Le Gentilhomme de Beauce (MONTFLEURY)

Comédie en cinq actes, et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Hôtel de Bourgogne, en août 1670.

 

Personnages

 

M. DE COURTEVILLE, gentilhomme Beauceron, amoureux de Climène

CLIMÈNE

LÉANDRE, amant de Climène

LE BASQUE, valet de Léandre

BÉATRIX, suivante de Climène

UN GASCON

MARTIN

CHAMPAGNE, laquais de Climène

 

La scène est à Paris dans une salle chez Climène.

 

 

À LEURS ALTESSES SÉRÉNISSIMES MESSEIGNEURS LES PRINCES DE BRUNSWICK ET DE LUNEBOURG

 

Messeigneurs,

 

Ne vous étonnez pas de l’hommage que le Gentilhomme de Beauce va rendre à vos Altesses Sérénissimes ; ce campagnard est tellement fier du bonheur qu’il a eu de paraître aux yeux de notre grand Monarque, qu’il ne peut s’imaginer qu’il soit tout-à-fait indigne de paraître aux vôtres. Quelque soin que je prenne à l’en détourner, je me vois contraint de l’abandonner à son opiniâtreté ; et quelque réflexion que je fasse sur ses défauts, je ne puis me dépenser de donner quelque chose à mon zèle. Je me suis en vain efforcé de mettre devant ses yeux tout ce qui le devait intimider ; de lui dire qu’il allait s’exposer aux yeux de trois Princes si éclairés, si galants et accomplis, que l’ouvrage le plus parfait mériterait à peine l’honneur de leur être offert ; et que si l’indulgence qu’on a eue pour lui à Paris, l’a fait trouver supportable, le juste discernement que V. A. S. savent faire de toutes choses, lui devait faire perdre l’envie de sortir de son pays. Ces considérations l’auraient peut-être fait rentrer en lui-même, si les merveilles que la renommée publie là de vous chaque jour, ne lui avaient donné autant de curiosité que d’étonnement. Il a su par sa voix que l’Allemagne a produit en V. A. S. trois Princes aussi illustres par leur mérite que considérables par leur rang ; aussi redoutables par leur valeur, que glorieux par leurs victoires ; aussi admirables par leur prudence, qu’étonnants par la vivacité de leur esprit ; et aussi remarquables par leur magnificence qu’extraordinaires par leur générosité. Il a su que la bonté vous est aussi naturelle que la justice, et n’a pu s’imaginer que la facilité que vous avez à connaitre les défauts, détruise en V. A. S. le penchant qu’elles ont à les excuser. Voilà le digne sujet de son empressement, voilà ce qui peut justifier sa hardiesse ; et j’ose dire, sans la vouloir autoriser, que la curiosité n’est pas tout-à-fait blâmable, quand elle est aussi bien fondée. En effet y Messeigneurs, ce n’est qu’en votre seule Cour ou la nature, prodigue de héros, fait voir en crois illustres frères, trois Princes dont l’union et les vertus éclatantes donnent de l’admiration a tout le reste du monde : ce n’est qu’en V. A. S. que le ciel a doué trois Frères de tout ce qui peut rendre trois Princes également parfaits, et ce n’est qu’à chacun de vous seuls en particulier, à qui le ciel a donné deux Princes et deux Héros pour frères. Je sais bien que je me pouvais empêcher d’avoir part à la témérité du provincial que je vous offre, que je lui pouvais refuser mon aveu, et que, si son bonheur le conduisait en Allemagne, je le pouvais laisser aller, en vagabond, en une Cour où ses défauts ne peuvent avoir que vos bontés pour asile : mais, si la raison me le conseillait, ma reconnaissance n’a pu s’y résoudre, et les bienfaits que vous avez tous si généreusement répandus sur une partie de notre famille, vous ont tellement acquis l’autre, que j’aime mieux vous faire un présent si peu digne de vous, que de ne pas publier partout la passion respectueuse avec laquelle je suis,

 

De Vos Altesses Sérénissimes,

Messeigneurs,

Le très humble et très obéissant Serviteur,

 

MONTFLEURY.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

CLIMÈNE, BÉATRIX

 

BÉATRIX.

Quoi ! vous épouseriez ce cousin ? Ce magot

Supplanterait Léandre, et vous ne direz mot ?

Ce pied-plat qui se plaint habits, souliers et chausse ;

En un mot, ce bourru gentilhomme de Beauce,

Parce qu’il a du bien, croit ce cœur destiné,

Au seigneur campagnard d’un hameau ruiné ;

Qu’à le suivre en province une fille s’engage ?

Ma foi, c’est pour son nez ; qu’il aille en son village

Compter ses poulets-d’Inde, et qu’il nous laisse en paix.

CLIMÈNE.

Ma mère ; dans son bien, a trouvé tant d’attraits,

Qu’elle veut de mon cœur forcer la répugnance ;

Et lui, pour m’épouser, n’attend qu’une dispense,

Étant logé chez nous...

BÉATRIX.

Il est vrai qu’il est bon.

Il est ici venu débarquer sans façon,

Et depuis, empaumant notre mère éternelle,

Il fait dans la maison le maître bien plus qu’elle ;

Car souvent, pour un rien, il nous menace tous,

Ou de mettre dehors, ou de donner cent coups.

Lorsque je me remets son burlesque visage,

Sa monture, son train, et tout son équipage,

Et l’air dont ce mâtin vous vint fauter au cou,

Je ne puis m’empêcher d’en rire tout mon saoul.

CLIMÈNE.

Il s’est fait habiller.

BÉATRIX.

Oui : mais ce lunatique

Avec son habit neuf sent sa médaille antique ;

Son tailleur avec lui pensa perdre l’esprit,

Quand il le fit venir ; et touchant cet habit,

Ce bourru, méprisant ses avis et les nôtres,

N’a pas voulu qu’en rien il fût semblable aux autres ;

Il dit que ses aïeux étaient ainsi vêtus,

Et qu’il veut imiter leur mode et leurs vertus.

À propos, dites-moi, Madame, je vous prie...

CLIMÈNE.

Quoi ?

BÉATRIX.

Quand prétendez-vous tirer la loterie ?

Vous disiez...

CLIMÈNE.

Pas sitôt.

BÉATRIX.

Et pourquoi ?

CLIMÈNE.

Pour raison.

BÉATRIX.

J’ai de voir mes billets grande démangeaison.

CLIMÈNE.

Je le crois ; mais apprends, pour te voir satisfaite,

Pourquoi je la diffère, et pourquoi je l’ai faite.

Depuis que, pour mes maux, ce cousin est chez nous,

Je n’osais voir personne, et, sous ce nom d’époux,

Il m’obsédait partout ; et, pour voir compagnie,

J’ai, comme tu le vois, fait une loterie.

Tâche à trouver Léandre, anime son espoir,

Sous prétexte d’y mettre, il peut me venir voir ;

Qu’il mette un jour pour lui, le lendemain pour d’autres,

Et les soins de l’Amour féconderont les nôtres.

BÉATRIX.

Il est vrai qu’à l’aspect du cousin, vos amis

Ont en fort peu de temps déserté le logis :

Car vous aviez toujours fort bonne compagnie ;

Cela vous tient au cœur : mais, depuis leur sortie,

N’avez-vous rien appris du pauvre chevalier,

D’Alcante, de Damon ? Car pour le maltôtier,

Il est mort.

CLIMÈNE.

Je souffrais ces gens par bienséance,

Et de Léandre seul je regrette l’absence.

BÉATRIX.

Si vous la regrettez, j’y perds beaucoup aussi.

Le Basque, son valet, n’ose venir ici ;

Je l’aimais, et je sais qu’il m’aime avec tendresse.

CLIMÈNE.

Dis-lui, si tu le vois, qu’avec un peu d’adresse...

BÉATRIX.

J’y suis intéressée, et dirai ce qu’il faut.

 

 

Scène II

 

CLIMÈNE, BÉATRIX, LE GASCON

 

LE GASCON.

Holà, quelqu’un, laquais ! faut-il monter, en haut ?

Personne ne répond.

BÉATRIX.

J’entends quelqu’un qui crie.

Que vous plaît-il, Monsieur ?

LE GASCON.

Eh ! donc ; la loterie ?

J’apporte de l’argent.

BÉATRIX.

Pour combien de billets ?

LE GASCON.

Pour douze ; mais où sont vos gens ou vos valets ?

Qui donne ces billets, ferait-ce quelque femme ?

BÉATRIX.

Non ; c’est le précepteur du frère de Madame.

LE GASCON.

Il s’appelle ?

BÉATRIX.

Martin.

LE GASCON.

Habile ?

BÉATRIX.

Pas tant sot.

LE GASCON.

Je voudrais qu’il m’apprît à gagner un gros lot.

Je m’en suis déjà fait pour cinquante pistoles,

Dieu me damne ! et je dis ceci sans hyperboles,

J’avais trente billets chez Madame du Bois,

Chez Monsieur du Buisson, j’en avais vingt et trois.

J’en avais douze chez Madame la Fontaine,

Chez Monsieur de la Vigne encore autre douzaine :

J’ai pris tous billets blancs, il faut voir jusqu’au bout.

CLIMÈNE.

Vous êtes malheureux en loterie.

LE GASCON.

En tout ;

Si, pour m’indemniser, j’étais heureux en Belles,

Je m’en consolerais.

CLIMÈNE.

Vous sont-elles cruelles ?

LE GASCON.

Il ne tiendra qu’à vous de m’apprendre gue non.

Vous riez ! Vous voyez que je luis sans façon.

Tous nous autres Gascons sommes francs.

CLIMÈNE.

Je l’avoue.

LE GASCON.

Loin de nous en blâmer, un chacun nous en loue.

Vos lots seront-ils gros ?

 

 

Scène III

 

LE GASCON, LE BEAUCERON, CLIMÈNE, BÉATRIX.

 

LE BEAUCERON, à part.

Quel est cet éveillé ?

LE GASCON.

Votre fonds est-il grand ?

LE BEAUCERON, à part.

Le drôle est familier.

BÉATRIX.

Oui, jusques à présent le fonds en est passable ;

Beaucoup de gens ont mis, et la somme est notable :

Mais comme à la tirer on n’est pas encor prêt,

Il peut avec le temps être plus grand qu’il n’est.

Pour la fidélité...

LE GASCON.

Je connais bien Madame,

Je suis votre voisin, et j’y mettrais mon âme,

Si son cœur me pouvait venir pour un gros lot.

LE BEAUCERON, à part.

Ils jaseront toujours, si je ne leur dis mot.

BÉATRIX, à Climène.

Voici votre cousin, et tous aurez l’aubade.

LE GASCON, l’embrassant.

Ah ! Monsieur.

LE BEAUCERON.

Eh morbleu ! d’où vient donc embrassade ?

La peste vous étouffe avec votre jargon !

LE GASCON.

Monsieur de Courteville...

LE BEAUCERON.

Il est vrai, c’est mon nom.

LE GASCON, l’embrassant.

Vous ne connaissez plus vos amis ?

LE BEAUCERON.

Et de grâce,

Laissez-moi prendre haleine, et vous revoir en face ;

Voulez-vous m’étouffer, enfin je vous connois.

LE GASCON.

Sans doute.

LE BEAUCERON.

Et depuis quand ?

LE GASCON.

Depuis plus de dix mois.

Vous êtes Beauceron volontiers ?

LE BEAUCERON.

Je le pense.

Bas.

C’est un galant qui cherche à faire connaissance.

LE GASCON.

J’étais (et vous m’allez connaître assurément)

Capitaine, et Major, dans certain Régiment,

Qui passa l’an dernier dedans votre village.

LE BEAUCERON.

Ah ! oui.

À part.

Les grands fripons !

LE GASCON.

On fit quelque ravage

J’en demeure d’accord : mais je fus des premiers...

LE BEAUCERON.

Vous êtes donc, Monsieur, de ces aventuriers ;

De ces âmes de feu, de poudre et de salpêtre ;

De ces gens avec qui chez soi l’on n’est point maître,

Qui ne suivez en tout que votre passion,

Et qui voulez partout être à discrétion ;

Dont l’esprit emporté comme vôtre regarde

Du noble campagnard la femme campagnarde ;

Qui, vous apprivoisant dès la seconde fois,

Mettez effrontément un honneur aux abois,

N’employez tous vos soins qu’à gâter un ménage,

Et n’êtes point content que le mari n’enrage ?

LE GASCON.

Épargnez vos amis.

LE BEAUCERON.

Apprenez que je suis

Ennemi capital de semblables amis ;

Mais, enfin, dites-nous quel motif vous amenée.

LE GASCON.

Je viens pour des billets, et, rencontrant Climène,

J’ai pris occasion...

LE BEAUCERON.

C’est donc assez jaser

Qui vient pour des billets ne vient pas pour causer.

LE GASCON.

Morbleu ! j’aime le sexe, et ma joie est extrême,

Quand je trouve...

LE BEAUCERON.

Tout doux !

LE GASCON.

Sachez...

LE BEAUCERON.

Sachez vous-même,

Si vous ne le savez, que vous voyez, en nous,

Le cousin de Climène, et son futur époux ;

Que je me dois dans peu marier avec elle,

Et me voir Gouverneur de cette citadelle ;

Que je veux, pour briser toute autre liaison,

Y mettre mon honneur bientôt en garnison ;

Qu’étant noble, et Seigneur d’une assez belle terre,

Mon logement doit être exempt de gens de guerre ;

Et qu’enfin je prétends, en cette qualité,

Que je puis faire nargue à la majorité.

LE GASCON.

Suffit, je vous entends.

LE BEAUCERON.

C’est ce que je demande :

Cherchez fortune ailleurs.

LE GASCON.

La faute n’est pas grande.

Je le veux, c’est assez m’en dire sur ce point ;

Mais, ce Monsieur Martin, il est là-haut, non point ?

LE BEAUCERON.

Je le crois.

LE GASCON.

Près de lui je m’en vais donc me rendre.

LE BEAUCERON, à Béatrix.

Et par l’autre escalier qu’on le fasse descendre.

 

 

Scène IV

 

LE BEAUCERON, CLIMÈNE

 

LE BEAUCERON.

Enfin vous voulez donc, en tous lieux et toujours,

De votre humeur galante entretenir le cours ;

Voir toujours près de vous quelque face choquante

Pour moi, futur époux de femme trop galante ;

Et que je trouve ici toujours, malgré ce rang,

Quelque nouveau transi qui m’échauffe le sang ;

Quelque diseur de riens, de qui l’âme coquette

Sache à brûle-pourpoint tirer une fleurette ;

Qui vous serre les mains, et qui, pour mes péchés,

Vous parle incessamment à quatre doigts du nez ?

CLIMÈNE.

Comme je suis chez moi, je crois par bienséance

Ne pouvoir me parer de quelque complaisance,

Et principalement lorsque je vois des gens

De qui la mine et l’air exigent...

LE BEAUCERON.

Je prétends

Qu’on peut payer ces gens, malgré la bienséance,

D’un adieu bien succinct, et d’une révérence ;

Mais je vois ce que c’est, la Belle ; vous aimez

Ces Messieurs à tracas, ces galants parfumés ;

Votre mondain esprit aime à voir de ces hôtes

Dont les bras chamarrés vous chamarrent les côtes ;

Et l’on est bien venu, lorsque l’on est paré

D’un point Vénitien ou manufacturé.

Moi, qui ne suis pas fait sur de pareils modèles...

CLIMÈNE.

Mais enfin...

LE BEAUCERON.

Mais enfin je sais de vos nouvelles.

CLIMÈNE.

La loterie attire ici beaucoup de gens,

Et la porte doit être ouverte à tous venants ;

Et vous voyez s’il est aisé qu’on s’en défende.

LE BEAUCERON.

Il est vrai que jamais rage ne fut plus grande :

Oui, je crois qu’en effet le monde devient fou,

On se bat pour donner jusques au dernier fou ;

Je vois des gens très courts d’argent et de ressource,

Qui viennent en fureur prostituer leur bourse,

Et s’empressent si fort, qu’ils semblent en effet

Apporter à serrer un larcin qu’ils ont fait,

J’en sais qui ne sauraient, outre toutes ces peines,

Payer un numéro sans jeûner trois semaines,

Qui, depuis le matin, dînant d’un peu d’espoir,

Leur argent à la main, attendent jusqu’au soir

Pour pouvoir emporter, sans se lasser d’attendre,

Un morceau de papier griffonné, qu’ils vont prendre

Chez des gens plus fins qu’eux, qu’ils croient assez sots

Pour les gratifier bonnement de gros lots :

A-t-on jamais parlé d’une telle folie ?

CLIMÈNE.

Vous avez cependant imité leur manie :

Et pris quatre billets chez Oronte.

LE BEAUCERON.

D’accord ;

Mais celle-là n’a point aux autres de rapport ;

Et je m’en sais bon gré, bien loin que je m’en blâme.

L’intérêt ne saurait toucher cette grande âme.

C’est pour un cœur si noble un sentiment trop bas ;

Tout s’y fera dans l’ordre, et je n’en doute pas.

CLIMÈNE.

On peut ailleurs aussi...

LE BEAUCERON.

Votre erreur est extrême.

CLIMÈNE.

C’est votre sentiment pour mettre ailleurs de même.

Le peuple a ses raisons.

LE BEAUCERON.

Le peuple a ses raisons !

Eh ! morbleu, que fait-on des petites maisons ?

CLIMÈNE.

C’est un lieu trop petit pour tous les fous de France.

LE BEAUCERON.

Ah ! si sur le public j’avais quelque puissance

Qui m’en fît ménager le bien, ou l’intérêt,

Le peuple deviendrait plus ménager qu’il n’est,

Ou du moins...

CLIMÈNE.

Que ferait votre humeur prévoyante ?

LE BEAUCERON.

Moi ? Je mettrais l’argent de tous ces fous en rente,

Et je ferais donner au père, ou bien au fils,

De vingt ans en vingt ans, autant qu’ils auraient mis.

CLIMÈNE.

Cela serait fort beau.

LE BEAUCERON.

Mais, dites-moi, de grâce :

Cet embarras est grand, n’en êtes-vous point lasse ?

À chaque instant du jour un laquais effaré

Monte le nez cassé, l’on habit déchiré :

Un autre sans chapeau, peigné de bonne sorte,

Nous vient dire en pleurant qu’on a forcé sa porte ;

Les gens qui l’ont forcée entrent comme des fous ;

Et l’on dirait enfin à les voir courir tous,

Et faire chaque jour pareille violence,

Qu’ils auraient aux talons tous les Prévôts de France.

CLIMÈNE.

Mais j’y suis engagée, il faut voir jusqu’au bout,

Laisser passer la foule, et se résoudre à tout.

Pourrais-je l’empêcher, enfin, quoi que je fisse ?

LE BEAUCERON.

Le beau doute !

CLIMÈNE.

Et comment ?

LE BEAUCERON.

Il faut avoir un Suisse,

Mettre en tête à ces gens un Hardant sans pitié,

Qui dessus leur argent soit le premier payé.

CLIMÈNE.

C’est un autre embarras, il serait nécessaire...

BÉATRIX.

Madame, j’en sais un qui fera votre affaire.

CLIMÈNE.

Où le prendre ?

BÉATRIX.

Il demeure à vingt pas du logis,

Il est nouvellement venu de son pays ;

On n’entend presque rien de tout ce qu’il veut dire,

Il est si plaisamment vêtu, qu’il en fait rire :

Madame, il est mutin, parle fort son jargon,

Et n’entend, à le voir, ni rime ni raison :

Il frappe comme un sourd, ne cherche qu’à se battre ;

Il est fort comme deux, et méchant comme quatre ;

Avec sa mine froide, il a le sang fort chaud.

LE BEAUCERON.

Bon, voilà justement le Suisse qu’il nous faut.

BÉATRIX.

Je vous le ferai voir.

LE BEAUCERON.

Au plutôt, sa présence...

À propos, le Gascon n’est pas sorti, je pense.

Il cherche à s’introduire, ou j’en ai mal jugé ;

Je vais, s’il ne l’eu pas, lui donner son congé.

 

 

Scène V

 

CLIMÈNE, BÉATRIX

 

CLIMÈNE.

De quoi t’es-tu mêlée ? Est-ce pour mon supplice,

Que tu veux t’ingérer de nous donner un Suisse ?

Je ne puis voir Léandre, et n’est-ce pas assez ?...

BÉATRIX.

Je me sers, et vous sers plus que vous ne pensez.

CLIMÈNE.

Comment ? S’il est ainsi, fais-le mai donc connaitre.

BÉATRIX.

Si j’en veux au valet, vous en voulez au maître ;

N’est-il pas vrai ?

CLIMÈNE.

D’accord.

BÉATRIX.

Et le Basque est celui

Que je prétends pour Suisse introduire aujourd’hui.

CLIMÈNE.

As-tu perdu l’esprit ? Le greffier artifice !

Crois-tu qu’il puisse prendre un Basque pour un Suisse ?

En le faisant parler...

BÉATRIX.

Il contrefait si bien

Le Suisse, que jamais on n’y connaîtra rien.

Vous jugerez, bientôt de ce que j’en puis dire ;

Ce folâtre céans m’en a cent rois fait rire,

Personne ne l’a vu qui ne s’y soit trompé,

Et je ne doute pas qu’il n’y soit attrapé.

Je m’en suis avisée à propos, et Léandre,

Sans cela, près de vous eût eu peine à se rendre.

Si le cousin eût pris, sans nous en avertir,

Un Suisse, il eût fallu se résoudre à pâtir.

CLIMÈNE.

Pour avoir le valet, tâche à trouver le maître :

Tu lui diras...

BÉATRIX.

J’y cours ; mais je le vois paraître.

 

 

Scène VI

 

LÉANDRE, CLIMÈNE, BÉATRIX

 

LÉANDRE.

Je trouve en mon malheur quelque chose de doux,

Puisqu’il permet encor que j’approche de vous ;

Ce moyen de vous voir que le hasard m’envoie,

Suspend mon désespoir, et fait place à ma joie ;

Mais qu’elle est imparfaite, et qu’un cœur alarmé

Sent de maux, quand il perd ce qu’il a tant aimé !

L’époux qu’on vous destine a peu de quoi vous plaire,

Madame ; pourrez-vous l’épouser et vous taire,

Et sans faire éclater, lui donnant votre foi,

Quelque reste des feux que vous sentiez pour moi ?

CLIMÈNE.

On veut que je l’épouse, et cet ordre me tue :

Mais la dispense enfin n’est pas encor venue ;

L’Amour jusqu’à ce temps pourra faire pour nous...

LÉANDRE.

Mais s’il faut qu’elle vienne, il sera votre époux.

CLIMÈNE.

Ne vous alarmez point, quoi que sa flamme éclate,

Et souffrez jusques-là qu’un peu d’espoir vous flatte.

LÉANDRE.

De quel espoir, hélas ! flatter ma passion ?

BÉATRIX, les séparant.

Que de discours ! voici dont il est question.

Pour empêcher qu’ici la foule ne se glisse,

Le cousin Beauceron veut que l’on prenne un Suisse.

Vous savez que le Basque est un original,

Qui le contrefait bien.

LÉANDRE.

Il ne le fait pas mal,

Même de ce jargon s’est fait une habitude.

Le drôle a de l’esprit, et même un peu d’étude,

Il est plaisant. Pourvu qu’il ne s’enivre point,

Tout ira bien.

BÉATRIX.

J’aurai soin de lui sur ce point ;

Trouvez-lui quelqu’habit de Suisse, et, pour l’instruire,

Qu’il me vienne trouver, je le dois introduire.

LÉANDRE.

Mais...

BÉATRIX.

Ne demandez point, ni comment, ni pourquoi ;

Dépêchez, et de tout reposez-vous sur moi.

LÉANDRE.

Je t’entends, et je vois combien il nous importe

De rendre mon valet le maître de la porte ;

Je vais y donner ordre, et cet espoir m’est doux :

Mais puis-je me flatter, en m’éloignant de vous ?...

CLIMÈNE.

Allez, et soyez sur que, malgré l’avantage

Qu’on veut me faire voir dedans ce mariage,

Si l’Amour et le Sort fécondent mes désirs,

De l’espoir d’être à vous je fais tous mes plaisirs ;

Et que rien ne saurait ébranler ma confiance.

LÉANDRE.

Que cet espoir m’est doux, et que cette assurance,

Malgré ce que je crains, rend mes désirs contents !

 

 

Scène VII

 

LE BEAUCERON, CLIMÈNE, LÉANDRE, BÉATRIX

 

LE BEAUCERON, dans le fond du théâtre.

Le Gascon est dehors, voici l’autre dedans.

Ils parlent d’action ; peste, quelle novice !

CLIMÈNE.

Mon cœur vous en répond.

LE BEAUCERON, les écoutant.

Ah ! nous aurons un Suisse ;

Le dussé-je payer à mes dépens, je veux...

LÉANDRE.

Que ne vous dois-je point, de souffrir que mes feux...

LE BEAUCERON, à part.

Puisqu’à remercier son ardeur est si prompte,

On peut s’imaginer que le drôle a son compte.

BÉATRIX, à Climène.

Voici votre cousin.

CLIMÈNE, à Léandre.

Ne vous alarmez point,

Secondez seulement ma feinte sur ce point.

Tous nos billets font blancs, vous le voyez, Léandre ;

Mais enfin ce malheur ne nous doit pas surprendre,

Il faut que quelqu’un perde, et le Sort, aux dépens

De mille malheureux, fait si peu de contents,

Que, loin de s’en fâcher, il faut que l’on en rie.

LE BEAUCERON.

Elle deviendra folle avec sa loterie.

BÉATRIX.

Ils sont blancs comme neige.

LÉANDRE.

Il m’eût été bien doux

De pouvoir partager un lot avecque vous !

Vous deviez avec vous associer quelqu’autre,

Je crains que mon malheur n’ait fait naître le vôtre ;

Jamais l’événement ne répond à mes vœux.

CLIMÈNE.

Peut-être une autre fois nous ferons plus heureux,

Je le souhaite au moins.

LÉANDRE.

Madame, je l’espère,

Et prends congé de vous.

LE BEAUCERON, à part.

 

 

Scène VIII

 

LE BEAUCERON, CLIMÈNE

 

LE BEAUCERON.

Et deux, cousine, et deux : parlons de bonne foi, 

Il vous remerciait, peut-on savoir de quoi ?

CLIMÈNE.

De rien.

LE BEAUCERON.

Mais chacun sait par son expérience

Que qui ne reçoit rien, ne donne point quittance.

CLIMÈNE.

Nous avions dix billets ensemble chez Damis,

Léandre s’y trouvant ce matin, les a pris,

Il m’apportait ma boîte, et nous l’avons ouverte,

Et nous nous consolions tous deux de notre perte,

Quoique dans mes billets il n’eût que peu de part.

LE BEAUCERON.

Combien avait-il mis ?

CLIMÈNE.

Il n’était que d’un quart.

LE BEAUCERON.

Le détour est adroit. Ah, ma chère cousine !

D’un fléau de mari vous avez bien la mine.

Dites que ce galant avait, pour mon malheur,

Un quart dans votre boîte, et trois dans votre cœur ;

Et que ce dernier quart, que je ne puis surprendre,

Venait capituler à dessein de se rendre.

Car enfin, je l’ai vu, prêt à s’extasier,

S’applaudir en secret, et vous remercier.

J’ai vu que vos regards, avec sa bonne étoile,

Poussaient vers le blondin votre cœur à plein voile ;

Que ses yeux, ne pouvant se lasser de vous voir,

Marquaient d’un air mourant leur joie et leur espoir ;

Et que sa bouche enfin, entre chaque parole,

Du vent de ses soupirs encensait votre idole.

Je l’ai vu...

CLIMÈNE.

Quoi ! toujours quelque soupçon nouveau !

LE BEAUCERON.

Ah ! cousine, m’amie, il faut changer de peau.

Peut-être espérez-vous, si le ciel ne m’exauce,

Sachant que les forêts font rares dans la Beauce,

Pourvoir à nos besoins pour une bonne fois,

Et me faire à Paris provision de bois ;

Mais enfin...

CLIMÈNE.

Ce courroux est assez légitime,

Si vous n’avez pour moi qu’une si faible estime.

LE BEAUCERON, entend du bruit.

Qu’entends-je ?

CLIMÈNE.

Vous devez...

LE BEAUCERON.

Rentrez, j’entends du bruit.

CLIMÈNE.

Je prétends...

LE BEAUCERON.

Eh morbleu ! faites ce qu’on vous dit.

 

 

Scène IX

 

CHAMPAGNE, LE BEAUCERON

 

LE BEAUCERON.

Où cours-tu ? Que fais-tu ? Quel courroux te transporte ?

CHAMPAGNE, fermant la porte de la salle sur lui.

Monsieur, on vient là-bas de forcer notre porte.

Avec leur loterie ils ont le diable au corps.

LE BEAUCERON.

Maudit soit l’embarras !

CHAMPAGNE.

J’ai fait tous mes efforts,

Avecque le cocher, et la presse est si grande...

LE BEAUCERON.

Avant que jusqu’à nous cette foule s’étende,

Prends avec toi la Brie, et courez promptement

Près de Climène, elle est dans son appartement ;

Défendez-en l’entrée, et que pas un n’en sorte,

Et tâchez d’empêcher qu’on ne force sa porte.

Oh ! Béatrix !

 

 

Scène X

 

LE BEAUCERON, BÉATRIX

 

BÉATRIX.

Monsieur ?

LE BEAUCERON.

Va chercher de ce pas,

Le Suisse que tu dis.

BÉATRIX.

J’y vais.

LE BEAUCERON, seul.

Quel embarras !

Le peuple et les galants tour-à-tour sont ma peine.

Ah ! je ne prétends plus quitter d’un pas Climène.

Rentrons, le bruit augmente, et le peuple est mutin ;

Afin de l’apaiser, envoyons-lui Martin.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

BÉATRIX, LE BASQUE, vêtu en Suisse

 

LE BASQUE, pendant que Béatrix regarde s’il n’y a personne.

Lestre dans sty lochis que sty Monser demeure ?

Qu’il dit que j’ viendre moy ly servir tout à stheure ?

BÉATRIX, ayant regardé partout.

Trêve de gravité, personne ne nous voit.

LE BASQUE.

As-tu bien regardé ?

BÉATRIX.

Oui, nous sommes seuls.

LE BASQUE.

Soit,

Ma chère Béatrix !

BÉATRIX.

Ah ! laissons la sornette,

Suisse fait à la hâte.

LE BASQUE.

Ah ! charmante Soubrette,

Si tu voulais ; pour toi je souffre nuit et jour,

Tes yeux m’ont fait pour toi galérien d’amour ;

Je ne suis même ici Suisse que pour te plaire.

Si je pouvais un jour ramer dans ta galère !

Ne m’aimerais-tu plus ?

BÉATRIX.

Ne sais-tu pas que si !

LE BASQUE.

Puisque tu m’aimes donc, et que je t’aime aussi,

Pourquoi tant de façons !

BÉATRIX.

Il n’est pas temps de rire,

Tu vois ce qu’il faut faire, et sais ce qu’il faut dire,

Songe à jouer ici ton rôle comme il faut,

Je vais au Beauceron te conduire là-haut.

Il vient, prépare-toi.

 

 

Scène II

 

LE BEAUCERON, LE BASQUE, BÉATRIX

 

BÉATRIX.

Monsieur, voilà le Suisse.

LE BASQUE.

Monser chil viendre icy ly rendre moy sersice ;

Si vous l’y prendre moy, je ly servir fort bien,

Si vous n’estry content, moy ly demandi rien.

LE BEAUCERON, après l’avoir regardé.

On ne peut mieux parler, tu n’as rien fait qui vaille.

BÉATRIX.

Ce Suisse est votre fait.

LE BEAUCERON.

D’un Suisse a-t il la taille ?

BÉATRIX.

Quoi ! celui-ci, Monsieur, n’est pas à votre gré ?

LE BEAUCERON.

Il en faut prendre un gras, gros, grand, joufflu, carré,

Barbu de deux bons pieds, et qui fût fait de sorte

Que, de son ventre seul, il pût boucher la porte.

C’est un méchant ménage, et pour un tel logis,

Il en faudrait un gros, ou du moins deux petits.

BÉATRIX.

Ces gros Suisses, Monsieur, avec leur barbe sale,

Et leur ventre de son, font des Suisses de balle.

Étant plus maigre qu’eux, il fera plus dispos,

Et je l’aimerais mieux, comme il est, que plus gros.

Écoutez, et voyez.

LE BASQUE.

Matame Piatille

M’afre dit que Monser voudre aver un bon drille,

Per garder sty maison chel ly garder pien moi.

LE BEAUCERON.

En avez-vous gardé quelqu’autre part ?

LE BASQUE.

Mon foi,

L’autry chour un Monser tonner un Cometie,

Tans son champre, il tient la dy fort bon compagnie.

Dy for pon fiolon, ly fthom afre moy pris,

Per faire moi garder ly maison dy lochis,

Ly voudrais bien pefcher (car il afre in bel fame)

Qu’un grand petit Monser parlît point à Montame :

Il vient, chil pousser luy ; coquin, dir luy party :

Chy leftre point coquin moy, toy lafre menty.

Ly donne un coup de pié dans mon eu par derrière,

Et dit qu’il donner moy bien de cou di trifière,

Trifière, à moy ! tâche : avec ftuy gros martiau

Dil porte en ly ferman chil casser son musiau.

LE BEAUCERON.

Fort bien.

BÉATRIX.

Entendez-vous toute cette harangue ?

LE BEAUCERON.

Le beau doute, j’entends toute forte de langue.

Je ris de son récit, le drôle n’est point sot.

BÉATRIX, riant aussi.

Et moi, Monsieur, j’en ris sans entendre un seul mot.

LE BEAUCERON.

Entra-t-il ?

LE BASQUE.

Lentry don, si lentry, par firnêtre.

La Matam’ fafre çà, et ly veut que mon maître,

Chasser moy ; mais party mon maître y jur son foy.

Que cheftre pon quarson et qu’il chasser point moy,

Y pour mon ricoupans my tonne un grand pistole.

LE BEAUCERON, à part.

Que ce Suisse pour nous était en bonne école !

Et qu’il me fait bien voir par sa naïveté,

Qu’il a servi des gens tout pleins d’honnêteté !

Béatrix a raison, il est sans artifice ;

Et ce n’est pas la taille, enfin, qui fait le Suisse.

Au Basque.

Comment vous nommez-vous ?

LE BASQUE.

Torfren.

LE BEAUCERON.

De quel canton ?

LE BASQUE.

Dy Berne, il estre pon sty canton.

LE BEAUCERON.

Oui, fort bon,

À part.

Faisons-lui sa leçon.

À Béatrix.

Allez dire à Climène

Que de descendre en bas elle prenne la peine,

Et qu’elle vienne voir notre officier nouveau.

BÉATRIX.

J’y vais.

À part.

Notre cousin donne dans le panneau.

 

 

Scène III

 

LE BEAUCERON, LE BASQUE

 

LE BEAUCERON.

Suisse !

LE BASQUE.

Plaît-il, Monser ?

LE BEAUCERON.

Il faut servir de zèle,

Être exact, assidu, civil, hardi, fidèle.

LE BASQUE.

Oui, Monser.

LE BEAUCERON.

Gardez-vous d’être l’introducteur

De certains Messieurs, là, comme ce grand Monsieur

Qu’on voulait empêcher de parler à Madame.

LE BASQUE.

Oui, Monser, lafre fou dans sty maison son fame ?

LE BEAUCERON.

Non pas ; mais vous saurez pour ne point perdre temps.

Que je dois épouser la fille de céans ;

Et que, lorsque je vois le galant qui l’approche,

La coquette toujours a sa défaite en poche :

Je prétends l’empêcher, et veux que, sur ce point,

Vous soyez...

LE BASQUE.

Mais, Monser, tir fou l’y craindre point,

Si lestre son mary... sty Matame dy France

Aime avec ly Monser le petit réchouissance.

LE BEAUCERON.

Nous y donnerons ordre.

LE BASQUE.

Un Camarate à moy,

Qui lafre pris un fame dans sty Paris, mon soy,

Lestre riche, avre ly dans son pitit minache,

Dy pon pip, dy pon vin, pon tabac, pon formache.

Sty carogne dy fame, y sti Monser Calan,

Fisant sty suis cournar manchy tout son larchan.

LE BEAUCERON.

Si notre jeune oison, prenant l’affirmative,

Pour quelque protestant fait quelque tentative,

Il faudra m’avertir.

LE BASQUE.

Moi l’entendre point vous.

LE BEAUCERON.

Si la Belle d’ici dont je dois être époux,

Pour voir quelqu’un de ceux que son bel œil attire,

Vous parlait pour l’un d’eux, il faudra me redire

Tout ce qu’elle aura dit, en quel temps, et comment.

LE BASQUE.

Oui, Monser, j’il tir fou moy tout caillardement.

LE BEAUCERON.

Bouche close, il suffit : je vois venir Climène.

 

 

Scène IV

 

LE BEAUCERON, CLIMÈNE, LE BASQUE, BÉATRIX

 

LE BEAUCERON.

Venez. Que dites-vous du Suisse qu’on m’amène ?

CLIMÈNE.

Je le trouve fort bien, s’il est à votre gré.

LE BEAUCERON.

Voyez.

CLIMÈNE, riant.

Comme il est fait ? Ce Suisse est fort paré.

LE BEAUCERON.

Vous riez ? C’est ainsi que l’on voit dans les rues,

Ceux qui de leur pays viennent pour des recrues.

L’innocence paraît dans cet habillement,

C’est celui qu’ils devraient conserver chèrement :

Et ne jamais souffrir qu’un maître trop fantasque,

Pour les mettre chez lui, les habillât en masque ?

Peut-on se dispenser des modes d’un pays ?

Les habits qu’on leur voit, sont-ce leurs vrais habits ?

Non ; et j’appelle enfin ces âmes mercenaires,

Des Suisses renégats des modes de leurs pères.

CLIMÈNE.

Je veux croire avec vous qu’il est bien mieux ainsi,

Et puisqu’il vous agrée, il me plaît fort aussi ;

À votre jugement il faut que je me rende :

Mais servira-t-il bien ?

LE BASQUE.

Party ly pel dimande !

Chil voudre moy garder si bien ly porte à vous,

Que mon maître être pien content.

LE BEAUCERON.

Il est à nous.

CLIMÈNE.

Quand il sera content, je serai satisfaite.

LE BEAUCERON.

Parbleu ! voilà pour nous la première fleurette :

Elle est prise, et voit bien qu’il faut changer de ton :

Le Suisse opère, il faut commencer tout de bon.

Suisse, allez de ce pas vous placer à la porte,

Le peuple est fort mutin ; mais il faut faire en sorte

Que sans confusion il donne son argent.

LE BASQUE.

Ô Monser ! j’y n’y fair moy point dy manquement.

 

 

Scène V

 

LE BEAUCERON, CLIMÈNE, BÉATRIX

 

LE BEAUCERON.

Cette acquisition est fort bonne, et ce Suisse

Est comme je le veux, naïf, sans artifice,

Et nous allons avoir un peu plus de repos :

Mais pour ne point avoir la populace à dos,

Par un retardement dont déjà chacun crie,

Il faudrait promptement fermer la loterie ;

En finie au plutôt les frais et l’embarras ;

Car, enfin, ainsi qu’eux, franchement, je suis las

De tous les sots discours qu’on est forcé d’entendre.

Quand la tirerez-vous ? Ne saurait-on l’apprendre ?

CLIMÈNE.

Je ne sais ; mais enfin étant sans intérêt,

On peut rendre l’argent, si cela vous déplaît ;

Même dès à présent on peut le faire dire.

LE BEAUCERON.

Qu’on ne se presse point, je veux bien qu’on la tire ;

Cet espoir a pour moi quelque chose de doux.

Car enfin, à parler franchement entre nous,

Cela ne se fait point sans que l’on en profite,

Et vous devez avoir du moins un tiers de quitte ;

Sur ce pied qu’on la tire, autrement marché nul.

Nous savons supputer ; et, suivant mon calcul,

Ce qu’on y peut gagner, doit payer le carrosse,

Les chevaux, les habits, et les frais de la noce.

CLIMÈNE.

Quoi ! volant le public, avoir le peuple à dos ?

LE BEAUCERON.

Quoi ! prétendre employer tout cet argent en lots !

CLIMÈNE.

Comment donc ?

LE BEAUCERON.

Dites-moi quelle cérémonie

Pensez-vous observer tirant la loterie ?

CLIMÈNE.

Je prétends, pour ne point faire de mécontents,

Mêler tous les billets.

LE BEAUCERON.

Quoi ! les noirs et les blancs !

CLIMÈNE.

Sans doute, et que ce soit un laquais qui les tire

Au hasard, et sans choix.

LE BEAUCERON.

Ma foi, je vous admire !

CLIMÈNE.

Puis faire cacheter d’un cachet peu commun

Les boîtes où seront les billets de chacun ;

Éviter, si l’on peut, le bruit et la cohue,

Et que fidèlement quelqu’un les distribue.

LE BEAUCERON.

Sans les décacheter ?

CLIMÈNE.

Je le prétends ainsi.

LE BEAUCERON.

Et sans en supposer ?

CLIMÈNE.

Je le prétends aussi.

Si je sais que quelqu’un ait une telle envie...

LE BEAUCERON.

Fi ! vous ne savez pas faire une loterie,

Et ne méritez pas, dans un emploi si doux,

La bonne opinion que le peuple a de vous.

CLIMÈNE.

Je ne vous entends point.

LE BEAUCERON, tirant un livre de sa poche.

Voyez-vous bien ce livre ?

C’est lui qui vous devrait avoir appris à vivre.

Le voilà le docteur qu’il fallait consulter :

Au palais tout exprès je viens de l’acheter,

Et vais vous en citer quelque petit chapitre.

CLIMÈNE.

Qui l’a fait ?

LE BEAUCERON.

Un Abbé plein d’esprit.

CLIMÈNE.

Sous quel titre ?

LE BEAUCERON.

Le titre en est divin.

CLIMÈNE.

Montrez-le moi.

LE BEAUCERON.

Tout doux !

Il l’intitule, Avis aux Trésoriers des Fous.

C’est comme on nomme ceux qui font des loteries.

CLIMÈNE.

Ce sont d’un esprit creux quelques plaisanteries.

LE BEAUCERON.

C’est un fort habile homme, et je vous en réponds :

Écoutez, vous verrez s’il en raisonne à fonds.

Il lit.

Tout homme qui voudra faire une loterie,

Saura pour première leçon,

Que de son fonds du moins la troisième partie

Doit demeurer dans la maison.

Voilà le premier point qu’il faut qu’on établisse,

Le fondement, la base...

CLIMÈNE.

Est-il quelque justice

À piller le public ? Et n’est-ce pas voler ?

LE BEAUCERON.

C’est ce qu’il faut savoir, ou ne s’en pas mêler,

Voilà le premier point dont il faut qu’on se serve ;

Et voici le second qu’il faut que l’on observe.

Il lit.

Quand le fonds grossit une fois,

Il faut dire que de trois mois

On ne tire la loterie ;

Et cependant on doit savoir

Que, quoique tel ou tel en crie,

Il ne faut s’appliquer qu’à le faire valoir :

Qu’il faut, et sans crainte et sans trouble,

Fermer l’oreille aux cris du peuple qui s’émeut,

Et faire profiter jusques au dernier double,

Au denier quatre, si l’on peut.

Voilà, morbleu ! voilà raffiner sur la chose.

CLIMÈNE.

Quelques expédients que cet auteur propose,

C’est un dépôt sacré que l’argent du public,

En ferait-on trafic ?

LE BEAUCERON.

Si l’on en fait trafic ?

CLIMÈNE.

C’est ce que j’ignorais, et ne suis point capable...

LE BEAUCERON.

Vous l’ignoriez ?

CLIMÈNE.

Sans doute.

LE BEAUCERON.

Eh morbleu ! de quoi diable

Vous ingérez-vous donc, si vous ne le savez ?

De quoi vous sert l’esprit qu’on dit que vous avez ?

Il fallait donc, avant que la chose fût faite,

D’un livre tout pareil faire une bonne emplette,

Apprendre chaque article et n’en omettre aucun.

CLIMÈNE.

Mais j’en ferais scrupule ; et, quand j’en aurais un,

Je ne puis...

LE BEAUCERON.

Et cela ne fait peine à personne :

Écoutez sur ce point comme l’auteur raisonne.

Il lit.

Le scrupule en ce cas ne doit point s’écouter ;

Et chacun doit savoir, touchant les loteries,

Que, comme il est des fous pour faire des folies :

Il n’est des gens sensés que pour en profiter.

CLIMÈNE.

Je ne puis me servir de cette politique.

LE BEAUCERON.

Quand on la veut tirer, voici ce qu’on pratique.

Il lit.

Le tiers des billets noirs qu’on doit mettre a couvert,

Doit être donné de concert ;

Avec ses gens il faut s’entendre ;

Et leur en faire échoir exprès

Le profit...

CLIMÈNE.

Quel profit en pourrait-on attendre ?

LE BEAUCERON.

C’est où je vous attends, vous l’allez voir après.

Il lit.

Il faut que de concert un lot considérable,

Et non pas un lot tel que tel,

Se délivre au maître d’hôtel ;

Qui pour trois mois du moins défraye votre table.

Il faut faire profit des moindres petits lots,

Les distribuer à propos ;

Et pour fermer la bouche à la plainte secrète,

Qui vient de ce qu’on n’a payé, depuis quatre ans,

Ni portier, ni cocher, ni valet, ni soubrette,

Payer en billets noirs les gages à ses gens.

Ah ! voilà bien d’un fait tirer la quintessence.

Autres à qui l’auteur prétend qu’on en dispense.

Il lit.

À l’égard du marchand, du sellier, du tailleur,

Du boulanger, du rôtisseur,

Il faut, en sauvant l’apparence,

Avec tous en secret être d’intelligence :

Compter doucement avec eux ;

Lorsque l’on doit bientôt tirer les loteries,

Et mettant dans leur boîte un bon billet ou deux,

Acquitter ainsi leurs parties ;

Aussi-bien le proverbe dit,

Que qui s’acquitte s’enrichit.

Que cet homme a d’esprit !

CLIMÈNE.

Il n’est pas nécessaire,

Pour moi qui ne dois rien.

LE BEAUCERON.

Ah ! voici votre affaire.

Il lit.

Quant à ceux qui n’ont point de dettes à payer,

Ni de gens mécontents, ils pourront employer

Pour des lots dans leurs loteries,

Des meubles, des tableaux, quelques tapisseries,

Des montres, des points, des bijoux ;

Quelques flambeaux d’argent, un bassin, une aiguière ;

Et mettre pour beaucoup ce qui ne vaudra guère :

C’est pour s’en bien défaire un moyen assez doux.

On peut mettre, de plus, dedans cette occurrence,

Jusqu’à son lit, sans conséquence ;

Et, quoiqu’il soit de cinq ou six cents francs au plus,

Le faire effrontément valoir six cents écus.

CLIMÈNE.

D’accord ; mais sur ce point, la semaine dernière,

Tels eurent un procès sur semblable matière :

On vouloir le surplus, le tour est délicat.

LE BEAUCERON.

Il est vrai sur ce point qu’un flandrin d’Avocat,

De figure fort longue, et de courte éloquence,

Tira par les cheveux Cujas à l’audience,

Et voulait qu’à le rendre ils fussent condamnés :

Mais qu’en arriva-t-il ? Il n’eut qu’un pied de nez.

CLIMÈNE.

Je craindrais du public le reproche ou la plainte,

Et ne pourrais...

LE BEAUCERON.

Chacun en use ainsi sans crainte,

L’artisan fait ses lots d’un plat de son métier ;

Le bourgeois y met tout ce qu’il peut employer,

Sa vaisselle qui n’est que d’argent d’Allemagne ;

Le riche malaisé, sa maison de campagne ;

Le cuisinier y met des soupes de santé ;

Le pâtissier chez lui met pour lot un pâté ;

La couturière y met des manteaux et des cottes ;

Le cordonnier chez lui, pour gros lot, met des bottes.

Le marchand affamé, le montrant aussi fin,

Fait chez lui le gros lot d’un garde-magasin ;

Et même l’autre jour chez un apothicaire,

Pour un des moindres lots on mettait un clystère...

CLIMÈNE.

Mais le peuple s’en moque, et l’on devrait tâcher...

LE BEAUCERON.

Tant mieux, c’est un plaisir qui lui coûte assez cher.

On peut à ses dépens lui permettre d’en rire.

CLIMÈNE.

Mais...

LE BEAUCERON.

Contre cet auteur vous n’avez rien à dire.

Quoi ! d’une loterie on aura l’embarras,

Et celui qui la fait n’en profiterait pas !

Sans cesse quelque fou, qu’il faut que l’on écoute,

Vous viendra fortement proposer quelque doute ;

À chaque instant du jour il faudra, pour un fat,

Sur le nombre des lots subir interrogat :

Et, prêt à la tirer dedans ce jour de crise,

On peut avec dépens condamner sa sottise ;

Se payer par ses mains, et l’on n’en ferait rien ?

Il faudrait du bon sens avoir perdu l’usage.

Allez de cet auteur parcourir chaque page ;

Et tandis qu’à loisir vous lirez ces avis,

Je vais auprès de vous écrire à mon pays.

CLIMÈNE, à Béatrix, à part.

Va porter mon billet.

 

 

Scène VI

 

BÉATRIX, seule

 

Pendant que ce fantasque

Écrit, allons parler à notre Suisse Basque ;

Il vient de débuter plaisamment à ce fou,

L’a pris pour dupe, et m’a fait rire tout mon saoul.

Mais je le vois venir, de me voir il pétille :

Si quelqu’un...

 

 

Scène VII

 

LE BASQUE, BÉATRIX

 

LE BASQUE.

Pon chour fou, Madame Piatille.

BÉATRIX.

Laisse-là ton jargon, nous sommes seuls.

LE BASQUE.

Ma foi.

J’en suis ravi, tant mieux ; mais que dis-tu de moi ?

BÉATRIX.

Que je crois que l’on peut dire à ton avantage,

Que tu fais mieux le fou, que tu ne fais le sage.

LE BASQUE.

J’en demeure d’accord ; mais...

BÉATRIX.

Quoi ! mais...

LE BASQUE.

Je voudrois

T’apprendre à faire un peu la folle.

BÉATRIX.

Une autre fois.

LE BASQUE.

Ah ! si tu me voulais faire, sans conséquence,

Sur notre hymen futur quelque petite avance.

BÉATRIX.

Tu me prends pour une autre.

LE BASQUE.

Ah ! point du tout, ma foi.

Si je te prends jamais, je te prendrai pour moi.

BÉATRIX.

J’entends quelqu’un.

LE BASQUE, allant brusquement à la porte.

Party, si toy l’es pien, timeure ;

Ty lafre biau cogner, chy loufre d’un cartheure,

Si chil prent mon libarte, ô party... Quoi !

BÉATRIX, se moquant de lui.

Tais-toi ;

Ce n’est rien.

LE BASQUE.

Comment donc, te moques-tu de moi ?

BÉATRIX.

On peut dans cette salle aisément nous surprendre.

LE BASQUE.

Viens dedans mon taudis.

BÉATRIX.

Non ; mais je veux t’apprendre

Que je voudrais parler à ton maître aujourd’hui.

LE BASQUE.

Quelqu’un heurte à la porte, et je crois que c’est lui.

BÉATRIX.

Ouvre-lui.

LE BASQUE, cherchant la clef.

Qu’ai-je fait de la clef de la porte ?

La voici.

BÉATRIX.

Va donc vite, il attend.

LE BASQUE.

Et qu’importe ?

BÉATRIX.

Préparons le billet que ma maitresse écrit

À Léandre. Il verra que le tour est d’esprit ;

Mais je le vois.

 

 

Scène VIII

 

LÉANDRE, BÉATRIX, LE BASQUE

 

LÉANDRE.

Hé bien ! ne puis-je voir Climène ?

BÉATRIX.

Si vous vous en flattez, votre espérance est vaine,

Et si vous m’en croyez, retournez sur vos pas.

LÉANDRE.

Pourquoi ?

BÉATRIX.

Notre bourru ne l’abandonne pas ;

Et depuis que tantôt avec vous il l’a vue,

À l’obséder ainsi son âme est résolue.

Ce maudit Beauceron, pour la mieux tourmenter,

A fait mille serments de ne la plus quitter.

Il dit qu’on fait ici des tours de passe-passe,

Qu’il veut être témoin de tout ce qui se passe,

Qu’il prétend y mettre ordre, et qu’il veut empêcher

Que pas un soupirant ne la puisse approcher ;

Il vient de s’enfermer dans sa chambre avec elle.

LÉANDRE.

Ah ! que pour mon amour la fortune est cruelle !

Quoi donc ! m’étant flatté du plaisir de la voir,

Il faut perdre à la fois sa vue et mon espoir ;

Voir qu’à de si beaux nœuds on fasse violence !

Ah ! Béatrix, ce coup accable ma confiance.

BÉATRIX, lui donnant un billet.

Avecque ce billet prenez un peu d’espoir,

Et jugez si Climène a dessein de vous voir,

Et si son cœur pour vous de tendresse est capable.

LÉANDRE, après avoir lu.

Je n’en saurais douter, le tour est admirable :

Que ne te dois-je point, je n’y manquerai pas.

Béatrix, dis-lui bien que je vais de ce pas,

En suivant cet avis, éloigner le fantasque ;

Mais il me faut ici quelqu’un.

BÉATRIX.

Prenez le Basque.

LÉANDRE.

Et s’il s’en aperçoit, s’il demande pourquoi

Il est dehors ?

BÉATRIX.

Allez, je prends cela sur moi,

Je l’excuserai bien, c’est à quoi je m’engage.

LÉANDRE.

Il faut faire pour nous un autre personnage,

Basque.

BÉATRIX.

Et jouer encor un tour aussi subtil.

LE BASQUE.

Hé bien ! me voilà prêt : mais de quoi s’agit-il ?

LÉANDRE.

Je t’instruirai de tout, j’engage ma parole

Qu’auprès du Beauceron il jouera bien son rôle,

Et qu’il lui va donner à courre comme il faut.

Adieu, je sors.

BÉATRIX.

Et moi, je remonte là-haut.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

LE BEAUCERON, seul

 

Eh ! Suisse, Béatrix ! eh ! Champagne ; la Brie !

La peste soit des lots et de la loterie !

Quelle confusion !

 

 

Scène II

 

LE BEAUCERON, BÉATRIX

 

BÉATRIX.

Monsieur, que voulez-vous ?

LE BEAUCERON.

De grâce, dites-moi d’où viennent tous ces fous,

Dont auprès de Martin la chambre est tome pleine ?

BÉATRIX.

À donner leur argent ils ont assez de peine.

LE BEAUCERON.

Quoi ! notre nouveau Suisse, au-lieu de s’aguerrir,

Les laisse entrer ?

BÉATRIX.

Le Suisse est allé voir mourir

Sa femme qui, dit-on, est prête à rendre l’âme.

LE BEAUCERON.

Elle prend bien son temps pour mourir cette femme.

Que diable n’attend-elle au moins encore un jour,

Qui prend garde à la porte ?

BÉATRIX.

Attendant son retour.

Champagne...

LE BEAUCERON.

Ce maraud laisse entrer tout le monde.

BÉATRIX.

Il est confiant, Monsieur ; il faut que je l’en gronde ;

Et j’y vais de ce pas.

 

 

Scène III

 

LE BEAUCERON, seul

 

C’est fort bien fait à toi.

Quel fabat ! quel fracas ! ah ! je suis hors de moi ;

Ce désordre est enfin tout ce que j’appréhende.

 

 

Scène IV

 

LE BEAUCERON, CHAMPAGNE

 

CHAMPAGNE.

Avec empressement un homme vous demande.

LE BEAUCERON.

Que veut-il ?

CHAMPAGNE.

Je ne sais.

LE BEAUCERON.

Mais comment est-il fait ?

CHAMPAGNE.

C’est un homme qui porte un fort petit collet,

Avec un habit noir ; enfin, c’est, ce me semble,

Quelque façon d’Abbé, du moins il leur ressemble.

LE BEAUCERON.

Qu’il entre.

 

 

Scène V

 

LE BEAUCERON, seul

 

Ce sera quelque Abbé de bibus.

Ah ! que ce nom d’Abbé fait à Paris d’abus !

Mille Abbés du faux coin, en dérobent le titre,

Qui ne sauraient tenir qu’au moulin leur chapitre ;

Et comme c’est un vol qui n’est point corrigé,

On voit multiplier ces friquets du Clergé.

C’est une qualité que chacun s’administre ;

Monsieur l’Abbé, dit-on : il n’est pas jusqu’au cuistre

Qui, pour être honoré, n’en usurpe le nom.

On en trouve partout trente faux pour un bon,

Qui vont en beaux-esprits débiter leur science.

On a mis au billon les faux nobles en France ;

Ah ! si l’on y mettait, pour faire tout égal,

Tous ces usurpateurs du titre abbatial,

Le sort des vrais Abbés égalerait le nôtre,

Et cet avis, enfin, vaudrait, je crois, bien l’autre.

Il vient, je m’en doutais, et c’est un cuistre aussi ;

Que me veut-il ?

 

 

Scène VI

 

LE BEAUCERON, LE BASQUE vêtu en Abbé

 

LE BASQUE, à part.

Jouons bien notre rôle ici.

Lui faisant de grandes révérences.

Monsieur, puisqu’un hasard me donne la licence

De vous pouvoir ici faire la révérence...

LE BEAUCERON.

Monsieur, sans compliment ; votre civilité...

LE BASQUE, lui faisant la révérence.

Je sais ce que je dois à votre qualité...

LE BEAUCERON.

Trêve de révérence, il suffit d’une couple.

Monsieur, en quatre mots, j’ai le jarret peu souple ;

Finissons.

LE BASQUE, continuant.

Je dois trop...

LE BEAUCERON.

Vous l’avez déjà dit :

Si vous me les devez, je vous en fais crédit :

Que voulez-vous de moi ? Que le ciel vous confonde,

Si vous ne répondez.

LE BASQUE.

S’il faut que je réponde,

Je vous dirai, Monsieur, que je suis Beauceron.

LE BEAUCERON.

Que m’importe ?

LE BASQUE.

Et cousin de votre vigneron.

LE BEAUCERON.

Et que me fait cela ?

LE BASQUE.

J’ai même l’avantage

D’être l’un des neveux du Curé du village ;

J’ai su depuis huit jours que vous étiez ici.

LE BEAUCERON.

D’accord.

LE BASQUE.

J’en suis fort aise.

LE BEAUCERON.

Et moi fort aise aussi.

LE BASQUE.

Que vous vous portez bien !

LE BEAUCERON.

Qui vous dit le contraire ?

LE BASQUE.

Vous vous mariez donc ?

LE BEAUCERON.

Cela se pourra faire.

LE BASQUE.

Et votre épouse est jeune et belle ?

LE BEAUCERON.

L’on le croit.

LE BASQUE.

Je m’appelle la Roche.

LE BEAUCERON.

Hé bien ! la Roche, soit.

LE BASQUE.

Pour goûter sous l’hymen les plaisirs de la vie,

Vous irez au pays ?

LE BEAUCERON.

Oui, s’il m’en prend envie.

LE BASQUE.

Vous demeurez céans ?

LE BEAUCERON.

Toujours, si je n’en sors.

LE BASQUE.

Vous manque-t-on souvent ?

LE BEAUCERON.

Tant que je suis dehors.

LE BASQUE.

Pour vous rendre mes soins mon ardeur est si forte !

LE BEAUCERON.

Hé, morbleu ! voulez-vous finir de quelque sorte ?

Beauceron trop poli, parce que vous savez

Faire vingt pieds de veau, de deux que vous avez,

Voulez-vous m’insulter, et, venir, par bravades,

Me payer le respect qu’on me doit, en gambades ?

LE BASQUE.

Mais, Monsieur...

LE BEAUCERON.

Mais voilà la porte, et me voici :

Choisissez de conclure, ou de sortir d’ici ;

Toutes vos questions lassent ma patience.

LE BASQUE.

Hé bien ! je vais, Monsieur, conclure en diligence,

Et rendre mon discours bien plus clair sur cela,

Qu’un syllogisme n’est, fût-il en barbara.

LE BEAUCERON.

Ô le fâcheux pédant ! dépêchez, je vous prie.

LE BASQUE.

Chez Oronte on tira dès hier la loterie ;

J’étais près d’une table où l’on distribuait

La boîte et les billets de qui les demandait :

Chacun voulant les siens, plusieurs s’en approchèrent ;

Et la firent pencher, quelques boîtes tombèrent,

J’en pris une et voulus voir sa souscription :

In capite libri, j’aperçus votre nom.

Je la serrai, de peur qu’elle ne fût perdue ;

Et dès hier, sans la nuit, je vous l’aurais rendue :

Trop content de pouvoir, quand je le crois le moins,

Vous rendre ce service, et vous prouver mes soins.

LE BEAUCERON, prenant sa boîte.

Que ne vous dois-je point ! dedans cette mêlée,

Sans vous ma boîte était ou perdue ou volée :

Que je vous sais bon gré de n’être point larron !

Ah ! je vous reconnais ici pour Beauceron,

Et je vous qualifie, à ces marques insignes,

Cousin du directeur général de mes vignes :

Mais puisqu’enfin pour moi vous avez pris ce soin,

De ce qu’il en sera vous serez le témoin.

LE BASQUE.

Monsieur, il me suffit...

LE BEAUCERON.

Ah ! Monsieur de la Roche,

Demeurez.

LE BASQUE.

J’obéis.

LE BEAUCERON,
tirant des ciseaux, et ouvrant la boîte et ses billets.

J’ai des ciseaux en poche,

Voyons dans ce premier.

LE BASQUE.

S’il pouvait être noir.

LE BEAUCERON.

Ah parbleu ! je commence...

LE BASQUE.

Hé bien ?

LE BEAUCERON.

À ne rien voir,

Deux et trois tout pareils, alors qu’on se propose

De gagner... Ah ! ma foi.

LE BASQUE.

Quoi ?

LE BEAUCERON.

Je vois quelque chose,

C’est du noir ; oui, c’en est : Numéro vingt et six.

LE BASQUE.

Si c’était le gros lot ?

LE BEAUCERON.

Voyons, trois cents louis.

Morbleu ! trois cents louis, n’ai-je point la berlue ?

Lisons, trois cents louis : non ; j’ai fort bonne vue.

Ah ! Monsieur de la Roche, honneur des Beaucerons,

Vigneron plus heureux que tous les vignerons,

D’avoir pour son cousin un homme si fidèle,

Si rempli d’équité, de bonne-foi, de zèle,

Civil, officieux, et désintéressé.

Ah ! pourquoi dès tantôt ne vous ai-je embrassé ?

Mais je prétends enfin réparer cette faute.

LE BASQUE, se retirant.

Ah ! vous m’enfoncerez, Monsieur, plus d’une côte.

LE BEAUCERON, regardant son bon billet.

Et vous, témoin muet de tant de probité,

Digne certificat de son intégrité...

LE BASQUE.

Si vous me soupçonniez, ceci vous désabuse.

LE BEAUCERON.

Eh ! Monsieur, mille fois je vous demande excuse ;

Oublions le passé, je vous tiens à présent

Pour un homme d’honneur, et surtout bienfaisant.

LE BASQUE.

Comme je n’aspirais qu’à vous rendre service,

J’excuse le transport qui m’a tait injustice ;

Et vous honore trop pour en dire un seul mot.

Si vous voulez, tantôt vous aurez votre lot :

On les doit délivrer, et même l’heure approche ;

Je prends congé de vous.

LE BEAUCERON.

Ah ! Monsieur de la Roche,

Je suis reconnaissant, et vous me faites tort

De me quitter ainsi, le présent n’est pas fort ;

Mais daignez accepter ces vingt louis.

LE BASQUE.

De grâce,

Croyez...

LE BEAUCERON.

Dans votre cœur je sais ce qui se passe.

LE BASQUE.

L’intérêt...

LE BEAUCERON, lui donnant une bourse.

Je le sais ; mais enfin je prétends...

LE BASQUE, la prenant.

C’est pour vous obliger, Monsieur, que je les prends.

LE BEAUCERON, l’embrassant.

Adieu, venez me voir quelquefois.

LE BASQUE.

Je l’espère.

À part.

Il en tient.

LE BEAUCERON, se tournant.

Serviteur.

 

 

Scène VII

 

LE BEAUCERON, seul

 

Non ; je ne puis m’en taire ;

Je ne saurais assez admirer mon bonheur.

Ce que c’est que d’avoir affaire aux gens d’honneur !

Un ami fait tirer chez lui sa loterie,

Pour avoir ses billets le peuple presse et crie,

Ma boîte tombe à bas ; un inconnu présent,

Sans savoir à qui c’est, la ramasse, la prend,

Voit mon nom, le connaît, la rapporte lui-même.

J’ouvre trois billets blancs, et vois, au quatrième,

Numéro vingt et six, c’est être bienheureux.

Je m’en vais recevoir cet argent ; mais je veux,

En sortant, que le Suisse en ait seul connaissance,

Qu’on me croie céans, de peur qu’en mon absence,

Si quelqu’un le savait, on ne trouvât moyen

D’introduire quelqu’un sans que j’en susse rien.

Allons voir si le Suisse est de retour ; son zèle...

Mais Climène paraît, que diable cherche-t-elle ?

 

 

Scène VIII

 

LE BEAUCERON, CLIMÈNE

 

LE BEAUCERON.

Est-ce pour un galant, que l’amour, en Argus,

Vous poste en sentinelle, ou vous met à l’affut ?

Venez-vous voir, quittant votre chambre si vite,

Si vous ne pourrez point trouver un lièvre au gîte,

Ou si quelque portrait d’un métal peu commun

Sur le ventre du Suisse a fait passer quelqu’un,

Qui puisse avecque vous lier un tête-à-tête ?

Oui, car je doute enfin, vous connaissant peu bête.

Voyant vos yeux si gais, si brillants et si beaux,

Que vous vouliez tirer votre poudre aux moineaux.

Ce mouchoir bas et fait d’une dentelle claire,

Ce sein plus découvert qu’il n’est à l’ordinaire ;

Ce bras qu’un gant trop court laisse voir à demi ;

Ce pied sur des talons trop hauts mal affermi ;

Ces petits moucherons mis en diverse place,

Dont vous savez si bien parqueter votre face ;

Ces brocards bigarrés, et leur diversité ;

Ce tournebroche d’or qui vous pend au côté ;

Ce fatras de rubans chargés de nonpareilles,

Ces contrepoids brillants pendus à vos oreilles,

Cette coiffure en l’air, ce tas de cheveux blonds,

Dont les coins ampoulés sont lardés de poinçons,

Et vos façons, de plus, en tout si peu communes,

Font voir que tout cela n’est pas mis pour des prunes.

CLIMÈNE.

Ne voulez-vous songer qu’à me persécuter,

Et n’être ingénieux que pour me tourmenter ?

La plus rare beauté veut que l’art la seconde ;

Il faut être à la mode, ou renoncer au monde.

Outre que je ne vois dans mon ajustement

Rien que de fort modeste : à parler franchement,

Tout vous choque, et surtout vous voulez me contraindre.

LE BEAUCERON.

Il est vrai, j’ai grand tort, cousine, de me plaindre.

Je devais, sans troubler tantôt votre entretien

Avec ces deux messieurs, palier sans dire rien ;

Je devais avec eux, pour flatter votre attente,

Laisser agoniser votre pudeur mourante,

Et voir d’un œil tranquille, et plus commode enfin,

Un reste de vertu qui tirait à la fin.

Je crois que sur ce pied j’aurais l’heur de vous plaire ;

Mais on en dirait trop, si je pouvais m’en taire ;

Je suis sur ce sujet difficile à ferrer,

Et ne fais pas façon de vous le déclarer.

CLIMÈNE.

Des discours si piquants ont un peu trop de fuite ;

Mais sur quoi pouvez-vous censurer ma conduite ?

Ai-je dans mes habits rien qu’on puisse blâmer ?

LE BEAUCERON.

Non.

CLIMÈNE.

Rien dans mes discours qui vous doive alarmer ?

LE BEAUCERON.

Non.

CLIMÈNE.

Rien dans l’entretien contre la bienséance ?

LE BEAUCERON.

Non.

CLIMÈNE.

Sur quoi fondez-vous donc tant de défiance ?

LE BEAUCERON.

Voyez-vous ! les habits, les discours, l’entretien ;

Cela, c’est quelque choie, et si, cela n’est rien ;

C’est votre cœur qui donne entrée à la fleurette ;

C’est entre cuir et chair que vous êtes coquette,

Et je voudrais enfin, pour voir mes feux contents,

Avec moins du dehors, avoir plus du dedans.

CLIMÈNE.

Je vous entends toujours plaindre de quelque chose.

LE BEAUCERON.

Je trouve auprès de vous toujours quelqu’un qui cause.

CLIMÈNE.

Puis-je être auprès des gens, et ne leur dire mot ?

LE BEAUCERON.

Et puis-je l’endurer sans passer pour un sot ?

CLIMÈNE.

La civilité veut...

LE BEAUCERON.

Afin que sans surprise

L’amour, de notre hymen, tasse un hymen de mise,

Qui n’ait pour compagnon jamais le repentir,

De mes infirmités je veux vous avertir ;

Et vous pourrez compter là-dessus. Je vous aime,

Trop et trop peu ; deux mots expliquent cet emblème :

Trop pour ne pas vouloir devenir votre époux,

Trop peu pour ne vouloir que la moitié de vous ;

Et souffrir, me donnant lors que je vous acheté,

Qu’une moitié se donne, et que l’autre se prêter

Cette première régie est sans exception,

Je tiens un peu beaucoup à mon opinion ;

Je ne me contrains guère, et même je m’en pique.

Je suis souvent chagrin, et quelquefois critique :

Je suis vieux, ombrageux, d’assez méchante humeurs

Si je ne suis pas beau, je ne fais point de peur :

Mais naturellement j’ai de la défiance,

Beaucoup de jalousie, et peu de complaisance ;

Enfin mon plus beau trait, c’est quinze-mille francs,

Que je mange ou je bois, s’il me plaît, tous les ans.

Cependant je prétends, si l’hymen en décide,

Être de votre sœur seul pilote et seul guide :

Que dans votre entretien autre que moi n’ait part,

Rendre votre air coquet un peu plus campagnard ;

Et qu’en faveur des soins que j’ais pris à vous plaire,

Votre amour vagabond devienne sédentaire.

Je veux vous tenir lieu de galant, de mari ;

D’Adonis, de Phœbus, de cher, de favori ;

Que ce cœur soit à nous, et jamais ne permette

Que quelqu’autre Apollon conduise ma brouette.

En peu de mots, voilà matière à décider.

Vous verrez si cela vous peut accommoder,

Et me direz tantôt quelle est votre pensée.

CLIMÈNE.

Sans attendre...

LE BEAUCERON.

Et cela n’est pas chose pressée ;

Je n’ai pas le loisir.

CLIMÈNE.

Mais...

LE BEAUCERON, la faisant rentrer.

Mais c’en est assez ;

Vous me direz tantôt ce que vous en pensez.

 

 

Scène IX

 

LE BEAUCERON, seul

 

Me voilà délivré ; courons en diligence

Recevoir cet argent ; mais cachons notre absence ;

Je vais donner mon ordre au Suisse sur ce point...

Le voici.

 

 

Scène X

 

LE BEAUCERON, LE BASQUE, vêtu en Suisse

 

LE BASQUE, dans l’entrée.

Chil tir toy party qui lentry point,

Toy ly veut voir Montam’ chi lestre point un pête.

LE BEAUCERON.

Qu’est-ce, Canton de Berne ?

LE BASQUE.

Il my rompre mon tête,

Un Gascon pour lentrer, chil jetir son chapiau,

D’un coup de mon libarte, au mitan di russiau.

LE BEAUCERON.

Vous avez fort bien fait... Mais, Suisse, votre femme,

À ce que l’on m’a dit, est prête à rendre l’âme.

LE BASQUE.

Oh ! point ; chi ly reviendre un Monser Médiçain.

LE BEAUCERON.

Le répit n’est pas grand :

À part.

son sang-froid me fait rire.

Ce n’est rien, un Monsieur Médecin vient de dire,

Que ce n’est que demain que sa femme mourra...

Et vous n’en êtes pas plus ému que cela ?

LE BASQUE.

Oh ! ly connestre pien Médiçain.

LE BEAUCERON.

Une affaire

M’oblige de sortir : il sera nécessaire,

Si quelqu’un me demande, après m’avoir cherché,

De dire que je suis dans ma chambre empêché,

Même à ceux du logis, à moins que de me suivre.

LE BASQUE.

Chil tir quil tormi vou pien fort et qu’il estre ivre.

LE BEAUCERON.

J’aimerais mieux encor que l’on me crût dehors,

À part.

Qu’ivre dans le logis. Je crains bien, si je sors,

Que ce Suisse ingénu ne gâte le mystère.

Haut.

Je suis un peu pressé, voici ce qu’il faut faire.

Je veux, quoique dehors, qu’on me croie céans.

Comme la loterie attire bien des gens,

Pour donner leur argent, il faut à tous leur dire

Que l’on n’en reçoit plus, que demain on la tire ;

Et, pour les empêcher de vous persécuter,

Il faut ne point répondre et les laisser heurter.

LE BASQUE.

Oui, Monser.

LE BEAUCERON.

Et surtout ne point ouvrir la porte

Jusques à mon retour, à personne ; il m’importe

Qu’on soit exact.

LE BASQUE.

Sûr fou party, quil lentrera

Rien point d’aut’ que mon Maître ou pien moi...

LE BEAUCERON.

Bon cela ;

C’est assez ; et je fors après cette assurance.

LE BASQUE, à part.

Il en tient.

LE BEAUCERON, revenant.

Mais surtout, cachez bien mon absence

À tous ceux du logis.

LE BASQUE.

Ô fou me lafre dit.

À part.

Qu’il est dupe !

LE BEAUCERON, revenant encore.

Si...

LE BASQUE.

Quoi, Monser ?

LE BEAUCERON.

J’entends du bruit,

Cela suffit, je sors.

LE BASQUE.

Chil louvre fou sty porte.

 

 

Scène XI

 

BÉATRIX, seule

 

Enfin, il est dehors : que Belzébut l’emporte,

Sans oublier quiconque en aura du souci.

Je suis depuis une heure en sentinelle ici,

Pour voir s’il sortirait ; combien il a de peine

À sortir ! mais allons en avertir Climène.

Ne vois-je pas Léandre ?

 

 

Scène XII

 

LÉANDRE, BÉATRIX, LE BASQUE

 

BÉATRIX.

Étiez-vous à l’affût,

Pour être ici sitôt ?

LÉANDRE.

Depuis une heure et plus,

J’attendais, sur le pas d’une porte voisine,

Qu’il sortît.

LE BASQUE.

L’on n’a point éventé notre mine.

Mais quand reviendra-t-il ? dis-moi, te l’a-t-il dit ?

BÉATRIX.

Quoi qu’il fasse, il ne peut revenir qu’à la nuit :

Oronte loge loin d’ici, quoiqu’il se presse...

LÉANDRE.

Tant mieux, je vais donc voir ta charmante maîtresse.

BÉATRIX.

Venez.

LÉANDRE, à son valet.

Mais souviens-toi qu’il faut bien achever.

LE BASQUE.

Vivez en repos.

À Béatrix.

Toi...

BÉATRIX.

Je viens te retrouver.

LE BASQUE.

D’accord ; et nous pourrons, nous sentant de la fête,

Régler notre entretien dessus leur tête-à-tête.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

LE GASCON, seul

 

À la fin, j’ai trouvé moyen d’entrer céans :

La porte est à présent ouverte à tous venants,

Grâce au Suisse qui dort, et qui sans doute est ivre.

C’est un fâcheux maraud dont le ciel me délivre ;

S’il n’était endormi, j’aurais pu m’en venger :

Ce coquin m’a cent fois pensé faire enrager,

Et, dès que je venais me montrer à la porte,

Me la fermait au nez très rudement. N’importe ;

Je la lui garde bonne, et, devant qu’il soit peu,

Nous compterons ensemble et nous verrons beau jeu ;

Je sais qu’il ne l’a fait que pour me faire niche :

Mais de coups de bâtons le ciel m’a fait peu chiche.

Où se font donc fourrés tous les gens du logis !

Mais n’aperçois-je pas Monsieur Martin ?

 

 

Scène II

 

LE GASCON, MARTIN

 

MARTIN.

Quid vis ?

LE GASCON.

Que vous parliez Français ; dites franc, je vous prie,

Quand prétend-on céans tirer la loterie ?

MARTIN.

Cette affaire demande une uniformité

De candeur, de loisir, et de sagacité.

Un auteur très sensé dit que l’exactitude

Se trouve rarement avec la promptitude.

Le peuple cependant abordant à milliers,

Et la foule causant des débats journaliers,

Du contraste, du bruit, d’autres choses fâcheuses,

Des altercations même contentieuses,

Je souscris aujourd’hui les boîtes de ma main,

Et l’on prétend tirer les billets dès demain.

LE GASCON.

Diou me damne ! j’en suis au comble de la joie ;

Pour me mettre en repos je n’ai que cette voie.

Comment ! À chaque jour je crève dans ma peau,

J’ai toujours aux talons quelque fâcheux nouveau ;

Après moi, sans quartier, sans cesse quelqu’un crie ;

Et si ! on ne tirait bientôt la loterie...

MARTIN.

Eh ! qu’importe à ces gens qu’on fasse cet effort ?

LE GASCON.

Comment diable ! qu’importe ? Il importe très fort.

Les gens que je vous dis qui m’obsèdent sans cesse,

Sont six créanciers miens ; comme chacun d’eux presse.

Je me suis à la fin résolu d’assigner

Leurs dettes sur les lots que je m’en vais gagner.

Brûlant d’être payés, jugez s’il leur importe.

MARTIN.

Quoi ! vous croyez payer vos dettes de la sorte ?

Et vos créanciers, fous au suprême degré,

Prennent pour hypothèque un lot mal assuré ?

C’est vouloir les berner. Depuis quand l’espérance,

Pour pouvoir les payer, a-t-elle cours en France ?

Si vous avez dessein de payer ces Messieurs,

Croyez-moi, cherchez-leur un autre fonds ailleurs.

LE GASCON.

Vous m’embarrassez fort ; à votre loterie

Ferait-on, dites-moi, quelque friponnerie ?

MARTIN.

Vous avez tort, Monsieur, d’avoir un tel soupçon.

LE GASCON.

Veut-on favoriser quelqu’un des gros-lots ?

MARTIN.

Non.

LE GASCON.

Comment donc, tous ces lots que céans on doit faire,

N’est-ce pas de l’argent comptant ?

MARTIN.

La chose est claire.

Mais il faut pour avoir les gros-lots de céans.

Les gagner.

LE GASCON.

Cadédis, c’est comme je l’entends ;

Je prétends du gros-lot acquitter quatre dettes,

Et le gagner, s’entend. Quelle mine vous faites !

MARTIN.

Je vois, gagnant des lots, que tout ira fort bien ;

Mais qui les payera, si vous ne gagnez rien ?

LE GASCON.

Cela ne se peut pas. Que diable allez-vous dire ?

MARTIN.

Je crois que vous n’aurez pas grand sujet d’en rire.

LE GASCON.

Comment ! vous le croyez ?

MARTIN.

Oui, je vous en réponds.

LE GASCON.

Je ne gagnerai rien ? Hé bien ! nous le verrons :

Je vous ai franchement dit toute mon affaire,

Il me faut quatre lots tout au moins pour la faire ;

Si je ne gagne rien, je prétends... (vous verrez !)

Ne m’en prendre qu’à vous, et vous m’en répondrez.

 

 

Scène III

 

MARTIN, seul

 

À moi, Monsieur, à moi ? Cet homme n’est pas sage ;

A-t-on jamais tenu de semblable langage ?

S’il n’a pas quatre lots, il s’en va prendre à moi :

Il a perdu l’esprit. Mais quelqu’un vient, je croi :

De peur que ce ne soit quelque fou comme l’autre,

Sortons de cette chambre, et montons dans la nôtre.

 

 

Scène IV

 

LE BEAUCERON, seul

 

Oui, je suis pris pour dupe, et vois la fausseté ;

La boîte est supposée, et le cuistre aposté :

C’est un tour qu’on m’a fait ; j’ai reçu chez Oronte

Ma véritable boîte, et j’en ai pour mon compte ;

Et douze billets blancs me coûtent vingt louis,

J’en crève de dépit ; numéro vingt et six

Est un enfant bâtard de cette loterie,

Que l’on y désavoue, et que chacun décrie.

Pouvais-je humainement me parer de tels coups ?

Ah ! que Paris abonde en fripons, en filous ;

En batteurs de pavé, de qui la métairie,

Le revenu, le fonds consiste en industrie,

Et qui n’ont ni rubans, ni plumes, ni collet,

Qu’aux dépens du tribut qu’ils doivent au gibet !

Ce Monsieur de la Roche est un filou, sans doute ;

Mais outre le chagrin de l’argent qui m’en coûte.

De peur d’être berné je n’ose m’en vanter ;

Et ce qui doit encore ici m’inquiéter.

Plus que le déplaisir d’une semblable perte,

C’est d’avoir, en entrant, trouvé la porte ouverte !

Le Suisse de son long sur son lit endormi.

Peut-être que quelqu’un l’a fermée à demi,

En sortant du logis ; ou c’est quelque mystère.

Il est nuit, et je veux me cacher et me taire.

Si l’on me croit dehors, j’en puis être éclairci,

Et voir, sans être vu, ce qui se passe ici.

Quelqu’un vient ; écoutons.

 

 

Scène V

 

BÉATRIX, LE BEAUCERON

 

BÉATRIX.

Il est nuit, l’heure presse,

Et je crois qu’il est temps d’avertir ma maîtresse ;

Et notre Beauceron pourrait bien revenir.

Climène avec Léandre a pu s’entretenir,

Depuis qu’il est dehors ils n’ont bougé d’ensemble.

LE BEAUCERON, à part.

Quoi ! Léandre est céans !

BÉATRIX.

Quand un hasard assemble

Deux amants que l’amour unit en même temps,

Il le passe, ma foi, des moments bien plaisants :

On cajole, on badine, on ne songe qu’à plaire,

L’œil devient plus brillant qu’il n’est à l’ordinaire :

Un certain rouge au teint donne un nouvel éclat,

On a de l’enjouement, le sang bout, le cœur bat.

On s’entretient un temps, puis on fait quelques pauses ;

On se fait, on se dit mille sortes de choses :

De mille plaisants mots on larde l’entretien ;

Et sans le tête-à-tête, enfin l’amour n’est rien.

LE BEAUCERON, à part.

La peste ! qu’elle en sait !

BÉATRIX.

Je juge par moi-même,

Du plaisir que l’on a d’être avec ce qu’on aime ;

Le Basque et moi voyions tantôt nos feux contents.

Nous avons assez bien employé notre temps.

Enfin, à sa manière il me contait sa peine ;

Il était mon Léandre et j’étais sa Climène ;

L’Amour dans ce logis était pris au collet,

Et je disais pour lors, tel maître, tel valet ;

C’est un plaisant garçon, et pas un n’en approche ;

Qu’il a plaisamment fait le Monsieur de la Roche !

Et pour faire sortir d’ici le Beauceron,

Qu’il a bien contrefait son visage et son ton !

Les vingt louis en sont une assez bonne marque.

LE BEAUCERON, bas.

Ah ! Masque, c’est donc vous qui conduisez la barque !

BÉATRIX.

D’abord qu’il a trouvé numéro vingt et six,

Il a cru bonnement que les trois-cents louis

L’attendaient tout comptés, il est sorti sur l’heure

Comme nous l’espérions. Il est bon, ou je meure !

On lui garde des lots ! Par ma foi, ce magot

Mériterait d’avoir des cornes pour son lot.

LE BEAUCERON, à part.

Avis au lecteur.

BÉATRIX.

Mais il doit savoir, je pense,

Que l’on l’a pris pour dupe, et j’en ris par avance.

Ce n’est qu’entre ses dents qu’on le verra pester,

Il est trop glorieux pour s’en venir vanter.

Je voudrais bien avoir le plaisir de l’entendre.

Mais je ne vois venir Climène ni Léandre,

Allons les séparer ; dedans cet entretien

Ils passeront la nuit, si l’on ne leur dit rien.

 

 

Scène VI

 

LE BEAUCERON, seul

 

Ah, ah ! chacun ici cajole à tour de rôle.

Léandre est seul auprès de Climène, et le drôle

Avec ceux du logis était donc du complot,

Pour me faire acheter l’apparence d’un lot !

Ah, Mégère ! ah, serpent ! oui, cette fine mouche,

De l’honneur de Climène est la pierre de touche,

Et ne se défend pas de garder le manteau,

Pourvu que la traitresse ait sa part au gâteau.

Maudite Béatrix, peste d’une famille,

Pernicieux brûlot de l’honneur d’une fille,

Écueil de sa pudeur, c’est toi qui la séduis,

Qui lui donnes le jour un avant-goût des nuits.

Pour veiller dessus eux, je n’avais que le Suisse :

Ils ont pour l’enivrer employé l’artifice,

Et ce pauvre garçon, étendu sur son lit,

A semblé me vouloir dire qu’on me trahit :

Il semblait, exhalant une vineuse haleine,

S’excuser de sa faute, et condamner Climène ;

Et vouloir, en ronflant, me dire à mon retour

Que malgré lui Bacchus a fait entrer l’Amour.

Ce Monsieur de la Roche est valet de Léandre,

Il s’appelle le Basque, et je le viens d’apprendre.

Je ne le connais point, mais je prétends ravoir...

Quelqu’un vient, écoutons sans qu’on nous puisse voir.

 

 

Scène VII

 

LÉANDRE, CLIMÈNE, BÉATRIX, LE BEAUCERON

 

LÉANDRE.

Fut-il nous séparer ? Que cet ordre est sévère ?

BÉATRIX.

J’en demeure d’accord, cela ne vous plaît guère,

Pour quitter ce qu’on aime, il n’est jamais trop tard.

Cependant il est temps de faire bande à part.

LÉANDRE.

Je vois bien qu’il me faut éloigner de Climène,

Mais souffre, en la quittant, que je flatte ma peine ;

Lasse agir mon respect et ma flamme en ce lieu,

Jusqu’au dernier moment de ce funeste adieu :

Le mortel déplaisir où cet adieu me plonge

Me fait envisager mon bonheur comme un songe.

Un demi-jour a vu sa naissance et sa fin,

Madame, et cet effet de mon mauvais destin

Me fait appréhender de me voir plus à plaindre,

Qu’un brutal dont l’ardeur s’efforce à vous contraindre,

Et que je percerais plutôt de mille coups,

Que de souffrir jamais qu’il devînt votre époux.

LE BEAUCERON, bas.

Ah ! le fâcheux rival !

CLIMÈNE.

Cette plainte m’offense

Et mon amour vous doit tenir lieu d’assurance ;

Ce cousin de nos coups n’a pu se garantir.

Loin de s’en alarmer, il faut s’en divertir,

Flatter, en le jouant, notre ardeur mutuelle ;

Lui faire chaque jour quelque pièce nouvelle.

C’est un provincial épais, matériel,

Qui, dupe au dernier point, se croit spirituel.

De tous autres enfin son humeur le discerne,

Et de pareils lourdauds méritent qu’on les berne.

LE BEAUCERON, bas.

C’est encor trop d’honneur. Où m’étais-je fourré ?

BÉATRIX.

Si j’y puis quelque chose, il doit être assuré

Que nous le bernerons de la bonne manière,

Et qu’à m’en divertir je ferai la première.

LE BEAUCERON, bas.

Je me le tiens pour dit.

LÉANDRE.

Et le Basque, je croi,

Ne négligera pas ses soins non plus que moi ;

De ce que nous ferons vous serez avertie.

LE BEAUCERON, bas.

Vous faites pour le coup fort mal votre partie.

CLIMÈNE.

Je connais votre amour, vous connaissez le mien,

Il faut que notre adieu borne notre entretien :

C’est perdre en vains discours les moments qui se passent,

Séparons-nous, la nuit et mon devoir vous chassent.

LÉANDRE.

Quand nous reverrons-nous ?

CLIMÈNE.

Demain.

LÉANDRE.

Où ?

CLIMÈNE.

Dans ce lieu.

BÉATRIX.

Vous le saurez du Basque.

LÉANDRE.

Adieu, Madame.

CLIMÈNE.

Adieu.

 

 

Scène VIII

 

LE BEAUCERON, seul

 

J’en tiens ; ils ont assez agité la matière ;

Je suis pris pour un sot de plus d’une manière ;

Je suis suffisamment éclairci de leurs feux,

Et je serai cocu dès demain, si je veux :

Je n’ai qu’à l’épouser, c’est une affaire faite.

Ceci ne va pas mal. Ah ! petite coquette !

Vous m’en donnez d’avance, et ce cœur empaumé

Coupe le nœud d’hymen avant qu’il soit formé !

Sans craindre ni prévoir ma juste réprimande,

Vous laissez fourrager le pré que je marchande,

Et me croyez d’humeur à vous donner la main,

Quand pour moi votre honneur n’aura que du regain,

Et mon amour pour vous tiendrait encor pied ferme !

Allez, de la vertu vous n’êtes qu’un faux germe,

Vous n’êtes de l’honneur qu’un indigne avorton :

Et vous n’en connaissez tout au plus que le nom.

Leur adresse et leurs soins ont enivré le Suisse :

Mais, en voulant me nuire, ils m’ont rendu service ;

Léandre sans cela n’eût pu le rendre ici,

Et mon cœur de leurs feux n’eût pu s’être éclairci ;

C’est dans cette maison le seul qui m’est fidèle,

De l’ingénuité c’est un parfait modèle ;

Et pour ce Suisse enfin ma bonté se résout...

Mais quelqu’un vient encor, écoutons jusqu’au bout.

 

 

Scène IX

 

BÉATRIX, LE BEAUCERON, caché

 

BÉATRIX.

Basque ?

LE BEAUCERON.

C’est Béatrix ; elle appelle le Basque.

Examinons-le avant que de lever le masque.

 

 

Scène X

 

LE BEAUCERON, BÉATRIX, LE BASQUE

 

LE BASQUE, faisant des faux-pas comme un homme qui a bu, et tenant une lanterne.

Que veux-tu ?

BÉATRIX.

Pour dormir, prends-tu pas bien ton temps

Notre bourru dans peu doit se rendre céans,

Il est dans ce moment prêt à rentrer peut-être.

LE BASQUE.

Qu’importe ?

LE BEAUCERON.

C’est le Suisse, oui, lui-même ! ah ! le traître !

LE BASQUE.

Par ma foi, finissant tantôt notre entretien,

J’ai bu neuf ou dix coups qui m’ont fait bien du bien.

LE BEAUCERON.

Il parle bon Français. Ah, ah ! Canton de Berne,

Vous êtes du complot aussi, quand on me berne !

LE BASQUE.

Qu’on vend dans ce quartier d’admirable sirop !

BÉATRIX, jetant sa lanterne à bas.

Mais veux-tu me brider le nez de ton falot ?

LE BASQUE.

À traits fréquents et longs j’ai vidé trois bouteilles,

Qui m’ont, morbleu ! qui m’ont fait dormir à merveilles.

BÉATRIX.

Et si pendant ce temps le cousin fût venu ;

Ou qu’il fût même entré sans que tu l’eusses vu,

C’est une occasion qui pourrait s’être offerte,

Et quelqu’un aurait pu laisser la porte ouverte.

LE BASQUE.

Oui-dà, comme tu dis, cela se pourrait bien.

Ta raison est fort bonne, et même... Il n’en est rien.

Laissons-là le passe, dis-moi donc...

BÉATRIX.

Qu’est-ce ?

LE BASQUE.

Écoute.

BÉATRIX.

Te voilà beau garçon !

LE BASQUE.

N’est-il pas vrai ?

BÉATRIX.

Sans doute.

LE BEAUCERON.

Que le coquin est fou !

LE BASQUE.

Faut-il encor longtemps

Faire soir et matin sentinelle céans ?

BÉATRIX.

Cela pourra cesser, si le ciel nous exauce.

LE BASQUE.

Ah ! le vilain Monsieur, que ce Monsieur de Beauce.

Je me tromperais fort, s’il n’était pas cornard.

LE BEAUCERON, bas.

Vous en aurez menti, Suisse de Vaugirard.

BÉATRIX.

C’est assez raisonner ; ne bois de la soirée,

Et tâche à rattraper ta raison égarée.

Si le Beauceron vient, ne lui dis que deux mots :

Il vaut mieux en moins dire et parler à propos ;

Jusques à son retour prends bien garde à la porte.

Adieu.

LE BASQUE.

Quoi ! tu voudrais me quitter de la sorte ?

BÉATRIX.

Tes discours à présent n’auront jamais de fin.

LE BASQUE.

Encore un petit mot.

BÉATRIX.

Ah ! que tu sens le vin !

LE BASQUE.

Que j’aime à t’embrasser !

BÉATRIX.

Que je hais un ivrogne !

LE BASQUE, la voulant embrasser.

Béatrix.

BÉATRIX, se retirant, rentre.

Laisse-moi.

LE BASQUE, tombe.

Peste de la carogne !

À l’entendre, on croirait, ma foi, que je suis fou ;

Je l’aimerais encor ! je ferais un grand fou.

Tu me quittes, je vais te rendre la pareille,

Et ne veux désormais aimer que ma bouteille ;

Mais, en nous retirant, gardons de nous heurter.

 

 

Scène XI

 

LE BEAUCERON, seul

 

Tous sont d’intelligence, et je n’en puis douter :

À trafiquer d’amour chacun ici s’exerce,

Par de différents soins on fait même commerce ;

J’allais, en l’épousant, me coiffer comme il faut ;

Et mon honneur, je pense, allait faire un beau faut :

Et vous, Suisse à deux mains, moulé de plus d’un masque,

Vous êtes un fripon, Monsieur l’Abbé le Basque :

Qui diable eût jamais pu, le voyant si naïf,

Douter que ce maraud fût un Suisse effectif,

Ou croire que Climène aurait eu l’artifice

D’introduire un valet de son galant pour Suisse ?

Et moi, qui m’y fiais, j’étais en bonne main !

Ah ! je vais... Non ; mettons la partie à demain

Il est tard ; je prétends, en évitant sa vue,

Laisser jusqu’à ce temps rasseoir ma bile émue :

Et, pour passer en paix le reste de la nuit,

Je vais me retirer dans ma chambre sans bruit.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

BÉATRIX, LE BASQUE

 

BÉATRIX.

Quoi ! tu voudrais encor soutenir le contraire ?

L’effronterie est grande, et je ne puis m’en taire.

LE BASQUE.

Oui, je te le soutiens, il a couché dehors ;

Il n’est point revenu ; j’en réponds corps pour corps.

BÉATRIX.

Quoi ! notre Beauceron est dehors ?

LE BASQUE.

Oui, lui-même.

BÉATRIX.

Il n’est point rentré ?

LE BASQUE.

Non.

BÉATRIX.

L’impudence est extrême.

LE BASQUE.

Je gage contre toi que depuis hier au soir...

BÉATRIX.

L’obstiné ! je te dis que je le viens de voir :

Qu’il est dans le jardin tout seul qui se promène,

Et qu’il m’a demandé ce que faisait Climène ?

LE BASQUE.

Aujourd’hui ?

BÉATRIX.

Oui, depuis un quart-d’heure de temps.

LE BASQUE.

Tu l’as vu, si tu veux ; mais il n’est pas céans.

Car ici, depuis hier, il n’est entré personne.

Quoique cette raison puisse seule être bonne ;

J’ajoute, pour parler catégoriquement.

Que je n’ai pas quitté la porte d’un moment,

Que j’en ai toujours eu la clé dedans ma poche,

Qu’on ne peut justement m’en faire de reproche ;

Que ce fou que tu viens, dis-tu, de rencontrer,

Ne s’est pas seulement présenté pour entrer ;

Que tu m’en fais ici des plaintes inutiles,

Et que, s’il est entré, c’est par-dessus les tuiles.

Tu peux dire à présent tout ce que tu voudras.

BÉATRIX, le menant par le bras devers le jardin.

Toujours même chanson ? Ma foi, tu le verras ;

Ce n’est que par tes yeux que je veux te confondre :

Le voici, qu’en dis-tu ?

 

 

Scène II

 

LE BEAUCERON, BÉATRIX, LE BASQUE

 

LE BASQUE, le voyant.

Je n’ai rien à répondre ;

Je vois qu’il est entré ; mais je ne sais par où,

Sans doute ce fera pendant que j’étais fou.

LE BEAUCERON.

Allez voir si Climène à présent est visible ;

Et lui dites, en cas qu’elle soit accessible,

Que je veux lui parler, et voudrais bien savoir

S’il faut que je l’attende, ou si je l’irai voir.

Au Basque qui veut y aller.

Je parle à Béatrix : laissez-la faire, Suisse.

 

 

Scène III

 

LE BEAUCERON, LE BASQUE

 

LE BASQUE.

Chil ly veux moi toujours rendre à vous bon service.

LE BEAUCERON.

Ah ! je m’en doute bien.

À part.

Ah ! l’effronté coquin !

LE BASQUE.

Chil tir qu’en tiri point sty lotry que timain.

Tout que vous ly tir moi je l’afre fait tout comme.

LE BEAUCERON.

Vous êtes, je le sais, un fort joli jeune homme.

LE BASQUE.

Lentry point dy Monser, mon foi, dans sty maison,

Chil servir pien mon maître.

LE BEAUCERON.

Oui, vous avez raison,

À part.

Fort bien... Fût-il jamais une telle insolence ?

LE BASQUE.

Chil servir toujours vous di même.

LE BEAUCERON.

Je le pense,

Il n’est pas malaisé, je vous crois, sans jurer.

LE BASQUE.

Chy ly fais moy...

LE BEAUCERON, à part.

Morbleu ! c’en est trop endurer.

S’il ne se tait...

LE BASQUE, à part.

Chil feux fair moy vous souvenance.

LE BEAUCERON, lui donnant un soufflet.

Tiens, de tant de babil voilà la récompense.

À part.

C’est sur mes vingt louis toujours en rabattant.

LE BASQUE.

Ô Monser !

LE BEAUCERON.

Qu’on se taise ou j’en redonne autant.

Mais je vois avancer Béatrix et Climène.

 

 

Scène IV

 

LE BEAUCERON, CLIMÈNE, LE BASQUE, BÉATRIX

 

LE BEAUCERON.

Je ne prétendais pas vous donner tant de peine :

Mais puisque vous voilà, donnez-nous deux fauteuils.

Au Suisse.

Montrez-nous les talons.

À Béatrix.

Et vous, laissez-nous seuls.

 

 

Scène V

 

LE BEAUCERON, CLIMÈNE

 

LE BEAUCERON.

Approchez-vous, Climène, et prenez votre place ;

Je prétends vous parler, et vous voir face à face :

De ce que je dirai tâchez à profiter.

CLIMÈNE.

Parlez, vous me voyez prête à vous écouter.

LE BEAUCERON.

Je ne sais si mon air, mon humeur ou ma mine

Vous forcent à vouloir n’être que ma cousine ;

Ou si Nature enfin ne m’a pas honoré

De prendre, pour me faire, un moule à votre gré ;

Si, trop laid à vos yeux, ou trop vieux, quoique riche,

De tendresse pour nous votre cœur est né chiche,

Ni même si j’en dois être bien aise, ou non.

CLIMÈNE.

Vous savez...

LE BEAUCERON.

Tope à tout ; mais vous trouverez bon,

Sans m’échauffer le sang, que, plus franc que les autres,

Après mes vérités, je vous dise les vôtres ;

Et que, dans ce discours me servant de ce droit,

Nous nous voyions tous deux par notre bel endroit ;

Étant votre cousin, et presqu’à vous, je pense

Pouvoir faire avec vous entière confidence ;

Et puisqu’enfin je puis ne vous déguiser rien,

Vous êtes une gueuse, et vous le savez bien.

Quoique dedans mon lit je veuille vous admettre,

Vous n’avez pas vaillant l’habit qu’on vous voit mettra,

Et vous êtes, enfin, malgré votre air coquet,

Aussi pauvre en bon sens, comme riche en caquet.

Votre père eut du bien ; mais enfin votre mère,

Pour payer ses galants, ne se l’épargna guère ;

Car vous n’ignorez pas qu’elle écoutait un peu,

Et que sur ce chapitre elle a joué beau jeu ;

Que cent fois sur ce point il eut bruit avec elle ;

Qu’avant que de mourir il en avait dans l’aile,

Et que ce cher cousin, plein d’un juste soupçon,

Doutait que vous fussiez même de sa façon.

Que plusieurs soutenaient, et donnaient même preuve.

Qu’encore qu’il fût mort elle n’était pas veuve :

Que l’Amour seul avait l’un et l’autre enrôlé,

Et que jamais l’hymen ne s’en était mêlé.

Je pourrais croire enfin qu’un cœur pour nous de glace,

A l’exemple d’autrui, pourrait chasser de race :

Ou craindre avec raison que l’on ne le surprît.

Ce scrupule pourrait m’embarrasser l’esprit ;

Cependant, ébloui d’une lumière fausse,

Mon cœur, pour se donner, vient du fond de la Beauce ;

J’abandonne pour vous, sans me faire prier,

Le soin de mes dindons, et de mon colombier :

Pour me donner à vous, je renonce à l’hommage

Qu’un paysan naïf me rend dans mon village ;

Le désir de vous voir sacrifie à l’amour

Mes vaches, mes moutons, toute ma basse-cour ;

Chéri dans le pays, respecté comme un prince,

Et plus noble dix fois qu’aucun de la province ;

Riche, propre, galant, bien fait, adroit à tout ;

À me voir votre époux ma bonté se résout ;

En vain pour l’empêcher quelqu’un veut s’entremettre,

Rien ne peut m’ébranler, et ma flamme vient mettre

D’un noble Beauceron le cœur à vos genoux ;

C’était beaucoup pour moi, ce n’était rien pour vous.

Vous savez bien de plus, notre chère cousine,

Que depuis quatre mois la Noblesse voisine

M’a mille fois parlé d’une rare Beauté :

Au diable l’un que j’ai seulement écouté.

Ce n’était rien encor. Je savais par avance

Qu’à toute heure aux galants vous donniez audience ;

Qu’avec eux vous étiez toujours je ne sais où ;

Que tantôt à Boulogne, et tantôt à Saint-Cloud,

Ou pour courir ailleurs vous étiez prête et prompte ;

Que vous en receviez-des présents à bon compte ;

Qu’un certain chevalier vous fit longtemps la cour ;

Qu’il vous rendait visite au moins trois fois par jour ;

Qu’après vous aviez, fait une nouvelle intrigue,

Avec un financier moins puissant que prodigue,

À force de louis dans votre cœur placé,

Qui depuis... Mais enfin laissons-là le passé ;

C’étaient d’honnêtes gens, ils étaient pleins de flamme,

Le financier est mort, Dieu veuille avoir son âme.

Quoique tant de raisons dussent me rebuter,

Je me flattais toujours de vous décoqueter,

De rendre votre humeur à mon humeur conforme ;

D’introduire chez vous doucement la réforme,

Pour en venir à bout je n’ai rien négligé.

En Argus près de vous je me suis érigé :

Pour vous plaire, et pouvoir vous détacher du reste,

J’ai fait de la dépense et je me suis fait leste.

J’ai voulu vous donner un époux sans défaut,

Acheter votre cœur dix fois plus qu’il ne vaut,

Vous rendre de mes soins le témoin oculaire.

Voilà ce que j’ai fait, en voici le salaire ;

Espérant sous l’hymen vous aimer but-à-but.

Vous m’avez prétendu donner un substitut :

Mitonner un galant, qui rendît par sa ligue

Notre hymen compatible avec un peu d’intrigue,

Et dont l’ardeur enfin, fécondant vos désirs,

Pût doubler votre époux ainsi que vos plaisirs.

Ma présence troublant votre galanterie,

Vous avez de concert fait une loterie,

Afin que votre cœur, pour l’amant adouci,

Pût avoir un prétexte à l’introduire ici.

Puis pouffant contre moi plus avant l’artifice,

D’un Basque son valet, vous avez fait un Suisse :

Vos pièges dans lesquels je suis presque tombé,

L’ont mis de Basque en Suisse, et de Suisse en Abbé ;

Et vous, enfin, avez, employant toutes choses,

Comme les Dieux défunts fait des métamorphoses.

Par ce Cuistre aposté, me prenant pour un sot,

Vous m’avez fait courir après l’ombre d’un lot ;

Cependant que tous deux, ayant l’Amour pour guide,

Riez de ma sottise et preniez le solide.

Vous m’avez, de concert avec cet imposteur,

Escroqué vingt louis qui me tiennent au cœur :

Par un fourbe qui n’a que vos feux pour ressource,

Vous avez fait porter cette botte à ma bourse ;

Et m’avez fait enfin, sans même balancer,

Payer le violon qui vous faisait danser.

A-t-on jamais parlé de trahisons si noires ?

Parlez, et dites-moi si j’ai de bons mémoires,

Et si je puis de vous m’être informé sans fruit.

CLIMÈNE.

Je ne sais qui vous peut avoir si bien instruit :

Mais vous deviez enfin donner moins de créance

Aux bruits que contre moi sème la médisance ;

Et faire en ma faveur ce que j’ai fait pour vous,

Surtout si vous songez à vous voir mon époux :

Quand de vos ennemis la langue médisante

M’a dit que vous étiez le fils d’une servante

Que votre père avait depuis plus de quinze ans ;

Que vous en aviez dix pour le moins dans le temps ;

Qu’avec elle il voulut contrarier mariage ;

Je ne vous en ai pas méprisé davantage.

De ces traits, quoique vrais, je vous défendais bien,

Et je disais partout que je n’en croyais rien.

Je pouvais espérer de vous la même chose ;

Vous ne l’avez pas fait : mon malheur en est cause.

Passons au grand effort que vous faites pour moi.

Votre cœur, dites-vous, me destinant sa foi,

Ébloui de l’éclat d’une lumière fausse,

Pour se rendre à Paris vient du fond de la Beauce :

Abandonne pour moi, sans se faire prier,

Le soin de ses dindons et de son colombier.

Certes, l’effort est grand, et je suis une bête ;

Je me devais aller jeter à votre tête :

Chercher à travers champs un époux au hasard ;

Déterrer dans la Beauce un singe campagnard ;

Et prendre pour époux, errante à l’aventure,

Quelque brute qui n’eût d’homme que la figure.

J’en conviens ; mais enfin les filles, à Paris,

Ne sont pas à ce point avides de maris.

Je viens à ces grands biens que sans cesse on me vante ;

Les quinze-mille francs que vous avez de rente,

Sont-ils en fond de terre ? on sait tout votre bien ;

Pour six ou sept, d’accord ; pour quinze, il n’en est rien.

Les huit ou neuf de plus ne sont qu’une chimère,

Que, pour vous faire honneur, votre esprit vous rend chère :

Car, comme sur ce point mille gens nous ont dit :

En quoi consistent-ils ? Parlez.

LE BEAUCERON.

En fonds d’esprit ;

Le voilà, le trésor portatif que personne

Ne nous saurait ôter, que le ciel seul nous donne,

Qu’on doit plus que ses biens priser avec raison,

Et qu’on peut...

CLIMÈNE.

En ce cas votre compte est fort bon.

Vous vous plaignez de quoi j’ai souffert compagnie ;

Sans la société, de quoi nous sert la vie ?

Ce plaisir innocent m’a toujours semblé doux ;

Mais personne n’en a si mal jugé que vous.

Notre sexe, à mon sens, deviendrait fort à plaindre,

S’il fallait qu’un critique eût droit de nous contraindre ;

Et qu’un nombre de sots dont il est en tout temps,

Nous privât du plaisir de voir d’honnêtes gens.

Ce serait, approuvant cette belle maxime,

De l’orgueil des censeurs se faire la victime ;

Faire avec son repos un divorce ennuyeux,

Et se sacrifier à la peur qu’on a d’eux.

Aussi, malgré l’effort qu’a fait la médisance,

Ses traits n’ont eu sur vous qu’une faible puissance ;

Et n’ont pu jusqu’ici, dégageant votre foi,

Vous ôter le désir de vous donner à moi ;

Ce sont-là tous vos soins : à l’égard du salaire

Qu’ils ont eu, je prétends aussi vous satisfaire.

Tandis que votre amour cherche à se signaler,

Léandre (car c’est lui dont vous voulez parler)

Avec moi de concert, employé l’artifice

Pour me voir ; je l’écoute à votre préjudice.

S’étonne-t-on, après les soins qu’il m’a rendus,

S’il le mérite mieux, que je l’estime plus ?

Il est respectueux, vous êtes brusque et sombre ;

Léandre a du bon sens, vous n’en avez que l’ombre ;

Il est discret, soumis, vous êtes fier, choquant ;

Il sent son noble, et vous votre homme de néant ;

On le prend aux habits dont il pare sa taille,

Pour un homme du temps, vous pour une antiquaille,

S’il n’a pas tant de bien, ce n’est pas un défaut,

Qui détruise...

LE BEAUCERON, se levant.

En voilà tout autant qu’il en faut,

Trêve de parallèle ; ainsi, notre cousine,

Vous aimeriez donc mieux votre idole blondine ?

CLIMÈNE.

Il est vrai, je l’écoute, et j’approuve son feu ;

Je l’aime, et je veux bien vous en faire l’aveu.

LE BEAUCERON.

Je vais, puisqu’à ce point sa flamme vous est chère,

En dire sur le champ deux mots à votre mère,

Lui conter vos amours, lui vanter votre choix,

Et j’espère, devant qu’il soit trois fois les Rois,

Qu’il en sera parlé : donnez-vous patience.

 

 

Scène VI

 

CLIMÈNE, seule

 

On va tout exiger de mon obéissance.

Et l’on va me forcer...

 

 

Scène VII

 

BÉATRIX, CLIMÈNE

 

CLIMÈNE.

Ah ! Béatrix, sais-tu... ?

BÉATRIX.

Je sais tout, comme vous ; car j’ai tout entendu.

CLIMÈNE.

Enfin, mon malheur veut que je perde Léandre ;

Au nom de mon époux il ne peut plus prétendre.

Ma mère, et ce cousin, qui me-veut malgré moi.

Par de nouveaux serments vont engager ma foi :

Il y court, et tu viens d’entendre sa menace.

BÉATRIX.

Je me moquerais bien d’eux deux en votre place :

Oui, je me lasserais d’avoir les bras liés,

Une fois c’est pour vous, que vous vous mariez.

Votre mère le veut ! on me la baille belle !

S’il est tant à son gré, que ne l’épouse-t-elle ?

CLIMÈNE.

Mais, pour t’en dispenser, qu’est-ce que tu ferais ?

BÉATRIX.

En quatre mots voilà ce que je lui dirais :

Qu’on me laisse en repos, je n’aime que Léandre ;

Je hais le Beauceron, qu’il s’aille faire pendre.

 

 

Scène VIII

 

CLIMÈNE, BÉATRIX, LE BASQUE

 

LE BASQUE.

Mon maître...

CLIMÈNE.

Que veut-il ?

LE BASQUE.

Me fait vous demander

S’il peut vous venir voir.

CLIMÈNE.

Dis-lui qu’il peut entrer.

 

 

Scène IX

 

BÉATRIX, CLIMÈNE

 

CLIMÈNE.

En vain j’empêcherais son amour de paraître ;

C’est la dernière fois qu’il me verra peut-être ;

Le plus sévère honneur peut permettre en ce jour

De donner ce dernier moment à notre amour.

 

 

Scène X

 

LÉANDRE, CLIMÈNE, LE BASQUE, BÉATRIX

 

CLIMÈNE.

Rien ne peut plus flatter ma flamme ni la votre,

Léandre ; pour époux on m’en destine un autre :

Ce cousin prétend l’être, il sait tout aujourd’hui

Ce que nous avons fait pour nous et contre lui,

Et sont des trahisons qu’il nomme sans exemples.

Après m’en avoir fait des reproches fort amples,

Et m’avoir de vos feux fait faire un libre aveu,

Il est entré, disant que, devant qu’il soit peu,

Il en fera parlé, qu’il allait voir ma mère ;

Vous savez ce qu’il faut, hélas ! que j’en espère.

LÉANDRE.

Quel revers si soudain, que je n’ai pu prévoir,

Peut en si peu de temps détruire tant d’espoir !

Mon malheur à mes feux incessamment s’oppose.

LE BASQUE.

J’ai bien vu dès tantôt qu’il savait quelque chose,

Et j’en aurais juré.

LÉANDRE.

Par qui l’as-tu donc su ?

LE BASQUE.

Par un fort grand soufflet, Monsieur, que j’ai reçu ;

J’ai bien vu qu’il cherchait à me faire querelle.

LÉANDRE.

Si pour vous à ce point votre mère est cruelle,

Et s’obstine à vouloir vous donner cet époux,

Que ferez-vous, Madame ? Hélas ! vous tairez-vous ?

CLIMÈNE.

Vous savez à quel point ma mère est absolue ;

Il faudra l’épouser, si la chose est conclue.

LÉANDRE.

Quoi ! jusqu’à cet effort votre cœur peut aller !

On ose vous contraindre, et vous n’osez parler,

Madame ! et tout l’espoir qui flattait ma confiance,

Doit se voir aujourd’hui détruit par ce silence !

Ah ! puisque votre amour est si faible pour moi,

Faites ce campagnard maître de votre foi,

Du nom de votre époux favorisez un autre ;

Mon amour aussi bien est trop grand pour le vôtre.

Adieu. Vous me voyez pour la dernière fois.

Obéissez, Madame, et faites votre choix.

 

 

Scène XI

 

LE BEAUCERON, LÉANDRE, LE BASQUE, BÉATRIX, CLIMÈNE

 

LE BEAUCERON, en habit de campagne.

Léandre, revenez ; parlons de votre flamme.

À Climène.

Vous aimez ce Monsieur ;

À Léandre.

vous, vous aimez Madame.

À Climène.

Il vous aime beaucoup ;

À Léandre.

vous en êtes chéri.

Si le cœur vous en dit, vous serez son mari.

Sa mère, ayant appris votre ardeur mutuelle,

Veut bien que vous soyez l’époux de cette Belle ;

Et pour moi, qui m’étais chargé de ce souci,

De peur d’être cocu, je le veux bien aussi.

Je ne me pique pas d’être à ce point commode.

Pour Monsieur, qui prétend toujours être à la mode,

Il peut tenter fortune, et je le tiens bien fin,

S’il s’en sauve.

LÉANDRE.

Je crains peu ce danger.

LE BEAUCERON.

Enfin,

Quoi que vous en disiez, elle en est la maîtresse.

LÉANDRE, à Climène.

Quel bonheur aujourd’hui vous rend à ma tendresse !

Au Beauceron.

Mais enfin, quel motif vous fait changer d’habits ?

LE BEAUCERON.

C’est, Monsieur, que je vais partir pour mon pays ;

J’ai conçu pour Paris une haine mortelle,

Et mon front vient ici de l’échapper trop belle ;

Je suis ce maudit lieu de coquettes farci,

Et ne suis plus si sot que de rester ici.

Les filles à Paris font pour nous trop savantes :

Il faut des gens galants, pour des filles galantes ;

Et je m’en tiens au nœud de consanguinité.

Je vais dire au pays comme l’on m’a traité,

Et je me trompe fort, quoi qu’il sente de flamme,

Si jamais Beauceron vient ici prendre femme.

 

 

Scène XII

 

LE BEAUCERON, CLIMÈNE, LÉANDRE, BÉATRIX, LE BASQUE, CHAMPAGNE

 

CHAMPAGNE.

Votre cheval, Monsieur, et votre postillon,

Sont là-bas.

LE BEAUCERON.

Serviteur.

LÉANDRE.

Comment, c’est tout de bon ?

Quoi ! vous ne verriez pas ce qu’Amour nous destine !

LE BEAUCERON.

Non ; je vous en réponds. Jusqu’au revoir, cousine.

 

 

Scène XIII

 

LÉANDRE, CLIMÈNE, LE BASQUE, BÉATRIX

 

LÉANDRE, après avoir ri.

Allons voir votre mère.

CLIMÈNE.

Et le reste du jour,

Puisqu’elle veut enfin approuver notre amour,

Nous pourrons, empêchant que le peuple ne crie,

Par divertissement tirer la loterie.

LÉANDRE.

Et quand de notre amour l’hymen sera le prix,

Il faudra marier le Basque et Béatrix. 

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