La Française italienne (Marc-Antoine LEGRAND)

Comédie en un acte, en prose.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la rue des Fossés Saint-Germain, le 5 novembre 1725.

 

Personnages

 

PANTALON, Tuteur et Amoureux d’Agathine

AGATHINE

LUCIDOR, Amant d’Agathine

NISON, Femme de Chambre d’Agathine

SCAPIN, Confident de Pantalon

LE NOTAIRE, Bredouilleur

JASMIN, Laquais

MUSICIENS et DANSEURS

VIOLONS

 

La Scène est à Paris, chez Pantalon.

 

 

Scène première

 

AGATHINE, NISON

 

AGATHINE.

Oui, ma chère Nison, je suis au désespoir. J’apprends dans ce moment, que Pantalon, mon Tuteur, est de retour à Paris, de son voyage d’Italie, qu’il est descendu ce matin, cher un certain Doreur, Lanternon, son ancien ami, et qu’il va venir ici tout à l’heure.

NISON.

Hé bien, qu’il vienne, je l’attends de pied ferme.

AGATHINE.

Mais, tu sais bien, Nison, que sur ce que ce maraud de Scapin lui a fait écrire de Paris, que j’avais à mon service une Française qui introduisait tous les jours un jeune homme dans la maison, il ma recommandé par ses dernières lettres de te chasser, et de prendre une Femme de chambre Italienne en ta place, que va-t-il dire, s’il te trouve ici ?

NISON.

Que voulez-vous qu’il dise ? Il ne m’a jamais vu. Est-ce que je ne sais pas assez d’Italien pour passer pour Italienne. Vous lui ferez accroire que vous avez suivi ses ordres, et que je suis celle que vous avez pris à la place de la Femme de chambre Française que vous avez chassée.

AGATHINE.

Mais Scapin qui te verra ?

NISON.

Ne craignez rien, Scapin ne viendra d’aujourd’hui ici ; il compte que Pantalon n’arrivera que demain, et nous aurons tout le temps qu’il nous faudra pour tromper votre vieux Tuteur, et faire en sorte que Lucidor vous épouse à sa barbe. Tout est disposé pour cela.

AGATHINE.

Ah ! je crains que l’arrivée imprévue de Pantalon ne nous donne bien de l’embarras. Lucidor qui n’en sait encore rien, viendra ici dans le temps qu’il y fera : il amènera peut-être avec lui les violons et les Musiciens, qui doivent exécuter le petit Divertissement qu’il nous donne aujourd’hui. Que dira Pantalon, de voir tous ces préparatifs ?

NISON.

Et mort de ma vie, ne cherchez point de chagrins dans l’avenir. Quand les embarras naîtront, votre amour et mon adresse nous inspireront les moyens de nous en tirer.

AGATHINE.

Jamais on ne te prendra pour une Italienne à ton accent.

NISON.

Bon, bon, je dirai que Paris m’a corrompu ma langue maternelle. Mais dites-moi, Pantalon ne sait-il pas le Français ?

AGATHINE.

Il entend quelques mots par-ci par là. Mais en le voulant parler, il confond à tous moments les deux langues ensemble, et parle quelquefois un baragouin qui n’est ni Français ni Italien.

NISON.

Tant mieux, tant mieux, nous lui en ferons bien passer.

AGATHINE.

Il ne sera pas fort difficile. Mais revenons à Lucidor. Si Pantalon en arrivant veut m’épouser, suivant le testament de mon Père ?

NISON.

Votre Père était un vieux radoteur. C’est bien aux morts à vouloir régler les volontés des vivants. Passez outre, Mademoiselle. On ne reviendra pas de l’autre monde vous en faire des reproches.

AGATHINE.

Mais, Pantalon se va servir de l’autorité que lui donne ce Testament. Il gardera peut-être mon bien.

NISON.

Oui-dà, cela mérite réflexion. En ce cas, il faut le ménager, et lui faire bonne mine en arrivant pour le mieux attraper.

 

 

Scène II

 

PANTALON, derrière le Théâtre, AGATHINE, NISON

 

PANTALON, derrière le Théâtre.

Andaté certaré il Notaro subito, subito.

AGATHINE.

Ah ! j’entends la voix de mon Tuteur, je suis dans un trouble si grand, que je ne me connais plus.

NISON.

Allons, allons, Mademoiselle, il faut vous rassurer, et lui faire plus d’amitié que jamais, pour le mieux faire donner dans le panneau.

PANTALON, derrière le Théâtre.

Oh di caza.

AGATHINE.

Qui heurte ?

PANTALON.

Pantalon de Bizognosi.

AGATHINE lui ouvre et l’embrasse.

Ah ! Signor Pantalone.

PANTALON.

Bondi, bondi, cara Agathina ; je mourrais d’impatienza di retournare in questo pacze per embrasser vous.

AGATHINE.

Ah ! Signor, quanto mi a durato il Tempo ?

PANTALON, faisant des révérences.

Ah ! obligatissimo. Ma parlaté Franceze per me l’aprendre à mi, je vous en prie.

NISON, faisant des révérences à l’Italienne.

La riverisco, Signor Pantalone.

PANTALON.

Servitor. Chi e questa ?

AGATHINE.

C’est une Italienne que j’ai prise à mon service à la place de cette Française que vous m’avez fait renvoyer.

PANTALON.

Bene, bene ; et come si appelle questa ?

NISON.

Violetta, per servir la. Ah ! Signor Pantalone, la mia patrone a esté bien malinconica pendant il vostro viaggio.

PANTALON.

Lo credo.

NISON.

La povretta vous attendait à tout momento ; et l’astro giorno entendant braire un azino, elle est descendue subito credendo chez fosté voi.

PANTALON.

Ah ! la bella preuve d’amour, est-ce que j’ai la voix d’un azino, ma ne savez pas vous mieux parlare Francezé.

NISON.

Ah ! si Signor, ze le parle un petit brin mieux quand ze le veux.

PANTALON.

Hé bien, parlate sempré Francezé, quand je ne l’entendrez pas ze vous diro.

NISON.

Puis que vous le voulez, Monsieu, ze parleré Franceze le mieux que ze le pouéré.

PANTALON.

Et brave, brave basta coussi, maintenant je vous diro que j’ai passé chez le Notaro per nostro Contratto di matrimonio, et questio Notaro n’entend pas una fola parola Italiana ; et il parla le Francezé tant presto, tant presto, que mi ni entendo niente.

AGATHINE.

Cela est assez embarrassant d’avoir affaire à un bredouilleur.

PANTALON.

Ma vous lui dicterez en Franceze mes intentions, que je vais scivere en Italiano dans le mio cabinetto, adesso, adesso.

AGATHINE.

Allez, Monsieur, allez, je ferai tout ce qu’il vous plaira.

 

 

Scène III

 

AGATHINE, NISON

 

NISON.

Courage, Mademoiselle, cela va à merveille. Le Notaire n’entend pas l’Italien, et Pantalon n’entend guères mieux le Français, nous allons mettre dans le Contrat tout ce que nous voudrons. Laissez-moi conduire cette affaire.

AGATHINE.

Je comprends ton dessein, cela suffit. Mais que vois-je ? Lucidor avec des Violons.

 

 

Scène IV

 

LUCIDOR, AGATHINE, NISON, VIOLONS

 

AGATHINE.

Ah ! Lucidor, je tremble. À quoi vous exposez-vous ? Pantalon vient d’arriver. Il est ici près dans son cabinet.

LUCIDOR.

Qu’entends-je ? Nison m’avait assuré qu’il n’arrivait que demain. Quel contretemps, dans le moment que je viens d’apprendre que mon Père après s’être enrichi dans les pays Étrangers, est depuis un mois à Paris incognito.

AGATHINE.

Et que n’allez-vous au plutôt le chercher ?

LUCIDOR.

Comme des intérêts particuliers l’ont obligé de changer de nom, on ne m’a pu instruire encore de sa demeure. Mais je dois me trouver aujourd’hui dans un endroit, où il ne manquera pas de se rendre.

NISON.

Tout cela est bel et bon ; mais cela n’empêchera pas Pantalon de s’obstiner à vouloir épouser Mademoiselle. Laissez-moi toujours achever un projet que j’ai en tête. Vous saurez que je passe ici pour Italienne, et que... Mais j’entends du bruit, et c’est Pantalon lui-même.

 

 

Scène V

 

PANTALON, LUCIDOR, AGATHINE, NISON, VIOLONS

 

PANTALON, à part.

Qué vois-jé ? un Cavaliero dans la mia Caza.

NISON.

Ne vous démontez point, et laissez-moi faire.

Elle chante.

No non, Temeté, la verita.

Ah ! Signor Pantalon, vous voilà ! Monsieur, il est un Maître de Musique, qui mi fait ricordare una canzonetta.

PANTALON.

Monsiu est un Maestré de Musica ?

NISON.

Signor si ; et les autres sont les Violoni.

LUCIDOR.

Oui, Monsieur, je viens vous offrir mes services : ayant appris que vous vous mariez aujourd’hui, je venait vous faire entendre un petit divertissement de ma composition ; c’est la coutume des Musiciens de ce pays de venir offrir aux nouveaux Mariés un plat de leur métier.

PANTALON.

Ah ! som obligato à vossignoria ; j’aime fort la Musica ; ma ce ne sera que per, tantôt, per servir di préludio al mio matrimonio.

LUCIDOR.

Quand il vous plaira, Monsieur.

PANTALON.

Bené, bené. Ma faté un peu recordaré à Violetta la sua canzonetta presentement.

AGATHINE.

Monsieur, elle ne la fait pas encore assez bien.

NISON.

Pardonné mi, la mia Patrona, je la canterai bien avec les Violoni.

LUCIDOR.

Si cela est ainsi, Messieurs, allez, s’il vous plaît, vous placer dans quelqu’endroit de cette salle pour ne pas étouffer la voix.

AGATHINE, bas à Nison.

Es-tu folle de te hasarder à chanter de l’Italien.

NISON.

Ne vous mettez pas en peine, c’est un air que j’ai appris à la Comédie Italienne, et je me tirerai bien d’affaire.

LUCIDOR, aux Violons.

Allons, Messieurs, accompagnez cet air comme vous pourrez, je n’ai rien à vous dire.

Nison chante un air Italien, où elle imite la Cantatrice de la Comédie Italienne.

PANTALON.

Oh ! la bella Musica ! la bella Musica !

LUCIDOR.

Monsieur, vous verrez tout autre chose tantôt, et je veux même vous amener des Danseurs, tous habillés en Italiens comiques, pour mieux répondre à votre goût, et rendre le Divertissement plus complet.

PANTALON.

Et comé il appelle lé vostro Divertimento.

LUCIDOR.

Monsieur, cela n’a point de titre : Ce sont des Vaudevilles sur les divers embarras où l’on se trouve souvent dans tous les états de la vie.

PANTALON.

Védérémo, védérémo.

AGATHINE.

Mais, vous-même, Monsieur, ne serez-vous pas fort embarrassé de faire exécuter une pareille idée ? et cela ne coûtera-t-il point trop ?

LUCIDOR.

Ah ! Madame, c’est une bagatelle, et d’ailleurs je ne suis pas intéressé. Je travaille plus pour la gloire que pour autre chose.

NISON.

Ah ! Signor, ce Musicien-là n’a pas son pareil, c’est un huomo inimitable.

LUCIDOR.

Monsieur, jusqu’au revoir.

PANTALON.

Ah ! Signor, obligatissimo à vossignoria.

 

 

Scène VI

 

PANTALON, AGATHINE, NISON

 

AGATHINE.

Hé bien, Monsieur, auriez-vous crû que Violette sût si bien chanter ?

PANTALON.

Oh ! una siglia comme elle è un teforo.

AGATHINE.

Il faut qu’elle continue à apprendre la Musique, cela vous désennuiera de temps en temps : je me charge de contenter le Maître de Musique.

NISON.

Ah ! Signora Patrona, je vous serai bien obligée : hélas ! povretta mi, je ne gagne pas assez pour le payer.

AGATHINE.

Allez, allez, Violette, je vous rehausserai vos gages...

Bas à Nison.

Mais, que vois-je ? Ah c’est Scapin ! tout est perdu !

 

 

Scène VII

 

PANTALON, AGATHINE, NISON, SCAPIN

 

SCAPIN.

Ah, ah, c est vous, Monsieur, vous voilà donc à la fin arrivé ?

PANTALON.

Bondi, Scapino, bondi.

SCAPIN.

Quoique vous ayez fait réponse aux lettres que je vous ai écrites, j’étais toujours dans le doute de savoir si vous les aviez reçues.

PANTALON.

Si, si.

SCAPIN.

Hé bien, Monsieur, vous voyez comme on a exécuté vos ordres.

PANTALON.

Je suis contento.

SCAPIN.

Ah ! c est une autre chose, si pour vous contenter, il faut faire tout le contraire de ce que vous commandez, je le ferai à l’avenir.

NISON.

Cela suffit, Scapin, Monsieur, il est content.

PANTALON.

Si, si ; elle canta comme une cantarina.

SCAPIN.

Qu’est-ce donc qui chante comme une cantaride ?

PANTALON.

La Serva dé Agathina.

SCAPIN.

Je le crois bien, aussi est-ce une fine mouche ; elle sait bien faire autre chose, Monsieur.

PANTALON.

Hé quoi ?

NISON.

Scapin, taisez-vous, Monsieur n’a que faire de vos balivernes.

PANTALON.

Lasciate le parlaré, je suis bien aise de saperé tous les talents que vous avété.

NISON.

Non, Monsieur, je l’ai trop de modestie, et il me ferait rougir.

SCAPIN.

Je le crois bien, Mademoiselle Nison.

NISON.

Monsieur, s’il continue à parler, je m’en vais quitter la place.

PANTALON.

Et per che Violetta ?

SCAPIN.

Comment, elle s’appelle à présent Violette ? et elle s’appelait hier Nison.

PANTALON.

Comé, Nison ?

SCAPIN.

Oui, Monsieur, voilà cette Nison dont je vous ai écrit, qui introduisait tous les jours un jeune homme en votre absence, et que vous avez mandé qu’on chassât.

PANTALON.

Comé, Agathina ! vous me trompez di questa maniera ?

AGATHINE.

Que voulez-vous, Monsieur ? j’aimais cette fille-là, et je n’ai jamais pu me résoudre à m’en séparer. Mais Scapin est un fourbe de vous avoir mandé quelque chose contre elle.

PANTALON.

No no cospetto di diana non restera piu dans la mia caza ; et je veux la renvoyer in questo ma mento.

AGATHINE.

Monsieur, vous êtes le maître, mais attendez du moins jusqu’à demain ; si vous renvoyez celle-ci, il m’en faudra bien une autre.

PANTALON.

Je ne veux piu de serva auprès de vous, je veux que vous ayez un Servitore.

AGATHINE.

Ah ! tout ce qu’il vous plaira, Monsieur, pourvu que ce ne soit point Scapin.

PANTALON.

No non, il Dottoré Lanternon mio amico ma offerto un certo Arlequino qui é un balordo, ma un Servitor fedelissimo... Scapin, va subito diré au Dottoré qu’il me mando questo Arlequino.

SCAPIN.

Mais, Monsieur, je ne connais point cet Arlequin.

PANTALON.

Je ne le connais pas non piu, mais il suffit que il Dottoré Lanternon mi réponde dé lou.

SCAPIN.

J’y vais de ce pas.

PANTALON.

Va presto : et tu iras après,

Il parle à l’oreille de Scapin.

Bze, bze, bze.

AGATHINE.

Ah ! Nison, que vais-je devenir sans toi ?

NISON.

Ne vous inquiétez de rien, je ne vous abandonnerai point ; cet Arlequin est un de mes anciens amoureux, et je lui ferai faire tout ce que je voudrai ; heureusement il n’est connu, ni de Pantalon, ni de Scapin.

PANTALON.

Ché Diavolo dité vous là toù dou ? va presto Scapin, va presto.

 

 

Scène VIII

 

PANTALON, AGATHINE, NISON

 

PANTALON.

Et ti sors tout à l’horo de la mia caza ?

NISON.

Ah ! povretta mi que vais-je devenir ? Signor, je vous demande pardono, quoique ze ne vous aye rien fait.

PANTALON.

Va via, va via.

NISON.

Je mourrai de chagrin de ne piu voir la mia Patrona.

PANTALON.

Va via, va parlare Italiano au Diavolo.

NISON.

Qui vous emporte, Signor.

Bas à Agathine.

Mademoiselle, ne vous embarrassez de rien, je vais jouer d’un tour à notre homme, auquel il ne s’attend pas. La reverisco Sior Pantalone.

 

 

Scène IX

 

PANTALON, AGATHINE

 

AGATHINE.

En vérité, Monsieur, vous me traitez bien cruellement de me séparer d’une personne qui m’était si chère.

PANTALON.

J’ai un grand torto.

AGATHINE.

Vous êtes mon Amant, et vous me traitez en Esclave, que ferez-vous quand vous serez mon Mari ?

PANTALON.

Quand je ferai vostro Marito, je paraîtrai piu amabile, et vous ne me ferez piu des tours d’aquella maniera. Or su tocca la mano, je ti perdonno, et je veux t’aimer piu que jamais.

AGATHINE, à part.

Feignons pour le mieux tromper.

À Pantalon.

Et moi, je ferai tous mes efforts pour remplir mon devoir, et je ne me marie pas avec vous pour ne vous pas aimer.

PANTALON.

Brava, brava.

AGATHINE.

Oui, quelques chagrins que je puisse essuyer dans la suite, par les injustes soupçons que vous concevez trop aisément, votre personne me sera toujours chère.

PANTALON, faisant des révérences.

Ah ! ah !

AGATHINE.

Et je vous ferai toujours aussi fidèle que si vous aviez pour moi les meilleures manières du monde.

PANTALON.

Oh che felicita ! che consolation ! je ti promets ti donner toutes fortes de plaisirs. Je t’ai acheté questa matina una tentura magnifica haveremo tou-t ligiorm... dans nostra caza des Violoni. Nous canterons, nous danserons. Mais piu di serva Francezé.

AGATHINE.

Ah ! Monsieur, je n’y songe déjà plus ; et désormais votre seule personne me tiendra lieu de tout.

PANTALON.

Brava, brava ; é bené parlato ; ma ecco il Notaro dont je vous ai parlato.

 

 

Scène X

 

PANTALON, AGATHINE, LE NOTAIRE

 

LE NOTAIRE, bredouillant.

Monsieur, je suis votre très humble Serviteur. Madame, je vous donne le bonjour : allons, dépêchons-nous, dressons vite le Contrat, car je suis un peu pressé.

PANTALON.

Che Notaro brusquo, non entendo, una sola parola. Signor, ecco il principale. Il Signor Pantalon di Bizognozi sposa la Signora Agathina, et gli dona per il presente contratto touto il suo bené.

LE NOTAIRE.

Ma foi, Monsieur, c’est de l’Hébreu pour moi, et je n’entend rien du tout à ce baragouin-là ; parlez Français, si vous voulez qu’on vous entende.

PANTALON.

Ah ! che, male-detto Notaro.

LE NOTAIRE.

J’entends fort bien que Notaro, veut dire Notaire, et Contratto, Contrat : mais c’est tout ce que je sais d’Italien ; quand vous aurez appris ma langue, ou que je saurai la vôtre, nous pourrons dresser votre Contrat : jusqu’au revoir.

AGATHINE.

Et attendez, Monsieur, je sais les deux langues, et je vais vous expliquer en Français les articles.

À Pantalon.

Donnez-moi ce papier.

LE NOTAIRE.

Ah ! bon pour cela, car autrement, nous serions ici jusqu’à demain, Monsieur et moi, sans nous entendre : mon temps m’est cher.

PANTALON, à Agathine.

Fate-li comprendre mes intentioni, que vela écrites sur ce papier.

 

 

Scène XI

 

PANTALON, AGATHINE, LE NOTAIRE, JASMIN

 

JASMIN.

Monsieur, voilà le Tapissier qui vous apporte cette Tenture que vous avez achetée ce matin, pour votre grande Salle.

PANTALON.

Je m’en va la védéré, et je retourno tout à l’horo.

LE NOTAIRE.

Hé bien, j’entends encore bien cela, vous dites que vous reviendrez tout à l’heure ; vous ferez bien ; car si vous tardez trop, vous ne me trouverez plus.

PANTALON.

Ah ! che brutto huomo ! che brutto Notaro ?

 

 

Scène XII

 

AGATHINE, LE NOTAIRE

 

AGATHINE.

Monsieur, ayez la bonté de vous asseoir, je vais vous approcher une table.

LE NOTAIRE.

Il n est pas nécessaire, Mademoiselle, je suis si vif, que je suis le plus souvent en l’air : je veux seulement prendre un extrait des Articles, et mon Clerc rédigera le tout dans mon Étude, Votre nom, s’il vous plaît.

AGATHINE.

Agathine Fernando.

LE NOTAIRE.

Et le nom du Futur ?

AGATHINE.

Armand de Lucidor.

LE NOTAIRE.

Passons aux principaux Articles.

AGATHINE.

Mettez seulement dans le Contrat, que le Seigneur Pantalon de Bizognoni, Tuteur d’Agathine, lui donne tout son bien en faveur du mariage qu’elle contracte avec Lucidor, tout est renfermé là-dedans.

LE NOTAIRE.

J’entends tout cela : mais je croyais d’abord que c’était le Seigneur Pantalon qui vous épousait.

AGATHINE.

Fi donc, Monsieur, me le conseilleriez-vous ?

LE NOTAIRE.

Non, par ma foi, car c’est un assez vilain merle, et je vous demande excuse de ma bêtise : et le Futur ne comparaîtra-t-il point ici ?

AGATHINE.

C’est ce que je ne sais pas, mais toujours il aura l’honneur de passer chez vous. Le tout est de faire signer promptement le Seigneur Pantalon ; c’est un homme si bizarre, qu’il change à tout moment de sentiment, et vous voyez que j’ai intérêt qu’il ne se dédise point.

LE NOTAIRE.

Je comprends cela, et je vais faire dresser ce Contrat au plus vite ; contez sur ma diligence, je serai de retour dans un moment : je suis expéditif.

 

 

Scène XIII

 

AGATHINE, seule

 

J’entreprends-là une chose bien hardie, et je ne sais encore par qui en faire instruire Nison ou Lucidor ; car enfin, j’ai besoin de quelqu’un pour me seconder, et Pantalon pourrait... Mais le voilà déjà de retour.

 

 

Scène XIV

 

PANTALON, AGATHINE

 

PANTALON.

Ah ! la bella tentura ! la bella tentura ! venez la védéré.

AGATHINE.

Je la verrai tantôt, quand elle sera tendue.

PANTALON.

E ben detto. E lou Notaro fa-t-il il Contratto ?

AGATHINE.

Oui, Monsieur, il l’apportera tout à l’heure à signer.

PANTALON.

Je suis dans l’impatienza qué nostro mztrimonio soit perfetta. Ma che vol questo picolino huomo ?

 

 

Scène XV

 

PANTALON, AGATHINE, NISON en Arlequin, contrefaisant l’Arlequin de la Comédie Italienne

 

NISON, en Arlequin, après plusieurs lazzis à l’Italienne.

Mademoiselle, ze vous prie di m’enseigner lou lozis de Mousou Pintaplon.

AGATHINE.

Je ne connais point cela, mon ami : vous voulez peut-être dire de Pantalon ?

NISON, en Arlequin.

Oui, Mademoiselle, Pontaillon.

PANTALON.

Ne no no, Pantalon.

NISON, en Arlequin.

Ah, Pantalon ?

PANTALON.

Si Pantalon di Bizognozi.

NISON, en Arlequin.

Hen ? Pantalon dé Bibliognozi.

PANTALON.

Eh no. Pantalon di Bizognozi.

NISON, en Arlequin.

De Bizognozi.

PANTALON.

Basta cousi mi sono Pantalon de Bizognozi.

NISON, en Arlequin, lui prenant la barbe.

Ah ! sior Barbette, ze souis votre serviteur de tout mon cœur. Ha ha hoa hoa ha hoa ha ha.

PANTALON.

Que vos dire questo impertinente.

NISON, en Arlequin, continuant à rire.

Ha, ha, ha, che muso, che muso! che brutta Barbetta.

AGATHINE.

Qui êtes-vous, mon ami !

NISON, en Arlequin.

Je suis Arlequin, je viens de la part del Dottore Lanternon per être le Gouverneur de la mison del Signor Pantalon, et lé Director de sa femme. On m’a dit que zé serais fort bien ici, que zi manzerais di macaroni, qué zi boirais de bon vin, c’est perquoi vela qui est fait, zé vous reçois à mon service.

PANTALON, riant.

Ah ! che matto, che matto ! Il Dottore m’avait ben ditto que c’était un balardo ; m’a c’est ce qu’il me faut dans la mia caza. Oui, caro Arlequino, vela la personna dont je vous ricommando la conduite.

NISON, en Arlequin.

C’est là votre femme, dont vous mi recommandez la conduite ? Et y a-t-il longtemps qu’elle est votre femme ?

PANTALON.

Non é encore ma femme ; elle est encore fille.

NISON, en Arlequin.

Et restra-t-elle toujours fille, quand elle sera votre femme ?

PANTALON.

Et no no no non, si agiscé di questo, je vous ricommando de ne la quitter jamais.

NISON, en Arlequin.

Ah, ah, lasciaté faré à mi, ze ne l’abandonnerai pas d’une minute, ze la ménerai boire, manger, dormir, chanter, danser.

PANTALON.

É qué diavolo ! que bizognar de tout ce préambulo ? je ti dico seulement de n’y laisser intrare aucun huomo dans la caza per li parlare.

NISON, en Arlequin, prend sa batte, et en donne sur le visage de Pantalon.

Oh ! parbleu ze vous en chasserez vous-même, s’il le faut, entendez-vous ? et né mi raisonnez pas.

PANTALON.

Che vos dire questo ?

NISON, en Arlequin.

C’est une action démonstrative per vous faire comprendre comme ze recevrai les gens qui viendront per parler à votre femme.

PANTALON.

Bravo, bravo.

AGATHINE.

Ah ! Monsieur, je vous prie de ne me pas donner un pareil extravagant.

NISON, en Arlequin.

Je suis un honnête homme ; et quand on m’a mis une fois une femme entre les mains, je prétends en répondre corps pour corps, entendez-vous ?

PANTALON.

Bené, bené. Ah ! che fortuna di trovare un servitor come questo !

NISON, en Arlequin.

Une joli femme doit toujours être renfermée ; et un mari bien prudent ne la doit jamais faire voir à personne. Voulez-vous encore une action démonstrative ?

PANTALON.

No piu di demonstrationi.

NISON, en Arlequin.

Je ne vous donnerai donc qu’une comparaison pour vous montrer qu’un mari doit toujours tenir sa femme cachée. Une jolie femme, dit Aristote, est comme un friand morceau de fromage : sitôt qu’on la voit, chacun en voudrait gruger.

AGATHINE.

Vous voyez bien, Monsieur, que ce garçon-là est son.

PANTALON.

No no no non e matto. Il raisonne à sa maniere : Ma il dit la verita.

AGATHINE.

Tout ce qu’il vous plaira, Monsieur : Mais sachons un peu ce qu’il veut gagner.

NISON, en Arlequin.

Je ne fais point de marché avec Monsiu Pantalon. Il n’a pas assez de bien per me payer ce que je vaux ; ainsi, je m’offre à vous servir tous deux pour rien, à condition que je ne ferai dans la Mison que ce qu’il me plaira.

AGATHINE.

C’est beaucoup dire : Mais enfin il faut savoir ce que l’on vous donnera des gages.

NISON, en Arlequin.

Attendez, Mademiselle, je m’en vais faire un petit calcoul avec mes doigts. Combien Monsiu Pantalon a-t-il de Domestiques ?

AGATHINE.

Comme il arrive d’Italie, il n’en a point encore pris. Il n’a qu’un homme qui fait ses commissions, et un petit laquais.

NISON, en Arlequin.

Bon, tant mieux, il n’aura pas besoin de prendre d’autres domestiques que moi, je tiendrai la place de six, et je mangerai per dix ; et vous me donnerez des gages à proportion.

PANTALON.

Si sono contento del vestro servitio, je vous prometto una bona ricompensa.

 

 

Scène XVI

 

PANTALON, AGATHINE, NISON, en Arlequin, JASMIN

 

JASMIN.

Monsieur, le Tapissier vous prie de descendre, pour voir vous-même où vous voulez qu’il place ce qui lui reste de Tapisserie.

PANTALON.

Hé ché diavol d’huomo ! che mi sa sempré ascenderé et descenderé.

 

 

Scène XVII

 

AGATHINE, NISON

 

NISON, en Arlequin.

Oh ça, Mademiselle, c’est maintenant qu’il faut vous donner des leçons sur la conduite que vous devez tenir avec lou Signor Pantalon.

AGATHINE.

Je n’ai que faire de vos leçons, laissez-moi en repos.

NISON, en Arlequin.

Comment donc ? est-ce ainsi qu’on parle à son Directeur ? allons, allons, Mademoiselle, qu’on m’écoute. Primo...

AGATHINE, à part.

Ah ! que je suis malheureuse ! voilà un extravagant qui va rompre toutes mes mesures.

NISON, en Arlequin.

Primo...

AGATHINE.

Oh ! laisse-moi ? je ne veux point t’entendre.

NISON, en Arlequin.

Vous ne voulez point m’entendre ? je vais donc trouver Monsieur Pantalon, il m’entendra lui ; je lui dirai tout ce que j’ai appris sur votre compte. Primo, que vous aimez un certain Lucidor, que vous avez fait passer pour un Musicien.

AGATHINE.

Ô Ciel ! qu’entends-je ?

NISON, en Arlequin.

Secundo, que le Notaire n’entendant pas l’Italien, et Pantalon n’entendant pas le Notaire, vous devez de concert avec Nison, faire mettre dans le Contrat tout ce qu’il vous plaira.

AGATHINE.

Ah ! tais-toi, je te prie, et me dis d’où tu peux savoir tout cela ?

NISON, en Arlequin.

Il suffit, je le sais de bonne part, et je vais de ce pas, en avertir le Seigneur Pantalon.

AGATHINE.

Ah ! c’est sans doute Nison qui t’a instruit de tout : Voudrais-tu, mon cher Arlequin, abuser de sa confidence ? elle m’a dit que tu soupirais pour elle.

NISON, en Arlequin.

Il est vrai, Mademiselle, que je l’aime comme moi-même.

AGATHINE.

S’il est vrai que tu l’aimes, j’emploierai tout pour la rendre sensible à ton amour ? sois dans mes intérêts, je te prie. Je t’avoue que j’aime Lucidor, et que je regarde comme le plus grand des malheurs, de me voir l’épouse de Pantalon. Voudrais-tu, mon cher Arlequin, contribuer à rendre malheureuse toute sa vie, une personne qui ne t’a jamais rien fait ? Veux-tu que j’embrasse tes genoux ? et que...

NISON, faisant semblant de sangloter comme Arlequin.

Arrêtez-vous, Mademiselle, vous m’attendrissez trop : je vous accorde ma potrefaction, et je vous... servirai... de toute ma puissance.

AGATHINE.

Ah ! puisque tu m’accordes ta protection, je suis sûre de réussir dans mon entreprise : fais en sorte de t’aboucher avec Nison, elle te mettra au fait de nos projets.

NISON levant son masque d’Arlequin.

Où diantre la trouver à présent ?

AGATHINE.

Ah ! c’est toi, ma chère Nison, et qui t’aurait pu reconnaitre ? ah ! puisque ton déguisement m’a trompé, je ne crains pas que personne puisse te découvrir. Mais comment as-ta fait ?

NISON, en Arlequin.

J’ai trouvé Arlequin qui venait ici, je l’ai engagé à me prêter cet équipage, et à ne point paraître dans le quartier de tout le jour. Je ne crains que ce maroufle de Scapin, et s’il fallait...

AGATHINE.

Ah ! le voici lui-même, je tremble.

NISON remet son masque.

Ah ! j’enrage, et je ne sais... Mais, non, laissez-moi faire, je l’aurai bientôt renvoyé, rassurez-vous.

 

 

Scène XVIII

 

AGATHINE, NISON, en Arlequin, SCAPIN

 

SCAPIN.

Ah ah ! voici cet Arlequin déjà arrivé ici ? le Docteur a exécuté promptement mes ordres.

NISON, en Arlequin.

Oui, Mademiselle, vous avez beau dire et beau faire, le Signer Pantalon m’a défendu de vous laisser parler à personne, et j’assommerai de coups, tous ceux qui oseront entrer dans cette Mison.

SCAPIN.

Diable, voilà un drôle qui ne se mouche pas du pied.

NISON, en Arlequin.

Que demandez-vous ici, mon ami ?

SCAPIN.

Je suis l’homme d’affaire de Monsieur Pantalon.

NISON, en Arlequin, lui donnant un soufflet.

Vous en avez menti : vous êtes un baron et un suborneur, qui venez ici per corrompre la vertou di Mademiselle.

SCAPIN.

Et non, vous dis-je, je suis Scapin, Secrétaire du Seigneur Pantalon, qui veille comme vous, sur la conduite de sa Maîtresse.

NISON, en Arlequin, frappant Scapin.

Ze n’entends point toutes cts raisons-là, vous êtes un fourbe et un ladro ; qui méritez cent coups de bâton.

SCAPIN.

Et prenez donc garde, je crois que vous me frappez, haïe, haïe, haïe.

 

 

Scène XIX

 

PANTALON, AGATHINE, NISON, en Arlequin, SCAPIN, LE NOTAIRE

 

Nison frappe Pantalon, le Notaire et Scapin tour à tour.

PANTALON.

Ché vo dire questo ? tou ne mi connaissé piou ?

NISON, les frappant toujours.

Je n’y connais personne, et j’exécute les ordres de Monsiu Pantalon.

LE NOTAIRE.

Hé ! doucement, je suis le Notaire.

PANTALON.

Et mi Pantalon.

NISON, en Arlequin.

Ah ! Signor Patron, excusez, sil vous plaît l’ardeur de mon zèle.

AGATHINE.

Mais, votre zèle ne doit point aller si loin.

LE NOTAIRE.

Oui, mon ami, il faut prendre garde à ce que l’on fait, ce ne sont pas ici des jeux d’enfants : Que diable, vous venez de maltraiter un Conseiller du Roi.

NISON, en Arlequin.

Ah ! vous êtes un Conseiller du Roi ?

LE NOTAIRE.

Oui, mon ami, Conseiller Garde-Notte.

NISON, en Arlequin.

Et vous ne garderez point de Notte de cela ?

LE NOTAIRE.

Non, non, cela est passé, mais une autre fois prenez garde à ce que vous faites.

NISON, en Arlequin.

Je vous en prie au moins, car vous qui entendez le Français, vous savez que c’est un cri-pro-cro.

LE NOTAIRE.

Qui-pro-quo, qui-pro-quo, voulez-vous dire !

NISON, en Arlequin.

Oui, un cli-plo-clo, cela se trouve chez les Apothicaires, les pro-pri-cro.

LE NOTAIRE.

Hé ! que diable, cet homme-là me ferait enrager. Qui-pro-quo.

NISON, en Arlequin.

Excusez, c’est que je n’ai jamais pu dire ce mot-là.

LE NOTAIRE.

Et que m’importe ? il ne s’agit plus de cela à présent.

NISON, en Arlequin.

C’est que c’est cela pourtant qui est cause des coups de bâton que je vous ai donné.

LE NOTAIRE.

Et que diable, n’en parlons plus, puisque je les ai oubliés, et que c’est une chose faite.

PANTALON.

Zé ni pense piu mi.

SCAPIN.

Ni moi non plus.

LE NOTAIRE.

Allons ; dépêchons-nous de lire ce Contrat ; cela sera fait dans un moment, car je lis fort vite.

NISON, en Arlequin.

Monsieur, auparavant, je vous demande une grâce.

PANTALON.

Que voiche tou ?

NISON, en Arlequin.

C’est que cet homme-là s’en aille, sa figure mi déplaît, il est cause de ce qui zé viens dé faire ; et s’il restait davantaze, je pourrais encore imprudemment vous marquer l’ardeur de mon zèle, car je ne suis pas maître de moi.

LE NOTAIRE.

Non, non, morbleu, qu’il s’en aille au diable, et toi aussi.

PANTALON.

Scapin, retirati.

NISON, en Arlequin, reconduisant Scapin à coups de batte.

Va via baron, ladro, et maledetto becco cornuto.

 

 

Scène XX

 

PANTALON, AGATHINE, NISON, en Arlequin, LE NOTAIRE

 

LE NOTAIRE, bredouillant toujours.

Or, ça, voulez-vous entendre promptement la lecture du Contrat, car je suis un peu pressé.

PANTALON.

Volontiers, et je veux qu’Arlequino aussi l’entende per m’expliquer ce qué non intendero.

LE NOTAIRE.

Hom... hom... hom... par devant les Notaires, et cætera. Hom... hom...

NISON en Arlequin à Pantalon.

Vous entendez-bien, et cætera ?

PANTALON.

Si, si.

LE NOTAIRE.

Hom... hom... hom... sont comparus Armand de Lucidor, et cætera ; et Damoiselle Agathine de Fernando et cætera, lesquels ont promis par le présent Contrat de mariage, de se prendre à mari et femme.

NISON, en Arlequin.

Et cætera.

PANTALON, à Nison.

Que voiche dire, hom... hom... hom... et cætera. Hom... hom... et cætera.

NISON, en Arlequin, à Pantalon.

C’est le préludio di Contratto.

PANTALON.

Bene !

AGATHINE.

Monsieur le Notaire, pour ne vous point fatiguer, passez d’abord à l’article qui regarde le Seigneur Pantalon.

LE NOTAIRE.

Tout ce qu’il vous plaira. Hom... hom... hom... est comparu aussi le Signor Pantalon de Bizognozi, Tuteur de ladite Agathine, lequel en faveur de ce mariage, donne tout son bien auxdits Époux, donc lesdits Lucidor et Agathine sont contents.

PANTALON.

Qué vos dire Lucidor ?

NISON, en Arlequin.

Cela veut dire qué Pantalon sposa Agathina, che loui adore, loui Pantalon adore : c’est stilo de Notaro di questo paese.

PANTALON.

Basta, basta, cousi, je ne veux piu entendere niente questo Notaro, mi sa perdre haleine.

NISON, en Arlequin.

Et voilà en peu de mots tout ce que le Contrat contient. Signez au plus vice.

PANTALON signe.

Pantalon de Bizognozi.

NISON, en Arlequin.

Allons, à vous, Mademiselle.

AGATHINE.

Agathine Fernando.

Pendant que l’on signe, Nison dérobe le manteau, la perruque et le chapeau du Notaire, et les met sur elle : le Notaire court après ; et Nison, ayant fait plusieurs lazzis, fait tomber le Notaire et Pantalon l’un sur l’autre.

LE NOTAIRE.

J’ai laissé les noms des témoins en blanc ; vous les enverrez signer chez moi, aussi bien que Monsieur Lucidor.

PANTALON.

Que voiche deré encore loui de chidore ?

NISON, en Arlequin.

Il Nottaro dimandi per le Contratto quatre louis ggidor, c’est encore stilo di Nottaro di questo paese.

PANTALON, lui donnant quatre louis.

Cela est jouste, tenez, Monsiu.

LE NOTAIRE, les prenant brusquement.

Ah ! Monsieur, cela n’est point pressé. Envoyez-moi les témoins au plutôt, afin que le tout soit expédié incessamment.

AGATHINE.

Des témoins ? et tenez, voilà déjà Monsieur qui en servira.

 

 

Scène XXI

 

PANTALON, AGATHINE, LUCIDOR, NISON, en Arlequin, LE NOTAIRE

 

AGATHINE.

Monsieur, voulez-vous bien me faire l’honneur de signer à mon Contrat de mariage ?

LUCIDOR, à part.

Ô Ciel ! qu’entends-je ?

NISON, en Arlequin, bas à Lucidor.

Signez sans rien dire, c’est vous quelle épouse.

LUCIDOR, signant.

C’est m’honorer beaucoup, Monsieur, de me rendre témoin d’une union si parfaite.

NISON, en Arlequin.

Allez, Monsieur, emportez ite chez vous ce Contrat, puisque c’est une affaire faite.

LE NOTAIRE.

J’en vais faire expédier sur le champ une copie : si vous n’avez point de témoins, je vous en trouverai : il suffit que nous ayons fait signer les Parties intéressées, Pantalon, Agathine, et Lucidor.

PANTALON.

Demando encore des louis ggidor.

NISON, en Arlequin.

No no é contento.

 

 

Scène XXII

 

PANTALON, AGATHINE, LUCIDOR, NISON, en Arlequin

 

LUCIDOR.

Monsieur, tous les Acteurs du Divertissement que vous avez demandés, sont prêts ; souhaitez-vous qu’on commence ?

AGATHINE.

Quand il vous plaira, Monsieur : allons plaçons-nous. Mais que vient encore chercher ici ce coquin de Scapin ?

PANTALON.

Il vient danser, allé mié nozze.

NISON, en Arlequin.

Qu’il vienne, je lui battrai la mesure.

 

 

Scène XXIII

 

PANTALON, AGATHINE, LUCIDOR, NISON, en Arlequin, SCAPIN

 

SCAPIN.

Comment donc, Monsieur, danser à votre noce ! seriez-vous la dupe de tout ceci ?

PANTALON.

Que voiche tu dire ?

SCAPIN.

Je veux dire que le Notaire me vient d’apprendre que Monsieur Lucidor épousait Agathine, et que vous leur donniez tout votre bien.

PANTALON.

Encore louis ggidor ?

SCAPIN.

Je vous dis Lucidor, c’est le nom de l’Amant d’Agathine, que Nison avait introduit dans la maison, et le voilà lui-même.

PANTALON, allant sur Nison.

Ah ! sono tradito ! ah ! perfida Agathina ! ah ! Baron di Arlequino !

NISON, en Arlequin, fuyant.

Ajuto.

LUCIDOR.

Doucement, Monsieur, ne vous emportez pas.

PANTALON.

Ah! ladro di Arlequino, ti voglio mandar in galera.

NISON, se démasquant.

Vous voulez m’envoyer en galère ?

PANTALON.

Ché vedo ? c’est la Serva francéze.

NISON, en Arlequin.

Oui, Monsieur, je suis Nison, que vous avez tantôt chassée par une porte, et qui est entrée par l’autre ; mais ne vous affligez pas du don que vous avez fait de tout votre bien, Monsieur Lucidor est un galant homme qui en usera bien

LUCIDOR.

Monsieur, tout le mien est à votre service, j’en ai plus qu’il ne m’en faut, pour me passer du vôtre ; le Docteur Lanternon, que je viens de reconnaître pour mon Père...

PANTALON, l’embrassant.

Vous êtes il siglio del Dottore Lanterne, il mio caro amico ?

NISON, en Arlequin.

Ah ! nous allons bientôt voir un dénouement à l’Italienne.

PANTALON.

Monsieur, en ce cas, j’approuve votre matrimonio.

NISON, en Arlequin, à Pantalon.

Faisant réflexion que vous êtes trop vieux pour épouser une jeune personne, il n’en faut pas davantage pour contenter tout le monde. Allons, allons, passons au Divertissement, et puisque j’ai pris le masque d’Arlequin, je tiendrai ici sa place, jusqu’à ce qu’il revienne.

 

 

Divertissement

 

Entrée de tous les Caractères de la Comédie Italienne.

UN VÉNITIEN chante.

Non, ce n’est que dans la jeunesse,

Que l’on doit suivre les amours ;

Sur nos vieux jours

Ils nous trompent sans cesse :

Suivons Bacchus, laissons là la tendresse,

Il est de la vieillesse

L’unique recours.

Non, ce n’est que dans la jeunesse,

Que l’on doit suivre les amours.

Entrée de Polichinelles et de Dames Ragondes.

AGATHINE.

Je mets au bas de la requête,

Amoureuse, honnête,

D’un Galant de bonne façon,

Bon :

Mais à celle que me présente,

D’une main tremblante,

Un Vieillard froid et languissant,

Néant.

NISON, en Arlequin.

Au bas du Contrat d’hyménée

Pour toute l’année,

L’Amour signe, et met sans façon,

Bon :

Même il paye sans répugnance

Un quartier d’avance ;

Mais s’il faut aller plus avant,

Néant.

Entrée de Pierrot et de Perrette.

Vaudeville.

Dans tous les différents états,

Que l’on rencontre d’embarras ?

Quand à tout le monde on veut plaire.

Depuis le matin jusqu’au soir,

L’un le veut blanc et l’autre noir.

Comment faire ?

 

L’Amant qu’on voit soir et matin,

Devient ennuyeux à la fin ;

Il faut être rare pour plaire,

S’éloigne-t-il, on prend l’essor,

Et les absents ont toujours tort.

Comment faire !

 

Si vous prenez fille à quinze ans,

Elle n’a pas les sentiments

Qu’il faut dans l’amoureux mystère :

Si vous attendez plus longtemps,

Un autre aura pris les devants.

Comment faire ?

 

Si votre femme a peu d’appas,

On ne vous la ravira pas,

Mais elle ne vous plaira guère.

Pour peu qu’elle ait de quoi tenter,

Vos Voisins en voudront tâter !

Comment faire ?

 

Si vous ne vous mariez pas,

Vos biens après votre trépas,

Paieront en main étrangère.

Et si vous devenez Époux,

Vos Enfants seront-ils à vous ?

Comment faire ?

 

Pour réussir dans les amours,

L’argent est d’un puissant secours ;

Qui n’en a point n’avance guère.

Mais souvent l’Amant financier,

Est traité comme un Créancier.

Comment faire ?

 

Les jeunes filles de mon temps,

S’armaient de griffes et de dents ;

Ma foi je n’en attrapais guère :

Elles sont douces maintenant,

Mais moi j’ai quatre-vingt-un ans.

Comment faire ?

 

Mari, si vous êtes jaloux,

Et gardez vos femmes chez vous,

Elles s’en vengent d’ordinaire :

Si par douceur vous les menez.

Elles vous mènent par le nez.

Comment faire !

LA PETITE FILLE.

Un Galant d’un âge un peu mûr,

M’est choisi pour Époux futur :

Mon enfance fait qu’il diffère ;

Si je suis trop jeune à présent,

Il sera trop vieux s’il attend.

Comment faire ?

LA COMÉDIE FRANÇAISE.

Le Comique écrit noblement,

Fait bâiller ordinairement,

À tout le monde il ne peut plaire.

Le plaisant passe pour bouffon,

On y rit sans le trouver bon.

Comment faire ?

LA COMÉDIE ITALIENNE.

Si nous voulons parler Français,

Nous nous trompons à chaque fois,

Faute de savoir la Grammaire :

Si nous parlons Italien,

Les trois quarts n’y comprennent rien.

Comment faire ?

Entrée générale de tous les Caractères Italiens. 

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