L’Homme à bonnes fortunes (Jean-François REGNARD)

Comédie en trois actes et en prose.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, le 10 janvier 1690.

 

Personnages

 

LE VICOMTE DE BERGAMOTTE

MEZZETIN, valet du vicomte

BROCANTIN

ISABELLE, filles de Brocantin

COLOMBINE, petite fille, filles de Brocantin

PIERROT, valet de Brocantin

M. BASSINET, médecin

OCTAVE, amant d’Isabelle

UNE VEUVE DE PROCUREUR

PASQUARIEL

UN FIACRE

LAQUAIS

SUIVANTS DU PRINCE DES CURIEUX

 

Le théâtre représente une chambre avec un lit.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LE VICOMTE, MEZZETIN dans le même lit, l’un au chevet, et l’autre aux pieds

 

LE VICOMTE.

Holà, quelqu’un de me gens ! Champagne ! Picard ! la Violette ! Tortillon ! Basque ! mes pantoufles, ma robe de chambre, mon carrosse, à dîner, un bouillon.

Il sort du lit avec une robe d’aveugle des Quinze-Vingts.

Ne suis-je pas bien malheureux qu’un homme de ma qualité soit obligé d’éveiller ses gens lui-même ? Où sont donc ces marauds-là ? Ouais !

À Mezzetin.

Et toi, ne te lèveras-tu point ?

Il donne un coup de pied à Mezzetin, qui est encore couché ; Mezzetin, s’éveillant en sursaut, bâille et se lève.

Si je prends un bâton, maraud, je te ferai bien lever.

À part.

C’est un trésor en hiver, qu’un laquais au pied d’un lit ; son ventre sert de bassinoire.

MEZZETIN.

Vous faites l’entendu, parce que les bonnes fortunes vous suivent partout ; mais souvenez-vous que nous sommes deux laquais, et qu’il n’y a point d’autre différence entre nous que celle que j’y veux bien mettre : ainsi, un peu plus de douceur, s’il vous plaît, et un peu moins d’emportement avec votre camarade.

LE VICOMTE.

Ce n’est point pour te quereller, Mezzetin, que je t’éveille de si bon matin ; c’est seulement pour te dire que toutes ces bonnes fortunes me donnent fort à penser. À l’égard de celles qui me viennent par les présents que l’on m’envoie de toutes parts, passe ; mais pour celles que nous faisons en volant des montres, en enfonçant des boutiques, et en coupant des bourses, ma foi, j’ai peur que toutes ces bonnes fortunes-là ne nous fassent faire notre mauvaise fortune à la Grève.

MEZZETIN.

Hé ! nous travaillons pour cela.

LE VICOMTE.

Voilà une méchante besogne.

MEZZETIN.

Tenez, voilà-t-il pas encore la robe que vous volâtes à cet aveugle des Quinze-Vingts, qui vous sert de robe de chambre ?

LE VICOMTE.

Il y a longtemps qu’elle était neuve. J’ai déjà dit à trois ou quatre femmes que j’avais besoin d’un surtout de toilette : il y a bien du relâchement dans la galanterie ; et les femmes commencent à se décrier furieusement dans mon esprit. Oh ! nous ne vivrons pas longtemps bien ensemble.

MEZZETIN.

À propos de robe de chambre, tandis que vous dormiez, madame la marquise de Noirchignon vous en a envoyé une.

LE VICOMTE.

Voyons-la.

Mezzetin va prendre une robe sur la toilette, et la déploie. Le vicomte la regarde, et dit.

Passe. La pauvre créature fait tout ce qu’elle peut pour m’égratigner le cœur.

MEZZETIN.

Il est aussi venu un laquais de la part de madame la comtesse de Charbonglacé, qui a laissé un paquet dans une toilette.

Il tire une toilette où est encore une robe de chambre.

LE VICOMTE.

Diable ! celle-ci est bien mieux étoffée que l’autre. La comtesse pourrait bien me faire faire la sottise de l’aimer. Mais il ne fait pas si cher vivre à Paris ; tout s’y donne.

On frappe rudement à la porte.

MEZZETIN, allant ouvrir.

Monsieur, c’est le laquais de la veuve de ce procureur.

LE VICOMTE.

Laisse-le entrer.

 

 

Scène II

 

LE VICOMTE, MEZZETIN, UN LAQUAIS

 

LE VICOMTE.

Que diable me veut-elle ?

LE LAQUAIS.

Monsieur, voilà ce que madame vous envoie : elle dit comme ça que vous aurez l’honneur de la voir bientôt.

LE VICOMTE.

Mon enfant, dis-lui qu’elle ne s’en donne pas la peine. Je vais prendre un remède pour me débrouiller le teint.

Le laquais sort.

 

 

Scène III

 

LE VICOMTE, MEZZETIN

 

LE VICOMTE, déployant ce que le laquais a apporté.

Comment ! encore une robe de chambre ! Il faut avouer que les femmes nous aiment bien en déshabillé.

On frappe à la porte.

MEZZETIN.

Monsieur, c’est la marquise.

LE VICOMTE.

Donne-moi vite la robe de chambre de la marquise.

Mezzetin prend la robe de chambre de la marquise, et le vicomte la met par-dessus la sienne. On refrappe à la porte.

MEZZETIN.

Ce n’est pas la marquise, monsieur, c’est la comtesse.

Il faut remarquer qu’à chaque fois que l’on heurte, Mezzetin va voir à la porte, et revient sur-le-champ.

LE VICOMTE.

Et vite, la robe de chambre de la comtesse ! Tout serait perdu, si elle me trouvait sans cela.

Il met encore cette robe de chambre sur les deux autres. On continue de frapper.

MEZZETIN.

Oh ! monsieur, c’est la veuve du procureur.

LE VICOMTE.

Que le diable l’emporte ! Ne saurait-elle donner une robe de chambre sans venir l’essayer ? Donne.

Il met la troisième robe de chambre avec beaucoup de peine, ne pouvant presque pas se remuer à cause des trois autres qu’il a déjà sur lui ; à la fin, après plusieurs lazzis, il tombe, et à peine est-il relevé que la veuve entre.

 

 

Scène IV

 

LE VICOMTE, LA VEUVE DU PROCUREUR

 

LE VICOMTE, d’un ton de colère.

Hé ! morbleu, madame, ne vous avais-je pas fait dire que je n’étais pas visible aujourd’hui ? Et, ventrebleu, ne saurait-on rendre un lavement sans femme ?

LA VEUVE.

Pour vous trouver, monsieur, il faut vous prendre au saut du lit ; le reste du jour, vous êtes inabordable.

LE VICOMTE.

Il est vrai que je n’ai pas une heure à moi. Je suis si courbatu de ces aventures que le vulgaire appelle bonnes fortunes, que mon superflu suffirait à vingt fainéants de la cour.

LA VEUVE.

Je crois, monsieur, que c’est aujourd’hui un de vos jours de conquête ; vous voilà fleuri comme un petit Cupidon.

LE VICOMTE.

Je n’ai pourtant encore fait conquête que d’un bouillon postérieur qui me cause des épreintes horribles : il faut que ma femme de chambre ne me l’ait pas donné de droit fil.

LA VEUVE.

J’ai été aussi incommodée toute la nuit de tranchées ; je suis aujourd’hui à faire peur.

LE VICOMTE, après l’avoir regardée.

En vérité, madame, cela est vrai : il y a aujourd’hui bien des erreurs à votre teint ; mais il est resté là-bas un peu de décoction, ne vous en faites point de nécessité.

LA VEUVE.

Ce n’est pas avec des simples que l’âcreté de mon mal peut se guérir : ma maladie est là.

Elle se touche au cœur.

LE VICOMTE.

On sait bien qu’une femme grosse a toujours de petits maux de cœur.

LA VEUVE.

Moi, grosse ! moi ! Ah ! quelle ordure ! Il y a trois ans que M. Gratefeuille, mon mari, est mort. Grosse ! quelle obscénité !

LE VICOMTE.

Ah ! madame, je vous demande pardon ; je vous croyais fille. On s’y trompe quelquefois.

LA VEUVE.

Mais, monsieur, je vous trouve bien gros : qu’avez-vous ?

LE VICOMTE.

Je n’ai rien ; c’est que je soupai furieusement hier au soir.

LA VEUVE.

Il faut qu’il y ait autre chose : n’êtes-vous point hydropique ?

LE VICOMTE.

J’en serais bien fâché.

LA VEUVE.

Voyons...

Elle lui lève ses robes de chambre l’une après l’autre.

LE VICOMTE, en se défendant.

Hé ! fi, madame, que faites-vous-là ? cela n’est point honnête.

LA VEUVE.

Une, deux, trois robes de chambre ; c’est-à-dire trois maîtresses. Ah, traître ! c’est donc ainsi que tu me joues ? Tu dis que tu n’aimes que moi.

LE VICOMTE, faisant semblant de vouloir aller à la garde-robe.

Madame, je n’en puis plus.

LA VEUVE.

Voilà l’effet de tes serments !...

LE VICOMTE.

Madame, je vais tout rendre, si je ne sors.

LA VEUVE.

Scélérat !

LE VICOMTE.

Madame, je ne réponds plus de la discrétion de mon derrière.

LA VEUVE.

N’as-tu point de honte ?...

LE VICOMTE.

Il ne tient plus qu’à un petit filet.

LA VEUVE.

Non, je ne veux plus de commerce avec toi ; rends-moi ma robe de chambre.

Elle lui veut arracher sa robe de chambre : ils se battent ; le vicomte la décoiffe ; une de ses jupes tombe ; et elle s’en va.

 

 

Scène V

 

ISABELLE, COLOMBINE, petite fille, parlant d’un air niais

 

ISABELLE.

En vérité, vous êtes bien folle de farcir votre tête de vos sottes imaginations d’amour et de mariage. Est-ce là le parti que doit prendre une cadette ? et ne devriez-vous pas avoir renoncé au monde ?

COLOMBINE.

Mon Dieu ! ma sœur, cela est bien aisé à dire ; mais vous ne parleriez pas comme vous faites, si vous sentiez ce que je sens.

ISABELLE.

Et que sentez-vous donc, s’il vous plaît ? Vraiment, je vous trouve une jolie mignonne, pour sentir quelque chose ! Et que sentirai-je donc, moi qui suis votre aînée ? Est-ce que l’on m’entend plaindre des envies que cause l’état de fille ? Vous êtes encore une plaisante morveuse !

COLOMBINE.

Plaisante morveuse ! Mon Dieu ! je ne suis pas si morveuse que je le parais, et il y aurait déjà longtemps que je serais femme, si mon père avait voulu ; car on m’a dit qu’on pouvait l’être à douze ans.

ISABELLE.

Mais savez-vous bien ce que c’est qu’un mari, pour parler comme vous faites ?

COLOMBINE.

Bon ! si je ne le savais pas, est-ce que j’en voudrais avoir un ?

ISABELLE.

Hé ! qui vous a donc appris de si belles choses ?

COLOMBINE.

Cela ne s’apprend-il pas tout seul ? Quand je songe que je serai mariée, je suis si aise, si aise ! oh ! il faut que ce soit quelque chose de fort joli que le mariage, puisque la pensée seule fait tant de plaisir.

ISABELLE.

Vous vous trompez fort à votre calcul, si vous vous figurez tant de plaisir dans le mariage. Le beau régal qu’un mari qui gronde toujours ! le soin des domestiques, l’incommodité d’une grossesse : non, quand il n’y aurait que la peur d’avoir des enfants, je renoncerais au mariage pour toute ma vie.

COLOMBINE.

La peur d’avoir des enfants ! bon ! on dit que c’est pour cela qu’il faut se marier.

ISABELLE.

Bon Dieu ! quelle petitesse de raisonnement ! que votre esprit est à rez-de-chaussée !

COLOMBINE.

Mais vous, ma sœur, qui êtes si raisonnable, est-ce que vous ne voulez pas vous marier ?

ISABELLE.

Oh ! ce n’est pas de même, moi ; je suis votre aînée, et la raison, qui veut que vous ne vous mariiez pas veut que je me marie. Vous n’êtes point propre au mariage ; ce n’est point un jeu d’enfant.

COLOMBINE.

Et moi, je vous dis que j’y suis aussi propre que vous. Je supporterai fort bien toutes les fatigues du ménage ; et quoique je sois jeune, si j’étais mariée présentement, je suis sûre que je n’en mourrais pas.

ISABELLE.

En vérité, il faut que j’aie bien de la bonté, de souffrir tous les travers de votre esprit. Tout ce que je puis faire encore pour vous, c’est de vous conseiller de bannir de votre cerveau toutes vos idées matrimoniales, et de croire qu’il n’y a personne assez dépourvu de bon sens pour vouloir se charger de votre peau.

COLOMBINE.

Hé ! là, là, cette chargera n’est pas si pesante et ne fait pas peur à tout le monde : il n’y a pas encore huit jours que je trouvai dans une boutique, au Palais, un monsieur de condition, qui me dit que j’étais bien à son gré, et qu’il serait bien aise de m’épouser.

ISABELLE.

Et que lui répondîtes-vous ?

COLOMBINE.

 Je lui dis que j’étais encore bien petite pour cela ; mais que l’année qui vient j’espérais d’être plus grande.

ISABELLE.

Vous serez plus grande et plus folle. Vous ne voyez donc pas qu’il se moquait de vous, et que vous vous donnez un ridicule dans le monde ? Allez, vous devriez mourir de honte.

COLOMBINE, en pleurant.

Ne voilà-t-il pas ? vous me grondez toujours. Vous voulez bien vous marier, vous, et vous ne voulez pas que je me marie. Est-ce que je ne suis pas fille comme vous ?

ISABELLE.

Une petite fille qui n’a pas quinze ans, donner à corps perdu au travers du mariage !

COLOMBINE.

Mon Dieu ! je vous dis, encore une fois, que j’ai plus d’âge qu’il ne faut ; mais puisque vous me trouvez trop jeune, faisons une chose ; vous avez quatre années plus que moi, donnez-m’en deux ; cela ne gâtera rien ni pour l’une ni pour l’autre.

ISABELLE.

Allez, allez ; vous ne savez ce que vous dites. Vous me croyez bien embarrassée de trois ou quatre années que j’ai plus que vous ; mais je veux bien que vous sachiez que pour dis ans de moins je ne voudrais pas être faite comme vous, ni de corps, ni d’esprit.

 

 

Scène VI

 

ISABELLE, COLOMBINE, PIERROT

 

PIERROT.

Qu’est-ce donc, mesdemoiselles ? voilà bien du bruit ; il me semble que vous vous flattez comme chiens et chats. Est-ce que vous ne sauriez vous égratigner plus doucement ?

COLOMBINE.

Pierrot, c’est ma sœur qui se fâche : elle veut qu’il n’y ait de mari que pour elle.

PIERROT.

Oh ! la goulue !

ISABELLE.

Viens çà, Pierrot ; toi qui es un homme d’esprit, et qui sais le monde, n’est-il pas du dernier bourgeois de marier plus d’une fille dans une maison ? et ne devrais-je pas déjà l’être ?

PIERROT.

Cela est vrai, et je dis tous les jours à votre père que, s’il ne vous marie au plus tôt, vous lui ferez quelque stratagème.

COLOMBINE.

Mon pauvre Pierrot, toi qui es si joli, est-ce qu’il faut que je demeure toute ma vie fille ?

PIERROT.

Bon ! est-ce que cela se peut ?

À Isabelle.

Voyez-vous, mademoiselle, il faut marier les filles quand elles sont jeunes. Ce gibier-là ne se garde pas : la mouche s’y met.

ISABELLE.

Mais aussi, est-il juste que je cède mes droits à ma cadette ?

PIERROT, à Colombine.

Il est vrai que vous n’êtes encore qu’un embryon, et j’en ai vu dans des bouteilles de bien plus grandes que vous.

COLOMBINE.

Je conviens, Pierrot, que je suis encore petite ; mais situ savais ce que j’ai déjà.

ISABELLE.

Petite fille, vous plaît-il de vous taire ?

PIERROT.

Hé ! pardi, laissez-la dire.

À Colombine.

Eh bien donc ! qu’avez-vous ?

COLOMBINE.

J’ai... mais je n’oserais le dire.

ISABELLE, à Colombine.

Vous avez raison, car vous allez dire une sottise.

PIERROT, à Isabelle.

Eh ! palsangué, laissez-la donc parler : vous lui rembourrez les paroles dans le ventre.

COLOMBINE.

Ne te moqueras-tu point de moi ?

PIERROT.

Eh ! non, non : dites.

COLOMBINE.

J’ai de la gorge, Pierrot, puisque tu le veux savoir.

PIERROT.

Oh ! voyons cela, voyons.

COLOMBINE.

Oh, nenni, nenni ; je ne la montre pas encore : j’attends qu’elle soit plus venue.

ISABELLE.

Il n’y a plus moyen de tenir à vos impertinences ; je vous laisse ; et si je faisais bien, j’avertirais mon père de mettre ordre à votre conduite.

 

 

Scène VII

 

COLOMBINE, PIERROT

 

PIERROT.

Elle est bien rudanière.

COLOMBINE.

Oh ! va, va, je ne m’en soucie pas. Elle veut faire la madame, et me traiter comme une petite fille ; mais nous verrons. Oh ! çà, çà, Pierrot, il faut que tu me fasses un plaisir.

PIERROT.

Je ne demande pas mieux. Ne suis-je pas fait pour faire plaisir aux filles ?

COLOMBINE.

Il faut que tu me portes cette lettre à ce monsieur que je trouvai dernièrement au Palais.

PIERROT.

Une lettre !

COLOMBINE.

Oui. Est-ce qu’il y a du mal à cela ? Puisque je sais écrire, pourquoi n’écrirais-je pas ?

PIERROT.

Ah ! vous avez raison.

COLOMBINE.

C’est un homme de grande condition, et on l’appelle monsieur le vicomte.

PIERROT.

Oh ! si c’est un vicomte, je ne dis plus rien.

COLOMBINE.

Tu lui diras que je m’ennuie bien fort de ne pas le voir, et qu’il ne manque pas de me venir trouver aujourd’hui. M’entends-tu ?

 

 

Scène VIII

 

PIERROT, seul

 

Hé ! oui, oui, j’entends bien, je ne suis pas sourd. La petite masque ! c’est une belle chose que la nature ! cela songe au mariage dès la coquille.

Il y a ici plusieurs scènes italiennes.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

BROCANTIN, ISABELLE, COLOMBINE

 

BROCANTIN.

Quel ouvrage faites-vous là, vous ?

COLOMBINE.

C’est une pente de mon lit : mais je crains de la faire trop petite ; on n’y pourra jamais coucher deux.

BROCANTIN.

Est-il besoin, s’il vous plaît, que vous couchiez avec quelqu’un ?

COLOMBINE.

Non ; mais si, par bonheur, je venais à être mariée...

BROCANTIN, en colère.

Si, par bonheur, ou par malheur, vous veniez à être mariée, vous vous presseriez. Hé ! je sais de vos fredaines ; vous n’avez pas toujours une aiguille et de la tapisserie entre les mains, et vous commencez à escrimer de la plume. Mais ce n’est pas pour cela que nous sommes ici. Laissez là votre ouvrage et m’écoutez.

Ils prennent des sièges.

Le mariage...

À Colombine.

Oh ! oh ! vous riez déjà ! Tuchou ! il ne faut que vous hocher la bride... Le mariage, dis-je, étant un usage aussi ancien que le monde ; car on s’est marié avant vous, et on se mariera encore après...

COLOMBINE.

Je le sais bien, mon papa ; il y a longtemps qu’on me dit cela.

BROCANTIN.

J’ai résolu, pour éterniser la famille Brocantine... Vous voyez où j’en veux venir. J’ai donc résolu de me marier.

ISABELLE et COLOMBINE, ensemble.

Ah ! mon père !

BROCANTIN.

Ah ! mes filles ! vous voilà bien ébaubies. Est-ce que je ne me porte pas encore assez bien ? Regardez cet air, cette taille, cette légèreté.

Il saute, et fait un faux pas.

ISABELLE.

Vous vous mariez donc, mon père ?

BROCANTIN.

Oui, si vous le trouvez bon, ma fille.

COLOMBINE.

À une femme ?

BROCANTIN.

Non, c’est à un tuyau d’orgue. Voyez, je vous prie, la belle demande !

ISABELLE.

Vous l’épouserez ?

BROCANTIN.

Mais je crois que vous avez toutes deux l’esprit en écharpe. Est-ce que je suis hors d’âge d’avoir lignée ? Savez-vous bien que l’on n’a que l’âge que l’on paraît ; et monsieur Visautrou, mon apothicaire, me disait encore ce matin, en me donnant un remède, que je ne paraissais pas quarante-cinq ans.

COLOMBINE.

Oh ! mon papa, c’est qu’il ne vous voyait pas au visage[1].

BROCANTIN.

J’ai ce que j’ai ; mais je sais bien que j’ai besoin d’une femme. Je crève de santé, et j’ai trouvé une fille comme je la souhaite, belle, jeune, sage, riche ; enfin, une fille de hasard.

ISABELLE.

Une autre fille que moi, qui ne saurait pas vivre, vous dirait, mon père, que vous risquez beaucoup en vous mariant ; qu’il faut avoir perdu l’esprit pour songer, à votre âge, à un engagement, et que l’on renferme tous les jours des gens aux Petites-Maisons pour de moindres sujets : mais moi, qui sais le respect que je vous dois, sans me prévaloir des raisons que les enfants ont d’appréhender un second mariage, je vous dirai que, puisque vous crevez de sauté, vous faites parfaitement bien de prendre une femme.

COLOMBINE.

Pour moi, je vous le conseille ; car je voudrais que tout le monde fût marié.

BROCANTIN.

Oh ! vous prenez la chose du bon biais. Puisque vous êtes si raisonnables, apprenez donc que je suis en pourparler de mariage ; mais c’est pour vous.

ISABELLE et COLOMBINE, ensemble.

Ah ! mon père !

BROCANTIN.

Ah ! mes filles !

ISABELLE.

Je vous ai des obligations que je n’oublierai jamais.

COLOMBINE, se jetant au cou de Brocantin.

Ah ! mon petit papa, que je vous aime !

BROCANTIN.

Je savais bien que cela te ferait plaisir, et que tu n’aurais point de chagrin de voir marier ta sœur avant toi.

COLOMBINE.

Quoi ! mon père, ce n’est pas moi que vous voulez marier ?

ISABELLE.

Non ; on ferait bien mieux de vous faire passer la première, et d’attendre à me marier que vous eussiez trois ou quatre enfants ! Pour moi, je ne conçois pas cette petite fille-là.

COLOMBINE.

Si vous ne me mariez, je sais bien ce que je ferai, moi.

BROCANTIN, à Colombine.

Il faut bien qu’elle passe avant toi, elle est ton aînée ; et afin de te mettre en état d’être bientôt mariée, elle épousera un honnête homme[2].

ISABELLE.

Je le connais bien.

BROCANTIN.

Bien fait.

ISABELLE.

Je l’ai vu.

BROCANTIN.

Riche.

ISABELLE.

Je le crois.

BROCANTIN.

Monsieur Bassinet, médecin, enfin ; c’est tout dire.

ISABELLE.

Monsieur Bassinet ! monsieur Bassinet !

BROCANTIN.

Comment donc ? vous trouvez-vous mal ? Du vinaigre, vite.

ISABELLE.

J’ai bien du respect pour la médecine ; mais, avec votre permission, mon père, je n’épouserai point un médecin.

BROCANTIN.

Avec votre permission, ma fille, vous l’épouserez ; il ne faut pas, s’il vous plaît, que vous songiez à Octave. J’ai appris que c’était un gueux, et je vais tout de ce pas l’envoyer chercher, pour lui dire qu’un autre lui a passé la plume par le bec. Pierrot ! Pierrot !

COLOMBINE.

Allons, ma sœur, faites cela de bonne grâce, puisque mon père le veut.

ISABELLE.

Je vous prie, mon père, de ne me point donner ce chagrin, et ne m’obligez pas à épouser un homme pour qui je n’ai nulle estime.

BROCANTIN.

Il n’y a qu’un mot qui serve ; il faut épouser monsieur Bassinet ou un couvent. Il vous viendra voir : songez à le recevoir comme un homme qui doit être votre mari.

ISABELLE.

Hé ! mon père !

BROCANTIN.

Allons, dénichons ; point tant de caquet.

ISABELLE.

Voilà ma sœur qui a si envie d’être mariée ; que ne lui donnez-vous monsieur Bassinet pour mari ? J’aime mieux lui céder mes droits, et qu’elle passe avant moi.

COLOMBINE.

Oh ! ce n’est pas de même : je suis votre cadette ; et la raison, qui veut que je ne me marie pas, veut que vous vous mariiez la première.

 

 

Scène II

 

BROCANTIN, PIERROT

 

BROCANTIN.

Pierrot !

PIERROT.

Me voilà, monsieur.

BROCANTIN.

Où diable es-tu donc toujours ? Il faut que je m’égosille quatre heures.

PIERROT.

Monsieur, j’étais avec cette femme qui marchande ces singes, et qui veut donner six écus du gros, parce qu’elle dit qu’il ressemble à son mari.

BROCANTIN.

Laisse cela ; j’ai autre chose en tête. Va me chercher Octave ; j’ai quelque chose de conséquence à lui dire.

PIERROT, cherchant partout le théâtre, sous les bancs.

Monsieur, je ne le trouve pas.

BROCANTIN.

Animal ! est-ce là ce que je te dis ? Tiens, vois le logis. Le butor ! Je vois bien que nous ne vivrons pas longtemps ensemble : je ne veux point de bête dans ma maison.

PIERROT.

Pardi, monsieur, il faut donc que vous en sortiez.

Il y a ici des scènes italiennes.

 

 

Scène III

 

COLOMBINE, PIERROT

 

COLOMBINE.

Eh bien ! mon pauvre Pierrot, as-tu porté ma lettre à M. le vicomte ?

PIERROT.

Assurément, et il m’a donné un petit mot de réplique.

COLOMBINE, lui prenant le billet.

Eh ! donne donc vite.

PIERROT.

Malepeste ! comme vous êtes âpre à la curée !

COLOMBINE lit.

« L’amour est comme la gale, on ne le saurait cacher ; c’est ce qui fait que je vous irai voir aujourd’hui, ou que la peste m’étouffe !

« Le vicomte de Bergamotte. »

PIERROT.

Voilà un homme qui écrit bien tendrement.

COLOMBINE.

Il m’aime bien, car il me l’a dit ; et j’espère que nous serons bientôt mariés ensemble. Il n’y a qu’une chose qui m’embarrasse, c’est que je ne sais pas encore tout à fait ce que c’est que le mariage : ne pourrais-tu pas me le dire ?

PIERROT.

Assurément ; il n’y a rien de si aisé : c’est comme qui dirait une chose... Oh ! vous ne pouviez jamais mieux vous adresser qu’à moi.

COLOMBINE.

Eh bien donc ?

PIERROT.

C’est comme, par exemple, une chose où l’on est ensemble... Votre père... avait épousé... votre mère... ça faisait qu’ils étaient deux ; et comme ça, votre grand-père... d’un côté... la nature... On ne saurait bien expliquer ce brouillamini-là. Mais vous n’aurez pas été deux jours ensemble, que vous saurez toutes ces drogues-là sur le bout du doigt.

On frappe à la porte.

Ah ! mademoiselle, c’est monsieur le vicomte de Bergamotte.

COLOMBINE.

Fais-le monter, Pierrot ; hé ! vite.

 

 

Scène IV

 

COLOMBINE, LE VICOMTE, UN FIACRE

 

Le vicomte, suivi d’un fiacre, entre et fait plusieurs révérences à Colombine.

LE FIACRE, tirant le vicomte par la manche.

Çà, monsieur, de l’argent.

LE VICOMTE, au fiacre.

Va, va, mon ami, tu rêves : un homme de ma qualité ne paie pas plus dans les fiacres que sur les ponts.

LE FIACRE.

Paie-t-on comme cela le monde ? Vous ne me donnez pas un sou.

LE VICOMTE.

Tu ne sais ce que tu dis, maraud. Est-ce qu’un homme de m’a qualité n’a pas toujours son franc fiacre ?

LE FIACRE.

Mardi, monsieur ! je veux être payé, ou par la sambleu nous verrons beau jeu.

LE VICOMTE.

Insolent, tu te feras battre.

LE FIACRE.

Jernibleu ! je ne crains rien ; je veux être payé tout à l’heure.

Il enfonce son chapeau et lève son fouet.

LE VICOMTE.

Ah ! ah ! ventrebleu ! il faut que je coupe les oreilles à ce coquin-là.

Il met la main sur la garde de son épée, comme s’il voulait la tirer.

Mademoiselle, prêtez-moi un écu ; je n’ai point de monnaie.

COLOMBINE.

Monsieur, je n’ai point ma bourse sur moi ; mais je vais le faire payer. Holà quelqu’un, qu’on paie cet homme-là.

Au fiacre.

Allez, allez, l’homme ; on vous contentera.

 

 

Scène V

 

LE VICOMTE, COLOMBINE

 

LE VICOMTE.

Ces marauds-là ne sont jamais contents. J’en ai déjà tué quinze ou seize ; mais je ne serai point satisfait que je n’en aie achevé le quarteron.

COLOMBINE.

En vérité, monsieur le vicomte, il faut bien vous aimer, pour vous regarder après une si longue négligence à me venir voir.

LE VICOMTE.

Ma foi, mademoiselle, les heures d’un joli homme sont bien comptées. Les femmes se pressent aujourd’hui ; elles savent que les quartiers d’hiver seront diablement courts cette année ; je n’ai pas un moment à moi.

COLOMBINE.

Et que faites-vous donc toute la journée ?

LE VICOMTE.

À peine ai-je quitté la toilette, qu’il faut aller dîner chez Rousseau. Un officier ne peut pas être moins de cinq à six heures à table ; et avant qu’il ait fumé dix ou douze douzaines de pipes, il est heure de s’y remettre pour souper.

COLOMBINE.

Quoi ! monsieur, vous prenez donc du tabac comme ces vilains soldats ? Fi ! je ne pourrais jamais m’y accoutumer.

LE VICOMTE.

Vous n’avez qu’à vous mettre cinq, ou six mois dragon dans ma compagnie, vous fumerez de reste. Bon ! vous moquez-vous ? les gens du grand volume ont-ils d’autres occupations ? C’est, morbleu ! au feu d’une pipe qu’il faut qu’un homme de qualité allume sa tendresse.

COLOMBINE.

Eh ! monsieur le vicomte, avez-vous fumé aujourd’hui ?

LE VICOMTE.

Est-ce que j’y manque jamais ? Mais j’ai la précaution, quand je vais en femme, de me rincer la bouche avec trois ou quatre pintes d’eau-de-vie. Vous ne sauriez comme, après cela, on soupire tendrement.

Il fait un rot.

COLOMBINE.

Ah ! fi ! fi ! monsieur le vicomte ! je n’aime point ces soupirs-là. Les gens que je vois n’assaisonnent pas leurs douceurs de tabac et d’eau-de-vie.

LE VICOMTE.

C’est que vous ne voyez que des courtauds de boutique, ou des gens de robe. Croyez-moi, la belle, il n’est rien tel que de s’accrocher à l’épée. Les fastidieux personnages que vos robins ! Ont-ils le sens commun ? Ils font l’amour par articles, comme s’ils dressaient un procès-verbal.

COLOMBINE.

C’est ce que je dis tous les jours à deux grands baquiers d’avocats, qui sont sans cesse autour de moi à me faire endêver.

LE VICOMTE.

Oh ! ma foi, le plumet est en amour ce que la moutarde est à la sauce-Robert ; il n’y a que cela de piquant.

COLOMBINE.

Je ne sais pas pourquoi mon père a tant d’aversion pour les gens d’épée.

LE VICOMTE.

C’est que votre père est un sot.

COLOMBINE.

Il dit qu’ils sont tous débauchés, et qu’ils n’ont jamais le sou.

LE VICOMTE, en riant.

Débauchés ? Ah ! ah ! débauchés ! Ils aiment le vin, le jeu et les femmes ; mais, du reste, il n’y a point de gens mieux réglés. Pour de l’argent, je crois que tant que les femmes en auront, nous n’en manquerons guère.

COLOMBINE.

Je crois, monsieur le vicomte, que, fait comme vous êtes, vous voyez bien des femmes de condition.

LE VICOMTE.

Je veux être déshonoré, vous êtes, la seule bourgeoise avec qui je déroge : mais, à vous parler franchement, toutes les femmes que je vois, au prix de vous, c’est, ma foi, de la piquette contre du vin de Sillery.

COLOMBINE.

Vous dites la même chose de moi quand vous êtes auprès d’une autre. Dites la vérité.

LE VICOMTE.

Si vous voulez que je vous parle sans fard, cela est vrai ; et je vais, au sortir d’ici, à deux ou trois rendez-vous, où il faudra bien dire que vous êtes une guenon comme les autres. Mais, à propos de guenon, quand nous marierons-nous ensemble ? Je suis diablement pressé. Écoutez, il ne faut pas laisser morfondre l’amour d’un officier ; cela n’est pas de longue haleine. Quel âge avez-vous bien ?

COLOMBINE.

Je ne sais pas ; mais mon père dit qu’il y a quatorze ans que ma mère était grosse de moi.

LE VICOMTE.

Quatorze ans ! Je ne croyais pas que vous eussiez vaillant plus de dix ou douze années.

COLOMBINE.

Vraiment ! j’ai bien plus que tout cela. Vous croyez donc parler à une petite fille ? Vous vous trompez. Je sais déjà bien des choses : j’ai déjà lu cinq ou six comédies de Molière, et j’en suis au troisième tome de Cyrus ; je fais du point à la turque, et j’apprends à chanter.

LE VICOMTE.

Vous apprenez à chanter ? Et qui est votre maître ?

COLOMBINE.

C’est un nommé l’Opéra.

LE VICOMTE.

Diable ! un habile homme. Oh ! puisque vous savez chanter, il faut que vous me décochiez un petit air.

COLOMBINE.

Ah ! monsieur, je vous prie de m’excuser ; j’ai aujourd’hui quelque chose qui m’en empêche.

LE VICOMTE.

Qu’avez-vous donc ? Est-ce que vous êtes enrhumée ? Tenez, voilà du tabac en machicatoire ; il n’y a rien de si bon pour le rhume.

COLOMBINE.

S’il n’y avait que cela, je ne laisserais pas de chanter.

LE VICOMTE.

Qu’avez-vous donc autre chose ?

COLOMBINE.

Je n’ai rien ; c’est que...

LE VICOMTE.

Quoi donc ?

COLOMBINE.

C’est que... Voilà-t-il pas ? Ces vilains hommes, ils veulent tout savoir. C’est que ma voix ne paraît rien quand je n’ai pas mes fontanges argent et jaune.

LE VICOMTE.

Comme si les fontanges faisaient quelque chose à la voix ! Courage, mignonne ; je vous soufflerai en tout cas.

COLOMBINE.

Je le veux bien ; mais vous allez voir comme je vais trembler. La, la, la... Mon Dieu ! je suis faite comme je ne sais quoi...

Elle chante.

Jeanneton, m’aimez-vous bien ?...

Hélas ! quel conte !

Pourquoi ne vous aimerais-je pas ?

Mon Dieu ! quel conte !

Vous qui m’avez fait tant de bien,

Quel fichu conte !

LE VICOMTE.

Je veux être un fripon, si cela n’est divin. Voilà une voix à peindre. Je n’en ai pas perdu une goutte. Mais de quel opéra est cet air-là ?

COLOMBINE.

Je crois que c’est de Roland.

LE VICOMTE.

Oh ! point, point. Il faut que ce soit des derniers ; car voilà le tour aisé de nos poètes et de nos musiciens d’aujourd’hui. La jolie chanson ! On ne travaillait point comme cela autrefois. Mais je veux chanter avec vous. Tel que vous me voyez, je sais la musique comme un orchestre. Vous allez voir comme je vais vous tortiller un air.

COLOMBINE.

Oh ! monsieur, je ne suis pas encore assez forte pour tenir ma partie.

LE VICOMTE.

Nous chanterons donc une autre fois. Adieu, mourette.

 

 

Scène VI

 

LE VICOMTE, COLOMBINE, PASQUARIEL

 

PASQUARIEL, entrant brusquement.

Monsieur, ne sortez pas. Il y a là-bas deux sergents et environ douze archers qui vous guettent pour vous mettre en prison.

LE VICOMTE.

En prison ! hoime ! voilà mes bonnes fortunes qui commencent à défiler.

 

 

Scène VII

 

LE VICOMTE, COLOMBINE

 

COLOMBINE.

Qu’avez-vous donc, monsieur le vicomte ? Que ne partez-vous ? Il y a là-bas tout plein de laquais qui vous attendent.

LE VICOMTE, à part.

Ce sont bien des pousse-culs, de par tous les diables.

COLOMBINE.

Ne peut-on pas savoir la cause de votre chagrin ?

LE VICOMTE.

C’est une bagatelle.

COLOMBINE.

Je veux l’apprendre.

LE VICOMTE.

Infandum, Regina, jubes renovare dolorem.

COLOMBINE.

Ah ! monsieur le vicomte, vous jurez devant les filles. Vous me le direz pourtant.

LE VICOMTE.

Vous saurez donc qu’étant obligé de partir pour l’Allemagne, et ne pouvant trouver d’argent sur mon billet (car les billets des vicomtes ne sont pas autrement réputés argent comptant), j’en fis un que je signai La Harpe (c’est le nom de ce fameux banquier). Sur ce billet-là, on me donna deux cents pistoles. Je partis : présentement, voyez, je vous prie, le peu de bonne foi qu’il y a dans le commerce, ce vilain monsieur de La Harpe ne veut pas payer ce billet-là.

COLOMBINE.

Et que dit-il ?

LE VICOMTE.

De mauvaises raisons : il dit qu’il n’a point fait ce billet-là ; mais son nom y est une fois ; il faudra bien qu’il le paie ou qu’il crève ; car, palsambleu ! je sais bien que je ne le paierai pas, moi.

COLOMBINE.

Monsieur le vicomte, je n’ai point d’argent ; mais voilà deux brillants avec lesquels vous pourrez en faire. Prenez encore mon collier.

LE VICOMTE.

Hé ! fi ! madame. Ne vous ai-je pas dit que je faisais litière de diamants ?

COLOMBINE.

Voilà encore une montre qui est assez jolie.

LE VICOMTE.

Hé ! vous moquez-vous ? Cela est-il d’or ?

COLOMBINE.

Attendez ; j’ai encore ici une petite boîte à mouches et un cachet.

LE VICOMTE.

Eh ! mais, niais, mademoiselle, vous poussez ma complaisance à bout.

COLOMBINE.

Quand on a donné son cœur, cela ne coûte guère à donner.

LE VICOMTE, à part.

Et encore moins à prendre.

Haut.

Ah ! charmante princesse ! que vous savez me prendre par mon faible et qu’on fait de folies quand on est bien amoureux.

Il s’en va.

COLOMBINE, le rappelant.

Tenez, tenez, monsieur le vicomte ; voilà encore un petit jonc d’or que j’avais oublié.

LE VICOMTE.

Mais, mademoiselle, ces breloques-là valent-elles bien deux cents pistoles ! Voilà un diamant qui me paraît bien jaune. Écoutez, je vais porter tout cela chez l’orfèvre, et s’il ne m’en donne pas les deux cents pistoles, vous me tiendrez, s’il vous plaît, compte du reste.

COLOMBINE.

Monsieur le vicomte, vous m’épouserez au moins.

LE VICOMTE.

Allez, allez, parmi nous autres vicomtes, la parole fait le jeu. Adieu, charmante.

Il la prend sous le menton.

Ah ! morbleu ! que voilà des yeux chargés à cartouches !

Et regardant les bijoux.

Que voilà de bonnes fortunes !

 

 

Scène VIII

 

COLOMBINE, seule

 

Ah ! que je suis aise de lui avoir fait ce petit plaisir ! De la manière que je l’aime, je ne sais ce que je ne lui donnerais pas.

Il y a ici plusieurs scènes italiennes.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première[3]

 

ARLEQUIN, UN DOCTEUR

 

Le rôle du docteur était joué par Colombine.

ARLEQUIN.

Ayant appris, monsieur, que vous êtes un homme savant et de bon conseil, je voudrais bien vous parler d’une affaire que je suis sur le point de terminer.

LE DOCTEUR.

Parlez ; mais parlez peu : la discrétion dans le parler a toujours été louée. Au contraire, on a blâmé de tout temps les grands parleurs : c’est pourquoi j’aime la brièveté ; et je m’applique uniquement à être concis dans mes discours.

ARLEQUIN.

J’aurai bientôt fait.

LE DOCTEUR.

Qui ne sait que le trop parler vient du défaut de jugement ? que le défaut de jugement vient du manque de raison ? et que le manque de raison est le caractère de la bête ?

ARLEQUIN.

Je n’ai qu’un mot.

LE DOCTEUR.

Qui ne sait que volât irrevocabile verbum ? qu’on ne se repent jamais de se taire, et qu’on s’est repenti souvent d’avoir parlé ? Ignorez-vous que la nature a donné à l’homme deux pieds pour marcher, deux bras pour agir, deux narines pour sentir, et qu’elle ne lui a donné qu’une langue pour parler ?

ARLEQUIN.

Je dis donc...

LE DOCTEUR.

Pythagore faisait observer le silence à ses disciples pendant sept années.

ARLEQUIN.

Je le crois.

LE DOCTEUR.

Solon avait coutume de dire qu’un homme qui parle beaucoup est semblable à un tonneau vide, qui fait plus de bruit qu’un plein.

ARLEQUIN.

Cela est beau.

LE DOCTEUR.

Bias, qu’un grand parleur n’était autre chose qu’une forteresse sans murailles, une ville sans porte, et un vaisseau sans gouvernail.

ARLEQUIN.

Vous saurez donc...

LE DOCTEUR.

Anaxagore, qu’une bête féroce échappée était moins à craindre qu’une langue effrénée et pétulante.

ARLEQUIN.

Monsieur...

LE DOCTEUR.

Isocrate, qu’il n’y avait ici bas que deux choses à faire : écouter et se taire.

ARLEQUIN.

Taisez-vous donc.

LE DOCTEUR.

Tous vos grands discours sont inutiles. Frustra fit per plura quod potest fieri per pauciora.

ARLEQUIN.

Hé ! monsieur, je n’ai encore rien dit.

LE DOCTEUR.

Je sais bien que l’usage de la parole a été donné à l’homme pour expliquer ses pensées.

ARLEQUIN.

De grâce...

LE DOCTEUR.

Je ne vous dis pas qu’il ne faille parler en termes propres, suivant les règles de la grammaire ; faire accorder l’adjectif avec le substantif, le nom avec le verbe, le masculin avec le féminin.

ARLEQUIN.

C’est ce dont il s’agit, monsieur, du masculin avec le féminin.

LE DOCTEUR.

Je ne vous défends pas de mettre en usage les figures de rhétorique : Nam quid est rhetorica ? Selon Socrate, c’est l’art de persuader ; selon Agathon, c’est l’art de tromper ; selon Gorgias, l’usage du discours ; selon Chrysippe, la clef des cœurs ; selon Cléanthe, la science des sciences ; selon Vatadérius, le boulevard de la vérité ; selon Aristote, le boucher de l’orateur ; selon Cicéron, l’art de bien dire ; et selon moi, l’art de ne guère parler.

ARLEQUIN.

Va, si je puis attraper la parole...

LE DOCTEUR.

Si vous voulez donc que je vous donne mes avis, expliquez-moi le sujet dont il s’agit ; mais surtout d’un style vif, serré, pressé, concis, laconique ; car vous savez que la vie de l’homme est courte : ars longa, vita brevis. Le temps est cher, on en perd tant à boire, à manger, à dormir, à s’habiller, à danser, à rire, à chanter ; et l’on ne songe pas que la santé revient après la maladie, le printemps après l’hiver, la paix après la guerre, le beau temps après la pluie ; mais que le temps passé ne revient jamais.

ARLEQUIN.

Je voudrais donc savoir...

LE DOCTEUR.

Je le crois, que vous voudriez savoir. Omnibus hominibus scire à naturâ insitum est, dit le prince de l’éloquence. Mais vouloir savoir est une chose, et savoir est une autre. C’est ce qui fait que du savoir au non-savoir il y a autant de différence qu’entre l’homme et la bête, le ciel et la terre, le gentilhomme et le roturier, le marchand et le voleur, le procureur et l’assassin, le bourreau et le médecin.

ARLEQUIN.

J’en suis persuadé ; mais...

LE DOCTEUR.

Or, voulez-vous savoir quelle différence il y a entre l’homme et la bête ? C’est que l’un se conduit par la raison et l’autre par l’instinct. Entre le ciel et la terre ? c’est que l’un est sur notre tête, l’autre sous nos pieds. Entre le roturier et le gentilhomme ? c’est que l’un paie ses dettes, l’autre se moque de ses créanciers. Entre le marchand et le voleur ? c’est que l’un vole dans les villes, l’autre dans les bois. Entre le procureur et l’assassin ? c’est que l’un enlève les biens, l’autre la vie. Entre le médecin et le bourreau ? c’est que l’un assassine peu à peu ses malades, et que l’autre tue tout d’un coup ceux qui se portent bien.

ARLEQUIN.

Cela est le mieux du monde. Je voudrais donc savoir...

LE DOCTEUR.

Quoi ? la philosophie ou la rhétorique ? la théorie ou la pratique ? la géométrie ou l’astrologie ? la pharmacie ou la médecine ? la sphère ou la géographie ? la cosmographie ou la topographie ?

ARLEQUIN.

Non ; je ne veux rien de tout cela.

LE DOCTEUR.

Voulez-vous que je vous parle des arts ou des sciences ? des huit parties de l’oraison ? des trois puissances de l’âme, la mémoire, l’entendement et la volonté ? de l’influence des planètes, Jupiter, Mars, Mercure, etc. ? de la qualité des étoiles majeures, fixes ou errantes ? des comètes crinées, tombantes, et volantes ? de la disparité des tempéraments phlegmatiques, sanguins, et mélancoliques ? des mouvements du cœur, systoliques, ou diastoliques !

ARLEQUIN.

Hé ! monsieur, je n’ai que faire de ce galimatias-là.

LE DOCTEUR.

Est-ce de l’histoire ou de la fable que vous voulez que je parle ? Commencerai-je par le déluge ? le jugement de Paris ? les malheurs de Pyrame et de Thisbé ? l’incendie de Troie ? les erreurs d’Ulysse ? le passage d’Énée ? le sac de Carthage ? la mort de Tarquin ? les triomphes de Scipion ? la conjuration de Catilina ? le pas des Thermopyles ? la bataille de Marathon ?

ARLEQUIN dit non à chaque demande.

Eh ! non, non, cent fois non, de par tous les diables, non. Je voudrais savoir seulement-si je dois épouser une brune ou une blonde.

LE DOCTEUR.

Eh ! que ne parlez-vous donc ? Il y a deux heures que vous me faites chanter inutilement.

ARLEQUIN.

Comment diable voulez-vous que je parle ? vous ne toussez ni ne crachez : je ne puis prendre mon temps. Ouf !

LE DOCTEUR.

Vous voulez donc savoir si vous devez épouser une brune ou une blonde ?

ARLEQUIN.

Oui, monsieur. Ah ! nous y voilà à la fin.

LE DOCTEUR.

Voulez-vous que je vous dise cela par les règles d’astronomie, prophétie, chronologie, analogie, physionomie, chimie, astrologie, hydromancie, éromancie, pyromancie, chiromancie, négromancie ?

ARLEQUIN.

Je ne m’en soucie pas, pourvu...

LE DOCTEUR.

Aimeriez-vous mieux que ce fût par le moyen de l’invocation, imprécation, multiplication, indiction, spéculation, superstition, interprétation, conjuration, prognostication, évocation ?

ARLEQUIN.

Corbillon ? qu’y met-on ? Hé ! monsieur, cela m’est indifférent, pourvu que...

LE DOCTEUR.

Si vous voulez, je me servirai des connaissances de la rhétorique, physique, logique, métaphysique, arithmétique, art magique, poétique, politique, musique, dialectique, étique, mathématique.

ARLEQUIN.

Ah ! j’en mourrai !

LE DOCTEUR.

Puis donc que toutes les sciences ci-dessus sont des terres inconnues pour vous, je vous dirai que nos auteurs ont parlé différemment sur le point dont il s’agit. Les uns tenaient pour les blondes, et les autres pour les brunes. La différence du poil fait aussi la différence de l’inclination. La blonde est tendre, languissante et amoureuse ; la brune est vive, gaillarde et fringante. La blonde pourra bien outrager votre front ; la brune ne vous en quittera pas à meilleur marché. Un savant poète de l’antiquité a dit :

Alba ligustra cadunt : vaccinia nigra leguntur.

Un autre, non moins célèbre, s’écrie :

...Hic niger est : hunc tu, Romane, caveto.

Ainsi, vous voyez que c’est une matière bien délicate : Undiquè ambages, et qu’il est difficile d’y porter un jugement certain ; car, quoique je sois consommé dans toutes sortes de sciences, ne croyez pas que je veuille que mon sentiment prévale. Je ne m’arrête pas mordicùs à mon opinion. L’obstination est le propre de la bête, et je ne voudrais pas que...

ARLEQUIN.

Allez-vous-en à tous les diables ; je ne veux rien savoir. Quel babillard ! Je gage que si on examinait cet homme-là, on trouverait que c’est une femme.

Il veut s’en aller.

LE DOCTEUR, le retenant.

Je vous dis encore que...

ARLEQUIN.

Je vous dis que je vous baillerai sur les oreilles. Quel insolent est-ce là ! Je ne veux rien entendre.

Le Docteur le prend par la manche. Arlequin veut s’échapper de ses mains, et son justaucorps reste au docteur. Arlequin s’enfuit ; le docteur le poursuit en parlant toujours ad libitum[4].

 

 

Scène II

 

ISABELLE, PIERROT

 

ISABELLE en cavalier, devant un miroir, accommodant sa cravate.

Donne-moi ce chapeau. Eh bien ! Pierrot, ce cavalier-là est-il de ton goût ?

PIERROT.

Pardi ! mademoiselle, vous voilà à charmer. On vous prendrait pour moi. Il y a pourtant un peu de différence. Est-ce que vous allez lever une compagnie de fantassinerie ?

ISABELLE.

Ne pense pas te moquer ; je tâterais fort bien de l’armée, et je n’appréhenderais pas plus le feu qu’un autre.

PIERROT.

Si tous les capitaines étaient faits comme vous, ils pourraient gagner les frais de l’enrôlement, et faire leurs soldats eux-mêmes.

ISABELLE.

Je ne mets pas cet habit-ci sans raison. Tu sais que mon père veut que j’épouse M. Bassinet.

PIERROT.

Votre père ? Bon ! c’est un vieux fou qui radote, et je lui ai dit, dà !

ISABELLE.

Je me sers du déguisement où tu me vois, pour détourner ce mariage. Monsieur Bassinet ne m’a jamais vue ; il doit venir me voir, et j’attends sa visite en cet équipage. Je vais lui apprendre des nouvelles d’Isabelle, et je lui en ferai, parbleu ! passer l’envie.

PIERROT.

Mardi ! voilà une hardie tête de fille ! J’ai toujours dit à votre père que je ne croyais pas qu’il fût le mari de votre mère quand elle vous a faite. Vous avez trop d’esprit. Qu’en croyez-vous ?

ISABELLE.

Pour moi, Pierrot, je ne m’embarrasse pas de cela ; je ne songe qu’à faire rompre, si je puis, l’impertinent mariage dont je suis menacée. Mais je crois que voilà monsieur Bassinet ; laisse-moi avec lui : je vais commencer mon rôle.

PIERROT.

Pardi ! c’est lui-même ; il ressemble à un marcassin.

 

 

Scène III

 

ISABELLE, M. BASSINET

 

ISABELLE, assise nonchalamment dans un fauteuil.

Serviteur, monsieur, serviteur.

M. BASSINET, apercevant le cavalier.

Ah ! monsieur, je vous demande pardon. On m’avait dit que mademoiselle Isabelle était dans sa chambre.

À part.

Que diable cherche ici ce godelureau-là ?

ISABELLE.

Monsieur, elle n’y est pas, et je l’attends. Mais vous, monsieur, que venez-vous faire ici ? Mademoiselle Isabelle est-elle malade ? car, à votre mine, je vous crois médecin ; et vous avez toute l’encolure d’un membre de la faculté.

M. BASSINET.

Vous ne vous trompez pas, monsieur ; je suis un nourrisson d’Hippocrate : mais je ne viens pas ici pour tâter le pouls à Isabelle ; j’ai bien d’autres prétentions sur...

ISABELLE.

Oui ! et de quelle nature, s’il vous plaît, sont les prétentions d’un médecin sur une fille ?

M. BASSINET.

Je viens ici pour l’épouser.

ISABELLE.

Pour l’épouser ! Isabelle ?

M. BASSINET.

Isabelle.

ISABELLE.

Ah ! ah ! ah !

M. BASSINET.

Mais cela est donc bien drôle ?

ISABELLE.

Point du tout ; mais c’est que... Ah ! ah ! ah !... je ris comme cela quelquefois. Ah ! ah ! ah !

M. BASSINET.

Comment donc ? est-ce que je suis barbouillé ?

ISABELLE.

Bon ! ne voyez-vous pas bien que je ris ? Ah ! ah ! ah ! Dites-moi un peu, monsieur, en vous déterminant à un saut si périlleux, vous êtes-vous bien tâté ? N’avez-vous point senti quelque petit mal de tête... vous m’entendez bien ?

M. BASSINET.

Non, monsieur ; je me porte fort bien : je ne suis pas sujet à la migraine.

ISABELLE, lui mettant la main sur le front.

Ma foi ! vous porterez bien cela, et je suis plus aise que vous ayez cette fille-là qu’un autre.

M. BASSINET.

Et moi aussi.

ISABELLE.

Mais, quand elle sera votre femme, au moins n’allez pas nous la gâter par vos manières ridicules. Nous avons eu assez de peine à la mettre sur le pied où elle est. Le joli tour d’esprit ! elle l’a comme le corps.

M. BASSINET.

Comme le corps ! Et savez-vous comme elle l’a tourné ?

ISABELLE.

Bon ! qui le sait mieux que moi ? Si vous voulez, je vais la dessiner qu’il n’y manquera pas un trait. Une gorge, morbleu ! plantée là... Bon ! c’est un marbre.

M. BASSINET.

Ouf ! quel peintre !

ISABELLE.

Je vous dis que vous ne sauriez faire une meilleure affaire.

M. BASSINET.

Je vois bien qu’elle ne serait point mauvaise pour vous.

ISABELLE.

Elle a, par-dessus cela, une adresse à conduire une affaire de cœur qui ne se comprend pas. C’est un petit démon pour les tours d’esprit. Si elle est votre femme, elle aura des intrigues avec toute la terre, que vous ne vous en apercevrez non plus que si elle était à Rome et vous au Japon. Diable ! une femme comme cela est un trésor pour le repos du ménage.

M. BASSINET.

Et avec tous ces beaux talents-là, d’où vient qu’elle n’est pas mariée ? Voilà des qualités merveilleuses pour être femme.

ISABELLE.

Ne savez-vous pas les allures du monde et la malignité des rivaux ? Les uns disent qu’elle a des vapeurs ; les autres lui font faire un voyage : il y en a d’assez enragés qui lui font garder le lit cinq ou six mois pour une détorse... et... que sais-je, moi ? cent autres contes que l’on va souffler aux oreilles d’un fiancé, qui ne manquent pas de rompre un mariage comme un verre ; et si, de tout cela, bien souvent, il n’y en a pas la moitié de vrai.

M. BASSINET.

Quand il n’y en aurait que le quart, c’est bien encore assez, de par tous les diables ! une détorse !

ISABELLE.

Au moins, je veux être de vos amis ; et je prétends, quand vous serez marié, aller sans façon manger chez vous votre chapon.

M. BASSINET.

Monsieur, vous me faites trop d’honneur ; mais je ne mange jamais de volaille. À ce que je vois, vous connaissez parfaitement la demoiselle en question.

ISABELLE.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous sommes toujours ensemble ; et si vous étiez discret, je vous apprendrais quelque chose sur son chapitre, que je suis sûr que vous ne savez pas.

M. BASSINET.

Oh ! vous pouvez tout dire et compter sur ma discrétion. Vous savez que les médecins...

ISABELLE.

Je passe... (Mais il faut voir si personne ne nous entend.) Je passe toutes les nuits dans sa chambre.

M. BASSINET.

Dans sa chambre ?

ISABELLE.

Dans sa chambre. Je vous dirai même... mais vous irez jaser.

M. BASSINET.

Non, je me donne au diable.

ISABELLE.

Cette nuit, nous avons reposé tous deux sur le même chevet. Prenez vos mesures là-dessus.

M. BASSINET.

Sur le même chevet ! ensemble ?

ISABELLE.

Ensemble ; et cette nuit nous en ferons autant infailliblement. Elle ne saurait se coucher sans moi.

M. BASSINET, à part.

Ah ! ah ! monsieur Brocantin, vous voulez donc m’en faire avaler !

ISABELLE.

Ce que je viens de vous dire là, au moins, ne doit point vous empêcher de conclure l’affaire. Un homme bien amoureux ne s’arrête pas à ces bagatelles-là.

M. BASSINET.

Bon ! voilà de belles badineries ! Je ne vois pas que rien presse encore de quitter la robe et le bonnet de médecine, pour me faire coiffer de mademoiselle Isabelle. Adieu, monsieur, jusqu’au revoir. Le ciel m’a assisté : voilà un jeune homme qui m’aime bien.

 

 

Scène IV

 

ISABELLE, seule

 

Oh ! pardi, monsieur Bassinet, je crois que vos fumées d’amour pour Isabelle sont bien passées présentement. Depuis un quart d’heure que je fais l’homme, je ne suis pas mal scélérat.

Elle rentre.

Il y a ici des scènes italiennes.

 

 

Scène V

 

BROCANTENT, PIERROT

 

PIERROT.

Tout franc, monsieur, je crains que vous n’ayez attendu trop tard à marier vos filles.

BROCANTIN.

Comment donc ? serait-il arrivé quelque malheur dans ma famille ?

PIERROT.

Non, pas encore tout à fait ; mais voyez-vous, monsieur, vous tournez trop à l’entour du pot. Diable ! les filles sont de certains animaux équivoques...

BROCANTIN.

Que veux-tu donc dire avec tes animaux équivoques ?

PIERROT.

C’est-à-dire, monsieur... tant y a que je m’entends bien. C’est comme des armes à feu ; ça tire quelquefois sans qu’on y pense.

BROCANTIN.

Ne te mets point en peine, Pierrot ; je suis sur le point d’en marier une, et je crois que je ferai affaire de l’aînée avec monsieur Bassinet.

PIERROT.

Qui ? ce médecin ? Fi ! votre fille n’est point le fait de ce vieux rhumatisme-là.

BROCANTIN.

Il m’a promis qu’il quitterait sa profession de médecin, si je voulais lui donner Isabelle, et qu’il se ferait troqueur.

PIERROT.

Hé ! pardi, je le crois bien. On lui en sait grand gré, ma foi ! de quitter son séné pour une fille drue comme Isabelle ! Tuchoux ! Si vous voulez me la bailler, je vous quitte vous et vos chevaux, dès demain ; et si je crois que je vous panse avec autant d’honneur qu’un médecin fait ses malades. Voulez-vous que je vous dise mon sentiment ? car, révérence parler, j’ai plus d’esprit que vous ; vous ferez mieux, si je ne vous accommode pas, de la donner à quelque homme de condition, comme, par exemple, à un gentilhomme de robe.

BROCANTIN.

Te moques-tu, Pierrot ? Notre vacation est la plus jolie du monde ; nous voyons tout ce qu’il y a de gens de qualité ; il n’y a point de prince qui fasse la dépense que nous faisons ; nous changeons de meubles tous les jours ; on ne voit jamais chez nous la même chose, et notre cabinet est le rendez-vous de tous les fainéants de la ville.

PIERROT.

Et quelquefois aussi des fainéantes ; car, voyez-vous, monsieur, les femmes ont toujours quelque pièce à troquer.

 

 

Scène VI

 

COLOMBINE, BROCANTIN, PIERROT

 

COLOMBINE, arrivant.

Mon papa, il y a là-bas une troupe de carêmes-prenants qui veulent entrer.

BROCANTIN.

Qu’on les renvoie ; je ne veux point...

COLOMBINE.

On dit que c’est l’ambassadeur du prince Tonquin des Curieux qui veut m’épouser.

PIERROT.

Oh ! pardi, monsieur, les voilà.

 

 

Scène VII

 

ARLEQUIN, prince des Curieux, porté par quatre hommes dans une manière de panier, MEZZETIN en perroquet, BROCANTIN, PIERROT, COLOMBINE, ISABELLE, SUITE DU PRINCE DES CURIEUX

 

BROCANTIN, au perroquet.

Le prince des Curieux épouser ma fille ! Je suis bien obligé à son altesse tonquinoise.

À Pierrot.

Voyons un peu ce qu’il va dire : écoute.

Mezzetin caquette, et veut baiser Colombine.

COLOMBINE.

Ah ! mon Dieu, la vilaine bête ! Pierrot, Pierrot, ne me quitte point ; j’ai peur.

PIERROT.

Oh ! pardi, ne craignez rien avec moi ; il n’a qu’à venir. Ah ! mademoiselle, la jolie queue ! Perroquet mignon ; tôt, tôt, à déjeuner.

Mezzetin caquette.

BROCANTIN.

Quel diable de jargon ! Qu’est-ce donc qu’il dégoise-là ?

MEZZETIN chante.

Je suis fatigué, j’ai fait un grand voyage

Pour vous demander Colombine en mariage.

COLOMBINE.

Moi ? oh ! je ne veux point épouser un perroquet.

MEZZETIN.

Hé ! morguenne de vous ! quelle fille ! quelle fille !

Morguenne de vous ! quelle fille êtes-vous ?

PIERROT.

Voilà l’ambassadeur du Pont-Neuf.

MEZZETIN.

Le friand morceau ! J’aurai bien du plaisir d’en faire une perroquette. Qu’elle est belle !

COLOMBINE.

Oh ! vous vous moquez. J’ai ma sœur qui est bien plus jolie que moi ; et si vous aviez vu ma cousine Gogo, c’est tout autre chose.

MEZZETIN chante.

Quel air de santé ! vous avez la mine,

Un jour, de rester seule à la tontine...

COLOMBINE.

Oh ! je ne veux jamais rester seule ; j’ai trop peur.

MEZZETIN.

Hé ! morguenne de vous ! quelle fille ! quelle fille !

Morguenne de vous !...

ARLEQUIN,
mettant la tête hors du panier, achève le couplet, en chantant.

Hé ! dépêchez-vous.

Les violons jouent une entrée, pendant laquelle Arlequin sort de son panier et danse ; et après qu’il a dansé, il commence le discours qui suit.

Ce n’est pas sans raison que nos anciens modernes ont dit ingénieusement que le mariage était d’une très grande ressource pour de certaines gens, et que les aigrettes dont quelques femmes galantes faisaient présent à leurs maris, étaient semblables aux dents, qui font du mal quand elles percent, et nourrissent, quand elles sont, venues. Cela présupposé, voyons un peu le tendron qui est destiné pour mes plaisirs ; car vous ne voudriez pas me faire acheter chat en poche.

BROCANTIN.

Oh ! avec moi, monsieur, point de surprise. Voilà mes deux filles ; vous n’avez qu’à choisir : c’est encore trop d’honneur pour le sang des Brocantins.

ARLEQUIN.

Oui, beau-père, je veux brocantiner avec vous ; et de peur de mal choisir, je les prendrai toutes deux.

Il se tourne vers Colombine.

Pour vous, petite blonde d’Égypte, levez le nez, regardez-moi fixement, marchez, trottez. Beau-père, n’y a-t-il rien à refaire à cette fille-là ?

BROCANTIN.

Oh ! monsieur, je vous la garantis tout ce qu’on peut garantir une fille.

COLOMBINE.

Je me porte bien, et je n’ai jamais eu d’autre maladie qu’un mal d’aventure : mon pouce devint gros comme ma tête.

ARLEQUIN.

Diable ! méchant mal. Les filles sont terriblement sujettes aux maux d’aventure ; mais l’enflure ne les prend pas toujours ait pouce. Seriez-vous bien aise d’être ma femme ?

COLOMBINE.

Moi ! votre femme ? bon ! bon ! vous vous moquez : est-ce que je suis capable de cela ?

ARLEQUIN.

Malepeste ! vous l’êtes de reste.

COLOMBINE.

Je vous avertis par avance que si je suis jamais mariée avec vous, je ne vous incommoderai point de toute la nuit ; car je suis la meilleure coucheuse du monde : je me trouve le matin comme je me suis mise le soir.

ARLEQUIN.

Tant mieux. Mais avant de passer outre, il est bon que je vous fasse part de quelques petits avis en vers, que j’ai faits pour servir de niveau à la femme qui tombera sous ma coupe. Écoutez bien ceci.

Il tousse.

Primo.

Celle qui m’engage sa foi,

Sera, si cela se peut, sage ;

Elle doit se faire une loi

De demeurer dans son ménage,

Et de n’en sortir qu’avec moi,

En dépit du contraire usage.

Quand je vois revenir des femmes sans maris,

J’entends celles qui sont du plus galant étage,

Qui souvent loin du gîte ont passé plusieurs nuits,

Il me semble de voir un cheval de louage :

Lorsqu’on le ramène au logis,

C’est un grand hasard s’il ne cloche ;

Et s’il ne boite pas tout bas ;

Pour le moins, on trouve, en ce cas,

À coup sûr, quelque fer qui loche.

Secundo.

Dans ma maison il n’entrera,

De peur de maligne pratique,

Aucun lévrier d’opéra,

Symphoniste, chanteur, ou suppôt de musique.

Item, point de maître à danser ;

Ce sont courtiers d’amour dont il faut se passer.

Ces gens-là se font trop de fête ;

Et, quelque soin que vous preniez,

Par leurs leçons, la femme en porte mieux les pieds,

Mais le mari plus mal la tête.

COLOMBINE.

Point de maître à danser ? Et quel mal font-ils aux maris ? Ils ne les touchent jamais. Je renoncerais plutôt au mariage. J’aime le mien presque autant qu’un mari.

ARLEQUIN.

C’est à cause de cela. Ces messieurs-là ne montrent pas toujours la courante et le menuet.

Tertio.

Vous n’aurez près de vous que gens

Qui soient tout à fait nécessaires ;

Laquais au-dessous de douze ans,

Ou bien cochers sexagénaires.

Item, point de pensionnaires.

Ces oiseaux gras et bien nourris

Viennent souvent pondre en nos nids ;

Et, trouvant de plain pied à parler de leurs flammes,

Ils se racquittent près des femmes

De ce qu’ils payent aux maris.

Que dites-vous à cela, la future ?

COLOMBINE.

Moi je dis que je n’y entends rien. Qu’est-ce que c’est que de voir pondre dans nos nids ? Est-ce que l’on a des œufs quand on est mariée ?

ARLEQUIN.

Non ; mais vous aurez des poulets. Je vous expliquerai tout cela quand vous serez ma femme. Voyons le reste.

Quarto et ultimo.

Qui voudra se mettre en famille,

Qu’il prenne garde que jamais

Il ne s’engaigne d’une Agnès :

C’est une méchante chenille.

Il en est bien souvent de ces sortes de filles,

Ainsi que de ces œufs qu’on achète pour frais :

On a beau les mirer de près ;

Dès qu’on en casse les coquilles,

On en voit sortir les poulets.

 

 

Scène VIII

 

ARLEQUIN, MEZZETIN, BROCANTIN, PIERROT, COLOMBINE, ISABELLE, M. BASSINET

 

BROCANTIN.

Il a, ma foi, raison. Çà, monsieur... Mais voici monsieur Bassinet fort à propos.

M. BASSINET.

Parbleu ! je suis ravi de trouver ici tout le monde en joie. Apparemment que vous disposez le bal pour notre mariage.

BROCANTIN.

Oh ! monsieur Bassinet, vous venez le plus à propos du monde ; nous ferons d’une pierre deux coups. Voilà ma fille Isabelle qui vous attend pour vous donner la main.

ARLEQUIN.

Est-ce que vous prétendez donner votre fille à ce scorpion ? Fi ! ne faites point cette affaire-là.

BROCANTIN.

Vous moquez-vous ? c’est un médecin très riche.

ARLEQUIN.

Un médecin ? je m’en doutais bien, car j’ai eu envie de faire une selle en le voyant. Mais cet homme-là ne vaut rien pour le mariage : tenez, vous voyez bien que sa barbe ne tient point ; ce sont deux moustaches postiches.

Il lui arrache les poils de la barbe.

M. BASSINET.

Que le diable vous emporte ! Quelle peste de cérémonie !

ARLEQUIN.

Il y a encore pis que cela ; cet homme sera pendu avant qu’il soit vingt-quatre heures. Voyez cette mine patibulaire.

BROCANTIN.

Pendu ! et comment connaissez-vous cela ?

ARLEQUIN.

Par le moyen des astres, et par les règles de la métoposcopie. Je n’y manque jamais, à une heure près ; et si vous voulez, je vous dirai quand vous le serez.

BROCANTIN.

Cela étant, je vais le congédier. Monsieur Bassinet, vous voyez bien ma fille : touchez là ; vous n’en croquerez que d’une dent, et je ne veux point de gendre dont la barbe ne tient point.

ARLEQUIN.

Ni moi d’un beau-frère qui postule après une cravate de chanvre.

M. BASSINET.

Ni moi d’une fille qui a eu des détorses de neuf mois. Allez, vieux radoteur, aux Petites-Maisons, avec votre chienlit. Je venais pour vous dire que je ne voulais point de la fille d’un fou, et qui passe toutes les nuits avec des godelureaux. Fi ! la vilaine !

ARLEQUIN.

Adieu, adieu ; bon voyage, mon ami : à la Grève, à la Grève.

À Isabelle.

Consolez-vous, la belle ; je vais vous présenter un époux qui vaudra bien cette vilaine égoutture de bassin ; Tenez, beau-père,

Montrant Octave qui est déguisé.

ce sera là votre second gendre ; c’est un grand seigneur de mon pays.

ISABELLE.

Ah ciel ! c’est Octave !

Octave lui fait un compliment en italien.

BROCANTIN.

Qu’est-ce qu’il jargonne là ?

ARLEQUIN.

C’est un compliment tonquinois. Il dit qu’elle est une étoile resplendissante de perfection, et que, si la queue de son manteau était plus longue, il la prendrait pour une comète.

Isabelle répond en italien au compliment d’Octave.

BROCANTIN.

Quoi ! ma fille sait déjà le tonquinois ?

ARLEQUIN.

Bon ! c’est une langue qui s’apprend par infusion ; et s’il vous épousait, vous sauriez le tonquinois dans deux heures.

BROCANTIN.

Puisque cela est ainsi, je veux bien faire le mariage d’Isabelle ; mais dites-moi auparavant, est-il curieux ?

ARLEQUIN.

Bon ! c’est le Dautel du pays ; il troque des nippes à tous moments, et je vous réponds qu’avant qu’il soit deux jours, il aura troqué sa femme. Je m’en vais vous faire voir toutes mes curiosités, et l’équipage de ma future.

Arlequin fait un signal ; le fond du théâtre s’ouvre, et il paraît un cabinet rempli de tableaux de Teniers, figurés par des personnages naturels.

BROCANTIN.

Voilà qui est très beau. Ces tableaux-là sont tous originaux ?

ARLEQUIN.

Vous l’avez dit. Et ce gros singe-là, comment le trouvez-vous ?

Il lui fait remarquer un singe qui est dans un des tableaux.

BROCANTIN.

Joli, ma foi ! on dirait qu’il me regarde.

ARLEQUIN.

Cela pourrait être, car il vous ressemble comme deux gouttes d’eau, et vous savez que la ressemblance engendre l’amitié. Mais il faut vous détromper. Vous avez cru que c’étaient là des tableaux véritables.

BROCANTIN.

Assurément, et je le crois encore.

ARLEQUIN.

Et c’est ce qui vous trompe. Tout cela ne tient que par le moyen d’un ressort que je vais toucher, et vous verrez que toutes ces figures prendront mouvement.

Arlequin s’approche de l’un des côtés du cabinet, et frappant sur une table, toutes les figures qui sont représentées dans les tableaux en sortent en chantant, dansant et jouant de divers instruments. Pasquariel, en singe, fait plusieurs sauts périlleux ; Brocantin le regarde avec admiration, et Arlequin lui dit.

Voyez-vous bien ce singe ? Il accompagne de la guitare on ne peut pas mieux. Je m’en vais vous le faire voir.

Au singe.

Quiribirichy ?

Le singe répond en faisant une grimace, et en même temps se jette sur une guitare qu’un homme de la suite d’Arlequin a entre les mains.

ARLEQUIN, à Brocantin.

Avez-vous entendu ce qu’il a dit ?

BROCANTIN.

Non. Est-ce que j’entends le langage des singes, moi ?

ARLEQUIN.

Vous avez pourtant la physionomie d’une guenon. Il dit qu’il va prendre sa guitare. Le voilà ; écoutez.

MEZZETIN, habillé en Flamand, une pipe au chapeau, tenant un pot à bière d’une main, et un grand verre de l’autre, chante l’air qui suit, et le singe accompagne de la guitare.

Pata, pata, pata, pon,

Amis, je m’en vais à la guerre ;

J’ai pour épée un flacon,

Et pour mousquet un grand verre.

La santé du roi,

Porte-la-moi :

Dépêche-toi ;

Car je suis mort si je ne boi.

 

Au son de cet instrument,

Je sens que mon cœur se réveille ;

Il faut, pour être content,

Toujours la pipe et la bouteille.

La santé du roi,

Porte-la-moi :

Dépêche-toi ;

Car je suis mort si je ne boi.

 


[1] Molière a dit dans le Malade imaginaire, acte III, scène IV : « On voit bien que vous n’avez pas accoutumé de parler à des visages. »

[2] La méprise d’Angélique (scène V du premier acte du Malade imaginaire), qui croit qu’Argan parle de Cléante son amant, lorsqu’il lui propose Thomas Diafoirus, a pu donner l’idée de celle-ci ; et la résistance d’Isabelle a quelque rapport avec celle d’Élise, scène VI du premier acte de l’Avare.

[3] Comme cette scène est absolument étrangère à l’intrigue de la pièce, nous la plaçons ici au hasard : nous pensions même à la supprimer, quoique insérée dans le recueil de Ghérardi, si nous né nous étions assurés d’ailleurs qu’elle appartient à l’Homme à bonnes fortunes, et qu’elle y a fait plaisir.

[4] Dans le recueil de Ghérardi, cette scène est intitulée La Tirade ; et il y est dit que Colombine est travestie en avocat. Nous avons changé cette dénomination, et nous y avons substitué celle du docteur. Le personnage joué par Colombine n’est point celui d’un avocat, mais d’un pédant ridicule.

Cette scène ressemble beaucoup à celle du docteur Pancrace du Mariage forcé de Molière, scène VI. Mais si Regnard a imité de très près Molière, celui-ci avait puisé lui-même l’idée de cette scène dans les anciens canevas italiens. Voir les observations sur Molière, par Louis Riccoboni, page 144.

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