L'Enfant de la maison (Eugène LABICHE - Eugène NYON - Charles VARIN)

Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois à Paris sur le théâtre du Gymnase, le 21 novembre 1845.

 

Personnages

 

FLAGEOLE

CLOPIN, notaire

DÉCIUS CLOPIN, son fils

GILETTE, nièce de Clopin

 

La scène chez Clopin à Noisy-le-Sec en 1815.

 

Le théâtre représente un cabinet de notaire. Porte au fond. Portes latérales. Un bureau à gauche ; à droite une petite table ; casiers au fond.

 

 

Scène première

 

GILETTE, CLOPIN

 

CLOPIN, assis à son bureau.

Là ! voici mon acte préparé ! 15 000 francs... Ah ! pourquoi n’ai-je pas eu une fille ! 15 000 francs, un homme, un remplaçant !... et ne pas le trouver, encore.

GILETTE, époussetant les casiers.

Le fait est que c’est joliment cher.

CLOPIN.

Voilà pourtant où nous en sommes réduits, nous autres pères de famille, en l’an 1815, qu’on appelle un an de grâce, je ne sais pourquoi... Mais aussi, qu’est-ce qui pouvait s’attendre à çà ? Tout allait si bien l’année dernière ! Le roi rentrait en France, une branche d’olivier à la main...

GILETTE.

Ah ! il avait une branche d’olivier ?

CLOPIN.

J’ai lu cette métaphore dans les journaux... – Chacun disait : voilà la paix ! Ah ! bien oui !... et l’Empereur qui revient tout-à-coup de l’île d’Elbe ; il marche sur Paris, l’olivier se sauve et mon fils est conscrit.

GILETTE.

Bien malgré lui, le pauvre jeune homme !...

CLOPIN.

Ah ! pourquoi n’ai-je pas eu une fille ! c’est doux, c’est aimant ; c’est à l’abri de la conscription, au moins jusqu’à présent... Où est mon fils Décius ?

GILETTE.

Dans sa chambre. Il est bien triste, allez ! il fait son sac pour le départ.

CLOPIN, se levant.

Ah ! mon dieu ! penser que dans deux heures il sera peut-être soldat, un jeune homme que je dresse depuis vingt et un ans a l’état de notaire !...

GILETTE, quittant son plumeau et venant à Clopin.

Est-ce qu’il n’y a plus du tout d’espoir ?

CLOPIN.

On m’a parlé d’un nommé Isaac, qui se présente comme remplaçant ; tu sais, ce petit juif... 45 000 francs, un juif ! petit, maigre et sec !... après çà ces gens-là ne donnent jamais le poids. En tout cas, je viens de dresser l’acte, et si nous tombons d’accord, je le ramène signer ! Toi, range bien ici, qu’à mon retour tout soit en ordre.

GILETTE.

Oui, mon oncle.

CLOPIN.

Ne m’appelle donc pas mon oncle ! que diable je le sais bien que je suis ton oncle !... appelle-moi monsieur !... je te l’ai déjà dit... il est inutile que tout Noisy-le-Sec apprenne que j’ai chez moi, pour brosser mes habits, ma propre... ça ferait mauvais effet ! appelle-moi monsieur !... car, enfin, je ne te dois rien, moi !...

GILETTE, à part.

Oh !...

CLOPIN.

Je t’ai recueillie orpheline, à la mort de ton père... un soldat, un brave, qui n’a rien laissé après lui... comme tous les braves.

GILETTE.

Pauvre père !... ce n’est pas là le sort qu’il croyait réservé à sa fille !... Vous le savez, en mourant il m’a recommandée à un de ses compagnons d’armes... un honnête homme, qui prélevait sur sa solde pour m’envoyer...

CLOPIN.

Oui, et qui t’a oubliée au bout d’un an !... tandis que moi, je t’ai ouvert mes bras ! Tu m’aides à tenir mon ménage, tu essayes mes meubles, tu fais ma cuisine, mais je ne te regarde pas comme une domestique... la preuve, c’est que je ne te donne pas de gages... Oh ! rassure-toi, je ne t’en donnerai jamais. Seulement, je continuerai à te nourrir, à te vêtir, à te fournir des tabliers, des robes à discrétion.

GILETTE.

Oh ! des robes... une par an.

CLOPIN.

Eh bien, ça suffit, en colonnade...

GILLETTE.

Ça n’est pas trop chaud.

CLOPIN.

On n’a jamais froid quand on travaille ! Est-ce que tu aurais l’ingratitude de ne pas être heureuse ?

GILLETTE.

Oh ! si fait, mon oncle !

CLOPIN.

Encore mon oncle.

GILLETTE.

Monsieur, monsieur, pardon !

CLOPIN.

Hum ! c’est donc bien difficile !

Air : On veut employer, je le cois.

Ma chère, il faudra, je le voi,
Que toujours je te gronde,
Je l’exige, respecte moi,
Surtout devant le monde.

En public, il faut t’exprimer,
Comme fait une bonne,
Mais je te permets de m’aimer,
Quand nous n’aurons personne.

Ensemble.

CLOPIN.

Ma chère, il faudra, je le voi, etc.

GILETTE.

Toujours il faudra, je le voi,
Qu’en ces lieux on me gronde,
Un parent !... c’est bien dur pour moi,
Surtout devant le monde !

Clopin sort par le fond.

 

 

Scène II

 

GILETTE, puis DÉCIUS, entrant de droite

 

GILETTE.

Est-il gentil, mon oncle !... il dit qu’on n’a jamais froid quand on travaille... on voit bien qu’il ne raccommode pas ses habits l’hiver... et sans feu !...

DÉCIUS, entrant avec un sac militaire, qu’il pose sur le bureau à droite.

Me voilà !... traînant mes équipages de guerre...

GILETTE.

Ah ! vous v’là, M. Décius ?

DÉCIUS, ouvrant son sac.

Oui... voyons si je n’ai rien oublié... Dieu ! la guerre !... ça me fait un effet... là... comme une barre !... Ah ! depuis quelque temps, j’estime bien peu le dieu Mars !

GILETTE.

Bah ! ne vous chagrinez pas d’avance... on en revient, en général.

DÉCIUS.

Si j’étais, sûr de revenir en général, je me contenterais de ce grade, mais c’est bien incertain... et je me disposais à faire le relevé de ce que j’emporte... mon dernier inventaire... tiens, prends cette liste et appelle les objets.

GILETTE.

Mon Dieu, comme vous êtes pâle !

DÉCIUS.

Je crois bien !... je me suis battu toute la nuit !...

GILETTE.

Vous ? avec qui ?

DÉCIUS.

Tout seul ? Un rêve que j’ai fait ! Nous étions sur le champ de bataille.

GILETTE.

Nous ?...

DÉCIUS.

Non !... nous... nous autres guerriers... nous étions là au milieu du sang, du fer, du leu, du carnage... et il pleuvait, j’étais trempé comme un potage... tout-à-coup un grand monsieur, sec, avec des moustaches, l’Empereur, sans doute, vient à moi, et me dit : conscrit, il y a là cinquante bouches à feu qui nous contrarient... Laisse ton sac et va les prendre...

GILETTE.

Et vous les avez prises ?...

DÉCIUS.

Non ! j’ai trouvé une excuse... j’ai dit que j’étais enrhumé du cerveau... et c’est un autre qui m’a remplace... À propos de ça : mon père est sorti, ce matin, pour un remplaçant.

GILETTE.

Oui ! il va rentrer tout à l’heure.

DÉCIUS.

Et penser que j’allais me marier... que j’étais à deux doigts d’épouser Cornélie... tu sais, Cornélie Coquatrix... même que la corbeille était achetée... les robes, les châles, les dentelles... tout est encore là... alors un monsieur me dit : votre âge ? – 2l ans. – On me tend un grand sac, j’y plonge mes cinq doigts, sans me méfier... je retire un papier... n. 3 ! – Hilarité générale !... Puis des messieurs m’examinent, me tapent dans le dos, sur le ventre... ils me regardent les dents, les yeux, et on me dit : marchez, toussez, parlez... Moi, je marche, je parle, je tousse... là dessus, un petit vieux s’écrie : Bon pour le service !... Et on me rend mes habits... Parce qu’il faut te dire qu’avant... oui... c’est l’usage !... Et voilà comme je suis soldat !... C’est un abus de confiance !...

Air : vaudeville du Baiser au Porteur.

J’ai le cœur gonflé d’amertume :
Si jeune encore !... oh ! quel affreux destin !...
Du glorieux peuple Romain
Que rapporte monsieur Rollin :
Dans ce pays plein de sagesse,
Des jeunes gens on connaissait le prix.
Et pour conserver la jeunesse,
On faisait les pères conscrits.

C’est mon père qui devrait servir et non pas moi... D’abord ça ferait tout de suite un vieux soldat... et puis, mon mariage ne serait pas rompu...

GILETTE.

Il est donc rompu ?

DÉCIUS.

Oui, mon ban est cassé !... Mais il ne s’agit pas de ça... voyons, appelle les objets...

À lui-même.

Ça servira peut-être pour l’autre.

GILETTE, lisant.

Liste de mes effets militaires : Pâte de guimauve, deux livres.

DÉCIUS, vérifiant son sac.

Oui, pour le rhume... C’est à mon rêve que je dois cette idée là.

GILETTE.

Taffetas d’Angleterre...

DÉCIUS.

On peut avoir une jambe emportée.

GILETTE.

Farine de lin. C’est une pharmacie que vous emportez là !

DÉCIUS.

Bien incomplète... mais quand il faut la porter sur son  dos... voyons, terminons vite... cet affreux tambour peut battre d’un moment à l’autre... et tu sais que c’est le signal du départ.

Faisant lui-même l’inventaire de son sac.

Bonnet de laine, bas de laine, caleçon de laine...

Gilette laisse tomber une chaise. Effrayé.

Hein ! tu n’a pas entendu ?

GILETTE.

Quoi donc ?

DÉCIUS, imitant le tambour.

Brrr !

GILETTE.

Non !

DÉCIUS.

Alors, c’est une voiture qui roule... Ah ! Dieu ! je me tromperais bien, si jamais je devenais le grand Turenne !

 

 

Scène III

 

GILETTE, DÉCIUS, CLOPIN

 

CLOPIN.

Ah ! c’est à se jeter la tête contre un mur !

DÉCIUS, vivement.

Quoi, papa ? qu’est-ce qu’il y a ?

CLOPIN.

Il y a que ce remplaçant a traité avec un autre !

DÉCIUS.

Hein !

Défaillant.

Oh ! je défaille ! je défaille !

CLOPIN et GILETTE, assistant.

Décius !

GILETTE.

Mon cousin !

DÉCIUS.

Ce n’est rien... c’est ma barre qui me reprend.

GILETTE.

Voyons, un peu de courage !

DÉCIUS.

Du courage !... Eh ! bien, oui, j’en aurai puisqu’on m’y force... je deviendrai un Sacripant, je brûlerai des villes, je pillerai des couvents, je veux que l’Empereur s’écrie : eh ! là bas ! faites donc finir celui-là ! Ah sapristi ! que je suis donc fâché d’avoir emmené ce notaire-là !

CLOPIN.

Bien, mon fils !... Cependant ménage-toi... au milieu des plus grands périls, songe qu’un jour tu dois être notaire et repasse tes hypothèques.

GILETTE.

Et moi, je vous conseille de faire votre métier en bon et brave soldat.

DÉCIUS.

Tu es belliqueuse, toi !... tu es Chauvin !... elle est Chauvin !... Voilà bien les femmes !... veux-tu me remplacer ; dis, veux-tu ?

GILETTE.

Dame ! si j’étais un homme !

DÉCIUS.

Eh bien ! et moi... c’est-à-dire... Ah ! tu recules déjà !... caponne, va !... petite caponne !

 

 

Scène IV

 

GILETTE, DÉCIUS, CLOPIN, FLAGEOLE

 

On entend en dehors un grand bruit de vaisselle cassée.

TOUS.

Ah ! mon Dieu ! qu’est-ce que c’est que ça ?

Gilette sort par le fond après l’entrée de Flageole.

Ça ! c’est moi !... ne vous dérangez pas ! un bon enfant ! joueur de flûte le dimanche à Bagnolet, et tapin toute la semaine... Je pince les deux instruments ad libiton...

Air : Ma galette d’Alfred Quidant.

C’est au plus fort d’une bataille,
Qu’un beau matin, je vis le jour,
Et sous le feu de la mitraille,
J’appris le fifre et le tambour.
Aussi faut voir comm’ je pratique
Les deux instruments tour à tour,
À la danse, chaud la musique !
Pour l’État, en avant l’tambour ! (bis.)
Par une chance fort commune,
Femme a-t-ell’ perdu son amant ?
Un rataplan !
Faut-il transmettre à la commune
Un ordre du gouvernement ?
D’une rosière sage et gentille
Célébrer l’mérite éclatant,
Ou fair’ retrouver a quelqu’fille
C’qu’el !e a perdu d’ fort important ?
J’suis la pour battre un rataplan !

CLOPIN.

Un ratapelan ! un ratapelan ! c’est fort bien !... mais ce tapage que nous venons d’entendre !

FLAGEOLE.

C’est rien !... c’est de la faïence du Japon qui s’est décollée !

CLOPIN.

Bon ! mon cabaret de porcelaine !

À Gilette qui rentre.

Je t’avais pourtant recommandé de ranger ici mais tu n’as pas d’ordre, tu n’as pas de tête !

FLAGEOLE, regardant Gilette.

Pas de tête, excusez !...

Il lui prend le menton.

Comment qu’on appelle ça à Noisy-le-Sec, sans vous déranger ?

Il l’embrasse.

v’lan !

DÉCIUS.

Dites donc, vous, dites donc.

FLAGEOLE, à part.

Ça doit être l’amoureux !...

Haut.

M. Clopin fils, s’il vous plaît ?

DÉCIUS, vivement.

C’est papa... non,

Se reprenant.

c’est moi.

FLAGEOLE.

M. Clopin père, s’il vous plaît ?

CLOPIN.

C’est moi, après.

FLAGEOLE.

Famille des Clopin, faites-moi servie à déjeuner.

CLOPIN.

Monsieur, c’est trop fort !... je vais vous faire jeter à la porte par mes gens... Gilette, jetez monsieur à la porte !

FLAGEOLE.

Ah ! que c’est naïf !... il veut que la petite...

À Décius et à Clopin mystérieusement.

Dites-donc... je peux vous confier ça... je pèse 140... au bain...

CLOPIN, impatienté.

Qu’est-ce que ça me fait que vous soyez lourd ?

FLAGEOLE.

Ça fait premièrement que votre cordon bleu aurait de la peine à déménager un si gros meuble à bras tendu... et subsidiairement, que le gouvernement ne sera pas volé... si à la place de votre gringalet.

DÉCIUS, avec joie.

Hein !...

CLOPIN.

Comment, vous viendriez pour...

FLAGEOLE.

Tiens ! c’est peut-être pour jouer au piquet... j’ai appris qu’il vous fallait un remplaçant, et je suis accouru pour vous dire : voilà !

CLOPIN, lui prenant la main.

Ah ! mon ami !

DÉCIUS.

Mon ange ?

CLOPIN.

Ah ! mon bon ami !

DÉCIUS.

Vous êtes mon ange !

FLAGEOLE.

Plaît-il ?

CLOPIN, à Gilette.

Vite ! vite ! une chaise à monsieur !

Il en donne une.

DÉCIUS, en apportant une autre.

Deux chaises !...

GILETTE, même jeu.

Trois chaises !

FLAGEOLE.

Mazette ! il paraît que je suis le bienvenu !...

GILETTE, à part.

Ils ne veulent plus le mettre à la porte.

FLAGEOLE, s’étendant sur les trois chaises.

Genre pacha !...

CLOPIN, à Gilette, qui évente Flageole avec son plumeau.

Eh ! bien Gilette, tu n’as pas entendu !... il a demandé à déjeuner, le cher ami !

FLAGEOLE.

Oh ! presque rien !... un morceau froid... une tartine.

CLOPIN.

Par exemple, est-ce que vous n’êtes pas l’enfant de la maison !... trois côtelettes !...

DÉCIUS.

Deux pigeons !

CLOPIN.

Un pâté !

DÉCIUS.

Avec du veau !

FLAGEOLE, se levant.

Fichtre ! quelle avalanche de nourriture !... ah ! ça, et le liquide, pendant que vous y êtes !...

CLOPIN.

J’ai d’excellent petit vin du cru !

FLAGEOLE.

Le cru !... j’aimerai mieux le cachet vert !

CLOPIN, à part.

On en mettra un !

À Gilette.

toi, Gilette, cours vite chez le traiteur à côté...

À Flageole.

Vous déjeunez là-bas... vous serez plus à l’aise.

FLAGEOLE, à part.

Décidément on me dorlote ici !

CLOPIN, à Gilette.

Air : quadrille de Paris la nuit (Poule).

Au repas
Va veiller de ce pas
Et marchande
La commande.
Je vais moi-même pour le vin

À Flageole.

Ce sera meilleur et plus sain.

FLAGEOLE.

Pas vous, vieil hypocrite,
Vous m’feriez quelque noirceur,
J’aime mieux que ce soit la p’tite
Le vin s’re pur comme son cœur.

Ensemble.

CLOPIN.

Au repas
Va veiller de ce pas,
Et marchande
La commande.
Je vais aire porter le vin ;
C’est bien meilleur et bien plus sain.

FLAGEOLE.

Au repas
Allez de c’pas,
Qu’la commande
Soit, friande !
Et surtout chargez-vous du vin,
Il s’ra plus pur et bien plus sain.

DÉCIUS.

Au repas
Va veiller de ce pas,
Et marchande
La commande.
Papa fera porter le vin ;
C’est bien meilleur et bien plus sain.

GILETTE.

De ce pas
Je cours pour le repas,
La commande
Est friande.
D’ici nous porterons le vin ;
Ce sera meilleur et plus sain.

Gilette sort par le fond.

 

 

Scène V

 

CLOPIN, DÉCIUS, FLAGEOLE

 

CLOPIN, à Flageole.

Maintenant, mon brave, en attendant le déjeuner, nous pouvons toujours jaser de notre affaire.

FLAGEOLE, allumant sa pipe.

Jasons.

CLOPIN.

Qu’est-ce que vous faites donc ?

FLAGEOLE.

Allez toujours, j’allume mon meuble !

DÉCIUS, toussant.

Pouah !

FLAGEOLE.

Pouah !... as-tu fini, vicomtesse ?

CLOPIN.

Voyons, si nous parlions d’abord du prix...

FLAGEOLE.

Ça me va... entamons l’article noyau... parce que, voyez-vous, ce que je veux, c’est de l’argent... il y en a qui vous diraient : si je remplace votre fils, c’est pour vous être agréable... moi, non... si je me vends, c’est pour réparer des choses... de vilaines choses... une dette qui me tracasse, qui me rend taciturne.

DÉCIUS, à part, avec conviction.

Un bottier !...

FLAGEOLE, à part.

Si mon pauvre père savait que cet argent qu’il envoyait... je l’ai... enfin, c’est fait...

Haut.

Tenez, je vas vous dire tout de suite mon taux !

DÉCIUS.

Voyons ton taux !

FLAGEOLE.

Eh ! bien, il me faut 4 000 francs, net !

CLOPIN, avec joie.

Hein ?

DÉCIUS, de même.

Ah !

FLAGEOLE, à part.

Les v’là écœurés... j’ai trop demandé !...

DÉCIUS, bas à son père.

Dites donc, papa, quatre mille...

CLOPIN.

Chut !... j’allais lui en offrir dix...

Haut.

C’est cher ! c’est fort cher, vous me mettez le couteau sur la gorge... mais enfin...

FLAGEOLE.

Vous acceptez ?

CLOPIN.

Il le faut bien !

DÉCIUS, à part.

Est-il roué papa !... c’est un renard ! je suis le fils d’un renard !...

Bas à Clopin.

Dites donc, ce bon marché m’est suspect.

CLOPIN, mettant ses lunettes.

Avant de donner son argent, on reconnaît la marchandise... examinons.

DÉCIUS.

Examinons !...

Clopin et Décius font le tour de Flageole en l’examinant.

FLAGEOLE, à lui-même.

Qu’est-ce qu’ils ont donc à faire le tour de mon édifice !... est-ce qu’on m’aurait posé des affiches.

DÉCIUS, regardant les jambes de Flageole.

Les fondations sont bonnes.

À Clopin.

Tapez-lui dans le dos, papa.

FLAGEOLE.

Pourquoi donc faire ?

DÉCIUS.

C’est l’usage.

Il applique son oreille sur la poitrine de Flageole.

FLAGEOLE.

Ah ! bon !... je suis devant le conseil de révision !...

Il tousse avec violence, Décius recule effrayé.

Hum !

CLOPIN.

Quel creux !

FLAGEOLE.

Ça vaut mille francs de plus !... Ah ! ça !... avez-vous bientôt fini ?

DÉCIUS.

De quoi vous plaignez-vous ?... puisqu’on vous laisse vos habits... on vous les laisse !

FLAGEOLE.

Ah ! bien, il ne manquait plus que ça !

DÉCIUS.

Maintenant, vos dents... c’est l’essentiel !

FLAGEOLE.

Plaît-il ?

CLOPIN.

Oui, le gouvernement y tient...

FLAGEOLE.

À mes dents ?

DÉCIUS.

Sans doute pour...

Il fait mine de déchirer une cartouche.

Déchirez... ouche !

FLAGEOLE.

Ah ! je comprends... farceur de conseil de révision !

Riant.

ah ! ah ! ah ! ah !

CLOPIN, qui examine les dents.

Elles sont superbes ! vous pouvez fermer...

FLAGEOLE, continuant.

Ah ! ah ! ah ! ah !

CLOPIN.

Fermez !... puisque nous avons vu... fermez !...

FLAGEOLE.

Et c’est pour ça que vous avez mis des lunettes !... vieil opticien, va !

CLOPIN.

Écoutez donc... nous répondons de vous pendant un an.

FLAGEOLE.

Soyez donc tranquille, je vous garantis l’objet !... ça va au feu... mais ça craint l’eau... dans le vin !

DÉCIUS, il veut donner une tape sur le ventre à Flageole, qui le prévient, et lui en donne une très sérieusement.

Il est fort gai !

CLOPIN.

Puisque nous voilà d’accord et que vous êtes en bon état, je vais rédiger notre petit traité, et je descendrai à l’étude pour le copier !... mon fils vous tiendra compagnie !

FLAGEOLE.

Allez père Clopin !

CLOPIN.

Ah ! ça, et votre nom ?

FLAGEOLE.

Jean-Ptolémée Flageole. Êtes-vous content ?

DÉCIUS.

Nous le sommes.

Ensemble.

Air : Des deux Paires de Bretelles.

CLOPIN et DÉCIUS.

Ici, l’on va vous héberger :
Vous n’êtes plus un étranger,
Car en ce jour, le remplaçant,
De la maison devient l’enfant.

FLAGEOLE.

Ici je puis tout saccager,
Je ne suis plus un étranger,
Car, en ce jour, le remplaçant,
De la maison devient l’enfant.

Clopin sort à gauche.

 

 

Scène VI

 

FLAGEOLE, DÉCIUS

 

FLAGEOLE.

Ah !... à nous deux... Fanfan ! tu es peut-être vexé que je te remplace !

DÉCIUS.

Par exemple !

FLAGEOLE.

C’est triste, à ton âge, de gratter du papier quand les autres se tapent...

DÉCIUS.

Mais non !... j’aime assez à gratter !... je gratte volontiers...

FLAGEOLE.

Ainsi, tu ne m’en veux pas ?

DÉCIUS.

Moi, au contraire !... Sans vous je partais !... Les remplaçants sont si rares... papa ne pouvait pas en trouver.

FLAGEOLE, à part.

Tiens, tiens, tiens ! J’n’ai peut-être pas demande assez !...

DÉCIUS.

Ah ! je jouissais d’une grande chair de poule !...

FLAGEOLE.

Poltron !

DÉCIUS.

Vous le serez peut-être autant que moi, quand vous irez au feu !

FLAGEOLE.

Eh bien, quoi ? au feu...j’y suis allé... il y a un an de ça... quand j’ai vu aux barrières de Paris, des uniformes qui n’étaient pas français, et des drapeaux qui n’avaient pas l’habitude d’y venir... je me suis dit : Flageole, il ne s’agit plus de faire danser la bourgeoise à deux sous le cachet, faut changer de musique, mon vieux. Alors, j’ai troqué ma flûte contre une clarinette de munition...

DÉCIUS.

Comment, vous avez adopté le fusil ?

FLAGEOLE.

Parbleu !

Air : De la Permission de dix heures.

Premier couplet.

Tout ce qui s’trouvait en état
D’vint soldat,
Lorsqu’aux barrières de Paris
On vit approcher les enn’mis.
Allons péquins,
Citadins,
Citoyens,
Soyons gentils,
Empoignons nos fusils.
Courage, enfants !
Serrons nos rangs !
Tous, en avant !
Car c’est l’instant
D’êtr’ conquérant !
Vive une bataille
Attention ! et garde à vous !
Il pleut d’la mitraille
Et des coups,
Gare la dessous,
C’est un plaisir de taper, de s’battre,
Patapan !
D’fair du bruit comm’quatre,
Pif, paf, pan,
En tiraillant
Brrran !

On a bien d’abord un petit peu le trac... Mais...

Deuxième couplet.

Quand on entend le clairon,
Le canon,
Au diable alors l’émotion.
L’on d’vient rageur comme un lion !
À vous, Prussiens,
Autrichiens,
Et Russiens ;
V’là des pruneaux,
V’nez, on les sert tout chauds !
Et le Français
Rapporte après,
Pour sa cuisine, oh ! quel succès !
Du laurier frais !
Vive une bataille etc.

Ah ! ça, on ne boit donc rien ici ? hum ! Le baromètre est au grand sec !

DÉCIUS.

Peut-on vous offrir un verre d’eau sucrée ?

FLAGEOLE.

Canard !... Est-ce que le père Clopin ne garde pas quelques vieilles bouteilles !

DÉCIUS.

Oh ! si !... du rhum de 1800... Mais on n’y touche pas.

FLAGEOLE.

Quinze ans de bouteille... En v’là un qui doit avoir envie de changer de bocal !... Où est le nid ?

DÉCIUS !

Ça, on ne sait pas.

FLAGEOLE.

Suffit ! je me charge de flairer le liquide.

Il renifle.

Bouge pas ! Ce doit être par-là ?...

Ouvrant une armoire.

des chiffons... des robes et de belles robes, ma foi !...

DÉCIUS.

Touchez pas !... C’est ma corbeille !

FLAGEOLE.

Tu te maries ? je m’en invite... merci, vieux !... Ah ! ça, et ce rhum ?

DÉCIUS.

Quand papa cache, il cache bien, allez !

FLAGEOLE.

Oh ! le vieux racorni !... Allons, prête-moi cent sous, je paie l’absinthe.

DÉCIUS, les lui donnant.

L’absinthe !... merci !... je m’en prive...

FLAGEOLE.

Quoi ! nous faut faire un bout de noce... et, en attendant le déjeuner, nous pousserons un carambolage... sauvage... en route !...

 

 

Scène VII

 

DÉCIUS, FLAGEOLE, GILETTE

 

GILETTE, entrant.

Messieurs, votre déjeuner est prêt.

FLAGEOLE.

À table !...

Redescendant la scène.

Ah ! pardon, je suis un gros incivil...

Regardant Gilette.

Oh ! petite friandise...

Il l’embrasse.

v’lan !...

DÉCIUS, le tirant.

Dites-donc, vous, dites-donc ?

FLAGEOLE.

Eh bien, quoi ?... on ne peut donc plus saluer les dames !

À Gilette.

Dites rien, on vous rapportera du dessert !...

Ensemble.

Air : de Barbe Bleue. (Acte premier, scène deuxième.)

FLAGEOLE.

Allons fanfan,
Du mouvement
Et vite en route !
Vient chaudement
Au restaurant,
Casser la croûte !

DÉCIUS.

Il faut gaiement,
En cet instant,
Nous mettre en route !
Et chaudement
Au restaurant,
Casser la croûte !

GILETTE.

Toujours gaiement,
Toujours chantant,
Il suit sa route !
Moi j’ai vraiment
Le cœur content,
Quand je l’écoute !

Flageole et Décius sortent par le fond.

 

 

Scène VIII

 

GILETTE, seule

 

Il est jovial, ce gros monsieur-là !... il a une manière de saluer les dames... après çà, il a l’air si bon enfant !... il me regarde toujours !...

Elle se met devant la glace.

Tiens ! comme je suis coiffée !... je n’y avais jamais pris garde... mais à présent qu’il y a un étranger... Et ma robe, mon fichu... comme c’est minable ! Ah ! tu n’es pas séduisante, ma pauvre fille !... et pourtant...

Air : le Seigneur et les Hirondelles.

On aurait
Un joli bonnet
Coquet,
Et bien fait ;
Parée, embellie,
Comme une autre on serait jolie,
Avec des atours,
On doit tous les jours
Entendre de galants discours,
Et fixer le cours
Des amours
Toujours.
La coquette
En toilette,
Dont l’éclat est si vanté,
Aux fleuristes,
Aux modistes,
Bien souvent doit sa beauté.

Reprise.

On aurait, etc.

Si j’avais seulement une pauvre petite robe de mérinos !... mais je n’oserai jamais la demander à mon oncle... ah ! mon Dieu, le voici ?...

Elle quitte la glace et prend vivement le plumeau.

 

 

Scène IX

 

CLOPIN, GILETTE

 

CLOPIN, entrant de gauche sans voir Gilette.

Ah ! tout sourit à mes vœux !... ils sont à déjeuner... j’ai recommandé à Décius de le faire boire, de le plonger dans l’ivresse... mon acte est prêt, et dans un instant...

GILETTE, à part.

Il a l’air de bonne humeur... j’ai envie d’essayer...

Haut.

Monsieur ?...

CLOPIN.

Hein !... qu’est-ce !...

GILETTE.

C’est moi, monsieur... c’est que je voulais vous demander...

CLOPIN.

Quoi ?

GILETTE.

Monsieur... ça coûte-t-il bien cher, le mérinos ?

CLOPIN.

Le mérinos ?...

GILETTE.

Oui, pour...

CLOPIN.

Pourquoi ?

GILETTE.

Pour une robe.

CLOPIN.

Une robe pour qui ?

GILETTE.

Pour moi !

CLOPIN.

Une robe pour toi !

GILETTE.

Oh ! ne vous fâchez pas !

CLOPIN.

On n’a pas idée de çà !

GILETTE.

C’est que, tout à l’heure, je me suis vu dans la glace, et je pensais...

CLOPIN, furieux.

Dans la glace !... tu te regardes dans les miroirs !... voilà du nouveau !... tu deviens coquette !... Songes-y bien... la coquetterie conduit à l’oisiveté, et l’oisiveté conduit un oncle à se priver de sa nièce.

GILETTE.

Mais, mon oncle !

CLOPIN.

Ne raisonne pas, ou je sors de mes gonds !...

Ensemble.

Air : de Donizetti.

La colère
M’exaspère
Et m’altère :
Gare à toi !

GILETTE.

La colère
M’exaspère.
Il faut s’taire,
Malgré soi.

GILETTE, à elle-même.

Sa colère me glace !

Reprise.

CLOPIN.

Se mirer dans la glace !
Est-ce que je le fais, moi ?

 

 

Scène X

 

GILETTE, CLOPIN, FLAGEOLE

 

FLAGEOLE, un homard sous le bras.

Vive la joie !

À Gilette, qui était remaniée en pleurant.

Bonjour, la petite... Je vous avais promis du dessert... voilà un homard... frais comme l’œil !

Il va pour l’embrasser et s’arrête.

De quoi ! des larmes... Qui est-ce qui s’est permis ?...

GILETTE, pleurant.

Dame, c’est monsieur.

FLAGEOLE, la ramenant en scène, à Clopin.

Oh ! vieux sarcophage ! vous la tourmentez donc, cette brebis ?

CLOPIN.

Mais non, c’est elle !... une sotte !... N’a-belle pas le front de me demander une robe en mérinos... et pour elle, encore !

FLAGEOLE.

Eh bien, après ?

CLOPIN.

Eh bien, après... elle a essuyé un refus !

FLAGEOLE.

Ah ! mais, minute !... j’entends pas çà, moi !... Elle me plaît, c’t’enfant, et j’entreprends son bonheur. Allons, cette robe... vous allez lui donner...

CLOPIN.

Par exemple...

FLAGEOLE.

Il n’y a pas de par exemple !... c’est mon vœu.

CLOPIN.

Mais, monsieur, rien ne vous autorise...

FLAGEOLE.

Ne m’autorise ?... Ah ! çà, je suis donc un étranger, moi, ici ! un chinois, un japonais ! Si je ne suis plus l’enfant de la maison, faut le dire... je prends mon chapeau et je file...

Il fait le mouvement de prendre son chapeau qu’il a déposé sur le bureau en entrant.

s’il vous plaît ?

CLOPIN, le retenant.

Non, non !... voyons !... Calmez-vous ! Elle l’aura !...

À Gilette.

Tu l’auras, ce mérinos !

FLAGEOLE.

Je me calme.

GILETTE, à part.

Pendant qu’il est en train... si je profitais...

FLAGEOLE, bas à Gilette.

Est-ce tout ?

GILETTE, bas à Flageole.

J’aurais bien voulu aussi un bonnet de tulle.

FLAGEOLE.

C’est juste, pour aller avec la robe !

GILETTE.

Avec des rubans roses !

FLAGEOLE.

Suffit !

À Clopin.

Maintenant, vieux, nous faut un bonnet de tulle... très orné de rubans roses !

CLOPIN.

Mais vous n’y pensez pas !

FLAGEOLE, même jeu que ci-dessus.

Vous refusez ? cordon, s’il vous plaît ?

CLOPIN, vivement.

Allons... va pour le bonnet !

À part.

Elle me ! paiera !

FLAGEOLE, à Gilette.

Après ?... ne vous gênez pas !...

GILETTE.

Il faudrait aussi un fichu de soie...

FLAGEOLE.

C’est juste, pour aller avec le bonnet !...

GILETTE.

Mais... ça coûte douze francs !

FLAGEOLE.

Tant mieux !

À Clopin, haut.

Eh ! papa...

CLOPIN.

Encore ?

FLAGEOLE.

Nous aurions le plus pressant besoin d’un fichu de soie...

CLOPIN.

Ah ! pour le coup !

FLAGEOLE.

Justement c’est pour le cou...

CLOPIN.

Eh ! monsieur !... il n’est pas question de çà... mais je ne peux pas...

FLAGEOLE.

Non ?... Cordon, s’il vous plaît ?

CLOPIN.

Eh bien ! c’est bon... va pour un fichu... de cent sous !

FLAGEOLE.

Non, non ! Pour cent sous nous n’aurons qu’un fichu... fichu... ça vous coûtera douze francs... allons... eh !

CLOPIN.

Encore douze francs !... c’est un fléau que cet homme-là !... c’est une trombe !...

FLAGEOLE.

Vous dites, papa ?

CLOPIN.

J’espère, monsieur, que vous mettrez un terme à vos munificences ?

FLAGEOLE, consultant Gilette.

Hein ?... faut-il mettre un terme ?...

GILETTE, bas.

Oh ! oui... oui !

FLAGEOLE, haut.

Nous mettons un terme à nos munificences.

CLOPIN.

Ah ! c’est heureux ! Et maintenant nous pouvons signer !

FLAGEOLE.

Après le fichu !

CLOPIN, à part.

Diable d’homme !...

Haut.

Allons, j’y cours moi-même !

À part.

J’ai mon idée !...

Il remonte.

FLAGEOLE, l’arrêtant.

Ah... En même temps vous retirerez votre fils du plan.

CLOPIN, redescendant.

Comment, du plan ?

FLAGEOLE.

Oui, au billard voisin, au bout de la rue.

Air : On dit que je suis sans malice.

Nous avons fait une partie,
Et les gens de la galerie
Nous suivaient, avec intérêt,
Tant mon adress’ les étonnait !
C’est dans ce cas-la que je brille ;
Mais en voulant piquer ma bille,
Dans l’tapis, j’ai fait un accroc
Et j’ai l’aissé vot’ fils au croc :
V’là pourquoi vot’ fils est au croc !

Tenez, v’là le mouvement : j’étais à la bande, et v’lan !...

Il imite le mouvement et jette par terre une pile de dossiers.

CLOPIN.

Allons, bon !... mes dossiers !...

FLAGEOLE.

On les ramassera, vos dossiers... ils ne sont pas en cristal, vos dossiers !

CLOPIN, prenant son chapeau, à part.

Je sors, car j’éclaterais !...

Haut.

Au revoir, cher ami.

À part.

Une fois l’acte signé, je le flanque à la porte !

Haut.

Au revoir, cher ami !...

À part, en sortant.

Soudard !...

 

 

Scène XI

 

FLAGEOLE, GILETTE

 

FLAGEOLE, à la cantonade.

Surtout n’oubliez pas le bonnet et le mérinos... et pas de lésinerie !

Redescendant en scène, à Gilette.

Eh bien ?... êtes-vous contente de moi ?...

GILETTE.

Oh ! je crois bien ! Vous me montrez tant d’intérêt, et j’y suis si peu habituée ! Mais qu’est-ce que j’ai donc fait pour m’attirer tout ça de votre part ?

FLAGEOLE.

Dame ! je n’en sais rien !... en vous voyant je me suis dit : tiens, c’te petite, elle est gentille... mais elle n’a pas l’air fortuné... et v’lan, l’intérêt est entré là sans permission.

GILETTE.

Tiens ! c’est comme moi ! est-ce drôle !

FLAGEOLE.

Air : Va, mon doux ami.( Gardeuse de dindons, premier acte.)

Ah ! sans le savoir,
Sans le vouloir,
Un doux espoir,
Tous deux, en secret,
Nous inspirait
Et nous guidait.
Contre l’avenir
Il faut nous unir,
Et nous soutenir.
Non plus de souci :
Heureux aujourd’hui
De pouvoir ici,
Être votre appui
Et votre ami !

Il veut prendre la main de Gilette qui ta retire.

Je m’en vais faire un tour et brûler un peu de caporal... parce que si je restais trop longtemps là... près de vous à jaser... Eh ! bien, on ne sait pas... je pourrais peut-être bien regretter...

GILETTE.

Quoi donc ?... d’avoir pris ma défense ?

FLAGEOLE.

Oh ! c’est pas ça !... mais...

Suite de l’air.

Faut être prudent,
Le sentiment
Va lestement,
Et souvent l’amour,
Le premier jour,
Prend un détour.
Oui, j’en ai grand peur !

GILETTE.

Je sens que mon cœur
À moins de frayeur.

FLAGEOLE.

Vrai ?...

GILETTE.

Plus de souci :
Soyez mon appui,
Que je puisse, ici,
Compter aujourd’hui
Sur un ami.

Ensemble.

FLAGEOLE, prenant le bras de Gilette.

Ah ! sans le savoir, etc.

GILETTE.

Ah ! sans le savoir,
Sans le vouloir,
Un doux espoir,
Tous deux, en secret,
Nous inspirait
Et nous guidait.
Contre l’avenir
Il faut nous unir
Et nous soutenir.
Non plus de souci :
Soyez mon appui.
Que je puisse, ici,
Compter aujourd’hui
Sur un ami !

FLAGEOLE.

Vous n’êtes pas heureuse ici chez le père Clopin ?

GILETTE.

Dame !... je n’ai que lui de parent...

FLAGEOLE.

Comment ! ce vieux délabré est membre de votre famille ?

GILETTE.

C’est mon oncle...

FLAGEOLE.

Lui, votre oncle ?... il se conduit comme un neveu !

GILETTE.

Ah ! si mon pauvre père vivait !

FLAGEOLE.

Vous l’avez perdu ?

GILETTE.

Il était soldat...

FLAGEOLE.

Bah ! vous êtes la fille d’un... c’est comme moi !... deux enfants de troupe !...

Il lui serre la main.

Un brave, n’est-ce pas ?...

GILETTE.

Oh ! oui, trop brave ; parce qu’un jour...

FLAGEOLE.

Ah ! je comprends... fini !

GILETTE.

Et plus personne pour me défendre, pour me protéger !... Pas de frère, pas d’ami !... Ah ! si !... un seul... un compagnon d’armes de mon père, auquel il m’avait léguée en mourant. Il m’écrivait : Flageole est un ami...

FLAGEOLE.

Hein !... Flageole !...

À part.

Mon père !

GILETTE.

Il prendra soin de toi !...

FLAGEOLE, à part.

Et cet argent que j’ai mangé... c’était... oh !

GILETTE.

Mais il m’a oubliée, sans doute...

FLAGEOLE, vivement.

Non saperbleu ! le lieutenant Flageole n’a pas manqué de mémoire...

GILETTE.

Vous croyez ?... et cependant...

FLAGEOLE.

L’argent aura fait le grand tour, quoi ! il se sera trouvé accroché dans les mains de quelque mauvais sujet, quelque vaurien, quelque sans cœur !...

Brusquement à Gilette qui ramasse un dossier.

Ne rangez pas !... c’est pas votre état.

GILETTE.

Mais si mon oncle revenait...

FLAGEOLE.

Ne rangez pas ça qu’on vous dit !... la fille d’un soldat... c’est pas une domestique... peut-être !

GILETTE.

Je ne suis pourtant pas autre chose...

FLAGEOLE.

Ôtez-moi ce tablier-là !

GILETTE.

Oh ! non... si je m’avisais.

FLAGEOLE, plus brusquement.

Ôtez donc ce tablier-là !

Il le lui arrache.

GILETTE.

Oui ; monsieur, voilà, voilà !...

À part.

Il me fait peur.

FLAGEOLE.

Et pour commencer, vous allez passer une robe de soie, de tulle, de velours, ça m’est égal !...

GILETTE.

De velours ! et où voulez-vous que j’en prenne ?

FLAGEOLE.

Vous en aurez !... ça me regarde, j’en trouverai.

À lui-même.

Ah ! la corbeille du petit.

Allant au cabinet qu’il ouvre.

Venez ici ;

Hésitation de Gilette.

mais venez donc ici, en v’là-t-il des colifichets... de la soie, de la dentelle... de quoi costumer un pensionnat... Eh ! ben, choisissez... tout ça est à vous !

GILETTE.

À moi ?...

FLAGEOLE.

Je vous donne tout le bazar... et ce n’est pas encore assez...Vous allez mettre des bracelets, des colliers, des rivières... je veux que vous nagiez dans les rivières... je veux que vous soyez belle, belle... Qu’on vous prendra pour une limonadière... Allez !... mais allez donc ?

GILETTE, effrayée.

Oui, monsieur, oui, monsieur !...

À elle-même.

Puisque tout le monde lui obéit, ici... je vais faire comme tout le monde !

FLAGEOLE.

Vous êtes encore là ? mille milliards !...

GILETTE.

Je me sauve.

Elle sort à droite.

FLAGEOLE.

Elle a bien fait ! j’allais jurer !...

 

 

Scène XII

 

FLAGEOLE, seul

 

Il retourne une chaise et se plante dessus au milieu du théâtre.

Et à nous deux maintenant, gredin !... qu’est-ce que t’as fait de l’argent que ton père t’envoyait pour cette jeune fille ?... Réponds, qu’est ce que t’en as fait ?... misérable ! tu l’as croqué, englouti... tu as dévoré le pain de l’orpheline ! ah ! je veux m’injurier jusqu’à la fin de mes jours !... c’est la faute du père Flageole ! Pourquoi qu’il ne m’expliquait pas la chose... au lieu de m’envoyer la somme en me disant seulement : – « Remets ça à telle personne, qui le remettra à telle autre... » – Un jour, je trouve mon particulier dégelé – je pouvais pas lui porter ça là bas... je ne savais pas l’adresse... l’argent moisissait, il s’y mettait des toiles... ce spectacle m’affligeait.

Se levant.

Oh ! je réparerai tout ça ! et d’abord je ne veux pas qu’elle serve !... c’est à moi à faire son ouvrage... à la relever aux yeux de tous... et à ramasser ses paperasses à ce vieux notaire... tiens ! tiens, tes dossiers... comme je les range ! et allez donc !... et allez donc !...

Il les fourre sans ordre dans le premier casier venu.

Ah ! en v’là encore un que j’avais oublié...

Il ramasse et lit.

Remplacement militaire...

Après avoir lu.

Que vois-je !... Ah ! vieux sapajou !... tu donnais à un autre... tandis qu’à moi... Confisqué le chiffon... j’en trouverai le placement...

Il met le papier dans sa poche.

voici le garde notes... attention !

 

 

Scène XIII

 

FLAGEOLE, CLOPIN, avec des cartons, DÉCIUS

 

CLOPIN, à Décius.

Mais marche donc droit !

DÉCIUS, un peu échauffé.

Oui, papa !... oui, papa !... vous m’avez dit : – Fais-le boire, plonge-le dans l’ivresse, ça y est... je l’ai plongé !...

CLOPIN, à part.

Dans quel état, mon Dieu !

DÉCIUS, regardant autour de lui.

Tiens, papa, votre étude qui tourne !...

FLAGEOLE, à Clopin.

Je voudrais vous insinuer quatre mots dans le tympan.

CLOPIN.

Monsieur, voilà mon fils ! ils l’ont fait fumer, vos piliers d’estaminet !

DÉCIUS, gaiement.

Mais papa, j’ai carambolé ! j’ai carambolé avec une glace de l’établissement... Eh !... Eh !... ils ont dit que j’avais fait de l’effet !... Eh ! Eh !... et ils ont mis ça sur le compte avec le reste... Eh ! Eh !...

CLOPIN.

Mais assieds-toi donc, malheureux !... voyons, monsieur, terminons promptement !...

FLAGEOLE.

Minute !

CLOPIN.

Encore des retards !... vous avez dit : après le fichu !... Eh ! bien, le fichu, le mérinos, le bonnet, tout est là... vérifiez !...

FLAGEOLE.

Voyons !...

Il examine.

CLOPIN, à lui-même.

J’ai pris tout ça à condition... et demain...

FLAGEOLE.

Qu’est-ce que c’est que cette friperie là ?... c’était bon pour la bonne.

Il s’assoit sur le bonnet qu’il a remis sur la table.

Mais pour la nièce du notaire...

CLOPIN.

La nièce !... comment, vous savez !...

FLAGEOLE.

Je sais qu’elle vous est onéreuse !... et je vous demande sa main, sans vous commander !

CLOPIN.

Sa main ! quand vous allez partir à la place de mon fils ?

FLAGEOLE.

Ah ! mais, je ne pars pas, ah ! mais, je reste !

DÉCIUS.

Bah !

CLOPIN, anéanti.

Patatras !

FLAGEOLE.

Apport du futur ! santé, frugalité, hilarité et sensibilité !... Maintenant, pour vous mettre à l’aise, je n’ajoute que deux syllabes... si vous consentez, bravo !... si vous refusez, bravo encore... je l’enlève à votre nez, à votre barbe... ça me pose, voilà l’ordre et la marche... ça vous va-t-il ?...

CLOPIN.

Mais, monsieur.

FLAGEOLE.

C’est pas ma faute...

Se touchant le cœur.

L’amadou est pris !...

DÉCIUS, à part, se dégrisant.

Avec son amadou me voilà reconscrit !... ah ! mais ça ne tourne plus du tout !

CLOPIN, à part.

Nous sommes perdus, si je ne trouve pas.

Tous-à-coup.

Ah !...

DÉCIUS.

Vous dites ?

FLAGEOLE.

Quoi donc ?

CLOPIN, à Décius.

Chut !

À Flageole.

Vous sentez bien mon cher ami que je ne demande pas mieux... certainement, mais je dois vous prévenir d’une chose... ma nièce aime quelqu’un.

FLAGEOLE.

Fichtre !...

DÉCIUS, comprenant.

Ah ! papa qui trouve un biais ! bravo, papa !...

FLAGEOLE, bas à Décius.

Petit, le nom, le nom du particulier... que je lui casse les reins !

DÉCIUS.

Son nom !... dame ! son nom demandez à papa !...

FLAGEOLE, à Clopin.

Vous l’appelez ce blanc-bec ?

CLOPIN.

Ce rival !... vous ne devinez pas... c’est... c’est Décius.

DÉCIUS, se reculant effrayé.

Mais !

CLOPIN, bas à Décius.

Tais-toi donc, imbécile !

À Flageole.

Elle en est folle.

FLAGEOLE, à Décius.

Avance à l’ordre !

DÉCIUS, approchant, poussé par son père.

Vous voulez me parler ?...

À part.

Il va me casser l’endroit qu’il a dit !

FLAGEOLE.

Réponds ! l’aimes-tu ?

DÉCIUS.

C’est-à-dire, je...

À part.

Oh ! quels yeux.

CLOPIN, bas.

Mais, va donc !

FLAGEOLE, à Décius.

L’aimes-tu ?

DÉCIUS.

Certainement, d’un côté... parce qu’enfin... mais, du reste... demandez à papa !

CLOPIN, à part.

L’animal !...

Haut.

La vérité, est qu’il en perd la tête... il n’ose pas l’avouer devant moi... parce que... ne voulait-il pas l’épouser !...

FLAGEOLE.

L’épouser !... ah !... bien vrai !...

CLOPIN.

La preuve, c’est la corbeille qu’il a déjà fait la folie d’acheter !

FLAGEOLE.

Comment... dans ce cabinet ?...

CLOPIN.

C’était pour elle...

DÉCIUS.

C’était pour elle !

À part.

Je favorise le biais à papa !

FLAGEOLE, à lui-même.

C’est différent !... puisqu’ils s’aiment !... allons !...

Haut.

M. Clopin, je suis à vos ordres pour signer.

CLOPIN.

Voici mon acte !...

FLAGEOLE, lisant un papier.

Et voici le mien !...

CLOPIN.

Ah ! vous avez rédigé...

FLAGEOLE.

Oui, j’ai griffonné en m’amusant !...

CLOPIN.

Voyons, voyons !...

Lisant son acte.

Entre les soussignés, etc. etc... les noms...

FLAGEOLE, lisant le sien.

« Il a été convenu ce qui suit : Le sieur Flageole s’engage à faire le service militaire en lieu et place du sieur Décius Clopin... »

CLOPIN, lisant ensemble.

Moyennant la somme de 4 000 francs.

FLAGEOLE, lisant ensemble.

Moyennant la somme de 15 000.

CLOPIN.

Non, quatre mille... voyez plutôt...

FLAGEOLE.

Quinze mille, voyez plutôt !

CLOPIN, à lui-même.

L’acte du juif !... je suis ruiné !...

FLAGEOLE.

À mon tour, je vais vous presser !... je veux ce prix-là ou rien !... allez refaire l’acte, je signe et je pars... sinon, nix !

CLOPIN, désespéré.

Ah ! que ! désastre !

DÉCIUS, à Clopin.

Qu’est-ce qui arrive donc, papa ?

CLOPIN.

Viens, tu le sauras, animal !... ah ! pourquoi n’ai je pas une fille !

DÉCIUS.

Ce n’est pas ma faute !

Ils sortent à gauche.

 

 

Scène XIV

 

FLAGEOLE, puis GILETTE

 

FLAGEOLE.

J’aurai les quinze mille et je partirai... si la petite n’avait aimé personne... mais elle aime le Décius et, malgré son père, elle l’épousera, ou morbleu !

Il frappe sur la table avec la sonnette qu’il agite.

Tiens, v’là que je sonne à présent !

GILETTE, accourant, de droite, en toilette.

Vous avez appelé ?

FLAGEOLE, vivement.

Hein ? Comment ?... cette sonnette, c’est donc ?...

GILETTE.

Pour me prévenir quand on a besoin de moi.

FLAGEOLE, à part.

Et c’est moi qui suis cause...

S’apercevant du changement de toilette.

Tiens, tiens, tiens ? que vous êtes belle comme ça !...

GILETTE.

C’est pour vous obéir !... et puis mon oncle n’étant pas là... et quand j’ai vu ces jolies robes, je n’ai pas pu résister !...

FLAGEOLE.

Vous avez mon approbation !

GILETTE.

Et trouvez-vous que ça aille un peu ?...

FLAGEOLE, s’animant.

Un peu !... c’est-à-dire que vous avez l’air d’être venue au monde là-dedans !... je vous trouvais déjà bien gentille, le matin, mais à présent, c’est-à-dire que...

À part.

Eh ! bien, v’là que je prends le mors !...il y a de la pente, Flageole, mets le sabot !

GILETTE, regardant la robe.

Et le plus étonnant c’est qu’elle me va.

FLAGEOLE, à part.

Allons, v’là le moment d’imiter J.-J. Rousseau. En avant les confessions !

Très haut avec détermination.

Mademoiselle...

GILETTE, effrayée.

Ah ! mon Dieu ! est-ce que ça va vous reprendre ?... qu’est-ce que vous avez ?...

FLAGEOLE.

J’ai... j’ai, que depuis ce matin, je vous cache un affreux mystère... il faut que ça parte !...

Même jeu.

Mademoiselle !...

GILETTE, se reculant.

Monsieur !...

FLAGEOLE.

Non, ça s’arrête-là !... ça me reste au larynx !... mais, voyez-vous une pièce de cent sous filait... puis une autre, puis deux autres, ça file si vite, ces joujoux-là ! mais si vous saviez le regret... car depuis ce matin, que je vous ai vue, je...

GILETTE, à part.

Enfin, il va parler !

FLAGEOLE, à part.

Eh ! bien ! eh ! bien ! mets le sabot, mon vieux ; mets le sabot !...

Haut.

Tenez, je suis sûr qu’au fond du cœur vous accusez le père Flageole ?

GILETTE, avec chaleur.

Moi, l’accuser !... oh ! non !... je n’en ai pas le droit... car je n’oublierai jamais ses bienfaits, et je pense que s’il les a cessés tout-à coup, c’est qu’il avait une famille dont il devait s’occuper avant moi... un fils peut-être ?

FLAGEOLE.

Oh ! oui, il en a un, c’est là son seul défaut, à ce brave homme, et ce fils... c’est moi !

GILETTE.

Vous ?

FLAGEOLE.

Air : J’en guette un petit de mon âge.

Oui, moi ! vous voyez le coupable !
De tous vos maux, c’est moi qui suis l’auteur !
Ma conduite est inexcusable !

GILETTE.

Mais non ! vous êtes dans l’erreur !
Un tel aveu doit me suffire,
Et tous vos torts sont effacés !

FLAGEOLE.

Ah ! je vois bien que vous me haïssez !

GILETTE, à elle même.

Ce n’est pas ça que j’voulais dire !

FLAGEOLE.

Mais je réparerai tout !... car, sans moi, vous auriez une position... et qui sait... peut-être un mari... un bon mari qui vous rendrait heureuse...

GILETTE.

Un mari !

FLAGEOLE.

Et il est tout trouvé... il y a quelqu’un qui vous aime... sans aller bien loin... sans sortir de cette maison...

GILETTE, à part.

Il va me faire une déclaration !

FLAGEOLE.

Dans cette maison... comprenez-vous ?

GILETTE, timidement.

Je... je crois que oui...

FLAGEOLE.

Eh ! bien, il sera votre époux... à moins que ça ne vous fasse de la peine...

GILETTE, de même.

Je... je crois que non !...

FLAGEOLE, à part.

Allons ! on ne m’avait pas trompé ! C’est égal !... c’est un drôle de goût !

CLOPIN, en dehors.

Allons, Décius, allons !

GILETTE, vivement.

Mon oncle !... je me sauve !

FLAGEOLE, la retenant.

Par exemple !... serrons les rangs... fixe et d’aplomb ! je suis là !...

GILETTE, se serrant contre lui.

Oh ! je suis toute tremblante !

 

 

Scène XV

 

FLAGEOLE, CLOPIN, GILETTE, DÉCIUS

 

CLOPIN, à Flageole, sans voir Gilette, et son acte à la main.

Voici notre acte, quand vous voudrez...

FLAGEOLE, prenant Gilette par la main.

Avant... permettez que je vous présente mademoiselle Gilette Baudry !

CLOPIN, apercevant la toilette de Gilette.

Ah !

DÉCIUS, de même.

Ah ! papa, Cendrillon... c’est de ma corbeille, je la reconnais...

CLOPIN, furieux.

Petite malheureuse ! où as-tu pris ça !... qu’est-ce qui t’a permis... Répondras-tu ?

GILETTE.

Voilà ce que je craignais !

Elle se jette sur une chaise.

CLOPIN.

Eh ! bien, elle s’assoit maintenant, pour chiffonner... veux-tu bien te lever, je te défends de t’asseoir !

FLAGEOLE.

Ah ! ça mais... puisque c’est à elle !

CLOPIN.

À elle, quoi ?

FLAGEOLE.

Eh ! bien, la robe, la corbeille... Puisqu’elle va se marier...

GILETTE, à part.

Me marier !

FLAGEOLE, à Clopin.

C’est vous-même qui m’avez dit...

CLOPIN.

Elle ! ah ! oui !

DÉCIUS.

Ah ! oui !

CLOPIN.

C’est juste ! c’est à elle la corbeille puisque...

DÉCIUS.

C’est à elle puisque...

CLOPIN, à part.

Ah ! Dieu ! qu’il ne se doute de rien... avant d’avoir signé...

Bas à Décius.

Embrasse-là.

DÉCIUS.

Comment ! vous voulez... Ah ! je vais l’embrasser.

Il l’embrasse.

CLOPIN, à Flageole.

Les voyez-vous !... les voyez-vous !...

GILETTE.

Tiens, vous m’embrassez, mon cousin ?

DÉCIUS, bas.

Chut !... c’est pour faire plaisir à papa !...

FLAGEOLE.

Elle se laisse faire ! allons, il n’y a pas à s’en dédire.

Regardant l’acte.

Vous avez mis 15 000 ? C’est bien ça.

CLOPIN.

Hélas !

FLAGEOLE, s’approche du bureau avec l’acte.

Elle sera peut-être heureuse !

Il signe.

Voilà.

DÉCIUS.

Il a signé !... il a signé, je suis libre ! je suis bourgeois ! je peux me marier !

FLAGEOLE.

Tâchez de faire un peu son bonheur, je ne vous dis que ça !

DÉCIUS.

Je crois bien que je ferai son bonheur ! cette chère Cornélie !

FLAGEOLE.

Gilette !

GILETTE.

Moi !

DÉCIUS.

Ah ! mais non ! c’est Cornélie maintenant !

CLOPIN, riant.

Cornélie Coquatrix, sa future... ah ! ah ! ah !

FLAGEOLE.

Ah ! mille milliards, j’ai été votre jouet, votre polichinelle... Eh bien, mes amours de Clopin, je vous dis que le Décius épousera sa cousine !...

À Décius.

Elle vous aime cette jeune fille !

DÉCIUS.

Moi !...

GILETTE.

Mais non, monsieur !... je ne sais pas où vous allez chercher ça !... je ne peux pas souffrir mon cousin, et je ne veux pas l’épouser !

CLOPIN.

Là ! vous l’entendez !

DÉCIUS.

Elle ne peut pas me souffrir... merci Gilette !...

FLAGEOLE, décontenancé.

Ah ! c’est différent !... je croyais, on m’avait dit... et vous-même...

Clopin sort pour chercher le sac d’argent.

GILETTE.

Moi ?

FLAGEOLE.

Dame !... tout à l’heure... quand je vous ai parlé d’un mari...

GILETTE.

Eh bien !

FLAGEOLE.

Air : de Terriers.

Je vous disais en usant de mystère,
Afin de mieux éclaircir mon soupçon,
Ce mari-là n’est pas bien loin ma chère,
Il est tout près, ici, dans la maison...
Puis, j’ajoutais aurait-il su vous plaire ?
Et votre cœur, hélas ! n’a pas dit non !...

GILETTE.

Oh ! oui, c’est vrai, monsieur, je suis sincère !
N’étiez-vous pas aussi dans la maison ?

FLAGEOLE.

Moi ! c’était moi !... Ah ! je suis le plus heureux citoyen du territoire... je suis...

CLOPIN, entrant avec des billets et un sac d’argent.

Vous êtes soldat !

FLAGEOLE.

Soldat !...

CLOPIN, posant le sac sur son bureau.

Et voici votre sac !

DÉCIUS, lui attachant le sac militaire.

Voilà votre sac !

FLAGEOLE.

Capon, pourquoi n’as-tu pas parlé ! Monsieur, cet argent ne m’appartient pas... il est à la fille du capitaine Baudry.

GILETTE.

À moi !

CLOPIN.

Ces quinze mille francs à Gilette !

FLAGEOLE.

J’acquitte la dette du père Flageole, et je rachète mes péchés.

GILETTE.

Oh ! non ! c’est impossible ! je n’accepte pas !

FLAGEOLE, bas à Gilette.

Gardez-les comme la dot de votre époux... s’il ne revient pas trop déchiré !

GILETTE.

Comme çà j’accepte.

DÉCIUS, descendant la scène.

Ah ! çà, le tambour ne battra donc pas !... voilà un instrument qui est lambin !

On entend un roulement.

Ah ! enfin ! Allons, allons, mon bon !

GILETTE.

Ah ! mon Dieu, déjà !

FLAGEOLE.

Du courage, madame Flageole !

GILETTE.

Je vous attendrai !

Ils s’embrassent.

DÉCIUS, lui apportant son chapeau et un bâton.

Ah ! nous flânons ! nous flânons ! Le tambour va s’impatienter !...

Nouveau roulement.

Qu’est ce que je disais ?... il s’impatiente... Allez donc, guerrier !... allez donc !

UNE VOIX, en dehors.

« Habitants de Noisy-le-Sec, il est fait à savoir que, par ordre du ministre de la guerre, la classe de 1845 est licenciée...

TOUS.

Hein ?

LA VOIX, continuant.

« Et restera en disponibilité dans ses foyers »

FLAGEOLE, avec une grande joie.

En disponibilité ! Mais alors je peux vous épouser !... Ah ! réintégré au 6e chapeau rond !... bataillon des péquins. Haut, armes !... Rompez les rangs... arch !

Il prend le bras de Gilette.

CLOPIN.

Cependant...

FLAGEOLE.

Fumé, le notaire !... À moi une petite femme, quinze mille livres de dot... corbeille soignée, physique ibidem..

À Clopin.

À demain la noce... Vous payez le repas, je le mange... Merci, mon oncle !

CLOPIN.

Ah ! pourquoi n’ai-je pas eu une fille !

À Décius.

Pourquoi n’es-tu pas une fille !

DÉCIUS.

Ah ! si j’avais su !

GILETTE.

Ah ! que je suis contente !

FLAGEOLE.

Et moi, donc... l’entre au régiment des maris... Bon pour le service... Jamais de remplaçant !

CHŒUR FINAL.

Air : du Bal d’enfants.

Pour moi, } plus d’ennui, de peine !
Pour lui,   }
Je prends } une douce chaîne.
Il prend     }
Et, grâce à l’heureux tambour,
Je vois } combler } mon } amour.
Il voit    }                 } son  }

FLAGEOLE, au public.

Air : De la Permission de dix heures.

Quand d’la maison les enfants
Sont méchants,
Qu’ils font du bruit à tout propos,
Sans vous laisser aucun repos :
Frappez mamans,
Grand’mamans,
Grands parents,
À tour de mains
Corrigez vos bambins,
Ils rentreront au bon chemin ;
Car c’est un excellent moyen,
Quoiqu’bien
Ancien !...
J’ai fait bien du tapage,
Ici, messieurs, pas de façon,
Frappez ! malgré mon âge
J’suis aussi l’enfant d’la maison !
Allons, donnez-vous l’ plaisir de m’battre
Patapan,
De taper comme quatre,
Pif, paf, pan,
En me claquant,
Pan ! 

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