans en rien payer ; et que la rente de deux cens vingt-cinq livres, serait rachetable pour la somme de quatre mille cinq cens livres qu’on lui compterait, ou à ses héritiers, à un, deux, trois, ou quatre payements égaux. Le contrat fut passé le trente Avril 1548. Nous croyons qu’on ne sera pas fâché de trouver ici une copie du pouvoir que les Confrères donnèrent aux Maîtres et Gouverneurs de la Passion, pour faire l’acquisition, dont nous venons de parler : on y apprend d’ailleurs quelques usages établis parmi les Confrères.

« Pardevant les Notaires du Roi nostre Sire, au Chastellet de Paris, furent présens Jacques le Roi et Jehan le Roi, Maistres Maçons à Paris, Nicolas de Gendreville, Courtier Juré de Chevaux, et Jambefort, Maistre Paveur de Paris, tous aprésent Maistres et Gouverneurs de la Confrairie de la Passion et Résurrection de Nostre-Seigneur, fondée en l’Église de l’Hospital de la Trinité à Paris, Adrien Gervais, Doyen de ladict te Confrérie, Marc-Antoine Caille Maire-sotte, M. Pierre Hémon, Huissier du Roi nostre Sire, en la Cour des généraux de la Justice de ses Aydes, Jehan Louvet, Sergent à Verge au Chastellet, Prevosté et Vicomté de Paris, Jehan Fade, François Poutrin, Charles le Royer, et Michel Lyon, tous anciens Maistres d’icelle Confrairie, Toul saincts de Fresnes, Nicolas de Compans, Jehan Dureau, Guillaume Hochart, Martial Vaillant, Pierre de Rue, Jehan Godefroy, dict Poireaus, Jehan Joyau, Richard Georges, Jehan d’Esguillier, Denys le Boiteux, Mathurin Darnois, Nicolas Hervé, dict Venise, Jehan Bertrand, Pierre le Mercier, François Hueble, Pierre Fouquet, Pierre Royer, Jehan Reculé, Nicolas Scot, et Nicolas Gayant, tous Confrères de ladicte Confrairie, assemblés en l’Église et Chapelle de la Trinité à Paris, rue sainct Denis, lieu accoustumé pour eux assembler à traiter, adviser, conclure et délibérer des négoces et affaires d’icelle Confrairie, par lesquels Jacques et Jehan le Roi, Gendreville, et Jambefort, à présent maistres d’icelle Confrairie, fut remonstré, exposé et déclairé auxdicts Doyen et Confraires, qu’ils n’avaient plus de lieu et Salle ez quels ils pussent faire et administrer le faict de la dicte Confrairie, comme ils avaient accoustumé, au moyen que la Salle dudict lieu de la Trinité qu’ils soulaient tenir, et occuper, leur avait, et a esté ostée ar Arrest ou Ordonnance de la Cour ; et que depuis que la dicte Salle leur avait esté ostée, leur avoit convenu, et convenoit encores doresnavant louer autre Salle et grand lieu à grosse somme de deniers par an, de laquelle Salle ainsi tenue, et qu’ils tiendraient à louage, ils ne seraient leurs ains pourraient estre contraints en vuider après les Baux expirez, et eux accommoder ailleurs, et changer souvent de lieu et place, et qu’ils ne pourraient aisément trouver telle en assiete de lieu, grande, spacieuse, ni commode comme il partient, et leur est nécessaire. En quoy faisant pourraient avoir, et encourir grande perte et dommage. À cette cause leur estoit de néessité et expédient, pour le bien, augmentation, entretenement, et décoration de ladicte Confrairie avoir autre lieu en propriété. Et que le Sire Jehan Rouvet, Marchand, Bourgeois de Paris, avoit en l’Hostel de Bourgogne, une masure et place de longueur de dix-sept toises et de seize toises de large, qui leur sembloit estre propre pour bastir, et faire grande Salle et autres édifices nécessaires à ladicte Confrairie, laquelle place, ledict Jehan Rouvet leur avait pour ce faire accordé, bailler à toûjours à la charge de seize livres Parisis de cens, et charge foncière envers le Roi par chacun an perpétuellement à toujours, et envers luy de cent escus d’or[30] de rente annuelle, racheptable pour quatre mille cinq cens livres tournois à certains paye mens, à la charge de bastir le lieu suffisant pour la perception annuelle desdictes charges. Mais ils n’avaient voulu faire ladicte prinse, sans avoir l’opinion, consentement, et pouvoir desdicts Doyen, anciens Maistres et Confrères dessus nommez ; après en avoir conféré ensemblement, et le tout considéré,ont esté d’advis, et opinion que ladicte prinse d’icelle place seroit commode, utile et profitable à ladicte Confrairie, aux charges dessus déclarées. Partant, ont concordalement ensemble donné, et par ces présentes donnent plein pouvoir et puissance auxdicts aprésent Maistres et Gouverneurs d’icelle Confrairie, de faire ladicte prinse aux charges susdictes, et autres charges, et modifications, et autrement, par la meilleure forme et manière qu’ils verront bon estre pour le bien d’icelle Confrairie etc. Fait et passé l’An MDXLVIII le Mercredy seiziesme jour de Juillet. Ainsy signé, ALART et PALANQUIN. »

Il y avait déjà longtemps que le mélange de morale, et de bouffonnerie qui s’était introduit dans les pièces représentées tant à l’Hôpital de la Trinité, qu’à l’Hôtel de Flandres, avait scandalisé les honnêtes gens. La Religion ne put souffrir davantage cette idée de dévotion, qu’une pieuse simplicité des temps plus éloignés avait attachée au Théâtre ; et encore moins cette profanation de nos principaux mystères, qui en faisaient le plus souvent la matière. Ainsi lorsque la Salle, le Théâtre, et les autres édifices furent construits, (tels qu’on les voit encore aujourd’hui à l’Hôtel de Bourgogne) et que les Confrères eurent présenté leur Requête au Parlement, pour obtenir la permission de recommencer leurs Spectacles, la Cour par Arrêt du dix-sept Novembre 1548, les maintint à représenter seuls des pièces sur ce nouveau Théâtre ; avec défense à tous autres d’en représenter dans Paris et la Banlieue, autrement que sous le nom, l’aveu, et au profit de la Confrairie ; mais par le même Arrêt, il fut ordonné aux Confrères de ne donner sur ce même Théâtre, que des Sujets profanes, licites, et honnêtes, avec défense d’y représenter aucun mystère de la Passion, ni autres mystères sacrés. Ainsi furent bannies les pièces du premier Théâtre Français ; toutes dévotes dans leur origine, mais qui avaient dégénéré dans la suite en un mélange monstrueux de moralités et de bouffonneries aussi désagréables aux gens d’esprit, qu’injurieux à la Religion.

Cette défense du Parlement obligea les Confrères de la Passion, à qui il ne convenait plus, par le titre religieux qu’ils portaient, de monter eux-mêmes sur le Théâtre, pour, y jouer des pièces purement profanes, à louer leur Hôtel de Bourgogne, et leur privilège à une troupe de Comédiens qui se forma pour lors, en se réservant néanmoins deux loges pour eux et pour leurs amis, qu’on appela LES LOGES DES MAISTRES.

Pour suivre l’ordre historique de nôtre Théâtre, il nous paraît nécessaire de terminer celui des Confrères, par l’Extrait du Mystère de la Passion. Le soin et l’attention que l’on a pris en le composant, mettra tout le monde au fait de ce genre d’ouvrages ; qui, pour le dire en passant, sont tous du même goût. Après cela nous parlerons des CLERCS DE LA BAZOCHE, et ensuite des ENFANS SANS SOUCY, des pièces que ces deux différentes troupes jouèrent ; et nous donnerons des extraits, tant des Moralités et des Farces représentées par les premiers, que des SOTISES jouées par les derniers. Ensuite nous parlerons au commencement du Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, que nous verrons sortir de l’enfance, où il avait été jusqu’au règne d’Henri II par les pièces que Jodelle, la Peruse, et Baïf donnèrent au public.

Afin de ne point distraire l’attention du Lecteur, nous n’avons point dit de quelle façon le Théâtre des Confrères était construit : Il est cependant nécessaire d’en rendre compte, car sans cela il serait difficile de comprendre comment, sans changement de décoration, on pouvait exécuter tant de différentes actions. C’est ce que nous allons faire le plus succinctement qu’il sera possible.

Ce Théâtre était sur le devant, de la même forme que ceux d’aujourd’hui, mais le fond était différent : Plusieurs échafauds qu’on nommait ÉTABLIES le remplissaient. Le plus élevé représentait le Paradis, celui de dessous l’endroit le plus éloigné du lieu où la Scène se passait : Le troisième en descendant, le Palais d’Hérode, la maison de Pilate, etc. Ainsi des autres jusqu’au dernier ; suivant le mystère qu’on représentait[31].

Sur les côtés de ce même Théâtre, étaient des espèces de gradins, en forme de chaises, sur lesquels les Acteurs s’asseyaient lorsqu’ils avaient joué leur Scène ; (car on ne peut pas autrement nommer chaque Action de ces pièces pieuses) ou qu’ils attendaient leur tour à parler, et jamais ils ne disparaissaient aux yeux des spectateurs, qu’ils n’eussent achevé leurs rôles. C’est ce qu’on verra en plusieurs endroits de nos extraits. Ainsi lorsque le Mystère commençait, les spectateurs voyaient tous ceux qui devaient y jouer ; les Auteurs, ni les Acteurs n’y entendaient pas plus de finesse, et les derniers étaient censés absent, lorsqu’ils étaient assis[32].

À l’endroit où l’on place à présent une trappe pour descendre sous le Théâtre, l’Enfer était représenté par la gueule d’un Dragon, qui s’ouvrait, et se fermait, lorsque les diables en sortaient ou y entraient.

Une espèce de niche avec des rideaux devant, formait une chambre, et cette chambre servait à cacher aux Spectateurs certains détails qu’on ne pouvait leur présenter : tels que l’accouchement de sainte Anne, de la Vierge, etc.

En voilà assez pour mettre au fait de la construction et des jeux de ce Théâtre ; parlons présentement du Mystères que l’on va lire.

Jean Michel, Poète Angevin, passe pour l’Auteur de cet Ouvrage, la Croix du Maine, page 248. de sa Bibliothèque, en parle ainsi. « Jean Michel, Angevin, Poète très éloquent et scientifique Docteur. Il a écrit en vers Français le Mystère de la Passion de Notre-Seigneur. Ce Mystère fut joué en la Ville d’Angers avec beaucoup de triomphe et de magnificence, sur la fin du mois d’Août l’an 1486 auquel temps fleurissait l’Auteur. »

Ce passage de la Croix du Maine mérite d’être expliqué ; car il tend à nous faire croire que Jean Michel est le premier Auteur du Mystère de la Passion : et cependant il n’a pu, tout au plus, que le revoir, et l’augmenter ; puisque dès l’an 1402 ce même Mystère était connu, et qu’il fut l’occasion de l’établissement des particuliers qui le jouèrent, et qui prirent à cause de cela le tire de Confrères de la Passion. Cette remarque nous conduit à prouver que non-seulement Jean Michel n’a point composé cet ouvrage, mais même qu’il est de plusieurs Auteurs. On commença par la Passion, et ensuite on rétrograda jusqu’au mariage de S. Joachim. C’est ce que nous expliquerons plus au long dans le catalogue des Mystères que nous donnerons à la fin de cet Ouvrage. Il faut présentement rendre compte au Lecteur de ce genre de pièce.

Le but des personnes qui établirent un spectacle à l’Hôpital de la Trinité, tendait à exciter le peuple qui est assez ignorant, à se rappeler les Mystères de la Religion, d’une façon qui en l’amusant pût aussi l’édifier. Ce motif était excellent ; mais il fallait pour remplir un pareil projet d’autres hommes que ceux qui l’exécutèrent. Nous avons vu que des Pèlerins en furent les inventeurs ; ceux qui donnèrent à leur production une forme plus théâtrale, n’avaient aucune teinture des pièces Grecques et Latines, ils suivaient les Évangiles mot à mot, en dialoguaient les événements, sans y chercher d’autre finesse, que celle de paraphraser le texte, d’une façon si naïve, que bien souvent ce naïf dégénérait en grossièreté. C’était bien pis lorsqu’ils donnaient carrière à leur imagination ; alors leur ignorance et leur peu de goût paraissaient dans tout leur jour : nous en rapporterons quelques exemples qui serviront pour tous ceux qui sont répandus dans l’ouvrage.

Par une idée qui leur est particulière, les injures les plus atroces sont des compliments pour les Diables. Lucifer ne donne à ses sujets que des qualifications insultantes, et les Diables en lui obéissant, lui répondent sur le même ton.

L’Auteur, par scrupule, juge à propos de faire Hérode Payen. Il n’a pas crû qu’un Prince si cruel méritât d’être de la véritable Religion. Ce n’est pas tout, Cirinus Gouverneur de la Judée pour les Romains, reconnaît Mahomet pour son Dieu tutélaire.

En voilà assez pour faire connaître en partie le génie de ceux qui ont travaillé pour les Confrères. Les Lecteurs seront bien aises de voir par eux-mêmes les autres fautes qui sont répandues dans le reste de l’Ouvrage, où nous avons inséré des notes, qui suppléeront à ce que nous supprimons ici.

Cependant malgré tous les défauts que nous venons de remarquer, ces pièces furent extrêmement applaudies, et regardées comme très respectables, tant la simplicité régnait dans ces siècles d’ignorance ; c’est ce que M. Despréaux exprime si bien dans le troisième Chant de son Art Poétique.

Chez nos dévots Aïeux, le Théâtre abhorré
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré,
De Pèlerins, dit-on, une troupe grossière,
En public à Paris y monta la première,
Et sottement zélée en sa simplicité,
Joua les Saints, la Vierge, et Dieu par piété.

Nous avons conservé autant qu’il a été possible le caractère des personnages qui y sont employés. Tous les jeux de Théâtre sont marqués ; et lorsque l’Auteur s’est exprimé d’une façon obscure, on a tâche de l’éclaircir. On a chiffré chaque action, ou Mystère, et on a joint à la tête de chaque Journée les noms des personnages qui y paraissent, car il n’y a aucune distinction dans l’Original ; et c’est un soin, dont nous espérons que l’on nous saura quelque gré, par la peine et l’attention qu’il a fallu y apporter.

Voici la distinction des Journées[33] employées dans le Mystère de la Passion ; on remarquera cependant, que le premier et le dernier sont absolument étrangers à ce même Mystère, et qu’ils n’y servent que de supplément.

 Le Mystère de la Conception de la Vierge Marie, la Nativité d’icelle, avec la Nativité de Jésus Christ.

Première Journée de la Passion commence au Sermon de S. Jean et finit à la Décolation, et enterrement du même Saint : ce qui est précédé d’un Prologue de Jean Michel.

Seconde Journée, le Mystère de la Chananée, jusqu’à celui où Jésus paraît prêt à entrer dans Jérusalem.

Troisième Journée, l’Entrée à Jérusalem, et cesse lorsque Jésus est conduit devant Pilate.

Quatrième Journée commence à la Syndérèse de Judas, et finit lorsque Jésus est mis au Tombeau, et que les Juifs y posent des Gardes.

Le Mystère de la Résurrection, commence par la Résurrection même, et se termine par la descente du Saint-Esprit sur les Apôtres, le jour de la Pentecôte.

Voici le titre de l’Ouvrage qui a servi à composer notre extrait ; c’est le plus complet qui puisse le trouver ; car dans presque tous ceux qui existent dans les Bibliothèques, le Mystère de la Conception, et celui de la Résurrection ne s’y trouvent pas : C’est un petit in folio avec des figures en bois, contenant 352 feuillets, c’est-à-dire, 704 pages à deux colonnes, chaque colonne à 48 vers.

« Le Mystère de la Conception et Nativité de la glorieuse Vierge Marie, avec le Mariage d’icelle, la Nativité, Passion, Résurrection et Assencion de Nostre-Sauveur et Rédempteur Jesu-christ, jouée à Paris l’an de grâce mil cinq cens et sept ; imprimée audict lieu, pour Jehan Petit, Geuffroy de Marnef, et Michelle Noir, Libraires-Jurez en l’Université de Paris, demourans en la grant rue S. Jacques. » 

À la fin de ce même Livre, on lit ceci.

« Cy fine le Mistere de la Résurrection de Nostre-Seigneur Jesu-Christ, par personnages ; nouvellement imprimé à Paris, par Alain, Lotrian, et Denys Janot, demourans en la rue Nostre-Dame, à l’Enseigne de l’Écu de France. »

 

 

EXTRAITS DES MYSTÈRES DE LA CONCEPTION, PASSION ET RÉSURRECTION DE N.S. JÉSUS-CHRIST

 

 

Mystère de la Conception de la Vierge Marie, la Nativité d’icelle, avec la Naissance de Jésus Christ

 

PERSONNAGES

 

DIEU LE PÈRE

JÉSUS CHRIST

LESAINT-ESPRIST, en forme de Coulomb blanc

LA SAINTE VIERGE MARIE

SAINT MICHEL }    
GABRIEL           }          
RAPHAËL          } Anges
URIEL                }  
CHÉRUBIN        }
SÉRAPHIN        }      

CHŒUR D’ANGES

SAPIENCE

PAIX

MISÉRICORDE

JUSTICE

VÉRITÉ

SAINT JOSEPH, Époux de la Sainte Vierge

SAINTE ANNE, Mère de la Sainte Vierge

SAINT JOACHIN, Père de la sainte Vierge

CLÉOPHAS, second Mari de Sainte Anne

SALOMÉ, troisième Mari de Sainte Anne

MARIE JACOBI, fille de Cléophas et de Sainte Anne

MARIE SALOMÉ, fille de Salomé et de Sainte Anne

YSACAR, Père de Sainte Anne.

ZACHARIE, Père de Saint Jean-Baptiste.

ÉLIZABETH, Cousine de la Vierge, et femme de Zacharie

UTAN, Chambrière de sainte Anne, et ensuite d’Élisabeth.

ABIAS, Cousin de saint Joachin

BARBAPANTER ] Oncles de S. Joachin
ARBAPANTER   }

ACHIN      } Bergers des Troupeaux de S. Joachin, et cependant descendants de David
MELCHY  }  

JOAS, pauvre malade } Pauvres demandas l’aumône à S. Joachin, et descendus aussi du Roi David
UN PÈLERIN              }              

SYMÉON

ANNE la Prophétisse

ISACAR, surnommé RUBAN, Grand Prêtre

JECHONIAS, Prêtre.

CHŒUR de dix ou douze Pucelles, desquelles il y en a deux qui parlent.

I. PUCELLE

II. PUCELLE

ZOROABBEL }
GAMALIEL     }
ROBOAM       } Docteurs de la Loi 
MANASSÉS   }         
NATHAN        }
NATHOR        }         

ZOROBABEL }
MANASSÉS   } Juifs habitants de Jérusalem
NAASSON     }

JASPAR, Premier Roi Mage

MELCYOR, Second Roi Mage

BALTHASAR, Troisième Roi Mage

ANTIOCHUS  } Chevaliers de la suite de Jaspar
CELSANDER }

CADORAS     } Chevaliers de la suite de Melcyor
POLIDORUS }          

LUCANUS  } Chevaliers de la suite de Balthasar
PITRODÈS }  

ALORIS        }
YSAMBART  }           
PELYON       } Bergers des environs de Bethléem
RIFFLART    }          
GARNIER     }
GOMBAULT }          

JOAS, Maître d’une Hôtellerie à Bethléem.

AQUELINE, Femme de Bethléem, voisine de la Vierge.

PRISÉUS, Habitant de Bethléem, et voisin de la Vierge.

RAPHAËL, Femme de Priséus

RAAB, Première femme de Bethléem

RACHEL, Seconde femme de Bethléem

ADORMATA, Troisième femme de Bethléem

HERBELINE, Quatrième femme de Bethléem

HÉRODE, Roy de Judée

ANTIPATER, Fils d’Hérode

SALOMÉE, Sœur d’Hérode

CIRINUS, Prévôt de Judée

ADRASCUS, Chevalier d’Hérode

LONGIS, Capitaine de la suite d’Hérode

RAPPORTE-NOUVELLE, Messager d’Hérode

UN TROMPETTE d’Hérode

MÉDUSA, Nourrice d’un jeune fils d’Hérode

SABINE, Chambrière de Médula

AGRIPPART      }                
ARFRAPPART   }   
NARINART         } Tyrans ou Satellites d’Hérode
HERMOGÈNES }     
RÉCHINE           }     

THÉODAT, Prêtre Égyptien Idolâtre

TORQUATUS, Égyptien Idolâtre

LUCIFER, Roi des Enfers

SATHAN         }        
ASTAROTH    }        
BELZÉBUTH  }  Diables
BÉRITH          }          
BÉLIAL           }         
CERBÉRUS   }           

 

Il est impossible de marquer le lieu où la Scène se passe, elle change trop souvent.

 

« Cy commence le Mistere de la Conception de la glorieuse Vierge Marie, et la Nativité d’icelle, avecques la Nativité Jesucrist, sa Passion, et Résurrection.

 

 

I. La Supplication pour la Rédemption Humaine

 

Le Théâtre représente le Paradis : Dieu paraît avec ses Anges : S. Michel, Gabriel, et Raphaël, prient Dieu de pencher vers sa miséricorde, et suivant les promesses qu’il en avait fait par la bouche de ses Prophètes, d’avoir pitié des maux de la Nature humaine. La Paix et la Miséricorde se jettent aux pieds de Dieu, pour lui demander la même grâce. Mais la Justice, et la Vérité s’opposent à leur dessein, et s’appuyant sur la sévérité que la justice de Dieu exige, elles demandent la damnation éternelle de l’homme. Dieu les écoute les unes après les autres : La Paix et la Miséricorde représentent que Dieu étant essentiellement infiniment bon, ne peut qu’user de clémence. La Vérité et la Justice remontrent qu’il ne peut pas pardonner à l’homme sans faire tort à la justice : Enfin, Dieu après avoir pesé leurs raisons, dit :

DIEU.

Parquoy fault en conclusion,
Affin d’appaiser leur discord,
Que soit faict une bonne mort :
C’est que Adam meure ainsy le fault,
Pour obtenir par son deffault
Miséricorde à tous Humains.

Ajoutant qu’il fallait chercher un homme qui fût sans péché, et qui voulût volontairement Souffrir la Mort pour le salut des hommes. Ces quatre Vertus s’accordent à cet accommodement, et descendent sur la Terre pour tâcher de trouver ce qu’elles cherchent.

« Icy descend Vérité, tandis que les Diables parlent et se pourmainent faisant semblant de chercher le martyre. »

 

 

II. Enfer

 

LUCIFER.

Diables d’Enfer horribles et cornus,
Gros et menus, ors regardz basiliques
Infâmes chiens, qu’estes vous devenus ?
Saillez tous nudz, vieulx, jeunes et chanus,
Bossus tortus, serpens diaboliques,
Aspidiques, rebelles tyranniques
Vos pratiques de jour en jour perdez.
Traitres, larrons d’Enfer, sortez, vuidez,
Parles tu point Sathan accusateur,
Persécuteur de tout humain lignaige :
Toy Bélial nostre grand Procureur
Faulx rapineur, infâme détracteur,
Et inventeur de larcin et pillaige,
Diables d’Enfer à vous je me complains :
Ton courage Canin rempli de rage
De Cerberus, traistre chien à trois testes,
Tes apprestes fais de mauvaise sorte,
Esperitz dampnez desraisonnables bestes,
Plains de déceptes, infâmes deshonnestes,
Faites vos questes ; saillez hors de vos portes
Grandes cohortes de nos diablesses sortes
Droictes et tortes avecques vous traisnez ;
Venez à moy mauldis esperitz dampnez.

Un semblable appel fait accourir tout l’Enfer, chacun s’empresse de savoir ce que veut le Roi ; et de lui répondre sur le même ton.

SATHAN.

Que te fault il mastin inraisonnable ?
Abhominable puant villain infaict,
Pansa, goulu, esperit insaciable
Incrépable, infâme dampné diable,
Villénable, quesse que talen[34] fait ?
Par toy ayons encontre Dieu forfaict,
Dont souffrons maulx plus qu’on ne sçauroit dire.
Prens tu plaisir à nous venir mauldire ?

BÉLIAL.

Orde trongne, fac plein de pourriture
Ta nature est de nous tourmenter ;
Crapaux, aspitz te fault pour nourriture,
Car ta cure est que tousiours procure
Ta pasture pour humains espanter.[35]

Après beaucoup d’autres injures, que chaque Diable vient vomir à son tour, et dont Lucifer les remercie fort, les prenant pour une marque d’honneur et de respect, il leur apprend la résolution du Conseil de Dieu : chacun propose son avis, pour tâcher de le faire échouer : Cerbérus donne aussi le lien, qui plaît si fort au Monarque des Enfers, qu’il lui en témoigne sa satisfaction.

LUCIFER.

C’est bien dit, esperit Cerbérique,
Penrage de joye de te ouyr.

Ensuite il dépêche ses diables pour exécuter ses ordres.

Continuation du procès pour la Rédemption Humaine

Les quatre Vertus dont nous venons de parler, après bien des peines, et des perquisitions, n’ayans pu trouver ce qu’elles cherchent ; remontent au Ciel ; où après avoir rendu compte de leur mauvais succès, Dieu prend la résolution de sauver les hommes, à quelque prix que ce soit. Les Anges en témoignent leur joie.

 

 

III. De Joachin et de ses Bergers

 

Joachim jeune homme « âgé de quinze ans » remercie Dieu des bénédictions qu’il répand sans cesse sur la personne, et sur ses biens. Pendant qu’il est dans une s louable occupation, arrive Abias son cousin ; Joachim lui propose d’aller visiter la Bergerie : À son arrivée Achin et Melchy ses Bergers, lui apprennent le progrès de ses troupeaux. À cette nouvelle Joachim se résout à partager son revenu en trois parties égales. Il destine la première pour être offerte au Temple : la seconde à l’entretient de sa Maison ; et la troisième à secourir les pauvres. Après avoir chargé Abias de ce soin, il se retire.

 

 

IV. Des Aumônes de Joachin

 

Joachim n’est pas plutôt parti, que se présentent sur la scène un pauvre Pèlerin, et un Malade appelé Joas (qui dans la suite se trouve être des descendants de David). L’un et l’autre ne sont occupés que des moyens de pouvoir subsister : et comme Joas connaît les deux Bergers de Joachim, il les va trouver dès qu’il les aperçoit.

A Joas ! estes vous malade ?
Que vous avez la couleur fade ?
Comment, estes vous degousté ?

lui demande Achin. Joas lui apprend qu’il est réduit à la nécessité de mendier son pain. Sur cela Achin et Melchy lui enseignent la Maison de Joachim, dont ils lui disent les bonnes intentions. Ce pauvre malade suit ce conseil, et trouve Joachim, qui lui fait quelques aumônes. Le Pèlerin qui par hasard a vu en passant par là cette charité, s’adresse à Joachim à son tour. Ses espérances ne sont point trompées. Ensuite l’Auteur pour instruire le Spectateur des aumônes de Joachim, fait paraître Abias, qui chargé du tiers du revenu de son cousin va le remettre au Grand-Prêtre, pendant qu’il y va, se présente à la porte du Temple ce Grand-Prêtre appelé Ysacar, et sur nommé Rubem, qui se plaint fort de la misère du temps, et du peu de dévotion du peuple ; ce qu’il témoigne assez par ces paroles, aussi bien que le dessein qu’il a de ne pas s’oublier.

RUBEN, Prestre incipit.

Si n’estoye bier en langaige,
Le Temple ne vauldroit pas tant
Qu’il vault aujourd’hui ; et pourtant
Il fault qu’il y ait prestres saiges,
Qui pourchassent leur advantaiges,
Car les gens sont de dures testes :
Et sy ce n’est au jour des festes
À peine viennent en ce Temple.
Parquoi force est que je contemple
À faire valoir ce fainct lieu,
Édiffié au nom de Dieu :
Suppose que j’aye acquest,
Et que je face mon pacquet.
Chacun vit de ce qu’il scet faire ;
Dont requis et est nécessaire
De blasonner aucune foys.

Abias chargé des présents que nous venons de dire, le surprend dans cette pensée : Rubem le remercie, et lui souhaite toute prospérité. Comme il le connaît honnête homme, il lui apprend les désordres qu’avaient commis les Soldats d’Hérode, en brûlant les livres des Prophètes : Alias sort fort triste de cette nouvelle.

 

 

V. Le Traité du Mariage Joachin

 

Barbapanter, et Arbapanter, Oncles de S. Joachim, songent à l’établissement de leur neveu, qui commençant la vingtième année, est dans l’âge d’être marié, pourvu que ce soit à quelque fille de bon lieu. Comme il est nécessaire de prendre une fille de la même Tribu, ils jettent les yeux sur celles d’Ysacar, Anne et Ysmerie. Sur cela Abias vient leur apprendre la violence des Soldats d’Hérode : Cette nouvelle les raffermit encore dans leur dessein ; attendu, disent-ils, que comme il est certain que de Joachim ou de la race, doit naître le Roi promis aux Juifs, ces violences témoignent le prochain avènement de ce Rédempteur. Ils vont tous trois proposer l’affaire à Joachim, qui l’ayant accepté avec plaisir, le joint avec eux pour aller voir Ysacar, qu’ils trouvent s’entretenant avec sa fille Anne, de la naissance d’une Vierge, qui selon les Prophéties, devait enfanter le Messie, Joachim et ses deux Oncles font leur demande à Ysacar. Ce dernier la leur accorde, et ordonne à Anne de suivre Joachim au Temple, dont ils prennent le chemin.

D’un autre côté, Achin et Melchy, qui ont apparemment déjà appris toutes ces choses, se réjouissent du mariage de leur maître, et de son bon choix. Leur conversation tombe enfin sur la malice des femmes.

MELCHY à son Compagnon.

Femmes ont les testes ligères,
Et ne peut-on trouver manières
Leur faire garder la maison. :

ACHIN.

Aucunes usent de blazon,
Et mettent de leur foy promise ;
Après qu’ils ont fait mesprison,
Selon le temps et la saison, etc.

Le Prêtre Rubem vient aussi se promener à la porte du Temple, et moraliser en attendant quelqu’un.

RUBEN, Prestre.

Qui ne vit en bonne espérance,
Est réputé pour une beste ;
Et qui n’a aujourd’huy chevance,
Il est en peine et souffrance,
Il n’est point reputé honneste.
Parquoy il fault que m’appreste
À amasser deniers, et prendre
Faisant en ce Temple ma queste,
De tout cela que je y acqueste,
Compte à nully je n’en dois rendre ;
Mondainement me fault despendre
Les biens qui de ce Temple viennent ;
Mais en soy noter et comprendre
Que nourrir en fault et apprendre
Les Pucellettes qui si tiennent.
Ainsy doncques ceulx qui soustiennent
La Loy, departent de leurs biens,
Que les Prestres par bons moyens
Départent à ceulx qui en ont
Nécessité, voire et qui font
Service à Dieu le Créateur.

Ce Prêtre fait ensuite quelques réflexions sur l’état présent de la Race des Rois de Juda : Il trouve qu’elle se réduit au seul Joachim (l’Auteur se dément par la suite au XXII Mystère.) Voici son raisonnement.

Quant je considère et contemple
L’estat de lignée Royalle,
Qui au temps présent se ravalle.
Autant du costé paternel,
Comme du costé maternel ;
Il me semble, pour faire fin,
Qu’encore le bon Joachin
En est extraict. Qu’il soit ainsy,
Je treuve en escript sur cecys
Que David eut (cela noton)
Deux fils, Nathan, et Salomon,
C’est ce qui me rend assouvy,
De Natan est venu Levy,
Lequel engendra Panthera,
Et Panthera Barpantera,
Dont est Joachin descendu.
Ainsy doncques, bien entendu,
Joachin est de la lignée
Royaulx : Si quelqu’un le nye,
Je luy prouyeray qu’il a tort.

Enfin arrivent Joachim, Anne, Ysacar, les deux Oncles de Joachim, et son Cousin Abias. Rubem marie Anne avec Joachim, et leur souhaite mille bénédictions.

« Icy s’envont chacun en sa place[36]. »

Après qu’on a reconduit les nouveaux mariés chez eux, on se retire. Lorsqu’ils se trouvent seuls, Joachim déclare à son épouse la résolution qu’il a pris au sujet de ses revenus, Anne l’en loue fort ; et tous deux promettent de vouer à Dieu l’Enfant qu’il leur plaira accorder.

 

 

VI. De Hérode Ascalonite, et de ses Seigneurs

 

Hérode paraît avec son fils Antipater. Ils sont accompagnés de Cirinus Prévôt de Judée, d’Adrascus Chevalier d’Hérode, et du Capitaine Longis. Ce Prince fait un détail de la puissance. Antipater lui dit que ces heureux succès n’empêchent pas qu’Alexandre et Aristobule fils de ce Roi, et de Mariamne, ne prétendent lui succéder. Cirinus ajoute qu’il est certain que ces deux Enfants ont cherché les moyens de l’empoisonner. Il n’en faut pas davantage pour déterminer Hérode à punir ses fils : mais comme Longis lui apprend, qu’ils sont à Rome, Hérode prononce l’Arrêt de leur exil. Rapporte-nouvelle son Messager, est chargé de cette commission.

 

 

VII. Le Murmure des Juifs contre Hérode

 

Zorobabel, Manassès, et Naasson s’entretiennent des vexations d’Hérode, et des cruautés qui se commettent journellement par ses ordres. Toute leur espérance n’est que dans la venue du Messie. Comme ils sont dans cette pensée, ils en tendent Rapporte-Nouvelle qui précédé par un Trompette, crie l’Ordonnance d’Hérode au sujet de ses Enfants. 

« Ici sonne la Trompette par troys foys, et puis dit le Trompette, »

  Or escoutez, etc.

Ensuite Rapporte-nouvelle en fait la lecture. Les Juifs l’ayant entendu, Zorobabel dit à ses compagnons :

Qui ce cry sçaurait bien comprendre ?
Il est cruel et oultrageux.
Oultrageux, mais très scrupuleux
Qui l’honneur de dérode honnit, etc.

répond Manassès. Il ne faut pas que cela vous étonne, reprend Zorobabel,

Payens ont toujours été telz[37]
Qu’ils ont appété la vengance
De leurs malveillans.

Enfin après avoir bien raisonné ensemble, leur conversation se termine à convenir tous trois qu’il faut attendre le Messie, et cependant souffrir en patience.

 

 

VIII. Le Vœu de promesse de Joachin et d’Anne

 

Joachim et Anne fâchés de n’avoir point d’enfants, promettent à Dieu de lui consacrer celui qu’il leur donnerait. Comme ils sont dans cette pensée, Abias, Barbapanter et Arbapanter qui allaient au Temple de Jérusalem, suivant la coutume, offrir leurs présents au jour de la fête des Étrennes, arrivent chez Joachim pour l’emmener lui et sa femme avec eux. Ils y consentent, et se mettent en chemin. On peut croire aisément que Rubem ne manque pas de s’y trouver : Il y est effectivement de bonne heure, et se réjouit, en se promenant devant la porte, de la bonne recette qu’il s’attend de faire ce jour-là : et il reçoit les présents des trois premiers.

 

 

IX. Le refus de l’oblation de Joachin

 

Joachim se présente à son tour pour offrir le sien, Rubem le refuse, et lui dit pour s’excuser,

Vous estes mauldit en la Loy,
Excommunié, interdit.

Ces paroles sont un coup de foudre pour Joachim.

JOACHIN.

Las ! quesse que vous avez dit ?
...

Qu’ay-je fait ?

RUBEN.

Vous estes privé en effect
Ainsy qu’on voit d’avoir lignée, etc.

Joachim déplore son infortune, et se retire : Ses Amis discourent quelque temps sur cette disgrâce, et n’y pouvant apporter de remède, ils s’en retournent chez eux. 

« Ici s’envont en leurs places. »

 

 

X. Du deuil de Joachin à cause du refus de son Oblation

 

Joachim toujours accablé de douleur, croit pouvoir la dissiper, en allant visiter sa Bergerie. Achin et Melchy qui le voient si triste, lui en demandent le sujet, pour tâcher de l’adoucir : mais comme il est persuadé qu’ils ne pourraient soulager sa douleur, il se sépare d’eux.

« Icy se départ Joachin d’avec les Bergiers. »

 

 

XI. Les Requêtes de Joachin et d’Anne pour avoir lignée

 

Anne et Joachim au désespoir de leur stérilité, implorent par leurs prières l’assistance de Dieu ; qui touché de leurs maux, et voulant préparer la venue du Messie, charge Gabriel de les consoler, et de leur annoncer qu’il leur naîtra une fille, à qui ils donneront le nom de Marie.

 

 

XII. De l’Ange qui s’apparut à Joachin et à Sainte Anne

 

« Icy est l’Ange environné de lumière. »

Gabriel annonce à Joachim que Dieu veut accorder à ses prières une fille ; Qu’il lui ordonne de imposer le nom de MARIE, et que cette fille serait la Mère de JÉSUS. De peur que l’espace de vingt ans qu’il est déjà marié n’ébranle sa foi, il la fortifie par les exemples de Sara, qui dans un âge très avancé avait conçu Isaac ; de Rachel épouse de Jacob, qui après une longue stérilité fut la mère de Joseph ; et surtout de la mère de Samson. Il ajoute qu’il ait à se souvenir de la dédier à Dieu, et lui dit que pour preuve de la vérité de ce qu’il lui dit, qu’il allât au Temple, et qu’il y trouverait son Épouse Anne à la porte dorée. Joachim remercie l’Ange fort humblement.

« Icy va l’Ange vers Anne. »

Gabriel dit les mêmes choses à Anne, en lui prescrivant les mêmes ordres.

« Icy se départ l’Ange. »

Anne après avoir remercié Dieu de sa bonté, va à la porte dorée, où elle trouve son mari, qui y est venu dans un pareil dessein.

ANNE.

Joachin, mon amy très doulx,
Honneur vous fais et reverance.

JOACHIN.

Anne ma mye, votre présence
Me plaist très fort, approchez vous.

ANNE.

Hélas ! que j’ay eu de courroux,
Et de soucy pour votre absence.
Joachin, mon amy très doulx,
Honneur vous fais et révérence.

JOACHIN.

Dieu a huy besongné sur nous,
Et monstré sa grand préférance ;
Cueur saoul ne scet que le jun pense,
Leurs souhais n’ont les hommes tous.

ANNE.

Joachin, mon ami très doulx,
Honneur vous fais et révérence.

JOACHIN.

Anne ma mye, vostre présence,
Me plaist très fort, approchez vous. 

 

« Icy baisent l’un l’autre. »

Ensuite ils se rendent compte réciproquement de la Vision, et des ordres qu’ils ont reçus de l’Ange. 

« Icy se retire Joachin et Anne. »

 

 

XIII. De Hérode

 

Hérode suivi de la Cour, telle que nous l’avons décrite ci-devant au sixième Mystère, demande de quelle façon il doit en user avec les Juifs : On lui conseille de les traiter avec rigueur. Cet avis est fort de son goût.

HÉRODE.

Je les tiendray comme en hostaige,
Subgetz captis maugré leurs dens ;
Et en dépit de leur visaige,
J’auray dessus eulx avantaige,
Quelque lieu qu’ils soient résidens.

 

Adrascus, entr’autres lui insinue de changer la Loi. Hérode ne se détermine à rien, et ne prend d’autre parti que de suivre en tout sa volonté.

Pendant ce temps là, Achin et Melchy s’entretiennent de la grossesse de leur Maîtresse, ils se réjouissent par avance du plaisir qu’ils auront pour lors : Les Brebis, disent-ils iront paître aux meilleurs herbages ; ce n’est pas tout,

MELCHY.

Les Pastourelles chanteront.

ACHIN.

Pastoureaux getteront œullades.

MELCHY.

Les Nymphes les escouteront,
Et les Driades danceront,
Avec les gentes Oréades.

ACHIN.

Pan viendra faire ses gambades
Revenant des Champs Élisées ;
Orphéus fera ses sonnades,
Lors Mercure dira ballades,
Et chansons bien auctorisées.

MELCHY.

Bergères seront oppressées
Soudainement sous les patis, etc.

 

 

XIV. Comme Anne enfanta Marie

 

Sainte Anne paraît incommodée ; Joachim ordonne à la Chambrière d’en avoir soin.

LA CHAMBBRIERE nommée UTAN.

Ne faictes plus cy de demeure,
Dame, sans plus avant toucher,
Le meilleur est de vous coucher ;
À bout estes de vostre terme.

ANNE.

Coucher m’en voys sans plus de terme
Puisque vous le me conseillez, 

« Icy se couche Anne[38]. » 

Pendant que Joachim, Barbapanter, Arbapanter, et Abias font des vœux pour son heureux accouchement : On vient avertir Joachim que son épouse vient de mettre au Monde la plus belle fille qui y ait jamais paru. Il vient aussitôt trouver la femme, et ensemble ils en rendent grâces à Dieu. Il l’a fait souvenir que l’Ange leur avait ordonné de la part de Dieu de nommer leur fille Marie : C’est en effet le nom qu’on lui impose. Com me ils se mettent un peu à causer Utan qui a peur que cela ne rompe la tête à sa Maîtresse, fait retirer tout le monde, sans en excepter le Mari ;

LA CHAMBERIERE.

Joués de retraicte
Monsieur, s’il vous plaist, car Madame
D’elle-même est tendre femme ;
Et n’est point requis qu’on tempeste
À l’Accouchée ainsi la teste,
Et n’a que faire de Blazon.

JOACHIN.

Utan, vous n’avez que raison,
Sa santé voulez désirer,
Saison est de me retirer ;
Mais, mamye, entendez à elle.

« Icy se retire Joachin. »

L’on croit que la Servante n’a fait sortir tout le monde, que pour laisser sa Maîtresse en repos ; point du tout, il semble qu’elle n’a pris ce soin que pour avoir le plaisir de causer seule avec elle ; en effet, elles ne cessent de s’entretenir des louanges de la petite Fille.

ANNE.

Tu es tant belle,
Jamais de telle
Ne fut au monde ;
Gente pucelle,
De Dieu encelle[39],
Très pure et monde ;
Tu es féconde,
Nulle seconde
Et n’auras doulce columbelle :
Car la grâce de Dieu redonde
Jouc aux Cieulx, et superabonde :
Anges chantent de la nouvelle.

LA CHAMBERIERE.

Ainsy que une luysante estoille,
Sa face reluit, ma Maistresse :
Mais donnez luy vostre mamelle,
Afin que plaisir renouvelle,
Vostre cueur, et mette en liesse, etc.

« Icy sainte Anne se recouche, et sont tirées les custodes[40], puis peu de temps après s’en yra secrètement vers Joachin, et sera Marie en l’aage de troys ans avec eulx. »

 

 

XV. Comme Marie fut présentée au Temple

 

Le Prêtre Rubem rend compte au Spectateur des soins qu’il prend pour le Temple ; et déclare de quelle façon est administrée une Communauté de jeunes filles, qui sont sous sa conduite, des saintes lectures qu’on leur fait faire, des vers qu’on leur fait chanter à la louange de Dieu, des ouvrages auxquels on les occupe, et de la bonne éducation qu’on leur donne.

RUBEN, Prestre.

Or ay-je le gouvernement
De ce sainct Temple vénérable,
Là où je doy dévotement
Servir Dieu principalement,
Faire œuvre qu’il ait acceptable.
La chose plus recommandable
Qui ne soit donné en ce Temple,
C’est que je baille bone exemple
Aux pucelletes qui y sont :
Aussy je croy que toutes ont
Bon vouloir, dont je mercie Dieu ;
Ilz[41] sont nourries en ce sainct lieu,
En toutes bonnes meurs apprinses
S’ilz font mal, ilz en sont reprinses,
S’ilz font du bien, c’est à leur gloire.
Au Temple peuvent veoir meinte histoire,
Comme des Patriarches sainctz,
Des Roys, et des Prophètes maintz,
Qui ont parlé de la venue
De Mecias, qui est congnue
Par les escriptz de noz bons pères. 

 « Nota qu’il faut qu’il y ait dix ou douze filles, dont il n’y en aura que deux qui parlent. »

Ces deux filles s’entretiennent des louanges du Seigneur, Rubem les appelle et leur donne de bonnes instructions, et elles le remercient avec beaucoup d’humilité.

Pendant ce temps là Barbapanter, Arbapanter, et Abias veulent aller voir Joachim, et la famille.

« Icy vont vers Joachin. »

Joachim dit à sa femme qu’il est temps d’aller présenter leur fille au Temple ; Marie (âgée de trois ans) leur dit que c’est son plus grand plaisir : Elle témoigne la même disposition aux trois amis de son père qui le sont venu trouver. Alors ils prennent tous la résolution d’aller à Jérusalem pour cela. Comme la Chambrière croit que Marie ne peut pas faire ce chemin à pied, elle luy dit

UTAN.

Vous porteray-je ? 

Mais Marie répond :

MARIE.

Je suis forte
Assez pour cheminer ung an :
Mais que soye en Hierusalem
Humblement me reposeray,
Le sainct Temple visiteray,
Si plaist à Dieu, tout à mon aise.

Peu après qu’ils sont arrivés au bas des quinze degrés du Temple, ils demandent où est Marie : et sont fort étonnés de voir qu’elle les a monté toute seule. C’est tout ce qu’à peine, dit Abias, aurait pu faire un homme de vingt-quatre ans. Après que chacun a fait son présent : Joachim et sa femme présentent Marie, et se retirent en priant instamment Rubem d’en avoir grand soin. 

« Icy s’en vont en leurs Maisons. »

Cependant Dieu ordonne à Gabriel d’avoir soin de Marie. 

« Icy descend l’Ange et va vers Marie. »

 

 

XVI. Comme Marie besogne avecques les Pucelles

 

« Icy besongne Marie avecques les Pucelles, et ont chacun ung petit mestier. »

Pendant que Marie travaille avec ses compagnes, ces deux filles ne cessent de louer son adresse, et la propreté de son ouvrage. L’heure de dîner arrive, Rubem les appelle toutes. La seconde Pucelle avertit Marie, qui lui répond ;

MARIE.

Mes compaignes, je vous emprie,
Allez devant car j’ay affaire
Icy pour un cas nécessaire,
Que fuis contente de parfaire.

Ensuite elle va prendre un petit Livret, qui est le Prophète Isaye ; Elle tombe justement sur le Chapitre où ce Prophète parle d’une Vierge qui devait concevoir et enfanter le Messie. Pendant ce temps-là, l’Ange Gabriel la vient visiter, et lui apporte « une viande céleste ». Après quoi il se retire.

« Icy l’Ange se absente. »

Rubem qui s’aperçoit que Marie n’est point avec ses compagnes ; la demande : elles lui répondent qu’elles l’ont laissée fort occupée à lire. Lui et ses filles vont là chercher. Marie dit à Rubem qu’elle ne se sent aucun besoin de manger, en le priant de lui permettre de continuer la lecture. Rubem qui la voit persister dans cette résolution, lui laisse faire, ce qu’elle veut.

« Icy retourne Marie en son Orastoire, et quant elle y a été ung demi quart d’heure elle se absente, et fait fin, jusques à ce que l’autre Marie de treze ans s’apparesse[42]. »

Cependant le bruit des vertus de Marie pénètre jusqu’aux Enfers ; Sathan vient en faire un fidèle rapport à son Roi : qui lui demande s’il ne pourrait point la surprendre : Il est impossible dit Sathan :

El est plus belle que Lucresse,
Plus que Sarra dévote et saige ;
C’est une Judic en couraige,
Une Hester en humilité,
Et Rachel en honnesteté ;
En langaige est aussi bénigne
Que la Sibille Tiburtine[43],
Plusque Palas a de prudence ;
De Minerve a de loquence ;
C’est la nompareille qui soit ;
Et suppose que Dieu pensoit
Racheter tout l’Humain lignaige
Quant il la fist.

LUCIFER.

Par ton langaige
Il semble que tu ayez peur d’elle.

Malgré tout ce que peut dire Sathan, Lucifer ne perd point courage, et ordonne à ses Démons de faire tout leur possible pour la tenter.

 

 

XVII. Comme Anne fut mariée à Cléophas

 

Abias apprend à Barbapanter et à Arbapanter que Joachim venait de mourir : Comme il voit qu’ils veulent s’affliger, il ajoute :

Remède n’y a, il est mort :
Velà nous sommes tous mortelz.

ARBAPANTER.

On ne scauroit trouver en lieu
Homme craignant redoubtant
Dieu Plus qu’il faisoit.

Changeons de propos, dit Abias,

Qui me croyra, on mariera
Anne derechef.

Vous avez raison répondent les autres, il ne faut pas perdre de temps. Tout de suite voyant passer un de leurs parents appelé Cléophas, ils lui proposent ce mariage. Cléophas y consent, et ils l’emmènent avec eux chez Anne. En arrivant ils lui font part de ce qu’ils viennent de résoudre ensemble.

ANNE.

Cuidez vous que j’aye le couraige
D’être mariée ? nenny non ;
Las j’avais ung mary si bon,
Si courtoys, et si amiable,
Prudent, vertueux, charitable ;
Jamais tel n’en recouvreray.

Point tant de raisons, dit Barbapanter.

Cléophas est homme d’honneur,
Nous le cognoissons entre nous ;
Et pour ce délibérez vous
De le prendre par mariage.

ΑΝΝΕ.

Nonobstant que je n’ay couraige
D’estre mariée, mes amys,
Faictes ainsy, qu’il est permys
Selon la Loy.

ABIAS.

Cà Cléophas,
Mon ami, entendez le cas.

CLÉOPHAS.

Mes Cousins, et amis parfais
Je n’y contredis nullement.

Enfin pour couper court, ils sortent tous pour terminer ce mariage.

« Ici s’en ya Cléophas, et fine ici[44]. « 

Ensuite paraissent Achin et Melchy : Il semble qu’ils ne viennent guères sur le Théâtre que pour former des espèces d’intermèdes : On ne sait pas trop ce qu’ils veulent dire, ni le sujet qui les amène. Ici ils s’entretiennent des façons de faire des Bergers.

ACHIN.

Le Dieu Pau sousvent on gracie
Et semble qu’on soit en Asie
Avec Paris et Zénona,
Qui à l’ombre sous la feuillie
Firent mainte chose jolye,
Que le Dieu Bacus ordonna.

MELCHY.

Lorsque Pegasus s’envolla
Par sur les aërs quant il portoit
Perseus, Bergère estoit
En grant bruit, c’estoit mélodie
Que d’oüir sur la reverdye
Chanter les Nymphes et Déesses.

ACHIN.

Il est des Pastoures tant belles
Mais ilz n’ont point gentilz couraiges
J’en ay trouvé plusieurs rebelles,
Aussy je ne tiens compte d’elles,
Quant ilz viennent aux pastouraiges.

MELCHY.

Bergieres brunettes font raige,
Bergiers aiment d’amour parfaicte,
Et laissent aller de couraige,
...
Quant humainement on les traicte.

 

 

XVIII. Comme Hérode fait mettre l’Aigle d’Or sur le Temple

 

Hérode suivi d’Antipater, d’Adrascus, de Longis, et de Cirinus, ordonne à ce dernier d’aller faire poser sur le Temple une Aigle d’Or, pour marque de la Domination Romaine : Cirinus et Adrascus sortent pour lui obéir.

« Icy vont faire mectre l’Aigle d’Or sur le Temple. »

 

 

XIX. Comme Anne fut mariée à Salomé

 

Abias toujours rapporteur de mauvaises nouvelles, vient apprendre à Barbapanter et Arbapanter, que Cléophas venait d’expirer ; et n’avait laissé de son Épouse Anne, qu’une fille, qui portait le nom de Marie ainsi que celle de Joachim. Hé bien ! il faut remarier promptement la Veuve, dit Barbapanter.

ARBAPANTER.

Sans un chief
Masculin en une maison
Il n’y a ‘ne rime, ne raison ;
Qu’il soit ainsi, je vous le preuve,
Il y a mainte femme Veufve
Qui pert ses biens à la volée,
Par faulte d’estre mariée.
Une femme seulle n’est rien.

Ils consultent entr’eux quel estl mari qu’ils veulent donner à Anne en troisièmes Noces ; et ils s’arrêtent à Salomé. Ensuite ils vont en faire la proposition à Anne.

ANNE.

Vous savez que je doy entendre
À faire votre bon plaisir,
Pour ce selon votre désir
Soit fait.

ARBAPANTER à Salomé.

  Approchez nostre aymé.

SALOMÉ, troisième mary de Anne.

Quesse qu’il vous plaist ?

Barbapanter, qui paraît partout un homme rude, et brusque, dit à Salomé de quoi il s’agit. Salomé lui répond humblement, que comme il est persuadé qu’ils ne veulent que son avantage, il ne prétend pas y contredire.

BARBAPANTER.

Cà Anne, que voulez-vous dire ?

ANNE.

Tout ce qu’il vous plaist.
Moy aussy

ajoute bien vite Salomé.

Or ne débatons plus cecy.

dit Abias. Enfin, après quelques exhortations réciproques de la part d’Anne et de Salomé, ils sortent tous, pour conclure ce mariage.

 

 

XX. Comme les Juifs murmurent contre Hérode

 

Cirinus et Adrascus après avoir posé l’Aigle sur le Pinacle du  Temple, font réflexion que cela pourra faire de la peine aux Juifs : Cela est vrai, dit Adrascus, mais ils n’en oseront murmurer que tout bas : et ils redoutent trop la puissance d’Hérode. Cela ne manque pas d’arriver : Zorobabel s’en apercevant dit,

Quesse qu’on a posé là hault
Au Pinacle du Temple ?

C’est un Aigle d’or, répond Naasson. Cela est assurément bien étrange, ajoute Manassès, il est certain qu’Hérode se rit de notre faiblesse. Après de pareils discours, ils en reviennent à leur refrain ordinaire, qui est d’attendre le Messie.

 

 

XXI. Comme Rubem prend Conseil des Juifs

 

Rubem continuant ses soins auprès des jeunes filles de sa communauté, veut, suivant la règle établie, renvoyer celles qui ont plus de treize ans. Pour cet effet il congédie les deux Pucelles dont nous avons parlé ci-dessus, et Marie, qui est pour lors âgée de quatorze ; le supplie de la laisser au Temple, attendu qu’elle a voué à Dieu sa virginité. Rubem ne sachant comment se conduire dans une affaire aussi délicate, et dont il n’a point encore vu d’exemple ; ne voulant pas également entreprendre sur les règles prescrites, ni gêner la volonté de la fille, va demander l’avis des Juifs. Zorobabel, Naasson, et Manassès qu’il consulte, opinent à se mettre tous en prière, et à demander à Dieu, qu’il veuille leur interpréter sa volonté.

 

 

 

XXII. Comme l’Ange révéla la Prophétie, que Jésus naîtrait de Marie

 

Dieu qui prépare tout pour la genre charge Gabriel d’annoncer aux Juifs qu’ils aient à ordonner à tous ceux qui sont de la lignée de David, de se trouver au Temple, chacun une Verge à la main : et que celui à qui la Verge fleurirait est destiné pour être l’Époux et le gardien de Marie. Les Anges remercient Dieu, et Gabriel va pour exécuter ses ordres.

« Icy descend l’Ange, et vient au Temple. »

Pendant que Rubem et les trois autres Juifs sont en prière, ils entendent cette voix de l’Ange.

GABRIEL.

Egredietur Virga de radice Jesse.
Ceste très noble prophétie
Est au douziesme de Ysaye, etc.

Ensuite il leur annonce les ordres de Dieu, et se retire.

« Icy l’Ange se absente. » 

Les Juifs que cette voix à déterminés, ne balancent pas à suivre ce parti : Rubem en avertit le Peuple.

RUBEN.

On vous fait à sçavoir à tous
Qui de David estes yssus,
Que venez sans attendre plus
Au temple d’ung vouloir humain ;
Et que chacun ait en sa main
Une Verge, car Dieu l’ordonne,
Et il veut que Marie on donne
À celui à qui florira
Sa Verge. Qui refusera
À y venir sera blasmé.

Barbapanter, Arbapanter et Abias descendants de David, se préparent pour cette cérémonie. Achin et Melchy, quoique simples Bergers, se ressouviennent qu’ils font du sang de ce Roi ; prennent chacun une Verge pour s’y rendre. Joas le malade dont nous avons parlé au IV Mystère ci-dessus, et qui est pour lors en santé, aussi bien que le Pèlerin son camarade, y vont aussi. Ils trouvent en chemin Joseph, que le même dessein y conduisait ; mais qui aurait voulu conserver la Virginité, et rencontrer une épouse de pareille humeur.

« Icy vont au Temple. »

 

 

XXIII. Comme baillent leurs Verges au Prêtre de la Loi

 

« Icy baillent leurs Verges l’ung après l’autre, et les mettent sur l’Autel. »

BARBAPANTER.

Vela la mienne belle et fresche,
Mais si n’est-elle point florie.

MELCHY.

Je n’espouseray point Marie
La mienne nulle fleur ne rent.

ACHIN.

Soit bien content, ou mal content,
Je n’espouseray point la Belle.

JOAS.

Au regard d’avoir la Pucelle,
Certes je ne m’y attendz pas.

LE PÈLERIN.

Aussi ne fais-je moi, Joas,
Car de l’avoir je trop nice[45].

NAASSON.

Je ne voy Verge qui florisse.

MANASSÈS.

Regardez dessoubz et dessus.

Rubem commence à manquer de foi.

RUBEN.

J’ay paour que ne soyons deceuz.

Enfin ne voulant pas demeurer plus longtemps dans cette incertitude, il ordonne à Joseph de montrer aussi la Verge, et lui dit avec hauteur ;

RUBEN.

A ! par ma foy,
Joseph, si la monstrerez-vous,
Et sera cy veue devant tous ;
Monstrez-là tost legierement.

JOSEPH.

Puisque c’est par commandement
Bien est requis que je le face.

« Icy monstre Joseph sa Verge, puis s’apparest la columbe sur la Verge florie. »

 

 

XXIV. Comme Joseph épousé Marie

 

Un miracle si visible, et si sur prenant oblige toute l’assemblée à fixer les yeux sur Joseph, et à lui faire des compliments. Le Prêtre lui dit que suivant l’ordre de Dieu, apporté par son Ange il est destiné pour épouser Marie, en même temps il l’en voie chercher, et sans les quitter il les marie. Ensuite après leur avoir donné quelques instructions, il se retire.

Joseph qui avait senti de la répugnance à ce mariage, tant à cause de son vœu, que pour son extrême pauvreté, dit à Marie.

JOSEPH.

Suave et odorante Rose,
Je sçay bien que je suis indigne
D’espouser Vierge tant benigne,
Nonobstant que soye descendu ;
De David, bien entendu ;
Mamye, je n’ay guerez de biens.

MARIE.

Nous trouverons bien les moyens
De vivre, mais que y mettons peine,
En tixture de soye et laine
Me congnoys.

JOSEPH.

C’est bien dict, Mamye,
Aussy de ma Charpenterie
Je gaignerai quelque chosette.

Marie lui conseille de se retirer chacun en particulier, pour penser à ses affaires.

« Icy se retirent. »

Marie qui ignore le dessein de Joseph paraît fort émue ; elle prie Dieu de vouloir l’assister de ses grâces. Joseph de son côté se trouve dans un pareil embarras. Enfin Marie, rompant le silence, lui avoue sa résolution. Joseph est charmé de la trouver dans des sentiments si conformes aux siens : et ils s’en vont dans une ferme résolution d’y persister toujours.

 

 

XXV. Comme l’Ange annonça à Zacharie la Nativité de Saint Jehan

 

« Zacharie père de Sainct Jehan Baptiste à l’Autel du Temple. »

Zacharie touché des maux que les Juifs souffrent, prie Dieu d’envoyer promptement son Christ, pour les faire cesser. Dieu écoute favorablement la prière, et pour l’exaucer, il ordonne à Gabriel de lui déclarer de sa part, qu’il aurait de son Épouse Élizabeth un fils, à qui il donnerait le nom de Jehan ;

Car ce nom Jehan, qui bien le veult noter,
Grâce de Dieu se peult interpréter :
Ma grâce aussy dessus lui vueil estendre.

ajoutant que cet enfant devait servir de Précurseur à son Christ. 

« Icy dessent l’Ange Gabriel, et va vers Zacharie. »

Les Anges remercient Dieu de cette bonté.

« Icy fait Zacharie semblent d’ensenser l’Autel, et est au costé destre, et l’Ange s’aparest à luy. »

À la première parole de l’Ange, Zacharie tombe de frayeur sous l’Autel ; Gabriel le rassure en lui annonçant les ordres de Dieu.

GABRIEL.

Mais premier un filz tu auras,
Que par nom Jehan tu nomineras ;
Lequel préparera le cueur
Du populaire à son Saulveur.
Et sera par divine Loi
Preschant pénitence et vraye foy :
Qui naistra devant le Saulveur,
Et se nommera sa haulteur,
Grandeur de conversacion,
Parfonde humiliacion,
De charité grande largeur,
Et pareillement en longueur, etc.

Comme Zacharie paraît incrédule, l’Ange lui dit qu’il demeurera muet : jusques à la naissance de cet Enfant ; ensuite de quoi il se retire.

« Icy s’en va l’Ange en Paradis. »

 

 

XXVI. Le Procès de Paradis

 

Le procès qui était demeuré pendant au Tribunal de Dieu, entre la Vérité, et la Justice d’un côté, la Miséricorde et la Paix de l’autre, n’ayant pu être terminé, recommence ici avec plus de chaleur que jamais. Ces quatre Vertus persistent toujours dans leurs sentiments, Dieu leur déclare qu’il veut absolument sauver l’homme. Pour accorder des choses si contraires, elles s’adressent à la Sapience. La Paix demande que l’homme puisse être reçu à pardon, après une pénitence proportionnée. Non, répond la Justice, cent milliers d’années de pénitence ne me suffiraient pas, il faut sa mort éternelle. La Sapience paraît ébranlée des raisons de la Justice.

SAPIENCE.

Justice a très bonne raison,
S’elle se tient bien difficille :
Regergdez[46] en cause civille,
Si ung malfaicteur pour son defroy[47]
Est saisy en prison de Roi,
Et tant à mal faire la Mort
Que sa cause est digne de Mort,
...
La repentance rien n’y faict
Ne le juge en rien ne regarde,
Que son paiement il ne luy garde,
De la mort qu’il a deservie.

Par cet exemple pris sur les Lois Humaines, la Sapience de Dieu prétend excuser la rigueur de la Justice. Enfin après bien des contestations, Sapience pour accommoder toutes les Parties, déclare qu’il faut soit un Dieu fait Homme, qui fasse cette réparation. Laquelle des trois Personnes doit la faire ? lui demande la Miséricorde. Le fils, répond-elle. Et pourquoi lui plutôt qu’un autre ? réplique la Paix. Par quatre choses, dit Sapience.

SAPIENCE.

Et premier je puis estimer,
Selon que Filz se faict nomer :
La seconde est qu’il est ymaige
De Dieu le Père noble et saige ;
Tiercement est parole et Verbe,
De Dieu qui est noble proverbe,
À la quarte, qui bien en sonne
Il est la moyenne personne.

Les quatre Vertus se rendent enfin ; et Dieu conclut au Mystère de l’Incarnation. Cependant il propose à la Justice, si elle ne veut point prendre une autre Victime, à la place de son propre Fils. Mais comme la Justice, après l’Arrêt que la Sapience vient de rendre en sa faveur, de meure inflexible. Dieu dépêche Gabriel, vers la Vierge Marie.

« Icy descent Gabriel, et va vers Marie. »

Cependant Chérubin, Séraphin, Michel, Raphaël et Uriel se réjouissent du bonheur dont les hommes vont jouir.

 

 

XXVII. De la Salutation Angélique

 

« Marie lisant. »

GABRIEL

Ave pour salutacion,
Je te salue d’affection,
Maria Vierge très bénigne
Gracia par infusion
De grâce acceptable et condigne :
Pleina par la vertu divine :
Pleine quant de dans toy recline
Dominus par dilection :
Nostre Seigneur fait ung grant signe
Tecum d’amour quant il assigne
Avec toy sa permancion.

Marie est fort surprise à ce discours : Ensuite Gabriel lui déclare que Dieu l’a élue pour porter le Messie dans son sein. Comme Marie fait difficulté de croire cela, attendu qu’elle veut toujours garder sa Virginité ; l’Ange la rassure, en ajoutant que cela se ferait par l’opération du saint Esprit. Marie veut bien y consentir à cette condition.

MARIE.

Ecce ancilla Domini
L’Ancelle Dieu suis en effect,
J’ay parfaicte crédence en luy,
Et selon ton dict me soit faict.

Interlocutoire de Marie et de Joseph[48].

Marie et Joseph se réitèrent encore leurs vœux de chasteté : Marie demande à Joseph la permission d’aller voir sa Cousine Élizabeth, et celui ci y consent.

Élizabeth de son côté, s’entretient avec Utan sa « Chambériere » de sa grossesse. Elle a honte à son âge de se trouver enceinte ; et craint que la vertu ne soit soupçonnée. Utan la console.

 

 

XXVIII. De Marie et Élizabeth

 

Marie vient voir Élizabeth, cette dernière lui dit qu’à son arrivée elle a bien senti aux mouvements de l’Enfant qu’elle porte, qu’elle parle à la Mère de son Sauveur. Ensuite Marie et elle se font beaucoup de compliments.

 

 

XXIX. Enfer

 

Tous ces préparatifs d’une Rédemption prochaine alarment les Enfers. Lucifer en convoque les Esprits, qui suivant leur bonne coutume le remercient par des torrents d’injures.

SATHAN.

Qui fait ceste mutacion ?
Lucifer Roy des Ennemys ?
Vous hurlez comme un loup famis,
Quant vous cuidez chanter ou rire.

Lorsqu’ils sont tous rassemblés, Lucifer propose ses soupçons. Astaroth dit qu’il n’a rien à craindre.

ASTAROTH.

Délivrer ne se peult pas,
Ne doubtez point de ce trépas, etc.

LUCIFER le faisant taire.

Astaroth, ne parle jamais,
Tu es encor trop novice.

Il demande l’avis de Sathan, qui, plus expérimenté que son camarade, lui avoue qu’il craint aussi quelque chose. Lucifer qui a ouï dire que les Patriarches qui sont retenus dans les Limbes, s’attendent à une délivrance, fait avancer Sathan.

LUCIFER.

Aproche ton propos, Sathan,
Car je me tiens assez des tiens,
Veu et escoute tes moyens :
Grant supson en moy je fonde.
Quant tu cours et vas par le monde,
Ne lis tu point aux Escriptures,
Pour voir ce de noz adventures,
Ilz font aucune mencion ?

Oui, dit Sathan, j’en ai lu quelque chose, et elles parlent d’un Messie à naître, qui doit délivrer les âmes des Justes détenues aux Limbes, et obtenir de Dieu miséricorde pour les Pécheurs. Lucifer, qui voit que l’affaire devient sérieuse, prend le parti de faire tenter le Messie, lorsqu’il paraîtra, et charge Sathan de cette commission.

SATHAN.

Sans longue protestation
Je m’offre à faire tout debvoir :
Mais il fault avant le mouvoir,
Avoir la bénissons houssue[49]
De vostre orde pate crossue[50]
Bruslante en feu par grant ardeur.

LUCIFER.

Or va, que telle roideur
Te puissent les diables mener,
Que gros dragons au retourner
Te ramainent tout à ton aise,
Ardant comme feu de fournaise,
Plains de souffre et de falpestre.

Sathan part avec ce passeport.

 

 

XXX. De l’Enfantement de Élizabeth

 

« Icy tend Marie l’Enfant de Élizabeth, et le monstre. »

Élizabeth, qui vient d’accoucher derrière la Scène, paraît avec Marie et Utan, « Chambériere ». On la félicite sur son heureuse délivrance, et cependant on emmaillote l’Enfant. (

« Icy accoustrent l’Enfant. »

Barbapanter, Arbapanter et Abias viennent rendre visite à Zacharie et sa femme. Ils apprennent en arrivant la naissance de l’Enfant, et la perte de la parole de son père. Comme ils veulent circoncire l’Enfant, il est question de lui imposer un nom, et pendant qu’ils se débattent pour savoir lequel, Zacharie recouvrant l’usage de la langue, leur dit que l’Ange lui avait enjoint de donner à l’Enfant le nom de Jehan, et qu’il fallait lui obéir. Ensuite comme il a de l’impatience de revoir son épouse il congédie ses amis, et les prie de revenir une autre fois, où il pourra les recevoir plus commodément. Il va visiter Élizabeth, et après quelques compliments, il sort pour aller au Temple : En s’en allant il dit adieu à Marie. 

« Zacharie fine icy. »

Enfin Marie remercie Dieu de la Naissance de S. Jean, et prend congé d’Élizabeth. 

« Icy s’en va Marie par devers Joseph. »

 

 

XXXI. Le doute de Joseph touchant l’Incarnation du Fils de Dieu

 

Marie de retour chez elle, apprend à Joseph l’heureuse naissance de S. Jean. Après plusieurs discours, Joseph s’aperçoit que Marie est grosse, il ne peut croire ce soupçon et veut s’en éclaircir.

Marie lui proteste qu’elle a toujours gardé son vœu de virginité, mais Joseph a bien de la peine à se rendre.

Il lui dit de s’en aller coucher, et que le lendemain il lui ouvrirait son cœur. Marie après l’avoir quitté, prie Dieu de vouloir bien apaiser l’esprit de Joseph, qui de son côté inquiet, et ne sachant à quoi se déterminer, tantôt croit Marie innocente, et tantôt la croit coupable. Pour sortir de cet embarras, et n’avoir en même temps rien à se reprocher, il se résout à se séparer de son épouse. Dans cette pensée le sommeil vient s’emparer de ses sens, et il va se coucher.

« Icy s’en va dormir Joseph. »

Dieu qui voit le trouble et l’agitation de Marie et de Joseph, ne voulant pas les laisser dans cette incertitude, ordonne à Gabriel d’aller dire à Joseph, que son épouse Marie était enceinte du Christ, et qu’il ne devait point avoir de mauvaise pensée contre sa pudicité, attendu que ces choses avaient été faites par l’opération du Saint-Esprit. L’Ange exécute cet ordre, et le fait savoir à Joseph pendant son sommeil. 

« Icy se absente l’Ange de Joseph. » 

Joseph à son réveil, honteux d’avoir conçu de tels soupçons contre Marie, court lui en demander pardon.

 

 

XXXII. Du Mandement publié en Judée

 

Cirinus, Prévôt de Judée, ordonne à Rapporte-Nouvelle de publier le Mandement de l’Empereur des Romains, qui voulant savoir se nombre de ses Sujets, ordonne à un chacun de se retirer à la Ville de sa naissance, pour s’y faire enregistrer. Rapporte-Nouvelle lui obéît.

 

 

XXXIII. Comme Marie et Joseph vont en Bethléem

 

Quoique ce Mandement vienne fort mal à propos pour Joseph et Marie qui n’ont point d’argent, cependant ils sont obligés de s’y conformer.

JOSEPH.

Et bien, Marie, puisque ainsi est
Mener nostre Anne conviendra,
Pour nous porter quant la viendra
Que nous nous trouverons fors las ;
Aussy pour ce que n’avons pas
Tant d’argent que pourrions despendre,
Nous marrons[51] ce beusf cy pour vendre ;
Si nous survient aucune affaire.

En s’en allant ils rencontrent Abias, qui s’offre à les accompagner. Cependant Rapporte-Nouvelle vient rendre compte à Cirinus de son expédition.

Mahommet le grant Dieu vous garde[52]
Et tienne en vostre auctorité :
J’ay le Mandement exploité
Publicquement en mainte Ville.

 

 

XXXIV. Du Logis de Marie et Joseph

 

Marie et sa compagnie arrivent à Bethléem. Abias fait ce qu’il peut pour trouver un logement à Marie : Il s’adresse au Maître d’une Hôtellerie, et lui demande une chambre, si petite qu’il voudra. Joas (c’est le nom du Maître de ce logis) les reçoit fort rudement.

JOAS.

Vous n’y povez, croyez-vous pas ;
Et quant place pour vous auroye,
Ja ne vous y logeroye :
Ce n’est pas icy l’Ospital,
C’est Logis, pour gens de Cheval,
Et non pas pour gens si meschans.
Allez loger emmy les champs[53],
Et vuidez hors de ma maison.

Enfin après bien des prières, et des supplications, Joas, par importunité leur permet de se loger dans un vieux appentis à moitié découvert, et qui ne ferme point. Marie et Joseph sont forcés de s’en passer. Ils s’y accommodent du mieux qu’ils peuvent ; et Marie dit à Joseph d’avoir soin de leurs animaux.

JOSEPH.

Ils sont très bien lyez tous deux,
Mais icy endroit ceste bresche
Leur feray une belle cresche,
Avant que je face départ,
Pour mettre leur mengaille à part :
Ilz seront très bien ordonnez.
Or vous tournez, bauldet, tournez
Le museau devers la mengoire,
Vous avez bien gaigné à boire,
Car peine avez eue à foison.

 

 

XXXV. Des Pastoureaux

 

Loris, Pélyon, Ysambart et Rifflart, Bergers des environs de Bethléem se rassemblent pour se préparer à la veillée. Ils s’entretiennent de plusieurs choses et enfin tombent sur les affaires d’État, et raisonnent sur l’Édit d’Auguste.

ALORIS.

Mais à quel propos ?
Esse pour faire une bataille ?

RIFFLART.

Voire pour payer une taille,
Peut-estre que nous sera dure.

 

Cela est horrible, ajoutent-ils, et depuis le règne de David, on n’a jamais rien de semblable. Enfin après avoir bien discouru, leur conversation se termine, à se bien défendre des Loups.

 

 

XXXVI. L’Oraison de Syméon

 

Syméon accablé des ans prie Dieu avec ardeur, de lui faire la grâce de pouvoir avant la fin de ses jours, avoir le bonheur de voir son Christ. Le Seigneur envoie l’Ange Raphaël pour lui dire que la prière est exaucée. Syméon en remercie Dieu.

 

 

XXXVII. De la Nativité de Jésus

 

Dieu qui a prévu le moment de la Naissance de son Fils ; envoie cette nuit ses Anges pour le servir d’abord qu’il sera né.

MARIE.

Ô doulx Dieu ; de moy te souvienne,
Comme y a parfaite crédence.
À ta haulte magnificence
Et clere illumination :
Ô riche trésor de clémence !
Ô divine Incarnation !
Bien doy en exaltacion,
En vertu de dévotion
Honnorer ce mistere en moy,
Quant sans quelque vexation,
Sans fracture, ne corruption,
Le fruit de mon ventre recoy.

« Icy monstre Marie l’Enfant Jésus. »

S. Michel, Raphaël, Gabriel, Uriel, Séraphin et Chérubin, chantent les louanges de l’Enfant Jésus, et en remercient Dieu. Joseph, qui était allé chercher quelques provisions, et qui n’était pas présent à ce grand événement, revient au logis.

JOSEPH.

Puisque j’ay fait mes provisions,
Saison est que retourner doye :
Peut estre se trop attendoye,
Marie aurait nécessité.

« Icy apperçoit Joseph l’Enfant et Marie à genoulx. »

 

JOSEPH.

Ô très glorieuse Trinité,
Quesse que je voys de ceste heure !
Certes, c’est un enfant qui pleure
Tout nud sur le seure[54] gesant,
Et la mère à genoulx devant, etc. 

« Icy se met Joseph à genoulx. » et chante avec Marie les louanges de l’Enfant.

MARIE.

Mon cher Enfant, ma très doulce portée,
Mon bien, mon cueur mon seul avencement,
Ma tendre fleur que j’ay longtemps portée,
Et engendré de mon sang proprement :
Virginalement en mes sangs te conceuz,
Virginalement ton corps humain receuz,
Virginalement t’ay enfanté sans peine,
Tu m’as donné congnoissance certaine
Que à ton pouvoir âme ne se compère ;
Parquoy te adore, et te clame à voix plaine,
Mon doulx Enfant, mon vray Dieu, et mon père.

JOSEPH.

Tu es le Saulveur du monde,
Enfant où tout bien abonde,
Pur et monde,
Par pouvoir espicial
Car au ventre virginal,
As prinse le ceptre Royal
Très loyal,
Pour tout juger en la ronde,
Ce beau monde en général,
Et comme juge féal
Trafegal[55],
Te adore en crainte profonde.

Après quelques discours pareils ; paraissent les Anges.

« Icy fault une nuée où feront les Anges. »

Gabriel dit aux autres Anges qu’il va avertir les Bergers de la naissance de l’Enfant Jésus. S. Michel et Raphaël s’offrent à l’accompagner.

 

 

XXXVIII. Comme l’Ange s’apparut aux Pastoureaux

 

« Icy respandent les Anges grant lumiere. » 

Les Bergers, qui comme nous venons de voir ci-dessus, passent la nuit à veiller, surpris d’une telle splendeur, ne savent à quoi l’attribuer, est-ce que le jour commence ? se disent-ils ; la Lune pourrait-elle répandre une telle clarté ? Pendant qu’ils sont dans cet étonnement, Gabriel les rassure.

GABRIEL.

Bergiers, ne vueillez crainte avoir,
Ennuyt[56] est accomply l’esprit
Car nostre Saulveur Jesucrist
Sans doute nous est né sur terre
Et si du lieu voulez en querre,
C’est en Bethléem la cité :
Et en figure de vérité
Sitost que au lieu arriverez
Ce petit Enfant trouverez
Couché dedens la Creche aulx beufz.

URIEL.

Chantons ung chant mélodieux.

« Icy chantent les Anges. »

Gloria in excelsis Deo,
Et in Terra pax hominibus
Bonne voluntatis.

MICHEL.

Gloire soit au hault Dieu donnée
Qui à son plaisir tout ordonne.

GABRIEL.

Et aulx hommes la paix or donne[57]
Qui font de bonne voulenté. 

 « Icy retournent les Anges en Paradis, et en demeure aucuns avec Marie. »

Les Bergers obéissants à des ordres si favorables, prennent la résolution d’aller à Bethléem. » 

« Icy vont les Pasteurs en Bethléem. »

Marie et Joseph après avoir chanté les louanges de Jésus, font réflexion sur leur misère, qui les empêche de le traiter plus honorablement.

MARIE.

Ô mon cher Filz, trop se humilie
 

Ta haultesse pour ceste foys ;
Trop simplement loger te voys.
Roi divin, pure Majesté,
Quant il fault que par povreté,
En la crèche des beufz te couche ;
Ton indigence au cueur me touche
Et si ne la puis amander.

JOSEPH.

J’ay pitié de toy regarder,
Et me fait mal que te ne puis
Mieulx faire, mon Enfant, je suis
Très indigne pour te servir,
Ta grâce puisse déservir :
Excuse ma simplicité,
Je te laisse en nécissité,
Je t’ay fait, fais, et te feray
Tout du mieulx que faire pourray,
Mais ma puissance est imparfaicte.

MARIE.

La voulenté de Dieu soit faicte,
Nous ne la povons trespasser[58].

 

 

XXXIX. Des trois Rois, et de l’Étoile qui les conduisait

 

Jaspar premier Roi, ne sachant ce que peut signifier l’Étoile qu’il voit briller à ses yeux, tâche d’en découvrir la cause.

JASPAR premier Roi.

Elle est vraye Estoille et parfaicte,
Clere comme seroit Vénus.

Oui, ajoute-t-il, je ne me trompe point, c’est l’Étoile, dont le Prophète Balaan a parlé, et qui doit présager l’Enfantement d’une Vierge, et la naissance du Roi des Juifs. Vous avez raison, lui dit Antiochus l’un de ses Chevaliers : Je suis aussi de votre avis, ajoute Celsander autre Chevalier de la suite.

CELSANDER.

L’Estoille qui cler resplendit
À ceste heure pas ne enlumine,
Si ce n’est par grâce divine,
Et croy, qu’elle nous monstre aussi
Quelque effect en ce monde cy
Qui soit de divine ordonnance,
Or il n’est pas noble aliance
Que celuy Roi en terre naisse,
En qui gist la plus grant haultesse
Que jamais nul Roi puisse avoir.

JASPAR.

Chevalier, vous avez dit voir[59],
Vous faictes très bon Silogisme, etc.

Allons, continue-t-il, apprêtés tout ce qu’il faut pour mon voyage, car je veux trouver ce Roi, en suivant cette Étoile. Tout est prêt Sire, répondent les deux Chevaliers ; marchons donc, dit le Roi, et suivez-moi. 

« Icy se mettent en voye Jaspar et ses Chevaliers. »

La même Étoile fait naître une semblable pensée dans l’esprit du second Roi, nommé Melcyor. Cadoras l’un de ses Chevaliers, et homme prudent, lui conseille de ne pas s’abandonner à ses premières idées.

CADORAS.

Sire, c’est à prénostiquer hault
En ce cas, gardez que vous dictes
Se ne sont pas choses petites.
De prénostiquer telz exploictz
Bon fait doubter aucune fois
Pour avoir plus grant certitude
Et vault mieulx bonne doubte et rude
Que savoir trop présumptueux.

Non, non, je suis certain de ce que je dis, répond Melcyor, et vous, ajoute-t-il en s’adressant à Cadoras et Polidorus, marchez sur mes pas, et ne tardons pas en suivant ce fidèle guide, à adorer ce Roi des Nations. 

« Icy départent Melcyor et ses Chevaliers. »

Balthasar le troisième de ces Rois fondé sur la même espérance, et se confiant au même conducteur, ordonne tout pour son départ, et malgré les remontrances de Lucanus, et Pitrodès ses Chevaliers, et les dangers qu’ils lui représentent, rien ne peut l’empêcher de suivre le même chemin que les deux précédents.

 

 

XL. Des Pastoureaux

 

Aloris, Rifflart, Ysambart et Pélyon s’entretiennent chemin faisant des présents qu’ils vont offrir à Jésus. Que lui donneras-tu, dit Rifflart à Pélyon ; ta houlette, ou bien ton chapellet ? Non, dit Pélyon, j’en ai trop besoin, Tu lui feras apparemment présent de ton chien, ajoute Rifflart. Encore moins, répond Pélyon, qui garderait mes brebis ? Mais je lui ferai un joli présent, c’est mon « Flagollet » qui m’a coûté dernièrement deux deniers à la foire de Bethléem, et qui en vaut bien quatre.

J’ay advisé ung aultre don
Qui est gorgias et doulcet[60].

dit Ysambart.

RIFFLART.

Quesse ?

YSAMBART.

Mon hochet
Si très bien faict que c’est merveilles,
Qui dira, clic clic aux oreilles
Au moins quant l’Enfant plorera
Ce hochet le rapaisera
Et se taira sans faire pose.

ALORIS.

Je luy donray bien, aultre chose.
[61] ung beau Kalendrier de boys
Pour sçavoir les jours et les moys
Et congnoistre le nouveau temps,
Il n’y en a, comme j’entens
Si juste au monde qu’il est,
Chaque Sainct a son Marmouset[62]
Escript de Lettre, etc.

Cela lui servira quand il sera grand, ajoute-t-il, et lorsqu’il aura appris à lire. Voici, dit Rifflart, ce que je lui donnerai.

Une Sonnette
Qui est pendue à ma Cornette
Depuis le temps Robin fouette,
Puis une belle pirouette
Qui est dedens ma gibecière.

En causant ainsi, nos Bergers arrivent à Bethléem. Ils vont d’abord au logis où est Jésus et se jettent à genoux pour l’adorer. (

« Icy met Marie l’Enfant sur son geron. »

Après que chacun a offert son petit présent, ils prennent congé de Jésus. Voici leurs compliments.

ALORIS.

Adieu, enfant de noble gendre.

PÉLYON.

Adieu filz de nobilité.

RIFFLART.

Adieu filz, pour bonne odeur rendre.

YSAMBART.

Adieu trésor de Déïté.

ALORIS.

Chef de foy.

RIFFLART.

Chef de charité.

YSAMBART.

Chef d’honneur.

PÉLYON.

Chef de utilité.
Adieu, plus ne povons attendre.

ALORIS.

Adieu très noble humanité.

RIFFART.

Adieu, haulte divinité,
Nous te adorons au congé prendre.

« Icy le départent les Bergiers. »

En s’en retournant ils se félicitent du bonheur qu’ils viennent d’avoir : En leur chemin, ils rencontrent Garnier et Gombault deux autres Bergers de leur Hameau, à qui ils racontent leur aventure. Ces deux derniers s’empressent de se rendre à Bethléem.

GOMBAULT.

Si en ma loge le tenoye,
Dieu sait que je lui donneroye
Ung morceau de rosti tout chanlt
De bon cueur.

Ha ! si je n’étais pas si gros, et si pesant, ajoute-t-il, que j’y serais bientôt arrivé. Je te donnerai le bras, dit Garnier : mais continue-t-il, tu n’en peux déjà plus.

GOMBAULT.

Tay toy, tay toy :
Quand je voy dessous l’arglantier
La Bergiere...

GARNIER.

Ne te vante point.

GOMBAULT.

  Et pourquoy ?

GARNIER.

On te congnoist bien, Dieu mercy, etc.

Gombault lui répond qu’il a fait bien parler de lui dans le Village : Il est vrai, réplique Garnier, mais c’était au temps passé, et ce temps n’est plus : Après quelques discours sur ce sujet, ces deux Bergers se retirent sans qu’on puisse savoir s’ils vont à Bethléem, ou s’ils retournent à leur village.

 

 

XLI. Des Trois Rois

 

Joseph qui voit arriver le huitième jour de la naissance de Jésus, s’apprête à le circoncire, et sort pour inviter ses amis à cette cérémonie. Cependant les trois Rois se rencontrent en chemin, et s’apprennent mutuellement le sujet de leur voyage, et comme un même dessein les conduit, ils se joignent ensemble. Joseph va trouver Barbapanter, Arbapanter et Abias, et les prie de vouloir bien lui faire l’honneur de se trouver à la Circoncision de Jésus ceux-ci lui promettent de s’y rendre avec plaisir. 

« Icy cheminent vers Nostre Dame. »

Lorsqu’ils sont arrivés, la Vierge leur demande pardon, sur ce que sa pauvreté l’empêche de les bien traiter.

  Nous n’avons pas force finance

leur dit-elle.

Or sus, sans que plus on devise,
Qu’il soit circonsis.

dit brusquement Barbapanter. 

« Icy se absconse l’Estoille qui conduit les Rois. »

Joseph adressant la parole à Jésus, s’excuse fort de ce qu’il est indigne de faire une telle opération. Ses amis commencent à s’ennuyer, et Barbapanter, lui dit de terminer promptement.

BARBAPANTER.

Nos préparatifz sont tous fais,
Joseph, père très vénérable,
Faictes conclusion finable,
Et abrégez car il est tart.

JOSEPH.

Or le tournez ung peu à part
Et je l’expédiray gtant erre.

« Icy le circoncist. »

D’un autre côté[63] les Rois fort chagrins de ne plus revoir l’Étoile, ne sachant par quel chemin, ni à quel endroit aller, prennent le parti de s’informer des habitants de Jérusalem, du lieu où vient de naître le Roi des Juifs.

BARBAPANTER.

L’on ne pourrait mieulx apprester
De circonsir plas gentement
Que l’Enfant est.

ABIAS.

Bénignement
En soit loué Dieu nostre Père.

Quel nom lui faut il donner ? dit Arbapanter à Marie : celui de Jésus répond-elle : Soit, répliquent-ils, et que Dieu veuille qu’il soit notre Sauveur, comme ce nom le porte.

Lorsque les Rois sont arrivés à Jérusalem, ils s’adressent à Zorobabel, Naasson et Manassès, pour leur demander ce qu’ils veulent savoir.

« Icy s’en vont les troys personnaiges en leurs sièges. »

Ces Juifs pour faire leur cour à Hérode, se déterminent à lui amener ces Princes.

« Icy s’en vont devers Hérode. « Nota. Que ces trois Juifz vont parler à Hérode, et demeurent les Roys arrière. »

MANASSÈS.

Trois Roys demandent à vous parler
Ils sont des Royaulmes divers,
De Saba, Arabe, et de Tarse.

Qu’on les fasse entrer, dit Hérode ; ils entrent, et Hérode qui paraît suivi de toute sa cour, leur fait présenter des sièges. 

« Icy se syent près de Hérode. »

Ces Rois après quelques civilités assez mal digérées, font à Hérode la même demande qu’ils viennent de faire aux trois Juifs. Hérode en est fort surpris, et ne sait à quoi tend ce discours.

HÉRODE.

Contes, Chevaliers, et Seigneurs,
Escoutez-cy, quel dyablerie ?

Quoi donc ajoute-t-il, n’est ce pas moi qui suis le Roi des Juifs, sous la protection du puissant Empereur de Rome ?

JASPAR.

Nous ne voulons pas aller contre
Mais du fait tant cuider savons
Que celuy Roi que nous quérons
Est plus grant que vous, est plus fort.

Cette réponse rend Hérode tout-à-fait interdit ; il s’imagine que ces Princes ont perdu la raison.

HÉRODE.

Seigneurs, escoutez, quel erreur ?
Quel perte ! quel couroux ! quel raige !
C’est le plus dangereux langaige,
Le plus fier, le plus despaisant,
Que oncques ouys, et plus cuisant.
Que dictes-vous de leur blazon ?

ajoute-t-il en l’adressant aux Seigneurs de la Cour. Seigneur, répond Zorobabel, en voulant l’apaiser,

Il ne faut pas tel dueil mener ;
Qui trop de courroux en soy prent,
Nature et raison l’en reprent :
Et comme Cathon nous afferme,
Yre qui excède hors terme
Empesche fort l’entendement.

Ensuite il lui explique comme tout se peut concilier, attendu que ce Roi que les Mages demandent, est apparemment le Christus, qui selon le Prophète « Michéas » doit naître à Bethléem. Hérode se rend à ces raisons, et après quelques politesses il apprend des Rois le sujet de leur voyage, ce qui fait qu’il les prie à leur retour, de revenir lui dire ce qu’ils auront vu. ?

« L’Etoille marche. »

Jaspar, Melcyor et Balthasar, voyants reparaître leur étoile, en ressentent une extrême joie, et la suivent jusqu’à ce qu’elle s’arrête sur le logis où est Jésus.

« Icy se arreste l’Estoille sur la maison. »

À un signal si manifeste, les Rois connaissant que ce pauvre logement était le Palais du Roi qu’ils cherchent, ne balancent pas à y entrer.

 

 

XLII. Des présents que les trois Rois firent à Jésus[64]

 

Jaspar, Melcyor et Balthasar, accompagnés de leurs Chevaliers offrent leurs présents à Jésus : chacun d’eux en les lui présentant lui adresse une prière, qu’il finit par ces deux vers.

Présent te fais d’or, mierre, et d’ensens,
Toy démonstrans Dieu, Roi et mortel homme.

« Icy tient l’Enfant en son geron. »

La Vierge leur fait beaucoup d’excuses, si elle ne les reçoit pas selon leur dignité.

MARIE.

Vous voyez le lieu malhonneste,
Qui ne duyt pas à faire feste.

Ces Princes la remercient, et lui disent que comme ils ne sont venus que pourvoir et adorer son divin Enfant, ils se retirent trop contents d’avoir joui de ce grand bonheur. Joseph et Marie leur souhaitent mille bénédictions à leur départ. 

« Icy se départent les troys Roys. »

Comme il est tard, ils cherchent un logement pour passer la nuit, Joas, le Maître de celui-ci, leur en offre un, et leur promet bon vin et bonne chère. Cela n’est pas à mépriser disent les Chevaliers, entrons ici, Seigneurs, sans aller plus loin ; ils entrent dans un bel Appartement, et après avoir fait bonne chère, ils vont se coucher, et le lendemain ils payent Joas si libéralement, que celui-ci les assure qu’il est content.

La même nuit que les Rois passent à Bethléem, Dieu ordonne à l’Ange Raphaël de leur défendre de sa part, de revoir chez Hérode, et de leur dire de s’en retourner par Mer. Raphaël exécute les ordres de Dieu, et les Rois obéissent à ce commandement.

 

 

XLIII. De Syméon

 

Syméon est dans une tristesse ex le Christ que Dieu a promis : Pendant ce temps-là, Joseph fait souvenir Marie qu’il est temps d’aller présenter Jésus au Temple. Marie lui répond que cela est juste, mais qu’il faut avoir une offrande toute prête, deux tourterelles, ou bien deux pigeons. Barbapanter et Arbapanter lui disent, qu’ils n’ont que faire de s’en embarrasser, et qu’ils se chargent de ce soin.

Cependant Hérode ne voyant point revenir les Rois, en paraît inquiet : il ne sait que penser de cette aventure.

CIRINUS.

Je doubte, Sire, qu’ils ne soyent
Deceuz de leur advision :
Et n’estoit que une illusion
De leur Estoille, et de leur compte :
Par quoy espoir ils ont eu honte
De retourner comme je tien.

HÉRODE.

A ! Cirinus, vous dictes bien, etc.

Hérode s’arrête à cette pensée, et ne songe plus au retour de ces Princes.

D’un autre côté, Marie, Joseph, Arbapanter et Barbapanter arrivent au Temple.

« Icy se mettent à genoulx. »

 

 

XLIV. Comme Syméon reçût Jésus au Temple

 

Jéchonias, Prêtre de la Loi, apercevant Marie, la fait approcher, et lui dit que l’usage établi par leurs pères, ordonnait que les premiers nés seraient consacrés à Dieu ; à moins qu’on ne les rachetât par une offrande. La Vierge s’avance et présente la sienne. Syméon voit Jésus et le prenant entre les bras, il remercie Dieu de la grâce qu’il lui fait.

SYMÉON.

Nunc dimittis servum tuum :
Ô Sire, laisse désormais
Ton servant demeurer en paix,
Car mes yeulx ont veu ton salut, etc.

Ensuite il prophétise les souffrances, et les Ennemis que cet Enfant aura un jour à essuyer, et les tourments que sa mère en doit ressentir. Joseph dit à Marie de faire attention à ce que dit ce bon Vieillard. Après cela survient Anne la Prophétise, qui déclare ce que Jésus doit être un jour : et enfin chacun s’en retourne chez soi.

« Icy s’en vont en leurs premiers lieux. »

Ces prophéties de Syméon et d’Anne, causent bientôt de grands désordres. Sathan qui a été spectateur de tout ceci, descend aux enfers pour en faire le rapport à son Maître, et c’est ce qu’on va voir dans le Mystère suivant. D’un autre côté, Zorobabel, Naasson et Manassès demandent à Syméon et à Anne un éclaircissement sur ce qu’ils viennent de dire. Syméon leur rend témoignage qu’il a eu le bonheur de tenir le Messie entre ses bras : Anne certifie la même chose.

« Syméon fine icy. »

Zorobabel et ses deux compagnons, qui au commencement avaient paru si contraires aux violences d’Hérode, et qui depuis, soit par crainte, ou autrement, sont dévoués à ses intérêts, n’ont pas plutôt entendu le discours de Syméon, qu’ils vont en instruire ce Prince. Hérode en apprenant cette nouvelle entre dans une fureur terrible ; il vomit mille injures contre les trois Mages, qui sont bien loin de ses États, et à couvert de sa rage.

Pendant ce temps-là Dieu charge l’Ange Gabriel d’ordonner à Joseph de passer en Égypte et d’y rester avec Jésus et Marie, jusqu’à ce qu’il en ordonne autrement.

« Icy s’en va Hérode et ses gens. »

Gabriel s’acquitte de la commission, et Joseph se met en devoir d’obéir aux ordres du Seigneur. 

« Icy montent Nostre-Dame sur l’Asne, et l’Enfant, et s’en vont en Égipte. »

 

 

XLV. Enfer

 

Sathan de retour apprend à Lucifer que Marie a mis au monde un Fils, qui doit un jour racheter les Fidèles. Ce fier Monarque des Enfers en frémit de douleur. Pour l’apaiser un peu, il s’en décharge d’une partie sur le Messager qui vient de lui apporter une nouvelle si contraire à les intérêts, et ordonne à ses démons de le mener au supplice[65].

LUCIFER.

Que Belzebuth vient si le lye
Devant moy de chaisnes de fer,
Enflambées de feu d’Enfer,
Plus ardens que feu de tempeste,
Et le battez par tel molleste,
Qu’il soit brulé de part en part.

SATHAN.

Ha ! mercy, Maistre.

BELZÉBUTH.

  C’est trop tard.

LUCIFER.

Chauffe-t-il ?

CERBERUS.

Mais demandez s’il ard
Comme brandons[66] au vent esmus.

BÉRITH.

Voyez le galant bien camus ;
Je croy qu’il en a bien la part.

SATHAN.

Ha ! mercy, Maistre.

LUCIFER.

C’est trop tard,
Vous aurez un punivimus :
Rifflez dessus grans et menus
Le... est abandonné.

BELZÉBUTH.

Les diables sont bien ramenez
Pour nous rapporter tel langaige.

LUCIFER.

Comment va Sathan ?

SATHAN.

J’enrage :
Hélas, Maistre, miséricorde.

ASTAROTH.

A dueil ! passion ! a raige !
Comment on le tire et detordre !

LUCIFER.

Traynez le d’une grosse corde,
Tout par tout l’infernal menaige,
Affin que plus ne se y amorde[67].

CERBERUS.

J’ay si grant paour qu’il ne me morde
Que je y prens bien ennuys voyage.

SATHAN.

Je meurs, je forcene en couraige,
Et n’est âme qui se racorde.

LUCIFER.

Sathan comment te va ?

SATHAN.

J’enrage :
Hélas ! Maistre, miséricorde.

LUCIFER.

Sa substance vilaine et orde
Tourne ton horrible figure,
Et me parcompte l’adventure,
Que tu avoys encommencé.

SATHAN.

Ha Maistre, tant suis laissé,
De mutiner, et torchonner,
Qu’à peu se je puis mot sonner ;
Le Diable y ait part au voyage,
Je n’en puis plus.

LUCIFER.

  Si soyez plus saige, etc.

Hérode sait-il cela ? ajoute-t-il.

Ouy, Monseigneur ; 
Mais il est devers l’Empereur, etc.

répond Sathan, que ce tourment a rendu plus souple. J’ai commencé à le tenter. Hé bien, dit. Lucifer, va donc achever ton ouvrage, et conseille lui de massacrer les Innocents. Non, réplique Sathan, je ne me charge point de cette commission, qu’Astaroth la prenne.

LUCIFER.

Tu yras, ne caquettes plus ;
Tu te abuses de rebeller.

Je vous demande donc une grâce, dit Sathan : Ordonnez à Bérith de m’y accompagner. J’y consens, répond Lucifer. 

« Icy s’en vont vers Hérode. »

 

 

XLVI. De la fuite de Jésus en Égypte, et du trébuchement des Idoles

 

Joseph conduisant l’Âne, sur les quel est Marie, tenant l’Enfant Jésus, arrive en Égypte.

« Icy s’en vont loger, et emprès doit estre ung Temple où il y a plusieurs. Ydoles, qui trébuchent en leur venue. »

Théodas, Prêtre Payen, accompagné d’un autre Païen nommé Torquatus, vient à ce Temple pour y offrir des Sacrifices à ses Dieux : Il est fort surpris en y entrant de les trouver tous renversés par terre.

THÉODAS.

J’ay bien regarde sus et jus[68],
Mais je n’ay ymage trouvé
Qui ne gisse sur le pavé ;
Je ne scay qui ainsy les met
Voycy le grant Dieu Mahommet[69]
Qui a la teste despecée,
Voycy Venus toute cassée.
Voycy Apollo et Jupin.

TORQUATUS.

Voycy Saturne et Adoyni,
Pana, Cloto et Lachesis,
Démogorgon avec Ysis
Mis par terre avec Ycarus.

THÉODAS.

Voycy Flora et Zéphirus,
Juno, Celion et Minerve,
Et bresvement toute la Catherve[70]
Des Dieux qui sont tous ruez bas.

Ils ne savent à quoi attribuer cette merveille, et se retirent sans en pouvoir pénétrer la cause. Comme dans la suite il n’est plus question de ces autres, on ne peut savoir les suites de leurs conjectures.

 

 

XLVII. Du retour de Hérode

 

« Icy se met Hérode et ses gens en chemin, puis dit »

Tantost en Judée ferons, etc.

NARINART, Tyrant.

J’ay grant sain que nous y soyons,
Pour menger ces bons gras morceaux :
Nous ne mengeons que pain et aulx
À passer ces haultes montaignes.

ADRASCUS.

Celà n’est pas peler chasteignes,
Tu feignes du bec, Narinart :
Quel gueulx à porter l’Estendart,
Soubz une vielle cappeline !

NARINART.

Mais que ce soit à la cuisine,
Vous m’y verrez bon champion.

Hérode toujours rempli de fureur contre Jésus, et excité par Sathan et Bérith, ordonne à ses Tyrans de tuer tous les Enfants qu’ils rencontreront au dessous de deux ans, sans épargner qui que ce soit, sous peine d’être pendu. 

« Icy demeure Adrascus avec le Roi, et tous les autres gens s’en vont. »

 

 

XLVIII. De la Persécution des Innocents

 

Arfrappart, Agrippart, Narinart, et bourreaux d’Hérode, courent exécuter ses ordres barbares

ARFRAPPART.

Voicy Agrippart qui resongne,
Et dit qu’il ne lui chault des Pères,
Mais il redoubte bien les Mères,
Qui souvent sont de grant couraige.

Raisonnants ainsi, et regardants comme un divertissement cette sanglante expédition, ils rencontrent en chemin une femme appelée Raab, qui porte un enfant entre les bras. Rechine le lui demande. Qu’en voulez vous faire ? lui dit-elle.

AGRIPPART.

Ne vous chaill, vous le verrez,
Il ne le fait que pour esbattre.

RAAB.

À ce ne vueil point desbattre,
Tenez le voylà bel et tendre,
Vuillez le tant doulcement prendre ;
Tost luy feriez le cueur faillir.

« Icy le tue. »

NARINART.

Or tenez, portez le bouillir,
Rostir, ou faire des pastez.

Raab les accable d’injures, dont ils ne font pas grand compte. Ensuite chemin faisant voyant passer une femme nommée Rachel, Agrippart dit à Arfrappart, tien voilà encore une femme qui porte un enfant.

  Taste ung tantet combien il poise.

Rachel qui ignore leur mauvaise intention leur donne son enfant. 

« Icy le tue. » 

ARFRAPPART à Rachel.

Or luy demandez s’il le sent,
Tenez, portez à la cuisine ;
Je luy ay donné Médecine,
Dont jamais ne sera malade.

RACHEL.

Ha faulx chiens, et félons tyrans ;
Ha tueurs durs, murdriers, desloyaulx,
Gens infâmes, tuans boureaulx,
...
Puissiez-vous mourir.

Ces Bourreaux, sans écouter toutes les malédictions que cette pauvre femme leur donne, continuent d’exécuter leur commission, arrivent Adromata troisième femme, et la quatrième appelée Herbeline qui tâchent de soustraire leurs enfants à la fureur de ces tigres. Mais ces cruels entendant le cri des enfants, les cherchent, et les ayant trouvés, malgré la précaution de leurs mères, les tuent sans s’embarrasser du désespoir de ces deux femmes.

Pendant ce temps-là, Médusa nourrice du Fils d’Hérode, ignorant les ordres inhumains de ce Roi, ou croyant qu’ils ne pouvaient la regarder en rien, appelle sa « Chambériere » Sabine.

SABINE.

Que vous plaist-il, ma Maistresse ?
Je me esbatoye ung petiot.

MÉDUSA.

Aprestes moy le Chariot
Pour apprendre à aller Monsieur.

Elle ordonne ensuite à Sabine de promener le petit Prince. Sabine lui obéit. Sur ces entrefaites arrivent les Bourreaux, qui se vantent de leurs prouesses ; depuis un mois, dit Arfrappart, il faut que j’aie tué plus de deux mille enfants. Pour moi, répond Narinart, j’ai cassé la cervelle à plus de trois milliers. Eh ne vous vantez pas tant dit l’un des autres, voilà un Enfant qui passe devant vos yeux, et vous le laissez vivre ? Il est vrai répond un autre. Aussitôt ils courent après le nourrisson de Médusa, et l’assomment.

MÉDUSA.

Ha faulx murdriers qu’avez vous fait ?
Occis avez villainement
Le Filz d’Hérode proprement.
Quel horreur vous est advenu !

Médusa court promptement dire à Hérode ce qui vient d’arriver : Ce Prince en paraît un peu fâché. Pour le consoler arrivent ses Satellites, qui glorieux de leur belle expédition, en viennent demander la récompense.

ARFRAPPART.

Je ne scay Ville ne Cité
Par tout Bethléen contenue
Qui n’ait plouré nostre venue, etc.

Hérode leur dit, que, quoi qu’ils aient enveloppé son propre Fils dans le massacre, néanmoins il leur pardonne, pourvu qu’ils n’aient point laissé échapper « Christus. » Cela n’est pas possible, dit Adrascus, puisqu’ils ont tué tous les mâles.

 

 

XLIX. De la mort d’Hérode Ascalonite

 

Hérode n’a pas plutôt satisfait sa vengeance, qu’il se sent tourmenté par des douleurs insupportables. Qu’est-ce que vous avez lui dit on, quels sont les symptômes de votre mal. Hérode répond qu’il sent des maux affreux par tout le corps, et que ce mal a commencé au massacre du premier enfant, et qu’à la mort du dernier il a monté à son comble, Arfrappart lui conseille de se coucher pour reposer. Sathan et Astaroth accourent promptement se tenir aux à guets ; de crainte de manquer cette proie.

ASTAROTH.

Sathan, garde bien qu’il n’eschappe
Ce faulx oppresseur d’innocens.

Salomée sœur d’Hérode veut s’approcher pour le consoler ; mais on l’en empêche.

ADRASCUS.

Ne aprochez point si près de luy,
Dame pour le mal sentent ;
Il put le plus horriblement
Qu’il n’est huy rien plus corrumptif.

HERMOGÈNES.

Les vers le menguent tout vif,
Et luy saillent par les conduitz.

Hérode demande qu’on lui donne une pomme, et un couteau pour la peler. Salomée la lui donne. Alors ce Roi sent redoubler ses maux.

HÉRODE.

Haro mes piedz, haro ma teste,
Despite effrenée rage,
Je n’en puis plus si je n’enrage,
Veez-cy ma detresse où je rentre.

SATHAN.

Merchant homme, fiers en ton ventre
Le cousteau, sans tant endurer[71].

HÉRODE.

Diables, je ne puis plus durer,
Il fault qu’à vous tous obéisse :
Ha mort, haste toy faulce lisse,
Veez-la[72] fait pour toy advancer,
De cueur, de corps, et de penser,
À tous les dyables me coinmandz.

« Icy se tue Hérode. »

SATHAN.

Sus, troussons nous deux saquemens[73],
Ce faulx murdrier desespéré.

ASTAROTH.

Son logis est jà tout paré,
Portons le en enfer droicte voye.

Ces deux démons amènent l’âme d’Hérode à Lucifer, qui ordonne qu’on la jette dans du plomb fondu, pour le récompenser de ses belles actions.

« Icy font les Dyables tempeste. »

 

 

L. Du retour de Jésus de l’Égypte

 

Dieu qui voit que le persécuteur de son fils est mort, envoie Gabriel à Joseph, lui dire qu’il peut revenir en Judée.

« Pause. »

Gabriel porte cet ordre à Joseph, qui obéit aussitôt. 

« Icy ramaine Joseph, Nostre-Dame et l’Enfant sur son Alne, comme devant. »

Pendant ce temps-là Salomée et les domestiques d’Hérode, lui font faire de magnifiques funérailles.

 

 

LI. Comme Jésus est mené au Temple de Jérusalem

 

« Icy commence la grant Nostre Dame[74]. » 

Notre-Dame et Joseph voulant aller au Temple par dévotion, y conduisent Jésus, qui est âgé de douze ans.

« Jésus commence icy. »

En chemin ils rencontrent les deux sœurs de la Vierge, Marie Salomé et Marie Jacobi, avec Zébédéus, Aqueline, Esdras et Eliachin, que le même dessein conduit. Eliachin représente que selon la Loi, les hommes doivent passer par un chemin, et les femmes par un autre : Ce qui fait que la Vierge prend Jésus avec elle, et s’en va avec les autres femmes : Et Joseph et les hommes vont par l’autre. En se quittant Joseph dit adieu à Notre-Dame et à Jésus.

JOSEPH.

Ennuy vous laisse, n’en doubtez ;
Mais avant que vous départez,
Je vous donray de mes chosettes,
De mes pommes et de mes noysettes :
Tenez velà pour yous déduire.

JÉSUS.

Mon cher Père, je le vous mire,
Il souffit bien, j’en ay aflez.

Zorobabel Docteur, qui commence ici avec cinq autres Docteurs appelés Gamaliel, Roboam, Manassès, Nathan, et Nathor, vont au Temple.

« Icy s’en vont au temple seoir en haultes chaires. »

Marie et sa compagnie de femmes arrivent au Temple.

« Icy s’en vont faire leurs offrandes. »

Quelque temps après Joseph vient avec la sienne.

« Icy s’en vont les hommes d’autre costé faire leurs oblations. »

 

 

LII. De la Disputation des Docteurs de la Nativité de Jésus

 

Ce Mystère serait plus justement intitulé, De la Disputacion des Docteurs de la Nativité du Messie. Car Zorobabel propose à ses Confrères une dispute touchant la Naissance du Messie. Que l’un de nous, dit-il, soutienne que le Christ est né ; et qu’un autre combatte cette proposition. Cet avis plaît aux Docteurs, et ils l’embrassent avec joie. 

« Icy se part le petit Jésus secrètement d’avec Nostre-Dame, et s’en va vers les Docteurs. »

Zébédéus, Esdras, Eliachin et Josseph après avoir fait leurs offrandes se retirent.

« Icy s’en vont les hommes ensemble. »

Notre-Dame, Marie Salomé, Marie Jacobi et Aqueline en font de même, et après avoir cherché inutilement le petit Jésus, elles sortent. 

« Icy s’en retournent les femmes en leurs loges. »

Cependant les Docteurs s’apprêtent à disputer : Zorobabel entasse une multitude de faits pour prouver que Christus est né, Gamaliel combat son opinion avec chaleur : Zorobabel répond à son adversaire, et soutient que le Christ est sur la terre.

Vous soutenez, lui dit-il, que le Christ n’est pas né, attendu, ajoutez-vous, que la naissance n’a fait aucun bruit, et qu’il n’a paru avec aucun éclat : Or je vais vous prouver que cela n’est pas conséquent, ni nécessaire : Et je

ZOROBABEL.

Fonde deux argumens bien fors :
Le premier, li bien m’en recors[75],
Est qu’un Roi tant plus grant maistre
Et tant doit plus noblement naistre ?
Je vous nye ceste majeur,
Et vueil dire, sauf vostre honneur,
Qu’il n’est point de nécessité. 
Que cecy soit pour vérité,
Prenons Romulus et Rémus,
Qui à tel loz furent promeuz
Que d’estre premiers fondateurs.
De Romme, et haulx Impérateurs,
Et qui tant de proësses firent,
Toutesfois simplement naquirent
D’une fille, qui les conceut :
Oncques leur père sceu ne fust,
Mais pour iceulx mieulx renommer
Filz de Mars se firent nommer.
Plusieurs en prendroye à garant,
Comme d’Alexandre le grant,
Qui tint tout le monde en possesse[76],
Et toutesfois quant à noblesse,
Il fut d’ung bien petit Roi né ;
Encore l’ont aucuns répugné,
Et a dit maint récitateur,
Qu’il estoit filz d’ung enchanteur.
Et dont pas nécessité nesse
Que Christus si haultement naisse ? etc.

Jésus arrive, et sans se nommer il les fait ressouvenir de ce qui est arrivé il y a douze ans, et leur ayant demandé quels sont les signes par lesquels on peut reconnaître le Christ, il les oblige à convenir que ce Christ est déjà né. Nathan qui est endormi, ou qui songe à autre chose, s’écrie

Et faictez taire ce garçon ;
Son parler ne nous sert de rien.

Non, non, dit Zorobabel, il parle très juste ; comment, répond Nathan, et de quoi s’agit-il donc ? je n’y avais pas fait attention. Zorobabel lui apprend, que ce jeune enfant veut leur prouver que puisque le Christ ne doit point avoir de père, il n’a que faire de naître sur le Trône. Le bon vieillard Gamaliel est si charmé de l’éloquence de Jésus, qu’il en témoigne une grande satisfaction.

GAMALIEL.

Et deà, velà trop gentil filz ;
Comment porte il sèche[77] parolle !
S’il est maintenant à l’Escolle
Il sera homme de hault fait.

Que veut dire « Christus ? » dit Roboam à Zorobabel.

ZOROBADEL.

Christus vault à dire comme unctus

 « Christus » signifie donc Oint ? réplique Roboam, cela étant il faut qu’il soit Roi ; et c’est une conséquence nécessaire : Ici la dispute recommence avec plus de chaleur, et chacun s’empresse d’assaisonner ses discours de longs passages latins. Jésus les ramené encore à son sentiment en leur parlant de l’Étoile qui conduisait les trois Rois qui sont venus adorer ce Messie ; il leur rappelle la Paix universelle qui régnait dans ce temps-là par tout le monde, assujetti à un seul Empereur. Les Docteurs qui se voient convaincus par tout ont recours à une dernière objection, qui est, de demander à Jésus, si tout cela pouvait s’accorder avec le nombre des semaines prédites par le Prophètes Daniel. Oui, répond Jésus, et il est aisé de le supputer. Les Docteurs acceptent le parti, et le mettent en devoir de l’accomplir.

« Icy font semblant d’estudier, et les autres de nombrer. »

 

 

LIII. Comme Joseph et Notre-Dame cherchèrent Jésus

 

Notre-Dame prend congé des deux maries et d’Aqueline, et sentant une inquiétude mortelle sur la perte de son fils, elle court pour le trouver. En chemin elle rencontre Joseph, et lui demande s’il ne sait point ce qu’il est devenu. Je ne l’ai point vu, lui répond-il depuis, que je vous ai quitté. Esdras, et Zébédéus en arrivant prennent part à la douleur de la Vierge, et vont avec elle chercher le petit Jésus. Joseph a eu grand tort, dit Esdras, il ne devait pas le quitter. Ce n’est pas sa faute, répond Aqueline.

AQUELINE.

Ha le poure homme n’en peut mais,
Il en pence comme de soy mesmes ;
Il a cuidé qu’entre nous femmes
L’eussions par deçà amené.

Cependant on cherche Jésus de tous côtés ; les deux Maries y emploient tout leur soin : On s’en informe, mais en vain, à Adormata et à Herbeline deux des voisines de Marie. Joseph le demande à Priséus et à sa femme Raphaël, et croyant qu’ils pourront le reconnaître, il lui en fait le portrait

JOSEPH.

Il a douze ans, ou environ,
Nonobstant qu’il est grandellet,
Ung beau filz assez vermeillet,
Les yeulx vers, la chaire blanche et tendre,
Les cheveulx blonds à tout comprendre ;
Il a la bouche vermeille,
Il est bel Enfant à merveille,
Brefvement le fault ainsy dire.

Notre-Dame accablée de tristesse fait une longue complainte, et Joseph la console de son mieux. D’un autre côté les Docteurs que nous avons laissés occupés à calculer, après bien des peines et des soins ont la honte de se voir confondus par les discours du petit Jésus, qui leur objecte de si fortes raisons, qu’ils ne peuvent répondre, et restent dans l’admiration. Cependant la Vierge apercevant Jésus, en avertit Joseph, et court embrasser ce cher Enfant. 

« Icy vient Nostre-Dame à l’Enfant et le baise, et dit. »

MARIE.

Ô mon doulx Enfant gracieulx,
Filz de toute doulceur parfait,
Mon cher filz, que nous a tu fait ?
Qu’as-tu fait à ta poure mère ?
Dieu scet combien je, et ton père
T’avons quis doulens et yrez.

ZOROBABEL.

Chère Dame, je vous supplie,
Est-il vostre Enfant, ce beau Filz ?

MARIE.

Ouy, Monsieur, c’est mon Filz.

MANASSÈS.

Belle Dame, gardez qu’il n’entre
En oyseuse et jeunesse folle,
Mais l’entretenez à l’Escolle,
Plus songneusement que pourrez :
Et au temps futur vous verrez
Qu’il tiendra ung noble chemin.

Après que les Docteurs ont félicité Marie d’avoir un Enfant si charmant, et donné mille louanges à Jésus, Joseph lui dit s’il veut revenir. Je le veux bien dit Jésus.

MARIE.

C’est parlé de très bonne affaire,
Mon cher-Filz.

JOSEPH.

Et pour ce tenez
Du bon pain, et vous en venez
Avec nous tout résjouissant. 

« Ensuite ils se retirent tous. »

L’Auteur qui n’a pas pu apparemment placer un Prologue à la tête de cette journée, ne voulant rien perdre, en met un à la fin, qu’il intitule « Prologue finable ». Comme il est très court, nous le donnerons tout entier, avec d’autant plus de plaisir qu’il sert de sommaire et d’instruction sur ce que l’on vient de voir ; le voici.

PROLOGUE FINABLE[78].

Seigneurs, en la déduction
De nostre petit abrégé,
Il vous a esté prorogué,
À nostre possibilité,
La divine Nativité
De Jesucrist nostre Salveur ;
La charité et grant faveur,
Qui a eu à l’humain lignage,
Quant pour l’oster hors de servage,
A voulu en vie mondaine,
Soy couvrir de nature humaine,
Estre subget aux Passions.
Peines, et tribulations,
Pouretez, et necessitez,
À quoy nous sommes incitez ;
Puis avons fait ostencion,
Monstrant sa Circuncision,
Laquelle humblement veult souffrir ;
Puis l’avez veu au Temple offrir,
Sainct Syméon le recepvoir,
Qui moult le désiroit à veoir :
Puis avez veu l’orrible Loy,
De Hérode le très cruel Roi,
Qui fist tuer les Innocens,
Dont il mourut hors de son sens :
L’Enfant Jésus veistes porter :
En Egipte, pour éviter
La fureur que autres encoururent :
Où toutes les Ydoles cheurent,
Quant à la Terre fut entré.
Item, depuis ayons monstré,
Comment aux Docteurs disputa,
En quoy sagement se porta,
Les interrogant sans séjour ;
Et à tant fin du Premier Jour[79]
Demain retournez, s’il vous plaist,
Ne scaurez estre sitost prest,
Que nous ne viengnons acourant,
Pour poursuir au demourant.

 « Fin du premier jour de la Passion de Nostre-Seigneur Jesu Christ. »

 

 

Première Journée du Mystère de la Passion

 

PERSONNAGES

 

DIEU LE PÈRE

JÉSUS-CHRIST

LE SAINT-ESPRIT, sous la forme d’un Colomb blanc

LA SAINTE VIERGE MARIE

SAINT MICHEL }
GABRIEL           }      
RAPHAËL          } Anges
URIEL                }                   
CHÉRUBIN        }     
SÉRAPHIN        }      

SAINT JEHAN-BAPTISTE.

S. PIERRE } Frères      }                  }        
S. ANDRÉ  }                  } Pêcheurs }
S. JACQUES dit Major  }                 }
S. JEHAN l’Evangéliste }                 }
S. PHILIPPE                                    }            
S. BARTHÉLÉMY, Prince                }  Apôtres
S. THOMAS, Charpentier                }          
S. SYMON }  Frères, Ouvriers        }        
S. JUDE     }                                    }   
S. MATHIEU, Publicain                   }        
S. JACQUES, dic Minor                  }          
JUDAS                                            }             

ZEBEDÉE, Père de S. Jacques et de S. Jean.

LAZARE

MARTHE, sœur de Lazare

BRUNAMONT, Page de Lazare

L’ÉPOUSÉE des noces de Cana

ARCHITRICLIN, Maître d’Hôtel des Noces de Cana

ABIAS           }            
SOPHONI     } Disciples de Saint Jean-Baptiste.
MANASSÈS }

NICODESME, Docteur de la Loi

JAYRUS, Archisynagogue

THABITA, fille de Jayrus

CÉLIUS } Domestiques de Jayrus
MOAB    }  

RAAB, Samaritaine

GÉDÉON   } Samaritains
АВАCUTH }

JULLYE, Veuve de la Ville de Naïm

LE FILS de Jullye

NEPTALIN } Habitants de la Ville de Naïm
MALBRUN } 

CAYPHE

ANNE

JÉROBOAM    }        
MARDOCHÉE }       
NAASON,        }  Pharisiens
JOATHAN       }       
ELIACHIN       }        
BANANIAS     }       

ЈАСOB      }    
ISACHAR  } Scribes
NATHAN   } 
NACHOR  }  

HÉRODE, Tétrarque de Galilée

HÉRODYAS, femme de Philippe, frère d’Hérode et enlevée par ce dernier

FLORENCE fille d’Hérodyas

RODIGON, Comte de la Cour d’Hérode

ABIRON, Juif attaché à Hérode

ANDALUS, Maître d’Hôtel d’Hérode

GRONGNART, serviteur d’Hérode

PILATE Prévôt de Judée

BARRAQUIN, confident de Pilate

BRAYART          }      
DRILLART,        } Tyrans ou Satellites de Pilate
CLAQUEDENT }      
GRIFFON         }       

RUBEN, père de Judas

CYBORÉE, femme de Rubem, et mère de Judas

LE FILS DU ROI de Scarioth

I. BOURGEOIS de Scarioth

II. BOURGEOIS de Scarioth

RABANUS, Changeur

EMÉLIUS, Oiseleur

CELCIDON, Marchand d’Agneaux

TROUPE DE JUIFS, assistants au Sermon de S. Jean

TROUPE DE JUIFS, témoins de la Résurrection du fils de la veuve de Naïm

L’ÂME SAINT JEHAN

TROUPE D’ÂMES des fidèles des Limbes

LUCIFER, Roi des Enfers

SATHAN        ]         
BELZÉBUTH }                      
BÉRITH         } Diables
ASTAROTH   }          
CERBÉRUS  }             

 

Prologue capital au « Mystère de la Passion Jesuschrist »

 

Verbum caro factum est.
Le Verbe a été fait chair.

L’Auteur fait ici un Sermon sur ces quatre mots latins ; il commence par invoquer le Saint Esprit, puis il demande les suffrages de la Sainte Vierge.

Donc pour dire motz de value,
Chacun dévotement salue
De bon cueur la bénoiste Dame
Ave Maria gratiâ plena, Dominus tecum, etc.

Sur chacun de ces mots latins, il dispose les points de son Sermon. Sur le premier Verbum, le Verbe, il traite de la Génération éternelle du Fils de Dieu.

II. Caro, Chair.

 

« Chapitre du second point ; De la Génération du Filz de Dieu fait homme au ventre de la Vierge Marie. »

III. Factum, fait.

« Chapitre du tiers point, qui est des fais de Jésus, lui étant en ce Monde. » L’Auteur déclare qu’il ne s’étendra pas sur ce point, attendu ajoute-t-il, qu’il va être expliqué tout au long dans le Mystère de la Passion.

Le quatrième point roule sur ce mot, Est, il est, et l’on y traite de l’Essence éternelle du Fils de Dieu. Pour achever en deux mots ce que nous avons à dire sur ce Prologue, nous ajouterons que l’Auteur y fait l’Apologie de ce genre d’ouvrage, qui a été composé, à ce qu’il dit, pour inspirer de la dévotion au peuple, car voici comment il s’exprime.

Ce n’est seulement qu’un motif
Non repunant à vérité,
Qui fera escript et ditté
Pour esmouvoir les simples gens,
Les ignorans et négligens,
Ressentir de Nostre-Seigneur,
Ce dont on peut être meilleur
Par exortacion vulgaire, etc.

Après avoir parlé dans son quatrième point de la gloire et du bonheur des bienheureux, il finit son sermon par ces mots.

À laquelle vous doint venir
Après qu’auront tout faict et dit,
Le Père, le Fils et le Sainct Esprit
Amen.

« Fin du Prologue Capital. »

 

« Cy commence le Mistere de la Passion de Nostre Saulveur Jesu-Christ avec les addicions et corrections faictes par très éloquent et scientifique, Docteur Maistre Jehan Michel[80].

« Lequel Mistere fut joué à Angiers moult triumphantement, et derrenierementà Paaris l’an Mil cinq cens et sept. »

 

 

I. Sermon de Saint Jean

 

Saint Jean paraît, et fait un Sermon au Peuple dans le desert, qui roule sur ces paroles du Prophètes Isaye. Parate viam Domini, rectas facite in solitudine semitas Dei nostri. « Préparés la voie du Seigneur, applanissés dans le Désert les sentiers de notre Dieu. » Ce sermon est semé de Vers latins, que l’Auteur rend souvent en Français.

 

 

II. Conseil des Juifs

 

La prédiction se répand d’une telle façon, que les principaux Juifs s’assemblent pour savoir ce qu’ils doivent faire à ce sujet.

Le Conseil est composé de Cayphe, d’Anne, de six Pharisiens dont voici les noms, Jéroboam, Mardochée, Naason, Joathan, Eliachin et Bananias ; et de quatre Scribes, Jacob, Isachar, Nathan et Nachor. Cayphe ouvre le discours, et dit, qu’il lui paraît que le temps de l’avènement du Messie est arrivé, suivant ce que les Prophètes avaient prédit. Anne prend ensuite la parole, et se trouve du même sentiment ; mais Jéroboam premier Pharisien en soutient un contraire, attendu que les Prophètes avaient prédit que le Messie naîtrait dans un temps, qui, par la description qu’il en donne, n’a aucune ressemblance avec celui dans lequel ils vivent : car ajoute-t-il,

Premierement l’Empereur soubz main dure
Nous tient subjectz, tout le peuple murmure,
Rien n’est en paix, tout est mal gouverné,
Erreurs croissent, la Sinagogue endure,
Haynes pululent, et tout mal on procure,
Parquoy je dis que Messyas n’est pas né.

Mardochée, second Pharisien appuie ce sentiment, et décrit la venue du Messie suivant l’idée des Juifs.

Quant Messyas, quant le Crist régnera,
Nous espérons qu’il nous gouvernera
En forte main, en union tranquille,
Couronne d’Or sur son chef portera,
Gloire et richesse en la maison aura,
Justice et paix régira sa famille :
Et si le fort le poure oppresse ou pille,
Si le tyrant son franc vassal exille,
Quant Crist viendra tout sera mis en ordre :
David le Sainct, Salomon, ou Sibille,
Sanson le fort, ou le subtil Virgile,
Sur sa prudence ne trouveront que mordre.

Naason, troisième Pharisien combat les raisons des deux précédents, et ne doute point que le Messie ne soit né. Il en trouve la preuve dans l’extinction de la Race des Rois de Juda, et de leur sceptre passé en des mains étrangères. De plus, ajoute-t-il, la pro bité et la sainteté de Jean, doivent rendre sa mission croyable. Mais Joathan, quatrième Pharisien, tâche de rabaisser l’honneur de ce dernier.

N’est-ce pas Jehan (dit-il) dont vous donnes l’enseigne,
Fils de la vieille Élizabeth brahaigne,
Et du vieillart bon homme Zacharie ?
Quelque doctrine qu’il presche, ou qu’il enseigne,
Ce n’est qu’abuz qui voudra si la prengne,
Car quant à moy je n’en ay point d’envye,
 Et est à nous ce me semble folye
De tolérer que ces paroles die,
Et qu’il baptise au fleuve de Jourdain ;
Comme a il sceu la venue du Messye ?
Jamais ne vit Lettre ne prophétie,
C’est ung abuz trop grant et trop vilain.

Eliachin, cinquième Pharisien embrasse le parti de Joathan, et va encore plus loin que lui, puisqu’il opine à prendre des mesures pour faire cesser les prédications de S. Jean ; mais Bananias sixième Pharisien s’oppose cet avis ;

Eliachin, très éloquent non fic,
Ne prennons pas la chose si au ric.

Il représente que c’est vouloir s’exposer à la haine du peuple, en faisant quelque violence à une personne pour laquelle il s’intéresse. Jacob premier Scribe l’interrompt, en lui disant que peut-être S. Jean est lui-même le Messie. Ce sentiment est adopté par Isachar second Scribe. Mais le troisième appelé Nathan les fait revenir de cette erreur en leur représentant que Jean ne pouvait être le Christ, puisqu’il était de famille Sacerdotale ; et que les prophéties portaient expressément que ce dernier devait descendre de la Race des Rois. Pour terminer cette contestation, Nachor quatrième Scribe propose cet expédient,  « que pour entendre tout le faict clerement il a advisé » ce un bon moyen, qui était de le demander à Jean lui-même. Cet avis est aussitôt approuvé par Cayphe chef de cette Assemblée, qui ne manque pas leur en faire de grands remerciements : Et la conclusion est, que l’on députe Eliachin, et Bananias Pharisiens, avec deux Scribes Nachor et Nathan, pour interroger S. Jean ; ensuite ces quatre Envoyés vont à la prédication de ce dernier dans l’intention de tirer finement de lui tout ce qu’ils veulent savoir.

 

 

III. Sermon de S. Jean

 

Saint Jean vient prêcher les Juifs, et les exhorte à la pénitence, Les quatre personnes dont nous venons de parler, s’y trouvent entre autres, qui lui demandent s’il est le Christ.

Non fuis, je ne suis pas Christus ;
Mais dessoubs luy je me humilie.

répond S. Jean. Ensuite on l’interroge s’il n’est pas Élie, ou un Prophètes ; et sur ce qu’il leur proteste qu’il n’est aucun d’eux, ils le prient de dire qui il est ; mais à peine S. Jean leur a répliqué,

Ego
Vox clamantis in deserto

Je suis voix au desert criant, etc.

qu’ils se retirent, et il semble qu’ils n’ont plus rien à lui opposer : Cette prédication n’est pas cependant infructueuse ; car trois Juifs appelés Sophonias, Manassès et Abias demandent le baptême, et S. Jean le leur accorde.

 

 

IV. Dialogue de Jésus et de Notre-Dame

 

Jésus paraît avec Notre-Dame et l’Ange Gabriel. Jésus s’entretient avec eux du sujet pour lequel il est descendu sur la terre. Notre-Dame lui dit avec regret, que la volonté soit la sienne : Ensuite Jésus prend congé d’elle.

« Et icy se départ d’avec elle, et s’en va vers S. Jehan-Baptiste, et l’Ange Gabriel avec luy, et demeure N. D. comme en Oraison. »

 

 

V. Baptême de Jésus

 

Jésus s’approche de S. Jean, à qui il demande le Baptême, ce dernier s’en défend fort par humilité.

S. JEHAN.

Pas requerir ne me devés,
Car mon cher Seigneur, vous savés
Qu’il n’assiert pas à ma nature,
Je suis Créature,
Et poure facture
De simple stature,
Humble viateur :
Ce seroit laydure
Et chose trop dure
Laver en eaue pure
Mon hault Créateur.
Tu es précepteur,
Je suis serviteur ;
Tu es le Pasteur,
Ton ouaille fuis,
Tu es le Docteur,
Je suis l’Auditeur,
Tu es le Ducteur,
Moy consecureur,
Sans qui rien ne puis, etc.

Enfin Jésus le lui ayant commandé absolument, S. Jean se met en devoir de lui obéir. Pendant que Jésus se déshabille, et que l’Ange Gabrielle sert, Dieu le Père dit qu’il veut honorer « par ung signe haultain ce baptesme vertueux. » S. Michel chante un Cantique, « durant lequel Jésus entre dans le fleuve de Jourdain, et S. Jehan prend de l’eaue à la main, et en jecte sur le chef de Jésus. » puis dit

Sire, vous estes baptisé
Qui à vostre haulte noblesse,
N’appartient, ne à ma simplesse
Si digne service vous faire,
Toutes fois, mon Dieu débonnaire,
Vuiellés supplier le surplus. 

« Icy fort Jésus hors du Fleuve Jourdain, et se jecte à genoulx devant Paradis. Adonc parle Dieu le Père, et le Sainct Esperit descend en forme du Coulom blanc sur le chef de Jésus : puis retourne en Paradis. Et est à noter que la loquence de Dieu le Père se doit pronuncer entendiblement, et bien à traict en trois voix ; c’est-à-savoir, ung hault dessus, une haulte contre, et une balle contre bien accordées ; et en cette armonie se doit dire toute la clause qui suit[81].

DIEU LE PÈRE.

Hic est Filius meus dilectus,
In quo michi bene complacui.

Cestuy-cy, c’est mon Fils amé Jésus,
Qui bien me plaist, ma plaisance est en luy, etc.

« Icy se lieve Jésus de genoulx, et revest ses habillemens, et S. Jehan et Gabriel luy aydent, cependant que les Anges parlent en Paradis. » Ce dialogue des Anges roule sur les grâces que Dieu a faites aux hommes par le moyen du Sacrement de Baptême : et se passe entre Raphaël, Uriel, Chérubin et Séraphin. Après quoi « chante ung Silete en Paradis[82]

« Icy va Jésus au Désert, et l’Ange se départ d’avec luy, et retourne vers Nostre-Dame. » 

 

 

VI. Enfer

 

« Icy sont Sathan et Bérith au désert. »

Ces deux Démons s’entretiennent de quelle façon ils pourront tenter Jésus, Sathan dit à son compagnon,

SATHAN.

J’ay veu au desert entrer
Ne sçay quel homme que je crains,
Plus que tous les autres humains
Devant lequel de peur je tremble :
Nous ne pouvons durer ensemble,
Jamais je n’en vis de semblable,
Et croy qu’en Enfer n’y a Dyable
Qui en fçeut venir au dessus
...

Ainsi le voyant sans moyen de venir à bout de leur dessein, ils prennent la résolution de retourner aux Enfers prendre conseil de Lucifer leur maître. Bérith y consent en disant

BÉRITH.

Le Dyable nous veueille conduire,
Sans avoir meilleur saufconduit.

Lucifer est fort étonné de les voir de retour si promptement, et Astaroth toujours prêt à faire du mal, offre charitablement son ministère.

ASTAROTH.

Si vous voulés qu’ils soient torchés
Vecy les instrumens touts prests.

Mais Lucifer lui dit, qu’il faut les écouter auparavant. Sathan en arrivant, fait paraître son désespoir, et le cœur gonflé de rage, il dit avec peine ces quatre vers.

SATHAN.

Lucifer, je crève de rage,
Des fortunes qui nous surviennent,
Et si les Dyables ne me tiennent,
L’enragerai de désplaisance.

LUCIFER.

Sathan, tiens un peu contenance,
Et comptes tes faicts par manière.

BELZÉBUT.

Fay, fay hardiment bonne chere,
Car nous sommes plus d’un millier
De Dyables, pour bien t’estrillier,
Si n’y a rapine, ou conqueste.

Cerbérus de son côté fait rage des dents. Mais Lucifer les apaise, et dit,

  Dyables, ung petit filete, etc.

Ensuite il interroge Sathan, qui lui avoue qu’il n’a pi tenter Jésus

SATHAN.

Je l’ay de long-temps hutiné
...
Il est si dévot en prière
Que ung jour ne doubte qu’il soit Ange
...
Il semble à son parler Prophète
En son contempler Séraphin
Et en charité Cherubin, etc.

Lucifer entre dans une fureur terrible, et lui dit avec colère,

Comment ny as tu sceu trouver
Quelque male subtilité ?

BELZÉBUT.

Voulés-vous qu’il soit descroté
Par manière de passe temps ?

ASTAROTH.

Deux ou troys infernaux tormens
Ni seront pas trop mal assis.

LUCIFER.

Va hardiment jusques à six
Ou cent, ou deux cens tout content.

BELZÉBUT.

Et son compaignon ?

LUCIFER.

Tout autant.
Estuffes les en ce brasier
Ung tantet, pour mieulx les aysier.
Brules-ces Dyables pleins d’envye.

BÉRITH.

Ha Sathan, vecy dure vie,
Puisqu’il convient estre houssés.

« Icy les bastent en Enfer, et on les étouffe dans un brasier[83]. »

SATHAN.

Haro Lucifer !

LUCIFER.

C’est assés,
Je leur pardonne la fortune.

ASTAROTH.

Passés, Ribaudailles ; passés.

SATHAN.

Haro Lucifer !

LUCIFER.

C’est assés,
Dyables mauldits, cessés, cessés.

CERBÉRUS.

Encor auront-ils cette prune.

SATHAN.

Haro Lucifer !

LUCIFER.

C’est assės,
Je leur pardonne la fortune.

ASTAROTH.

Je pense qu’ils en ont pour une,
Ils sont sonnés à grosse cloche.

LUCIFER.

Comment te va Sathan ?

SATHAN.

Je cloche,
Descendre ne puis, ne monter ;
Pourquoy me fais-tu tormenter ?
Mauldit esperit abhominable.
Je fais mon devoir de tempter :
Pourquoy me fais-tu tormenter ?
Où est cil qui se peut vanter
Des Dyables, tant soit exécrable,
Qui devant toy, et en ta table
Face plus d’âmes présenter.
Pourquoy me fais-tu tormenter,
Mauldit esperit abhominable ?

Tu sais, ajoute-t-il, en s’adressant à Lucifer, que je ne puis rien sur lui ; et que si nous n’y pourvoyons il détruira notre Enfer : C’est pourquoi il faut songer à envoyer quelqu’un pour le tenter ;

Car quant à moy, je ne scauroye
Présent y aller : car je suis
Si tormenté que je ne puis
Aller ou venir plus avant ;
Plus n’en ferai le poursuivant,
Les gaiges y font mal courtoys.

BELZÉBUTH.

Si feras encore une foys,
Si le grant Dyable le commande.

LUCIFER.

Sathan répond à ma demande ;
Où tient ce Jésus son menaige ?

SATHAN.

Lucifer, hé quel dyable scay-je ?
Il est en ung désert loge,
Où il n’a ne beu, ne mangé
Depuis l’eure qu’il y entra.

LUCIFER.

Il fault le tempter qui pourra,
Par troys ou quatre façons,
Affin au moins, que nous faichons,
S’il est Dieu, homme, ou autre chose.

SATHAN.

Tost y courtusse, mais je n’ose,
De peur que l’on ne me torchonne.

LUCIFER.

Si tu faulx je te le pardonne,
Pourveu que tu t’y emploiras.

SATHAN.

Cà donc, le congé ? 

LUCIFER.

Tu l’auras.
Or va, que pour toy confermer
Tous ceulx de l’Air et de la Mer,
Te ramiennent à sauve garde,
Plustost que pierre de bombarde.

 

 

VII. De Pilate

 

Pilate richement habillé arrive accompagné de Barraquin et de quatre Gardes, qui sont Brayart, Drillart, Griffon et Claquedent. Pour ne point faire languir le Spectateur, il rend compte, en entrant, du sujet qui l’amène en Judée et en quelle qualité

PILATE.

Los et honneur, obéissance et gloire,
Seigneurieuse triumphante victoire,
Soit à tousiours à l’Empereur Romain,
Qui m’a commis en tout ce territoire
Prevost et Juge de tout crime notoyre,
Son Lieutenant Criminel souverain.

Il rappelle ensuite l’état présent de la Judée, des Princes qui y commandent, et du caractère des peuples, qu’il se prépare fort à tenir « soubz la verge ferrée », ne voulant pas, ajoute-t-il, imiter la mollesse et l’avarice sordide de Valère.

Qui en l’Office fut mon prédécesseur,
Fit l’Evesché de Judée mettre à pris,
Au plus offrant dernier enchérisseur,
Qui plus en donne, il jouit de l’onneur.

Enfin, poursuit-il, pour m’acquitter du devoir de ma charge, et en même temps faire respecter l’Empereur Tibère, je veux faire publier deux Ordonnances :

Et pour ce, je me délibère,
Pour magnifier cette pompe,
Faire crier à son de trompe
Qu’on apporte de l’argent ; car
Grans tributz sont deubz à César.

Voilà le premier article et le plus essentiel. Le second est qu’un chacun soit tenu de venir saluer « l’ymage » de l’Empereur. Barraquin qui paraît là comme son Capitaine des Gardes et son Confident, lui conseille de persévérer dans ces nobles sentiments, et de se montrer « homme ». Pilate le charge du soin de faire crier cette Ordonnance ; et Barraquin appelle ses quatre Satellites ou plutôt ces quatre Bourreaux (comme ils l’avouent eux-mêmes, se vantant de n’aller jamais sans cordes et couteaux) qui sont ensemble à causer, et leur dit,

Compagnons, c’est assez bavé
Allons à cop faire ung expler[84].

Ces tyrans accourent au plus vite, mais ils sont bien surpris en apprenant qu’il ne s’agit que de crier une Ordonnance.

Le Dyable vous puisse deffaire,
...
Nous faut-il faire si grant feste
Pour ung cry ?

dit Griffon fort en colère.

Nous ne daignerions
Y aller

réplique Brayart d’un air dédaigneux. Enfin pour couper court, il ne se trouve que Claquedent, qui veut bien se prêter à cette fonction : assurant que,

Gens de bien en la compaignie
Ne seront jamais tricotez.

Encore, semble-t-il s’en repentir, car après que le Trompette a crié trois fois : « Or escoutez, etc. » et que Barraquin a fait la lecture de l’Ordonnance de Pilate, Claque dent ne peut s’empêcher de dire,

De cent mille telles huées
On ne gaigneroit une maille ;
Si j’eusse eu quelque paillardaille,
À décapiter ou à pendre,
Il y eust eu au moins à prendre
Quelque endose, pour les dépens.

 

 

VIII. Le Conseil des Juifs

 

« Icy tiendront les Cytoyens leur Conseil, et y présidera Nicodesme. »

Ce Conseil, où paraît aussi Jayrus chef de la Synagogue se tient au sujet de l’Ordonnance de Pilate, dont nous venons de parler au Mystère précédent, et surtout touchant le second chef, en ce qui regarde les honneurs que l’on doit rendre à la Statue de l’Empereur. Les Juifs crient fort contre cet ordre tyrannique, et se résolvent à l’éluder de tout leur pouvoir.

 

 

IX. De Judas

 

Judas paraît avec le Fils du Roi de « Scarioth. » Comme ce Prince ne sait que faire, Judas lui propose une partie d’échecs. Sa proposition est acceptée, et ils se mettent à jouer. Le Fils du Roi avance un de ses échecs. Judas lui en oppose un des siens. Le Fils du Roi lui dit, « il est perdu. Non pas, répond Judas. Si fait, dit ce Prince, »

Si en mentirez vous, Judas ;
Jе le gaigneray devant tous.

JUDAS.

Et pourquoy me desmentez-vous ?
Qui vous meult ? Il me desplaist trop ;
Corps bieu, je vous donneray tel cop,
Qu’il y parestra à jamais.

LE FILZ.

Se me touche, je vous promais,
Que oncques ne festes tel folie.

JUDAS.

Tous noz puissans Dieux je regnie,
Se mettez la main dessus moy,
Nonobstant qu’estez filz du Roi,
Par moy vous ferez affollé.

LE FILZ.

Paix, coquin, marault avollé[85],
On ne sçait dont tu es venu ;
Tu es un... incongnu,
En faictz, en ditz oultrecuidé.

JUDAS.

Se devoye estre lapidé,
Ou gecté en eaue en ung sac ;
Si aurez vous en estomac
Cecy planté pour reverdir ;
Nul ne me sçauroit refroidir
Que n’ayez le coup de la Mort. 

« Icy le tue. »

Deux Bourgeois de la Ville de Scarioth arrivent, et voyant le Fils de leur Roi mort, ils en témoignent leurs regrets, et font des réflexions sur le chagrin que le Roi aura, lorsqu’il aura appris cette fâcheuse nouvelle.

« Icy est Judas tout effrayé, et tient ung glaive tout nud senglant comme se il venoist de faire murtre. »

 

 

X. De Judas et de Pilate

 

Judas sachant bien qu’après avoir commis un tel crime, il va être poursuivi, prend le parti d’abandonner le pays, et de chercher fortune ailleurs.

« Icy s’enva Judas pourmener de loing devant le siège de Pilate. »

Pilate paraît avec la suite ; il demande à ses tyrans ce que disent des Juifs de son Ordonnance, et s’ils y sont rebelles. Ah ! Seigneur, lui répond Griffon, les Juifs sont trop sages, et les gens riches n’osent le soulever, il n’y a rien à gagner pour nous.

BRAYART.

Le plus habille
D’entre nous n’en a pas pendu
Troys pour ung jour.

Cela est très fâcheux, Seigneur, comme vous le voyez, dit Claquedent, et si vous n’avez la bonté d’y remédier, notre métier va devenir à rien. Cependant Pilate apercevant Judas de loin, commande à Barraquin de le lui amener,

  Il semble homme sage et savant,

ajoute-t-il.

« Icy vient Barraquin parler à Judas. »

Barraquin amène Judas à Pilate, et ce dernier lui dit qu’il veut lui parler en particulier.

« Icy salue Judas, le Prevost Pilate. »

Pilate lui demande son nom et qui il est : Judas après lui avoir dit, ajoute qu’il est de l’Île de Scarioth, où il était employé au service du Roi. Pilate lui propose d’entrer au sien, Judas accepte la proposition : et ce Prévôt pour voir ce qu’il sait faire, le charge de l’Intendance de sa maison.

 

 

XI. La Tentation de Jésus

 

« Ici commence les Temptacions de Jésus au Désert, et se lieve de Oraison, et dit »

JÉSUS.

Quarante jours ay jeuné plains,
Dont aucunement me complains
Car la faim me commence à prendre.

Dans l’instant « vient Sathan en habit d’Armite, vers Jésus pour le tempter.

SATHAN.

Tu ne es ne larron, ne murtrier,
...
...
Parquoy jà ne te fust besoing
D’avoir tel jeune commencé,
Veu que tu n’as rien offencé
Vers Dieu etc...

Le Diable emploie ensuite ses subtilités pour l’engager à ne plus jeuner, et lui demande s’il n’y a pas dans le désert de quoi prendre « viande corporelle. » Et qu’en tout cas, s’il est vrai qu’il soit le Fils de Dieu, qu’il prenne des pierres, et les change en pain.

JÉSUS.

L’Omme ne vit pas seulement
De pain que nature luy livre,
Mais aucunes foys peut-il vivre,
En la saincte parolle et digne,
Venant de la bouche divine.
Donc, si le pain matériel
Me fault, j’ay le pain éternel
De Dieu le Père Tout puissant,
Qui est ydoine, et suffisant
À parfaire le résidu.

SATHAN.

C’est futilement répondu,
Et me aperçoy bien que tu scés
Des cauillations assés.

Après ce dialogue, Sathan « se retire ung peu loing de Jésus, et ostant son habit d’Armite » il dit,

Haut Lucifer ! que doy-je faire ?
Le grant Dyable y puisse avoir part,
Et à Jésus, et à son art,
Tant il scet d’Hebrieu et Latin,

Alors Sathan se sentant fortifié des secours infernaux, revient tenter Jésus d’une autre façon.

« Icy prend Sathan ung habit de Docteur, et puis retourne tempter Jésus. »

Il dit à Jésus, qu’un si grand Docteur que lui ne doit point laisser ses talents dans l’oubli, et qu’il faut qu’il prêche : Et pour lui donner une place commode, et élevée afin de pouvoir être entendu d’un plus grand nombre, il s’offre à porter Jésus sur le sommet du Temple. 

« Icy se met Jésus sur les épaules de Sathan, et par ung soudain contrepoys sont guindez tous deux à mont sur le hault du pinacle. »

Lorsque Sathan voit Jésus sur le haut du Temple, il lui propose de se jeter en bas, et que les Anges viendraient le recevoir, selon qu’il est porté en l’Écriture Sainte. Jésus lui répond, qu’il est aussi écrit, vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu. Sathan est au désespoir de se voir encore confondu.

SΑΤΗΑΝ.

C’est bonne évasion trouvée,
Et voy bien qu’en ton cueur empraincte
Est toute l’Escripture Saincte,
Et la congnois de pas en pas :
Mais ainsi n’eschaperas pas,
Tu auras encore ung assault.

« Icy descent sécrétement Jésus et Sathan, et se trouvent tous deux à bas assez loing l’un de l’autre, et se met Sathan en habit de Roi. »

Sathan voulant encore employer un dernier effort pour tâcher de séduire Jésus, le vient trouver habillé magnifiquement, et après l’avoir mené sur une haute montagne, il lui promet que s’il veut l’adorer, il le tendra le plus riche, le plus vaillant, et le plus puissant Prince de toute la Terre, je possède tout, ajoute-t-il ;

Mais afin de mieulx désigner
Le bien que donner je te veuil
Je te le veuil monstrer à l’ueil :
Premier, voy en sommacion
La Terre de Promission,
Qui est Terre où tout bien abonde ;
Vecy tout le milieu du monde,
Deça est la Terre d’Europe,
Delà la Terre de Ethiope,
Tous Royaulmes de noble arroy,
Desquels je suis Seigneur et Roi.
Romme tiens, Grece à moy s’applique,
Arabe, Tharse, Alye, Afrique,
Egipte, Calde, Babilonne,
Tout est à moy, et tout te donne,
Mais que devant moy tu te enclines,
Et m’adores, et me domines,
Comme tu scés que je le puis,
Et que ton Maistre, et Seigneur suis.
Jamais faulte de rien n’auras,
Se ainsy se fais.

JÉSUS.

Va Sathanas.

Jésus ne pouvant plus supporter les insolents discours de Sathan, lui ordonne de se retirer.

« Icy s’enfuit Sathan comme tout enragé, et demeure Jésus tout seul sur la montaigne, jusqu’à la venue des Anges. »

SATHAN.

Haro, haro, haro, y’enrage ;
Soubz Ciel, ne sur terre ne tiens,
Je suis vaincu, je ne puis rien :
En mon faict n’ay point de recours
Je m’envoys en Enfer le cours
Plonger au fond de la chaudière.

Dieu le Père commande aux Anges d’aller honorer Jésus, et de le servir.

« Icy descendent les Anges de Paradis, et apportent une couppe couverte, et du pain couvert d’une fine serviette à Jésus, dont il pourra boire et menger. »

Lucifer, qui voit revenir Sathan en diligence, lui en demande le sujet, et ce Démon lui raconte le mauvais succès de ses tentations.

« Icy arrivent les Anges devers Jésus, et se enclinent devant luy en le adorant, et le ministrant. »

Saint Michel, Raphaël, et Uriel chantent les louanges d’un Dieu si bon, qui veut bien souffrir la mort pour le salut des hommes.

« Icy le retournent les Anges en chantant ; Jésus descend de la montaigne. »

 

 

XII. De Jésus et de Notre-Dame

 

Gabriel qui est resté sur le Théâtre, fait un petit compliment à Notre-Dame, et cette dernière fait une complainte sur les maux que Jésus doit souffrir.

« Icy arrive Jésus devers Nostre-Dame, et s’encline en la saluant Nostre-Dame se jette à ses piedz, puis se lieve. »

NOSTRE-DAME.

Long-temps ay esté en absence
De vous ; mais de vostre présence
J’ay le cueur hors de tout soucy.

JÉSUS.

Il me fault gouverner ainsy
Que Dieu mon Père le me ordonne,
Et que tout mon faict se consomme,
Ad ce que l’Escripture chante.

 

 

XIII. De Saint Jean et de Hérode

 

Saint Jean et ses nouveaux Disciples paraissent ; Abias l’un d’eux, le vient avertir qu’Hérode ne se gouvernait pas bien. Pourquoi cela ? lui demande S. Jean. Parce qu’il tient en concubinage la femme de son frère, répond Sophonias. « C’est laide chose et infâme », ajoute Manassès. Vous avez raison, reprend S. Jean et je vous sais bon gré de cet avis.

Je luy voys remonstrer l’offence,
Avant que autre chose je face. 

« Icy s’en va Sainct Jehan seul devers Hérode. »

Saint Jean arrive chez Hérode : en l’abordant, il commence par lui faire des reproches sanglants sur la façon dont il retient chez lui Hérodias, femme de son frère Philippe.

SAINT JEHAN.

Tu voys bien les oyseaulx petits,
Qui en soy ont cueur si gentilz
Que chacun se tient à son per,
Sans l’autre frauder, ne tromper, etc.

Hérode est fâché de cette sincérité, cependant comme il a dans le fonds de son cour du respect pour ce Prophète, il le prie de se taire, et veut bien excuser ses discours.

HÉRODE.

Me venir dire des injures,
Et reprendre publiquement,
Sans savoir entendre comment,
Il m’en desplaist trop en mon cueur ;
Et pour ce, Jehan, sur vostre honneur,
Taisez-vous de ce que vous dictes :
Je say bien que entre vous hermites,
Entre vous poures ydyotz,
Ne prenez pas garde à vos motz,
Ne devant qui vous les couchez.
...
Mais quand est d’entre nous Seigneurs,
Qui avons nos plaisirs apprins ;
Il nous faict mal d’être reprins,
Et qu’on congnoisse nostre offence :
Et pour ce, prenez pénitence
Au commun et au populaire, etc.

Comme S. Jean veut continuer ses remontrances, Hérodias, qui est présente, s’emporte fort contre lui.

HÉRODIAS à Hérode.

Son cueur et de mal si garny,
Qu’il fait tousiours de pis en pis ; Assez esbahir ne me puis
De telz vieulx bigotz redoubtez,
Comment ainsy les escoutez,
Veu qu’ils sont si trez-mal courtoys,
Il a tant jeuné par ces boys
Qu’il n’a pas demy de cervelle.

SAINCT JEHAN.

Ha ! perverse femme cruelle !
Faulce serpente venimeuse !
Ta volonté libidineuse
Machina la faulce entreprinse,
Quant ravie tu fus et prinse
D’avecques ton loyal espoux ;
Tu as bien montré devant tous ;
Que tu ne crains Dieu, ne le monde.
Tu es tant ville, tant immonde,
Que la fin en sera maulvaise ;
Et ay grant peur que la fournaise
D’Enfer en face le départ.

HÉRODIAS à Hérode.

Ha dèa ! ce meschant papelart,
Nous rompra cy meshuy la teste :
Monseigneur, vous estes bien beste
De tant ouyr, etc.

Hérode pour satisfaire Hérodias ordonne à Grongnart d’arrêter Saint Jean, et de le conduire en prison, Grongnart obéit. 

« Icy demeure Sainct Jehan en la Chartre jusques à la décolacion. »

« Icy se retirent les trois Juifz devers Architriclin, et commence icy la mort du père de Judas. »

 

 

XIV. De Rubem et de sa femme

 

Rubem et Cyborée sa femme, père et mère de Judas, se plaignent, que quoiqu’ils aient des biens abondamment, cependant ils sont prêts à mourir sans héritier : qu’à la vérité Dieu leur a autrefois donné un fils ; mais que leur misère les a pour lors obligé à jeter cet enfant dans la Mer, et que depuis ce jour fatal, ils ne savent ce qu’il est devenu. Pour soulager un peu leur chagrin, ils vont se promener dans leur Jardin. 

« Icy se départent d’ensemble, et va Rubem en ung Jardin, où il y a ung pomier fort chargé de belles pommes. »

Pilate arrive, avec sa suite, en se promenant. Jetant par hasard la vue sur ce pommier, il en trouve les fruits si beaux, qu’il ordonne à Judas d’en aller chercher, et de les payer ce qu’on lui demandera.

« Icy s’en va Pilate, et Judas demeure pour cuillir des pommes, et pour rompre l’arbre. »

« Icy abat Judas deux ou trois branches de l’Arbre. »

Rubem s’apercevant que Judas rompt l’arbre, court pour l’en empêcher.

« Icy vient Rubem parler à Judas. »

Prenez du fruit tant qu’il vous plaira, mais ne rompez point l’arbre, lui dit Rubem ; il me plaît de le faire, répond Judas. Rubem fâché qu’on le vienne insulter chez lui, lui réplique avec chaleur ; ils en viennent aux injures, et ensuite aux coups.

« Icy s’entrebattent, et enfin Judas frappe ung si grant coup sur la teste de Rubem, qu’il l’abat à terre. » 

Cyborée arrive, et trouvant son mari assassiné, elle court en demander Justice. 

« Icy vient devers Pilate en criant, et dit »

CYBORÉE.

Ô Juge, Juge, Juge, Juge,
Je requiers vengeance, vengeance, etc.

Pilate l’écoute, mais comme il aime Judas, pour assoupir cette affaire, il propose à Cyborée d’épouser son Intendant. Il appelle ce dernier, et l’ayant tiré à quartier, il lui dit, tu vois, Judas, que tu es sans bien, et que voici une veuve assez bien faite, et à son aise, tu ne saurais mieux faire, mon enfant, que de l’épouser ; tu termineras par-là toutes contestations avec elle. Judas accepte la condition, mais Cyborée la refuse constamment, et proteste qu’elle ne veut point épouser le meurtrier de son Époux. Barraquin leur dit d’aller se consulter ensemble là-dessus.

« Icy prent Judas Cyborée par dessoulz lebras, et se tirent à part ensemble, »

JUDAS.

Cà, mamye, allons y penser,
Et vous vueillez reconforter ;
Car je suis pour vous avancer,
Et pour vostre bien augmenter.

CYBORÉE.

Le dictes-vous pour me tempter ?
Ou pour sortir la chose effet ?

Je vous parle très sérieusement, répond Judas. Somme toute, cette veuve qui a paru si rétive, lorsqu’elle a cru que la chose était pour la tromper, y consent bien vite, quand elle voit qu’on lui parle tout de bon ; et ils sortent tous deux pour se marier ensemble.

« Icy s’en vont Judas et sa Mère ensemble. »

 

 

XV. L’Évocation des Apôtres, ou quelquefois l’Invocation

 

« Icy commence l’Evocacion des Apostres. »

Saint Pierre et saint André paraissent occupés de leur pêche, qui ce jour là n’est guères abondante.

SAINCT PIERRE.

Si le vent tourne de Nordeth,
Ou de Sehu, frère, nous aurons
Du poisson plus que ne scaurions
Despendre pour nostre famille.

SAINCT ANDRÉ.

Semble la Mer assez tranquille,
Et le vent calle ; fait-il corme[86]
Assez sur l’eaue ?

SAINCT PIERRE.

Je vous afforme[87]
Qu’il fait beau voguer sur la rive.

JÉSUS.

Enfans, que besongnez vous là ?
Quelles sont vos intencions ?

SAINCT PIERRE.

Sire, mon frère et moy, peschons,

JÉSUS.

Laissez ces opéracions :
Suivez-moy, soyez diligens,
Je vous feray pescheurs de gens,
En lieu de pescher des poissons :
Je feray qu’on orra vos sons,
Et vostre doctrine parfonde,
Par toutes les parties du Monde,
Pour le saluer des Créatures. 

« Icy laissent Sainct Pierre et Saint André leur nave et leurs rethz, et suivent Jésus en habit de Pescheurs jusques à la seconde Journée qu’ilz viennent en habit d’Apostre. »

Pendant que Zébédée et ses fils S. Jacques dit Major et S. Jean l’Évangéliste ne songent qu’à leur pêche, Jésus accompagné de S. Pierre et de S. André, appelle ces deux derniers, et leur dit

Amis, ne vous occupez plus
À ce mestier que vous scavez ;
Délaissez tout, et me suyvez,
Je vous désire avoir ensemble.

S. Jacques et S. Jean quittent aussitôt leur père, pour obéir aux ordres de Jésus. 

« Icy suivent S. Jehan et S. Jacques Nostre-Seigneur,en habit de pescheurs. »

Chemin faisant Jésus trouve S. Philippe à qui il dit.

Amy, vouldroys tu point venir
À moy et estre de ma sorte ?

SAINCT PHILIPPE.

Sire, à vostre vueil m’en rapporte, etc.

« Icy suit Philippe Nostre-Seigneur, à tout en habit de pescheur comme les autres. »

Ensuite Jésus aperçoit S. Barthélemy, habillé en fils de Roi, « il lui dit, Barthélemy, quittez les vanités du monde, et me suivez.

  Sire vostre suis sans contraincte.

répond Barthélemy.

« Icy suit Sain et Barthélemy Nostre Seigneur en habit de Prince. »

Toujours en poursuivant son chemin, Notre-Seigneur fait rencontre de S. Thomas, « Charpentier, » à qui il dit,

JÉSUS.

Thomas, homme d’activité,
Laisse tout, et fais ton devoir
De me suivre, pour grâce avoir,
Comme ces autres hommes cy.

SAINCT THOMAS.

Humblement vous remercie,
Et à vous servir me conclus.

« Icy suit Sainct Thomas Nostre-Seigneur en son habit de Charpentier, sors qu’il laisse tous ses oultilz. »

Après cela, Jésus voyant passer S. Simon et S. Jude son frère, les appelle, et leur ordonne de le suivre. Ces deux frères lui rendent grâces de l’honneur qu’il leur fait.

SAINCT SYMON.

C’est tout nostre intencion,
D’estre avecques vous habitans,
Symon suis nommé de long-temps
Homme simple, ignorant et rude,
Et vecy mon bon frère Jude
Zélotès, etc.[88]

« Icy cheminent les Apostres en leurs habis mécaniques après Jésus. »

Ensuite paraît S. Mathieu assis devant une table, où il y a force sacs d’argent. Il fait quelques réflexions sur la profession, et après avoir bien rêvé, il trouve qu’il a embrassé un métier qui le conduit à la damnation éternelle. Comme il est dans cette pensée, Jésus tourne ses pas de son côté, et lui dit

Mathieu, laisses tout, et t’en viens
Aprez moy, tu seras que saige.

SAINCT MATHIEU.

Mon cher Seigneur, aussi seray-je.

Il prie le Seigneur de lui accorder le pardon de ses péchés, et Jésus le lui promet. S. Mathieu lui demande une seconde grâce, qui est de vouloir bien venir manger chez lui avec ses autres Apôtres ; Jésus y consent. Pendant ce temps là S. Jacques Alphé dit Minor, vient trouver Jésus, et suivant la résolution qu’il a prise, le prie de l’admettre au nombre de ses Apôtres, Jésus le reçoit, et lui dit de le suivre.

« Icy suit Sainct Jacques Nostre-Seigneur, vestu et abillé près ou environ comme Nostre-Seigneur, et après commence la séparacion de Judas et de sa mère. »

 

 

XVI. De Judas et de sa Mère

 

Ce Mystère serait mieux intitulé la Reconnaissance de Judas, car c’est en effet ce dont il s’agit dans celui-ci. Cyborée se sent inquiète de la tendresse qu’elle a pour Judas, pour tâcher de dissiper son trouble, elle lui demande qui il est, et son âge. Judas lui dit qu’il a trente-cinq ans ; mais qu’il ignore à qui il doit le jour, et que tout ce qu’il sait, c’est qu’on lui a dit qu’on l’avait trouvé sur les bords de la Mer. Il n’en faut pas d’avantage pour jeter Cyborée dans une consternation extrême ; elle reconnaît alors la triste confirmation de ses soupçons.

CYBORÉE.

Ô que J’ay de rage en mon cueur !
Ô Dieu tout-puissant, quel horreur !
Quelle terreur !
Quelle erreur !
Quel forfaict !
Ô le très haultain plasmateur,
Qui sera le réparateur
Du malheur,
Deshonneur
Que j’ay faict ?
Ô Dieu souverain tout parfaict,
Je faict le faict et le defaict,
Par vil faict,
Et meffaict,
Douloreux :
Ô ventre maternel infaict,
Très ort, très vil, très imparfaict,
Par le faict,
De ton faict
Malheureux ?
Las Ciel a toy je me deulx. 
Venge toy sur moy, si tu peulx,
Des griefz d’eulx,
Vicieulx,
Que je porte.
Terre qui nous soustient tous deux,
Pour nos pechez libidineux,
En tes lieux
Ténébreux,
Nous transporte.

Judas qui ne sait ce que tout cela veut dire, lui demande le sujet de son affliction, et Cyborée l’instruit de tous ses crimes.

CYBORÉE en cryant et plorant.

Vous estes mon filz,
Vous estes mon filz naturel ;
Et le vray ventre maternel
Avez polu en mariage.

JUDAS en cryant.

Vostre filz ? vostre filz ? ho rage !
Rage de plaisir involu :
Vostre filz ! hélas que feray-je ?
Ay-je eu ce vouloir dissolu ?
...
...

Dans cette affreuse situation, ils se souviennent qu’il y a un Prophète appelé Jésus, qui accorde le pardon à tout les pécheurs ; et Cyborée conseille à son fils d’aller le trouver, pour obtenir de lui le pardon des siens.

« Icy se elongne Judas d’avecques sa Mère, et cependant Sainct Mathieu va inviter les Publicains. »

 

 

XVII. Le Convi de Sainct Mathieu

 

Saint Mathieu va inviter Rabanus le Changeur, Emélius, Oiseleur et Celcidon, Marchand d’Agneaux, de se trouver au festin qu’il a fait préparer pour recevoir Jésus. Ces trois Juifs lui promettent de s’y rendre. 

« Icy s’en vont les troys marchans du Temple en l’Ostel de Sainct Mathieu ; et est à noter que Sainct Mathieu est bien richement vestu, il fait bien grant apareil de Vaisselle d’argent, de viandes et autres choses. »

Jésus et ses dix Apôtres arrivent, on leur présente des sièges, mais avant que de se mettre à table, le Seigneur dit,

Benedicite

TOUS.

  Dominus

JÉSUS.

Que sumbturi sumus
Benedicat trinus et unus

TOUS.

  Amen. 

« Icy se assiet Jésus au milieu de la table et tous ses Apostres et marchans après. »

S. Mathieu n’oublie rien pour les bien traiter : il leur sert des viandes et les invite à boire,

SAINCT MATHIEU.

Voire, mais vous ne dictes rien
Du Vin ??

SAINCT MATHIAS.[89]

Il est très excellent :
C’est ung fort vin, et viollent, 
Si doulx, qu’il se laisse avaller.

RABANUS.

C’est ung vin pour faire parler
Grec et Hébreu tout à la foys,

 

 

XVIII. Murmures des Pharisiens

 

« Icy durant le disner, murmurent les Scribes et Pharisiens contre Jésus. »

Pendant le repas de S. Mathieu, Joathan, Eliachin, Mardochée et Naazon murmurent contre Jésus, de ce qu’il va manger avec des Publicains et des gens de la lie du peuple.

 

 

XIX. La Conversion de Judas 

 

Cependant le Repas de S. Mathieu finit, et Jésus dit aux assistants de rendre grâces.

« Icy se lieve Jésus et tous les autres de la table, et puis dit »

JÉSUS.

Rendons grâces à Dieu, mes amys,
D’humble vouloir bien disposé
Cantemus Domino gloriosè, etc. 

« Icy dient grâces, en silence. »

Comme Jésus est prêt de se retirer, avec ses Apôtres, Judas arrive ; et vient se jeter d’abord à ses pieds ; il lui déclare qu’il est un misérables couvert de crimes, qui a « vécu sans savoir pourquoi, tué le filz du Roy et de la Royne », assassiné son propre père, et épousé sa mère sans y penser : Et qu’enfin ayant appris qu’il faisait miséricorde à tous les pécheurs il vient la lui demander humblement. Non-seulement Jésus la lui accorde, mais après l’avoir agrégé au nombre de ses Apôtres, il l’établit gardien de la bourse commune. Judas lui proteste fort, qu’il en usera bien, et en assistera charitablement les pauvres. Alors Jésus, voyant le nombre de ses Apôtres complet, prend avec eux la route de Nazareth, pour y visiter sa Mère.

« Icy s’en vont Jésus et les douze Apôtres avec leurs habis séculiers, après Jésus : et après commence le miracle, comme il mua l’eaue en vin, en la Chanane de Galilée. »

 

 

XX. La mutation de l’Eau en Vin

 

Architriclin Maître d’Hôtel, se donne beaucoup de mouvements pour faire les préparatifs d’une Noce, qui doit se faire à la Chanane de Galilée, et pour envoyer inviter les conviés. Il se repose de ce dernier soin sur Abias, l’un des Disciples de S. Jean. Abias accepte cette commission avec plaisir ; Sophonias et Manassès, compagnons de ce dernier, et disciple de S. Jean, restent pour préparer ce qu’il faut pour le festin.

« Icy vient Abyas inviter Nostre-Dame aux Nopces. »

ABYAS.

Marie, pleine de sagesse,
Qui toute honnesteté tenez,
Je vous prie que vous venez
Aux nopces de Jehan Zébédée,
Pour introduire l’Espousée,
En honneste et simple manière.

NOSTRE-DAME.

J’ay affection singulière
À Jehan mon nepveu...

Abias prie aussi Jésus, de se trouver à cette noce qui promet de s’y rendre le lendemain. Mais à peine Jésus et Marie ont dit quinze ou vingt vers, qu’Architriclin se prépare pour recevoir les conviés. Abias est si étonné de voir ces apprêts, qu’il s’écrie qu’il n’en a jamais vu de si grands. Cependant Jésus dit à Notre-Dame, qu’il est temps de se rendre où ils ont promis de se trouver la veille. 

« Icy s’en vont Nostre-Dame, Jésus et ses douze Apôtres aux Nopces. Dès que les Conviés se sont rassemblés, Architriclin les exhorte à se placer promptement.

Voire, car les premiers assis
Sont tousiours servis les premiers.

dit Sophonias. Alors Jésus commence à dire Benedicite, et tous les assistans répondent Dominus, etc.

« Icy fait Jésus la bénédiction en tenant ung pain entre ses mains, et le rompant par le milieu, et puis se assiet l’Espousée au meilleu, Nostre-Dame à costé, Jésus à l’autre côté, et tous les Apostres après. Et Architriclin se assiet le derrenier au bout de la Table. S. Jehan l’Évangéliste, vêtu d’une belle robe blanche, et les trois autres serviteurs servent. »

Après bien des compliments de part et d’autre, les conviés s’excitent à boire.

Si vous avés peu à manger,
Si beuvés bien à l’avenant.

dit Abias ;

Pour faire ces barbes nager,
Faites ces hanaps décharger.

répond Sophonias. Enfin ils boivent tant que le vin vient à manquer. Abias qui s’en aperçoit le premier, (apparemment qu’il avait plus soif que les autres,) le dit à son compagnon, et celui-ci au troisième.

ABIAS.

Il n’y a plus de Vin ez potz,
Vecy très maulvaise nouvelle.

SOPHONIAS.

C’est assés pour prendre propose
Si n’y a plus de Vin ez potz.
Et on dira que sommes sotz
Si le Maistre d’Hostel appelle.

MANASSÈS.

Il n’y a point de Vin ez potz,
Vecy très maulvaise nouvelle.

Que dites-vous ? dit Architriclin étonné. « Qu’il n’y a plus de vin ez potz, répond Manassès. »

  Vecy très maulvaise nouvelle,

Réplique le Maître d’Hôtel, qui ajoute en se levant de Table,

Je ne puis le cas bien entendre,
Il y faut pourvoir.
Somme toute,

dit Sophonias,

On n’en saurait recouvrer goutte
Pour l’eure présente.

Pendant ces contestations, Notre-Dame qui s’aperçoit de ce manque de Vin, le dit à Jésus, qui ordonne de remplir d’Eau des Ydries de pierres.

Puisque le Vin des nopces fault,
Il faut de l’Eaue comme vous dites,

dit bonnement Manassès.

Nous parfourniron
Plus d’Eaue que nous n’en beuron,
Jà ne pense moulier mes dens.

continue-t-il.

« Icy emplent de l’eau les Vaisseaux de terre, qui seront de renc sur une selle haute. »

À présent dit Manassès,

Ne plaignés pas nos peines,
Commandés, nous ne fauldron pas,

Jésus fait le signe de la Croix, sur ces Vases, puis commande de porter de ce vin à Architriclin.

SOPHONIAS.

Je suis seur quairt il en beura
Qu’il n’aura du résidu cure,
Car ce n’est que eaue toute pure,
Dont avons empliz les vaisseaux.

ABYAS.

Je croy que telz frianz museaux
Comme nous n’y feront pas presse,

Manassès porte du vin de ces Ydries à Architriclin, qui le trouvant excellent, fait venir l’Épousé, qui est S. Jean, et lui reproche que contre la coutume ordinaire, il avait fait servir le meilleur vin à la fin du repas. Ce vin est trouvé si exquis, que ce miracle jette un étonnement sans égal dans l’esprit de toute l’assemblée ; Sophonias ne peut s’empêcher de le publier hautement, et Abias entr’autres en demeure tout extasié.

ABYAS.

Si sçavoye faire ce qu’il fait,
Toure la Mer de Galilée
Seroit en huyt en vin muée ;
Et jamais sur terre n’auroit
Goutte d’Eaue, ne plouveroit
Rien du Ciel que tout ne fut vin.

Le repas fini « ils se lievent et dyrent grâces Cantemus, etc. puisse tire  Jésus à part des autres et prend S. Jehan par la main », et lui con seille de garder sa Virginité. Non-seulement Saint Jean suit cet avis, mais il s’offre à l’accompagner. Il est bon de remarquer en passant que l’Auteur de ce Mystère ayant déjà parlé de la vocation de Saint Jean, frère du grand Saint Jacques, et comme lui fils de Zébédée, en fait deux personnes, l’un Apôtre, l’autre Évangéliste. Au reste, ce n’est pas la seule ineptie qui se trouve dans le cours de cet ouvrage ; comme on l’a déjà vu, et qu’on le verra dans la suite : des Auteurs plus graves, et plus respectables que le nôtre, sont de même que lui tombés dans des fautes aussi grossières[90].

Ensuite Jésus quitte Notre-Dame, pour aller en Judée achever sa Mission.

« Icy demeure Nostre-Dame avec Gabriel, et Jésus et ses Apostres s’en vont en Jérusalem : et en allant fait Jésus ung fouet de cordes pour jecter les Marchands hors du Temple. »

 

 

XXI. Des Marchands du Temple

 

Emélius Oiseleur, Celidon Marchant d’Agneaux et de Chevreaux ; et Rabanus Changeur, paraissent dans le Temple, et s’entretiennent sur la beauté du temps, et la recette qu’ils espèrent faire ce jour-là.

« Icy vient Jésus à grande appresse chasser d’ung fouet les Marchans hors du Temple, et abbattre et trébucher la Table et la monnoye des Changeurs. »

JÉSUS.

Dehors, dehors sans contredire,
Cessés de vostre œuvre trop vaine.

« Icy frappe dessus. »

RABANUS.

Jamais je ne vy face humaine
Dont fusse tant espovanté ;
Ne jamais ne fus fouetté
Si très vif pour une sepmaine.

EMÉLIUS.

J’ay veu une fuyeur soubdaine ;
En sa face, et une clerté,
Qui m’a tellement hébété
Que j’en suis encor hors d’alaine ;
Et jamais ne vy face humaine
Dont fusse tant espovanté.

CELCIDON.

Tous trois nous a mis en grand peine,
Et a tous nos estaux jecté,
Mais dire pourquoy çà esté
Je n’en sçay la cause certaine.

RABANUS.

Je n’ay sur moy membre ne veine
Qui n’en soit pire de santé.

CELCIDON.

Jamais ne vy face humaine
Dont fusse tant espovanté.

EMÉLIUS.

Jamais je ne fus foueté
Si très vif pour une sepmaine.

CELCIDON.

Vecy bien estrange fortune
Pour nous, et grande couardie ;
Car nous avons tous de coustume
De vendre ceans Marchandise,
Toutesfois à face hardie
C’est homme cy fait ses efforts,
Et d’un grand fouet par maistrie
Nous a tous du Temple mis hors.

RABANUS.

Je croy que j’en suis enchanté ;
Je ne sçay d’où vient cet ouvrage,
Onc ne fus si espovantė
Que de voir Jésus au visage,
Il a tumbé tout mon mesnage
Et m’a fait ma place quitter,
Où j’ay bien grand perte et dommage,
Et si n’en oze caqueter.

EMÉLIUS.

Nous ne devons point endurer
Les fais de Jésus, ne ses dis ;
Mais fault contre lui murmurer
Et estre constans et hardis,
Car nous serions interditz
De nous laisser vilipender
Et ferons meschans et mauldits
Si ne l’allons appréhender.

« Icy vont les Marchans à Jésus, » et lui demandent raison de cette violence. Jésus leur dit de détruire ce Temple, et qu’il le rétablira en trois jours. Eux qui n’entendent rien à ce discours qui est au-dessus d’eux, prennent le parti de s’aller plaindre à la Justice : En s’en allant Celcidon dit,

Ce n’est que ung enchanteur parfait
À ce qu’il dit, et ung vanteur,
Qui nous cuide cy faire peur
Pour la puissance dont il ose.

« Icy se départent les Marchans du Temple ; et Jésus demeure. »

 

 

XXII. De Jésus et de Nicodesme

 

« Cy après commence le Mystère de Nycodesme, qui vient à Jésus de nuyt. »

Nicodesme frappé des prédications de Jésus, prend la résolution de l’aller trouver la nuit. Jésus l’entretient sur la régénération de l’homme par le moyen du Baptême ; comme Nycodesme n’est pas encore au fait de ces discours pleins de mystères, il dit à Jésus,

   Je ne vous entens point.

Alors Notre-Seigneur lui reproche qu’il est honteux à un Docteur de la Loi, d’ignorer ces choses : il les lui explique ensuite plus au long, et plus ouvertement : et Nicodesme sort charmé de la beauté de cette doctrine.

 

 

XXIII. La Mondanité du Lazare

 

« Cy après commence la mondanité du Lazare, qui sera habillé bien richement en état de Chevalier, son oiseau sur le poing : et Brunamont mainera ses chiens après luy. »

Après que Lazare a paru sur le Théâtre avec l’Équipage ci dessus et tenu les discours d’un étourdi, il sort.

« Icy pend sa trompe en son col, et son page maine ses chiens, et commence la Résurrection de la sa fille de Jayrus. » 

 

 

XXIV. De Jayrus et de sa Fille

 

Jésus déclare à ses Apôtres que le temps est venu qu’il doit manifester sa puissance à Génézareth et sur les bords de la Mer. Pendant qu’ils sont en chemin, (ceci se passe sur le Théâtre) Jayrus Archisynagogue, c’est-à-dire, Chef d’une Synagogue, et qui possède de grands biens, implore le secours du Ciel, pour une fille unique qui fait toute la consolation et celle de la mère, malade à l’extrémité. Célius et Moab, deux Juifs qui selon les apparences sont de la maison, emploient toute leur éloquence pour le consoler.

CÉLIUS.

Certes, Sire, ce n’est pas feinte,
Toutesfois on en a veu mainte
Aussi malade, et encore vivre.

Jayrus nonobstant ces raisons désespère de la santé de sa fille, ce qui lui fait prendre la résolution d’aller trouver le Prophète, pour le prier de la guérir. Il sort pour cet effet. En suite paraît Thabite (c’est le nom de la fille) couchée sur son lit, et se plaignant beaucoup. Sur ces entrefaites, Jayrus rencontre Jésus, à qui il fait la prière, et par ses instances l’engage à venir chez lui. Pendant leur chemin, Thabite expire sur son lit : aussitôt Moab s’écrie,

Vecy bien pitense demande :
Célius ? je croy qu’elle est morte ?

Luy fault-il plus yin ne viande ?

répond Célius, fort à propos, apercevant de loin leur Maître Jayrus, ils vont au-devant de lui, et Moab lui apprend cette fâcheuse nouvelle. Jayrus qui avait devancé Jésus de quelques pas, revient vers le Seigneur, et implore sa miséricorde. Jésus leur dit, qu’il leur suffit d’avoir de la foi, que la fille n’est qu’endormie. Les deux serviteurs de l’Archisynagogue n’en veulent rien croire. Enfin « Jésus vient près du lit de la Fille, et n’y a avecques luy que Jayrus, S. Pierre, Jehan, et Jacques, et tous les autres demeurent assez loing : et Jésus dit à haulte voix : »

Tabita cumy[91]
Entends ma parolle divine
Thabita fille très benigne,
Je veuil que mon voulair acheves,
Je te commande que tu te lieves
Devant ceulx qui te voudront veoir.

« Icy se lieve la fille, et se met à genoulx et remercie Jésus. Jayrus et toute sa famille lui en rendent grâces aussi : et Jésus après une courte exhortation, sort de ce logis, chargé de mille bénédictions.

« Icy s’en vont Jésus et ses Apostres. » Jésus leur dit qu’il ne veut plus demeurer en Judée, où le peuple a trop d’aversion pour lui ; mais qu’il va passer en Galilée.

« Icy cheminent Jésus et ses Apostres. »

 

 

XXV. De la Samaritaine

 

Raab, Samaritaine, s’entretient avec deux Samaritains, Abacuth et Gédéon, de la différence de leur Religion, avec celle des Juifs. À la fin Raab, ennuyée apparemment de ces disputes où elle n’entend rien, quoique cependant elle les ait entamées, dit

RAAB.

Si la Loy de Dieu le raconte,
Entre nous simples ignorans,
Nous nous en rapportons aux grans
À débattre entr’eux de la Loy :
Et entant que touche pour moy,
Je suis poure Samaritaine,
Ignorant, et trop peu certaine,
De la Loy, més en ma simplesse,
Moy poure femme pescheresse ;
Vueil de mon mesnage pencer
Et affin de mieulx m’advancer
Aquerir ce qu’il ne fauldra,
Aller au puis me conviendra,
Puiser de l’Eaue pour mon besoing ;
Et ceste belle buye au poing
Porteray, qui est grande assés.

« Icy prend la Samaritaine ung pot et va à la Fontaine. »

Jésus qui se sent fatigué du chemin, vient se reposer auprès de la Fontaine de Jacob. S. Mathieu et S. André tâchent de l’en dissuader, en lui disant qu’ils sont sur les terres des Samaritains, gens excommuniés. Jésus leur répond qu’il est venu pour sauver tout le monde.

« Icy s’assiet Jésus près du puis. »

Les Apôtres le quittent pour aller chercher des vivres à la Ville de Sychar, et lui promettent de revenir au plutôt.

« Icy s’en vont les Apostres querir des vivres, et la Samaritaine arrive, qui tire de l’eaue au puis. »

Après plusieurs discours, le Seigneur dit à cette femme d’aller chercher son mari :

RAAB.

Ha ! Sire, je suis femme veufve ;
Présent de mary n’ay-je point.

JÉSUS.

Tu dis vérité sus ce point,
Cinq marys a eu d’ung tenant :
Mais cil que tu as maintenant
Avecques lequel tu commetz
Tes pechez célez et secretz,
N’est pas tient, dont tu tes forfeicte.

Raab étonnée que Jésus connaisse l’intérieur de son cœur, se jette à ses pieds, et lui demande le pardon de ses péchés.

« Icy arrivent les Apostres, qui apportent du pain, et se arrestent de loing à regarder Jésus. »

Les Apôtres en arrivant sont fort surpris de voir Jésus seul en conversation avec une femme : Cependant Raab va trouver Gédéon et Abacuth, et leur parle de son aventure. Ces deux Samaritains la suivent et vont à Jésus, qui les instruit.

 

 

XXVI. Comment Jésus envoya ses Apôtres prêcher

 

« Icy chémine Jésus et ses Apostres et les Samaritains ung peu en semble, et puis se arrestent. Et cependant parle Jayrus à sa fille Tabite » en s’entretenant du miracle que le Seigneur vient d’opérer sur cette fille.

« Icy départent Jésus et ses Apostres d’avec les Samaritains, et Jésus en cheminant se retorne aucunes foys vers les Apostres, en parlant à eux selon l’Evangille escripte en Sainct Matthieu, en son dixiesme Chapitre, comme il envoye ses Apostres par les cités, prescher, et garir les malades. »

À la fin S. Pierre lui dit,

Maistre, bien avons entendu
Les enseignemens que vous dictes,
Et sans y mettre contredites
Nous sommes prestz iceulx parfaire.

 

 

XXVII. La Conversion du Lazare

 

« Icy chémine Jésus, et ses Apostres tous deux à deux après lui. Et s est à noter que Jullye, Neptalin, et Malbrun ensevelissent l’Adolescent devant tout le monde, et puis le mettent en sercuel sur deux tréteaux ; et cependant Lazare regarde de loing venir Jésus, et plusieurs Juifz vers ladicte Jullye veufve. »

Lazare étonné de voir une si grande foules demande a Brunamont ce que c’est. Ce Page lui apprend que c’est l’envie de voir Jésus qui a assemblé tout ce peuple. Cela fait venir à Lazare un tel désir de le voir, qu’il proteste que quand il lui en devrait coûter tous se chiens, et ses oiseaux de proie, il veut se contenter.

 

 

XXVIII. De la Veuve et de son Fils

 

« Icy se aproche Lazare devers la Cité de Naïm, pour veoir le miracle que Jésus fera, et commence le miracle, comme Jésus resuscita l’adolescent seul fils de la Veufve, ainsi comme il est escript en l’Évangile S. Luc, en son septiesme Chapitre, et y étoit Lazare présent, par quoi il se convertist à Nostre-Seigneur, comme nous lisons en la Légende de S. Lazare. »

Ici paraît « Jullye veufve, mère de l’adolescent, qui après fust marchand du suaire de Jésus, » qui se désole de la mort de son fils ;i Neptalin, et Malbrun tâchent de la consoler.

« Icy porte Neptalin et Malbrun l’Enfant mort estant en ung sarcuel, couvert d’un drap mortuaire, et la mère les suyt comme fort desconfortée. Et est à noter que la première foys que Jésus parle à elle, les deux qui portent l’Enfant mort ne se arrestent point, jusques ad ce que Jésus commande qu’ilz arrestent. »

Jésus prenant pitié de cette veuve désolée, fait arrêter le Cercueil, et enfin ordonne à l’Enfant de se lever.

« Icy se lieve l’Enfant de dans le sarcuel, envelopé d’un drap ; et se met à genoulx devant Jésus, » sa première action est de remercier son Bienfaiteur ; il parle ensuite à la mère, et cette veuve conjointement avec les deux autres Juifs qui sont présents à cette résurrection, remercient Jésus du miracle qu’il vient d’opérer.

Suite de la Conversion du Lazare

Lazare sensiblement touché de ce miracle, se jette à genoux aux pieds de Jésus, à qui il demande pardon « de ses plaisirs mondains. » Jésus le lui accorde, en lui disant :

JÉSUS.

Tu as, par foy, si bien chassé,
Et si bonne venayson prise,
Que tu as en ton ame acquise
La grâce de Dieu aujourd’huy.
Désormais feras mon amy,
Et Marthe ta seur mon hostesse,
Et prendrai souvent mon adresse
Vers son Chasteau de Béthanie.

Sainte Marthe qui ignore toutes ces choses, déplore l’égarement de son frère et de la sœur.

MARTHE.

Je me travaille, et me debas
En fervente sollicitude,
Et à mesnager hault et bas
Songneusement metz mon estude ;
La vie active est fort rude
Qui curieusement la maine,
Mais Dieu en rend beatitude
Lassus[92] en l’éternel domaine,
Ma seur Magdeleine
De fol désir plaine
En Liesse vaine,
S’esbat et pourmaine,
Chantant ses chansons.
Mon frère Lazare
Porte haulte care[93],
Ses Chiens hue et hare
Et souvent s’esgare
Parmy les buysons.
Ils n’ont soing en eulx
Fors d’estre loyeulx,
Et sont curieux
D’esbas, et des jeux.
À leur volontés
On les y soustient,
Rien ne les retient,
De Dieu ne souvient,
Fol désir les tient
En leurs volentés.

Brunamont de son côté veut empêcher son maître de suivre le parti qu’il vient de prendre : Mais Lazare lui répond qu’il veut absolument changer de vie. Il va trouver la sœur Marthe, à qui il apprend sa conversion, et la bonté que Jésus a pour eux, de lui promettre de les venir visiter. Marthe en rend grâces à Dieu. 

« Icy jecte Lazare son oyseau au vent, et oste sa trompe de son col, et la jecte : et Brunamont les reprend. » Ce page surpris de la résolution subite de son Maître, prend celle d’aller offrir ses services à Magdelaine ; il fait réflexion que cette condition est fort avantageuse, parce quelle ne songe qu’à se réjouir parmi les danses et la bonne chère, en son Château de Magdalon.

« Icy s’en va Brunamont rendre à la Magdelaine. »

 

 

XXIX. La Décollation de S. Jean

 

Hérode qui se prépare à célébrer à avec Naissance, fait publier par Grongnart que le lendemain il va tenir ses grands jours ; et qu’il y invite tous les Seigneurs de sa Cour qui voudront s’y trouver. Grongnart, après avoir obéi à cet ordre, paraît être content de lui même, ce qu’il témoigne assez par ces paroles :

Pour parler pareil à pareil,
Il n’est pas homme plus propice,
Que moy, pour bien faire ung office
Haulte ou balle quand je m’y rolle.
Et aller querir mon salaire.

Hérodias vient trouver Hérode, à qui elle conseille de se défaire de S. Jean, qui ne cesse, ajoute-t-elle, de leur reprocher leur hymen. Le Roi lui répond qu’il craint la fureur du peuple. Sur ces entrefaites Grongnart vient annoncer que les tables sont servies. 

« Icy se lavent le Roi et la Royne à part. »

GRONGNART.

Seigneurs, la viande se gaste ;

Que or eusse-je le meilleur plat
Je tronçonneroye tel esclat
Qu’il y parestroit au retour

« Icy se assiet le Roi et la Royne, et la Fille : Icy le assient Rodigon, Jayrus, Nycodesme, Pharès et Abiron, et en une autre table, et sonnent les Ménestriers. »

ANDALUS, Maistre d’Hostel.

Seigneur, la viande se empire,
Vous vous y prénez laschement.

Alors tous les assistants commencent à manger. Vers la fin du repas, Hérodias commande à Florence sa fille, de danser, ajoutant que le Roi lui accordera un don : à l’instant la fille obéit.

« Icy commence à danser et sonne le Tabourin une entrée de Morisque, puis cesse ung petit, et la fille danse tousiours, cependant que les Seigneurs parlent : puis commence le Tabourin d’ung cordeon. »

ABIRON.

Hardiment gente Damoyselle,
Nayez point de vergogne honte.

La danse finie, le Roi jure à Florence de lui accorder tel don qu’elle voudra demander. Florence s’a dresse aussitôt à la Reine, qui lui dit de demander la Tête de S. Jean Baptiste. Elle lui obéit ; mais comme Hérode a quelque peine à y consentir ; Hérodias lui représente qu’un si vil objet ne mérite pas qu’il ait à se reprocher d’avoir rompu son serment : Grongnart se présente sans peine pour exécuter cet ordre ; car, dit-il,

Si sa sentence n’est escripte,
Il n’en fault jà tant discuter,
Je l’yrai bien exécuter
Sans autre forme de procès :
Et s’il appelle de l’excès
Je relevera son appeau
Si sanglantement sur la peau,
Qu’il n’en fera jamais de noise.

Hérode lui donne cette commission : et « icy vont Grongnart, et Florence à l’uis de la Chartre pour decoller S. Jehan. » On notera encore en passant que Maître Grongnart fait toujours le mauvais bouffon.

GRONGNART.

Cà, Maistre, ça faillés dehors ;
Vecy vostre derrenier mès,
Dont vous ferez servy jamais :
Baissez-vous, vous estes trop hault.

S. Jean ne répond à ce discours, que pour demander la permission de pouvoir faire une courte Oraison.

GRONGNART.

Fais-le donc court, qu’il ne se crote,
Je ne veuil plus attendre à l’uis.

S. Jean ayant achevé sa prière, Florence dit,

  Grongnart, fait ton office, etc.

Grongnart lui conseille de se retirer un peu, de crainte, lui dit-il que la vue du sang ne lui fasse quelque peine. Ensuite s’adressant à Saint Jean, en lui coupant la Tête, il lui dit :

Or tien, ton procès est complet,
Prens ce cop si feras de feste.

FLORENCE.

Grongnart, délivre moy la teste,
Car je ne l’ose receuillir.

« Icy prent Grongnart la Teste, et la met dedans le plat. »

GRONGNART.

Or tenez, portés-là bouillir,
Rostir, on faire des pastés.

La fille apporte le plat, et le pose sur la table des Conviés, devant Hérodias, qui comme une furie se jette dessus et « frape d’ung cousteau sur le chef de S. Jehan, et le sang en sort. »

Pendant ce temps-là, Dieu le Père déclare que l’Âme de S. Jean-Baptiste va descendre aux Limbes, pour annoncer aux Justes leur prochaine Rédemption. Les Anges chantent dans le Ciel les louanges de ce grand Prophète. « Silete en Paradis. » 

« Le festin fini ils se lievent, et puis le départent chacun en son lieu, et Nycodesme et Jayrus vont ensemble, » en s’entretenant de la cruelle mort de S. Jean, dont ils paraissent très affligés. Jayrus dit à son Compagnon,

Ô le fol disner dont on disne,
Quant en disnant on se repaist
De pasture qui tant desplaist,
Et est si de plaisant à veoir.

 

 

XXX. Les Limbes

 

« L’Esprit de S. Jehan ès Limbes » console à son arrivée les âmes des Patriarches, et des autres fidèles, à qui il annonce la venue du Messie.

« Icy chantent ès Limbes ung Silete.

 

 

XXXI. Enfer

 

Lucifer qui entend les cris de joie est arrivé de nouveau. Bérith lui apprend que c’est l’Âme de S. Jean qui vient de descendre aux Limbes. Lucifer se désespère, et ne reçoit de consolation, que sur la promesse que lui fait Astaroth, de faire tomber aux Enfers une infinité d’âmes, pour le dédommager de celle de S. Jean qui est bienheureuse.

 

 

XXXII. Enterrement de S. Jean

 

Abias, Sophonias et Manassès Disciples de S. Jean, et dont on a parlé ci-dessus en plusieurs en droits, ayant appris la mort de leur Maître, en vont chercher le corps, et l’ensevelissent, en chantant les louanges. 

 

« Fin de la première Journée. 

 

 

Seconde Journée du Mystère de la Passion

 

PERSONNAGES

 

DIEU LE PÈRE

JÉSUS-CHRIST

LA SAINTE VIERGE MARIE

S. PIERRE                    }
S. ANDRÉ                     }       
S. JACQUES dit Major  }     
S. JEHAN                      }       
S. PHILIPPE                  }                  
S. BARTHÉLEMY          } Apôtres
S. THOMAS                   }     
S. SYMON                     }      
S. JUDE                         }       
S. MATHIEU                   }                
S. JACQUES, dis Minor }    
JUDAS                                  

MOYSE

HÉLYE

LAZARE

SAINTCE MARTHE 

SAINCTE MAGDALEINE

PÉRUSINE } Demoiselles de la Magdeleine
PASIPHÉE }  

BRUNAMONT, Page de la Magdeleine

CAYPHE

ANNE

JÉROBOAM    }    
MARDOCHÉE }
NAASON         }  Pharisiens        
JOATHAN       }
ELIACHIN       }        
BANANIAS     }

JACOB     }     
ISACHAR } Scribes
NATHAN  }  
NACHOR }   

NICODESME, Docteur de la Loi

JAYRUS, Archisynagogue.

SYMON LÉPREUX

PILATE, Gouverneur de Judée

BARRAQUIN, confident de Pilate

BRAYART          }
DRILLART,         } Tyrans, Satellites de Pilate
CLAQUEDENT  }     
GRIFFON          }      

HÉRODE, Tétrarque de Galilée

RODIGON, Seigneur de la Cour d’Hérode

ANDALUS, Maître d’Hôtel d’Hérode

GRONGNART, Domestique d’Hérode

LA CHANANÉE SIROPHÉNISSE

LA FILLE de la Chananée

LA CHAMBERIÈRE de la Chananée

TUBAL, Paralytique

JÉSABEL, femme adultère

LA FEMME COURBÉE depuis 18 ans

THIMÉE, père de Barthimée

LA MÈRE de Barthimée

BARTHIMÉE, Aveugle né

UN SOURD et MUET possédé du Diable

LACÉDON } Juifs ayant soin de ce Sourd.
CÉPHAS    }   

ABACUTH }  Samaritains convertis à Jésus
GÉDÉON   }  

ABIAS            }                                  
SOPHONIAS  } Disciples de Saint Jean Baptiste qui suivent Jésus
MANASSÈS   }          

BENJAMIN, jeune enfant, fils de Manassès

CÉLIUS  } Serviteurs de Jayrus
MOAB    }        

SALMANAZAR }    
PHARÈS           }       
ABIRON            } Juifs
NEMBROTH     }                  
CÉLIUS            }         

MALBRUN } Habitants de Naïm, qui suivent Jésus
NEPTALIN } 

EMÉLIUS,  Oiseleur

CELCIDON, Marchand d’Agneaux

RABANUS, Changeur

Ie JUIF  }                    
II. JUIF  } Sacrifiants en Galilée, et tués par les Tyrans de Pilate
III. JUIF }
IV. JUIF }

MALCHUS } 
BRUYANT  } Tyrans ou Satellites de Cayphe
DRAGON   }

ROULLART  }
DENTART    } Tyrans ou Satellites d’Anne
GADIFFER  }  

MAUCOURANT, Messager de Cayphe

BRAYAULT, Geôlier

BARRABAS, Meurtrier

GESTAS, Mauvais Larron

DISMAS, Bon Larron

TROUPE DE JUIFS suivant les Prédications de Jésus

LUCIFER, Roi des Enfers

SATHAN        }
BELZEBUTH }  Diables
BÉRITH         }
ASTAROTH   }

CERBÉRUS

 

« Cy commence la seconde Journée du Mystère de la Passion Jesucrist. Et commencent les Apostres, faisans une récapitulation des fais de Jésus traictés en la Première Journée. Neantmoins la fille de la Cananée pourra commencer la Journée, en parlant comme une démoniacle, jusques ad ce que bonne silence fust faicte[94]. »

 

 

Prologue

 

Saint Pierre, S. André, S. Jacques Major, S. Mathieu, S. Barthelemi et les autres vêtus de leurs habits d’Apôtres, apprennent à Jésus la sanglante fin de Saint Jean-Baptiste.

 

 

I. De la Chananée et de sa Fille

 

« Icy cheminent Jésus et ses Apostres, et commence le Mistere de la Chananée, et de sa fille Démoniacle. »

LA FILLE DE LA CHANANÉE

Je voy tous les Dyables en l’air,
Plus espès que troupeaux de mouches,
Qui vont faire leurs escarmouches
Avec un tas de sorcières ;
Et ont pleines leurs gibecières
De gros tysons, et de charbons,
Pour faire rostir les jambons
À ung tas de larrons pendus,
Qui se font n’agueres rendus, etc.

Ceci n’est qu’un échantillon des discours de cette possédée, qui dit et fait ensuite mille extravagances, toujours sur le même ton ; et encore plus fortes, dont on ne veut point profaner ce sujet. Les Auteurs de ce Mystère, ayant mis dans la bouche de cette fille tout ce que le menu peuple pense touchant les discours qu’il attribue à ces sortes de gens. « La Chamberiere témoigne son affliction, aussi bien que la » Chananée Sirophenisse. Cette dernière voyant passer Jésus, veut implorer son assistance : Judas la repousse ; mais comme nonobstant ces difficultés, elle trouve le moyen de s’approcher davantage, S. Jude demande à Jésus la guérison de cette fille. Notre-Seigneur lui répond qu’il n’est venu que pour les Brebis d’Israël, et qu’il ne fallait pas donner aux chiens, le pain destiné aux enfants. Sire, réplique la Chananée, qui a entendu ce discours, puisque vous voulez me comparer aux Chiens, vous savez qu’ils ont les miettes de la Table de leur Maître,

Ainsi si vous plaist m’eslargieres
Au moins une poure miette.

JÉSUS.

Ô femme ta foy est moult grande,
Va t’en, soit fait comme tu veulx.

« Icy[95] sort une fumé et ung canon de dessoubz la fille, et Astaroth sort de la fille » en pestant et en jurant.

LA FILLE.

Ô Dieu d’Israël très begnin
Grace te rent de ce grant don
Quant de mes maux me fais pardon
Et que par puissance a mis lors
Le Dyable, et mis hors de mon corps,
Qui si long-temps m’a fait vergongne.

« La Chamberiere » qui ne sait à qui attribuer une guérison si subite, et miraculeuse, en paraît fort étonnée ; aussi bien que la Chananée, qui en entrant chez elle, l’apprend de sa fille même : elle l’instruit de son côte à qui ils en ont obligation : et tous ensemble rendent grâces à Dieu, et à son Saint Messie.

 

 

II. Enfer

 

Pendant que ceci se passe sur la terre, Astaroth, qui comme nous le venons de voir, vient d’être chassé honteusement du corps de la Fille, revient aux Enfers, où il apprend à Lucifer, le grand nombre de miracles que Jésus opère tous les jours et dont il vient lui-même d’être le témoin ; Lucifer forcené de rage à cette nouvelle, pour punir ce Démon de s’être laissé vaincre, le livre aux fureurs de Belzebut et de Sathan, qui prennent ici leur revanche, et restituent à Astaroth ce qu’il leur a prêté dans la première Journée de cet Ouvrage, au sixième Mystère.

Après ce miracle, Jésus retourne à Jérusalem.

 

 

III. De la Mondanité de Magdelaine

 

« Cy après commence la Mondanité de la Magdalaine : et est à notter qu’elle pourra chanter de choses faictes à plaisance, ce qui s’ensuit, et après le pourra dire sans chanter. »

La Magdelaine paraît à sa toilette, assistée de ses deux Demoiselles, Pérusine, et Pasiphée : elle ne cesse de se louer elle-même sur tous les dons qu’elle a reçus de la nature, sur les richesses qu’elle possède, et sur la vie gracieuse qu’elle mène : ses Demoiselles lui applaudissent en tout, et l’entretiennent dans cette pensée. Elle de son côté semble vouloir continuer comme elle a commencé.

MAGDALAINE.

Je vueil estre tousiours jolye,
Maintenir estat hault et fier,
Avoit train, suyvir compagnie
Encore buy meilleur que byer.
Je ne quiers que magnifier
Ma pompe mondaine, et ma gloire.
Tant me vueil au monde fier
Qu’il en soit à jamais mémoire.
J’ay mon Chasteau de Magdalon,
Dont on m’appelle Magdalaine,
Où le plus souvent nous allon
Gaudir en toute joye mondaine.
Et vueil estre de tous biens plaine,
Tant que au monde n’ait la pareille
Et passer en plaisance humaine
Tout autre qu’à moy s’appareille[96].

 « Magdalaine quiert tous les sept péchez mortelz, et premièrement.

ORGUEIL.

Je suis en Orgueil si haultaine.

ENVYE.

Que je ne vueil point qu’on me passe.

LUXURE.

Et suis si charnelle, et si vaine.

PARESSE.

Qu’en Oysiveté le temps passe.

IRE.

D’autre part je tence et menace.

GLOTONNIE.

Après que en viandes habonde.

AVARICE.

Et si m’esiouys quant j’amasse
Les grandes richesses du Monde.

Après un semblable aveu, Magdelaine emploie ce correctif.

Si à tous delictz je me donne,
Mon honneur pourtant n’abandonne,
Ne l’ordonne
A honte, ou à reproche vil ;
Ce que maintenant j’arraisonne
Soit entendu selon qu’il sonne
À part bonne,
Car mon souhait n’est que civil.

 

 

IV. Le Misère du Paralytique

 

« Icy commence le Mistere du Paralitique, lequel est couché en son grabaton, près la Piscine. »

Le Paralytique, nommé Tubal, est couché près de la Piscine, et se plaint de la misère où son mal, qui dure depuis trente-huit ans l’a réduit. Jésus s’approche de lui, et après l’avoir guéri, il lui défend d’en rien dire à personne, ensuite de quoi il lui ordonne d’emporter son lit, et de s’en aller. Jésus se retire. Tubal est si disposé à obéir à l’ordre qu’on vient de lui prescrire, qu’il n’a pas plutôt rendu grâces à Dieu, et ensuite chargé son lit sur ses épaules, qu’il s’en va en disant,

TUBAL.

Je suis chargé vaille que vaille,
À tout ma couche m’en iray
Le plus doulcement que pourray
Cheminant petit à petit :
Et si ay très bon appétit
De dire le cas à plusieurs.

Isachar, Jacob et Nachor Scribes, veulent empêcher Tubal d’emporter son lit, attendu, disent-ils, que c’est un jour de Sabbat. Comme Tubal refuse de leur obéir ils l’accablent de malédictions : Enfin faisant réflexion, qu’une telle licence peut préjudicier à la Loi de Moïse, ils prennent la résolution de questionner Tubal. Ce dernier trouve Jésus dans le Temple, et l’ayant reconnu pour son bienfaiteur, il croit ne pouvoir faire un plus grand dépit aux Juifs que de leur nommer celui à qui il est redevable de la guérison. Sur cela les Juifs prennent le parti d’aller écouter les Sermons de Jésus, dans le dessein de le surprendre par ses propres discours. 

« Icy vont les Scribes au Sermon de Jésus a et va Tubal au Sermon, auquel seront les Scribes et tous les Juifz, fors les Pharisées. »

 

 

V. Sermon de Jésus

 

Jésus fait un Sermon sur les récompenses que Dieu promet à ceux qui posséderont les vertus dont S. Mathieu fait mention au V. Chapitre de son Évangile ; et sur les malédictions que Dieu répandra un jour sur ceux qui auront les vices contraires.

Voici en deux mots l’arrangement de ce Sermon. Jésus dit en vers latins de la même mesure que les Français, une des Béatitudes, et ensuite la paraphrase en un huitain Français : Le Sermon fini, les Scribes veulent l’interroger au sujet de la guérison de Tubal ; et se voyant confondus, ils se retirent, méditant une conspiration contre lui.

 

 

VI. De Simon Lépreux

 

Simon le Lépreux déplore sa triste situation, et se plaint de la maladie infecte dont il est affligé. Jésus passant près de sa maison, S. Simon Apôtre touché de la misère d’un homme qui portait un nom pareil au sien, prie Jésus de le soulager. Jésus le guérit, et lui ordonne de s’aller montrer aux Prêtres de la Loi. Simon le remercie de tout son cœur, et se prépare à lui obéir.

 

 

VII. La Transfiguration

 

Jésus prend avec lui Pierre, Jean et Jacques, et après avoir ordonné aux autres Apôtres de l’attendre, il monte avec ces trois le Mont Thabor. Les Apôtres ont bien de la peine à le suivre.

SAINCT PIERRE.

C’est peine de monter si hault
À gens deschaussés comme nous.

SAINCT JACQUES MAJOR.

À peine que le cueur ne me fault,
Et que je ne tombe dessoubz.

SAINCT PIERRE.

Je suis hors d’aleine et de poulz
De monter si très grosse masse.

Après ces discours, et autres pareils, Jésus et ses trois Apôtres par viennent enfin au haut de la Montagne.

« Icy entre Jésus dedans la Montaigne pour soy vestir d’une robe la plus blanche que faire se pourra ; et une face et les mains toute d’or bruny ; et ung grantsoleil à rays bruny par derrière. Puis sera levé hault en l’air par ung subtil contre-poys. Et tantôt après sortiront de la dicte Montaigne Hélye en habit de Carme, et ung chapeau de Prophète[97] à la teste.Et Moyse d’autre costé qui tiendra les Tables en sa main. Et cependant parlera la Magdalaine. »

Pendant que ceci se passe d’un côté, de l’autre paraît la Magdelaine qui s’entretient avec ses deux Demoiselles, et qui leur demande des « chansons nouvelles pour mener joyeuse vie. » Elles se mettent à chanter, et un Seigneur de la Cour d’Hérode, appelé Rodigon, s’étant trouvé à la toilette de la Magdelaine, apparemment en qualité de soupirant ; se mêle de la partie, et chante aussi sa chanson.

« Icy sort Jésus de la Montaigne, ainsy transfiguré, comme dit est, Hélye à destre, Moyse à sénestre, et se mettent les trois Apostres en grande admiration. »

Les Apôtres étonnés de cette merveille, s’interrogent les uns les autres : pendant que Jésus parle avec Hélye et Moyse des maux qu’il doit souffrir à Jérusalem.

SAINCT PIERRE.

Sire, ce lieu cy nous plaist tant
Que jamais n’en vouldron partir ;
Et pour ce vueilles consentir
Que jamais d’icy ne partons.
Trois Tabernacles y ferons,
L’un pour toy, l’autre pour Moyse,
L’autre pour Hélye : Advise
S’il est bon de cy nous tenir.

 « Icy descend une clere nue sur Jésus. »

« Icy parle Dieu le Père en troys voix, ainsy comme il fist au baptesme de Jésus[98]. »

Après quoi « Jésus descend dedans la Montaigne, pour retourner en ses premiers habillements. »

Les trois Apôtres qui ont accompagné Jésus, tombent à terre entendant la voix de Dieu le Père. Pendant ce temps là, les neuf autres qui sont restés au pied de la montagne, ne sachant ce que leur Maître est devenu, sont dans une grande impatience de son retour

« Icy sort Jésus de la montaigne en ses premiers habillements, et parle aux trois Apostres », qui sont fort surpris de ne plus voir Moïse et Hélie. Jésus leur ordonne de descendre avec lui.

JÉSUS.

Or sus, dévalons la Montaigne,
Qui est bien pénible et bien grande.

SAINT PIERRE.

Dévallon donc.

Enfin Jésus leur défend de parler à qui que ce soit de cette vision.

 

 

VIII. Assemblée des Juifs

 

Douze Juifs nommés Abacuth, Moab, Célius, Tubal, Gédéon, Salmanazar, Pharès, Néptalin, Abyas, Manassès, Célius et Nembroth, s’étant assemblés pour décider ce qu’ils vont faire, et sur ce qu’ils doivent croire des miracles de Jésus, dont le bruit et la renommée augmente tous les jours, s’entretiennent en semble, et enfin convaincus par ses prodiges, ils prennent la résolution de le suivre.

« Icy vont les douze Juifz après Jésus, et tous les autres Juifz hommes et femmes y vont après, sors les Princes et Scribes. »

 

 

IX. La Mondanité de la Magdelaine

 

Nous avons vu ci-devant, que pendant que figure nouvelle sur le Mont Thabor, la Magdelaine paraît dans un autre coin du Théâtre avec ses deux Demoiselles et Rodigon. Elle est occupée à sa toilette, où elle se lave, et farde le visage, elle se regarde dans son miroir, et consulte ses Suivantes, sur son ajustement. La toilette finie, elle fait répandre sur le plancher des fioles d’eau rose. Ensuite pour le désennuyer, elle propose à ce Seigneur un dialogue en forme de Balade : Il roule sur la galanterie, Magdelaine interroge, et Rodigon répond. Enfin ce jeune homme prend congé d’elle, et comme c’est un Seigneur fort poli, il ne manque pas de dire adieu aux deux Demoiselles.

« Rodigon en prenant congé, pourra baiser Magdalaine et ses Demoiselles ; et après commence le miracle de la multiplication des cinq pains et deux poissons. »  

 

 

X. Le Miracle de la Multiplication des cinq Pains et deux Poisons

 

« Icy se assiet tout le Peuple au-Sermon. » E

Jésus avant de le commencer, exhorte tout le Peuple à la prière.

JÉSUS.

Affin que puissez plaire
À Dieu, et sa grâce impétrer,
Dictez tous Pater noster

« Icy se agenouille tout le peuple. »

La prière finie, Jésus propose la Parabole du Semeur ; et comme ses Apôtres lui avouent qu’ils n’entendent rien à ces paroles mystérieuses, il les leur explique. Ensuite faisant réflexion qu’il ya trois jours que le peuple le suit, sans prendre aucune nourriture, il demande à S. Philippe comment on peut faire pour rassasier cette multitude. Seigneur, répond S. Jacques minor, cela n’est pas aisé, car ils sont plus de cinq mille sans comprendre les femmes et les enfants. S. André dit qu’il y a un enfant qui porte cinq pains et deux petits poissons, mais, qu’est-ce que cela, ajoute-t-il, pour une si grande quantité de monde ? Jésus lui ordonne de les acheter ; et cet Apôtre pour lui obéir s’a dresse à Benjamin, (c’est le nom de l’enfant) qui lui répond qu’il veut bien les livrer, pourvu qu’on le paye. Combien vous faut-il ? lui demande S. André : Tenez, voici mon père, qui vous le dira, répond Benjamin. Manassès, c’est ainsi que s’appelle le père de l’enfant, n’apprend pas plutôt, que c’est pour Jésus, qu’il oblige l’Apôtre à les prendre, sans vouloir recevoir son argent. S, André revient à Jésus, avec les pains et les deux poissons. 

« Icy présente les pains et les poissons à Jésus. »

« Icy tient Sainct André les pains et les poissons devant Jésus, et il fait la bénédiction. »

JÉSUS.

Benedicite.

TOUS.

Dominus, etc.

Après que Jésus a donné sa bénédiction sur les cinq pains et les deux poissons, il ordonne aux Apôtres d’en distribuer à toute l’assemblée.

« Icy s’asient six des Apôtres et départent le pain par quartiers à grant nombre : et les autres six servent le peuple de pain et de plusieurs platz e poissons. »

« Icy menguent tout le peuple et tous les Apostres jusques à ce que Jésus die que l’on déserve ; et ce pendant y a interlocutoire. »

Ces interlocutoires se passent entre Lazare, Marthe et Magdelaine. D’abord le premier s’entretient avec Marthe de la vie scandaleuse de leur sœur. Marthe prend cette chose si à cœur, qu’elle prend la résolution de l’aller trouver et de lui remontrer vivement l’étendue de ses crimes.

« Icy va Marthe parler à Magdalaine. »

Cette dernière paraît à sa toilette. Comme elle entend que Brunamont parle à quelqu’un à la porte, elle demande qui c’est. Ce Page lui répond que c’est la sœur Marthe qui vient pour la voir. Faites entrer, dit Magdelaine. Ah ! ma chère sœur, ajoute-t-elle, vous arrivez fort à propos, venez voir comme je vais me divertir. Marthe qu’une intention bien différente amène chez elle, lui demande la permission de lui dire un mot : et lorsque tout le monde est retiré, elle lui fait de sanglants reproches sur la conduite.

« Icy se tient Marthe et Magdalaine à part. » 

MARTHE.

Vous vous donnez à tous péchez,
De tous villains fais approchez ;
Et faites tant d’acceuil à tous,
Que nous en formes mal couchez,
Et tous noz parens reprochez,
Seulement pour l’amour de vous.

MAGDALAINE.

Seulement pour l’amour de vous,
Ma sœur, je vouldroye à tous coups
À vostre voulenté complaire :
Ceulx qui parlent de muy sont foulx,
Et quand de parler seront foulx,
Au moins ne pevent-ilz que se taire.

MARTHE.

Velà le point où je me fonde ;
Péché tant dedens vous habonde,
Que la fin en sera maulvaise.

MAGDALAINE.

Bonne ou malle, il faut qu’on responde :
Se par péché suis orde ou monde,
Ne ne chault, mais que soye bien aise.

MARTHE.

Hélas ! ma Sœur, ne vous desplaise,
Péché vous tient à grant malaise,
Pour Dieu retournez à Jésus.
...
Si mal vous vient ?

MAGDALEINE.

Prou vous face ;
Allers allez.

PÉRUSINE.

Quel partemuse ![99]
Voise, ailleurs faire la grimace.

Marthe ainsi congédiée par la Maîtresse et par la suivante, se retire, assez mal satisfaite.

« Icy s’en retourne Marthe en Béthanie. »

D’un autre côté les Juifs remercient Jésus de ses bienfaits, et lui en rendent grâces, Abacuth, Moab, Manassès, Abias, Sophonias, et Tubal, en témoignent leur reconnaissance.

« Icy receuille les douze Apostres la demourant en chacun sa corbeille, et en emplient douze corbeilles et se lievent le Peuple. »

Jésus après avoir donné la bénédiction au peuple, se retire avec ses Apostres.

« Icy s’en va Jésus d’une part, et s tout le peuple de l’autre. »

Pharès, Abiron, Salmanazar, Nembroth, Tubal, Gédéon, Abacuth, Sophonias, Abias, Malbrun, et Neptalin pendant leur chemin, s’entretiennent de ce miracle.

« Icy cheminent tous les Juifz par devant le Chasteau de Magdalaine et y en a troys Juifz qui se arrestent à parler à elle. »

Tubal, Gédéon, et Abacuth, qui sont ces trois Juifs, entrent dans ce Château, et saluent la Magdelaine, à qui ils racontent les miracles que Jésus fait tous les jours, et particulièrement celui des cinq pains, aussi bien que les admirables sermons dont il édifie le peuple. Ce rapport fait naître quelque curiosité dans le cœur de Magdelaine, qui leur fait une infinité de questions sur la personne du Sauveur.

Après quelques autres discours les trois Juifs prennent congé de la Magdelaine.

« Icy se départent les troys Juifz. » 

Magdelaine se trouvant seule, et désoccupée, veut aller au sermon de Jésus. Comme la passion dominante est celle de briller beaucoup, et de plaire à tout le monde, elle ne manque pas de bien consulter Pérusine, et Pasiphée, sur le goût de ses ajustements.

« Icy s’en va au Sermon de Jésus. »

Jésus allant à Jérusalem, demande à saint Pierre ce qu’il pense de lui. Cet Apôtre sans hésiter lui répond que lui et ses compagnons le croient fermement le « Christus. » Alors le Seigneur lui promet les Clefs des Cieux. Ensuite cet Apôtre, à qui cette saveur a donné un peu de présomption, tâche de le dissuader de la mort qu’il veut souffrir. Mais Jésus lui impose silence, et le reprend aigrement par ces paroles.

JÉSUS.

Va derrière moy, Sathanas.
En ceste affaire me es esclande, etc.

 

 

XI. Sermon de Jésus

 

Jésus arrive à Jérusalem ; son premier soin est de monter au Temple, et d’y continuer à prêcher, et convertir les Juifs. 

« Au Sermon de Jésus sont tous les Juifz et les Scribes et Pharisées. Et est la Magdaleine assise sur ung carreau assés loing du Peuple ; et à la fin du Sermon elle fait manière et contenance de plourer. »

Ce Sermon roule sur les crimes et les péchés des hommes, les peines qui sont dues aux pécheurs ; et la redoutable vengeance que Dieu en prendra au jour de son dernier Jugement.

 

 

XII. La Conversion de la Magdelaine

 

Le Sermon achevé, le peuple se retire, et chacun s’en retourne chez soi pénétré d’une sainte frayeur, excepté les Pharisiens qui vont tenir leur Conseil. La Magdelaine n’est pas la dernière à ressentir les effets de cette prédication. Son cœur en est si fort attendri, qu’elle fait une longue complainte, entrecoupée de pleurs et de sanglots, et déplore ses péchés et ses égarements. Elle est accompagnée de ses deux Demoiselles, qui l’imitent aussi fidèlement dans la pénitence, qu’elles l’ont suivie dans ses désordres.

« Icy se lieve tout le peuple, et se départ du Sermon ; et Magdalaine fait sa piteuse complaincte, et les Pharisées vont tenir Conseil. »

 

 

XIII. La Prince des Larrons

 

« Icy est faicte la prinse des trois Larrons ; et porte Dismas une robe sur les épaules, comme s’il l’avait semblée ; et Barrabas ung glaive senglant, comme s’il venoit de faire ung murtre. »

GESTAS mauvais Larron.

Je ne crains ne Dieu, ne le Dyable,
Ne homme tant soit espoventable
Quand je me despite une foys.

BARRABAS.

Je ne fais compte d’estrangler
Ung homme, non plus qu’ung sanglier
De menger le gland par le boys.

DISMAS bon Larron.

Je destrousse par les chemins
Tous bons marchans, et pèlerins,
Quant puis mettre sur eulx la patte.

Avec ces louables intentions, ils continuent leur chemin. Gestas se vante de son habileté à crocheter les portes ; et Barrabas de son intrépidité à commettre un meurtre. Enfin Dismas, qui ne paraît pas le plus brave des trois, leur dit. Messieurs, il nous faut de l’argent. Vous raisonnez fort juste répond Gestas. Pendant qu’ils sont dans cette pensée, et qu’ils rêvent à quelque expédient arrivent, six tyrans ou valets appelés Bruyant, Malchus, Dragon, Roullart, Dentart, et Gadifer, dont les trois premiers sont au service de Cayphe, et les autres à celui d’Anne. Ces gens-ci, qui ne cherchent que les occasions de pouvoir battre et assommer, afin de profiter des dépouilles des malheureux qui leur tombent sous la main, ne sont pas plutôt rencontre des voleurs, qu’ils se jettent dessus, deux à deux : et malgré leur résistance et leurs jurements, ils les font prisonniers. Bruyant ayant saisi Dismas le premier, dit :

Cestuy-cy n’est pas le plus fort,
Je l’estourdis comme ung poulet.

Allons mettre ces gallans pondre
Sur la belle paille jolye.

dit Gadisser en les liant, et les conduisant en prison. Ils appellent plusieurs fois le Geôlier Brayault, mais en vain, car il ne répond point ; à la fin Malchus s’emporte contre lui,

Hault Brayault ; le Dyable l’emporte,
Le paillart nous fait cy le sourt ;
Brayault, Brayault, il est si gourt[100]
Qu’il ne scet de quel pié marcher.

Brayault arrive enfin, en jurant et pestant, aussi bien que les voleurs qu’il fit entrer dans la prison, ce qui termine ce Mystère.

 

 

XIV. Conseil des Juifs

 

« Icy se tient le Conseil des Pharisées, et commence la Conspiration,  et la Mort de Jésus. » 

Les Pharisiens qui ne cherchent que les moyens de perdre Jésus, commencent par mander les Scribes. Lorsqu’ils sont tous rassemblés ; le conseil se trouve très partagé, les uns en faveur de Jésus, et les autres contre Nicodème et Jayrus se retirent. Et le reste de cette assemblée prend la résolution de tenter Jésus : ce qu’ils font dans le Mystère suivant.

 

 

XV. De la Femme adultère

 

Les Pharisiens pour exécuter le dessein qu’ils viennent de projeter, vont à la prison, et ordonnent au Geôlier Brayault de leur amener une femme appelée Jésabel, qui est prête à être condamnée pour crime d’adultère. Brayault leur obéît : et ils emmènent avec eux Jésabel, qui dans le chemin ne cesse de se lamenter, et de pleurer ses péchés. Lorsqu’ils sont arrivés au Temple avec elle, ils cherchent Jésus. Et dès qu’ils l’ont trouvé, Mardochée l’un des Pharisiens prenant la parole, lui demande ce qu’il juge-à-propos que l’on fasse de cette femme. Jésus au lieu de leur répondre se met à écrire sur la terre avec son doigt : enfin voyant qu’on le presse de rendre une réponse, il commande à celui d’entr’eux, qui n’a point transgressé la Loi, de lui jeter la première pierre : et il continue toujours d’écrire. Isachar croyant que Jésus écrit sur la terre ses péchés secrets, se retire du Temple, craignant de se les voir reprocher publiquement. Jéroboam, autre Pharisien, s’enfuit aussi frappé d’une pareille idée : et peu à peu tous les autres Juifs saisis d’un même esprit, s’écartent et sortent du Temple. Enfin Jésus se trouvant seul avec ses Apôtres et Jésabel, lui pardonne ses péchés ; et les Apôtres la délient. 

« Icy s’en vont Jésus et ses Apostres d’une part, et la femme de l’autre. »

 

 

XVI. Le Convi de Simon Le Lépreux, et le Siderese de Magdelaine

 

« Cy après commence le Siderese de Magdaleine. »

Simon le Lépreux qui a obligation de son salut et de sa santé à Jésus, vient le prier de lui faire la grâce de manger chez lui, avec les douze Apôtres. Jésus y consent, et ne manque pas de s’y rendre avec eux.

« Icy se assiet Jésus au meilleu ; S. Pierre à dextre, S. Jehan à Sénestre, et tous les autres après. Et est Symon Lépreux au bout de la Table, et Judas ayde à servir, puis se assiet : et est à noter qu’en l’Ostel de Symon se treuvent Pharès et Abyron. »

Les Pharisiens[101] commencent par prendre place le plutôt qu’ils peuvent ; mais avant toutes choses on dit Benedicite.

« Icy rompt Jésus ung pain, et se assient tous. »

MALBRUN.

Chacun mengusse d’apetit,
Et si de vivres à petit
Si vous efforcées de bien boire
C’est le remède péremptoire
À qui vit de promission.

« Icy est Magdaleine habillée bien richement comme devant, sors que sur sa teste n’a que une guinple bien honneste. »

Magdelaine par un espèce d’aparte déclare aux spectateurs, que pour obtenir la rémission de ses péchés, elle a pris la résolution de venir trouver Jésus, et que sachant, qu’il est à dîner chez Simon, elle l’y a suivie. Étant arrivée à la porte de cette maison, elle se sent fort émue, la honte et le regret combattent dans son âme : mais enfin, faisant un effort sur elle-même, elle s’y introduit sans que personne s’en aperçoive.

« Icy Magdaleine se met soubz la Table par derrière Jésus, et tantôt après se lieve, et jecte l’Eau-Rose sur son chef. »

À peine les Pharisiens qui sont à table s’aperçoivent de son arrivée et de son action, qu’ils en paraissent fort surpris : ils en témoignent même leur indignation.

PHARÈS.

Cette femme
Qui s’est mise cy entre nous.
Sous ceste table, et sçavons tous
Comme elle est partout diffamée ?

ABIRON.

Elle est si très mal renommée
Que c’est grant horreur de son faict,
On la deust renvoyer de faict
Ailleurs faire telle fredaine.

SIMON.

Elle la belle Magdaleine
Qui est si pleine de jeunesse.

PHARÈS.

Ouy, c’est cette pescheresse,
Dont jamais ne fust la pareille.

Comme Simon commence à se scandaliser, aussi bien que les autres Pharisiens, Jésus le fait revenir de son erreur, en lui alléguant la Parabole des deux débiteurs : ensuite s’adressant à la Magdelaine, il lui die que ses péchés lui font pardonnés. Magdelaine le remercie, et lui demande pour seconde grâce, de la venir visiter, aussi-bien que sa sœur Marthe, et son frère « Lazaron. »

« Icy s’en retourne Magdaleine. »

La Magdelaine en s’en retournant, fait durant son chemin la confession des sept péchés capitaux, auxquels elle a été adonnée. Ses deux Demoiselles Pasiphée et Pérusine, suivent son exemple et quittent leur pompe et leur « mondanité. » 

« Icy s’en vont Magdalaine et ses Demoiselles en Béthanie. »

 Après le dîner, Jésus et ses Apôtres sortent de chez Simon, qui le prie de lui faire souvent l’honneur de manger chez lui : il fait ensuite la même prière aux Apôtres, en considération de leur Maître : et ces derniers reçoivent ses offres avec de grands remerciements.

L’Arrivée de la Magdelaine chez son frère et sa sœur, leur cause une surprise mêlée d’étonnement ; ils ne savent à quoi attribuer un si grand changement.

MARTHE.

Bien doint qu’elle viengne pour bien,
Pieçà ne la vis aussi simple ;
Qui lui a baillé ceste guimple
Sur son paliot si terni ?

LAZARE.

J’ay si grant peur de son ennuy
Que de courroux le cueur me font.

Magdelaine à son arrivée dissipe ces frayeurs, en leur apprenant son heureuse conversion, et les obligations qu’elle a au Sauveur.

 

 

XVII. De la dissension de Hérode Pilate

 

Pilate entre sur la scène accompagné de Barraquin, et de ses quatre Satellites. Il demande à ce confident si les Juifs obéissent à l’ordonnance qui leur défend de sacrifier. Oui, Seigneur, répond Barraquin ; mais cet ordre n’est exécuté que dans la Judée : et ces mêmes Juifs passent en Galilée, où ils sacrifient tous les jours impunément, se confiants en la protection d’Hérode. Quoi ! Hérode le souffre ? réplique Pilate : ignore-t-il que ces sacrifices sont autant d’attentats à l’autorité suprême de l’Empereur ? Eh bien ! ajoute-t-il, allez en Galilée, et massacrez tous les Juifs que vous trouverez rebelles à ces ordres. Les Satellites ne laissent pas échapper une si belle occasion de tuer et de piller, et obéissent à Pilate. Pendant ce temps-là, Abias, Sophonias, et Manassès, avec quatre autres Juifs, passent aussi en Galilée, pour y sacrifier en liberté.

« Icy sacrifient des bestes. »

Ces sacrifices sont interrompus par l’arrivée de Griffon et de ses trois autres compagnons, satellites de Pilate, qui sans leur donner le temps de se reconnaître, poignardent inhumainement les quatre Juifs. On ne sait pas trop pourquoi ils épargnent Abias, Sophonias, et Manassès, si ce n’est à cause que l’Auteur a voulu leur sauver la vie, pour les charger du soin d’ensevelir les autres. Ce qu’ils ne manquent pas de faire.

« Icy les entèrent. »

Cette nouvelle n’est pas plutôt parvenue aux oreilles d’Hérode, que regardant cette action comme une entreprise de Pilate sur ses droits, il vomit mille injures contre lui.

HÉRODE.

Je luy monstreray qu’il a tort :
Par mes très haulx et puissans Dieux,
Je le déclaire mon hayneux[102],
Et si le répute inhumain,
...
Fils de la fille d’ung Monnier[103],
Tel est-il, ne le peut nyer, etc.

Andalus, Rodigon, et Grongnart s’exhalent en beaux discours et en rodomontades, pour seconder leur Maître. Mais tout cela est sans effet ; car il n’est plus question de cette dispute, jusqu’au cinquième Mystère de la Quatrième Journée, où on verra que Pilate et Hérode le réconcilient, sans qu’il paraisse que ce dernier ait eu satisfaction de cette insulte.

Abias, Sophonias et Manassès vont trouver Jésus, pour lui apprendre la triste aventure des quatre Juifs, dont nous venons de parler. Pendant ce temps là, se présente une pauvre femme qui est courbée depuis dix-huit ans, qui prie le Seigneur de la guérir, Abias et les deux autres Juifs joignent leurs prières à la sienne.

JÉSUS.

Le mauvais esperit la lya,
En ce point comme elle est lyée ;
Mais par moy sera deslyée,
En mettant la main sur elle. 

« Icy met la main sur elle et se lieve et sort ung canon de terre[104] .»

Cette pauvre femme remercie Jésus de sa bonté.

 

 

XVIII. De l’Aveugle né

 

« Icy commence le miracle de l’Aveugle né, qui est assis près du Temple, et s’arreste Jésus assez loing pour le regarder. »

L’Aveugle né faut des plaintes sur son affreuse situation. Il implore sans cesse la charité des personnes pieuses, et ne paraît pas être fort content des aumônes qu’on lui fait.

L’AVEUGLE NÉ.

Je regarde sur mes drapeaux
Son y a jeté quelque maille :
Ouy, tantost : baille luy baille,
Y n’y a denier ne demy.
Ung poure homme n’a point d’amy, etc.

 « Icy chemine Jésus sans dire mot. »

Notre-Seigneur ordonne à ses Apôtres de faire approcher ce pauvre homme.

« Icy amaine Saint Pierre l’Aveugle devant Jésus, et Jésus prent de la poudre à terre, et la met en sa main, puis crache dedens, et messe avec le doy, puis en met sur les yeulx de l’Aveugle. » Ensuite il ordonne à Barthimée, c’est le nom de cet Aveugle) d’aller laver ses yeux avec de l’eau de la fontaine de Siloé. Barthimée lui obéit, et ayant recouvré la vue, il en rend grâces à Dieu. Tous les Juifs sont surpris d’un étonnement sans pareil, lorsqu’ils s’aperçoivent d’un si grand changement. Les uns l’attribuent au pouvoir de Jésus ; mais les autres le nient, et disent que ce n’est pas-là la même personne qui était aveugle. Cette contestation est portée devant les Pharisiens, à qui Barthimée soutient qu’il est ce même aveugle de naissance, et que Jésus l’a entièrement guéri. La dispute recommence alors. Pour éclaircir ce fait, Jéroboam dépêche Maucourant, avec ordre d’amener le père et la mère de Barthimée, afin qu’ils puissent reconnaître si cet enfant leur appartient. Maucourant exécute cet ordre, mais ce n’est pas sans peine, car ils redoutent la fureur des Juifs. Cette crainte leur fait prendre en chemin le parti de ne rien dire, soit à l’avantage, soit au désavantage du Sauveur. Dès qu’ils sont arrivés, les Pharisiens les interrogent, et leur demandent si c’est là leur fils. Oui, disent-ils, nous le reconnaissons, et nous savons bien aussi qu’il était né aveugle. Les Juifs furieux de cette réponse, s’adressent à Barthimée, et veulent l’obliger à dire que ce n’est pas Jésus qui l’a guéri. Comme cet enfant refuse de se prêter à ce faux témoignage, ils l’accablent de coups et de malédictions, et enfin le chassent du Temple. 

 « Icy s’en va l’Aveugle près de Jésus, et Nicodesme, Jayrus, Pharès, Abiron, Salmanazar et Nembroth se départent du Conseil, et s’en vont Nicodesme et Jayrus ensemble, et les autres quatre d’autre part. »

Pharès, Abiron, Nembroth et Salmanazar se demandent l’un à l’autre qui peut être Jésus ? et par quel pouvoir il fait de si grands prodiges ? Nous ne le savons pas, répondent-ils tous, retournons au Temple, et sachons cela de lui. Ils ne manquent pas de l’y trouver, environné d’une foule de peuple. Là ils l’interrogent, et sous prétexte que le Seigneur se dit Fils de Dieu, ils prennent des pierres pour le lapider. Mais Jésus disparaît à leurs yeux, et va rejoindre ses Apôtres.

« Icy s’en vont Jésus et ses Apostres oultre le Fleuve de Jourdain, et commence le Ressussitement de Lazare. »

 

 

XIX. La Mort du Lazare

 

Lazare se plaint d’un grand mal de cœur. Marthe et Magdelaine lui conseillent de se coucher, en lui disant que le repos pourra dissiper son mal.

« Icy se couche Lazare sur ung beau lit paré, et Marthe est d’ung costé, Magdaleine de l’autre, et luy mettent ung covrechef à la teste. »

Comme Lazare continue à se plaindre d’une grosse fièvre et d’une grande débilité ; Marthe lui offre des conserves et des confitures pour lui relever le cour : ce malade les remercie, et se met à soupirer après l’arrivée de Jésus. Magdelaine pour le satisfaire, ordonne à Brunamont de l’aller prier de venir. Lorsque Brunamont est parti pour exécuter cet ordre, Lazare pousse de grands soupirs de l’absence du Seigneur, et après un nombre infini de plaintes, il expire. Peu de temps après, Brunamont vient rapporter que Jésus lui a ordonné de dire que cette maladie de Lazare n’est pas mortelle, que l’on ne s’inquiète point, et qu’il va arriver au plutôt. Pendant ce temps-là, Sophonias et Abias qui sont autour du lit du malade, s’écrient qu’il vient de rendre l’esprit. Les deux œurs se mettent auss-tôt à pleurer.

MAGDALEINE.

Est-il mort.

MANASSÈS.

Sans plus de remort
Il est trespassé, n’en doubrez.

MARTHE.

Ô grief et dolent de confort !

Est-il mort ?

SOPHONIAS.

Sans plus de remort,
Lever de charongne le mort,
Vostre cueur aultre part bontez.

MAGDALEINE.

Est-il mort ?

ABYAS.

Sans plus de remort :
Il est trespassé n’en doubtez.

Enfin les deux sœurs ne pouvant plus douter d’une si triste vérité, recommencent leurs cris et leurs gémissements. Les autres Juifs, que cette affliction touche moins, songent à enterrer promptement le Lazare, qui commence déjà à sentir mauvais : ce qu’ils exécutent sans perdre de temps. 

« Icy quatre Juifz ensepvelissent Lazare, puis le portent en terre, assez loing de Béthanie, cependent que tous les autres Juifz se assemblent. Et y peut-on porter torches, armairies et autres triumphes, mortuaires ».

 

 

XX. Résurection du Lazare

 

Comme Lazare est un grand Seigneur, sa mort se répand bien vite, par toute la Judée, et surtout dans la Capitale. Jayrus, Simon le lépreux, Moab et Célius l’ayant apprise, vont dès le lendemain en Béthanie pour consoler Magdelaine et sa sœur. Jésus accompagné de ses Apôtres en prend aussi le chemin.

« Icy s’en va une autre compaignie de Juifz en Béthanie veoir Lazare. »

Abiron, Pharès, Nembroth et Salmanazar, que la curiosité y conduit, plutôt que toute autre chose, forment cette troisième troupe.

« Icy s’en vont ces quatre Juifz ensemble en Béthanie, et cependant la quarte compaignie s’assemble pour y aller. »

Cette dernière est composée d’Abacuth, de Gédéon, d’Emélius, de Raba nus et de Celcidon. Ces trois derniers sont les trois marchands que Jésus chassa du Temple, et qui ne sont pas trop bien intentionnés en la faveur. 

« Icy s’en vont ces cinq Juifz en Béthanie ; et cependant Abyas et ses compaignons retournent du tombeau. »

Simon le lépreux, Jayrus et les trois autres Juifs de la première bande, étant arrivés, ces deux-ci s’approchent de Magdelaine et de la sœur, pour les consoler. 

« Icy arrive Jésus assez loing de Marthe et de Magdalaine, et se arreste : et Magdalaine se assiet à terre près du lit : Et est à noter que Nostre-Dame est en Béthanie, comme en oraison à part, et ne se treuve point en tout le mistere de la Résurrection de Lazare, jusqu’au retour de Jésus, quant ilz parlent ensemble. »

Brunamont vient avertir que Jésus arrive. Marthe coure aussitôt au devant ; et comme Jésus lui demande où est Magdelaine, elle revient la chercher. Magdelaine la suit ; et les Juifs croyants qu’elle va au Tombeau pour l’arroser de ses larmes, sortent, afin de calmer son désespoir. Ils la trouvent prosternée aux pieds de Jésus, le priant en faveur de son frère ; ils joignent leurs prières aux siennes, et supplient le Seigneur de vouloir bien les assister : Alors toute l’assemblée se met à pleurer. Jésus qui se sent attendri de leurs larmes, demande à voir le tombeau, et lorsqu’il y est arrivé il ordonne qu’on ôte la pierre qui le couvre. Marthe veut l’en empêcher.

MARTHE.

Ô benoist Sauveur Jésus,
Quatre jours y a maintenant
 Qu’il y est ; il est si puant
Qu’âme ne le pourrait sentir.

Mais Jésus la rassure, et lui dit de ne rien craindre. 

« Icy estoupent tous les Juifz leurs nez, et puis se mettent à lever la pierre. »

ABACUTH prend ung bout.

Que la pierre soit donc ostée,
Messeigneurs, chacun s’y attire[105].

GÉDÉON prend d’ung autre costé.

Et sur l’odeur quatre foys pire
Si lievrons nous ceste tombe.

SOPHONIAS d’autre costé.

Garde bien que sur toy ne combe,
Puis du demourant enqueron[106].

MANASSÈS d’ung bout.

Pensons de l’oster si verron
De Jésus quel vouloir il a.

MOAB d’ung costé.

Sus levez.

ABYAS d’ung bout.

Mès levez de là,
Vous ne faictes que caquetter.

ABACUTH

De force.

GÉDÉON.

  De grant.

MOAB.

  Aussy là.

MANASSÈS.

Sus levez.

SOPHONIAS.

  Mais vous de là.

ABYAS.

Elle branle par ce bout.

ABACUTH.

Ha ! ha !
Il ne tient plus cy, qu’a bouter.

GÉDÉON.

Sus levez.

MOAB.

Mais levez de las
Vous ne faictes pue caquetter.

MANASSÈS.

Chacun ponte ses piedz oster,
Qu’il na prengne un pinson tout vert.

 « Icy mettent la tombe à terre. » 

Jésus se met à genoux, et après avoir fait sa prière, il ordonne au Lazare de sortir du sépulcre. 

« Icy fort Lazare du tombeau envelopé d’ung suaire, les bras liez et tout le corps, et se met à genoulx. »

Le Lazare remercie le Sauveur ; ensuite il est délié. 

« Icy se revest Lazare d’abillemens tous nouveaux bien simples et honnestes, et Brunamont lui aide, et s’en va avec Marthe et Magdaleine : Et Jésus et ses Apostres se retirent vers Nostre-Dame ; et les Juifz s’en retournent après tous ensemble. »

 

 

XXI. Enfer

 

La Résurrection du Lazare occasionne une vive contestation aux Enfers. Cerbérus a bien de la peine à éviter le châtiment, pour avoir laissé échapper son âme. Les Démons entrent dans une si étrange fureur contre de Sauveur, qui leur en ravit tous les jours un si grand nombre, qu’ils se promettent de tout employer contre lui.  Lucifer dépêche tous ses esprits pour une affaire si importante ; et c’est selon toutes les apparences à leur suggestion que se projette la résolution que les Juifs vont prendre aux mystères suivants.

 

 

 

XXII. Conseil des Juifs

 

Les Juifs qui se sont trouvés à la contrent en s’en retournant les autres troupes de Juifs, à qui ils la racontent. Les uns ajoutent foi à ce récit, mais la plupart n’en veulent rien croire : entre ces derniers Abiron, Pharès, Celcidon, Emélius et Salmanazar prennent le parti d’aller faire le rapport de ceci aux Princes de la Loi. 

« Icy vont ces quatre Juifz parler aux Pharisiens et Scribes ; et tous les autres Juifz s’en vont autre part, excepté Jayrus et Nicodesme, qui viennent avec Lazare. »

Les Scribes et les Pharisiens, après avoir remercié ces Juifs de leur avis, vont d’abord annoncer cette nouvelle à Cayphe, qui leur fait beaucoup de politesses, mais comme il ne veut rien résoudre, sans prendre le conseil d’Anne, il envoie Maucourant pour le prier de venir.

« Icy va le Messagier querir Anne, et cependant y a dialogue entre Jésus et Nostre-Dame, qui se tirent eulx deux, à part. »

Le Seigneur s’entretient avec la Sainte Vierge des maux et des tourments qu’il doit souffrir à Jérusalem.

Cependant Maucourant arrive chez Anne, à qui il rend compte du sujet qui le conduit. Anne lui dit qu’il ne manquera pas de se trouver chez Cayphe. En effet, il part tout aussitôt, et va s’y rendre accompagné de ses trois Estafiers, qui restent à la porte. Dès qu’il est entré, on tient conseil pour perdre Jésus : et le résultat est que Cayphe et Anne ordonnent à leurs Satellites de se saisir de sa personne, partout où ils pourront le rencontrer. 

« Icy s’en vont ces six tyrans au Temple pour cuyder prendre Jésus ; et Marthe, Magdalaine et Lazare se tirent à part. »

Lazare qui revient d’un grand voyage, où il a vu une infinité de choses surprenantes, en a la tête si remplie, qu’il lui faudrait un jour pour en donner un détail un peu circonstancié. Magdelaine le prie de vouloir bien lui faire en gros le récit. Son frère pour la satisfaire, commence d’abord par les instruire de « l’Enfer en général. » Ensuite il fait la description du « Limbe des Pères[107], du lieu de Purgatoire, du Limbe des petits Enfants, » et  « du bas Enfer. » Ce dernier lieu lui fournit une ample matière pour exposer à ses Sœurs les tourments affreux, et les douleurs insupportables que souffrent justement les malheureux qui se sont attiré la colère du Ciel. Un rapport si fidèle, et fait par une personne qui a été témoin oculaire de tout ce qu’il dit, jette une extrême frayeur dans leur esprit, et les confirme puissamment dans la résolution qu’elles ont prise de mener une vie mortifiée, et de passer le reste de leurs jours dans une pénitence continuelle.

 

 

XXIII. Du Sourd et Muet possédé du Diable

 

« Icy est ung homme sourt et muet possedé du Dyable. »

Deux Juifs appelles Céphas et Lacédon, amènent sur le Théâtre un homme muet et sourd, qui et par-dessus tout cela est encore possédé d’un esprit malin. Ils ont bien de la peine à le conduire, car ce malade qui paraît assez robuste, et dont le démon augmente encore les forces, leur cause beaucoup d’embarras, et s’agite d’une façon extraordinaire.

LE MUET.

Ah ! beu, beu.

LACÉDON.

Si fort se tempeste
Que c’est une chose admirable :
Il se ront cueur, corps, membres, teste.

LE MUET.

Eh ! beu, beu, beu.

Ces deux Juifs prient le Seigneur de vouloir bien accorder la santé à ce misérable. Jésus le fait, et ordonne à cet homme de ne plus pécher. En suite de quoi il se retire. Les Pharisiens arrivent avec Isachar, Jacob et Nachor, Scribes, et malgré le témoignage de l’homme qui vient d’être guéri, et des deux autres qui l’accompagnent, ils refusent de croire ce miracle.

 

 

XXIV. Murmure de Judas

 

Simon le Lépreux vient prier Jésus de lui faire l’honneur de souper chez lui avec ses Apôtres. Il invite aussi à ce repas Lazare, et les deux sœurs, aussi bien que Jayrus, et Nicodème.

« Icy vont Jésus, Nostre-Dame, Lazare, Marthe, Jayrus, Nicodesme, et les Apostres en l’Ostel de Symon, et Magdaleine demeure derrière. »

Les six Tyrans, que nous avons laissé cherchant Jésus au Temple, se lassants enfin d’attendre, sans l’y voir venir, s’en retournent.

« Icy s’en retournent les six tyrans devers les Princes de la Loy ; et Jésus et sa compagnie arrivent en l’Ostel de Symon en Béthanie près du lieu où estoit Lazare resuscité. »

Avant que de se mettre à table, on dit le Bénédicité, selon que nous l’avons déjà observé plus d’une fois.

« Icy se assiet Jésus au milleu, Nostre-Dame d’ung costé, S. Jehan de l’autre, et puis tous les Apostres. Lazare, Jayrus et Nicodesme se assient. Judas sert, et ne s’assiet point. Marthe et Symon servent, et puis se assient, et Magdaleine n’y est point. »

Magdelaine qui ne se trouve point à ce repas, est occupée d’une pensée bien différente : pour témoigner sa reconnaissance à Jésus, elle prend une boite remplie du parfum le plus exquis, en intention de l’aller trouver chez Simon, et de répandre sur le Seigneur cet aromate précieux.

« Icy s’en va Magdaleine à tout sa boete songneusement au souper de Symon, et cependant arrivent les six tyrans devers les Princes de la Loy. »

Ces tyrans viennent rendre compte de leur commission, et de leur pour fuite infructueuse. Le Conseil ne pouvant se saisir de Jésus, se résout à faire mourir Lazare, dont la Résurrection fait un si grand bruit. 

« Icy se départent tous les Princes de la Loy, et les tyrans s’en vont. »

Pour revenir au repas de Simon, Magdelaine arrive enfin chez lui, et répand sur la teste du Sauveur l’excellent parfum qu’elle vient d’apporter. Son odeur réjouit toute l’assemblée, qui témoigne qu’on n’en peut trouver de plus excellent. Ce pendant quelques-uns des Conviés murmurent de cette prodigalité : et entre ces derniers, Judas ne peut s’empêcher de s’en plaindre hautement.

JUDAS.

J’estime qu’on l’eust bien vendu
La somme de troys cens deniers,
Desquelz, pour le moins, j’en eusse eu
Trente pour ma part des premiers.

Il est à présumer que ces deux derniers vers sont dits tout bas, et il est censé que les autres Personnages ne les entendent pas ; Jésus le reprend fort aigrement ; et ce traître en conçoit un si grand dépit, que dès ce moment il forme le dessein de se dédommager de cette perte aux dépens de son Maître. 

« Icy se lievent tous, et Malbrun dessert, cependant que Jésus et ses Apostres dyent grâces en silence ; puis parle Jésus à Nostre-Dame. Avant que de se retirer ils remercient Simon de la bonne chère ; les Apôtres surtout en sont fort contents, et S. Jude entr’autres n’en peut cacher sa satisfaction.

S. JUDE.

Pour Dieu, ne vous vueille desplaire,
Si souvent céans revenơns.

 

 

XXV. De Jésus sur l’Âne

 

Jésus ordonne à S. Pierre et à S. Jean de lui amener l’Ânesse, et l’Ânon qu’ils trouveront attachés aux murs du Château voisin. Ces deux Apôtres vont aussitôt exécuter ces ordres : ils trouvent l’Ânesse et l’Ânon comme Jésus le leur a dit, et comme ils se mettent en devoir de les détacher, Neptalin s’y oppose. S. Pierre lui dit qu’il ne faut pas s’en prendre à eux, et qu’ils ne font qu’obéir au commandement de Jésus. À ce nom, Neptalin n’insiste plus, et leur répond, qu’ils n’ont qu’à faire ce qu’ils souhaiteront. Alors les deux Apôtres emmènent ces animaux, et les conduisent à leur Maître : ensuite voyants qu’il s’apprête à monter l’Ânesse, ils lui offrent de mettre leurs manteaux dessus.

« Icy monte Jésus sur l’Asnesse, et y a quatre Apostres qui vont devant ; Judas maine l’Asne par le licol, et les autres Apôtres vont après. Et est fin de la seconde Journée. »

« Fin de la Seconde Journée du Mystère de la Passion. »

 

 

Troisième Journée du Mystère de la Passion

 

PERSONNAGES

 

DIEU LE PÈRE

JÉSUS-CHRIST

LA SAINTE VIERGE

SAINCT MICHEL }
GABRIEL             }
RAPHAËL            }
URIEL                  }  Anges
CHÉRUBIN          }
SÉRAPHIN          }

S. PIERRE                    }
S. ANDRÉ                     }
S. JACQUES dit Major  }
S. JEHAN                      }
S. PHILIPPE                  }
S. BARTHÉLEMY          }
S. MATHIEU                  }      Apôtres
S. THOMAS                   }
S. SYMON                     }
S. JUDE                         }
S. JACQUES, dit Minor }
JUDAS                           }

LAZARE

MARTHE

MAGDALEINE

PÉRUSINE } Demoiselles de la Magdelaine
PASIPHÉE }

NICODESME, Docteur de la Loi

JAYRUS, Archisynagogue

 SYMON LÉPREU X, Pharisien, converti

ZACHÉE, autrement nommé LANDULPHE, et disciple occulte de Jésus.

JULLYE, Veuve de Naïm, convertie à Jésus.

VÉRONNE, femme pieuse que Jésus a guérie d’un flux de sang

ABIAS            }                
SOPHONIAS } Disciples de Saint Jean Baptiste qui suivent Jésus
MANASSÈS  }

BENJAMIN, fils de Manassès  }
ELIUD                                      }  Enfants chantants les louanges du Seigneur à son entrée dans Jérusalem
JAPHET                                   }        
ABEL                                       }                  

ABACUTH  } Samaritains convertis
GÉDÉON   }

NEPTALIN  } Habitants de Naïm, convertis
MALBRUN }

CÉLIUS } Domestiques de Jayrus
MOAB   }

TUBAL, autrefois Paralytique, et à présent Domestique de Zachée

CAYPHE

ANNE

JÉROBOAM     ]
MARDOCHÉE  }
NAASON          } Pharisiens
JOATHAN        }
ELIACHIN        }
BANANIAS      )

JACOB      }
ISACHAR  } Scribes
NATHAN   }
NACHOR  }

PHARÈS           }        
ABIRON            } Juifs ennemis de Jésus
SALMANAZAR }
NEMBROTH     }

EMÉLIUS, Oiseleur

RABANUS, Changeur

CELCIDON, Marchand d’Agneaux

HÉDROIT, Servante d’Anne

MAUCOURANT, Messager d’Anne

GRIFFON          }
BRAYART          } Tyrans de Pilate
DRILLART         }
CLAQUEDENT }

ROULLART  }
DENTART    } Tyrans d’Anne
GADIFFER  }

BRUYANT  }
MALCHUS } Tyrans de Cayphe
DRAGON   }

GRONGNART, Domestique d’Hérode

BRAYAULT, Geôlier

UN CHARPENTIER

TROUPE DE JUIFS ET DE JUIVES

LUCIFER, Roi des Enfers.

SATHAN        }
BELZERUTH }
BÉRITH         }  Diables
ASTAROTH   }
CERDÉRUS  }

 

« Cy commence la Tierce Journée du Mistere de la Passion Jésucrist : Et est à entendre que Jésus vient sur l’Asnesse jusqu’au Parc, et se assemblent tous les Juifz en plusieurs bandes pour aller au et devant de luy avec Rameaux vers ; et sus l’entrée du Parc y aura enfans chantans mélodieusement, jusques ad ce que bonne silence soit faicte, en lieu de Prologue. »

 

 

I. L’Entrée de Jérusalem

 

Aussitôt que les fidèles habitants de Jérusalem, apprennent que le Sauveur vient faire son entrée dans cette grande Ville, ils accourent au devant de lui pour le recevoir, et lui rendre tous les honneurs dont ils sont capables : dès la pointe du jour Nicodème, Jayrus, Abacuth, Gédéon, Simon le Lépreux, Malbrun, Neptalin, Célius, Moab, Sophonias, Abias, et une infinité de Juifs de l’un et de l’autre Sexe, témoignent le même empressement ; Manassès vient aussi, conduisant le petit Benjamin, son fils, par la main.

« Icy vont querir Rameaux vers, et Manassès vest une robbe neufve à Benjamin son filz, et luy met ung chapeau à la teste, et après se faict l’assemblée des Femmes. »

Jullye et Véronne, à la tête de quelques autres femmes, ne voulant pas être les dernières à témoigner leur reconnaissance, courent au devant du Sauveur.

« Icy vont les bonnes Dames querir des Rameaux, et se tient autre Conseil des Marchans de la Ville. »

Pendant ce temps-là, Emélius, Rabanus et Celcidon, dont nous avons parlé dans les deux Journées précédentes, sont réveillés en sursaut par le bruit, et les cris des gens qui vont au-devant de Jésus. Ils s’irritent du contretemps, qui interrompt leur sommeil ; mais enfin la curiosité les entraîne, et ils sortent pour voir passer le Seigneur. D’un autre côté un père de famille appelé Zachée[108], demande à son valet Tubal, qui est le même Paralytique du IV. Mystère de la seconde Journée, ce que signifie cette rumeur : Tubal lui apprend que c’est le peuple qui est en mouvement pour l’arrivée de Jésus. Je veux le voir aussi, dit Zachée, allons-y : ensuite ils y vont tous deux. 

« Icy est Jésus sur l’Asne, et y a quatre des Apôtres devant, et huyt après : et sont bien loing de la Cité, et voyent venir ceulx de la Ville tous par ordre, portans rameaux vers. »

Tout le peuple chante les louanges de Jésus : lorsque le peuple a cessé, les Apôtres commencent une hymne, dont chacun d’eux chante une strophe. 

« Icy approchent Nicodesme, Jayrus, Symon, et tous les autres au devant de Jésus, et se tiennent assés loing de luy, puis dyent par ordre chacun sa salutation, et se arrestent tous au-devant de Jésus. »

Les femmes, et les enfants nommés Benjamin, Éliud, Japhet, et Abel, s’approchent du Seigneur, et chantent des Cantiques à la louange, qui finissent par ces mots : Osanna Filio David.

« Icy s’arrestent tous ung peu loing de la Porte de Hierusalem, et chantent leur gloria laus, et est à noter, que il se mettra une grande partie du peuple devant Jésus, et le résidu derrière. »

Pendant que Jésus entre dans Jérusalem, Dieu le Père fait éclater, par un signe l’intérêt qu’il prend à son fils.

« Icy se faict un doulx tonnaire en Paradis de quelque gros tuyau d’Orgue. »

Ce bruit épouvante les Juifs, mais les fidèles se rassurants, redoublent leurs chants, et Jésus le long de son chemin, prophétise les malheurs qui sont prêts à accabler cette malheureuse Ville. 

« Icy se descend Jésus dessus l’Asnesse, et chemine ung petit, et Judas tient l’Asnesse. » Ensuite « ramaine Judas l’Asne et l’Anesse quelque part bien loing. »

Lorsque Jésus est arrivé, son premier soin est d’aller au Temple prêcher au peuple, pour les exciter à un prompt repentir, afin d’éviter les maux qui vont fondre sur eux. Une foule innombrable de Juifs se trouvent à son sermon : et surtout les Pharisiens, et les Scribes, aussi bien que Cayphe et Anne. Jésus leur reproche fortement leur hypocrisie, et leur mauvaise conduite, par laquelle ils entraînent tout le peuple qu’ils séduisent, à une damnation éternelle. Ces orgueilleux Pharisiens sont outrés de rage, et principalement les deux Pontifes ; que les discours de Jésus attaquent encore davantage que les autres, et ils ne peuvent contenir leur fureur.

CAYPHE.

C’est homme-cy presche le diable,
Et congnoist noz cas si exprès
Qu’il nous touche au cueur de si près
Que je ne le puis endurer :
Il me fault de dépit furer
Et crever de rage mortelle.

Les Juifs se retirent, et complotent ensemble comment ils pourront trouver les moyens de perdre Jésus, qui ayant fini sa prédication, dit à ses Apôtres qu’il veut aller en Béthanie. Ceux-ci en sont d’autant plus aises, qu’ils sont fort fatigués et qu’ils ont besoin de manger.

S. PIERRE.

Il est besoing que ainsi soit,
Car depuis que cy arriyasmes
Nous ne beusmes ne ne mangeasmes,
Et est près que Soleil couchant.

« Icy vont Jésus et ses Apostres en Béthanie chez Marthe, et Judas demeure derrière. »

 

II. Le Murmure de Judas

 

Judas qui reste seul fait quelques réflexions sur l’état qu’il a embrassé, en devenant Disciple de Jésus. Comme ce n’est pas les vues de son salut qui le conduisent, et qu’il ne songe qu’à son intérêt temporel, il comprend, que les rapines qu’il exerce ne peuvent pas beaucoup l’enrichir, et qu’il ne saurait amasser de grosses sommes en suivant ce parti : c’est pourquoi il se résout à le quitter au plutôt, e tà travailler sérieusement à la fortune.

 

 

III. De Jésus et de Marthe

 

« Icy est traictée la complainte que fit Marthe à Jésus de la sœur Magdalaine, combien que selon le texte de l’Évangile, ce fut avant, le Dimenche des Rameaux ; et se asserra Jésus, et Marthe servira de boire et de manger. Nostre-Dame et Lazare seront assis à table, mais Magdaleine sera assise à terre près de Jésus : et est à noter, que on ne sert que de poisson et de beure. »

Jésus et ses Apôtres font de grands remerciements à Marthe, pour les peines, et les soins qu’elle prend : elle se plaint à Jésus, de ce qu’étant si occupée, sa sœur Magdelaine reste sans rien faire, et la laisse chargée de tout l’embarras. Jésus la reprend avec douceur, et lui dit que Magdelaine à raison d’en user ainsi : Marthe n’insiste pas davantage.

MARTHE.

Vive donc comme elle vouldra,
Mais te plaise accepter sans vice
Le mien, comme le sien service,
Et supplier[109] mon ignorance.

 

 

IV. Les Complaintes de Notre-Dame

 

« Icy se lievent tous, et dyent grâces : Après grâces dictes, Jésus et Nostre-Dame se tirent eulx deux à pars allez loing. »

Notre-Dame a un long entretien avec  Jésus sur la mort qu’il veut endurer : elle veut l’engager, puisque la chose est en son pouvoir, à diminuer ses souffrances ; mais Jésus qui veut éprouver tous les maux ausquels notre nature est sujette, lui déclare que rien ne peut changer sa résolution. 

« Icy se départent Jésus et Nostre Dame d’ensemble, et vient Jésus aux Apostres. »

 

 

V. Figuier

 

« Icy demeure Nostre-Dame avecques Marthe et Magdaleine, et Jésus et ses Apostres s’en vont en Hierusalem, et en allant va veoir le Figuier plain de feuilles seulement. »

Jésus se sentant pressé de la faim, s’approche de ce figuier, et y ayant cherché du fruit inutilement, il lui donne sa malédiction. 

« Icy s’en vont Jésus et les Apostres, et après qu’ilz sont bien loing l’arbre demeure tout sec. »

Les Scribes et les Pharisiens se rassemblent encore, et prennent la résolution d’aller entendre Jésus pour tâcher de le surprendre en quelque erreur

 

 

VI. Interrogation de Jésus

 

« Icy vont tous au Sermon de Jésus. »

Lorsque Jésus a prêché quelque un discours qui l’importune, lui demande, à dessein de l’embarrasser, par quel pouvoir il fait tous ces miracles. Mais Jésus qui connaît la malignité de cette question, lui dit qu’il le satisfera, lorsqu’il lui aura répondu si la prédication de Jean vient de Dieu, ou des hommes. Le Pontife interdit, demande du temps pour r »pondre, et après qu’il s’est retiré, il va consulter les Docteurs de la Loi. La chose souffre bien des difficultés, car d’un côté s’ils reconnaissent la vocation de S. Jean, ils se condamnent eux-mêmes : s’ils l’a rejettent ils se voient exposés à la haine de tout le peuple, qui a une vénération singulière pour ce grand Prophète. Ainsi, ne sachant quel parti prendre, Eliachim, l’un des Pharisiens, conseille de répondre qu’ils n’en savent rien. Cayphe suit cet avis, mais il est bien étonné, lorsque Jésus lui réplique, que puisqu’il ne donne aucune solution sur la question qu’il vient de proposer, il le croit dispensé de répondre à la sienne. Cayphe, et les Princes de la Loi voyants ensuite que Jésus continue à leur reprocher leurs vices, se retirent, et Jéroboam l’un d’eux, suggère un moyen pour tenter le Seigneur, qui est de lui demander ce que l’on doit faire touchant l’Édit que César vient de faire publier pour les Tributs. Ce Conseil plaît à l’Assemblée, qui dépêche Nathan, Nachor, Joathan, Pharès ; et Abiron pour l’exécuter. Mais bien loin d’y réussir, ils sont contraints de s’en retourner, remplis de confusion. Ensuite Jésus sort du Temple avec ses Apôtres, et prend le chemin de Béthanie : en passant ils voient le Figuier sans aucune verdure, portant les marques de la malédiction du Seigneur.

 

 

VII. Enfer

 

Tant de victoires que Jésus remporte sur les Scribes et les Pharisiens, le nombre de miracles qu’il opère continuellement, jettent l’Enfer dans une consternation extrême. Lucifer s’en prenant à Sathan, qu’il soupçonne de n’avoir pas bien fait son devoir, l’accable d’injures ; et quoiqu’il affirme par serment que ce n’est pas sa faute, ce cruel Monarque l’abandonne aux fureurs de ses compagnons : il ne sort de ce tourment, qu’en promettant d’aller avec deux autres Démons, tenter Judas et les Pharisiens, et les engager à perdre Jésus. Ces trois Esprits sortent des Enfers, pour obéir à cet ordre

 

 

VIII. La Trahison de Judas

 

Sathan, Belzébuth et Bérith, ont trop grand intérêt à exécuter leur commission, pour ne s’en pas acquitter de tout leur pouvoir. D’abord ils s’adressent à Judas, et profitant des coupables intentions de ce scélérat, qui a déjà envie de quitter son maître, ils lui suggèrent le dessein de le trahir, et de se récompenser par ce moyen, du profit qu’il aurait retiré si on lui avait remis l’argent qu’à coûté le parfum répandu par Magdelaine. Ils lui représentent le bonheur dont il jouira en acquérant ces richesses, et en même-temps que l’amitié des Princes de la Loi, (qui ne manqueront pas de lui accorder leur protection,) est préférable à la vie pénible et laborieuse qu’il a mené à la suite de Jésus. Toutes ces promesses ne peuvent que faire un sensible effet sur Judas : l’avarice et l’espoir de se venger, sont deux passions trop fortes pour ne pas entraîner un cœur corrompu comme le sien : il entre dans les sentiments que lui inspirent ces esprits malins, et se détermine aisément à les suivre.

Ces trois Démons satisfaits de cette première démarche, ne tardent pas, pour achever ce qu’ils ont entrepris, d’aller trouver Cayphe et les Pharisiens, qui sont assemblés, et songent aux moyens de perdre Jésus à quel que prix que ce soit, ne pouvant plus soutenir les sanglants reproches dont il les accable : Sathan et ses deux compagnons les fortifient dans cette pensée, et Judas en arrivant les y trouve.

« Icy arrive Judas au Conseil des Juifz, et sans faire pause, vient parler à eulx. »

JUDAS.

Seigneur, je sçai bien que vous dictes,
Il ne fault jà tant sermonner :
Dictes que me voulez donner,
Et je le vous bailleray.

ANNE.

Judas ! Il semble que tu scès le cas.

Tu te fais donc fort, continue-t-il, de nous livrer Jésus ? Qui, je vous le promets, répond Judas : le marché n’est pas longtemps à se conclure. Ils conviennent donc à trente deniers pour livrer Jésus. Mais comme Judas veut être payé par avance, Anne lui jette sa bourse, où est justement cette somme, et que l’Auteur a voulu rendre recommandable par les vers qu’il met dans la bouche d’Anne :

ANNE.

Tien donc, Judas, pran ceste bource :
Velà trente deniers d’argent
Qui ont passé par maint gent,
Dont Joseph fut jadis vendu.

Judas relève cette bourse de terre ; et la met dans sa poche, en réitérant la promesse qu’il vient de faire ; pour vu, ajoute-t-il, que de leur côté, ils aient le soin de se munir d’une bonne troupe de gens armés. On lui dit qu’il n’a que faire de se mettre en peine à ce sujet, et qu’on y pourvoira.

D’un autre côté, Jésus et ses Apôtres quittent Béthanie, après avoir pris congé de Notre-Dame et des autres femmes, qui « se vont mettre comme en oraison » et prennent la route de Jérusalem.

Pour revenir à Sathan, il est bon de remarquer qu’il reste toujours sur la scène, jusqu’à la Mort de Jésus Christ, excepté quelques voyages qu’il fait aux Enfers, pour instruire son Roi du succès de son entreprise. À l’égard de Belzébuth et de Bérith, ils retournent aux Enfers.

 

 

IX. La Cène de Jésus

 

Zachée père de famille, autrement nommé Landulphe, disciple occulte de Jésus, se prépare à faire la Pâque suivant l’usage des Juifs. En même-temps il ordonne à Tubal son valet d’aller chercher de l’eau. Tubal va à la fontaine probatique, et après avoir puisé de l’eau il se ressouvient, qu’étant paralytique depuis trente-huit ans, il avait eu le bonheur de recevoir la guérison auprès de cette même fontaine ; et touché de reconnaissance, il en rend grâce à Dieu, et à son bienfaiteur.

« Icy puise Tubal de l’eau, puis s’en retourne. » 

S. Pierre et S. Jean, à qui Jésus a ordonné de suivre une personne qu’ils verront portant de l’eau, ayant aperçu Tubal avec son Vase, marchent sur les pas, et entrent avec lui dans la maison de Zachée, à qui ils disent que Jésus leur a commandé de lui annoncer de la part, qu’il veut faire ce même soir la Pâque avec lui.

  Luy et ses douze commenssaulx.

Zachée les remercie fort, et leur dit qu’il reçoit cet honneur avec joie. Aussitôt les deux Apôtres se mettent en devoir d’apprêter tout ce qu’il faut pour le repas.

« Icy dressent Sainct Pierre et Sainct Jehan la table et la touaille, et des fouasses dessus, avecques des laictues vertes, en des plats turquins, et abillent l’Aigneau Pascal. » 

Cependant Judas, craignant qu’on ne le soupçonne, vient joindre les autres Disciples ; car, dit-il, si je m’éloigne, on se doutera peut-être de quelque chose, et l’on pourrait bien à la fin découvrir ma trahison : mais voici ce que je vais faire pour empêcher que cela n’arrive.

JUDAS.

Et soubz sainte dévocion
Celer ma traitesse entreprise,
Et pour ce, me fault par saintise
Simuler le doulx, le bigot,
Le bon preud’homme, le dévot,
Que l’on ne se deffie de moy.

Après que S. Pierre et S. Jean ont tout préparé, comme ils ne voient point arriver Jésus, ils commencent à s’impatienter.

SAINCT PIERRE.

Viengne hardiment nostre Maistre
Quant il lui plaira, tout est prest.

SAINCT JEHAN.

Je ne say d’où vient cet arrest
Qu’il n’est venu ?

SAINCT PIERRE.

La place est prinse,
Le vin tiré, la table mise,
L’Aigneau rosty, la saulce faicte,
Il ne fault sinon qu’on se mette
À table, etc.

Enfin Jésus arrive ; et Zachée fait servir promptement. Avant de se mettre à table, on dit « Benedicite. »

« Icy rompt Jésus ung pain par le meilieu ; et est à noter que tous les Apostres, se chaussent de soliers blancs, et se caignent de baudriés, et ont ung bourdon au poing : et sur la table n’y a point de pain, sinon petites fouaces, et des laictues en trois platz, et mangeront hastivement. »

Un peu avant que de manger la Pâques, les Apôtres moralisent sur cette fête mystérieuse, qui leur rappelle la mémoire des bontés que Dieu a eues pour leurs pères, en les retirant de la servitude de l’Égypte.

« Icy menguent Jésus, et tous les Apostres l’Aigneau. »

 

 

X. Assemblée des Tyrans

 

Anne qui a promis à Judas, de rassembler un bon nombre de gens bien armés, envoie son Messager Maucourant, pour en amener le plus qu’il pourra. Pendant que Maucourant va de côté et d’autre pour en trouver, arrivent les six tyrans d’Anne et de Cayphe, cherchant à pouvoir faire quelque capture. Heureusement pour eux le Messager d’Anne les rencontre fort à propos : il leur dit de venir avec lui pour quelque chose de conséquence, les emmène : en chemin il aperçoit Grongnart le serviteur d’Hérode, le Geôlier Brayault, et un Charpentier, qui lui demandent où il va si bien accompagné : et s’il y a quelque chose à gagner ; oui, répond Maucourant, la prise est bonne, et sera bien payée. Nous en sommes, dit Grongnart ; suivez-moi donc, réplique Maucourant.

 

 

XI. La Cène de Jésus

 

« Icy se lieve Jésus de table, et les Apostres demeurent assis. »

Jésus se prépare à faire la Cène.

« Icy se despoille Jésus de sa robe, et demeure en une robe blanche qui est comme une longue jaquette, et ceinct d’ung couvrechef, puis verse de l’eaue dans ung bacin. » 

JÉSUS.

Je vueil en ce bacin verser
De l’Eaue pour vous laver à tous
Les piedz.

SAINCT JACQUES.

Sire, que faictes vous ? etc.

 « Icy se lievent tous les Apostres de la table, et se assient de renc sur une longue selle, et ostent leurs souliers, et se mettront tous en l’ordre qu’ils parlent ci-après. Puis se met Jésus à genoulx devant S. Pierre pour laver les piedz. »

Saint Pierre proteste à Jésus, qu’il ne souffrira pas qu’il lui lave les pieds : le Seigneur lui répond qu’il faut que cela se fasse ainsi, et lui ordonne d’obéir. Saint Pierre reçoit avec humilité l’honneur que Jésus lui fait. Voici l’ordre dans lequel ils sont assis ; S. Pierre, S. André, Judas, S. Jean, S. Jacques Majeur S. Simon, S. Jude, S. Jacques Mineur, S. Matthieu, S. Philippe, S. Barthélemy, S. Thomas. Après que Jésus leur a lavé, et essuyé les pieds, il leur, commande de se lever.

« Icy se lievent tous les Apostres surbout, et Jésus parle à eux. »

Le Sauveur leur ordonne de suivre son exemple, et surtout d’imiter son humilité, et d’en user ainsi les uns envers les autres : ensuite il se dispose à leur donner des marques plus éclatantes de sa bonté.

« Icy fault entendre que les Apostres osteront tout dessus la table, et n’y demourera que la touaille, et puis y mettront ung Calice au millieu des Hosties ; et est à entendre que les Apostres se assieront en l’ordre qui est су déclairée. »

JÉSUS.

S. Jehan,               S. Pierre.               S. André.
S. Jacques Major.                                S. Symon.
S. Matthieu.                                         S. Jude.
S. Philippe.                                          S. Thomas.
S. Jacques Minor. S. Barthélemy. Judas. 

Après quelques instructions, Jésus se lève.

« Icy prend Jésus une Hostie, et la tient à la main gauche, et met la main dextre dessus. »

Jésus donne la sainte Communion à ses Apôtres, qui chacun en particulier lui en témoigne la reconnaissance.

JÉSUS.

Je seray livré ceste nuyt,
Et l’ung de vous qui estes assis
À ceste table, et qui a mis
La main au plat avec moi ;
Me trayra.

S. JACQUES Major.

  Esse point moy ?

S. JEHAN.

  Et moy aussy ?

S. PIERRE.

Ou moy qui suis icy assis ?

S. ANDRÉ.

Esse moy ?

S. SYMON.

  Suis-je point celuy ?

S. JUDE.

Esse point moy ?

S. THOMAS.

  Ou moy aussy ?

JUDAS.

Nunquid ego sum Raby ?
Nesse point moy, Maistre ?

JÉSUS.

  Tu le dis.

S. BARTHÉLEMY.

Esse Moy ?

S. JACQUES Minor.

  Ou moy aussy ?

S. PHILIPPE.

Ou moy qui suis icy assis ?

« Icy s’encline S. Jehan sur la poitrine de Jésus, et Jésus baille ung morceau de pain à Judas. »

JÉSUS.

Judas Scarioth,
Ce que tu fais, fay le plustost,
Car l’heure approche.

JUDAS.

De ta main
Je prendray ce morceau de pain
Et, mascheray ceste bouchée. 

« Icy masche Judas ung morceau de pain, et cependant il se fait une tempeste en Enfer, et vient Sathan le saisir au corps, par derrière, et lui sort ung dyable sainct sur les espaules. »

Judas dit qu’il va à Jérusalem pour quelque affaire importante, et qu’il reviendra bientôt. 

« Icy va Judas en Jhérusalem. »

 

 

XII. De la Trahison de Judas

 

Judas sent quelques remords de conscience, que la coupable action qu’il va commettre lui inspire : Sathan, Belzebuth et Bérith, craignant de perdre en un instant toutes les peines qu’ils ont prises à corrompre son cœur, redoublent leurs efforts, et lui représentent qu’il s’est trop engagé pour pouvoir se dispenser de remplir sa parole, surtout ayant reçu le payement de son salaire : Judas après avoir balancé quelque temps, se raffermit dans le malheureux parti qu’il a embrassé, et veut satisfaire à sa parole quoiqu’il puisse lui coûter.

  Il ne me chault d’estre damné,

dit il en s’en allant.

« Icy s’en va Judas querir la cohorte des Juifz, et Sainct Jehan se lieve de dessus la poitrine de Jésus. »

Le repas fini, Jésus et ses Apôtres après avoir dit grâces, Cantemus, etc. remercient Zachée, et prennent congé de lui.

« Icy s’en va Jésus et ses Apostres. » 

 

 

XIII. La Prinse de Jésus

 

Jésus déclare à ses Apôtres qu’ils vont bientôt l’abandonner ; S. Pierre lui proteste que la mort seule pourra le séparer de lui, tous les Apôtres lui font une pareille protestation. Au bout de quelque temps, Jésus leur dit qu’il veut aller au Jardin d’Olivet, et prenant pour l’accompagner Pierre, Jacques et Jean, il laisse les autres derrière lui.

« Icy cheminent Jésus et ses trois Apostres ung petit loing. »

Le Seigneur dit à ces derniers de le laisser seul, et qu’il veut faire sa prière. 

« Icy chémine Jésus ung peu arrière de ces troys Apostres, et se jette à genoulx le visage contre terre, jusques à ce qu’il face sa première Oraison.

D’un autre côté[110], Cayphe demande si tout le monde est prêt à partir. On lui dit que oui. Cette troupe est composée d’Anne, des six Pharisiens, des quatre Scribes, de Pharès, Nembroth, Salmanazar, Emélius, des six tyrans d’Anne et de Cayphe, des quatre de Pilate, de Grongnart, Brayault et le Charpentier : et enfin de Judas, qui sert de guide. On demande à ce dernier s’il est temps de marcher. Judas répond qu’on n’a qu’à le suivre, et qu’il faut aller au Jardin d’Olivet, où il sait bien que son maître ne manquera pas de se rendre. Comme c’est la nuit et qu’il faut des flambeaux, Grongnart et Malchus courent en demander à Hédroit, la servante d’Anne.

« Icy s’en vont Grongnart et Malchus parler à la vieille Hédroit. »

MALCHUS.

  Hédroit, hault ?

HÉDROIT.

Qui va là ?

MALCHUS.

  Deux motz.

HÉDROIT.

Que diable vous faut-il si tart ?
Qui esse ?

GRONGNART.

Malchus et Grongnart,
Deux des plus grans de vos amis.

HÉDROIT.

Pendu soit qui vous a là mis,
Et qui vous ayme mieulx que moy :
Quelz amys, pour faire ung defroy[111],
Loges telz hostes près de vous ?

GRONGNART.

Mon beau petit musequin doulx
Ouvrez-nous l’huys, ma doulce amye.

Hédroit perdant patience, répond par un torrent d’injures, que nous ne jugeons pas à propos de transcrire ici : Malchus et son camarade après avoir riposté par quelques vives réparties, jugent bien par la réponse d’Hédroit, qu’elle est fort en train de leur dire des injures, et qu’ils passeraient là la nuit avant que de les épuiser, et voyants d’un autre côté que le temps presse, ils prennent le parti de l’a mener par la douceur.

GRONGNART.

Ne faisons plus icy la beste :

Hédroit, ma doulce feur, ma mye,
Entendez à moy je vous prie ? etc.

Ensuite il dit qu’ils viennent chercher des flambeaux, pour éclairer la Troupe qui va se saisir de Jésus. Aussitôt qu’Hédroit apprend que c’est pour Jésus, elle court promptement.

« Icy s’en va Hédroit querir torches, fallos et lanternes. »

Et peu après elle revient avec cet équipage, et s’offre même à les accompagner, et de marcher la première avec son flambeau.

« Icy s’en vont devers les Seigneurs, et aportent grant nombre de torches, fallos et lanternes. »

Lorsqu’ils sont arrivés, Judas les dispose dans l’ordre où ils doivent être. 

« Icy fait mettre Judas les gens d’armes en bataille en deux elles. »

Lorsque les deux Pontifes, les Scribes et les Pharisiens voient tout en état, ils se retirent, ne jugeant pas à propos de se trouver à la prise de Jésus, craignant d’y recevoir quelques coups.

« Icy s’en vont les Scribes et Pharisiens. »

Judas avertit ceux de sa troupe, qu’entre les Apôtres de Jésus il y en a[112] un qui lui ressemble si fort, qu’ils pourraient s’y méprendre, c’est pour quoi ajoute-t-il saisissez celui que je baiserai, et à qui je dirai « Ave Raby, » et vous ne pourrez vous tromper : car ce sera Jésus.

« Icy chéminent tous par ordre, comme secretement à la Ville : à tout la lanterne va devant allez loing, Judas va après, qui a ung baston à son poing, et tous les autres par ordre, et Jésus est seul en oraison. »

« Icy se lieve d’oraison, et vient à ses trois Disciples. »

Il les voit endormis, et leur reproche de s’être laissé abattre par le sommeil, et leur ordonne de craindre les tentations qui les peuvent sur prendre pendant ce temps si favorable aux assauts du Démon.

« Icy s’en retourne Jésus à son lieu faire la seconde oraison. »

Lorsqu’elle est finie, il revient trouver ses Apôtres, et les apercevant dans la même situation, il leur réitère les mêmes conseils. 

« Icy retourne à ses Disciples qui dorment. »

Il leur dit de veiller, parce que le temps ordonné approche, ces Apôtres s’excusent sur le chagrin, et la lassitude qu’ils ont, qui leur cause un si grand assoupissement.

S. PIERRE.

Le dormir si tresfort ine gresve[113],
Que à peine ne puis esveiller.

S. JEHAN.

C’est d’ennuis et de desplaisir
Que ce grant somme nous abat.

Jésus fait sa troisième oraison : et après qu’il a un peu prié, il « sue sang par le visage. » Dieu le Père entend sa voix, mais il dit qu’il est nécessaire que toutes ces choses s’exécutent. Saint Michel, Raphaël, et Uriel, le supplient, de vouloir modérer ces souffrances, et Dieu leur ordonne d’aller consoler son fils.

« Icy descendent les Anges, et viennent devers Jésus. »

Ces trois Anges viennent consoler Jésus, après quoi ils remontent au Ciel.

« Icy s’en retournent les Anges, et Jésus vient à ces troys Disciples. »

Jésus leur ordonne de ne plus dormir, et leur dit qu’il est temps d’aller rejoindre leurs compagnons. Il les ramène avec les autres, et s’étant assis auprès d’eux, au bout de quel temps, il leur dit de se lever, et de le suivre.

« Icy se lievent tous les Apostres, et Jésus chemine devant à l’encontre de Judas, et vient Judas baiser Nostre-Seigneur au Jardin ; et est à noter que toute la cohorte demeure assez loing. »

JUDAS.

Ave Raby :
Maistre, en honneur soyez maintenu.

JÉSUS.

Amice ad quid venisti ?
Amy, à quoy est-tu venu ?
Judas, par ung baiser polu
Tu trahis cy te Fils de l’Homme.

 « Icy approche toute la cohorte près de Jésus. » Qui leur demande ce qu’ils cherchent.

« Icy tumbent tous à terre à revers[114], et Judas aussi pareillement. » 

Jésus leur demande une seconde fois ce qu’ils cherchent, et que si c’est Jésus, c’est à lui-même qu’ils parlent.

« Icy cheent derechief tous comme devant. »

Enfin Notre-Seigneur leur ayant ordonné de se lever, leur déclare que c’est lui qu’ils demandent, et qu’ils peuvent l’emmener, À ces mots tous ces Archers se jettent sur lui ; et s’étant saisis du Maître, ils veulent en faire autant de les Disciples.

BRAYART.

Ne reste plus que de frapper
Sus ces villains ; ilz font tous nostres.

MALCHUS.

Voysent au gibet les Apostres,
Puisque avons empoigné le Maistre.

S. PIERRE.

Si aurez vous pour me connoistre
Ce cop bien assis de ma main. 

« Icy frappe S. Pierre sur la teste de Malchus, et luy abat l’oreille. »

MALCHUS chet à terre.

Je suis blece ; ho ! le hault Dieu !
À malleheure vins en ce lieu,
Car navré me sens à merveille :
Hélas ! on m’a couppé l’oreille,
Hélas ! j’ay l’oreille perdue ;
Las ! on m’a l’oreille abattue.

Jésus ayant pitié du mal de Malchus le guérit ; et fait une réprimande à S. Pierre, en lui disant que ceux qui se serviront de l’épée, en périront.

« Icy s’approche Malchus de Jésus, et Jésus luy garit l’oreille. »

Cet ingrat satellite, au lieu de remercier son bienfaiteur, lui promet de le battre de toutes ses forces. 

« Icy mainent Jésus tout lyé, et Hédroit va la première, et la moitié des Juifz devant Jésus, et l’autre après. »

En conduisant Jésus, ces Archers l’accablent de coups et d’injures.

 

 

XIV. La Fuite des Apostres

 

« Cependant que on maine Jésus chez Anne, les Apostres sont dispars çà et là et font leurs plaintes. »

 La blessure de Malchus, et la hardiesse de saint Pierre ayant ralenti l’ardeur de ces Satellites, donne le temps aux Apôtres de s’enfuir les uns d’un côté, et les autres de l’autre. Cependant S. Jean ne voulant quitter son cher Maître de vue, que le plus tard qu’il pourra, le suit de loin pour voir ce qu’il va devenir : comme il veut s’approcher un peu plus près, les Juifs l’aperçoivent, et courent après lui, mais il s’enfuit de toutes les forces. 

« Icy chemine Sainct Jehan loin après Jésus couvert de son manteau, et puis s’enfuyt. »

GRONGNART.

Prenez, prenez, c’est une espie,
Qui nous poursuit sans dire mot.

 « Icy laisse Sainct Jehan son manteau à Grongnart, et s’enfuyt. »

Les Juifs voyants que leur poursuite est inutile, retournent joindre, leur troupe. 

« Icy mainent Jésus comme devant est dit, et cependant Hédroit va devant garder l’huys de chez Anne, et alumer du feu. »

 

 

XV. De S. Jean et de Notre-Dame

 

Saint Jean ne sachant où se réfugier, après la perte de son Maître, prend le parti d’aller trouver la Vierge Marie. 

« Icy vient Sainct Jehan devers Marie en Béthanie. »

Pendant que Notre-Dame, Magdelaine, et sa sœur Marthe sont inquiètes sur ce qui peut-être arrivé à Jésus, arrive S. Jean, qui leur fait le récit de ce qui s’est passé, sans en rien oublier. Ce discours fait évanouir la Sainte Vierge ; les autres femmes font beaucoup de plaintes, enfin Magdelaine s’apercevant de l’état où est S. Jean, dit à sa sœur qu’il faut y remédier promptement.

MAGDALAINE.

Qu’ung vestement lui soit donné
Ma seur, ne le laissons ainsi
De douleur et de froit transi.

 « Icy apporte Marthe une belle robe blanche de Damas, à Sainct Jehan, et il s’en vest. » 

Notre-Dame revenue de son évanouissement, pousse une infinité de plaintes ; dans sa vive douleur elle s’en prend à tout, elle croit tous les hommes complices du malheur arrivé à son fils ; et fait une « exclamacion contre-elle » même, ensuite « contre les Disciples, » qu’elle accuse d’une lâcheté extrême, d’avoir abandonné leur Maître. « Contre Judas, » ce traître qui l’a livré après tant de bontés qu’il en a reçues : enfin elle engage l’Assemblée[115] dans ses intérêts, par une « Persuasion aux Assistans, » et finit par une « Exclamacion à Jésus. » »

« Icy s’en retourne Sainct Jehan en Hiérusalem, et rencontre Sainct Pierre. » 

Saint Jean se trouvant en état de paraître, propose à S. Pierre, qu’il rencontre, de suivre Jésus, pour être témoins de tout ce qui lui arrivera.

 

 

XVI. En la Maison d’Anne

 

« Icy suyvent Sainct Pierre et Sainct Jehan de loing Jésus, que l’on maine ; et tous les Juifz arrivent à l’Ostel d’Anne. » 

Nous avons dit à la fin du Quatorzième Mystère, que la Servante Hédroit avait pris les devants, et avait eu soin de faire un bon feu. Comme il fait froid, Salmanazar et Nembroth viennent s’y chauffer ; cependant les tyrans d’Hérode et de Pilate, sont très consternés de n’avoir rien pu piller. Ils s’en vont, protestants fort de ne plus se mêler de choses de si peu d’importance. Sur ces entrefaites, S. Jean qui a froid, frappe à la porte d’Anne, et comme il est connu de la Servante (parce qu’autrefois, pendant qu’il faisait son métier de pêcheur, il venait apporter du poisson dans cette maison,) Hédroit veut bien le laisser entrer pour se mettre auprès du feu. Saint Pierre vient se présenter à la porte, mais tant s’en faut que cette Servante lui fasse la même grâce, qu’elle le rebute avec toute la hauteur et la dureté possible. La nécessité où se trouve, cet Apôtre, l’oblige à passer sur toutes ces insolences sans faire semblant de les entendre, et de renouveler ses instances.

SAINCT PIERRE.

Vous plairoit-il point que j’entrasse,
Dame, par votre courtoisie ?

HÉDROIT.

Que vous faut-il ?

S PIERRE.

De vostre grâce,
Vous plairoit-il point que j’entrasse ?
Il fait si froit, je me chauffasse ?

HÉDROIT.

Attendez-là, si vous ennuye.

S. PIERRE.

Vous plairoit-il point que j’entrasse ?
Dame, par vostre courtoisie.

HÉDROIT.

Rien, rien, vous n’y entrerez mie,
Si de vous congnoissance n’ay :
Desquelz estes-vous ?

S. PIERRE.

Je ne say :
En moy n’y a pas grand acquest.

S. JEHAN.

Hélas, Chambrière, s’il vous plaist,
Laissés l’entrer à ma requeste ;
C’est ung vaillant homme et honneste,
Aussy bon que vous veistes huy.

HÉDROIT.

Le congnoissez-vous, Jehan ?

S. JEHAN.

Ouy :
Je vous répons de sa personne.

HÉDROIT.

Pour l’amour de vous je luy donne
Congé d’entrer.

 « Icy entre Sainct Pierre dedans. »

SAINT PIERRE.

Certes, Hédroit,
Oncques mes je n’eus si grant froit,
Je sens mon cueur si refrody,
Qu’à peine sçay-je que je dy ;
Je viens ceans à l’avanture.

 « Icy s’approche Sainct Pierre du feu, et y sont tous les Juifz auprès. »

PHARÈS.

Ce poure a si grant froidure,
Qu’il se met presque jusqu’au feu.

HÉDROIT.

Il m’est advis que je l’ay veu
Aller souvent par la Cité.
Homme, viens ça, dy vérité,
Es tu pas d’avecques celuy
Jésus de Nazareth ?

SAINCT JEHAN.

  Qui luy !

HÉDROIT.

Voire luy, je cuide qu’il est
Des gens de Jésus de Nazareth ;
Des foys luy ay vu plus de dix.

 « Icy la première interrogacion Saint Pierre, et le coq chante assés bas. »

SAINCT PIERRE.

Femmes je ne sçay que tu dis ;
Je ne congneus en ma vie,
Ne ne fus de la compaignie,
Je ne sçay qui est ce Jésus.

D’un autre côté le Pontife Anne ordonne qu’on lui amène Jésus, pour l’interroger.

« Icy vient Anne asseoir en une Chaire parée, et on amène Jésus devant luy tout lyé. »

Anne fait plusieurs questions à Jésus sur sa doctrine, il tâche de le faire couper, et de pouvoir lui imputer quelques erreurs : comme il ne peut venir à bout de ses desseins, il prend le parti de le faire tourmenter ; et ordonne à ses tyrans de le lier à une colonne.

« Icy lyent Jésus au pilier tout vestu. »

Pendant ce temps là S. Pierre est fort embarrassé ; dans la crainte qu’il a que l’on le reconnaisse, il veut se retirer, mais son inquiétude ne sert qu’à le découvrir.

SAINCT PIERRE.

Je trembles de peur,
Et ay au cueur telle frayeur
D’estre congneu tel que je suis
Qu’il me vaut mieulx adviler l’uis[116],
Et m’en sortir dehors.

HÉDROIT.

Il semble
Que c’est homme a telle peur qui tremble,
Jamais ne vys homme si simple,
Et croy de vray qu’il est Disciple
De Jésus.

Oui, assurément il est de ses Disciples, dit Nembroth ; je crois que vous avez raison, répond Hédroit. S. Pierre pour leur ôter cette pensée, leur proteste avec ferment qu’ils se méprennent.

SAINCT PIERRE.

Ce me seroit trop grande injure ;
Par ma conscience te jure,
Et par le Dieu de Paradis,
Je ne suis pas tel que tu dis,
Ne je n’en scay chose quelquonques,
Jésus ne congnois, ne vys oncques,
Puisqu’il en fault jurer si hault.

 « Icy sortent Sainct Pierre et Sainct Jehan dehors, et ne s’eslongnent pas de là, le coq chante. »

Les trois tyrans d’Anne, Roullart, Dentart et Gadiffer, exercent toute leur fureur sur Jésus ; au bout de quelque temps, il prend une curiosité à Anne, qui descend pour voir à quoi ses gens s’occupent.

Il les loue fort et leur permet, pour se délasser, de passer le reste de la nuit à jouer, pendant que de son côté, il va se mettre un peu sur son lit. Le jour venant, les trouve, accablants d’outrages le Sauveur. Et Anne s’étant réveillé, leur ordonne de conduire Jésus à Cayphe. 

« Icy mainent Jésus à Cayphe. » 

 

 

XVII. En la Maison de Cayphe

 

Saint Pierre et S. Jean inquiets du sort de Jésus, le suivent chez Cayphe ; et tout de même que chez Anne, ils vont prendre place auprès du feu, avec les six tyrans de ces deux Pontifes.

« Icy demeure Jésus tout seul devant Cayphe lié des mains et le corps, et se tirent se styrans et Juifz arrière. »

Cayphe interroge Jésus : mais voyant qu’il ne répond point à toutes les demandes qu’il lui fait, il appelle Maucourant, et lui ordonne de publier à haute voix, que si quelqu’un a quelque sujet de plainte contre Jésus, il peut librement s’adresser à lui, et qu’il promet de lui en faire raison. Maucourant sort pour exécuter cet ordre. Pendant ce temps-là, S. Pierre qui est auprès du feu avec les Juifs, souffre une étrange peine, on l’examine beaucoup, on lui demande s’il n’est point un des Disciples de Jésus, et enfin on le reconnaît justement pour celui d’entr’eux qui a coupé l’oreille à Malchus. Cet Apôtre pour démentir toutes ces preuves prend le parti de leur faire croire le contraire à force de serments.

S. PIERRE près du feu.

Je puisse estre excommunie
Anathématisé de Dieu,
Et mourir en se propre lieu,
Maudist avec les maudiz,
Si je sçay que tu dis :
Car par le Dieu vivant lassus,
Je ne sçay, ne congnois Jésus.

GADIFFER.

Croire le fault, en conscience,
Puisqu’il jure, et qu’il se maudit
Si fort. 

« A donc le Coq chante bien hault. » 

« Icy Sainct Pierre se part de la s maison de Cayphe tout seul. »

Pendant que S. Pierre va pleurer son crime, Maucourant publie l’ordre dont il est chargé. Aussitôt accoure un grand nombre de Juifs, les uns pour accuser Jésus de mille crimes imaginaires, et les autres pour le défendre des calomnies des premiers. Dans le nombre de ces derniers se trouvent Zachée, Nicodème, Tubal, Gédéon, Moab, Abacuth, Neptalin et Célius. 

« Icy arrivent tous les Juifz ensemble chez Cayphe. »

Pour être au fait de la forme de cette procédure, il est bon de savoir que voici comment s’en fait l’instruction : D’abord un des Accusateurs se présente, et charge Jésus de quelque crime. Un des Juifs zélateur de la vraie Religion, répond à son accusation, soit en démontrant la fausseté, ou en taxant son adversaire d’une ingratitude extrême, de reprendre Jésus pour des actions qui ne vont qu’au profit de la Nation. À ce fidèle citoyen succède un nouvel accusateur ; et à ce dernier un second défenseur, et ainsi de suite. Voici en deux mots de quoi les Juifs l’accusent. Emélius lui fait un crime d’avoir dit qu’il est né avant Abraham. Salmanazar lui reproche, qu’entre les guérisons, qu’il prétend qu’il a opérées par enchantement, il a rendu la vue à un aveugle né. Rabanus lui impute comme un mépris de la Loi, d’avoir fait des guérisons miraculeuses les jours de Sabbat. Nembroth soutient qu’il s’est dit descendu des Cieux, Abiron s’écrie hautement que c’est un Séducteur, qui veut se faire chef d’une nouvelle secte, et introduire une Religion inconnue à leurs pères. Nembroth revient encore l’accuser de s’être vanté devant tout le peuple, de rebâtir le Temple en trois jours. Et Celcidon lui objecte d’avoir tenu des discours séditieux, attentatoires à l’autorité de l’Empereur, dans le dessein de détourner le peuple de lui payer le tribut ordinaire. Toutes ces calomnies, et ces fausses imputations sont bientôt détruites par les Juifs fidèles : cependant comme Jésus ne répond rien, Cayphe qui ne cherche qu’à le perdre, fait retirer l’assemblée, et veut l’interroger à part, pour tâcher de lui trouver quelque apparence de crime.

« Icy met Jésus tout seul devant Cayphe, et puis se reculent de lui. »

Cayphe le conjure au nom du Très-Haut de lui dire s’il est le Fils de Dieu. Oui, répond Jésus. À ce mot ce Pontife entre dans une fureur qu’il n’est pas possible d’exprimer.

CAYPHE en criant.

Blasphemavit, blasphemavit :
Qu’est-il bésoing d’aller plus loing ?

Que nous faut-il davantage ? ajoute-t-il avec transport, ne venons nous pas d’apprendre de sa propre bouche l’Arrêt de la mort ? Il ne reste plus, pour lui donner une forme juridique, qu’à le faire prononcer par Pilate. Tous les Juifs, à l’exception d’un très petit nombre, applaudissent au sentiment du Pontife ; mais comme il est encore trop matin pour parler à Pilate, Cayphe ordonne à ses valets d’employer ce temps à tourmenter Jésus : les tyrans d’Anne s’offrent à leur tenir compagnie. 

« Icy les six tyrans prennent Jésus, et luy crachent au visage, et Cayphe et tous les Juifz se retirent à part. »

Lorsqu’ils sont las, ils le frappent avec leurs bâtons. 

« Icy le batent de bastons. » 

Au bout de quelque temps, comme ils s’aperçoivent que tous ces tourments l’ont extrêmement défiguré, ils se retirent et laissent Jésus tout seul : j’ai mal au cœur quand je le regarde, dit Roullart. Faisons autre chose dit Dragon, couvrons lui le visage, et en le frappant à grands coups de poing, nous lui dirons de nommer celui qui lui aura donné le coup.

« Icy le bendent et le laissent sur une selle basse. »

Comme Cayphe voit qu’il est à peu près heure de parler à Pilate, il descend, et trouvant ces six bourreaux dans l’occupation que nous venons de dire, il leur dit de cesser, et de conduire Jésus chez ce Gouverneur : où il s’apprête à les suivre, avec sa troupe : ensuite il ordonne à Maucourant d’aller prier Anne de s’y rendre aussi.

« Icy va Maucourant querir Anne et ses gens. »

« Icy s’en vont les tyrans les premiers, qui meinent Jésus lyé : et puis Cayphe vient tout seul, et les Pharisiens, Scribes et Juifz après, chacun en son ordre. »

Maucourant arrive chez Anne. Ce Pontife apprenant le sujet qui l’amène, lui dit qu’il est prêt à aller chez Pilate, et ordonne à ce Messager de le suivre.

« Icy s’en va Anne et Maucourant Messagier à l’Ostel de Pilate, où il trouvera Cayphe et ses Pharisiens et Scribes, qui mainent Jésus. Et est la fin de la Tierce Journée du Mystère de la Passion Jésu-Christ. »

« Fin de la Troisième Journée du Mystère de la Passion. »

 

 

Quatrième Journée du Mystère de la Passion

 

PERSONNAGES

 

DIEU LE PÈRE

JÉSUS-CHRIST

LA SAINTE VIERGE

SAINCT MICHEL }
GABRIEL             }
RAPHAËL            } Anges
URIEL                  }
CHÉRUBIN          }
SÉRAPHIN          }

S. PIERRE                   }
S. ANDRÉ                    }
S. JACQUES dit Major }
S. JEHAN                     }
S. PHILIPPE                 }
S. BARTHÉLEMY         } Apôtres
S. MATHIEU                 }
S. THOMAS                  }
S. SYMON                    }
S. JUDE                        }
S. JACQUES, dit Minor }
JUDAS                          }

MARIE JACOB    } Sœurs de la Vierge
MARIE SALOMÉ }

LAZARE

MAGDALAINE } Sœurs de Lazare
MARTHE         }

PÉRUSINE }     Demoiselles de la Magdelaine
PASIPHÉE  }

NICODESME, Docteur de la Loi.

JOSEPH D’ARIMATHIE, Officier Juif commis par l’Empereur

JAYRUS, Archisynagogue.

SYMON LÉPREUX

JULLYE, Veuve de Naïm, et Marchande de Suaires

VÉRONNE, Juive attachée à la Doc trine de Jésus

BARTHIMÉE aveugle de naissance, guéri par Jésus

LA FEMME COURBÉE

LE DÉMONIACL E

SYMON CYRÉNÉUS, Charpentier

CAYPHE

ANNE

JÉROBOAM    }
MARDOCHÉE }
NAASON         }  Pharisiens
JOATHAN       }
ELIACHIN       }
BANANIAS     }

ЈАСOB      }
ISACHAR  }  Scribes
NATHAN   }
NACHOR  }

PHARÈS           }
ABIRON            }
SALMANAZAR }
NEMEROTH     }  Juifs ennemis de Jésus
CELCIDON       }
RABANUS        }
EMÉLIUS         }

PILATE, Gouverneur de la Judée

PROGILLA, femme de Pilate

BARRAQUIN, Confident de Pilate

GRIFFON         }
BRAYART         } Tyrans de Pilate
DRILLART        }
CLAQUEDENT }

LE CENTURION

RUBION                 }
ASCANIUS             }       Soldats du Centurion
MARCHANTONNE }

LONGIS Soldat Romain

HÉRODE, Tétrarque de Galilée

RODIGON, Seigneur de la Cour d’Hérode

ANDALUS, Maître d’Hôtel d’Hérode

GRONGNART Domestique d’Hérode

DISMAS, bon Larron.

BARRABAS, Meurtrier

GESTAS, mauvais Larron

ROULLART }
DENTART   }  Tyrans d’Anne
GADIFFER }

BRUYANT  }
MALCHUS }    Tyrans de Cayphe
DRAGON   }

HÉDROIT, Servante d’Anne

BRAYAULT, Geôlier

UN CHARPENTIER

TROUPE DE JUIFS, fidèles à Jésus

TROUPE DE JUIFS, ennemis de Jésus

L’ÂME-JÉSUS                   }
ADAM                                }
ÈVE                                   }
MOÏSE                               } Aux Limbes
DAVID                                }
HÉLYE                               }
HIÉRÉMIE                         }
S. JEHAN-BAPTISTE        }
L’ÂME DU BON LARRON }

LUCIFER, Roi des Enfers

SATHAN        }
BELZEBUTH }
BÉRITH         } Diables
ASTAROTH   }
CERBÉRUS  }

DÉSESPÉRANCE

L’ÂME-JUDAS

L’ÂME DU MAUVAIS LARRON

 

« Cy commence la Quatrième Journée du Mystère de la Passion Jésu-Christ. »

« Et est à noter que les tyrans de Anne et de Cayphe mainent Nostre-Seigneur moult rudement, et les Evesques, Pharisées, Scribes,  et autres Juifz le suivent les ungs devant, et les autres après. Et Judas qui les veoit de loing, commence. » 

 

 

I. La Sinderesse de Judas

 

Quoique le Démon se soit emparé pour toujours du cœur de Judas, ce malheureux ne laisse pas de ressentir les reproches de sa conscience, qui lui remet sans cesse devant les yeux le crime affreux qu’il vient de commettre, et dont il voit les tristes effets. Comme il n’y a plus de remède au mal qu’il a fait, il croit soulager la conscience, et diminuer la punition qu’il mérite, en restituant le prix de la trahison, et fort pour exécuter ce dessein.

Pendant ce temps-là S. Jean arrive en Béthanie, et apprend à la sainte Vierge tous les tourments que Jésus vient d’endurer. Notre-Dame ne pouvant plus résister à l’impatience qu’elle a de le voir, part pour l’aller trouver, les trois Maries ne voulant pas la quitter s’offrent à l’y accompagner, et sortent avec elle.

« Icy vient Nostre-Dame vers Jésus, qui est en mains des tyrans, et avecques elle sont Marie Jacob, Marie Salomé, Magdaleine, Pasiphée, Pérusine, Sainct Jehan le Vierge. »

 

 

II. Devant Pilate

 

Cayphe arrive enfin avec sa troupe au Palais de Pilate ; il envoie aussitôt un de ses valets pour savoir si l’on peut parler à ce Gouverneur : Barraquin vient lui dire qu’il n’est pas sûr qu’on puisse le voir de quelque temps, parce qu’il croit que son Maître est encore au lit. Cayphe redouble les instances, et le prie de dire à Pilate que c’est faire de conséquence. Barraquin, importuné des prières de Cayphe, va à la chambre de son Maître, et l’ayant trouvé éveillé, il lui dit que les deux Pontifes et une troupe de Juifs l’attendent pour quelque chose de fort pressé. Pilate lui ordonne de préparer son Prétoire, et qu’en attendant il va s’habiller. Peu de temps après il descend. 

« Icy vient Pilate dedens le Prétoire : et est à noter que il y a au milleu du jeu ung parquet tout clos en carré : et dedens ce parquet il y a une chaire haulte bien parée, et une autre seconde chaire : et en cette seconde chaire se siet Pilate pour faire le procès de Jésus. Et ne se siet point à la haulte chaire, jusques ad ce qu’il donne la Sentence contre Jésus pour le crucifier. »

« Item, est à noter que dedens le Parquet qui est le Prétoire, n’y a que Pilate assis en la seconde chaire, et Jésus devant luy lyé par le corps, et par les bras de cordages, et tous les Juifs sont dehors du Prétoire sa assez loing. »

Pilate assis dans son Tribunal, et ayant à la porte de son Prétoire ses quatre Gardes, et son confident, demande aux deux Pontifes le sujet qui les conduit. Seigneur, lui dit Cayphe, en prenant la parole pour toute l’assemblée, voici un homme chargé de crimes, que nous amenons devant vous ; il mérite la mort, et je vais vous dire en peu de mots les principaux chefs dont il est accusé. En premier lieu, il séduit le peuple, et veut introduire une Religion extraordinaire. Secondement, il prêche sans cesse contre nos cérémonies. Troisièmement, il conseille au peuple de se soustraire de l’obéissance qu’il doit à l’Empereur, et de ne point lui payer le tribut. Et enfin il se dit le Roi des Juifs. Pour vous prouver, que ce n’est ni la haine, ni un esprit de vengeance qui nous force à vous porter nos plaintes ;prenez ce papier, ajoute-t-il, en lui remettant les dépositions des Juifs qui ont témoigné contre Jésus, et vous y verrez les noms de ceux qui l’accusent, et les crimes dont ils le chargent. Pilate reçoit ce papier, en disant que les deux premiers chefs ne le regardent point ; qu’il n’y a que le troisième qui l’intéresse, et qu’à l’égard du dernier, il s’en embarrasse très peu. Cependant pour contenter les Juifs, il ordonne à Barraquin de faire venir Jésus. Ce Confident ne l’aperçoit pas plutôt, qu’il le reconnaît pour la même personne qui a fait il y a quelque jours une si triomphante entrée dans Jérusalem, aux cris, et aux acclamations de tous les habitants ; il se ressouvient aussi d’avoir lui-même jeté son manteau sous ses pieds, lorsqu’il a passé devant lui : il revient à Pilate, et lui rend compte de cette aventure.

« Icy entre au Prétoire Jésus, et les lances s’enclinent. » 

Pilate est fort étonné à la vue de ce prodige : les Juifs soutiennent que les Satellites de ce Gouverneur favorisent le parti de Jésus : Enfin pour terminer ce diffèrent, Rabanus, Abiron et quelques autres Juifs ennemis du Seigneur, s’offrent à tenir les lances : Pilate veut bien encore une fois faire rentrer Jésus.

« Icy vient Jésus dedens de Prétoire, et les lances plient de rechef. » 

Les Juifs continuent à dire que c’est par art magique, et Pilate qui, commence à s’apercevoir de leur animosité, les fait retirer pour écouter le témoignage des défenseurs de Jésus. 

« Icy se tirent à part, excepté les bons tesmoings. »

Pilate les interroge les uns après les autres. Lazare, l’Aveugle né, Simon le Lépreux, Jayrus, le Démoniacle, la Femme courbée, et Véronne que Jésus a guérie d’un flux de sang, font un rapport fidèle des grâces qu’ils ont reçues de Jésus, et des miracles qu’il a fait en leur faveur : un grand nombre d’autres Juifs certifient la sainteté de Jésus.

TOUS LES BONS ensemble.

Cest homme icy est Sainct Prophète.

ANNE.

Pylate, juge sans demeure
Cest homme à mort, il fault qui meure.

La conclusion en est faicte.

TOUS LES BONS ensemble.

Cest homme icy est Sainct Prophète.

CAYPHE.

S’en criant[117] le peuple s’efforce
Pour le sauver, si est-il force
Que sa mort brefvement on traiđe.

TOUS LES BONS ensemble.

Cest homme icy est Sainct Prophète.

Enfin Pilate interroge Jésus, et lui ayant demandé qui il est, le Seigneur lui répond qu’il est la Vérité. Sur cette réponse Pilate fait tout ce qu’il peut pour sauver Jésus, et va trouver les Juifs, pour tâcher de les adoucir, en leur remontrant qu’il n’est point coupable. 

« Icy fort Pilate dehors du Prétoire, et vient aux Juifz.

PILATE.

Seigneurs Juifz et Gouverneurs
Qui pour punir les malfaicteurs
Suis icy Juge subrogué :
J’ay ce poure homme interrogué,
De qui la mort avez requis,
Et examiné, et enquis
De son faict au mieulx que j’ay peu :
Mais je n’ay trouvé tant soit peu
Qui soit coupable des péchez
Dont l’accusez, et empéchez.

Les Juifs sans écouter Pilate, persistent à demander la mort de Jésus : Pilate ayant appris que Jésus est de Nazareth et que cette Ville est située dans la Galilée, et du ressort d’Hérode, Tétrarque de cette Province, est fort aise de trouver un moyen pour s’exempter de prononcer une sentence si injuste, et déclare que puisque Jésus est sujet d’Hérode, c’est à ce Prince à le juger, et que pour lui il ne veut point en connaître. D’un autre côté les quatre Satellites s’ennuyants de ne rien faire, se plaignent d’être si longtemps oisifs. Heureusement pour eux, Pilate les fait appeler par Barraquin, qui les trouvant dans ces dispositions, les en loue.

Ensuite il leur dit que le Gouverneur a besoin d’eux. Ces quatre soldats accourent au plus vite, et saluent leur Maître en entrant.

GRIFFON.

Monseigneur le Préposite,
Bona dies en ce matin.

PILATE.

Comment dea, tu parle latin,
Maistre Griffon, vecy beaux motz.

Ces deux mots latins, sortants de la bouche d’un Soldats Romain, qui ne sait que le Gaulois, causent de l’étonnement à Pilate. Cela ne l’empêche pas cependant de leur ordonner de conduire Jésus chez Hérode, il dit à Barraquin d’y aller avec eux, et de rendre compte à ce Prince du sujet pour lequel il le lui envoie. Cayphe et le reste des Juifs se retirent, et vont au Temple tenir conseil sur ce qu’ils ont à faire.

 

 

III. Conseil des Juifs

 

Pendant que les Juifs tiennent leur conseil, Hérode s’entretient avec Rodigon, Andalus son Maître d’Hôtel et son Valet Grongnart. La conversation tombe sur les actions surprenantes de Jésus, Rodigon et Andalus en racontent quelques miracles, qui font naître à ce Prince une extrême envie de le voir.

D’un autre côté les Juifs délibèrent quel parti ils vont prendre : comme ils sont encore dans cette incertitude, arrive Judas, qui pressé des remords de sa conscience, leur déclare qu’il a livré le Juste, et « jecte la bource contre terre » cette fatale bourse où est le prix de la trahison ; et s’enfuit. Les Juifs tiennent un nouveau Conseil, pour savoir ce qu’ils doivent faire de cet argent ; comme on ne peut appliquer au profit du Temple un bien qui a été le prix du sang humain, ils concluent entre eux de le remettre entre les mains de Pharès, pour le garder jusqu’à ce qu’on puisse trouver moyen de l’employer.

 

 

IV. La Désespérance de Judas

 

Judas pressé de plus en plus par ses remords, entre dans un si grand désespoir, que ne considérant pas la miséricorde infinie de Dieu, il le met à invoquer tous les démons, et même toute les Divinités infernales, adorées par les anciens païens, et les fameux damnés, dont les Poètes de l’Antiquité ont fait mention.

JUDAS.

Lucifer, envoye sans demeure
Ton maling adhérant Sathan,
Et pour faire la chose seure,
L’orguelleux chien Léviathan :
Belphégor aussi plein d’envie,
Cachodemon, Baal, Astaroth,
Belberith[118] plain de gloutonie,
Zabulon[119], Hur et Begemoth[120],
Belial, Galast et Malost[121].
...
Les furies à vous je m’ingere,
Et conferme ma mauvaistié,
Thésiphone, Aletho, Megere ;
Juges des rigueurs infernales,
Radamente, Cacus[122], Minos,
Avec les Déesses fatales
Clotho, Lachesis, Atropos.
Amenez moy tous vos suppos,
Bryarye, Chimere et Gourgonne,
Cyles, Centaure, Ydra, Cacos[123],
Stimphalide plein de vergongne.
...
Plus mauldit soye que Tantalus,
Que les Bélides, que Texion,
Que les Harpies, que Cyliphus,
Palamitus, ou Yxion.
Plongez-moy de dens Acheron,
Dedens Stix, Letes, ou Cochite,
Car pire suis que Gercheon,
Par ma trayson très mauldite.
J’appelle Pluto, Proserpine,
Et le baveur Alcalaphus[124],
Tesmoing de ma fraude vulpine,
Et de mon très énorme abus,
Par le conseil de Cerbérus,
Chien d’Enfer hurlant à trois testes ;
Centiceps fera le surplus,
Qui en a cent de laides bestes.
...
Diables, Diables, venez avant,
Venez aider vostre servant
Qui a haulte voix vous appelle.

Lucifer convoque tous ses diables pour les envoyer vers Judas. Désespérance se présente, et promet à ce Monarque des Enfers de lui amener le Corps et l’Âme de Judas. Lucifer lui donne son passeport, et ordon, ne aussi à quelques démons de l’accompagner, pour l’aider en cas de besoin.

« Desespérance vient à Judas. »

Cette redoutable furie lui dit d’abord son nom, et ensuite elle lui annonce qu’il faut qu’il soit damné. Un Spectacle si terrible, et des paroles si effrayantes font frémir Judas ; il voudrait capituler avec elle, et lui demande si par la pénitence il ne peut pas effacer son péché ; et si Dieu ne lui accordera pas de pardon ? N’espère rien, lui répond-elle ; Dieu peut bien te l’accorder, mais certainement il ne le voudra pas, car tu en es trop indigne. Hélas ! continue tristement Judas ; et si je priais la Vierge Marie ? Tous ces efforts sont inutiles, repli que Désespérance, tu l’as trop offensée, en trahissant son fils.

  Il faut que tu passe le pas.

ajoute-t-elle en le regardant avec des yeux menaçants ; toute la satisfaction qui te reste à présent, c’est que je laisse à ton choix le genre de mort, qui te fera le moins de peine. Tiens choisis.

DÉSESPÉRANCE.

Vecy dagues, vecy cousteaux,
Forcettes, poinçons, allumelles[125]
Advise, choisis les plus belles,
Et celles de meilleure forge,
Pour te copper à cop[126] la gorge. 

 « Icy prent Desespérance une dague en sa main, et la monstre à Judas. »

« Icy luy monstre ung cordeau. »

Ou si tu ayıne mieulx te pendre,
Vecy las, et cordes à vendre,
Pour te estrangler tout à cop.
Que attens tu ? tu demeure trop :
Ba le fer tandis qu’il est chault.

Judas voyant que c’est une nécessité inévitable, s’abandonne entièrement à Désespérance, et se détermine enfin après bien des discours, à suivre le second parti qu’elle lui propose.

« Icy monte Judas au hault d’ung arbre feullu de branches de Seur, et Désespérance monte avecques luy pour luy aider, et les Diables demeurent au bas. »

Ce malheureux se sentant proche de la fin, veut profiter de instants qu’il a encore à vivre, et ordonne à tous les Diables de venir recevoir sa dernière volonté.

JUDAS.

Haro ! mon maistre Lucifer,
Et tous les grans dyables d’Enfer,
En mon despit trespassement
Venez passer mon testament,
Ainsy que je deviserai.

Ne t’embarrasse pas, répond Sathan, nous sommes tous prêts.

  Dy hardiment ; je signeray.

Judas ayant déclaré les dernières volontés, lesquelles sont dignes de lui, se pend.

« Icy se pend Judas, et les Diables sont dessoubz luy[127]. »

D’abord que Judas s’est pendu, tous les Diables accourent pour se saisir de son âme. Lucifer ordonne qu’on la lui amène promptement, Astaroth la cherche, mais inutilement.

« Icy creve Judas par le ventre, et ses trippes saillent dehors, et l’Âme sort. » 

Cette Âme en sortant répand une foule de malédictions, et s’en va au lieu préparé pour son tourment. Pendant ce temps-là, Désespérance qui a fait l’office de Bourreau, dépend le corps, et les Diables l’emportent aux Enfers, avec une extrême joie. 

« Icy fait tempeste en Enfer. »

 

 

V. Devant Hérode

 

Barraquin à la tête des Archers qui conduisent Jésus, arrive enfin au Palais d’Hérode : il va parler à ce Prince, et lui dit que Pilate son Maître ayant appris que Jésus accusé par les Juifs, était né son sujet, n’a pas voulu s’en mêler, et qu’il le lui envoie comme à son Juge naturel, pour en ordonner ce qu’il souhaitera. Hérode reçoit avec beaucoup d’amitié, la politesse de Pilate, et proteste à Barraquin, qu’en faveur de cet honnête procédé, il veut bien oublier toutes les altercations qu’il a eu avec lui[128], et le regarder désormais comme son ami. Barraquin s’étant acquitté de sa commission, ordonne aux Satellites d’amener Jésus.

« Icy mettent Jésus tout seul devant Hérode. »

Ce Prince qui est porté par son inclination aux choses curieuses et qui a entendu raconter des actions surprenantes de Jésus, se sent une obligation infinie envers Pilate, qui lui a procuré cet avantage, espérant que Notre-Seigneur fera quelque prodige devant lui. Dans cette idée, il fait paraître beaucoup de bonne volonté pour lui, et se dispose à l’interroger avec toute la douceur possible. 

« Icy les Seigneurs sont encore ensemble au Temple, et délibèrent venir après Jésus devers Hérode. »

Les deux Pontifes que nous avons laissés assemblés avec les Scribes et les Pharisiens, craignant qu’Hérode, de l’humeur dont il est, ne prenne Jésus en amitié, et le remette en liberté, se résolvent à traverser ce dessein de tout leur pouvoir : et pour ce faire, ils vont chez ce Prince afin de l’en empêcher.

« Icy viennent Cayphe et tous les Pharisées et Scribes vers Hérode. »

Hérode fait quelques questions à Jésus, qui ne lui répond rien.

Les Juifs entrent chez Hérode, qui leur fait beaucoup d’honnêtetés, et les prie de s’asseoir.

« Icy se afssient Anne, Cayphe, et tous les Juifz, chacun en son ordre. »

Hérode fait encore des demandes à Jésus, mais n’en pouvant tirer aucune réponse, il reste fort étonné, et s’imagine que c’est par mépris pour sa personne. Les Juifs saisissant cet avantage, le confirment par leurs calomnies dans ce sentiment.

Hérode ne voulant faire aucun mal à Jésus, et cependant désirant le punir du mépris qu’il fait paraître par son silence, ordonne à Grongnart de le revêtir d’un habillement blanc.

« Icy Grongnart vest Jésus d’ung habit blanc sur la robe de pourpre, où il y a comme une cappe derrière, et sera long jusques au dessoubz du gras de la jambe, et pourra estre cainct de une caincture blanche. »

Hérode ordonne qu’on le ramène à Pilate en cet équipage.

« Icy remainent Jésus vêtu de blanc vers Pilate, et tous les Juifs vont deux à deux après. »

 

 

VI. Les Lamentations de Notre-Dame et des Maries

 

Notre-Dame, les trois Maries, de la Magdelaine, ayant perdu de vue Jésus depuis quelque temps, en paraissent fort alarmées. La Sainte Vierge qui y prend un plus grand intérêt, en témoigne la douleur et son inquiétude. Malgré tous les risques qu’elle peut courir, elle prend la résolution de l’aller trouver : et tous les autres la suivent.

 

 

VII. Devant Pilate

 

« Icy arrivent au Prétoire, et mettent Jésus dedens : les Juifz demeurent dehors, et cependant Griffon et Barraquin vont parler à Pilate. » 

Barraquin vient lui rendre compte de ce qui s’est passé chez Hérode, et de l’ordre qu’il leur a donné, de lui ramener Jésus, avec pouvoir d’en faire ce qu’il voudra. Pilate qui croyait être débarrassé de cette affaire, est fort fâché de ce contretemps : les plaintes et les cris des Juifs recommencent avec plus de force que jamais, et les bons témoins ne cessent de justifier Jésus. Dans ces circonstances, Pilate imagine un expédient pour contenter les uns et les autres : comme il sait que c’est la coutume que l’on délivre un criminel pour honorer la solennité de la fête de Pâques, et qu’il voit cette fête proche, il demande aux Juifs s’ils veulent que Jésus profite de cette grâce. Les Juifs rejettent sa proposition, et demandent la liberté de Barrabas, l’un des trois Larrons que nous avons vu prendre au XIII. Mystère de la Seconde Journée : Et Pilate l’envoie chercher.

« Icy met Pilate Barrabas du costé gauche, et Jésus du costé droict. »

Ce Gouverneur qui voudrait sauver Jésus, tâche de leur faire changer de résolution ; mais ils y persistent toujours.

PILATE.

Et que feray-je de Jésus
Vostre Prophète qui cy est ?

TOUS.

Tolle, tolle.

PILATE.

  Vostre Roi ?

TOUS, ce mot nous déplaist.

Tolle, tolle, etc.

Enfin Pilate voyant la fureur du Peuple se prépare à le satisfaire.

« Icy monte Pilate à la haulte chaire du Prétoire, et prononce la délivrance de Barrabam. »

Ce meurtrier ayant entendu son absolution, prie les Juifs de lui ôter ses chaînes : Quelques-uns d’entre eux le font, et Barrabas s’enfuit aussitôt qu’il se voit en liberté. 

« Icy s’enfuit Barrabam, et sort Pilate dehors du Prétoire, et parle aux Juifz, et demeure Jésus tout seul dedens le Prétoire. »

Pilate va trouver les Princes des Prêtres, et leur dit que ne pouvant se résoudre à condamner Jésus à la mort, il va le faire fouetter par ses Bourreaux, et ensuite le laisser aller. Comme ils ne répondent point, Pilate prenant leur silence pour un consentement tacite, ordonne à ses gens d’exécuter ces ordres.

« Icy vont les Bourreaux prendre Jésus qui est dedens le Prétoire, et l’ameinent hors, et le despoullent, puis le lient au piller qui est assez près du Prétoire de Pilate. »

« Icy se assiet Malchus près des quatre bourreaux et fait des verges. »

Les Bourreaux saisissent avec ardeur cette occasion, à chaque instant viennent demander des verges à Malchus, et ce dernier a de la peine à les contenter. Pilate s’apercevant qu’ils commencent à se lasser leur en fait des reproches, et leur conseille de se servir de leurs fouets de cordes.

PILATE.

Avant garsons, vous vous rendez,
Reprenez alaine, et vertu.

 « Icy prenne chacun son fouet, que Malchus leur baille. »

Les Valets d’Anne et de Cayphe s’offrent à les aider, et se mettent aussi de la partie avec eux. Au bout de quelque temps, Pilate voyant que Jésus est tout couvert de sang, leur ordonne de cesser.

PILATE.

Ho ! il souffist pour ceste foys,
Compaignons, cessez au surplus :

Seigneur, dit Griffon, il me vient une bonne idée ? Qu’est-ce ? répond Pilate : C’est que puisqu’il se dit Roi, ajoute ce Satellite, j’ai envie de le revêtir en Roi avec de vieux haillons. Cela n’est pas mal imaginé, réplique Pilate.

PILATE.

Ton opinion
Me plaist bien, et me semble propre. 

 « Icy prenne ung vieil habit de rouge fouré comme de martres décirées par aucun sort : et le délient de l’attache, et puis le vestent. »

DRILLART.

Vecy ung roseau très bien fait
Pour faire un ceptre bien aposte.

 « Icy luy baillent ung roseau « puis » assient Jésus sur une basse selle assez près de l’estache, et allez loing de Pilate. »

Ensuite de quoi ils le frappent à grands coups de roseaux, accompagnant cet indigne traitement de paroles insultantes.

GRIFFON.

Hée : Ave Rex Judeorum
Roi des Juifs, je vous salue, etc.

 « Icy apporte Malchus la couronne d’espines, et la monstre aux autres.

Malchus, qui a promis à Jésus de le bien tourmenter, pour reconnaître le bien qu’il lui a fait, vient effectuer encore ses promesses, et lui apporte ce triste présent.

 

MALCHUS.

Tenez, vecy ce que vous fault :
Pour le couronner haultement.

 « Icy lui asseaient la Couronne d’espine sur la teste, et lui enferment avecques bastons, tant que le sang en sort. »

Après lui avoir donné encore quelques coups de roseaux pour diversifier leur amusement ils veulent lui arracher la barbe.

« Icy luy arrachent la barbe. »

Enfin Pilate se lève, et croyant que tous ces tourments auront pu adoucir l’esprit furieux des Juifs, et assouvir leur insatiable cruauté, il ordonne qu’on lui amène Jésus ; il espère qu’un pareil spectacle attendrira les cœurs de ces perfides. 

« Icy ameine Jésus abillé comme dist est, à Pilate qui est au Prétoire, et Pilate sort dehors du Prétoire, et le monstre aux Juifz. »

PILATE.

Ecce Homo, vecy l’Homme :
Regardez bien, Messeigneurs, comme
Je le vous rends doulx et traictable ;
Ecce Homo, vecy l’Homme,
L’Homme voire bien misérable.
Ecce Homo, véritable,
Ecce Homo, raisonnable,
Ecce Homo, l’innocent.
Peuple, soyez pitoyable,
Ecce Homo, ton semblable :
Regarde où ton pouvoir s’estend.
Ecce Homo, qui ne tent
À orgueil, et rien ne prétent
Qui vous puisse porter nuysance ;
Ecce Homo, qui n’atent
Fors que Dieu soit de vous content.

Pilate leur demande s’ils veulent donner la liberté à Jésus. Malgré tout ce qu’il leur peut représenter de plus touchant, ces esprits endurcis persévèrent de plus en plus dans leur rage : Non, non, il faut qu’il périsse, s’écrient-ils avec transport, puisqu’il s’est dit Fils de Dieu. Ha, ha, dit Pilate, ceci est autre chose, vous ne l’aviez pas accusé de ce crime ? Je veux l’interroger sur ce fait.

« Icy rentre Pilate dedens le Prétoire, et y ameine Jésus, et puis se assiet en la petite chaire. »

Réfléchissez bien sur ce que vous avez à faire, dit Pilate au Sauveur ; vous n’ignorez pas qu’il est en mon pouvoir de vous accorder la vie, ou de vous livrer à une mort cruelle. Il est vrai, répond Jésus, mais de qui tenez-vous ce pouvoir, si ce n’est du Ciel ? Cette noble réponse frappe Pilate, il va rejoindre la troupe des Juifs, et fait un dernier effort pour sauver Jésus ; comme leur obstination rend ses soins inutiles, il leur dit avec fureur, qu’il va les satisfaire.

PILATE.

Qui vouldra sa Sentence ouyr,
Se tire[129] à la chaire Royalle. 

 « Icy s’en va Pilate revestir d’une robe rouge bien richement, et Barraquin et ses tyrans vont avecques luy, et laissent Jésus tout seul au Prétoire. »

 

 

VIII. Les Limbes

 

Pendant que Sathan instruit le Roi des Enfers du succès de ses travaux, et lui apprend qu’enfin, grâces à ses soins, Jésus va être sacrifié à la fureur du peuple Juif, et est prêt d’être condamné par Pilate, pendant, dis-je que ce Démon fait ce récit à Lucifer, les Saints Pères renfermés dans les Limbes prient Dieu avec ardeur de vouloir bien hâter leur rédemption. Dieu le Père, pour les soulager, envoie ses Anges, avec ordres de les consoler, et de leur annoncer que Jésus allait les délivrer dans peu. Moïse, Hélie et S. Jean Baptiste en témoignent leur satisfaction par des actions de grâces

 

 

IX. Enfer

 

Progilla femme de Pilate, n’ayant pu dormir de la nuit, à cause du bruit et de la rumeur que la prise, et ensuite le jugement de Jésus ont causés, veut se jeter un moment sur son lit, pour se délasser de cette fatigue, et trouver le repas qu’elle a perdu.

« Icy se couche la femme de Pilate sur ung beau lit de camp bien paré, et Barraquin se siet en une chaire auprès du lit. »

Lucifer qui vient d’apprendre de Sathan que Jésus va être condamné, est fort surpris d’entendre par les cris de joie des Saints Pères, que ce Jésus est le Messie qui va mourir pour les délivrer ensuite. Nous sommes perdus maudit Sathan, s’écrie-t-il avec une fureur inconcevable, tes soins n’ont servi qu’à avancer notre malheur ; mais pour l’empêcher, il reste encore un moyen, va trouver la femme de Pilate, elle est endormie, inspire lui par un songe effrayant, le dessein d’empêcher son mari de prononcer cette terrible condamnation. Sathan malgré le peu d’espérance qu’il a de pouvoir réussir, part pour obéir au commandement de son maître.

 

 

X. Crucifiement de Jésus

 

Le songe que Sathan procure à elle tout l’effet qu’il peut désirer : Elle se réveille toute épouvantée, et dans une agitation inexprimable. Elle appelle aussitôt Barraquin, et lui ordonne d’aller dire promptement à son mari, de ne point juger l’homme innocent qu’il est prêt de condamner à la mort, parce que cela lui causera des malheurs infinis, ajoutant qu’il a grand tort de s’être laissé séduire par l’or que les Juifs lui ont donné. Barraquin va aussitôt trouver Pilate qui est assis dans son tribunal, prêt à prononcer : Ce Gouverneur sachant que Barraquin vient lui dire quelque chose en secret, fait éloigner l’Assemblée, et ce fidèle Domestique exécute ponctuellement sa commission. Pilate saisi de crainte, descend de son siège et va parler aux Juifs, pour les engager à prendre un parti plus doux. Cette dernière tentative fait aussi peu d’effet que les précédentes, sur l’esprit de ce peuple furieux ; enfin Pilate continuant, puisque vous persévérez, leur dit-il, à me demander sa mort, je vais vous contenter, mais je vous déclare que je n’ai aucune part à ce jugement, que j’en rejette sur vous toute l’iniquité, et que désormais, vous répondrez de son sang. Approche, Barraquin, ajoute-t-il,

PILATE.

Aporte le pot à laver,
Et le bassin et la touaille[130],
Puis à laver icy me baille,
J’ay grant haste, abrege-noy tost.

 « Icy Barraquin donne à laver à Pilate. »

Les Juifs disent à Pilate qu’ils con sentent, qu’eux et leur postérité d meure chargée de la mort de Jésus.

EMÉLIUS.

Tout son sanc descende et redonde
Sur nous et sur tous noz enfans.

RABANUS.

Tant que nous serons en ce monde,
Et fusse jusqu’à dix mille ans,
Nous en serons participans,
Si fault que sa mort nous confonde.

CELCIDON.

Tout son sanc descende et redonde
Sur nous et sur tous noz enfans.

 « Faites silence, dit Pilate, étourdi de leurs cris. »

PILATE.

Nous Ponce Pilate,
Garde, par chartre bien fondée,
De la Prevosté de Judée,
Juge criminel soubz la main
Du très craint Empereur Romain,
Après les informations,
Charges et accusations,
Enquestes et tesmoings produis
De par la partie des Juifz,
Encontre Jésus, qui cy est,
NOUS le condamnons par Arrest,
Quoiqu’en adviengne droict ou tort,
Souffrir et endurer la mort, etc.

Comme me voilà tout prêt, dit Pilate aux deux Pontifes, voulez vous que je juge les voleurs qui sont dans la prison ? Volontiers, répondent Anne et Cayphe. On les envoie chercher aussitôt, et Brayault les amène. Ces larrons reçoivent leur condamnation d’une façon bien différente, Gestas ne l’entend pas plutôt prononcer qu’il commence à vomir une infinité d’imprécations, mais Dismas s’avouant coupable de plusieurs crimes, envisage son supplice comme l’expiation de ses péchés. Lorsque tout cela est fait, Pilate demande aux Pontifes, de quelle grandeur ils veulent les trois Croix. Ils le prient d’en faire construire une fort grande pour Jésus, et les deux autres à l’ordinaire. Pilate donne ordre qu’on les satisfasse ; et Griffon va chez le Charpentier pour les lui commander : Ce dernier dit qu’il n’a pas de pièce de bois assez longue pour faire celle de Jésus, à moins qu’on ne lui permette de prendre une vieille planche, qui est auprès du Temple de Salomon. Pilate la lui fait délivrer, et cet ouvrier se met en devoir de fabriquer ces trois Croix, et d’y faire des trous pour le passage des clous. D’un autre côté Brayart va chez un Maréchal pour les faire apprêter. Ne trouvant personne dans la boutique, il se met à jurer, le bruit qu’il fait attire la vieille Hédroit, qui lui en demande le sujet ; et lorsqu’elle l’apprend, elle dit à Brayart qu’il ne s’inquiète point et qu’elle-même va les forger ce qu’elle fait ensuite. Sur ces entrefaites, le Charpentier ayant achevé les Croix, prie Griffon de l’aider à les porter ; celle de Jésus est si pesante que ces deux hommes ont beaucoup de peine à la traîner. Enfin lorsque tout est prêt, les Satellites de Pilate dépouillent Jésus.

« Icy commence à cheminer Jésus portant sa Croix sur les espaules au meilleu des deux Larrons, et est à noter que une partie des Bourreaux de Anne et de Cayphe vont devant et derriere, après luy Anne, Cayphe, Pilate, les Pharisiens et Scribes, et tout le Peuple ; et tantost arrive Centurion et les femmes. »

Centurion, suivi de Rubion, d’Ascanius et de Marchantonne, obéissants aux ordres de Pilate, arrivent, pour accompagner Jésus au supplice. D’un autre côté, Notre-Dame, la Magdelaine, Marthe, Jullye, Véronne, Pérusine et Pasiphée, s’empressent pour voir Jésus, Joseph d’Arimathie prend part à leur peine, et les conduit par un chemin détourné, mais plus court, ce qui fait qu’elles arrivent bien plus vite. Jayrus, Nicodème, Sophonias, Simon le Lépreux et Barthimée, qui est le même aveugle de naissance, que Jésus a guéri, s’entretiennent de la mort injuste que Jésus va souffrir, de l’inhumanité des Pontifes et des Scribes, et de la lâcheté du Gouverneur.

Lorsque Jésus succombant sous le poids de la Croix, passe devant les femmes dont nous venons de parler, elles se mettent à pleurer : Le Seigneur leur dit de réserver ces larmes pour elles-mêmes : comme il a le visage baigné de sueur, Véronne s’approche un linge à la main pour le lui essuyer.

« Icy approche Véronne ung couvrecef sur la face de Jésus, et la Véronique y demeure. »

Les fidèles Juifs qui se trouvent présents à ce miracle, après en avoir loué Dieu dans leurs cœurs, conseillent à Véronne de conserver avec soin ce linge précieux.

Les femmes recommencent leurs pleurs et leurs plaintes à la vue des maux que Jésus souffre, et Pilate ordonne à ses Satellites de hâter leur marche, et de faire retirer ces femmes qui les importunent.

PILATE.

Que ne les chassez vous arrière ?
Ce semble femmes forcenées.

 « Icy demeure Jésus chargé de sa Croix, comme s’il devoit tumber foubz le fais. »

Le Centurion qui s’aperçoit de la faiblesse où Jésus se trouve, en avertit Pilate, et lui dit qu’il est impossible qu’il puisse porter sa Croix, à moins qu’on ne lui donne quelqu’un pour lui aider. Pilate commande qu’on exécute cet ordre, et Griffon qui en est chargé, voyant passer « Symon Cyrénéus » ce juste « comme ung Charpentier qui porte ces sermens au coul, » le saisit au collet, et malgré sa résistance et ses représentations, l’amène à Pilate.

GRIFFON.

Sire, je vous commet et baille
Cest homme qui vous quiert et trace[131].

SYMON.

Ha ! Messeigneurs, sauf vostre grâce,
Pas ne vous quiers, en vérité.

Je passais mon chemin Messieurs, ajoute-t-il ; c’est en vain que tu prétends nous résister, répondent ces Archers, il faut obéir aux ordres de notre Gouverneur.

Enfin après quelques coups, ils le forcent à se rendre à leur volonté. 

« Icy porte Symon une partie de la Croys et Jésus l’autre, et les batent les Sergens. »

Pendant ce temps là Dieu le Père qui veut soulager les tourments de son Fils, ordonne à ses Anges d’aller le consoler.

« Icy descendent les Anges de Paradis. »

D’un autre côté, tout l’Enfer se met en mouvement ; l’approche du Messie alarme mortellement le Roi de ce lieu sombre, il appelle tous ses esprits, et leur ordonne de se bien tenir sur leurs gardes, en s’apprêtant à une vigoureuse résistance. Les démons lui promettent de s’y employer de toutes leurs forces, et Cerberus lui dit de ne rien craindre.

CERBERUS.

Laissez le venir, s’il entre ens[132]
Je veux qu’on m’arde le museau.

Lucifer un peu rassuré par toutes ces protestations, dit à Sathan de remonter sur la terre, pour être spectateur de tout ce qui se passera, et lui enjoint sur toutes choses, de ne pas manquer à venir l’avertir au moment qu’il verra Jésus expirer. Sathan part pour obéir à ces ordres.

« Icy arrivent au Mont Calvaire ; et demeure Saint Michel et les autres Anges avec Jésus. »

Les Bourreaux demandent qui est celui que l’on veut crucifier le premier. Cayphe leur ordonne de commencer par Jésus, et avant toutes choses, de le dépouiller entièrement.

« Icy le devestent tout nu, et Nostre-Dame derrière avecques les Maries. »

« Icy Nostre-Dame et ses seurs s’approchent de Jésus, et cainct Nostre-Dame Jésus d’un cuévrechef. »

Après que l’on a fait retirer les femmes, les Bourreaux étendent la plus grande des trois Croix par terre, et y attachent Jésus : Lorsqu’ils ont cloué une main, il se trouve que l’autre ne peut atteindre au trou que l’on a percé, ce qui les oblige pour plus de diligence, à lui tirer le bras avec des cordes pour le faire venir au point qu’ils demandent. Le même inconvénient se rencontrant quand ils veulent lui attacher les pieds, ils se servent d’un pareil moyen. Pendant ce temps là les trois Maries qui voient les tourments inouïs que Jésus souffre, fondent en pleurs, et S. Jean qui les accompagne ne peut cacher ses larmes. Ensuite, lorsque l’on est prêt à lever la Croix, Cayphe prie Pilate de composer une inscription pour l’y attacher : Pilate y consent, et se retire à part pour la faire. 

« Icy escript Pilate. »

Lorsqu’il l’a achevée, il la place lui-même, au lieu où elle doit être ; et ordonne aux Bourreaux de poser cette Croix à l’endroit du supplice.

« Icy lievent Jésus crucifié, à force de gens, et de piques et bastons tout bellement[133]. »

Sitôt que les Juifs aperçoivent l’inscription, ils en font leurs plaintes à Pilate, et le supplient de vouloir bien la changer. Ce Gouverneur, pour la première fois rejette leur demande, en leur disant qu’il n’a pas le temps.

PILATE.

Messeigneurs, quod scripsi, scripsi :
Et en murmure qui vouldra
Car ce que j’ay escript icy,
Est escript et y demourra.

Les Juifs se retirent tous confus, et Pilate ordonne que l’on expédie les deux Larrons : qui sont crucifiés d’une façon un peu différente de celle de Jésus.

« Icy dressent les eschelles pour pendre les deux Larrons. »

« Icy pendent les deux Larrons les tyrans de Pilate, et les autres leurs aydent. »

Sathan qui voit tout ce qui se passe, maudit la facilité qu’il a elle à séduire les Juifs.

La première parolle de Jésus en Croix,

Père, qui tes servans essis,
Et en qui toutes choses sont,
Tu voys de quelz gens je suis pris,
Et le dur courage qu’ilz ont ;
Pardonne-leur s’ilz ont mespris,
Car ilz ne sçavent pas qu’ilz font.

Gestas maudit avec imprécation le fatal moment où il a été arrêté, et le bon Larron au contraire bénit le juste supplice qu’on lui fait endurer. Cependant les Princes de la Loi, et tous les autres Juifs, ajoutent aux tourments de Jésus, des paroles insultantes.

« Icy les Princes de la Loy se mocquent de Jésus. »

Les Bourreaux enchérissent encore sur eux.

« Icy se moquent les tyrans de Jésus. »

Gestas même tout attaché à la Croix, lui dit mille injures. Mais Dismas après l’en avoir repris, se tourne du côté de Jésus, et le supplie d’avoir pitié de son âme. Le Seigneur l’exauce, et lui promet entière miséricorde.

La seconde parolle de Jésus.

Et certainement je te dis
Que pour le désir que en toy voy,
Ceste journée en Paradis
Seras colloqué avec moy.

Ce pêcheur pénitent le remercie de cette grâce qu’il n’osait attendre. Notre-Dame qui est toujours au pied de la Croix, fond en larmes à la vue des maux que souffre son Fils. Le Sauveur la console en lui adressant ces mots.

Le tiers mot de Jésus.

Mulier ecce Filius tuus.
Femme, ayez cucur et pacience bonne,
Cessez ce dueil, si de mort suis perçus[134],
Prenez en gré le filz que je vous donne,
Vostre nepveu, qui de vostre personne
Songnera bien après mon gref trespas ;
Prenez-la, Jehan, vostre maistre l’ordonne,
Servez la bien, et ne la laissez pas.

La Sainte Vierge et S. Jean lui promettent une obéissance parfaite. Cependant les quatre Satellites de Pilate se partagent entr’eux les habillements des deux Larrons.

« Icy fait Griffon quatre lots des robes des Larrons. »

Lorsque chacun d’eux a pris son lot, ils en veulent faire autant de ceux de Jésus, mais voyants que sa robe est toute d’une seule pièce, et sans aucune couture, ne voulant pas la mettre en morceaux, ils se ils se proposent de la tirer au sort. Toute la difficulté consiste à savoir qu’elle espèce de sort ils choisiront. Après avoir rêvé quelque temps, ils se séparent, dans la résolution d’en chercher quelqu’un, et prennent des routes différentes les uns des autres. Le hasard veut que Griffon va du côté de Jérusalem : comme il marche tout rêveur, il se sent tout à coup saisir par une personne dont le visage lui est inconnu.

« Icy jecte Sathan un manteau sur ses espaules, et puis arreste Griffon par le bras. »

Ne crains rien, lui dit ce Démon, je sais le dessein qui te conduit, et je veux te protéger ; tiens, continue-t-il en lui donnant deux dés à jouer, pour te montrer que je prends part à ce qui te regarde, je t’apporte un nouveau jeu, dont je suis l’inventeur. Griffon reçoit ces dés, mais ignorant leur usage, il le demande. Sathan lui en donne l’explication, aussi-bien que la manière de s’en servir : il lui recommande sur toutes choses, que s’il veut y être heureux, il doit jurer fortement, et que c’est-là le moyen le plus sûr pour réussir. Griffon lui proteste de n’y pas manquer, et après l’avoir remercié il s’en retourne. À quelques pas de là, Sathan le rappelle, écoute, lui dit-il, si l’on te demande à qui tu es redevable de cette invention, dis hardiment que c’est le Diable qui te l’as enseignée.

La quarte parolle de Jésus en Croix.

Hely, hely, lamazabatani :
Deus meus ut quid medereliquisti ?

Mon Dieu, mon Père de lassus
Comme quoy m’a tu lessé cy ?
J’en souffre tant que n’en puis plus,
Et d’apre douleur suis transi :
Je né reconfort de nulli,
Non plus qu’ung poure homme oublyé,
Recoy la douleur de celuy
Que tu voys taut humilié.

 « Icy retourne Griffon, qui apporte deux douloueres. »

Griffon apportant ces instruments, demande à ses compagnons s’ils n’ont point trouvé quelque jeu. Non, répondent-ils, oh bien, pour moi, dit ce Satellite, j’en sais un, qui fera justement notre affaire. Qui te l’a donc enseigné ? répliquent les autres. Le Diable, ajoute Griffon ; le Diable ? répondent ceux-ci, cela doit être fort joli ; dis-nous le donc promptement. Griffon les instruit de la façon dont il faut en jouer, sans leur déclarer cependant le secret dont Satan lui a parlé. Mais il est trompe dans cette pensée, car ses compagnons n’ont pas besoin d’instruction sur cet article. Pour couper court Brayart prend un dé, et en jurant amène un as ; Griffon le raille sur ce mauvais coup.

GRIFFON.

Il semble que tu soyez maistre ;
Que Dyable t’en a tant apris ?

Drillart suivant les traces de son compagnon arrache le dé, et jette un deux : Claquedent continuant sur le même ton, tourne un trois : et Griffon renchérissant sur les autres amène un six, et emporte la robe. Les trois Satellites entrent dans une fureur extrême, et vomissent mille imprécations contre le jeu, l’inventeur, celui qui le leur vient d’enseigner, et tous ceux qui s’en serviront à jamais. 

« Pause. Icy se font ténèbres. »

Le Centenier et ses soldats sont fort épouvantés de cette nuit subite. Anne pour les rassurer leur dit que ce n’est qu’une éclipse de soleil.

La quinte parolle de Jésus en Croix

Scitio, j’ay soif désirée,
De Paradis à l’homme rendre ;
J’ay soif de ma mort bien eurée[135],
Pour la vie aux pécheurs estendre ;
J’ay ma chair pour tous martirée
Autant qu’elle se peult comprendre, etc.

Abiron prend une éponge et la trempe dans du vinaigre mêlé de fiel, et où l’on a fait infuser de l’hysope.

« Icy luy met une esponge au bout d’ung baston, et donne à boire à Jésus. »

La sixième parolle de Jésus en Croix

Consummatum est, il suffist,
Toute l’Escripture sommée
Qu’oncques homme de moy escript
Est de ceste heure consommée :
Tantost sera terminée
Ma Mort et dure Passion,
Et de Dieu mon Père acceptée
Pour l’humaine Rédemption.

La Sainte Vierge continue ses plaintes et ses pleurs.

La septième parolle de Jésus « en criant le plus haut qu’il pourra crier » In manus

O Pater, in manus tuas
Commendo spiritum meum.

Par la puissance que tu as
Mon Père, et par ton digne nom,
Je n’ay plus jour que cestuy non ;
Et me pars du règne mondain :
Et au partir par piteux son
Mon esperit commande en ta main.

 « Icy se fera tremblement de terre,  et le voile du Temple se rompt par le meilleu, et plusieurs mors tous ensevelis sortiront hors de terre de plusieurs lieux, et yront deçà, et delà. »

Ces prodiges qui surviennent au moment que Jésus expire, sont suivis de plusieurs désordres ; Sathan qui reconnaît son maître, frémit de rage, et descend comme un furieux aux Enfers pour apprendre cette nouvelle à son Monarque : Notre-Dame tombe dans un évanouissement d’où l’on a bien de la peine à la faire revenir : et Pilate saisi de crainte, ordonne au Centurion d’avoir soin de tout, et se retire avec ses Satellites.

« Icy s’en vont Pylate et tous ses gens. »

Le Centurion est touché jusqu’au fonds du cœur, aussi-bien que ses soldats. Nous n’en pouvons plus douter, s’écrie le premier, c’est-là le Fils de Dieu. Après cela ils s’entretiennent ensemble sur tout ce qu’ils viennent de voir. Pendant ce temps-là, Dieu le Père ordonne à ses Anges de célébrer par leur chants le trépas de son Fils. Ces Esprits bienheureux obéissent, et entonnent une espèce d’Hymne Latine, en forme de Chant Royal, qui est une sorte de Poésie fort en usage au temps de nos Auteurs.

« Chant Royal en latin, qui se pourra chanter bien piteusement. »

Nous n’en rapportons que la fin.

MICHAËL.

Kyry penitentibus.

RAPHAËL.

Eley languentibus.

URIEL.

Zon tibi credentibus.

MICHAËL.

Christe, confidentibus.

RAPHAËL.

Parce peccatoribus.

URIEL.

Pacem donans omnibus.

MICHAËL.

Tibique sit gloria.
In sempiterna secula.

Gabriel de son côté console la Vierge Marie, et lui représente qu’elle doit se ressouvenir, que si Jésus est mort, il doit aussi ressusciter dans trois jours.

 

 

XI. Les Limbes

 

Sathan pour montrer à son maître le zèle qui l’anime, ne voit pas plutôt Jésus expirer, qu’il descend aux Enfers, pour l’instruire de cette fâcheuse nouvelle : Lucifer est très surpris de le voir si effaré.

LUCIFER.

Comment te va Sathan ?

SATHAN.

Très mal.

LUCIFER.

Qu’as-tu quel grant Dyable te tient ?

SATHAN.

Veez cy l’Ame Jésus qui vient,
Pour nous despouller cent contre ung.

LUCIFER.

Haro ! Dyables, tous en commun
Fermez vos portes à puissance,
Mettez-vous trestous en deffence,
Chargez barres de dix milliers,
Soyez plus fermes que pilliers ;
Vecy venir notre adversaire.

L’ÂME JÉSUS.

Attollite portas principes vestras,
Et elevamini porte eternales
, etc.
Prince d’Enfer, ouvrez vos portes,
Si entrera le Roi de gloire.

LUCIFER.

Qui est ce Roi dont nous exortes ?

L’ÂME JÉSUS.

Princes d’Enfer ouvrez vos portes.

Les Démons font beaucoup de résistance, enfin après quelques discours Sathan s’avance.

SATHAN.

Qui est ce Roi tant glorieux ?

L’ÂME JÉSUS.

C’est un Seigneur fort et puissant.

 « Icy chéent les portes d’Enfer. »

LES DYABLE S.

Haro, haro, haro, hélas !
Vecy ung terrible charroy.

Les Diables prennent la fuite et Jésus prend par la main les Âmes d’Adam, d’Ève, de S. Jean-Baptiste, et de Jérémie, et leur dit de le suivre sans crainte. 

« Icy les maine Jésus en Paradis terrestre, et cependant se fait tempeste en Enfer. » 

Lucifer pour se dédommager de la perte qu’il vient de faire, dépêche ses esprits pour aller chercher les âmes des deux Larrons.

Suite du Crucifiement de Jésus.

Cayphe et Anne le voyants à la veille d’un Sabbat très solennel, et ne voulant pas que les Corps de ceux qui viennent d’être crucifiés, y restent exposés devant tout le Peuple, vont prier Pilate, d’ordonner qu’on leur rompe les os, afin qu’ils meurent plus promptement. Pilate appelle ses Satellites et leur commande d’exécuter la volonté des Pontifes.

« Icy prennent les quatre tyrans chacun sa doulouere, et retournent à la Croix, et rencontrent Longis. »

Ce Soldat Romain qui est aveugle, leur demande où ils courent si vite. Les Satellites satisfont sa curiosité, et ce misérable, malgré son incommodité, se sent une haine si violente contre Jésus, qu’il les prie de le vouloir bien conduire à la Croix du Sauveur, afin, leur dit-il, que je puisse avoir le plaisir de lui donner un coup de ma main.

Les tyrans de Pilate en arrivant commencent par expédier les deux Larrons. 

« Icy monte Claquedent à l’eschelle, et va frapper sur les cuisses, et sur les bras, et sur les jambes du bon Larron, et en sort le sang.

Dismas expire en implorant la miséricorde de Dieu. 

« Icy monte à l’eschelle, pour coupper les os du mauvais Larron. »

Et celui ci meurt le blasphème à la bouche. Ils ne tardent pas l’un et l’autre à recevoir le salaire qu’ils méritent ; car l’Ange Gabriel conduit l’âme du bon Larron au Ciel, et Sathan d’un autre côté le saisit de celle de Gestas et l’entraîne aux Enfers.

Lorsque ces Bourreaux vont à Jésus, ils sont étonnés de le trouver sans vie ; tu es venu trop tard, disent-ils à Longis : au moins, répond ce dernier ; aidez-moi je vous prie à le frapper tout mort qu’il est. 

« Icy lui baille Brayart une lance, et lui ayde à la mettre contre la coste de Jésus. »

Le sang sort en abondance mêlé avec de l’eau. Ce spectacle surprenant touche le Centurion et ses Soldats, qui embrassent dès lors la doctrine du Sauveur ; Emélius, Rabanus, Celcidon, Pharès, Abiron, Salmanazar, et Nembroth cessent d’être ses persécuteurs, à cette vue et témoignent le repentir qu’ils ressentent d’avoir outragé celui qu’ils reconnaissent à présent pour le Fils de Dieu. Ils se retirent en gémissants, et frappant leur poitrine. Leur exemple occasionne la conversion de Longis, qui se jette à genoux, et les larmes aux yeux, prie Jésus de lui pardonner son crime.

« Icy met Longis du sang de Jésus dedens ses yeulx. »

Pendant ce temps-là, les bourreaux détachent les corps des Larrons. 

« Icy despendent deux et deux ung Larron, et les laissent à terre. »

 

 

XII. Sépulture de Jésus

 

Joseph d’Arimathie, Seigneur Juif et revêtu par l’Empereur d’une charge considérable, va trouver Pilate, dont il est fort connu, et qui est de ses amis, et le prie de lui per mettre d’ensevelir le corps de Jésus : ce Gouverneur lui accorde sans peine ce qu’il demande.

PILATE.

Qui que s’en marrisse, ou s’en fume,
Pour l’honneur de vostre personne,
Joseph, Jésus le corps vous donne :
Allez, et l’ostez bien en haste.

Joseph se retire fort satisfait, et va pour exécuter ce qu’il a projeté. En son chemin il rencontre Nicodème, qui apprenant son dessein, offre ses soins pour l’aider en cette entreprise. J’ai, dit-il, à Joseph, des parfums précieux qui nous serviront, et il ne nous manque plus qu’un suaire. Heureusement pour eux, se présente Jullye, cette même Veuve de Naïm, dont nous avons vu que Jésus a ressuscité l’Enfant ; Nicodème et Joseph s’adressent à elle, et la prient de leur vendre un suaire ; Jullye leur en livre un du plus fin lin que l’on puisse trouver, et demande un besant d’argent pour son payement : comme elle n’en veut rien rabattre, assurant qu’elle le donne à juste prix, Joseph lui paye ce qu’elle demande, et emporte le suaire.

« Icy emporte Joseph le suaire, et Nicodesme apporte les bouettes aux ongnemens. »

Ces deux Juifs vont encore prendre quelques outils, et munis de tout ce qu’il leur faut ; ils prennent le chemin du Calvaire, pour descendre le corps de Jésus.

 « Icy monte Nycodesme par devant la Croix, et Joseph derrière, et porte Joseph les tenailles et marteau, et Nycodesme porte le suaire. »

Joseph a bien de la peine à détacher les clous, qui sont enfoncés si profondément, que ce Juif est obligé de se reposer quelquefois.

« Icy le descendent de la Croix, et Sainct Jehan leur pourra bien aider, et la Magdalene. »

Lorsque cela est fait, la Sainte Vierge demande que pour dernière consolation, on lui laisse la liberté d’embrasser un moment son cher Fils.

« Icy s’assiet Nostre-Dame à terre, et prent Jésus en son giron, et les Maries sont auprès. »

Magdelaine voyant la Vierge occupée autour du corps de Jésus, va embrasser la Croix du Sauveur, et là continue, ses pleurs, Notre-Dame, Marthe, et les Maries en font de même de leur côté. Au bout de quelque temps, Joseph les interrompant, leur représente que la nuit approchant, le force à faire plus de diligence, et que c’est à regret qu’il les prive de cette triste satisfaction. 

« Icy oingnent le corps de Jésus après quoi « ils l’ensevelissent » et ensuite « ils le portent au monument. »

L’Ange Gabriel console la Vierge Marie, pendant ce temps-là on met le corps de Jésus dans le tombeau, et lorsque tout est prêt, S. Jean, Joseph et Nicodème le ferment d’une grosse pierre.

« Icy mettent la pierre à l’uys du monument. »

La Vierge et les Maries, qui ont toujours suivis le corps de Jésus, se retirent en pleurant, et prennent le chemin de Béthanie, S. Jean les у accompagne, et Joseph et Nicodème s’en retournent à Jérusalem.

D’un autre côté, Cayphe, Anne, avec les Scribes et les Pharisiens, se souvenant que Jésus a promis de ressusciter le troisième jour après sa mort et craignant que ses Disciples n’enlèvent son corps pour faire courir ce faux bruit, vont chez Pilate, pour le prier de faire mettre des gardes à son tombeau pendant quelques jours.

« Icy viennent les Scribes et Pharisiens devers Pilate »

Cayphe demande à Barraquin si l’on peut parler à son maître. Je n’en sais rien, répond celui-ci, car il est de fort mauvaise humeur. C’est pour quelque chose qui presse, réplique le Pontife. Pour vous contenter, dit Barraquin, je vais voir s’il peut vous donner audience.

BARRAQUIN.

Monseigneur, les Pharisiens
Viennent vers vous.

PILATE.

Maulgré ma vie,
Barraquin, tay toy, je te prie ;
Car d’eulx, ne de leur fait n’ay cure,
En despist du hault Dieu Mercure,
Quant oncques je fis rien pour eulx.

BARRAQUIN.

Haro ! que Dyable il est fumeux !

Monseigneur, continue Barraquin, ils m’ont dit que c’est pour une affaire d’une grande importance : Eh bien, répond Pilate, fais les donc entrer. Cayphe ne tarde pas à se présenter avec toute la compagnie, et prenant la parole, il commence un discours dont Pilate ne voyant point le but, s’impatiente fort.

PILATE.

Venez au point qui vous amaine ;
Besoing n’est de interlocutoire.

Seigneur, réplique Anne, comme nous avons appris que ce Jésus que vous avez condamné à la mort, s’est vanté de ressusciter au bout de trois jours... Eh bien ? dit Pilate en l’interrompant,

PILATE.

Et puis, quant il seroit ainsi,
Que voulez-vous qu’on vous y face 

La grâce, que nous vous demandons, ajoute Mardochée, c’est comme nous sommes persuadés que ce n’est qu’une imposture, vous vouliez bien nous accorder des gardes, de crainte que ses Disciples n’enlèvent son corps, et ne fassent courir le bruit qu’il est ressuscité. Je n’en ferai rien, répond Pilate, et je n’ai que trop consenti à vos volontés, c’est vous qui m’avez forcé à prononcer l’injuste Arrêt de la mort.

PILATE.

Après la mort suffist-il mye
Qu’il ait en Croix perdu la vie ;
Que diable, demandez-vous plus ?
Que luy feriez-vous au surplus ?
En est-on pas assez vengé ?

Vous avez vos gardes, continue t’il, prenez-les, car pour moi, je ne veux plus m’en mêler. Les deux Pontifes remplis de confusion, se retirent avec leur suite : ils vont au plutôt chercher des Soldats, et s’adressent à ceux du Centenier.

« Icy viennent parler aux gens de Centurion. »

Rubion, Ascarius et Marchantonne, veulent bien se charger de cette commission ; mais avant toutes choses, ils demandent l’ouverture du Tombeau, pour voir si véritablement le corps de Jésus y est. Cayphe leur permet de lever la pierre qui le ferme, ce qu’ils font en présence de tous ces Juifs : et qui y ayant trouvé le corps du Sauveur, font remettre la pierre, et pour plus grande sûreté y posent chacun leur sceau. Ensuite ils s’en retournent chez eux, après avoir averti les Soldats, d’appeler du secours en cas qu’on vint pour les forcer ; et ceux-ci restent pour la garde du Tombeau.

 

 

Prologue final

 

Puis qu’avons eu temps et espace,
De réduire en brief par escript
La Passion de Jesu Christ,
Ayons-en recordacion,
Affin que par compassion
Puission mériter messouen[136],
Et en la fin gloire. Amen. 

 

« Cy finist le Mystère de la Passion Nostre Seigneur Jesuchrist. »

 

 

EXTRAIT DU MYSTÈRE DE LA RÉSURRECTION DE N. S. JÉSUS-CHRIST

 

PERSONNAGES

 

DIEU LE PÈRE

JÉSUS-CHRIST

LE SAINCT-ESPERIT en signe de Langues de feu

LA SAINCTE VIERGE MARIE

SAINCT MICHEL }
GABRIEL             }
RAPHAËL            }      Anges
URIEL                  }
CHÉRUBIN          }
SÉRAPHIN          }

S. PIERRE                                  }  
S. ANDRAY                                 }             
S. JACQUES dit Major                }   
S. JEHAN                                    }    
S. PHILIPPE                                }
S. BARTHÉLEMY                        }  Apôtres
S. MATHIEU                                }  
S. THOMAS                                 }
S. SYMON                                   }
S. JUDE                                       }
S. JACQUES ALPHAY, dit Minor }
S. MATHIAS                                 }

MARIE JACOB

MARIE SALOMÉ

MARIA MAGDALEINE

S. LUC         }  Disciples de Jésus
CLÉOPHAS }

JOSEPH BARSABAS, surnommé le Juste

NICODESME, Docteur de la Loi

JOSEPH D’ARIMATHIE, Officier Juif commis par l’Empereur

RUBEM      }       
GÉDÉON   } Disciples de S. Jacques dit Minor
NEPTALIN  }

МOАВ     }
ABIRON  } Juifs suivant le parti de Jésus
TUBAL    }
CÉLIUS  }

UN ESPICIER

L’OSTE du Bourg d’Emaüs

CAYPHE

ANNE

JÉROBOAM    }
MARDOCHÉE }
NAASON         }  Pharisiens
JOATHAN        } 
ELIACHIN        }      
BANNANIAS    }            

JACOB     }
ISACHAR }  Scribes
NATHAN  }
NACHOR }

PILATE, Gouverneur de la Judée

PROGILLA, femme de Pilate

BARRAQUIN, Confident de Pilate 

CENTURION

ASCANIUS              }
RUBION                  }  Soldats
MARCHANTONNE }

ROULLART  }
DENTART    }  Tyrans d’Anne
GADIFFER  }

BRUYANT  }
MALCHUS }  Tyrans de Cayphe
DRAGON   }

BRAYAULT, Geôlier

TROUPE DE JUIFZ

ADAM                          }  
ÈVE                             }   
DAVID                         }    
ISAYE                          }  Aux Limbes
HYÉRÉMYE                }         
EZÉCHIEL                   }   
S. JEHAN-BAPTISTE  }
LE BON LARRON       }      

LUCIFER Roi des Enfers

SATHAN       }        
ASTAROTH  }   Diables
FERGALUS  }         
BÉRITH        }      
CERBÉRUS }

 

« Icy commence le Mistere de la Résurrection et Assencion Nostre-Seigneur Jésus-Christ[137]. »

 

 

I. Des Chevaliers du Sépulcre

 

En finissant l’extrait de la Quatrième Journée du Mystère de la Passion, nous avons laissé Ascanius, Marchantonne et Rubion, auprès du Tombeau de Jésus, dont on leur a confié la garde ; nous les retrouvons ici dans la même occupation, et s’entretenant ensemble de leur valeur. Ils en paraissent tellement persuadés, qu’ils protestent ne pas craindre une vingtaine de personnes, qui voudraient leur faire violence.

 

 

II. Conseil des Juifs

 

Pendant ce temps là, Cayphe et Scribes et les Pharisiens, pour délibérer sur la démarche de Joseph d’Arimathie. C’est le Scribe Jacob qui le défère et qui soutient que malgré la charge dont il est revêtu, il n’a pas pu, suivant sa Religion, sur la seule permission de Pilate, ensevelir le corps de Jésus, qui a fini sa vie par une mort ignominieuse. L’assemblée ne balance pas à déclarer Joseph criminel : et Cayphe ordonne aux Satellites de se saisir de lui, et de l’amener.

BRUYANT.

Et après ?

ELYACHIN, Pharisien.

Et, Sire, esse à vous
Que nous en devons rendre compte ? etc.

BRUYANT.

Pardonnez-moy, je m’éjouye,
Et alloye à la bonne foy.

 

 

III. Des trois Maries

 

Magdelaine, Marie Salomé, et Marie Jacobi, paraissent en pleurant la mort de Jésus : comme elles n’ont point eu la satisfaction d’embaumer son corps, elles se munissent chacune d’une boite, et prennent de l’argent suffisamment pour aller acheter des parfums, et ensuite les répandre sur lui.

 

 

IV. Joseph d’Arimathie devant les Scribes et Pharisiens

 

Les Satellites d’Anne et de Cayphe courent de tous côtés pour trouver Joseph d’Arimathie, lorsqu’ils le rencontrent, ils se jettent tous sur lui, et le traitent avec beaucoup d’inhumanité.

ROULLART.

Sà, Maistre, ne rebellez point :
Faictes vous icy du grobis ?
Vous vendrez par devers nobis ;
Passez avant légierement.

JOSEPH.

Seigneurs, menez-moy doulcement,
Quel chose me demandez-vous ?

MALCHUS.

Vous le scaurez à vos chiers coustz, etc...

Ces malheureux, malgré leur nombre, craignant que Joseph, tout désarmé qu’il est, ne leur échappe, ils le lient avec de fortes cordes, sans écouter ses raisons, et ne le regardants que comme un scélérat qui va bientôt subir une mort cruelle.

JOPSEPH.

Comment ? je n’entens point cecy ;
Messeigneurs, que voulez-vous faire ?

MALCHUS.

Vous le sçaurez par exemplaire,
Avant qu’il soit guères d’espace ;
Sus-tost, escharissez la place,
Il n’est pas saison de prescher ;
Il fault le païs despecher
De vostre sanglante charongne.

JOSEPH.

Vecy douloureuse besongne ;
De moy si rudement traiter :
Vueillez moy ung peu supporter,
Larron ne suis, ne couveulx[138].

MALCHUS.

Et si tu ne vaulx guères mieulx.

En accompagnant ces paroles insultantes d’une infinité de coups, ils l’amènent au conseil des Juifs. Dès que Joseph se voit devant eux, il se défend du crime qu’on lui impute, et allègue un grand nombre de passages de l’Écriture Sainte, qui non-seulement permettent de rendre aux morts ce charitable soin mais même le commandent comme une œuvre méritoire aux yeux de Dieu. Tout ce que vous dites est vrai, lui répond Cayphe, mais vous vous trouvez dans un cas bien diffèrent. Armez-vous de patience, ajoute Anne, d’un ton charitable.

ANNE.

Vous avez la mort desservie,
Joseph, or la prenez en gré.

Comment, réplique Joseph, quel mal ai-je fait en ensevelissant le corps d’un homme innocent. Cette dernière parole inspire à l’assemblée une fureur inexprimable ; sans observer aucune formalité, les deux Pontifes ordonnent qu’on le conduise en prison. Je suis Officier de l’Empereur, s’écrie Joseph, et j’en appelle à son Tribunal. Les Juifs méprisent ces défenses, et commandent aux Satellites d’obéir promptement : ces derniers exécutent cet ordre avec leur rigueur ordinaire et amènent Joseph au Geôlier Brayault, qui l’enferme dans un cachot affreux.

 

 

V. Des Maries, et de l’Onguent qu’ils[139] achetèrent

 

Magdelaine et ses deux Compagnes, pour accomplir le dessein qu’elles ont pris dans le III. Mystère, vont trouver un Épicier, et lui demandent combien il lui faut pour remplir les trois boites qu’elles portent, du parfum le plus exquis. Je ne puis le faire, répond-il, à moins de cent besant[140]. La somme est un peu forte, répliquent-elles :

MARIE JACOB.

N’en pourrait-on point rabaisser,
Cher maistre ? Soyez-nous benin.

L’ESPICIER.

En vérité, Dame, nennyn ;
Croyez, que je n’y gagne guère, etc.

Je vous parle en conscience, ajoute-t-il. Puisque cela est ainsi, disent les femmes, tenez, voilà votre argent, et donnez-nous de la meilleure marchandise que vous avez. L’Épicier leur livre des baumes précieux, et elles les emportent, en intention d’aller au Tombeau de Jésus dès le lendemain, à la pointe du jour. 

« Icy s’envont mettre à point les oingnemens. »

 

 

VI. De Saint Jacques le Mineur, et de ses Disciples

 

Rubem, Gédéon et Neptalin ; Disciples de S. Jacques le Mineur, font tous leur possible pour consoler leur Maître qui paraît dans une tristesse extrême. Tous leurs efforts sont inutiles, et cet Apôtre est si inconsolable de la mort de Jésus, dont il porte la ressemblance, que malgré tout ce qu’ils lui peuvent dire, il persiste dans le dessein qu’il a pris, de ne boire, ni manger, qu’il n’ait vu son Sauveur.

 

 

VII. De Saint Pierre en la fosse

 

« Icy doit estre Sainct Pierre en la fosse tout seul. »

Le regret que d’avoir renié son Maître, lui ayant fait prendre la résolution de s’enfermer dans le lieu où nous le voyons ici ; il y pleure amèrement son crime. Quelque temps après, faisant réflexion que les conseils de ses frères pourront le fortifier, il sort de ce triste réduit, et va pour les rejoindre. 

« Icy s’en va vers ses compaignons. »

 

 

VIII. Des regrets des Apôtres pour la mort de Jésus

 

Saint Pierre en arrivant au logis des Apôtres les trouve consternés de la perte de leur Maître. Chacun d’eux en témoigne la douleur, et S. Pierre lui-même ne peut cacher le chagrin qu’elle lui cause.

SAINCT PIERRE.

Mes frères, bien devons mener
Grant pleur, et grant dueil demener ;
Quant nostre fait bien considère
Quant sil qui nous soulait donner[141]
Doctrine, et réfectionner
Nos âmes par divin mystère,
Est mort à si grant vitupère[142] :
Or demourra nostre repaire[143]
Sans Pasteur pour nous gouverner,
Ou ung Docteur qui nous appere[144],
(Si doubte que ne le compère[145],)
Nostre âme avant le dessiner[146].

Dans cette triste situation, les Apôtres craignant la fureur des Juifs, qui après avoir fait mourir le Maître, pourront bien traiter de même les Disciples, et n’osant plus sortir, prennent le parti de s’enfermer chez eux, et de se tenir sur leurs gardes.

 

 

IX. Des Chevaliers qui gardaient le Sépulcre

 

Les trois Soldats dont nous avons parlé au premier Mystère, continuent leur fonction avec beaucoup de zèle : de peur d’être surpris ils visitent le contour du Tombeau, pour voir si personne ne s’y serait point caché. Lorsque cela est fait, ils se mettent à leurs places.

MARCHANTONNE.

S’il y a ribault qui cy s’embuche,
Quel qui soit, estrange, ou privé,
Et il y peult estre trouvé,
Il ne fauldra pas à la feste,
Car les espaulles et la teste
Je luy fendray jusques aux dens. 

 « Icy se racient[147] leurs bastons sur eulx. »

 

 

X. Enfer

 

Lucifer toujours attaché au fonds de ses cachots, sans en pouvoir sortir, est dans une étrange inquiétude de savoir tout ce qui se passe. Comme depuis le moment que Jésus est venu le dépouiller de sa proie, il n’a entendu parler de rien, il appelle tous ses Démons, d’une voix épouvantable, pour être instruit de tout ce qui s’est fait sur la terre, depuis la descente du Sauveur aux Enfers.

LUCIFER.

Diables de l’infernal déluge,
En crueux[148] tourmens estendus,
Serpens dampnez, et confondus
À l’infernal feu perdurable,
Mauldis soubs peine interminable ;
Venez moy brefvement à secours, etc.

SATHAN.

Haro ! Lucifer est entré,
Ce n’est advis, en raige infecte :
Escoutez-là quel chansonnette
Il nous chante au proficiat.

ASTAROTH.

Ainsi fait-il, quant il s’esbat,
Ce sont les beaulx jeux qu’il scet faire
Que de crier, hurler, et braire,
Comme un loup de rage affamé.

FERGALUS.

Il ne huche[149] ne deux, ne troys,
Il a tout d’ung coup appellée
La grant légion désollée
De tous ceulx qui sont en Enfer.

LUCIFER.

Commun mauldict, gendre infernal,
Monstrez divers substances viles,
Ors Serpens, hideux. Cocodrilles,
Vielz aspicz, orribles dragons,
Vendrez-vous point ?

SATHAN.

  Nous nous hastons, etc.

Comment donc ? dit Lucifer, on me laisse ici, sans m’apprendre aucunes nouvelles ? Sathan lui fait le récit ; de tout ce qui s’est passé sur la terre depuis la mort de Jésus ; et Lucifer lui donne ordre d’y remonter pour prendre garde à ce qui va arriver, afin de l’en informer ensuite.

« Icy s’en va Sathan vers le Tombeau. »

 

 

XI. Résurrection

 

Dieu le Père qui prévoit le moment que Jésus va ressusciter, ordonne à ses Anges de se préparer à un si grand événement, et d’exciter un tremblement de terre : en même-temps il charge Gabriel du soin de consoler la sainte Vierge.

« Icy se doit faite une grande tempeste en Enfer, et sus la Terre, pour faire trembler. »

Les gardes qui sont autour du Tombeau se sentant fatigués, s’abandonnent à un sommeil si profond, que le bruit que cause le tremblement de Terre ne les peut réveiller.

« Icy s’endorment les Chevaliers ; et doit venir l’Ange, qui oste la pierre du monument, et alors se doit lever Jésus du Sépulchre à tout une Croix vermeille, et incontinent se absconse. » 

Notre-Dame qui ignore ce qui se passe, est dans une grande affliction, néanmoins l’espérance qu’elle a de voir Jésus ressuscité, jointe aux discours consolants de l’Ange Gabriel, apaise un peu sa vive douleur.

MARIE.

Exurge glaria mea ;
Lieve-toy ma gloire parfaicte,
Psalterium & cythara,
Ma mélodie très parfaite,
Ne laisse ta Mère deffaicte,
Desolatam in seculo ;
Mais selon la voix du Prophète,
Dis, exurgam diluculò.

JÉSUS.

Ma très chère Mère, et loyalle,
La paix du Ciel impérialle
Ayez en vostre humilité.

La Sainte Vierge se sent fort consolée à cette vue ; Jésus lui apprend qu’il vient de ressusciter, et que désormais il ne l’abandonnera plus. Notre-Dame le remercie avec une profonde humilité.

NOSTRE-DAME.

Loué en soit la Trinité,
Que mon cher Filz s’est présenté
À moy ; plus joyeuse en seray.

 « Icy esvanouit Jésus d’elle. »

 

 

XII. Des trois Maries

 

Les trois Maries poursuivant toujours leur dessein, vont à la pointe du jour au Tombeau de Jésus, pour répandre sur son corps les aromates qu’elles ont achetés. 

« Nota. Que la pierre est ôtée, et sont les Anges assis dessus. »

« Icy entrent au monument en regardant. Magdelaine est fort affligée, lorsque regardant le Tombeau, qui est ouvert, elle n’y voit point le corps de Jésus. Ses deux Compagnes en paraissent aussi surprises qu’elle, sitôt qu’elles sont entrées : dans la croyance où elles sont qu’on l’ait emporté, elles fondent en larmes. Leur crainte et leur effroi redoublent en apercevant Michel et Gabriel qui sont assis sur le Tombeau. Mais ces bienheureux Esprits les rassurent, en leur disant que ce Jésus qu’elles cherchent avec tant d’empressement est ressuscité ; et que si elles veulent le voir, elles n’ont qu’à aller en Galilée. Les trois Maries ne tardent pas à obéir à un ordre si favorable, en prenant le chemin de cette Contrée. 

« Icy se mettent en voye. » 

 

 

XIII. Des Chevaliers qui gardent le Sépulcre

 

            Nos gardes endormis sont fort étonnés en s’éveillant font de fort de trouver le Tombeau ouvert : leur étonnement augmente, lorsqu’en s’en approchant, ils n’y voient plus le Corps de Jésus. Comme ils ne savent à qui attribuer ce prodige, ils se disent force injures, et s’accusent mutuellement de n’avoir pas veillé avec assez de soin.

ASCANIUS.

C’est par vous.

MARCHANTONNE.

Vous avez menty,
Ne me imposez point lacheté :
J’ay mieulx gardé de mon costé
Que vous, et de meilleur parti.

RUBION.

Jamais il ne fust départy
Si vous eussiez songneux esté ;
C’est par vous.

ASCANIUS.

Vous avez menty.
Ne me imposez point lacheté :
Tout ce mal nous est reverty[150]
Par vostre grant meschanseté,
Vous avez prins et emporté,
Qui que ait[151] le moyen basty,
C’est par vous.

RUBION.

Vous avez menty,
Ne me imposez point lacheté :
J’ay mieulx gardé de mon costé.
Que vous, et de meilleur party ;
Et qui me dira c’est par ty[152],
Je l’appelle le champ de gaige[153].

Hé ! de grâce, Messieurs, dit Marchantonne ; ne nous échauffons pas davantage ; quoi ? voudrions-nous nous égorger ? Il vaut bien mieux nous excuser envers les Juifs. Et le moyen ? répond Ascanius ; en leur disant, réplique Marchantonne que Jésus est ressuscité.

RUBION.

Voyre, mais vous ne comptez mye,
Que nous les ferons crever d’ire ?

MARCHANTONNE.

Ne vous chaille[154] que scachent dire.

En un mot, ajoute-t-il, le meilleur parti que nous puissions prendre, c’est de dire la vérité : et puis, vous n’ignorez pas que c’est le ciel qui a opéré cette merveille, et que ne pouvant résister aux Dieux[155], il n’y a point de faiblesse à leur céder. Il est vrai, reprend Ascanius, et je me ressouviens de l’avoir vu ressusciter.

ASCANIUS.

Oncques rien ne cuyday[156] veoir mieulx
Que je l’ay choisy à mes yeulx,
Issir du tombeau tout vivant[157].

Je m’en souviens aussi, dit Rubion. Puisque cela est, répond Marchantonne, ne tardons pas à aller trouver les Princes de la Loi. 

« Icy s’envont vers les Pharisiens. »

 

 

XIV. Des Maries et des Apôtres

 

Magdelaine vient annoncer aux onze Apôtres, que le Corps de Jésus n’est plus dans le Tombeau, et qu’elle ne sait ce qu’il est devenu. Cette triste nouvelle les afflige ; S. Pierre et S. Jean qui en paraissent plus alarmés, courent au Tombeau, Magdelaine les y suit.

« Icy s’en vont courant Sainct Pierre et Sainct Jehan au monument, et vient Sainct Jehan tout premier. »

« Icy s’enva Magdaleine devant les autres Maries. »

Marie Jacob, et Marie Salomé marchent sur les pas de leur Compagne, mais sans témoigner un aussi grand empressement.

« Icy s’envont[158] bellement après. »

Saint Jean qui arrive le premier, ne trouvant que les linges dont on s’est servi pour ensevelir Jésus, le dit à S. Pierre : ces deux Apôtres sont fort sensibles à cette aventure, mais ne voyant point de remède, ils prennent le parti d’aller en avertir leurs confrères ; S. Jean qui est plus jeune devance de beaucoup son compagnon.

« Icy s’enva Sainct Jehan aux Apôtres, et Sainct Pierre demeure derrière. »

 

 

XV. De l’Apparition de Jésus à la Magdelaine

 

Enfin la Magdelaine arrive tout en pleurs mais, avec plus de succès : l’Ange S. Michel lui demande le sujet de ses larmes. Seigneur, lui répond-elle, je cherche le Corps de mon Maître, qu’on a enlevé de ce Tombeau.

« Icy s’en vient Jésus par derrière en forme d’ung Jardinier. »

JÉSUS.

Femme, que quiers tu-là ?

Magdelaine trompée par ce déguisement, lui fait la même réponse qu’à l’Ange, et le prie, si c’est lui qui a enlevé le Corps de Jésus, de lui enseigner où il la mis.

JÉSUS.

Marie ?

À cette parole la Magdelaine reconnaît le Sauveur, et remplie de respect, et de reconnaissance, elle va se jeter à ses pieds pour les embrasser.

MAGDALEINE.

  Ô mon Maistre, etc. 

JÉSUS.

Cesse, Marie, ne me touche.

Magdelaine satisfaite de cette agréable vue, obéit au Seigneur, qui disparaît à ses yeux : elle va aussitôt faire part à ses Compagnes du bonheur qu’elle vient d’avoir.

MARIE JACOB.

Comment ?

MAGDALEINE.

Jésus le débonnaire
Notre Maistre est ressuscité.

MARIE SALOMÉ.

Jésus !

MAGDALEINE.

  Ouy, en vérité, etc. 

 « Icy vient Jésus à l’encontre d’eux. »

Les trois Maries embrassent les genoux de leur Rédempteur, et arrosent ses pieds des larmes, que la joie leur fait répandre. 

« Icy se doivent incliner toutes trois, et luy baisent les piedz. »

Jésus leur dit d’apprendre aux Apôtres sa Résurrection, et ensuite disparaît.

 

 

XVI. De l’Apparition de Jésus à Saint Pierre

 

« Icy doit estre Sainct Pierre à part soy arrière des autres Apostres. »

Cet Apôtre accablé de douleur se retire seul pour y rêver plus profondément : la crainte où il est que son offense ne le prive du bonheur de voir son cher Maître, redouble encore sa peine. Comme il est dans cette triste pensée, Jésus se présente tout à coup à lui.

« Icy s’apparest Jésus à Sainct Pierre. »

Le Sauveur l’assure qu’il lui pardonne son péché, S. Pierre embrasse ses genoux, et le remercie de sa bonté ; pendant ce temps-là Jésus s’évanouit à ses yeux.

« Icy se part Jésus subtillement. »

 

 

XVII. La difficulté des Apôtres touchant la Résurrection de Jésus

 

Les trois Maries accourent avec joie annoncer aux Apôtres qu’elles ont vu Jésus depuis sa Résurrection, et qu’elles lui ont parlé. Ces derniers refusent d’ajouter foi à un récit, qui n’étant appuyé que sur la déposition de quelques femmes, pourrait n’être pas véritable.

MARIE JACOB.

Sans doubte quelconque,
Pour vérité vous affermons
Qu’il est ressuscité, etc.

SAINCT ANDRAY.

Telz sermons
Ne sont pas bons à controuver,
Qui n’est bien seur de les prouver,
Tellement qu’il est tout notoire ;
Car par une telle inventoire
Plusieurs se pourraient abuser.

SAINCT JAQUES Major.

Dames, ne vụeillez pas user
De telles parolles soudaines,
Se vous n’en estes si certaines
Qu’on ne vous en puist[159] accuser, etc.

MAGDALEINE.

Sur la foy qu’à mon Dieu je dois,
Mon Maistre, et mon hault Créateur
Il est tout vray.

SAINCT SYMON.

Sauf vostre honneur ;
Magdaleine, très chère Amye,
Nous ne vous en desdiron mye :
Bien povez dire, avons ensemble,
Qu’ainsi est, ou que le vous semble ;
(Et cuide[160] qu’il fault là venir ;)
Car on voit souvent advenir,
Quant on pert ung amy léal[161]
Et pour cause qu’il en fait mal,
On le requiert[162] par mainte voye,
Et semble tousiours qu’on le voye,
Et peut estre qu’on ne voit rien :
Et vient celà par le moyen
D’une bien forte fantaisie
Qui tousiours songe, et fantaisie[163]
Ce qui lui touche au cueur plus fort.

Je suis aussi de votre avis, dit Saint Jude.

SAINCT JUDE.

Aux femmes de liger[164] courage,
Qui en ung tel hault tesmoignage
Ne sont creues en quelque saison.

SAINCT MATHIEU.

Jude, amy, vous avez raison, etc.

Pour moi, ajoute S. Philippe, j’entre fort dans votre sentiment. Je l’approuve aussi, dit S. André, car,

SAINCT ANDRAY.

Leur rapport son, ne raison n’a, etc.

SAINT BARTHÉLEMY.

Ce sont paroles feminines
Qui ne servent rien que pour rire,
On sait que femmes savent dire,
Ainsy que leur vouloir les meult.

De quoi vous embarrassez-vous, Messieurs, s’écrie S. Jacques le Majeur ;

SAINCT JAQUES Major.

Quand ad ce, il le croit qui veult ;
Jà n’en fault plus avant parler,
On ne les peult que ouyr parler,
Mais on n’y, regarde ne compte.

En un mot, les Apôtres persistent à ne rien croire du rapport des Maries, jusqu’à ce qu’ils en soient convaincus par leurs propres yeux. Pendant ce temps-là, S. Jacques le Mineur persiste de plus en plus dans la résolution qu’il a prisé, de ne boire, ni manger, avant qu’il ait vu le Sauveur : les remontrances de ses trois Disciples sont inutiles, et ne peuvent rien sur son esprit.

« Icy s’appart[165] Jésus subtillement. »

Le Seigneur en se manifestant leur donne la paix, ensuite il commande aux Disciples de dresser la Table. Rubem, Gédéon et Neptalin, lui obéissent. 

« Icy Jésus brise le pain, en faisant sus la bégnisson[166] et en présente à Sainct Jaques. »

Cet Apôtre, satisfait au-delà de ce qu’on peut s’imaginer, rend grâces au Seigneur, et lui promet de publier sa glorieuse Résurrection par toute la Terre.

« Icy se part[167] Jésus subtillement. »

 

 

XVIII. De Jésus et de Joseph d’Arimathie

 

Pendant que Joseph se plaint des tourments injustes que les Juifs lui font souffrir, et qu’en même temps il bénit Dieu qui lui donne la force de les endurer pour un sujet si innocent, Jésus vient le consoler.

« Icy entre Jésus dans la prison. »

Le fidèle Israëlite surpris à cette vue, le prend pour Élie : Tu te trompes, lui dit Jésus, reconnais en moi ce même Fils de Marie, à qui tu as rendu les derniers devoirs : pour t’en récompenser, ajoute-t-il, sans lui donner le temps de répondre, et te faire connaître ma puissance, tu n’as qu’à me suivre, et tu vas être délivré du péril que tu cours. 

« Icy se doit lever la Tour en sa estant[168] et depuis Jésus le maine vers le Sépulchre. »

Joseph revoyant le lieu où il a enseveli le Seigneur, le remercie de la bonté qu’il a eue, de l’avoir choisi pour faire cette noble fonction. Jésus lui ayant rendu la liberté, lui ordonne de se retirer à Arimathie, et d’y rester quarante jours.

« Icy se esvanouyt Jésus comme dessus. »

 

 

XIX. Des tyrans qui cherchent Joseph d’Arimathie

 

Les Scribes et les Pharisiens viennent trouver Anne et Cayphe, et leurs représentent que la fête de Pâques étant passée, il est temps de juger Joseph d’Arimathie : cela est juste, dit Cayphe ; il appelle Maucourant, et lui ordonne de prendre quelques Satellites avec lui, et d’amener Joseph. Le Messager obéit à ce commande ment, et va à la prison. Le Geôlier Brayault vient à la porte de la Tour qu’il trouve bien fermée ; mais il est fort surpris, lorsque l’ayant ouverte, il ne voit plus le prisonnier.

MAUCOURANT.

Il s’en est bien et beau fouy[169]
Croyez qu’il y a tromperie.

BRUYANT.

Vecy la plus forte farie[170]
Dont onc homme ouyt parler :
Je treuve[171] l’uys sans desceller,
Je treuve l’uys tout verouillé,
Serré, bandé, et fatrouillé,
Et c’est[172] mon homme transporté.

BRAYHAULT.

Les Dyables l’en ont emporté
Par enchantemens, soyez seurs.

Ils viennent faire ce rapport aux Juifs, qui leurs ordonnent de le chercher par tout avec grand soin.

 

 

XX. Des Chevaliers qui gardent le Sépulcre

 

« Icy vienent les trois Chevaliers du Sépulchre. » 

En arrivant ils trouvent Maucourant à la porte, à qui ils souhaitent le bonjour.

ASCANIUS.

Dieu gard Maucourant,
Et te doint[173] d’argent plaine bource.

Je vous suis obligé, leur répond-il, quel sujet vous amène ? Nous voulons disent les Soldats, parler à Anne et à Cayphe : Vous venez fort à propos, réplique le Messager, passez la dedans, et vous les trouverez assemblés avec les Princes de la Loi. Lorsqu’ils sont entrés, Marchantonne leur apprend que Jésus est ressuscité.

CAYPHE.

Escoutez cy, quel diablerie ?
Quel dueil, quel passion de raige ?
Escoutez quel hydeux langaige[174],
Pour ung cueur humain embraser ?

NATHAN.

Sire, vueillez vous appaiser :
Il se joue, que vous pencez.

JACOB.

Holà ! compaignons, c’est assez,
Contez le cas ainsi qu’il va.

Ce n’est point une raillerie, répond Ascanius, c’est la pure vérité que nous vous racontons. Oui certainement, ajoute Rubion. Ensuite, ils assurent les Juifs qu’ils n’ont pu empêcher cette chose, ni appeler du secours, attendu qu’ils ont été saisis d’un tel effroi qu’ils n’avaient pas la force de remuer, ni de parler : que seulement, ils ont vu deux jeunes hommes habillés de blanc, et quelques femmes qui cherchaient le Corps de Jésus. Les Juifs consternés par ce discours, emploient toutes sortes de moyens pour leur faire tenir un autre langage ; mais ne pouvant en venir à bout, ils se retirent à part, et concluent entre eux qu’il faut corrompre ces soldats à force d’argent, pour leur faire dire dans le public, que Jésus n’est point ressuscité, mais que les Apôtres ont enlevé son Corps. C’est le meilleur parti que vous puissiez prendre, dit Nathan le Scribe.

NATHAN.

Il n’est chose qu’argent ne face :
Argent courrousse[175] argent relesse[176],
Argent abat, argent redresse,
Argent donne, argent aust[177] office,
Argent corrompt droit et justice,
Et d’autres choses cent milliers.

Ils retournent vers les Soldats, et après leur avoir fait cette proposition, ils offrent cinq cens besans[178] pour l’accepter : ces derniers s’obstinent à vouloir le double, comme c’est une affaire de conséquence, et que cette somme est exorbitante, ils prient Cayphe, qui est fort riche, de la leur prêter, et lui permettent d’imposer une taxe sur les Prêtres de la Judée, pour s’en dédommager. Cayphe compte les mille besans aux Soldats, qui se retirent, en jurant d’exécuter leur promesse.

« Icy s’en vont partir leur argent. »

Nos avides Soldats n’étant point encore satisfaits d’une si grosse somme, vont chez Pilate, pour y semer le bruit conforme aux désirs des Juifs : espérant par ce moyen tirer quelque argent de lui. D’un autre côté S. Luc et Cléophas[179] voyants le temps serein, prennent chacun un bourdon, et se mettent en chemin pour aller à Emaüs.

« Icy se mettent en voye, et les Chevaliers vont vers Pilate. »

MARCHANTONNE.

Prévost, le grant Dieu Apollin
Acomplisse vostre désir, etc.

Pilate qui est accablé de chagrin, depuis le moment qu’il a condamné Jésus, ne fait pas d’attention à ce discours.

PILATE.

Ha ! fortune très variable,
Variant variablement,
Tu m’as fait faire ung jugement
Dessus l’innocent et le juste,
Le plus faulx et le plus injuste,
Qu’oncques Juge Sentencia[180].

ASCANIUS.

Taisez-vous, Sire, c’est mal dit, etc.

Vous ne savez pas ce qui se passe, disent-ils, quoi, répond Pilate, c’est répliquent les Soldats, que les Disciples de Jésus ont enlevé son Corps. Et pourquoi, dit Pilate, n’avez-vous pas appelé du secours ; parce que, répondent-ils, ils ont pris le temps que nous dormions. Si cela est, dit le Gouverneur, vous êtes encore plus condamnables, de ne point veiller avec soin : mais, ajoute-t-il, je ne crois point ces impostures, je sais que vous n’êtes que des misérables, corrompus par les Juifs : et je vous assure qu’au premier jour, je vous ferai tous pendre. Les Soldats se retirent pleins de confusion.

MARCHANTONNE.

Or sus, que le Diable y ait part ;
Quelz motz vela ?

RUBION.

Il est joyeulx.

ASCANIUS.

Esse-oy le vin gracieux,
Que nous avons pour nostre peine ?

MARCHANTONNE.

Je n’y r’entreray de sepmaine,
Il y gist ung mauvais escot.

 

 

XXI. Des Pèlerins d’Emaüs

 

Saint Luc et Cléophas s’entretiennent pendant leur chemin de la mort de Jésus.

« Icy survient Jésus en forme d’ung Pèlerin. »

Le Seigneur sous ce déguisement se joint à leur compagnie : Il leur demande le sujet de leur conversation, et prend cette occasion pour leur expliquer l’accomplissement des Prophéties ; enfin sans s’ennuyer nos Pèlerins arrivent à Emaüs.

« Icy saint Jésus d’aller plus loing et les deux Pélerins le retiennent. »

Seigneur, dit Cléophas, demeurez avec nous, puisqu’il est tard, nous aurons l’avantage de jouir plus longtemps du plaisir de vous entendre. Jésus y consent, et le Maître d’une Hôtellerie de ce Bourg, s’avance pour les prier d’entrer chez lui.

SAINCT LUC.

Vive tousiours ung Hoste tel
Qui ainfi scet servir ses gens.

L’OSTE.

Se pain est-il bon et bel ?

CLÉOPHAS.

Vive tousiours ung Hoste tel.

L’OSTE.

Et vecy du vin, Dieu scet quel,
Il semble qu’on morde dedens.

SAINCT LUC.

Vive tousiours ung Hoste tel,
Qui ainsi scet servir les gens.

Lorsqu’ils sont à table, Jésus prend un pain, et après l’avoir rompu en deux, il leur dit de manger.

Icy s’esvanouit Jésus de leur compaignie, depuis qu’il eu brisé le pain, en faisant la bénédiction. »

Ô Ciel ! s’écrie S. Luc, qu’est donc devenu ce Pèlerin ? Mon cher frère, répond Cléophas, c’est Jésus qui nous est apparu en personne.

SAINCT LUC.

Il n’en fault point doubter,
Maintenant en suis recordant.

Sans différer davantage, ils payent l’Hôte, et sortent en diligence, pour annoncer aux Apôtres cette grande nouvelle ; ils hâtent un peu leur marche, parce que la nuit approche.

 

 

XXII. De Jésus et de ses Disciples

 

Saint Luc et son compagnon ne tardent pas à joindre les Apôtres, et, qui voyant leur activité, demandent s’il est survenu quelque chose de nouveau. Oui, répond S. Luc, qui leur fait le récit de leur aventure, et de quelle façon admirable, le Seigneur leur a expliqué les Écritures Sacrées.

SAINCT LUC.

Là nous commença à Moyse,
Et delà vint à Ysaye,
Et de Ysaye, à Hyérémye,
De Hyérémye à Daniel,
À David, à Ezéchiel :
Et tout couché en si bel ordre,
Qu’il n’est homs[181] qui y sceult que mordre.

Saint Thomas ne veut point ajouter foi à ce discours, et quitte les Apôtres, alléguant ces deux raisons qui l’y obligent : l’une, de la nécessité où il se trouve de gagner et l’autre pour sauver la liberté de la fureur des Juifs. 

« Icy se part Sainct Thomas des autres, et alors doit venir Sainct Pierre, Sainct Jehan, Sainct Jaques le Mineur, et s’en doivent venir dix  ensemble. » 

Lorsqu’ils sont ainsi rassemblés, le Seigneur vient tout-à-coup.

« Icy vient Jésus invisiblement au meilleu de eulx. »

Les Apôtres étonnés le prennent pour un fantôme, mais Jésus pour leur prouver le contraire, demande à manger.

SAINCT PIERRE.

Je suppose,
Sire, qu’il y en a voirement,
Mais ce n’est pas si largement,
Ni si bon qu’on saurait bien dire.

On lui présente du miel, un petit poisson rôti et du pain, le Sauveur mange de toutes ces choses, et donne le surplus aux Apôtres.

« Icy Jésus les aspire de son allaine, puis s’esvanouit comme dessus dit. »

Pendant que les Apôtres s’entre tiennent de l’honneur que Jésus leur vient de faire, ils entendent frapper à la porte à grands coups redoublés : la crainte des Juifs les oblige à bien des précautions, ils n’osent y aller ; enfin après beaucoup d’instances, on ouvre à S. Thomas, qui ne pouvant trouver aucun repos, vient rejoindre ses frères, pour se consoler avec eux. Aussitôt on lui fait part de l’apparition du Seigneur : mais cet Apôtre incrédule, refuse de se rendre à leur témoignage.

SAINCT THOMAS.

Je vouldroye estre plus subtil,

Je vous avoue, continue-t-il, qu’à moins que je ne tâte les trous de ses plaies, je n’en croirai rien.

« Icy se doit apparoir Jésus comme dessus, au meilleu d’eux unze, et dit. »

JÉSUS.

Pax vobis.

Regarde, Thomas, ajoute-t-il, et reviens de ton erreur. S. Thomas con vaincu par lui-même de la vérité, se jette aux pieds du Sauveur, et le prie de lui pardonner son offense. 

« Icy s’esvanouit Jésus. »

« Icy viennent les trois Maries à Nostre-Dame. »

 

 

XXIII. Des Apôtres de Jésus

 

Comme les Apôtres sont sans argent, prennent la résolution qu’une partie d’entr’eux restera dans la maison, et que les autres iront à la pêche.

« Icy s’en vont Pierre, Jehan, Jaques, Andray, Thomas, et Barthélemy, et les autres demeurent. »

Ces six Apôtres vont au bord de la mer, et étant entrés dans un petit bateau ils jettent leurs filets.

« Icy posent ung peu. »

Comme ils ne prennent presque rien, ils commencent à s’impatienter.

SAINCT THOMAS.

Comment elle tout ?
Le mesnage est très bien pugny
Il n’y a poisson ne demy
Dont ung chat se peult desjeuner.

 

 

XXIV. De l’Apparition de Jésus aux Apôtres qui pêchaient

 

Icy survient Jésus sur le bord. »

Jésus leur dit de jeter leur filet du côté droit, et qu’ils trouveront une pêche abondante.

SAINCT ANDRAY.

La chose est ligere,
Il ne couste rien d’effayer.

D’un autre côté, S. Mathieu ; et les autres Apôtres qui sont restés au logis, font des veux pour le salut de leurs Compagnons ; qui ayant jetés leurs filets, suivant l’ordre du Seigneur, sentent, en le voulant retirer, qu’il est plein de poisson, ce qui les oblige à y prêter tous la main.

SAINCT THOMAS.

Sus, Compagnons, avant :

SAINCT ANDRAY.

Amont[182]
Les poissons si très durs y sont[183],
Que toute l’eschine m’en ploye :
Sus compagnons, amont.

SAINCT PIERRE.

Amont,
Chacun sa puissance y employe.

Enfin avec bien de la peine les Apôtres retirent leur filet.

« Icy s’en va Sainct Pierre tout seul au port où Jésus est. » 

Tous les Apôtres viennent bientôt trouver Jésus, et le remercient du succès de leur pêche.

SAINCT JAQUE Major.

J’ay nostre marée comptée,
Nous avons que Bars, que Esgrephins[184],
Que saulmons., que gros Marsouins
Près de cent et cinquante mille.

Jésus leur dit de venir manger, à la fin du repas, il les invite à se trouver tous sur le Mont Thabor ; après quoi il disparaît. Les Apôtres se retirent ensuite, pour aller vendre leurs poissons, et en faire de l’argent.

« Icy s’en vont. »

 

 

XXV. Enfer

 

SATHAN.

Dyables despis, Dyables félons,
Ennemis de gloire forclos[185]
Ne me tenez plus vos huys clos[186],
Ouvrez moy prestement les portes,
Car telles nouvelles vous aporte,
Dont vous me devez festoyer.

Quelles nouvelles ? dit Lucifer : je viens vous en dire de bonnes, répond Sathan.

ASTAROTH.

Conte lay[187] donc sans si hault braire,
Si orrons[188] quel bout va devant.

Jésus est-il ressuscité ? demande Lucifer.

SATHAN.

Cestuy est jà vieulx comme terre ;
Sil est suscité[189] qui s’en doute,
Et plus de cinq fois en toute
Il est à ses gens apparu,
Ou apparu, où desparu :
...
Mais j’ay jà trouvé la manière
Que les Juifz n’en croiront jà rien.

Comment cela ? dit Lucifer : C’est, répond Sathan, que j’ai engagé les Juifs à corrompre les Soldats du Sépulcre, pour leur faire tenir un discours contraire à la vérité.

LUCIFER.

Par ma pate, tu es vaillant,
Il n’y a dyable qui te vaille :
Et ma grant couronne te baille,
Qui est de Terpié[190] tout ardent, etc.

Ce n’est pas tout, dit Sathan, je veux voir le succès de ceci, mais il faut que vous me donniez Astaroth et Bérith, pour m’accompagner.

LUCIFER.

Allez, que des éternaulx seulx,
Vous puist on le museau bruler.

 « Icy s’en vont eulx trois. »

 

 

XXVI. L’Apparition de Jésus aux Disciples sur la Montagne de Tabor

 

Les Apôtres obéissants aux ordres du Seigneur, prennent le chemin du Thabor ; S. Jacques le Mineur y conduit ses trois Disciples, Rubem, Gédéon, et Neptalin ; S. Mathias, et Joseph Barsabas surnommé le Juste y accourent promptement, aussi bien qu’un bon nombre de Juifs zélateurs de la vraie Religion ; entre ces derniers se trouvent Moab, Abiron, Tubal, Célius et Abacuth.

« Icy montent amont[191] et là s’appert[192] Jésus derechef. »

Le Seigneur leur donne sa bénédiction, et en même temps il les instruit. Toute l’Assemblée lui rend grâces de ce bonheur.

TUBAL.

À toy veoir, et toy remirer[193]
Tout bon cueur se regarde et myre[194]
Car tu es Médecin et Myre[195]
Pour poures dolens cueurs myrer[196]

Le Sauveur leur promet d’être toujours avec eux en esprit, et de ne jamais les abandonner : ensuite il disparaît, et l’Assemblée ne le voyant plus, se sépare, et chacun s’en retourne chez soi. Les Apôtres ferment bien les portes, et les fenêtres de leur maison, de crainte des Juifs. D’un autre côté la Sainte Vierge dit aux trois Maries, qu’il est temps d’aller trouver les Apôtres, parce que Jésus doit dans peu monter au Ciel.

« Icy se partent. »

 

 

XXVII. Du déconfort de Pilate

 

Pilate tourmenté de plus en plus des remords de sa conscience, demande à Barraquin ce que le Peuple pense de son Jugement. Comme il paraît extrêmement agité, Progilla sa femme tâche en vain de l’apaiser ; Barraquin rompt enfin le silence et lui apprend que Jésus est ressuscité : Le Centurion qui se trouve présent à cette question, lui avoue avec sincérité, que tout le monde blâme beaucoup la conduite qu’il a tenue en rendant cet injuste Arrêt. Sa franchise ne plaît point à Pilate.

PILATE.

Taisez-vous en Centurion, etc.

Vous devriez, ajoute-t-il en parler moins que les autres ; après avoir prêté vos Soldats, qui ont été capables de se laisser gagner, pour faire courir un faux bruit. Ce n’est pas ma faute, réplique le Centurion : mais cependant il n’est pas moins vrai que Jésus est ressuscité.

BARRAQUIN.

Jésus on confesse de bouche
Estre vray Filz de Dieu le vif.

Ha Ciel ! s’écrie ce Gouverneur :

ΡΙLΑΤΕ.

Velà ung mot pénétratif[197]
Qui me donne peu de secours :
Je m’en suis bien doubté tousjours : etc.

Voilà, continue-t-il, ce qui cause mon désespoir : car je suis persuadé que si l’Empereur Tibère apprend ma faiblesse, il m’ôtera la vie. Joseph d’Arimathie arrive sur ces entrefaites, et lui raconte les indignes traitements qu’il a reçus des Juifs : Pilate gémit au récit de ces violences, et l’interrompt à chaque instant par ces vers qu’il dit alternativement.

J’ay fait ung mauvais jugement :
Faulx Juifz, que m’avez-vous fait faire ?

Enfin Joseph sachant l’embarras où est Pilate, lui conseille de mander à l’Empereur la vérité de tout ce qui s’est passé.

 

 

XXVIII. De Notre-Dame et des Apôtres

 

« Icy viennent les trois Maries aux Apostres. »

Leur arrivée les console, et les réjouit : Comme ils sont prêts à se mettre à table, ils les invitent d’y prendre place, et s’excusent sur la mauvaise chère.

S. Thomas, et Rubem, ne se mettent point à table, mais restent pour servir.

NOSTRE-DAME.

Pierre si duit[198] à vostre fait,
Devant ceste refection,
Faictes la bénédiction
Car mon filz Jésus en ses jours
L’avait de coustume tousjours.
Et nous le devons ensuivir[199].

SAINCT PIERRE.

Maistresse, à vous vueille obéir,
Nonobstant qu’il ne m’apartiengne.

 « Icy fait la bénédiction en bas[200]. »

Icy s’apart Jésus devant eulx. »

JÉSUS.

Paix soit à vous. 

 « Icy se doit soir Jésus au dessus d’eulx, et luy font tous honneur ; et après qu’il a mengé, font semblant de dire grâces tout bas ».

 

 

XXIX. Des Soudards qui cherchent Joseph d’Arimathie

 

Pendant que le Seigneur est à table avec la Sainte Vierge, et les Apôtres, Joseph d’Arimathie s’entretient d’un autre côté avec Nicodème, de l’inhumanité des Juifs : comme le premier craint la rencontre des Satellites, qui le cherchent, il prend le parti de ne point sortir de chez lui.

Cependant ce repas fini, Jésus déclare à ses Disciples qu’il va bientôt monter aux Cieux : et comme il veut qu’ils soient témoins de ce grand Mystère, il leur ordonne de se trouver tous au Mont d’Olivet, et de ne pas manquer d’y conduire sa Mère. Les Apôtres lui promettent d’obéir avec joie, et se mettent en devoir de le faire.

 

 

XXX. Des Pères des Limbes

 

Adam, Ève, Isaïe, Jérémie, David, Ezéchiel, S. Jean-Baptiste, et le Bon Larron, voyants approcher le moment que le Seigneur va monter au Ciel, pour les conduire à la béatitude éternelle, en témoignent leur joie, par des Cantiques d’actions de grâces.

DAVID.

Jadis en esprit prophétique,
Fis de l’Assencion beaux ditz,
En prophétisant, quant je ditz
Que Dieu feroit Assencion
En haulte jubilacion,
En voix de trompes bien sonnans,
Et d’instrumens bien raifonnans ;
Si tiens qu’à ceste mélodie
Toute la grant chevallerie
Des haulx Cieulx s’y employera.

 

 

XXXI. Ascension

 

Les Apôtres, et les autres Fidèles qui ont été présents à l’apparition de Jésus sur le Thabor[201] ne manquent pas de se trouver à celui d’Olivets outre ceux-ci, les Apôtres ont le soin d’y amener la Sainte Vierge, et les trois Maries : et Joseph d’Arimathie se trouvant en pleine liberté, s’y rend avec Nicodème.

« Icy se appert[202] Jésus comme dessus entre eulx. »

Il leur donne la bénédiction, et leur déclare qu’un jour il descendra sur la terre pour y juger tous les hommes. Rubem, et Neptalin lui demandent si ce jour est bien prêt d’arriver.

JÉSUS.

Amys, cessez vos questions.

Qu’il vous suffise, ajoute-t-il, de vous préparer à recevoir le Saint-Esprit avec toute l’humilité dont vous êtes capables. Ensuite il recommande encore à S. Jean le soin de sa Mère, à qui il dit Adieu.

JÉSUS.

Mère doulce en faitz et en ditz,
Et des humbles la plus bénigne,
Vers Dieu mon Père m’achemine, etc. 

« Icy se monte Jésus au Ciel, à tout aucuns engins ; et lors se doivent les Patriarches absconcer[203]. »

Pendant que les Fidèles étonnés ont les yeux tournés vers le Ciel l’Ange Raphaël se présente, et leur annonce que Jésus descendra un jour pour juger le Monde. Ensuite l’Assemblée se retire dans une Maison, avec la résolution de n’en point sortir, qu’après avoir reçu le Saint-Esprit.

 

 

XXXII. Paradis

 

« Icy vient Jésus en Paradis. »

Après avoir salué Dieu le Père, il s’assit dans son trône.

DIEU LE PÈRE.

Mes Anges, voicy vostre Sire, etc.
...
Venez, et luy rendez hommaige, etc. 

 « Icy viennent les Anges adorer Jésus chacun en son ordre. »

SAINCT MICHEL.

Haulte préférence,
Et magnificence
Soit au bon Seigneur,
Qui à tel honneur
Vient-cy en présence[204].

Gabriel, Raphaël, Uriel et Séraphin viennent ensuite lui rendre leurs hommages.

DIEU LE PÈRE.

C’est mon Filz, c’est ma Sapience,
Mon hoir[205] parfait, et naturel ;
Anges, par ung chant solempnel,
Esmouyez-vous, etc.

Les Anges obéissent sans peine à ce commandement.

« Icy chantent ung Silete. »

 

 

XXXIII. Enfer

 

Pendant que le Ciel et la Terre retentissent de cris de joie, les Enfers sont remplis de désespoir : Sathan qui a été présent à tout ce qui s’est passé en frémit de rage : Ne crie donc pas si fort, dit Astaroth.

BÉRITH.

Il brait comme ung loup affamé ;
Je ne say que dyable il lui fault.

SATHAN.

Si je peusse braire si hault,
Que je peusse estonner tous ceux
Qui sont en gloire si joyeulx, etc.

Mais dit Astaroth, qu’est-il arrivé ? C’est répond Sathan, que Jésus vient de monter au Ciel.

   Pour gloire parfaicte acquérir.

Cependant il est question de retourner aux Enfers, et ces malins esprits craignent, avec raison, que leur injuste Roi ne les fasse punir en apprenant cette funeste nouvelle, qu’ils ne peuvent lui cacher. Fergalus qui les voit revenir avec un air triste en reçoit une noire satisfaction.

FERGALUS.

Cerbérus, tost prens tes boulayes[206],
Pour radoulcir un peu leurs veines.

CERBÉRUS.

Voyez en cy quelques deux douzaines,
Singlant droictement à l’eslite, etc[207].

FERGALUS.

Ilz eussent mestier[208] d’Advocatz,
Pour playdoyer un peu leur cause, etc.

D’abord que Lucifer apprend ce qui s’est passé, il entre à son ordinaire, dans une fureur extrême, et commande qu’on plonge ces trois démons dans les tourments.

« Icy tonne en Enfer. »

 

 

XXXIV. Élection de Saint Mathias

 

« Icy se lieve Sainct Pierre pardessus tous les autres Apostres. »

Cet Apôtre propose à ses frères de choisir quelqu’un entre les Disciples du Seigneur, pour remplir la place dont Judas s’est rendu indigne. Toute l’Assemblée après avoir approuvé cet avis, prie S. Pierre de faire lui-même le choix des deux qu’il croit les plus capables, afin qu’en suite le sort décide de celui que Dieu appelle à l’Apostolat. Saint Pierre se défend quelque temps de cet honneur, et enfin pressé par leurs prières, il présente S. Mathias, et Joseph Barsabas, surnommé le Juste. On les fait tirer au sort, et le sort tombe sur le premier. Tous les Assistants rendent grâces à Dieu d’un si heureux choix, et Joseph est lui-même le premier à féliciter le nouvel Apôtre.

 

 

XXXV. Du Saint Esprit sur les Apôtres

 

Jésus prie Dieu le Père d’envoyer le S. Esprit sur les Apôtres, pour les rassurer, et leur inspirer la force qui leur est nécessaire. Dieu le Père lui répond que sa volonté s’accorde toujours avec la sienne.

« Icy se doit faire ung grant son en manière de tonnere, et doit descendre le Sainct-Esperit en ligne de langues de feu. »

Les Apôtres sont effrayés de ce bruit éclatant, mais la Sainte Vierge les rassure.

NOSTRE-DAME.

Mes amys, n’ayez fouspeçon,
Vueillez vos cueurs arraisonner,
Car c’est Dieu qui nous veule donner,
Le Saint-Esperit, il en est saison.

Les Fidèles rendent grâces à Dieu, de ce qu’il a bien voulu en leur communiquant son Saint-Esprit, raffermir leur foi, et leur accorder le don d’entendre les langues étrangères. La Sainte Vierge ne tarde pas à en remercier Dieu.

NOSTRE-DAME.

Haulte Trinité
Parfaicte Unité,
Singulière Essence ;
A ta Magesté,
Soit protesté
Los et préférence,
Car par ta clémence,
En nostre présence
Nous a envoyé
L’Esperit de Science,
Qui nostre crédence
A fortifié.

Saint Pierre et les autres Assistants, qui composent la même Assemblée que nous avons vu présente à l’Ascension, suivent l’exemple de la Sainte Vierge. Après quoi Saint Pierre et Saint Mathias font une courte exhortation aux Spectateurs, ce qui tient lieu de Prologue final.

« Cy fine le Mistere de la Résurrection Jésuchrist, par Personnages. »


[1] Les Lettres patentes de Charles VI. Celles de François Premier, et l’Acte de l’achat de l’Hôtel de Bourgogne.

[2] Par une raison qui nous est très importante, qu’on nous permette de dire, avec la hardiesse qu’inspire la verité, que notre Ouvrage, tel qu’il soit, n’est dû qu’à nos soins, et à nos collections, et que personne ne nous a fourni ni mémoires, ni avis sur les faits, et la conduite de notre travail.

[3] En l’an 129., le Roi Philippe le Bel ayant élargi le Comte Guy de Flandres, et ses Enfants qu’il avait quelque temps retenus prisonniers, pour la rébellion remarquée, en l’Histoire entière, le dit Sieur Comte fit bâtir un bel Hôtel, que l’on surnomma de Flandres, fut la Place qu’il avait peu auparavant achetée d’un Bourgeois de Paris appelé Pierre Coquillière (duquel une rue proche du lieu où l’Hôtel était assis en retient encore le surnom) lequel lui avait vendu notamment trois ou quatre arpents de terre ; combien que sous les Règnes de François Premier et Henry II cet Hôtel et ses dépendances fut vendu à plusieurs particuliers, lesquels y firent élever de nouveaux édifices, qui ont fait perdre les remarques des anciens. Pierre Bonsons Fastes et Antiquités de Paris, p. 176.

[4] On peut même assurer le Lecteur, qu’en laissant ces faits dans leurs véritables places, on n’a pensé qu’à sa propre satisfaction, puisque sans fatiguer la mémoire, il sera en état de suivre l’ordre historique de cet Ouvrage.

[5] Cette méthode de composer par Journées une certaine quantité d’événements, ne se perdit pas tout à fait, lorsque les Confrères quittèrent le Théâtre : Car Hardy qui travaillait sous Henry IV et quelque temps sous Louis XIII, composa les Amours de Théogène et de Chariclée en huit Journées, et Durier, qui parut bien du temps après cet Auteur, donna en deux Journées les Amours de Leucippe, et de Clitophon : Et réellement on jouait ces pièces, dans les temps indiqués par le titre.

[6] Une preuve convaincante que le Mystère de la Passion n’est pas vulgairement connu, c’est que bien des gens disent la Comédie de la Passion ; titre que ce Poème n’a jamais reçu que des ignorants, et des impies.

[7] Il n’en sera pas, de même des autres pièces, c’est-à-dire, des Moralités, des Sottises et des Farces ; une seule servira d’exemple, et de modèle.

[8] Monsieur Bayle, dans son Dictionnaire l’Article de ce Poète, rapporte ce même passage. Quelle autorité pour des gens qui croient aveuglement tous les faits rapportés par cet Auteur.

[9] Et au sortir de là, se promenaient dans des Chariots par les Rues et montaient sur des échafauds, chantants toutes les chansons les plus vilaines et faisans toutes les postures, et toutes les bouffonneries les plus effrontées, dont les bateleurs aient accoutumé de divertir la sotte populace. Abrégé de Mezeray.

[10] L’Hérégia dels Peyres.

[11] Las Phantaumarias del paganisme.

[12] L’Hérégia dels Peyres.

[13] Las Drudarias d’Amour.

[14] La Vida dels Tyrans.

[15] Las Victorias de Monsiour lou Comte.

[16] Bertaut origine de Coucou.

[17] Quelques uns disent qu’il ne les paya pas. Mézeray Tom. III. page 30.

[18] Ménestriers.

[19] Quoique ce soit ici la véritable origine de ces spectacles pieux, on de ne laissait pourtant pas d’en avoir quelque idée bien avant le règne de Charles V. En voici la preuve, tirée du II. liv. de l’Histoire de la Ville de Paris page 523.

En l’année 1313 le Roi Philippe le bel donna dans Paris une fête des plus somptueuses, que l’on un eût vue depuis longtemps en France. Le Roi d’Angleterre Édouard II qu’il y avait invité, passa la Mer exprès avec la Reine sa femme Isabeau de France, et un grand cortège de Noblesse. Tout y brilla par la magnificence des habits, la variété des divertissements, et la somptuosité des festins. Pendant huit jours entiers, les Seigneurs et les Princes changeaient d’habits jusqu’à trois fois dans seul jour ; et le peuple de son côté représentait divers spectacles, tantôt la gloire des Bienheureux, et tantôt la peine des Damnés et puis diverses sortes d’animaux ; et ce dernier spectacle fut appelé la Procession du Renard.

[20] Cette Ordonnance fut faite à cause de la liberté que ces Bourgeois prirent de jouer dans un lieu renfermé, où peut-être ils exigèrent de l’argent des spectateurs. Car près de vingt ans auparavant cette Représentation de S. Maur les Mystères étaient en vogue à Paris et ces spectacles de piété paraissaient si beaux dans ces siècles d’ignorance, que l’on en faisait les principaux ornements des Réceptions des Princes quand ils faisaient leurs entrées. Les deux faits qui suivent prouveront ce que nous venons d’avancer à ce sujet.

Le Dimanche 11 Novembre 1380 le Roi Charles VI fit son entrée solennelle dans Paris. Il était vêtu ce jour là d’une étoffe de soie toute semée de fleurs de Lys d’or. Les Principaux de la Ville allèrent à cheval au devant de lui jusqu’au village de la Chapelle, sur le chemin de S. Denis. Il trouva à son entrée dans Paris, les rues et les places publiques ornées de riches tapisseries, de chœurs de Musique d’espace en espace, des fontaines qui jetaient le lait, le vin, et des eaux odoriférantes. Il vit aussi avec plaisir ce qu’on appelait alors les Mystères ; c’est-à-dire les diverses Représentations de Théâtre d’une invention toute nouvelle.

L’entrée de la Reine Isabeau de Bavière, Épouse de Charles VI fut solennisée avec toute la magnificence possible, en Octobre 1385. Parmi les fêtes qu’elle vit à Paris, il y avait entr’autres devant la Trinité, un combat préparé, et qui s’exécuta en présence de la Reine, des Français, et des Anglais contre les Sarrazins. Toutes les rues étaient tendues de tapisseries : on trouvait en divers lieux des fontaines d’où coulaient le vin, le lait, et d’autres liqueurs délicieuses : et sur différents Théâtres, on avait placé des chœurs de Musique, des Orgues, et de jeunes gens y représentaient diverses histoires de l’Ancien Testament ; il y avait des machines, par le moyen desquelles des enfants habillés comme on représente les Anges, descendaient et posaient des couronnes sur la tête de la Reine. Mais le spectacle le plus surprenant qu’il y eût à cette entrée, fut l’action d’un homme qui se laissant couler sur une corde tendue depuis le haut des tours de Notre Dame, jusqu’à l’un des ponts par où la Reine passait, entra par une fente ménagée dans la couverture de Taffetas, dont le pont était couvert, mit une couronne sur la tête de la Reine, et ressortit par le même endroit, comme s’il s’en fût retourné au Ciel. L’invention était d’un Génois, qui avait tout préparé depuis, longtemps pour ce vol extraordinaire ; et ce qui contribua à le rendre encore plus remarquable même loin de Paris, c’est qu’il était fort tard, et que l’homme qui faisait ce personnage, avait à chaque main un flambeau allumé, pour se faire voir, et admirer la beauté d’une action aussi hasardeuse que celle-là.

[21] Dernièrement.

[22] Fait des frais.

[23] Populace.

[24] Musique.

[25] Meilleure.

[26] L’Hôpital de la Croix de la Reine, depuis dit la Trinité, avait été fondé en 1200 par deux Gentilshommes Allemands frères Utérins, nommés Guillaume Escuacol, et Jean de la Passée, qui avaient acheté deux arpents de terre hors la porte Saint Denis, et y avaient fait bâtir une grande maison, pour y recevoir les Pèlerins, et les pauvres voyageurs qui arrivaient trop tard à la Ville, et dont les portes se fermaient en ce temps. Les Fondateurs et tous leurs Parents étant décédés, cette bonne œuvre fut totalement abandonnée. Traité de la Police.

[27] Hermières est une Abbaye en Brie, dont les Religieux sont de l’Ordre de Prémontré.

[28] Nous parlerons de l’origine de ce Prince des Sots, dans l’Article des Enfants sans souci.

[29] Cette acquisition de Jean Rouet ne fut faite en son nom, que le Mardi 18 Mars 1544.

[30] Il s’ensuit de ceci, et de ce que dessus du su et de cette rente spécifiée de 225 livres, que l’Écu d’or valait quarante-cinq sols.

[31] Pour mieux faire entendre ceci, servons nous de la description qu’un Auteur contemporain nous a donnée d’un pareil Théâtre. Nous le tirons d’un Mystère intitulé « l’incarnation et Nativité de Notre Saulveur Jesu-christ la quelle fut monstrée par personnaiges l’an M.CCCCLXXIV les festes de Noël, en la Ville et cité de Rouen, etc.

L’Auteur fait ainsi la description des Établies.

« Premièrement est Paradis ouvert, faict en manière de throsne, et reçons d’or tout autour. Au milieu duquel est Dieu en une chaiere parée, et au costé dextre de luy Paix, et soubz elle Miséricorde : au senestre Justice, et soubz elle Vérité : Et tout autour d’elles neuf Ordres d’Anges, les uns sur les autres. »

« La maison des parens de Nostre Dame. »

« Son Oratoire. »

« La Crache ez Beufz »

« Enfer faict en manière d’une grande gueulle se cloant et ouvrant quant besoing est. » 

« Les Limbes des Pères fait en manière de chartre, et n’estoient veus sinon au dessus du faux du corps. »

« Les places des Prophètes ez divers lieux s y hors les autres. »

Au moyen de cet échantillon, il est aisé de se représenter la forme de ce Théâtre. Les notes que nous avons jointes à nos extraits, achèveront d’éclaircir pleinement cet Article.

[32] Cet usage, quoi que généralement établi, n’en parut pas moins ridicule aux yeux des gens d’esprit. Le Célèbre Jules Scaliger en parle en ces termes, dans sa Poétique, Livre I. chap. XXI.

« Dans la Gaule, ils jouent maintenant les Comédies de telle sorte, que toutes choses sont exposées aux yeux des Spectateurs ; toutes les décorations se voyent sur l’échafaud, les personnages ne disparaissent jamais ; ceux qui se taisent ont reputez absens. Mais certes il est bien ridicule que les spectateurs connaissent bien que tu entends ce que tu vois, et toy-même n’entende ce qu’un autre dit de toy-même en ta présence, comme si tu n’y étois pas, où tu es : Et néantmoins le plus grand artifice du Poète, est de suspendre les esprits, et de leur faire toûjours attendre quelque nouveauté ; mais là, il ne se fait rien de nouveau et l’on est plûtôt rassasié qu’en appétit. » Pratique du Théâtre de l’Abbé d’Aubignac, Tom. I pag. 240.

[33] Nous dirons ce que l’on entendait par le terme de Journée.

[34] Talen fait ? l’on t’a fait ?

[35] Épouvantes.

[36] Nous avons déjà dit dans le Discours qui précède ce Mystère que les Acteurs ne sortaient point de la Scène tant que leurs Rôles duraient. En voici un exemple qui le prouve invinciblement.

[37] Il ne sera pas mal à-propos de remarquer ici l’ignorance de l’Auteur de ce Mystère ; cela aidera même un peu à le disculper des inepties qu’il a répandues dans son ouvrage, au sujet de nos principaux Mystères. On voit qu’il fait ici Hérode païen. Et comme il sait que Cirinus était d’une Religion différente de celle d’Hérode il s’est cru obligé de le faire Mahométan ; comme on le verra au trente troisième Mystère ci-dessous.

[38] Voyez la note qui est à la fin de ce Mystère.

[39] Encelle, servante.

[40] Ce jeu de Théâtre servait pour voiler aux Spectateurs des détails qu’il n’était pas possible de lui présenter ; comme est celui de ce présent Mystère, où sainte Anne semble accoucher derrière cette custode ; le même jeu de Théâtre se répète encore au trente-septième Mystère ci-dessous, à la Nativité de Jésus.

[41] Ilz pour elles.

[42] On sent assez que la personne qui vient de représenter la jeune Marie de trois ans, n’est point celle qui paraît dans la suite ; et c’est ce que l’Auteur insinue en disant, que celle-ci « fait fin » jusqu’à ce que l’autre paroisse.

[43] On croit qu’il est inutile de faire remarquer le burlesque qui règne dans ce discours.

[44] Cela veut dire que l’Acteur qui jouait ce personnage, se retire tout à fait de la scène. Cette note une fois pour toutes les occasions qui se trouveront pareilles à celle-ci.

[45] Nice. Simple.

[46] Regardez.

[47] Désordre.

[48] Dans nos Remarques sur la seconde journée du Mystère de la Passion nous expliquerons ce que l’on entendait par ces Interlocutoires.

[49] Ample bénédiction.

[50] Crochue.

[51] Nous mènerons.

[52] Voici l’ignorance de l’Auteur, dont nous avons parlé au septième Mystère ci-dessus.

[53] Emmy, dehors. Borel.

[54] Sur le chemin.

[55] Très égal, très juste.

[56] Aujourd’hui.

[57] Or, ores, à présent.

[58] Passer outre.

[59] Voir, vrai.

[60] Gorgias. Joli.

[61] J’ai.

[62] Image.

[63] Dans ce Mystère, d’un côté du Théâtre se passe la Circoncision, et de l’autre et trois Rois cherchent le nouveau Roi des Juifs : cela mérite attention, et fait connaître l’étendue du lieu où se faisaient ces représentations. Nous en parlerons plus amplement dans la suite.

[64] L’Auteur suit ici l’ordre des fêtes que l’Église a établi, sans s’embarrasser de l’ordre historique.

[65] Nous expliquerons dans les remarques sur le sixième Mystère de la première journée de la Passion, comment ce jeu de Théâtre s’exécutait.

[66] Torches ou flambeaux.

[67] Que plus il n’y retourne.

[68] Haut et bas.

[69] Voici encore Mahomet sur la scène, d’une façon bien plus singulière, puisqu’il est au et rang des divinités du Paganisme.

[70] La troupe.

[71] L’Auteur feint que Sathan et Astaroth se trouvent à la mort d’Hérode et que le premier lui conseille de le fourrer un couteau dans le ventre, pour se délivrer des douleurs qu’il ressent. On sait que de pareilles inspirations ne peuvent venir que du diable. Et c’est ce que l’Auteur emploie ici avec assez d’adresse : Car il est clair que Sathan, son compagnon ne sont visibles que pour les Spectateurs, et qu’Hérode les autres Acteurs ne les voient point.

[72] Voilà.

[73] Promptement.

[74] C’est-à dire une personne d’un âge assez convenable pour représenter la mère de Jésus.

[75] Recors, ressouviens.

[76] Possession.

[77] Sèche, grave, précise.

[78] Ce Prologue finable, devait être intitulé « Épilogue. » Mais il y a apparence que dans ce temps on n’y prenait pas garde de si près.

[79] Ces quatre derniers vers nous apprennent pourquoi le mot de journée est employé jusqu’à quatre fois dans le Mystère donnons l’Extrait, et dont nous avons parlé dans le discours qui le précède.

[80] Dans l’histoire chronologique des Poètes français Dramatiques, on trouvera un article de Jean Michel.

[81] Cette loquence ou discours de Dieu le père exprimé par un trio dans les formes, n’est pas sans art de la part de l’auteur. Voyez le Catalogue à la fin du II. vol, au Mystère de l’Incarnation.

[82] C’est-à-dire, que pendant un grand silence que gardaient les acteurs, on entendait un concert d’instruments.

[83] Ce jeu de Théâtre dont nous avons promis de parler, Mystère 6. de la Conception, ne se passait pas aux yeux des spectateurs. Sathan et son compagnon entrait dans l’Enfer par la gueule du dragon qui en formait la porte, et là on les entendait crier et demander grâce, pendant que leurs camarades disaient et faisaient semblant d’exécuter ce que l’on voit dans ce Mystère.

[84] Expédition.

[85] Écervelé.

[86] Calme.

[87] Assure.

[88] L’Évangile S. Luc chap. 6, V 15, donne ce surnom de Zélotès à S. Simon, et au verset suivant il nomme S Jude comme frère de S. Jacques fils d’Alphée. L’auteur fait S. Simon et S. Jude frère, à cause que l’Église en célébre la fête le même jour.

[89] C’est une faute, car tout le monde sait que S. Mathias ne fut appelé à l’Apostolat que pour succéder à Judas. Il paraît même que c’est l’Imprimeur qui a mis S. Mathias au lieu d’un autre Apôtre ; et ce qui le confirme, c’est que ce nom ne se trouve que dans ce seul endroit.

[90] Bayle, Art. Saint Jean, note E. rapporte le sentiment de plusieurs Auteurs de Légendes, qui assurent que S. Jean et la Madelaine étaient l’Époux et l’Épousée des noces de Cana.

[91] Ces paroles ont été un écueil pour notre ignorant Auteur : et quoique le texte de l’Évangile de S. Marc, (Chap. V. v. 41.) d’où ce Mystère est tiré, les explique ensuite par celles-ci : « Petite fille, levez-vous. » Notre Poète, sans examiner tant soit peu ce passage, et ne sachant quel nom donner à la fille, lui a imposé celui-ci.

[92] Lassus. La hault.

[93] Care, habillement, train, équipage.

[94] « Bonne silence fust faicte, » c’est à-dire le bruit que les Spectateurs faisaient dans le moment que le Mystère commençait. Voyez la Préface.

[95] Voyez un pareil jeu de Théâtre au dix septième Mystère ci-après.

[96] Se compare.

[97] C’était un chapeau pointu.

[98] Voyez ci-dessus le V. Mystère de la première Journée.

[99] Partemuse. Ennuyeuse.

[100] Engourdi.

[101] L’Auteur a voulu montrer ici qu’il avait lu l’Évangile, où Jésus reproche aux Pharisiens d’affecter les premières places dans les festins.

[102] Hayneux. Ennemi.

[103] Monnier. Meunier.

[104] On a vu un semblable jeu de Théâtre au premier mystère de cette Seconde Journée.

[105] S’y attire, s’y emploie.

[106] Enqueron, soigneron.

[107] Voyez l’argument de la résurrection de J. Michel, à la fin du second Volume.

[108] Voyez sur Zachée le commencement du IX. Mystère suivant.

[109] Supplier, Suppléer.

[110] Cette Assemblée se fait à Jérusalem.

[111] Defroy, désordre.

[112] Nous avons vu ci-devant au XIV. Mystère de la première Journée, que S. Jacques dit le Minor, porte un habillement pareil à celui de Jésus, qu’il lui ressemble.

[113] Me gresve. M’accable.

[114] À revers, c’est-à-dire à la renverse, couchez sur le dos. C’est ce que représente la figure qui est dans l’Exemplaire que nous avons suivi.

[115] Nous avons remarqué dans notre Préface, et dans le discours qui précède cet extrait, que ces sortes d’ouvrages étaient composés à deux fins principales, la première pour instruire le peuple ignorant des principaux Mystères de la Religion : la seconde, afin, de lui inspirer de la dévotion, et exciter en lui des sentiments convenables ; l’Auteur au moyen de cette « Persuasion aux Assistants » met dans la bouche de la Sainte Vierge des discours touchants, et capables de pénétrer le Spectateur et tout fidèle Chrétien, de la douleur qu’elle ressent. Qu’on ne croie pas que nous voulions faire entendre par-là que l’Auteur a bien rempli son but ; il suffit pour nous d’observer seulement qu’il en a eu le dessein, et qu’il l’a exécuté le mieux qu’il a pu.

[116] Puis, l’huis, la porte.

[117] S’en criant. Si en criant.

[118] Belberith. Bérith.

[119] C’est une faute d’impression, il faut lire Zabulum, nom que quelques Pères de l’Église, ont donné au malin esprit.

[120] Begemoth, Behemoth.

[121] Galast, Molost. Galad, Moloch.

[122] Cacus, Eacus. Je ne remarque point ici toutes les fautes, qu’un Lecteur judicieux corrigera bien par lui-même.

[123] Cyle... Cacos. Scylla, Cacus.

[124] Baveur, babillard.

[125] Allumelles, lames de couteaux.

[126] À cop, tout à coup.

[127] Joignons ici une Remarque convenable au sujet : Outre que peu de gens connaissent l’Auteur d’où, nous l’a tirons, c’est qu’elle servira à justifier les nôtres, qui en qualité de Poètes, pouvaient bien employer quelque fiction dans ce Mystère, puisqu’un homme qui se donne pour un Voyageur et pour témoin oculaire de ce qu’il rapporte, l’a bien couchée par écrit dans son Livre. C’est le Voyageur Jehan de Mandeville, qui en parlant des choses curieuses qu’il a remarquées à la Terre Sainte, se vante d’avoir vu l’Arbre où Judas se pendit. Voici le passage tel qu’il est. « Item, à l’endroit de Natatoire siloë, y a une ymage de pierre moult anciennement ouvrée que Absalon fit faire, et pour ce est appellée Absalon ; et, assez près est l’arbre de Such où Judas se pendit, par despérance, pour qu’il avait trahi Nostre Seigneur : Mais sçachez que ce n’est-il pas, mais c’est ung autre qui est regétée dudict arbre. » Voyage de Mandeville, Édition in 4°.

[128] Voyez ci-dessus le XVII. Mystère de la Seconde Journée, qui a pour titre : « De la dissention de Hérode et Pilate. »

[129] Se tire. S’approche.

[130] Touaille. Nappe.

[131] Qui vous cherche et fuit.

[132] Ici dedans.

[133] Tout doucement.

[134] Perçus, Frappé.

[135] Bienheureuse.

[136] Désormais.

[137] On verra dans le Volume suivant un Mystère de la Résurrection, composé par Jean Michel, divisé en trois journées et traité fort différemment de celui-ci.

[138] Couveulx. Envieux.

[139] Quelles.

[140] Le besant vaut 50 livres.

[141] Soulait, avait coutume.

[142] Vitupère. Honte, blâme.

[143] Repaire, Retraite, Refuge.

[144] Appere. Découvre. Éclaircisse.

[145] Que ne le compère. Qu’on le trouve.

[146] Dessiner, mourir, Borel.

[147] Ici le rassoient, en mettant leurs bâtons sur eux.

[148] Crueux, Cruels.

[149] Huche. Appelle. 

[150] Reverty. Arrivé.

[151] Qui que ait. Qui que ce soit.

[152] C’est par ty. C’est par toy.

[153] C’était autrefois la coutume de jeter un gan ou autre chose lorsqu’on défiait quelqu’un.

[154] Ne vous importe.

[155] Il est bon de remarquer que ces soldats sont païens.

[156] Cuyday. Crûs.

[157] Issir. Sortir.

[158] Bellement. Doucement.

[159] En puist. En puisse.

[160] Et cuide. Et crois.

[161] Léal. Loyal. Fidèle.

[162] Requiert. Cherche.

[163] Se représente un objet qui n’existe point.

[164] Liger. Léger.

[165] S’appart. S’apparaît.

[166] Begnisson, Bénédiction.

[167] Se part. Disparaît. S’en va.

[168] En estant. C’est-à-dire, soulevant la Tour à une certaine hauteur, afin que l’on puisse passer dessous.

[169] Caché sous terre.

[170] Farie. Enchantement.

[171] L’uys. L’huis, la porte.

[172] Et c’est, et s’est. Dans ce temps-là on ne prenait pas trop garde à l’orthographe des mots, ce qui occasionne bien souvent des contresens.

[173] Te donne.

[174] Quel affreux langage.

[175] Mettre en colère.

[176] Relesse. Adoucit.

[177] Aust, ôte.

[178] Le Besant était une monnaie d’or valant cinquante livres, selon Borel. Ainsi les cinq cens Besans font vingt-cinq mille livres, et les mille qu’ils exigent en valent cinquante.

[179] L’Auteur suit ici la tradition vulgaire, qui veut que le Compagnon de Cléophas soit l’Évangéliste même, qui nous rapporte ce fait.

[180] Sentencia, rendit Arrêt, ou Sentence.

[181] Homs. Homme.

[182] Amont, en haut.

[183] Très durs, très ferrés, en grand nombre.

[184] Que Bars, etc. Tant Bars que Aigrefins, etc

[185] Exclus.

[186] Vos portes fermées.

[187] Lay. Les.

[188] Orrons. Entendrons.

[189] Ressuscité.

[190] Qui est de Terpié. Qui est un Trépied.

[191] Amont, en haut.

[192] S’apparaît.

[193] Remarquer.

[194] Et myre, et s’examine.

[195] Myre, Médecin.

[196] Myrer, Médeciner, guérir.

[197] Pénétrant.

[198] Si vous le voulez bien.

[199] En suivit, suivre.

[200] En bas, tout bas.

[201] Voyez ci-dessus le XXVI. Mystère.

[202] Se appert. Se manifeste.

[203] Cacher. Disparaître.

[204] En présence, en personne.

[205] Hoir, héritier.

[206] Fouets cordes, étrivières.

[207] À l’eslite, à souhait.

[208] Ils auraient besoin.

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