Histoire de rire (Eugène LABICHE - Déaddé SAINT-YVES)

Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le théâtre du Gymnase, le 13 Août 1848.

 

Personnages

 

MORAUCHANT

CLIQUET

NOURISSARD

ARMAND

PASCAL

MADAME NOURISSARD

ERNESTINE

 

La scène se passe à la campagne de Morauchant.

 

Un salon ouvrant sur un perron qui mène au jardin ; à gauche, au deuxième plan, une fenêtre donnant sur des fossés plein d’eau. Portes latérales ; à droite, une table avec tout ce qu’il faut pour écrire.

 

 

Scène première

 

NOURISSARD, puis ARMAND

 

Au lever du rideau, Nourissard, une ligne à la main, est en train de pécher par la fenêtre.

NOURISSARD, le cou tendu.

Chut !... ça mord !... chut !... ça mord !...

Donnant une secousse à sa ligne.

Hup-là !... Ah ! mon Dieu !... le voilà décroché... Paff !... dans les fossés... C’est égal, j’ai eu une émotion... c’est la septième depuis ce matin... je serai gouaillé... Chut !... ça remord... chut !... ça remord !...

ARMAND, paraissant au fond.

Personne pour m’introduire...

NOURISSARD, donnant une secousse à sa ligne.

Hup là !... j’en tiens un !

Tirant sa ligne à lui, comme pour attirer le poisson.

Donnez-vous la peine d’entrer.

ARMAND, entrant.

Vous êtes bien bon, Monsieur.

NOURISSARD, amenant une salade au bout de sa ligne.

Qu’est-ce que c’est que ça ?...

ARMAND.

Ça, c’est une salade.

NOURISSARD, se retournant.

Je le vois bien.

À part.

Par où est-il entré, celui-là ?

Haut, regardant Armand.

Eh ! mais... je ne me trompe pas... c’est monsieur... monsieur... Vous tapez du clavecin.

ARMAND.

Est-ce que j’aurais l’honneur d’être connu de vous ?

NOURISSARD.

Parbleu !...

Lui donnant son nom.

Nourissard !

ARMAND.

Enchanté !... mais...

NOURISSARD.

Nourissard, ancien boucher... dans le pâté des Petits-Augustins.

ARMAND.

Ah !

À part.

Je ne le connais pas du tout.

NOURISSARD.

Je vous ai vu, l’hiver dernier, dans les salons de Perroteau... mon ami Perroteau...

ARMAND.

L’inspecteur des abattoirs...

NOURISSARD.

Juste. C’est moi qui étais près de la porte... à cause de l’air... c’est de là que je vous ai entendu taper du...

ARMAND.

Du piano.

NOURISSARD.

Comme vous vous en donniez... pif ! paf ! zingue ! zingue !... ah ! vous tripotez bien ça, vous... Parbleu ! puisque vous voilà... vous nous ferez danser ce soir... il y a justement un meuble ici...

Regardant autour de la chambre.

C’est-à-dire... non... pas ici, il est de l’autre côté... Je vous invite, mon cher monsieur... monsieur...

ARMAND, lui donnant son nom.

Armand... Mais permettez... je suis bien ici chez M. Morauchant ?

NOURISSARD.

Oui. Pourquoi ?

ARMAND.

C’est qu’au premier abord... comme c’est vous qui m’invitez...

NOURISSARD.

Eh bien ?... quoi ?... des cérémonies ?... Puisque je vous dis que Morauchant est mon ami, mon camarade... Tenez, savez-vous comment je l’appelle, moi, Morauchant ?

ARMAND.

Non.

NOURISSARD.

Eh bien ! Monsieur, je l’appelle Jules... Et savez-vous comment il m’appelle, lui, Morauchant ?

ARMAND.

Pas davantage.

NOURISSARD.

Eh bien ! Monsieur, il m’appelle Ernest. Vous voyez donc bien que quand on s’appelle Jules et Ernest, on peut se dire : voilà Armand.

ARMAND, à part.

Un ami intime ! Tâchons de le rendre favorable à mon mariage.

Haut.

En vérité, Monsieur, tant de bonté m’encourage... vous avez un air si bienveillant, que si je ne craignais d’abuser... je vous confierais...

NOURISSARD.

Quoi ?

ARMAND.

Le but de ma visite.

Pendant ce qui précède, Nourissard a détaché l’herbe accrochée à sa ligne, et réparé l’hameçon, etc.

NOURISSARD, posant sa ligne contre la fenêtre.

Parlez, jeune homme, parlez...

ARMAND.

Monsieur, j’ai le malheur d’être amoureux.

NOURISSARD.

Hein ?...

À part.

Ah ! mon Dieu !... est-ce que ce serait ?... Où est mon album ?...

Haut.

Pardon, jeune homme, est-elle mariée ?

ARMAND.

Eh ! non, Monsieur, puisque je viens la demander en mariage.

NOURISSARD.

En mariage, très bien... Je vous demande ça, voyez-vous, parce que... je ne le dis qu’à vous, au moins... mais ma femme est mariée, Monsieur...

ARMAND.

Ah ! bah !

NOURISSARD.

Eh bien ! nonobstant, un certain drôle, que je cherche, lui écrit des lettres très avancées... il l’appelle mon ange sur du papier jaune et d’une petite écriture... que je retrouverai... parce que, voyez-vous, j’ai un moyen pour ça...

Remontant un peu et cherchant des yeux.

Où diable est donc mon album ?... Oh ! si je le découvre... je suis très doux, mais je l’abats... Hein !!!

Faisant le geste d’asséner un énorme coup de poing.

comme un bœuf !

ARMAND.

Comment, est-ce que vous soupçonneriez madame Nourissard ?

NOURISSARD.

Monsieur, souvent femme varie.
Bien cornichon qui s’y fie.

ARMAND, à part.

Il est amusant, l’ancien boucher.

NOURISSARD.

Monsieur, oserai-je vous adresser une prière ?... je compose un album...

ARMAND.

Un album ?

NOURISSARD.

Oui... un cahier de papier blanc très bien relié, sur lequel chacun improvise... des choses profondes... Je vous le soumettrai tantôt... et si vous voulez...

ARMAND.

Quoi ?

NOURISSARD.

Oh ! mon Dieu !... la moindre des choses... une pensée soit ingénieuse, soit délicate... à votre choix...

ARMAND, riant.

Volontiers.

À part.

C’est un homme à ménager.

NOURISSARD, à part.

Et comme ça, si je reconnais l’écriture...

Faisant mine d’asséner un coup de poing.

Hein !... comme un bœuf !...

Haut.

Mais revenons à vos projets de mariage. D’abord, votre position... profession, musicien... charmant état...

ARMAND.

Permettez... je suis ingénieur civil...

NOURISSARD.

Ah ! c’est mieux.

ARMAND.

Et je sollicite une place...

NOURISSARD.

Mais, si vous ne l’obtenez pas ?

ARMAND.

Oh ! alors...

NOURISSARD.

Tenez, jeune homme, je vais vous parler... comme on parle dans la boucherie... à cœur ouvert : Eh bien ! ne vous mariez pas... vous n’avez rien... et... et le bœuf vaut quinze sous la livre, mon petit, pas le filet, encore ! Pas le filet !

ARMAND.

Monsieur, je vous en supplie, ne me découragez pas.

NOURISSARD, attendri.

Pauvre garçon ! Voyons... nommez-moi la personne, et...

ARMAND.

Mais c’est la fille de votre ami, monsieur Morauchant.

NOURISSARD.

Ernestine !... ma filleule... Malheureux ! il y a un autre prétendu... que j’ai présenté encore... un prétendu si gai, si spirituel...

Air : Un homme pour faire un tableau.

Ah ! c’est un jeune homme charmant,
Que l’on se dispute à la ronde ;
Car la farce est son élément :
Il fait rire ici tout le monde.
Ses tours, en tous lieux renommés,
Ont fini, mon cher, par séduire
Jusqu’à celle que vous aimez...
Ah ! comme il va vous faire rire.

Il remonte la scène.

ARMAND.

Je ne crois pas.

NOURISSARD, redescendant.

Justement, voici Ernestine.

ARMAND.

Ah !... Monsieur... parlez-lui...

NOURISSARD.

Je le voudrais... mais, mettez-vous à ma place... je ne peux pas ménager la chèvre et le chou... Comprenez-bien, j’ai présenté la chèvre... Ah ! si je n’avais pas présenté la chèvre !... Mais, rassurez-vous... je serai neutre... voilà mon genre !

Retournant à ses lignes.

Vous permettez... je me suis engagé d’une friture...

Il se remet à pécher.

 

 

Scène II

 

NOURISSARD, ARMAND, ERNESTINE

 

ERNESTINE, entrant sans voir Armand.

Encore ici, mon parrain... mais vous allez dépeupler les fossés.

NOURISSARD.

Allons donc, c’est un potager que tes fossés... on n’y pêche que des salades.

ERNESTINE, riant.

Vraiment !

Descendant la scène et apercevant Armand.

Ah ! monsieur Armand !

ARMAND.

Pardonnez, Mademoiselle... j’attendais dans ce salon, le retour... de Monsieur votre père.

ERNESTINE.

Il va rentrer, Monsieur... veuillez prendre patience.

Elle lui désigne un siège et va pour sortir.

ARMAND.

Eh bien ! non, Mademoiselle... un seul instant, je vous en prie, et puisque monsieur votre père est sur vos pas, les moments sont précieux...

ERNESTINE.

Monsieur...

À part.

Il me fait peur...

Appelant Nourissard.

Mon parrain !

NOURISSARD.

Impossible ! Je suis neutre... et ça mord.

ARMAND.

Je viens de recevoir un coup cruel en apprenant qu’un autre... Moi-même, j’avais osé concevoir des espérances.

ERNESTINE.

Monsieur...

NOURISSARD, péchant.

Ça mord... ça mord...

ERNESTINE.

Bien certainement, je ne puis qu’être très honorée de votre estimable recherche ; mais ainsi qu’on a pris soin de vous en instruire... un autre, avant vous...

ARMAND.

Vous l’aimez ?...

ERNESTINE.

Je suis franche... il m’a donné, il y a quinze jours, une si noble preuve de son dévouement, de son courage...

NOURISSARD, revenant.

Ah ! ah !... son duel pour toi.

ERNESTINE.

Oh ! je ne m’en cache pas... depuis ce jour, je me sentis pénétrée pour lui d’un sentiment de reconnaissance... d’estime... Enfin celui que j’étais habituée à considérer comme un plaisant de salon... est devenu tout-à-coup pour moi un homme de cœur... j’en ai la preuve...

NOURISSARD, venant entre eux.

Voilà ce que ma femme ne veut pas croire... elle le déteste...

ARMAND, soupirant.

Ah !...

NOURISSARD, bas à Armand.

Allons, du courage... j’ai un autre parti à vous proposer... trente ans, de l’embonpoint, et un bon commerce... Charcutière !

Apercevant madame Nourissard.

Ma femme... Chut !

 

 

Scène III

 

ARMAND, NOURISSARD, ERNESTINE, MADAME NOURISSARD, MORAUCHANT

 

MORAUCHANT, à madame Nourissard avec humeur.

Là... nous allions pour voir passer le chemin de fer, et nous l’avons manqué... je vous le disais bien... avec vos marguerites... Il m’aime un peu... beaucoup... et le convoi !... pas du tout.

NOURISSARD, à part.

Des marguerites...

Bas à sa femme.

À qui s’adressait ce langage oriental, Madame ?

MADAME NOURISSARD, de même.

À Vous, peut-être.

NOURISSARD, de même.

Dites plutôt à votre inconnu, coquette !

MADAME NOURISSARD, haut.

Encore !... tenez... ne m’ennuyez pas...

Elle remonte.

MORAUCHANT.

Comment, une querelle !... Ernest, quel exemple pour ma fille qui va contracter...

NOURISSARD.

Oh ! je vous mâterai, Madame... je la mâterai !...

MORAUCHANT, apercevant Armand.

Monsieur Armand... ah ! je vous tiens donc enfin chez moi...

Armand vient à lui et lui prend la main.

MADAME NOURISSARD, à part.

Un jeune homme... serait-ce l’inconnu du billet jaune ?...

MORAUCHANT.

Ah ça ! vous restez avec nous ?

ERNESTINE, à part.

Bien, voilà papa qui le retient.

MORAUCHANT.

Je vous ferai parcourir mes cinq hectares... vous verrez mes abricotiers et mes ruines romaines... des ruines toutes neuves... que j’ai fait construire... Ça vous amusera... D’abord je vous préviens que ma maison est très gaie... vous verrez mon gendre... Vous verrez... vous verrez mon gendre.

NOURISSARD.

Ah ! à lui le pompon pour les farces, les niches et les calembours...

MORAUCHANT.

Il est bon de vous dire, Monsieur, que j’ai une affection au foie...

Air : Que d’établissements.

Or, comme le rire est très sain,
Dit-on, pour cette maladie,
À mon gendre, j’en suis certain,
Je vais bientôt devoir la vie.

ARMAND.

Ah ! je comprends votre raison ;
Il entre dans votre famille
Rien que pour votre guérison...

MORAUCHANT.

Et pour le bonheur de ma fille.

Vous sentez bien que quand on donne soixante...

PASCAL, entrant.

Monsieur, une lettre de Paris.

MORAUCHANT, la prenant.

Un cachet noir. Tiens ! Qui est-ce qui peut être mort dans mes connaissances ?... voyons donc... voyons donc... non, je ne soupçonne qui que ce soit... et toi, Nourissard, soupçonnes-tu ?

NOURISSARD, cherchant.

Voyons donc... voyons donc !...

ERNESTINE.

Mais, papa, si vous lisiez.

MORAUCHANT.

Au fait...

Lisant.

« Vous êtes prié d’assister... »

Parlé.

Ah ! grand Dieu ! ah !... grand Dieu !...

Il passe la lettre à Nourissard.

NOURISSARD.

Quoi donc ?

Lisant.

« Vous êtes prié d’assister  au service et enterrement de... »

Parlé.

Ah ! grand Dieu !... ah ! grand Dieu !...

Il passe la lettre à Armand.

ARMAND, lisant.

« De César-Fortuné Cliquet. »

TOUS.

Cliquet !

MORAUCHANT.

Mon gendre !...

ERNESTINE, tombant sur une chaise.

Lui !... Ah ! mon Dieu !

MORAUCHANT, courant à elle.

Ma fille !... Ernestine !

MADAME NOURISSARD.

Dans ma chambre... un flacon... Je cours...

Elle sort vivement à droite.

NOURISSARD.

Quelle catastrophe !... ce pauvre Cliquet.

CLIQUET, paraissant au fond.

Présent !...

 

 

Scène IV

 

ERNESTINE, MORAUCHANT, CLIQUET, NOURISSARD, ARMAND

 

TOUS.

Lui !

Cliquet est suivi de Pascal qui porte sa valise. Il est en costume de campagne, avec son fusil et son carnier qu’il dépose au fond, et son cor de chasse avec lequel il accompagne le chœur.

Ensemble.

Air : Vive l’absinthe (Almanach des 25 000 adresses.)

Surprise extrême !
Quoi ! c’est lui-même
Qui tout à coup reparaît en ces lieux !
À sa figure,
À son allure,
Il faut pourtant en croire enfin nos yeux.

MORAUCHANT.

Ainsi vous n’êtes pas mort ?

CLIQUET.

Non... petit bonhomme vit encore. Eh bien ! est-elle bonne celle-là ! est-elle bonne ? Ah ! ah !

ARMAND, à part, relisant la lettre.

Fortuné Cliquet !... comment, ce gendre, c’était...

NOURISSARD.

Comment, une farce !... Et nous qui vous avons pleuré...

CLIQUET, serrant la main de Nourissard.

Aussi, mon cher ami, quand votre tour viendra... je saisirai avec empressement...

NOURISSARD.

Dites donc, pas de mauvaise plaisanterie.

CLIQUET, passant à Ernestine.

La charmante Ernestine daignera-t-elle agréer mes hommages ?

Il lui remet un bouquet.

ERNESTINE.

Fi ! Monsieur, c’est bien vilain...

CLIQUET.

De n’être pas mort ?...

À part.

Son petit regard est encore moite.

ARMAND, à part.

Quel insipide personnage !...

CLIQUET, bas à Nourissard, désignant Armand.

Quel est ce monsieur ?

NOURISSARD, bas.

Un ingénieur... qui a des chagrins.

CLIQUET, bas.

Des chagrins !... Je demande cinq minutes pour le faire pouffer...

MORAUCHANT.

Mais dites-moi donc, mon gendre, quelle idée vous avez eue de vous faire passer pour mort ?

CLIQUET.

Histoire de rire...

À Armand.

Si Monsieur veut rire ?

ARMAND.

Volontiers, Monsieur... j’aime beaucoup à rire...

CLIQUET.

Voici ce que c’est. Quand un jeune homme, assez galamment taillé... est sur le point de dire adieu à la vie de garçon, il existe une infinité de liaisons, de petites chaînes, qu’il ne peut rompre sans une grande dépense de temps et de peine... je me suis donc posé ce problème : trouver un moyen peu coûteux de me débarrasser d’un seul coup de tous mes amis...

Bas, aux hommes.

des deux sexes...

MORAUCHANT.

Ah ! des deux... j’y suis ! j’y suis !...

NOURISSARD, riant.

Moi aussi...

CLIQUET.

Et ce moyen économique... je l’ai trouvé...

Air : Ces Postillons.

Une superbe circulaire
Où je parlais de moi modestement :
Qu’on m’a livrée au passage du Caire,
Et moyennant quatre livres le cent...

NOURISSARD.

Eh ! quoi ! le cent ?...

CLIQUET.

Des deux sexes !

MORAUCHANT.

Charmant !

CLIQUET.

À mes amis je l’adressai d’urgence,
Les prévenant tous que je les priais
De mettre un terme à notre connaissance...
Pour cause de décès.

Eh bien ? Est-elle bonne celle-là ?

À part, regardant Armand.

C’est drôle... il ne pouffe pas...

MORAUCHANT.

Ah ça ! mais si vous veniez à retrouver dans le monde quelques-unes des personnes qui ont reçu votre lettre de faire part.

CLIQUET.

Eh bien !... voyez-vous d’ici la surprise... l’effroi... entendez-vous cet organe.

Voix d’homme.

Cliquet ! pas possible !... Et celui-là...

Plus doux, voix de femme.

Vous !... Ah ! mon Dieu ?...

Changeant de ton.

Je vous présente mes devoirs...

Voix de femme.

Ah ! Monsieur, quelle absurde plaisanterie !

ERNESTINE.

Mais c’est une voix de femme...

CLIQUET.

Du tout... c’est... c’est celle d’un de mes amis. Oui... un Italien... un soprano...

NOURISSARD et MORAUCHANT.

Ah ! ah ! farceur !... satané farceur !

CLIQUET, à part, regardant Armand.

Il ne veut pas pouffer.

NOURISSARD, bas à Cliquet.

Faites donc rire l’ingénieur.

CLIQUET, de même.

Allons donc, il est gai comme une pompe à feu, votre ingénieur.

Ernestine sort par la porte à gauche, avec le bouquet.

NOURISSARD, bas.

Je le crois bien, il est amoureux de votre prétendue... Chut !...

CLIQUET, à part.

Lui !... Ah ! mon bonhomme, tu te permets... et tu ne veux pas rire... attends... attends...

MORAUCHANT, à Cliquet.

Ah ça ! vous n’êtes pas venu à pied, j’espère ?

CLIQUET.

Du tout, je suis venu dans l’intérieur de la diligence... et j’ai ri !... Tel que vous me voyez, je viens de lui poser les sangsues à l’intérieur de la diligence !...

MORAUCHANT et NOURISSARD.

Les sangsues ?

CLIQUET.

Ce matin, en me rendant au bureau de la voiture, j’avise chez un pharmacien une quinzaine de ces insectes qui flânaient dans un bocal... j’entre, j’achète la cargaison et je la roule dans un gant de laine... parce que la laine, ça les prépare bien... Bientôt je me trouve installé dans l’intérieur entre une demi-douzaine de nourrices... je laisse glisser tout doucement mon gant sous la banquette... et je ferme les yeux. Ça m’était égal... j’avais des sous-pieds.

MORAUCHANT.

Eh bien ?

CLIQUET.

Eh bien !... elles ont très bien pris... toutes... c’est-à-dire que j’ai été obligé d’aller moi-même détacher ces demoiselles, qui avaient grimpé... mais grimpé !... Ah !...

NOURISSARD.

Ah ! ah ! ah ! Qu’il est donc gai, mon Dieu, qu’il est donc gai !

Il remonte un instant.

CLIQUET.

Histoire de rire...

MORAUCHANT, à Cliquet.

Ah ça ! qu’est-ce que nous faisons aujourd’hui ?... Vous avez votre fusil... si nous chassions ?...

CLIQUET.

Les mouches... Il n’y a que ça dans votre jardin.

MORAUCHANT, confidentiellement à Cliquet.

Chut !... j’y ai mis douze lapins... ils se reproduiront... rien que des femelles.

Ernestine rentre portant des fleurs qu’elle va déposer sur la cheminée au fond, à droite.

CLIQUET.

Ah ! bah !... rien que des femelles ?... Pas autre chose...

MORAUCHANT.

Non...

CLIQUET.

Ah !... Et vous croyez que... Tenez, père Morauchant, vous ne défendriez pas un port de mer, vous.

MORAUCHANT.

Pourquoi ça ?

CLIQUET.

Parce que vous n’êtes pas fort.

Il lui porte une botte.

Hup là !

MORAUCHANT.

Ah ! farceur !

NOURISSARD, riant.

Ah ! ah ! ah !

Voulant expliquer à Morauchant.

Tu comprends, fort, forteresse... Qu’il est donc gai !... mon Dieu ! qu’il est donc gai !

CLIQUET, à part, regardant Armand sérieux.

Allons, la pompe à feu y met de l’entêtement.

 

 

Scène V

 

ERNESTINE, MORAUCHANT, CLIQUET, NOURISSARD, ARMAND, MADAME NOURISSARD, puis PASCAL

 

MADAME NOURISSARD, entrant, tenant un flacon.

Eh bien ! comment va-t-elle ? Mieux ?...

CLIQUET, la saluant.

Oui !... mieux, belle dame.

MADAME NOURISSARD, reculant et poussant le cri de frayeur que Cliquet a annoncé.

Vous !... Ah ! mon Dieu !...

NOURISSARD, à part.

Hein ?... ce cri !...

CLIQUET, à madame Nourissard.

Je vous présente mes devoirs.

MADAME NOURISSARD.

Ah ! Monsieur !... quelle absurde plaisanterie !

NOURISSARD, à part.

C’est bien ça... le cri... de l’Italien... du soprano !

CLIQUET, à Nourissard.

Elle est toujours très bien, madame votre épouse...

NOURISSARD.

Il suffit, Monsieur...

À sa femme, bas.

Madame, je suis sur la trace... je suis sur la trace...

MADAME NOURISSARD, impatientée.

Eh ! Monsieur !...

NOURISSARD.

Oh ! je vous mâterai, Madame, je vous mâterai !

MORAUCHANT.

Encore une querelle !... Ernest, ma fille va contracter.

MADAME NOURISSARD.

Il est d’une jalousie !...

CLIQUET, à part.

Jaloux !... mon billet jaune est parvenu... nous allons rire...

À Nourissard.

Comment ! vous êtes jaloux ? Fi ! un boucher !... Fi !

NOURISSARD.

Monsieur... je suis très doux... mais pas pour ça... et mon meilleur ami...

Appuyant.

Mon meilleur ami...

Faisant mine d’asséner un coup de poing.

Hein !!! comme un bœuf.

CLIQUET, à part.

Diable !... est-ce qu’il se douterait ?...

NOURISSARD, à part.

Il a pâli... je le surveillerai... il faut absolument que je retrouve mon album.

MORAUCHANT, en remontant pour appeler.

Allons, en chasse ! En chasse... Pascal !... mon fusil... mon fusil...

PASCAL, entrant.

Il est prêt, Monsieur... Faut-il atteler pour Paris ?

MORAUCHANT.

Sans doute... nous n’avons plus de provisions...

NOURISSARD.

Allons, en chasse !... En chasse !

CHŒUR.

Air : Allons, allons (Sport et Turf.)

Ah ! quel plaisir !
Il faut partir !
Le gibier { nous } appelle.
               { vous }
La journée est belle.
Soyons } adroits,
Soyez   }
Et { nos } exploits
    { vos }
Vont mettre dans le bois
Les lapins aux abois.

Nourissard, Morauchant, madame Nourissard, Ernestine et Pascal sortent après le chœur.

 

 

Scène VI

 

ARMAND, CLIQUET

 

Cliquet prend son fusil dont il fait jouer les batteries.

CLIQUET, à part, regardant Armand.

Il reste !... Ah ! nous allons avoir de l’agrément avec la pompe à feu.

ARMAND, à part.

Seul avec lui... Allons au fait...

Haut.

C’est bien à monsieur César Fortuné Cliquet que j’ai l’honneur de parler ?...

CLIQUET.

À lui-même.

ARMAND.

Je dois me féliciter de la circonstance qui nous rapproche...

CLIQUET.

De mon côté, Monsieur, je la savoure... je la déguste, la circonstance...

ARMAND.

Monsieur, je sais que vous sollicitez une place d’inspecteur au chemin de fer de Rouen...

CLIQUET.

Ah ! vous savez...

ARMAND.

Moi aussi, Monsieur, je suis en instance pour la même place.

CLIQUET.

En vérité...

ARMAND.

Et convaincu que votre position de fortune vous permet de vivre en dehors de tout emploi, je viens vous proposer un arrangement.

CLIQUET.

Ah ! nous en avons pour longtemps ?... C’est que je déposerais mon fusil.

ARMAND.

Je ne vous retiendrai qu’un moment... Ce matin même, mon homme d’affaires, un de mes amis, a dû se présenter chez vous pour négocier l’abandon de vos prétentions...

CLIQUET.

Comment ?...

ARMAND.

En vous offrant, bien entendu, un dédommagement honorable... Mais si vous voulez d’abord jeter les yeux sur ce projet de désistement, il est entièrement écrit de sa main.

Il remet à Cliquet un papier.

CLIQUET.

Ah ! ah !... comme ça, nous allons écosser des dossiers ! Je disais aussi, à la campagne, un dimanche.

À part.

Ça devait lui venir.

Prenant le papier.

Voyons.

Embarrassé de son fusil.

Ah ! diable ! cet instrument !...

ARMAND.

Permettez que je vous en débarrasse.

CLIQUET.

Pardon... je ne souffrirai pas...

À part.

Oh ! si !... Je vais lui faire faire l’exercice.

Il lui remet son fusil.

ARMAND, lui indiquant le papier.

Vous voyez... ça n’est pas long.

CLIQUET, lisant.

« Après avoir mûrement réfléchi... »

S’interrompant pour redresser le fusil.

Oh ! non, pas comme ça... vous allez vous blesser... là... bien... plus rentré le coude... plus rentré.

À part.

Portez armes !

Lisant.

« Et mieux instruit des véritables titres de mon concurrent... »

S’interrompant.

Ça vous fatigue ?... Tenez... comme ça... ça repose... là...

À part.

Armes bras !...

En descendant un peu à gauche.

ARMAND, de bonne foi.

Ne faites pas attention... continuez.

CLIQUET, lisant.

« Je prie messieurs les administrateurs de reporter sur lui toute leur bienveillance... » Signé...

S’interrompant.

C’est lourd... hein ?... Eh bien ! ne vous gênez pas, allez... tenez le comme vous voudrez.

À part.

Armes à volonté... il va... il va tout seul.

ARMAND.

Maintenant, Monsieur, si ce projet vous convient, veuillez vous-même fixer le chiffre...

CLIQUET, riant.

Ah ! ah ! ah !

ARMAND.

Ne rions pas, Monsieur, je vous prie... J’ai besoin d’une prompte décision ; car si vous refusiez, je serais obligé de partir, de m’expatrier...

CLIQUET.

Ah ! vous partez... pour loin ?

ARMAND.

Pour la Russie.

CLIQUET.

La Russie !

ARMAND.

Oui, des engagements avec une compagnie industrielle...

CLIQUET.

Pour faire des cuirs ?

ARMAND.

Pas précisément... il y a même un important dédit... 50 000 francs... ainsi vous voyez...

CLIQUET.

Il n’y a qu’un petit malheur, mon cher Monsieur ; cette place je l’ai depuis hier et je la garde... une place charmante... Ah ! ah !

ARMAND.

Comment ! Pardon... je l’ignorais...

Lui remettant son fusil.

Ah ! votre fusil.

CLIQUET, reprenant son fusil.

Ah ! oui... Eh bien... c’est dommage... vous faites bien l’exercice, vous.

ARMAND.

Comment ?

CLIQUET.

Tout à l’heure... vous ne vous êtes pas aperçu...

Imitant le jeu.

Portez armes !... armes bras !... Ah ! ah ! ah ! allons, elle est bonne, celle-là : eh bien, riez donc !

ARMAND, froidement.

Je ne ris jamais, Monsieur... et quand par hasard un de ces plaisants qui font les délices des mauvaises sociétés, me choisit pour être le but de ses mystifications... j’ai la malheureuse habitude de lui couper les oreilles...

CLIQUET, reculant.

Ah ! ah !... c’est différent...

ARMAND.

Vous m’avez compris, Monsieur.

MORAUCHANT, appelant de la coulisse.

Cliquet ! Cliquet !...

CLIQUET, à Armand.

Pardon... vous voyez... on m’appelle pour la chasse... je suis bien le vôtre...

Il remonte au fond prendre son carnier.

ARMAND, à part.

Comment !... c’est là cet homme de cœur...

CLIQUET, à part.

Décidément la pompe à feu... c’est une pompe funèbre.

Air de don Pasquale.

Pardonnez si je vous quitte ;
C’est à regret, croyez bien,
Que je renonce aussi vite
Aux charmes de l’entretien.

Tirant de son carnier un lièvre empaillé qu’il montre à moitié.

N’oublions pas ce beau sire...
Quel gaillard ! je veux pourtant,
Qu’il soit... histoire de rire,
Tué net par Morauchant.

Reprise.

Pardonnez, etc.

ARMAND.

Quoi ! c’est ainsi qu’il me quitte !
Et de lui je n’obtiens rien !
Est-ce là ce que mérite
L’ennui de son entretien ?

Cliquet sort par le fond.

 

 

Scène VII

 

ARMAND, puis PASCAL

 

ARMAND, seul.

Ernestine a pu me préférer un pareil personnage... allons, il n’y a plus à hésiter... et puisque des propositions me sont faites pour aller en Russie diriger des travaux... propositions brillantes... inespérées...

Il prend la plume et appose sa signature au bas d’un papier qu’il a tiré de sa poche.

Ma signature au bas de cet engagement... aucun moyen de revenir... ce dédit... Qu’importe ?... si c’est lui qu’elle aime.

PASCAL, entrant tout habillé, un fouet à la main.

Monsieur Morauchant, je pars... Tiens, il n’y est pas.

ARMAND, assis à droite.

Mon ami, n’est-ce pas vous qui allez à Paris ?

PASCAL.

Oui, Monsieur, je vas au provisions... la carriole est attelée.

ARMAND.

Pouvez-vous vous charger de remettre cette lettre boulevard Montmartre ?

PASCAL.

Avec plaisir, Monsieur, c’est mon chemin.

Fausse sortie, revenant.

Ah ! Monsieur... c’est-y vous qu’êtes monsieur Armand de Villiers ?

ARMAND.

Oui !...

PASCAL, lui remettant un billet.

C’est une lettre qu’on vient d’apporter pour vous.

ARMAND, se levant.

Donne.

Pascal sort.

 

 

Scène VIII

 

ARMAND, seul

 

Ah ! c’est de mon homme d’allaires.

Ouvrant la lettre.

Il n’aura pas rencontré Cliquet...

Lisant.

« Mon cher ami, je me suis présenté ce matin chez ton concurrent il ; venait de partir pour la campagne : mais j’ai trouvé toute la maison en émoi. Un facteur qui avait eu l’imprudence de sonner à la porte de ce monsieur, venait d’être relevé sans connaissance... Il paraît que ce Cliquet possède une petite machine électrique dont il dirige les courants sur son cordon de sonnette, ce qui procure aux visiteurs une secousse des plus violentes... »

Parlé.

C’est bien de lui.

Lisant.

« Dans tous les cas, ma visite n’aura pas été tout-à-fait inutile, car si j’en crois mes pressentiments et la peinture qu’on m’a faite du personnage, M. Cliquet ne serait autre que le héros de ce fameux duel que tu sais, et dont je fus le témoin improvisé... »

Parlé.

Il serait possible... et c’est à ce duel qu’il devrait... oh ! il faut absolument que j’éclaircisse...

Voyant entrer.

Ernestine !...

 

 

Scène IX

 

ARMAND, ERNESTINE

 

ARMAND, allant à Ernestine.

Pardon, Mademoiselle, deux mots.

ERNESTINE.

Mais, Monsieur...

ARMAND.

Oh ! je ne viens pas plaider ma cause, elle est perdue... je le sais... il s’agit de vous... de votre bonheur.

ERNESTINE.

De moi ?...

ARMAND.

Je vous en supplie, veuillez me répondre... êtes-vous bien sûre du courage de M. Cliquet ?

ERNESTINE, jetant autour d’elle un regard d’effroi.

Oh ! plus bas, Monsieur, il vous tuerait !

ARMAND, souriant.

Je ne crois pas... dites-moi, avant ce duel, ce fameux duel, qui lui mérita votre estime, M. Cliquet ne portait-il pas une énorme paire de moustaches !...

ERNESTINE.

En effet !

ARMAND.

Et après ?... Le lendemain du combat ?

ERNESTINE.

Elle avait disparu... je m’en souviens...

ARMAND, à part.

Plus de doute... c’est lui !...

ERNESTINE.

Mais pourquoi ?...

ARMAND.

Oh ! c’est que cette coïncidence me rappelle une histoire toute récente... Il y a quinze jours, dans un bal, une jeune fille portait, je crois, un bouquet de camélias...

ERNESTINE.

Un jeune homme osa détacher une fleur de ce bouquet, pour la placer à sa boutonnière...

ARMAND.

Et le prétendu de la jeune fille arracha cette fleur à l’insolent...

ERNESTINE, avec fierté.

Oh ! oui... et il le provoqua devant tout le monde avec éclat.

ARMAND.

Le lendemain, les deux champions se trouvaient sur le terrain, mais un des témoins fit défaut.

ERNESTINE.

Ah !...

ARMAND.

Par bonheur, on avisa sur la route un Monsieur d’une tournure assez pacifique qui portait une valise. Ce Monsieur était un de mes amis, un homme d’affaires... qui n’en avait pas pour le moment, et qui accepta les fonctions qui lui étaient proposées.

ERNESTINE.

Et le duel eut lieu...

ARMAND.

Au moment de charger les armes, une balle échappée d’un petit sac vint rouler sur la botte de mon ami, qui fut étonné de sa légèreté...

ERNESTINE.

Comment ?

ARMAND.

Il se baissa furtivement et reconnut bientôt qu’il n’avait ramassé qu’une innocente boule de liège, recouverte d’une mince feuille de plomb.

ERNESTINE.

Oh ! c’est impossible !... C’est une calomnie, Monsieur...

ARMAND, continuant.

Alors, sans dire un mot, il tira gravement de sa valise une boîte, l’ouvrit, y prit deux pistolets, les chargea et s’avançant vers les combattants, leur dit : Messieurs, je crois que ceux-ci seront plus justes... prenez...

ERNESTINE.

Eh bien ?...

ARMAND.

Eh bien ! ils refusèrent tous les deux...

ERNESTINE.

Tous les deux...

ARMAND.

Mon ami eut d’abord la pensée de tirer vengeance de ce qu’il regardait comme une insulte, mais à l’aspect de la terreur qui s’était emparée des deux champions, de l’un des deux, surtout, qui était orné d’une formidable paire de moustaches, une idée bouffonne lui traversa le cerveau : « Parbleu ! Monsieur, lui dit-il, vous avez là une moustache à faire trembler un homme de cœur, et comme il n’est pas, je pense, dans votre vocation de faire trembler personne... vous allez l’ôter, c’est un objet de luxe — Comment, Monsieur ? — À l’instant... je l’exige... je vous condamne en outre à ne jamais porter votre barbe... jamais, vous m’entendez... Oh ! je ne vous perdrai pas de vue... une ligne, un millimètre, et vous êtes mort ! »

ERNESTINE.

Eh bien ?

ARMAND.

Eh bien !...

Air de madame Favart.

Depuis ce jour, Mademoiselle,
Vous avez pu voir, par vos yeux,
Son visage imberbe et rebelle
À tout ornement belliqueux.
C’est qu’en ce duel implacable,
Où pour vous combattait sa main,
Il avait perdu, c’est probable,
Ses moustaches sur le terrain.

ERNESTINE, indignée.

Si cela était vrai...

ARMAND.

Croyez qu’il m’en a coûté, Mademoiselle, pour détruire vos illusions sur une personne...

ERNESTINE, vivement.

Que je n’aime plus, Monsieur... que je n’ai jamais aimée... oh ! je le sens maintenant !... mais je ne puis croire encore...

On entend en dehors la voix de Cliquet.

C’est lui...

À Armand.

Ah ! Monsieur, si vous m’avez dit la vérité... croyez-le, mon cœur saura reconnaître un tel service.

ARMAND, à part.

Que dit-elle ?

 

 

Scène X

 

ARMAND, ERNESTINE, CLIQUET

 

CLIQUET, entrant.

Ouf !... Ah ! je viens de faire une bonne farce.

ARMAND.

Encore... mais vous ne pensez donc qu’à ça ?

CLIQUET.

Absolument.

ERNESTINE, à part.

Comme c’est gracieux !

Haut.

Monsieur Cliquet, j’aurais une prière à vous adresser.

CLIQUET.

Je suis tout à vous.

À Armand.

Je viens de quitter la chasse, ce n’est pas gai, la chasse... Figurez-vous qu’en rentrant par la grande route j’ai eu la chance d’apercevoir un cocher qui revenait à vide.

ERNESTINE, à Cliquet.

Un mot seulement.

CLIQUET.

Je suis tout à vous.

À Armand.

Il faut vous dire que quand j’aperçois un cocher qui revient à vide, j’ai la petite habitude de lui crier... hé !... cocher !... cocher !... êtes-vous libre ?

Faisant le geste d’un cocher qui arrête sa voiture.

Holà !... hi !... Vous êtes libre ?... Oui ?... Eh bien ! vive la liberté !... et je file.

À part, regardant Armand.

Il rit !...

Haut.

Comme j’aime beaucoup cette plaisanterie, je me disposais à l’exécuter à l’endroit d’un coucou. Hé ! cocher !... coch !... Il dormait ! Bravo !... pour les cochers qui dorment j’ai un autre jeu : je m’approche tout doucement, tout doucement, et je retourne sans bruit la voiture.

ARMAND.

Ah ! les pauvres diables !

CLIQUET.

Bah ! histoire de rire...

Même jeu.

Il rit encore !...

Haut.

J’en ai retourné quatorze, un barrage en grand. Il y a surtout un certain gendarme à cheval... mais lui, c’est différent, je ne me serais pas permis de... Non, respect à l’autorité ! J’ai attelé son cheval à une roue de manège... et ils tournent tous les deux... Ils puisent de l’eau... ça rend service... aux artichauts...

ARMAND, riant.

Ah ! ah ! la singulière idée... Ah ! ah !

CLIQUET, à part, regardant Armand qui rit.

Eh bien !... il pouffe maintenant...

À Armand.

Ah ! vous pouffez et vous repouffez ! Ah ! ah ! je savais bien !

ERNESTINE, à part.

Il est insupportable.

 

 

Scène XI

 

ARMAND, ERNESTINE, CLIQUET, NOURISSARD

 

NOURISSARD, entrant, pose son fusil.

Ah ! quelle chaleur !

CLIQUET, l’apercevant.

Nourissard ! Arrivez donc.

Désignant Armand.

Il a pouffé... je l’ai fait pouffer !

NOURISSARD, sèchement, à Cliquet.

Mon compliment, Monsieur.

À part.

J’ai retrouvé mon album, l’instant est favorable.

Il se dirige vers le fond pour prendre l’album dans son carnier.

ERNESTINE, à Cliquet.

Monsieur, vous allez me trouver bien indiscrète.

CLIQUET.

Par exemple !

ERNESTINE.

C’est que je ne sais trop comment vous dire... Vous avez donc coupé vos moustaches ?...

CLIQUET.

Hein ?

ARMAND, à part, avec joie.

Ah !

CLIQUET.

Voilà ce que c’est... d’abord c’est incommode... et puis elles étaient d’une nuance si peu avantageuse...

ERNESTINE.

Mais non...

CLIQUET.

Mais si...

ERNESTINE.

Enfin, Monsieur, si on aime cette nuance-là.

CLIQUET.

Ah ! vous aimez...

NOURISSARD, revenant avec son album, à part.

Commençons d’abord par l’ingénieur.

Haut, présentant l’album ouvert à Armand.

Monsieur...

ARMAND.

Quoi ?

NOURISSARD.

C’est l’album... l’album pour la petite pensée... soit ingénieuse, soit délicate.

ARMAND, à part.

Que le diable l’emporte !

Prenant l’album.

Si je sais ce que je vais y mettre !

NOURISSARD, derrière et retroussant ses manches comme pour l’assommer, et le sourire sur les lèvres.

Soit ingénieuse, soit délicate...

Armand feuillette l’album en observant Cliquet et Ernestine.

ERNESTINE, à Cliquet.

Il faut avouer, Monsieur, que vous êtes bien peu galant...

CLIQUET.

Mes moustaches ! encore !

À part.

Quand on a ce goût-là, on épouse un sapeur.

ERNESTINE.

Il suffit, Monsieur, et puisque vous refusez de m’être agréable...

CLIQUET, à part.

Diable ! Elle se fâche...

Haut.

Eh bien !... voyons... on vous obéira...

ARMAND, à part.

Hein ?

Il s’assied vivement à la table et écrit quelques mots sur l’album qu’il rend ensuite à Nourissard.

CLIQUET.

C’est-à-dire que pour vous plaire, j’aurai l’air d’un brigand, d’un joli petit brigand... Ah ! c’est gentil ça... je laisse tout pousser, barbe, collier, moustaches...

NOURISSARD, lisant sur l’album qu’Armand lui a remis.

Un millimètre et vous êtes mort !

CLIQUET, atterré.

Ah ! mon Dieu !

À Nourissard.

Ces mots ?... vous avez dit ?...

NOURISSARD.

Eh bien ! C’est la pensée ingénieuse de Monsieur.

CLIQUET, regardant Armand avec terreur.

Ah !

ERNESTINE, à Cliquet.

Qu’avez-vous donc ?

CLIQUET, à Ernestine.

Jamais ! Ne m’en parlez plus : il y va de mes jours.

Il veut sortir, Nourissard lui barre le passage.

NOURISSARD, présentant l’album à Cliquet.

À vous, maintenant,

ERNESTINE, bas à Armand.

Monsieur, je vous autorise à rompre ce mariage par tous les moyens possibles.

Elle sort vivement par la gauche.

MORAUCHANT, parle dehors.

Où sont-ils ?... où sont-ils ?...

CLIQUET, à lui-même.

Eh bien ! Elle s’en va... courroucée contre moi... oh ! je vais rarranger ça... je la ferai rire...

Il fait un pas pour sortir.

NOURISSARD, le forçant à s’asseoir devant la table et lui présentant son album.

Monsieur... soit ingénieuse, soit délicate... au choix.

CLIQUET, se relevant et se sauvant du même côté qu’Ernestine.

Eh ! allez au diable.

 

 

Scène XII

 

ARMAND, NOURISSARD, puis MORAUCHANT

 

ARMAND, à lui-même.

Je vous autorise à rompre ce mariage... mais comment m’y prendre ?...

MORAUCHANT, entrant, portant un lièvre empaillé.

Nourissard... Cliquet... ma fille... tout le monde...

NOURISSARD.

Qu’y a-t-il ?...

MORAUCHANT.

Un lièvre... J’ai tué un lièvre...

NOURISSARD.

Sacrebleu... Où ça ?...

MORAUCHANT.

Près de mes ruines, dans un buisson...

NOURISSARD.

Mais tu n’as mis que des lapins...

MORAUCHANT.

Tiens !... c’est vrai... je n’y comprends rien... Après ça, la nature est si capricieuse... Qui peut sonder ses mystères ?... Voici comment la chose s’est passée... d’abord j’ai pris le vent... Il faut toujours prendre le vent.

ARMAND, examinant le lièvre.

Ah ! il est superbe !... Qu’est-ce qu’il a donc au cou ?... Un papier.

MORAUCHANT.

La bourre sans doute... j’ai donc pris le vent.

ARMAND, détachant le papier.

Non...

Lisant la suscription.

À monsieur, monsieur Morauchant, en son château...

NOURISSARD.

Hein ?... Une lettre du lièvre...

MORAUCHANT.

Que peut-il me vouloir ?...

ARMAND, lisant.

« Mon cher Morauchant, un ami qui désire depuis longtemps vous voir tuer un lièvre, a fait empailler celui-ci... »

MORAUCHANT et NOURISSARD.

Empailler ?

ARMAND, riant.

Ah ! ah ! ah !...

NOURISSARD.

Toi qui as pris le vent...

MORAUCHANT, jetant le lièvre.

Oh ! cette plaisanterie est indécente... Messieurs, je la trouve plate... Il n’y a que Cliquet capable...

Il remonte la scène.

NOURISSARD, prenant la lettre des mains d’Armand.

Mais non... c’est drôle... c’est même très spirituel... voyons la fin...

Lisant.

« Empailler celui-ci... »

S’interrompant.

Ah ! mon Dieu ! cette écriture... Je ne me trompe pas... celle que je cherche... c’est lui... c’est Cliquet. !

MORAUCHANT, revenant.

Oui !... c’est Cliquet !...

ARMAND.

Eh bien ?... La fin de la lettre...

NOURISSARD, tragiquement et descendant à droite.

La fin... la fin sera terrible, Monsieur... Je redeviens boucher, Monsieur...

MORAUCHANT.

Mais qu’y a-t-il encore ?...

NOURISSARD.

Il y a que ton Cliquet est un gueux... un gredin... un rien du tout...

MORAUCHANT.

Cette opinion sur mon gendre... Ernest...

NOURISSARD.

Ton gendre !... Il ne peut plus l’être...

MORAUCHANT.

Pourquoi cela ?

NOURISSARD.

Parce qu’avant un quart d’heure... vois-tu bien ceci...

Faisant le geste de donner un coup de poing.

Hein !

MORAUCHANT.

Plaît-il ?...

NOURISSARD.

Comme un bœuf...

Avec rage.

Ah ! ah ! nous allons rire... nous allons rire avec les pieds, avec les poings... Ah ! farceur...

Faisant mine de marcher sur quelqu’un.

Tiens ! tiens ! tiens ! ris donc, farceur !... mais ris donc !. Ah ! ah ! ah !... Elle est bonne, celle-là...

Ensemble.

Air de la Sirène.

NOURISSARD.

Rien à ma colère
Ne peut le soustraire ;
Il faut qu’à l’instant
Je me baigne dans son sang.

MORAUCHANT et ARMAND.

Ah ! que ta } colère
Que votre   }
Soudain se modère,
À quoi bon, vraiment,
Te     } donner tant de tourment.
Vous }

Nourissard sort en fureur.

 

 

Scène XIII

 

MORAUCHANT, ARMAND

 

MORAUCHANT, criant après Nourissard.

Ernest... Ernest... Ah ! Dieu... un meurtre dans mes cinq hectares !...

Tombant sur un fauteuil à gauche.

Je n’y survivrai pas...

ARMAND, le rappelant.

Monsieur, Monsieur !... il se trouve mal.

MORAUCHANT.

Oh ! ce n’est rien... là... toujours ma même maladie de foie... ça me vient par secousse... ça m’est venu par une secousse, Monsieur...

ARMAND.

Comment ?

MORAUCHANT.

Parbleu !... à la porte de Cliquet... dans ma propre maison, rue Bergère... c’était le 15 juillet, j’allais lui présenter sa quittance... Je me portais parfaitement... Je m’approche de son cordon de sonnette...

ARMAND, se rappelant.

Hein ?... Comment ?...

MORAUCHANT.

Je le saisis... crac !... la secousse, ici... ma maladie venait de se déclarer...

ARMAND, à part.

Je devine...

MORAUCHANT.

Eh bien ! Monsieur, le croiriez-vous ?... J’ai tout fait pour me guérir... Je suis allé à Vichy, deux mois, dix francs par jour... J’ai consulté, Monsieur... dix francs... et Monsieur... dix francs aussi... enfin, ne sachant plus que devenir, j’ai consulté une somnambule... qui avait les yeux fermés...

ARMAND.

Ah ! fermés...

MORAUCHANT.

Tout ce qu’il y a de plus fermés... la preuve, c’est qu’elle m’a pris la main et m’a dit : rassurez-vous, Madame, vous en avez pour neuf mois... et j’en ai eu pour dix francs...

ARMAND, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah !...

MORAUCHANT.

Vous riez ?...

ARMAND.

Pardonnez-moi... c’est que j’ai de fortes raisons de penser que votre maladie n’est pas aussi grave que vous l’avez supposé jusqu’à ce jour...

MORAUCHANT.

Comment ?

ARMAND, à part.

Ma foi... je ne suis pas tenu de ménager ce Cliquet...

Haut.

Un accident exactement semblable au vôtre s’est renouvelé ce matin à la même place...

MORAUCHANT.

Ah ! bah !... à la porte de Cliquet ?

ARMAND.

Et l’un de mes amis qui vient de m’en donner la nouvelle par la lettre que voici... m’en fournit en même temps l’explication... Vous pouvez voir.

Il lui montre la lettre.

Là...

MORAUCHANT.

Hein ?... Qu’ai-je lu ? Une machine électrique !

ARMAND.

Encore une farce !...

MORAUCHANT.

Oui... Je comprends... une roue qui tourne... on charge le cordon... et quand on y touche... crac... comme aux Champs-Élysées... et vous appelez ça une farce...

Passant à droite.

ARMAND.

Ce n’est pas moi...

MORAUCHANT, très en colère.

Une farce... une farce !... Mais songez-vous, Monsieur, que depuis un an, je ne vis que de pruneaux et de bouillon aux herbes... Ah ! on ne se moque pas du monde comme ça...

ARMAND.

Le fait est que pour un homme qui aspire à entrer dans votre famille...

MORAUCHANT.

Dans ma famille... jamais... qu’on ne m’en parle jamais... ah ! je comprends la colère de Nourissard... je la partage... je suis guéri... mais je ne lui pardonnerai de ma vie... moi qui m’étais habitué à l’idée de me débarrasser de mon Ernestine... me voilà avec un gendre de moins et une fille de plus sur les bras...

ARMAND.

Ah ! si ce n’est que cela... je sais quelqu’un qui s’estimerait trop heureux de remplacer M. Cliquet auprès de mademoiselle votre fille.

MORAUCHANT.

Hein ?... Plaît-il ?... Ce quelqu’un ?...

ARMAND.

Moi, Monsieur... veuillez excuser un aveu aussi brusque...

MORAUCHANT.

Comment donc, jeune homme, je serais on ne peut plus flatté... vous êtes ingénieur... vous êtes musicien... vous n’êtes pas d’une gaîté folle... tout ça m’arrange parfaitement... et si votre position est en harmonie... je donne soixante, Monsieur, je donne soixante... À vous.

ARMAND.

Hélas ! Monsieur, je n’ai rien... mais mon amour pour mademoiselle Ernestine est si vrai... si profond...

MORAUCHANT.

Permettez... votre amour !... c’est bien peu, quand on donne soixante... si seulement vous possédiez quelques ares, quelques centiares au soleil... Voyons, trouvez une place, une inspection comme Cliquet, et nous verrons... je ne vous dis que ça... nous verrons...

ARMAND, à part.

Une place... une place !... je ne vois que celle de Cliquet... Comment faire ?

 

 

Scène XIV

 

MORAUCHANT, ARMAND, NOURISSARD, CLIQUET

 

NOURISSARD, tenant Cliquet au collet.

Ah ! ah !... tu ne ris plus... ris donc...

CLIQUET.

Je crois bien... vous m’étranglez... aïe !...

MORAUCHANT.

À l’autre, à présent...

NOURISSARD, faisant tourner Cliquet.

Comme un bœuf... comme un bœuf... 

MORAUCHANT.

Ernest... Ernest... qu’est-ce que Monsieur t’a fait ?...

CLIQUET.

Oui, Ernest... voyons, Ernest... qu’est-ce que...

NOURISSARD.

Ce qu’il a fait... il le demande...

CLIQUET, très haut.

Oui... quoi ?

NOURISSARD.

Cliquet ! Un quelqu’un s’est permis d’appeler madame Nourissard, mon ange... sur du papier jaune ?

ARMAND, à part.

Comment, ce serait ?

CLIQUET.

Ce n’est pas moi.

NOURISSARD, levant le poing.

Oh !...

MORAUCHANT.

Ernest !... Ernest !...

Il se cramponne au bras de Nourissard, qui l’enlève en faisant le geste d’assommer Cliquet.

NOURISSARD.

Laissez-moi l’abattre... voyons, parlez comme à votre heure dernière : était-elle de connivence ?

CLIQUET.

Qui ça ?

NOURISSARD.

Celle que je ne veux pas nommer : Madame Nourissard.

CLIQUET.

Mais je vous dis et je vous répète que je n’ai jamais...

NOURISSARD, levant le poing.

Oh !

Au geste de colère de Nourissard, Cliquet se réfugie derrière un fauteuil, dont il se fait un rempart. Lui montrant une lettre.

Connais-tu cette anglaise ?

Lisant.

« Un ami qui désire depuis longtemps vous voir tuer un lièvre. »

CLIQUET, allongeant le cou par-dessus le fauteuil, à part.

Aïe !...

NOURISSARD.

Cliquet, le billet sur papier jaune c’est de la même main.

MORAUCHANT.

Comment... il osait...

NOURISSARD.

Réponds : était-elle de connivence ?

Nourissard fait un pas vers Cliquet, qui lui pousse le fauteuil dans les jambes, et passe à droite.

ARMAND, à part.

Oh ! quelle idée !

Haut.

Mille pardons, Messieurs, mais il est un moyen bien simple d’éclaircir tous les soupçons.

À Nourissard.

Vous affirmez reconnaître cette écriture ; de son côté, Monsieur nie...

CLIQUET.

Véhémentement !

À part.

L’ingénieur va arranger ça !

ARMAND.

Eh bien ! que monsieur Cliquet prenne la plume, qu’il écrive sous vos yeux, à ce bureau, la première chose qu’il nous plaira de lui dicter...

NOURISSARD.

Oui, une pensée soit ingénieuse, soit... j’accepte.

CLIQUET, à part.

Mais c’est très bête ça.

MORAUCHANT, à Cliquet.

Allons, vite à ce bureau...

CLIQUET.

Permettez, permettez ?

À part.

Je suis perdu !

NOURISSARD.

Je vais dicter.

ARMAND, à part.

Diable ! Ça ne fait plus mon compte.

NOURISSARD, à Cliquet qui s’est mis au bureau.

Vous y êtes ?

Après avoir réfléchi un moment, il dicte.

Monsieur...

Tout-à-coup, avec explosion.

Ah ! gueux ! brigand ! scélérat ! galopin !

ARMAND.

Que faites-vous ?

NOURISSARD

Je dicte.

ARMAND.

Vous n’êtes pas de sang-froid et si vous permettez je vais.

À Cliquet.

Écrivez.

Dictant.

« Après avoir mûrement réfléchi, et mieux instruit des véritables titres de mon concurrent... »

CLIQUET, s’arrêtant.

Hein ?

MORAUCHANT, à part.

Qu’est-ce qu’il lui dicte ?

ARMAND, bas à Cliquet.

Je vous sauve...

Dictant.

« Je prie MM. Les administrateurs de reporter sur lui toute leur bienveillance. »

À Nourissard.

Vous voyez, mon bon monsieur Nourissard, on peut très bien faire ses petites affaires sans se fâcher, tranquillement.

MORAUCHANT, à part.

Je saisis... Il fait les siennes...

NOURISSARD, voulant s’approcher.

Est-ce fini ?

ARMAND.

Un moment.

À Cliquet.

Signez.

CLIQUET.

Mais...

ARMAND, bas.

Non ? alors je vous laisse manger par Nourissard.

CLIQUET, signant.

Cliquet...

Il remet le papier à Armand, à part.

Que va-t-il faire à présent ?

Armand tire de sa poche un papier, qu’il substitue à celui que lui a donné Cliquet.

MORAUCHANT, qui a vu faire l’échange, à part.

Oh !...

NOURISSARD, avec impatience.

Eh bien ?...

ARMAND, remettant un papier à Nourissard.

Voilà !

MORAUCHANT, à part.

Un escamotage... Oh ! le roué.

ARMAND, bas à Cliquet.

Rassurez-vous... l’écriture de mon homme d’affaires.

CLIQUET, bas.

Comment ! le papier de ce matin ?

MORAUCHANT, à Nourissard.

Eh bien ?

NOURISSARD, examinant le papier.

Non, non, ceci est une ronde et je soupçonne une anglaise : c’est extraordinaire.

À Cliquet.

Allons, Monsieur, je me suis trompé !

CLIQUET, avec joie.

Ah ! je disais aussi... ce cher Nourissard... il avait des papillons... mais c’est fini... tout le monde est content... n’est-il pas vrai, beau-père.

MORAUCHANT, lui saisissant le bras.

Votre beau-père ! ah ! Monsieur, rappelez-vous le 15 juillet... certain cordon de sonnette...

CLIQUET.

Hein ?... comment... vous savez...

MORAUCHANT.

Ah ! vous aimez les farces...

Ernestine entre par le fond avec madame Nourissard.

Eh bien ! je vous en ai ménagé une, moi...

NOURISSARD et CLIQUET.

Voyons... voyons...

 

 

Scène XV

 

MORAUCHANT, ARMAND, NOURISSARD, CLIQUET, ERNESTINE, MADAME NOURISSARD

 

MORAUCHANT, à sa fille qui entre.

Ernestine...

ERNESTINE.

Mon père !...

MORAUCHANT, désignant Armand.

Ma fille, regarde bien Monsieur... maintenant qu’il remplit les conditions voulues, il sera ton époux... jusqu’à nouvel ordre.

ERNESTINE.

Ah ! mon père !...

ARMAND.

Ah ! Monsieur !...

MORAUCHANT, à Cliquet.

Voilà ma farce !

ARMAND.

Que je suis heureux !...

 

 

Scène XVI

 

ARMAND, NOURISSARD, MORAUCHANT, ERNESTINE, CLIQUET, MADAME NOURISSARD, PASCAL

 

PASCAL, entrant, son fouet à la main.

Ah ben ! ah ben !... est-ce que j’ai la berlue ?...

ARMAND, à part.

Cet homme !... ma lettre pour la Russie... je l’avais oubliée !...

PASCAL,

Dites donc, Monsieur... vous n’auriez pas entendu dire que la grande route, on l’aurait dérangée ?

CLIQUET.

Dieu ! qu’il est bête !

PASCAL.

C’est qu’après avoir marché une bonne heure avec la carriole... je me suis retrouvé juste d’où ce que j’étions parti.

TOUT LE MONDE.

Hein ?

ARMAND.

Comment ! tu n’as pas été à Paris ?

PASCAL.

Mais, Monsieur, c’est impossible puisque la route n’y va plus...

ARMAND, vivement.

Ah ! mon ami, tu me sauves !... tu n’as pas porté ma lettre ?...

PASCAL.

Non, Monsieur... et en voilà une autre qu’on a apportée pour vous.

CLIQUET, à Pascal.

Grand imbécile !... Qui se perd sur la grande route... mais comment as-tu fait ?

ERNESTINE.

Rien de plus simple... il dormait sans doute, et quelqu’un aura retourné la voiture.

CLIQUET.

Ah ! fichtre !

PASCAL.

Comment, c’est vous ?

ERNESTINE.

Histoire de rire.

ARMAND.

Quel bonheur ! ma nomination à la place d’inspecteur !...

CLIQUET.

Qu’est-ce que vous dites ?...

ARMAND.

Voyez vous-même !...

Il lui présente la lettre apportée par Pascal.

CLIQUET.

Qu’est-ce que c’est que ça encore...

Lisant.

« Monsieur, je suis heureux de vous annoncer  que vous venez d’être nommé à la place d’inspecteur au chemin de fer de Rouen, pour cause de décès du titulaire. »

Parlé.

Je ne suis pas mort !

ARMAND.

Allons donc !

CLIQUET.

Comment ! allons donc !

ARMAND.

Et votre lettre de faire part !

Lui frappant sur le ventre.

Histoire de rire !...

TOUS.

Histoire de rire !...

CLIQUET.

Eh bien ! c’est égal, je perds ma place... je perds ma femme... mais elle est bonne ; c’est la dernière... mais elle est bonne.

CHŒUR FINAL.

Air du vaudeville de la Tirelire.

À tout propos rire de tout,
Voila surtout
Notre recette,
Elle est parfaite ;
Car, aujourd’hui,
Rien n’est mortel comme l’ennui !

CLIQUET, au public.

La politique a fait fuir la gaîté ;
On ne sait pas où cela peut conduire,
Pour retrouver l’appétit, la santé,
Il n’est, Messieurs, qu’un remède... il faut rire !

Reprise du CHŒUR.

À tout propos rire de tout, etc.

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