En Garde ! (Alfred CAPUS - Pierre VEBER)

Comédie en trois actes.

Représentée pour la première fois au Théâtre de la Renaissance, le 19 mars 1912.

 

Personnages

 

LE HERCHEUR, 35 ans

BRANCOUR, 35 ans

TENCIER, 40 ans

LA ROMBIÈRE, 60 ans

PIANOLI, 25 ans

D’ASTARAC, 28 ans

ÉMILE, valet de chambre

BRISSAUD

MONSIEUR BIGASSE

LORD AWEBURY

DE FRANGY

JEAN

LA CHAUX BRAISÉ

GERMAINE, 28 ans

COLETTE, 25 ans

FERNANDE, 25 ans

JULIA, 28 ans

MADAME JACOB, 55 ans

MADAME BRISSAUD

ANNA, femme de chambre

PREMIÈRE DAME

DEUXIÈME DAME

TROISIÈME DAME

 

 

ACTE I

 

Un salon à Aix-les-Bains.

 

 

Scène première

 

BRANCOUR, TENCIER, LA ROMBIÈRE, DEUX MESSIEURS

 

Au lever du rideau, les quatre témoins rédigent un procès-verbal. La Rombière, assis un peu à l’écart, dicte. Brancour écrit.

BRANCOUR, posant la plume.

Là... c’est fait ! Messieurs, je vous donne lecture du procès-verbal sur lequel nous venons de tomber d’accord.

Lisant.

À la suite d’une altercation survenue le 7 septembre 1909, au casino d’Aix-les-Bains, entre monsieur le baron de Fersen et monsieur Hector Le Hercheur, ce dernier a prié messieurs Julien Brancour et Robert Tencier de demander à monsieur de Fersen une réparation par les armes. Monsieur de Fersen a constitué pour témoins lord Awebury...

Parlé.

avec un v ?

PREMIER MONSIEUR.

Un double !

BRANCOUR, corrige et reprend.

...Awebury et monsieur Marius Bigasse...

DEUXIÈME MONSIEUR.

Deux s...

BRANCOUR, continuant.

...D’un commun accord, les témoins ont déclaré qu’une rencontre était inévitable. Elle aura lieu ce matin au champ de courses d’Aix-les-Bains. Les conditions du duel sont les suivantes : épée de combat, coquilles de treize centimètres, gants de ville à volonté, reprises de deux minutes. Le terrain gagné restera acquis à partir de la deuxième reprise. Le combat sera dirigé par le général comte de La Rombière...

Se tournant vers La Rombière qui s’incline.

qui a bien voulu accepter cette mission. Fait double à Aix-les-Bains, le 8 septembre 1909. Messieurs, si vous voulez signer... Pour monsieur de Fersen... là, et là !

Les quatre témoins et La Rombière signent.

LA ROMBIÈRE.

Eh bien, messieurs, rendez-vous dans une heure au champ de courses. Vous vous chargez de prévenir votre client ?

Ils inclinent la tête.

Ces messieurs vont prévenir le leur ! À tout à l’heure, Brancour... je reconduis ces messieurs.

Il sort avec les deux messieurs.

 

 

Scène II

 

BRANCOUR, TENCIER

 

TENCIER.

Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ?

BRANCOUR.

Des témoins ! des témoins très suffisants pour une ville d’eaux ! Un lord anglais et un courtier en vins, ça fait une moyenne.

TENCIER.

Et ce baron de Fersen ? Tu le connaissais ?

BRANCOUR.

Moi ? Pas du tout !

TENCIER.

Et ce duel ? Pourquoi a-t-il lieu ? Qu’est-ce que c’est que cette altercation ?

BRANCOUR.

Mon cher, ça ne nous regarde pas. Nous ne connaissons que ce que nous a dit Le Hercheur, qui est notre ami.

TENCIER.

C’est ton ami, à toi ! Ce n’est pas le mien...

BRANCOUR.

Pourquoi as-tu accepté d’être son témoin ?

TENCIER.

Parce que tu me l’as demandé ! Quant à Le Hercheur, je t’ai déjà dit mon opinion sur lui : c’est un querelleur, c’est une espèce de spadassin, c’est une sorte de bellâtre ! Il y a peu d’hommes dont la conversation soit plus stupide, et son adversaire lui passerait son épée au travers du corps, ça me serait complètement égal. Ne te fais pas d’illusion : voilà dans quelles conditions je le conduis sur le terrain, ton Le Hercheur !

BRANCOUR.

Tu es le bon témoin !

TENCIER.

Que veux-tu ? j’ai horreur de ces gens-là. Et je ne comprends pas que tu te sois lié avec lui et surtout que tu le laisses raconter devant Germaine ses duels et tous les gens qu’il a massacrés pour lui monter l’imagination. D’ailleurs, tu n’aimes pas ta femme !

BRANCOUR.

Moi ! Mais je l’aime beaucoup. Seulement, je l’aime d’un amour qui implique non pas la jalousie, mais la confiance... Sais-tu ce que c’est que la confiance ?

TENCIER.

C’est l’aveuglement !

BRANCOUR.

Non, c’est le besoin profond d’avoir l’esprit tranquille, ce qui est la condition essentielle de l’activité... Moi qui suis un homme actif, je me sens tranquille dans le mariage comme dans un train. Je ne me dis pas tout le temps du voyage : « Je vais avoir un accident. » Si j’en avais un, je m’en tirerais comme je pourrais, mais je veux voyager en paix... J’ai épousé par amour une jeune fille appartenant à cette bourgeoisie mondaine, et un peu libre d’allures, qui fournit à des gens comme nous les meilleures camarades. Laisse-moi donc voyager en paix avec elle et n’essaie plus de me rendre jaloux de Le Hercheur ou de n’importe qui ! Ah ! voici ton ami !

Entre Hector.

 

 

Scène III

 

BRANCOUR, TENCIER, HECTOR, puis GERMAINE

 

HECTOR.

Mes chers amis ! Quelles nouvelles ?

BRANCOUR.

Vous vous battez dans une heure, à l’épée. Lisez ce procès-verbal.

HECTOR, prenant le papier.

Oui... Bien... bien... C’est en règle.

BRANCOUR.

Maintenant, je vais chez l’armurier choisir les épées, Tencier va chez le médecin. Rendez-vous ici dans un quart d’heure... Vous nous attendez ?

HECTOR.

Volontiers. Je vais faire un peu d’assouplissement ?

BRANCOUR.

Nous en avons pour un quart d’heure... Je vous envoie ma femme pour vous tenir compagnie.

À Tencier.

Tu as entendu ?

TENCIER.

Tiens ! Tu m’exaspères !

Entre Germaine.

BRANCOUR.

Ah ! te voilà, ma chérie... J’allais justement te prier de venir pour entretenir ce héros dans des dispositions belliqueuses, pendant que nous allons chercher des instruments de combat.

GERMAINE.

Comment, monsieur Le Hercheur, vous vous battez ?

BRANCOUR.

Il se bat.

GERMAINE, à Brancour.

C’est bien vrai ? Ce n’est pas toi, au moins ?

BRANCOUR.

Non, non... c’est bien lui !... Moi, je ne suis que le témoin, avec Tencier.

GERMAINE.

J’espère que les témoins ne risquent rien ?

BRANCOUR.

Autrefois, ils risquaient la correctionnelle, mais aujourd’hui, ils ne risquent plus que la photographie.

En sortant, à Germaine.

Allons, je te laisse avec lui.

GERMAINE, riant.

Toute seule ?

BRANCOUR, même jeu.

Toute seule. Et je ne reviendrai pas à l’improviste.

GERMAINE.

Et s’il me fait la cour ?

BRANCOUR.

Laisse-le faire.

GERMAINE.

Tu n’as pas peur ?

BRANCOUR.

Non. Et toi ?

GERMAINE.

Ne m’en parle pas. J’en frémis d’avance. Il va me raconter ses duels, ses bonnes fortunes, comme d’habitude.

BRANCOUR.

Il te raconte ses bonnes fortunes ?

GERMAINE.

Il ne fait que ça, mon chéri. Je les sais par cœur. Je te les réciterai quand tu voudras.

BRANCOUR.

Volontiers.

GERMAINE.

Non... ce sera pour les longues soirées d’hiver. Il est très comique, je t’assure !

BRANCOUR.

Il te plaît ?

GERMAINE.

Je ne pourrais plus m’en passer.

TENCIER, qui cause avec Hector.

Eh bien, partons-nous ?

BRANCOUR.

Je te suis.

Ils sortent.

 

 

Scène IV

 

HECTOR, GERMAINE

 

GERMAINE.

Et avec qui vous battez-vous ?

HECTOR.

Avec un baron suédois... Un monsieur de Fersen... un monsieur très bien !

GERMAINE.

Et pourquoi vous battez-vous ? Si on peut savoir ? Pour mademoiselle Julia Raisin ?

HECTOR.

Vous badinez ?... Non, madame, je ne me bats pas pour Julia Raisin... Vous rappelez-vous ce que vous m’avez dit, hier, ici, à cette même place où nous sommes ?

GERMAINE.

Non.

HECTOR.

Eh bien, vous m’avez dit – je ne sais plus à propos de quoi – que vous n’aviez jamais vu de duel et que ça vous amuserait d’en voir un. Et qu’est-ce que je vous ai répondu ?...

GERMAINE.

Est-ce que je sais ?

HECTOR.

Je vous ai répondu simplement : « Je vous en montrerai un bientôt. »

GERMAINE.

Comment ! Et c’est pour cela !

HECTOR.

En vous quittant, je suis allé au casino... je n’ai pas cherché. J’ai vu un monsieur qui semblait assez élégant, décoré d’un ordre étranger, et qui suivait la partie attentivement. Je suis allé à lui et je lui ai dit : « Monsieur, je vous défends de me regarder comme cela. » Il m’a répondu : « Qu’est-ce qu’il lui prend, à cet idiot ! » J’ai souri et j’ai conclu : « Cela suffit ! Je vais avoir l’honneur de vous envoyer mes témoins. » Et je lui ai adressé votre mari et son associé, monsieur Tencier. Si donc vous voulez accepter cette lorgnette que vous me permettrez de vous offrir...

Il lui tend une lorgnette.

et vous placer à cette fenêtre, vous allez assister, j’ose le dire, à une assez jolie rencontre à l’épée...

GERMAINE.

Non ! Voilà qui est inimaginable !

HECTOR.

Mais c’est comme ça !

GERMAINE.

Alors, vous êtes content ?

HECTOR.

Je suis assez satisfait.

GERMAINE.

Et vous supposez que je vais vous laissez tuer un homme pour une pareille futilité ?

HECTOR.

Je n’avais pas l’intention de le tuer... Mais, si vous l’exigez absolument, je ne reculerai pas devant ce sacrifice.

GERMAINE.

Vous êtes fou ! Je vous défends absolument de lui faire du mal !

HECTOR.

Vous êtes une femme d’un grand cœur ! Je me contenterai donc de piquer monsieur de Fersen à la partie antéro-interne du muscle extenseur de l’annulaire.

GERMAINE.

Mais c’est abominable !

HECTOR.

Non ! C’est le gras du bras...

GERMAINE.

N’importe ! Je ne veux pas... je ne veux pas...

HECTOR.

Oh ! Moi qui croyais vous faire plaisir !...

GERMAINE.

Vous ne me faites aucun plaisir... Je trouve ces mœurs odieuses... et vous allez tout de suite exprimer vos regrets à ce baron suédois.

HECTOR.

Vous me demandez sérieusement à moi, Hector Le Hercheur, qui suis – passez-moi cette vanité – l’homme d’épée le plus en vue de Paris, vous me demandez de faire des excuses sur le terrain ? Et à un adversaire qui ne m’a même pas offensé ! Mais, si j’avais le malheur de vous obéir, vous ne me reverriez de votre vie... Je vous connais !

GERMAINE.

Battez-vous, ne vous battez pas, cela m’est complètement indifférent. Je n’assisterai pas, même de loin, à ce tournoi, et je vous prie de remporter votre lorgnette.

HECTOR, posant la lorgnette sur un meuble.

Vous vous fâchez ?... Je m’y attendais un peu... Mais je sais qu’au fond vous êtes enchantée... Une femme ne reste jamais insensible aux gestes héroïques et chevaleresques... Quant à cette lorgnette, je vous la laisse tout de même... Et je ne vous dis qu’une chose : tout à l’heure, quand je croiserai le fer, si je ne vous aperçois pas à cette fenêtre, la lorgnette à la main, je ne réponds plus de la vie de monsieur de Fersen !

GERMAINE.

Eh ! mais, dites donc... si c’était lui qui allait vous blesser ?

HECTOR.

Un baron suédois, ça m’étonnerait...

Voyant entrer Brancour et Tencier.

Ah ! Voici les épées.

 

 

Scène V

 

HECTOR, GERMAINE, TENCIER, BRANCOUR, puis FERNANDE

 

BRANCOUR.

C’est tout ce que nous avons pu trouver.

HECTOR.

Voyons !

Il prend une épée et l’examine.

Un peu légère ! Ça ira tout de même...

FERNANDE, entrant avec une lorgnette.

Comment, monsieur Le Hercheur ! vous n’êtes pas encore prêt ! Et moi qui viens avec une lorgnette assister au duel ! Dépêchez-vous !

HECTOR.

Nous partons, mademoiselle Fernande.

FERNANDE.

Bonjour, monsieur Tencier ! Bonjour, Brancour ! Comme c’est flatteur, monsieur Tencier, d’être témoin dans un duel de monsieur Le Hercheur !

TENCIER.

Ne m’en parlez pas, mademoiselle, il me semble que c’est moi qui vais me battre !

FERNANDE.

Combien avez-vous eu de duels, monsieur Le Hercheur ?

HECTOR.

C’est mon quinzième, mademoiselle.

FERNANDE.

Est-ce que vous avez déjà tué quelqu’un ?

HECTOR.

Non ! je ne crois pas...

FERNANDE.

Ça viendra. Et vous n’avez jamais été blessé ?

HECTOR.

Jamais ?

BRANCOUR.

Eh bien, ne commencez pas aujourd’hui... Vous venez ?

HECTOR, sortant.

Je suis à vous.

GERMAINE.

Ah ! monsieur Le Hercheur, vous n’oubliez pas que vous déjeunez avec nous ! Midi et demi. Je compte sur vous.

HECTOR.

J’espère que je serai exact, chère madame.

Il sort.

TENCIER.

Est-ce que nous allons sortir tous les trois, comme ça, avec les épées ? Nous aurons dix cinémas à nos trousses ! Ça va être gai !

Il sort avec Brancour.

 

 

Scène VI

 

FERNANDE, GERMAINE

 

FERNANDE, lorgnant à la fenêtre.

D’ici, on découvre tout le champ de courses, nous sommes à merveille... Très chic, monsieur Le Hercheur, beaucoup d’allure. Avoue qu’il te fait un peu la cour ?

GERMAINE.

Je l’avoue. Et avec une naïveté... Aussi, ça n’a aucune espèce d’importance.

FERNANDE.

Pas d’importance, lui !

GERMAINE.

Mais non, ma chère ! Voilà où tu te trompes ! Le Hercheur est un homme élégant, qui a du succès, qui est très répandu, qu’on s’arrache ! Mais, pour moi, il a un défaut capital. Il est bête, ma chère, mais bête !

FERNANDE.

Si bête que ça ?

GERMAINE.

Tu ne t’en étais jamais aperçue ?

FERNANDE.

Vaguement... Mais, tu sais, pour nous autres jeunes filles, un homme qui n’est pas marié n’est jamais complètement idiot.

GERMAINE.

Comment t’expliques-tu le succès d’un homme comme Le Hercheur auprès des femmes ?

FERNANDE.

Il est beau, solide...

GERMAINE.

Évidemment, il est beau ! et solide... Il doit être solide... Mais ce ne sont pas des qualités appréciables pour des femmes comme nous, voyons ? Qu’est-ce que nous cherchons chez un homme qui veut nous plaire ? L’intelligence ! La délicatesse ! L’esprit !

FERNANDE.

Crois-tu ?

GERMAINE.

J’en suis certaine !

FERNANDE.

Je n’ai pas beaucoup d’expérience. Mais il me paraît que la beauté, la vigueur, ce sont des qualités qui ne sont pas à dédaigner.

GERMAINE.

Tais-toi ! Tais-toi ! Tu es cynique ! Tu parles comme une jeune fille ! Tu ne sais pas !

FERNANDE.

Je ne demande qu’à savoir.

GERMAINE.

Écoute... tu veux te marier, n’est-ce pas ?

FERNANDE.

Si je suis encore mariable ! Vingt-six ans ! Je suis une vieille fille.

GERMAINE.

Bah ! le lendemain de ton mariage, tu seras une jeune femme ! Eh bien, réfléchis, consulte-toi... Tu es riche, tu es indépendante... tes parents te laissent absolument libre de ton choix. Épouserais-tu Le Hercheur ?

FERNANDE.

Ma foi, non ! Et je ne m’explique pas pourquoi...

GERMAINE.

C’est parce qu’il n’est pas sérieux. Tu entends ? sérieux... C’est un mot qui n’a l’air de rien et qui fait qu’un homme est un mari ou n’est pas un mari... Tu comprends ?

FERNANDE.

Vaguement.

GERMAINE.

Tu comprendras mieux plus tard.

Parait Colette, une lorgnette à la main.

 

 

Scène VII

 

FERNANDE, GERMAINE, COLETTE, puis MONSIEUR et MADAME BRISSAUD

 

COLETTE.

Bonjour, Germaine. Est-ce que c’est commencé ?

GERMAINE.

Vous savez aussi ?

COLETTE.

Tout le monde le sait, il y a déjà des tas de gens aux fenêtres... Et je veux tout voir. On peut s’installer sur votre terrasse ?

GERMAINE.

Si vous voulez, ma petite Colette.

COLETTE, au fond.

Les voilà qui arrivent sur le champ de courses... C’est votre mari, Germaine, qui porte les épées...

MADAME BRISSAUD, entrant avec une lorgnette.

Chère amie, excusez notre indiscrétion !... Mais, quand nous avons su que le duel se donnait au champ de courses, j’ai tout de suite pensé à votre terrasse.

GERMAINE.

Vous n’êtes pas les seuls... Prenez des chaises... Tenez, monsieur Brissaud.

BRISSAUD.

Merci, chère madame.

COLETTE.

Ne vous pressez pas... ils n’en sont qu’aux préparatifs. C’est mon premier duel... ça me passionne !

BRISSAUD, à Germaine, qui reste en scène.

Ça ne vous intéresse donc pas, chère madame ?

GERMAINE.

Oh ! Dieu non ! Le spectacle est sans intérêt... et, s’il n’était pas sans intérêt, il serait barbare ! Je ne tiens pas à voir ça.

COLETTE.

Vous êtes seule de votre avis. Les tribunes du champ de courses sont noires de monde. Ah ! votre mari fait de grandes enjambées...

GERMAINE, nerveuse.

Oui... il mesure le terrain.

MADAME BRISSAUD.

Les docteurs flambent les épées dans une cuvette... On tire les places...

FERNANDE.

Les adversaires sont en bras de chemise !... Viens donc voir, Germaine !

GERMAINE.

Non, merci ! J’ai horreur des hommes en bras de chemise...

COLETTE.

C’est trop, ou trop peu !

MADAME BRISSAUD.

Ah ! les voilà en garde.

BRISSAUD.

Ils engagent le fer.

GERMAINE.

Ils engagent le fer !...

Se précipitant avec la lorgnette.

Attendez... Faites-moi une place.

COLETTE.

Monsieur Le Hercheur s’avance... son adversaire recule.

GERMAINE, lorgnant.

On ne dit pas reculer, on dit rompre.

COLETTE.

Eh bien, il rompt... Oh ! comme il rompt ! Il peut se vanter de rompre... Enfin, il s’arrête !... Il est vrai qu’il est contre une barrière et qu’il ne peut pas faire autrement. Monsieur Le Hercheur avance le bras...

BRISSAUD.

Il y a un blessé... les témoins arrêtent le combat.

GERMAINE.

Qui est le blessé ? D’ici on ne distingue pas bien.

FERNANDE.

Attends... C’est le baron suédois... il est blessé au bras.

GERMAINE.

Au gras du bras ! Entre eux, ils appellent ça la partie antéro-interne... du machin...

Revenant en scène.

Il me l’avait dit... il me l’avait bien dit ! Retirons-nous, ne regardons pas plus longtemps ce spectacle ridicule et d’ailleurs terminé !...

BRISSAUD.

C’était très émouvant.

MADAME BRISSAUD.

J’en suis encore tremblante.

COLETTE.

Ces deux hommes qui se précipitent l’un contre l’autre, dans un champ de courses, ç’aurait pu être un massacre !

GERMAINE.

Ça n’a été qu’une course, heureusement.

COLETTE.

C’est égal, j’aurais été navrée de manquer ça durant mon séjour à Aix-les-Bains.

MADAME BRISSAUD.

Merci, chère amie, de votre hospitalité.

GERMAINE.

Monsieur Le Hercheur déjeune ici avec ses témoins et le médecin... Je n’ai pas osé inviter l’adversaire, mais mon mari l’aura peut-être fait... Voulez-vous être des nôtres ?

MADAME BRISSAUD.

Avec grand plaisir...

GERMAINE.

Vous aussi, Colette, vous déjeunez avec nous ?

COLETTE.

Bien entendu !

BRISSAUD, qui est resté à la fenêtre.

Le voici !... le voici ! il descend d’automobile, avec les témoins et le comte de La Rombière qui a dirigé le combat...

FERNANDE.

Le vainqueur vient recevoir nos félicitations.

GERMAINE.

C’est très commode... il va les chercher à domicile.

COLETTE.

Il ne faut pas les lui marchander.

Entre Hector.

 

 

Scène VIII

 

FERNANDE, GERMAINE, COLETTE, MONSIEUR et MADAME BRISSAUD, HECTOR, puis LA ROMBIÈRE

 

BRISSAUD.

Bravo, Le Hercheur ! Nous venons de vous admirer... Vous avez été très bien.

HECTOR.

Je n’ai pas eu à m’employer beaucoup... mais il faut avouer que cette noblesse suédoise a le poignet solide.

Saluant.

Mesdames !...

COLETTE.

Oh ! monsieur Le Hercheur, nous vous devons un quart d’heure d’angoisse ! C’était charmant !

MADAME BRISSAUD.

Charmant et même émouvant ; on a trop rarement l’occasion de voir cela, nous autres femmes !

HECTOR.

Trop bonnes, mesdames... J’ai fait de mon mieux pour vous être agréable... D’ailleurs, je sentais vos regards sur moi, et je tenais à vous offrir un spectacle digne de vous.

GERMAINE.

Nous vous remercions... Mais ne vous croyez pas obligé de recommencer. Où est donc mon mari ?

HECTOR.

Dans le hall. Il rédige le procès-verbal avec les autres témoins... Ce ne sera pas long, j’espère.

LA ROMBIÈRE, entrant.

Elle est bonne ! Elle est bien bonne ! Aimable surprise ?

GERMAINE.

Qu’est-ce qu’il y a, La Rombière ?

LA ROMBIÈRE, saluant.

Chère madame...

À Hector.

Dites donc, Le Hercheur, est-ce que vous avez déjà eu l’occasion de blesser en duel un inspecteur des jeux ?...

HECTOR.

Vous plaisantez ?

LA ROMBIÈRE.

Eh bien, cher ami, c’est ce que vous venez de faire tout à l’heure.

BRISSAUD.

Ah ! bah !... le baron de Fersen ?...

LA ROMBIÈRE.

Non seulement il n’est pas baron, ce qui est assez rare à Aix, mais encore il a été envoyé pour surveiller les jeux, ce qui est encore plus rare !...

HECTOR.

Comment lavez-vous appris ?

LA ROMBIÈRE.

Les témoins nous ont avoué son identité. Mais nous avons laissé le nom de Fersen dans le procès-verbal, pour ne pas compromettre un brave garçon vis-à-vis de ses supérieurs.

HECTOR, digne.

Je vous l’aurais demandé. N’importe, il tire bien !... Et je ne regrette ni de lui avoir serré la main, ni de lui avoir donné un coup d’épée...

LA ROMBIÈRE.

En tout cas, mes chers amis, ne répandez pas trop cela.

À Colette.

Répandez-le modérément, mais pas trop.

BRISSAUD.

N’ayez aucune inquiétude.

COLETTE.

Nous ferons ce qu’il faut faire.

MADAME BRISSAUD.

À tout à l’heure, chère amie.

BRISSAUD, à Hector.

N’importe, c’était très bien.

Tous sortent sauf Hector et Germaine.

 

 

Scène IX

 

GERMAINE, HECTOR, puis TENCIER

 

GERMAINE.

Eh bien ! Vous voyez où vous a mené votre fanfaronnade !... à vous couvrir de ridicule.

HECTOR.

Je le sais bien que je vais être couvert de ridicule. Les Brissaud m’ont promis le secret, mais ce qu’on appelle promettre le secret sur une histoire...

GERMAINE.

C’est raconter cette histoire à tout le monde sous le sceau du secret.

HECTOR.

Voilà... Et par conséquent, ce soir, je serai la fable d’Aix-les-Bains... Je serai le monsieur qui s’est battu avec un agent de la brigade des jeux... j’aurai blessé une casserole !... Je connais l’esprit des villes d’eaux... on m’appellera le « rétameur » ! ou quelque chose d’aussi bête. Mais qu’est-ce que ça peut me faire ? Vous croyez que ça me vexe ?... Pas du tout ! Je suis heureux de vous avoir fait ce nouveau sacrifice... Moi, Le Hercheur, j’ai été grotesque, mais je l’ai été sans regret ; car il y a une chose qui corrige le ridicule, et qui l’efface même complètement : c’est de l’avoir bravé pour la femme que l’on aime !

GERMAINE.

Ah ! vous m’aimez !

HECTOR.

Oui, madame, je vous aime.

GERMAINE.

Et vous avez la vague idée que je deviendrai votre maîtresse ?...

HECTOR.

Je n’oserai jamais le dire, mais je l’espère.

GERMAINE.

Un mot, Le Hercheur. Est-ce que dans votre vie vous avez rencontré des honnêtes femmes ?

HECTOR.

Rarement... et toujours au moment précis où elles cessaient de l’être.

GERMAINE.

Je dois vous prévenir qu’avec moi vous ne connaîtrez jamais ce moment-là.

HECTOR.

Pouvez-vous comparer le sentiment que j’éprouvais pour ces frivoles créatures avec la passion ardente, l’amour presque sauvage que je ressens aujourd’hui ! Oh ! je ne fais pas le malin, ce n’est pas depuis longtemps. À Paris, vous avez pu remarquer que je ne vous ai jamais fait la cour, et pourtant je suis le camarade de salle d’armes de votre mari, je suis son ami de cercle... Eh bien, vous ai-je jamais dit autre chose que des banalités ?

GERMAINE.

Ça, c’est bien vrai !...

HECTOR.

Tout à coup, ici, dans un décor différent vous n’avez plus été pour moi la même femme. Il m’a semblé que je vous avais méconnue, j’ai fait attention à vous.

GERMAINE.

Oh ! que c’est gentil de votre part.

HECTOR.

Ma parole !... Seulement, vous n’avez pas fait attention à moi. Et ce qui est grave, c’est que cela ma causé un véritable chagrin. Jusqu’à présent, quand une femme ne m’aimait pas, ça m’était presque aussi indifférent que quand elle m’aimait. Tandis que, si vous ne m’aimiez pas, vous, je serais très malheureux... Savez-vous que je me ferais tuer pour vous ?

GERMAINE.

C’est très curieux ! Vous ne parlez que de mort, de massacre, de passion sauvage... C’est un sujet de conversation plutôt pénible. Sans compter que je ne crois pas plus au massacre qu’à la passion ardente. Vous m’aimeriez comme vous avez tué votre adversaire, l’inspecteur baron de Fersen. Je ne m’en porterais pas plus mal ! Et ce serait fini à la première reprise. Il vaut mieux arranger cette affaire-là entre nous, voulez-vous ! Ce n’est pas la peine de prendre des témoins.

HECTOR.

Madame, vous êtes cruelle !

GERMAINE.

Non ! je suis clairvoyante, je vous assure. À présent, vous voilà fixé... Alors, il vaut mieux cesser vos petits travaux d’approche, qui finiraient par me compromettre.

HECTOR.

Compromettre ! Moi, Le Hercheur ! compromettre une femme ! Et quelle femme ! vous !...

GERMAINE.

Certainement.

HECTOR, fausse sortie.

Ah ! Madame, vous avez dit un mot de trop !

GERMAINE.

Qu’est-ce qui vous prend, maintenant ?

HECTOR.

Rien... rien. Je m’en vais... Je ne sais pas exactement ce que je vais faire... Mais je vous donne ma parole d’honneur que vous ne me reverrez plus.

GERMAINE.

Mais je ne vous empêche pas de rester auprès de moi !

HECTOR.

Ma décision est prise. Je vous aime d’une façon profonde, je vous aime comme on n’a jamais aimé, du moins dans le milieu où nous sommes ; et vous me répondez par des railleries et des paroles légères. Je ne comprends pas l’amour de cette façon : je suis blessé, je souffre, je pars !

GERMAINE.

Voyons, Le Hercheur... voyons, mon ami !

HECTOR.

D’ailleurs, je suis un homme fini... Je suis un homme mort !

GERMAINE.

Je ne veux pas que vous soyez un homme mort !

HECTOR.

Oh ! rassurez -vous, madame... Je ne me tuerai pas. Je considère le suicide comme une lâcheté : c’est un duel avec un adversaire désarmé !

GERMAINE.

À la bonne heure !

HECTOR.

Et je dis que je suis un homme mort parce que ce n’est pas vivre que d’être séparé de la femme que l’on aime.

GERMAINE.

Le Hercheur ! ce n’est pas avec ces grands mots bêtes que l’on traduit une passion sincère !

HECTOR.

Oh ! je sais... Tout à l’heure, j’étais ridicule ! Maintenant, je suis bête. Si ça continue, je vais être odieux. C’est le jour ! Que voulez-vous ? je ne m’attendais pas à ce qui m’arrive. L’idée que je ne vous ferais pas partager mon amour me paraissait folle, invraisemblable ! Ça ne m’entrait pas dans la tête ! J’avais tout combiné, tout préparé d’avance ; cet amour, je l’avais débarrassé de toutes les vulgarités et de toutes les complications. Il n’était entouré que d’idéal, de beauté, de joie !... Je me voyais déjà vous guettant, épiant le bruit de vos pas dans le petit escalier secret... Car j’ai deux entrées... dont une par la boutique d’une antiquaire... j’ouvrais la porte, vous étiez inquiète, émue ! Je vous pressais dans mes bras, et il arrivait ce qui n’arrive qu’une fois dans la vie d’un homme et d’une femme : la passion ! La passion dans ce quelle a de plus violent et de plus énergique. Et alors, vous comprenez, j’apprends que tout cela n’est pas réalisable, que ça n’arrivera jamais, c’est bien dur ! C’est un de ces chocs qui font tout à coup d’un homme un vieillard ou un enfant !

GERMAINE.

Je vous en prie, mon ami ! Ne vous mettez pas dans des états pareils ! Évidemment, il est impossible que je vous cède jamais... Je réfléchis... c’est impossible. Mais nous pouvons rester tout de même bons amis. Et on tâchera de vous guérir ! Appliquez-vous de votre côté. Prenez des maîtresses... Prenez-en deux ou trois.

HECTOR, amer.

Par jour, n’est-ce pas ?

GERMAINE.

Vous en avez déjà une qui est très gentille ! Mademoiselle Julia Raisin !

HECTOR.

Non, madame, je ne l’ai plus ! Nous sommes séparés à jamais... c’est une résolution que j’ai prise... Elle ne s’en doute pas, mais je vais le lui annoncer dans un quart d’heure.

GERMAINE.

Elle ne vous aime donc pas ?

HECTOR.

Si ! Elle m’adore, du moins, je le suppose. Mais qu’importe...

GERMAINE.

Je ne désire pas que vous quittiez cette demoiselle !

HECTOR.

Non ! Je n’en veux plus ! Elle me gênerait pour souffrir !

GERMAINE.

Enfin ! quittez-la si vous voulez. Ça vous regarde ! Mais je souhaite que vous redeveniez raisonnable, et que nous ne soyons pas obligés de briser des relations qui ont été jusqu’ici très agréables.

HECTOR.

Je ne peux pas vous promettre de devenir raisonnable, ce n’est pas dans mon caractère. Je tâcherai de vous obéir : mais, d’abord, je veux être sûr que vous me pardonnerez.

GERMAINE.

Je vous pardonne ; tout ce que vous venez de me dire n’est pas très fort, mais on ne peut pas considérer ça comme une injure !

HECTOR, se rapprochant d’elle.

Est-ce que vous me trouvez toujours aussi ridicule ?

GERMAINE.

Ça vous ferait plaisir que je ne vous trouve pas ridicule ?

HECTOR, lui prenant la main.

Ce serait le bonheur !

GERMAINE.

Dans ce cas, non ! vous n’avez pas été tout à fait ridicule... vous avez été... chevaleresque !

Elle lui tend la main.

HECTOR, lui embrassant la main avec passion.

Vous êtes bonne ! Vous êtes bonne !...

GERMAINE, troublée.

Finissez, Le Hercheur, finissez...

HECTOR, nouveau baiser.

Je me ferais tuer pour vous !

GERMAINE, toujours troublée.

Je le sais... je le sais... C’est gentil... c’est très gentil !

HECTOR, plus près.

Je vous reverrai, n’est-ce pas ?

GERMAINE.

Puisque vous venez déjeuner.

HECTOR.

Non !... je vous reverrai à Paris ?... Non ! non !... Ne répondez pas ? Je le sens, maintenant, que je vous reverrai... je le sens !

Il lui embrasse encore la main. Entre Tencier.

TENCIER, mouvement de surprise, il s’avance.

Tenez, Le Hercheur... voici le procès-verbal de la rencontre... Voulez-vous y jeter un coup d’œil ?

GERMAINE.

Ah ! Monsieur Tencier... Vous avez fini ? Où est Julien ?

TENCIER.

Il congédie les témoins de monsieur de Fersen. Vous allez le trouver dans le jardin.

GERMAINE.

Messieurs, je vous laisse...

Elle sort.

TENCIER, à Hector.

Vous n’avez pas d’observations à faire ?

HECTOR.

Aucune ! Et permettez-moi, Tencier, de vous exprimer ma gratitude pour l’amabilité avec laquelle vous avez bien voulu m’assister.

TENCIER.

Il n y a pas de quoi ?

HECTOR, tirant sa montre.

Sapristi ! je n’ai que le temps de m’habiller ! Et encore merci.

Il serre la main de Tencier et sort.

 

 

Scène X

 

TENCIER, puis BRANCOUR

 

TENCIER, seul.

Ils diront ce qu’ils voudront... il lui embrassait la main... Et comment !

BRANCOUR, entrant.

Nous avons un quart d’heure, allons donc faire un tour avant déjeuner.

TENCIER.

Avec plaisir, mon bon ami, avec plaisir.

BRANCOUR.

Tu as vu le vainqueur ?

TENCIER.

Oui, mon bon ami.

BRANCOUR.

Tu lui as remis le procès-verbal ? Il est content d’avoir mis un inspecteur des jeux hors de combat ?

TENCIER.

Il a l’air enchanté !

BRANCOUR.

Je crois que cette petite aventure va calmer l’admiration de ces dames.

TENCIER.

N’en doute pas, mon bon ami, n’en doute pas.

BRANCOUR.

Tu vois, il n’est pas aussi dangereux que tu le croyais.

TENCIER.

Évidemment ! Je me trompais... c’est toi qui avais raison.

BRANCOUR.

Tiens ! il faudra que je demande à Germaine comment notre héros a pris cette petite aventure ! Elle ne te l’a pas dit ?

TENCIER.

Mais je ne l’ai pas vue, mon bon ami !

BRANCOUR.

Comment, tu ne l’as pas trouvée avec Le Hercheur, quand tu es entré ?

TENCIER.

Non !

Un temps.

BRANCOUR.

Qu’est-ce que ça signifie ? Pourquoi ce mensonge ? Et l’air, surtout ! l’air dont tu le fais ! Germaine vient de me dire que tu étais entré au moment où elle causait avec Le Hercheur !

TENCIER.

Ah ! en effet... Tiens ! je n’y avais pas fait attention.

BRANCOUR.

Mon pauvre Tencier, tu es un serin... Tu cherches à me rassurer comme si j’en avais besoin... Mais il est très naturel que Le Hercheur raconte ses duels à ma femme.

TENCIER.

Oui... j’oublie toujours que nous ne sommes pas de la même espèce. Moi, quand ma maîtresse cause avec quelqu’un ou se laisse embrasser la main, je vois rouge, je lui fais une scène, je la fais suivre par des agences jusqu’à ce que je sois sûr quelle me trompe.

BRANCOUR.

Et alors... ?

TENCIER.

Et alors, je la quitte. Et, le lendemain, je la reprends, parce que, dans la nuit, il m’est venu des doutes sur sa trahison... C’est une existence insupportable, mais je ne peux pas en mener d’autre.

BRANCOUR, riant.

Et voilà mon associé !... Et, comme ça, Le Hercheur embrassait la main de ma femme ? Ne me cache pas l’horrible vérité !

TENCIER.

Oui, mon ami, il lui embrassait la main et j’aime mieux te le dire puisque ça paraît te faire plaisir.

BRANCOUR.

Ça ne me cause ni plaisir ni ennui... Ce n’est rien, c’est un geste sans aucune importance... Non, mais me vois-tu à trente-cinq ans, dans ma situation, avec deux mille ouvriers à conduire, me préoccupant de ce détail ?

Entre Colette.

Colette, bonjour... Qu’est-ce que vous avez à rire ? Racontez-nous ça !

 

 

Scène XI

 

TENCIER, BRANCOUR, COLETTE

 

COLETTE.

Ah ! mes enfants, il est en train de se passer une scène à l’hôtel Peloux !

BRANCOUR.

Voyons ?...

COLETTE.

Entre Le Hercheur et Julia Raisin... c’était d’un comique !

BRANCOUR.

Mais il sort d’ici, Le Hercheur !

COLETTE.

L’hôtel Peloux est à deux pas... J’y étais... Je vois arriver Le Hercheur qui grimpe dans la chambre de sa maîtresse... Ça dure une minute... Tout à coup, Julia Raisin ouvre la porte, chasse Le Hercheur et lui crie dans le couloir... tout le monde l’a entendu, on se tordait : « Retourne avec tes femmes du monde ! Quand je pense que j’ai quitté Kenler pour ce coco-là ! » Le Hercheur traité de coco, j’adore ça !

TENCIER.

Et moi donc !

COLETTE.

Voulez-vous mon opinion ? Le baron Kenler, l’ancien amant de Raisin, est à Aix depuis deux jours et il a dû revoir Raisin qui aura profité de l’occasion pour congédier Le Hercheur, lequel se trouve disponible.

À Brancour.

Si je n’étais pas amoureux de vous, ce serait tout à fait mon affaire.

BRANCOUR.

Voyons, Colette, pas d’enfantillage.

COLETTE, à Tencier.

Vous savez, Tencier, que j’ai beau lui faire la cour tous les jours à la même heure, je ne fais aucun progrès.

TENCIER.

Vous ne m’amuserez pas avec ça, ces mœurs me dégoûtent.

COLETTE.

Je voudrais bien connaître les vôtres !

TENCIER.

Et votre mari, Colette, que dit-il de cette conduite ?

COLETTE.

Il est extraordinaire, ce Tencier ! Il oublie que je suis divorcée depuis six mois...

TENCIER.

Tiens ! je n’y pensais plus... Ça vous va très bien ; mais, d’ailleurs, ça ne vous change pas.

COLETTE, à Brancour.

Il est grossier... Allons ! je retourne à l’hôtel Peloux savoir la suite et je reviens déjeuner... Vous m’accompagnez, Tencier ?

TENCIER.

Je veux bien.

COLETTE, à Germaine qui rentre.

Ah ! ma chère... vous connaissez la nouvelle ? Votre mari va vous la raconter... À tout à l’heure... Venez, Tencier.

Ils sortent.

 

 

Scène XII

 

BRANCOUR, GERMAINE, puis HECTOR, puis TOUT LE MONDE

 

GERMAINE.

Quelle est cette nouvelle ?

BRANCOUR.

Rien. Des sottises... Une rupture entre Le Hercheur et Julia Raisin... à l’hôtel Peloux.

GERMAINE.

Je sais... je sais... il vient de me le dire. Et devine pour qui il a quitté mademoiselle Raisin ?

BRANCOUR.

Ça ne m’intéresse pas du tout.

GERMAINE.

Ça t’intéresse plus que tu ne crois... C’est pour moi, mon ami, c’est pour moi...

BRANCOUR.

Pour toi ?

GERMAINE.

Oui, mon chéri... Le Hercheur me fait l’honneur d’être amoureux de moi... Il a failli tuer un inspecteur des jeux pour me montrer un duel, et, maintenant, il me sacrifie sa maîtresse pour me prouver sa fatale passion ! Je suis très flattée...

BRANCOUR.

Et moi donc ! Grâce à Le Hercheur, nous voilà un ménage dont on parle.

GERMAINE.

Sans compter qu’il organise une grande fête en mon honneur... Parfaitement ! Chez lui... Un assaut entre le fameux tireur italien Pianoli et l’illustre professeur d’Astarac... Il va venir nous inviter.

BRANCOUR.

Dis donc, Germaine, tu ne commences pas à le trouver un peu encombrant. Le Hercheur ? Et un peu ridicule ?

GERMAINE.

Je l’avoue, mais il m’amuse assez !

BRANCOUR.

Moi, il commence à m’amuser un peu moins... J’ai même assez ri avec lui...

GERMAINE.

J’espère que tu ne vas pas l’empêcher de me faire la cour... Il n’y a pas tant de distractions ici !

BRANCOUR.

Il y a distractions et distractions... Ça dépend avec qui on les prend et en quoi elles consistent... Le Hercheur n’est pas le premier qui te fasse la cour...

GERMAINE.

Dieu merci !

BRANCOUR.

Et je n’ai pas d’hostilité particulière contre lui... Il n’est pas très intelligent, mais il est assez bien élevé... C’est mon ami de cercle... C’est un de ces hommes qu’on peut recevoir ou ne pas recevoir... Il n’a qu’un défaut, mais il l’a bien. Il est un peu... je ne dirai pas compromettant, mais voyant... C’est le mot, il est voyant... Quand il parle avec une femme, on le voit. Ça peut être la source de potins qui ne sont pas graves, mais qui deviennent vite agaçants...

GERMAINE.

Ce n’est pas pour moi que tu dis ça, j’espère ?

BRANCOUR.

Ce n’est pas seulement pour toi... C’est pour Fernande, c’est pour Colette, c’est pour toutes les femmes qui nous entourent...

GERMAINE.

Voyons... voyons, mon chéri... pas de ces petites finesses entre nous... Tu te moques de la réputation de Fernande comme de celle de Colette et ce n’est pas pour elles que tu dis ça, c’est pour moi.

BRANCOUR.

Eh bien, je l’avoue... Et je me demande décidément si Le Hercheur est une bonne relation pour de simples bourgeois comme nous.

GERMAINE.

Écoute, Julien... je suis un peu interloquée... car c’est la première fois que tu me fais des observations pareilles... Pourquoi aujourd’hui plutôt qu’hier ou avant-hier ? Je ne comprends pas. Ce que je vois, c’est que tu ne veux plus que nous fréquentions Le Hercheur. Ne le fréquentons plus, mon ami, ça m’est complètement indifférent.

BRANCOUR.

À la bonne heure ! Voilà ce que je voulais obtenir de toi !

GERMAINE.

N’en parlons plus. Seulement, je te préviens que nous allons commettre une gaffe.

BRANCOUR.

Une gaffe ?

GERMAINE.

Oui... car s’il y avait des potins, ne t’imagine pas que tu les arrêterais avec ces manières-là !

BRANCOUR.

Pourquoi ?

GERMAINE.

Le Hercheur est, depuis longtemps, reçu dans notre intimité ; tous nos amis le voient chez nous régulièrement. Ils ne trouvent rien à redire à sa présence. Tu as toujours accepté la petite cour plus ou moins discrète qu’il me fait sous tes yeux parce que ça me distrait quand tu es à l’usine. Maintenant, tu prétends qu’il y a des potins ; je les ignore, et, jusqu’aujourd’hui, tu les ignorais toi-même. Ils ne sont donc pas bien vieux. Tu ne me dis même pas en quoi ils consistent, je ne le cherche pas... C’est ton affaire. Mais il paraît qu’il y a des potins. Eh bien, mon ami, quand on va voir Le Hercheur cesser brusquement ses visites chez nous, alors, oui, il y aura des potins ! Et, cette fois, nous saurons lesquels !

BRANCOUR.

Eh bien, on se demandera pourquoi il ne vient plus, mais on ne se demandera plus pourquoi il vient.

GERMAINE.

À ton aise... Par exemple, tu vas faire cette commission toi-même. Le Hercheur doit venir déjeuner, tu lui diras ça au dessert ! Je suppose que tu ne comptes pas sur moi !...

BRANCOUR.

Oh ! il ne me fait pas peur... Je le lui dirai bien à l’occasion ! Mais nous n’en sommes pas là. Il ne s’agit que de lui faire comprendre une certaine situation. Il me semble que c’est plutôt ton affaire que la mienne.

GERMAINE.

C’est entendu, mon ami, c’est compris. Je vais avoir une explication avec Le Hercheur et je vais le congédier, sois tranquille. Je vais lui dire : « Mon mari est jaloux de vous. Tout le monde prétend que je suis votre maîtresse. Ça froisse Julien. Il ne faut plus nous voir ! »

BRANCOUR.

Comme c’est spirituel et délicat...

GERMAINE.

Trouve mieux, mon ami, trouve mieux.

BRANCOUR.

Ce ne sera pas difficile... Et, pour commencer, je lui écrirai demain que je refuse son invitation.

GERMAINE.

Excellente idée ! Mais il ne faut pas faire ça demain... il faut le faire sans retard.

BRANCOUR.

Mais je le ferai après déjeuner.

GERMAINE.

Non ! non ! tout de suite... Je suis curieuse d’assister à ça...

BRANCOUR.

Comme tu voudras.

Entre Hector.

GERMAINE.

Le voici... Le Hercheur !

HECTOR.

Madame ?...

GERMAINE.

J’ai transmis à mon mari votre aimable invitation.

HECTOR.

Oui, cher ami... Ce sera une véritable attraction. Je viens de recevoir une dépêche du chevalier Pianoli : Considère comme le plus beau jour de ma vie celui où tirerai contre illustrissime professor d’Astarac chez vous. Vous embrasse tous. Pianoli.

Parlé.

J’ai fixé la fête au 5 octobre, dans un mois. J’ai invité tous mes amis, et je compte sur vous.

BRANCOUR.

Malheureusement, mon cher Le Hercheur, c’est impossible. Nous ne pourrons, ni ma femme ni moi, assister à cette belle fête sportive.

HECTOR.

Que me dites-vous là ?

BRANCOUR.

Ici, à Aix, nous nous reposons, nous cherchons des distractions... Mais à Paris, mon cher, c’est le travail, la vie sérieuse... et j’ai décidé d’ailleurs de changer complètement mon existence. Ne comptez donc pas sur nous.

HECTOR.

Mais c’est un désastre, Brancour ! Je ne peux pas accepter ça, ça dérange tout mon programme. Après l’assaut Pianoli-d’Astarac, j’avais eu une idée artistique : la reconstitution du duel au seizième siècle.

GERMAINE.

Ah ! charmant !

HECTOR.

N’est-ce pas, chère madame ? Et pour finir, je vous avais réservé une surprise. Je voulais donner quelques assauts d’amateurs estimés et je me faisais une joie de me mesurer avec vous.

GERMAINE.

Oh ! ça non... mon mari n’est pas de force !

BRANCOUR.

Comment, pas de force !... Comment le sais-tu ?

GERMAINE.

Oh ! mon ami, c’est visible.

HECTOR.

Mais, pas du tout, j’ai vu maintes fois Brancour sur la planche, au cercle. Il a un fort joli jeu.

GERMAINE.

Contre un amateur ordinaire, oui... Je ne l’en empêcherais pas... mais contre vous... ce n’est pas possible. N’est-ce pas, mon chéri ?

BRANCOUR.

Pardon ! Ça, ça me regarde !... Et du moment qu’il s’agit de tirer contre Le Hercheur, c’est différent ! Et je serai fier de voir mon nom figurer à votre programme en face du vôtre.

HECTOR.

À la bonne heure !... Alors, je puis annoncer ?...

BRANCOUR.

Vous le pouvez.

Cloche du déjeuner.

HECTOR.

Je vais faire part de cette bonne nouvelle à tout le monde.

BRANCOUR, à Germaine.

Eh bien ! tu es contente ? Tu es arrivée à tes fins !

GERMAINE.

Tu as fait ce que tu as voulu, mon chéri. Moi, je n’y suis pour rien.

Entrent par le fond Tencier, La Rombière, puis Colette, Fernande et les Brissaud.

HECTOR, allant à leur rencontre.

Ah ! mesdames... messieurs... une heureuse nouvelle...

Il leur parle à voix basse.

TENCIER, à Brancour.

Voilà le courrier de l’usine ! Je crois qu’il y a des lettres importantes...

BRANCOUR.

Non, mon ami, non... Maintenant, c’est ton affaire. Moi, j’ai d’autres préoccupations en tête. Tu avais raison, il y a quelque chose entre ma femme et Le Hercheur, et je saurai quoi...

HECTOR, aux dames.

...Et notre ami Brancour veut bien croiser le fer avec moi.

Se retournant.

Brancour, en garde !

BRANCOUR.

En garde. Le Hercheur !

LE DOMESTIQUE.

Madame est servie !

GERMAINE, à La Rombière.

Votre bras, mon cher général.

 

 

ACTE II

 

Un salon chez Hector.

Porte d’entrée au fond. Grande baie à droite qui peut se fermer par des rideaux et qui donne sur une grande salle d’armes. Contre la baie, en dehors, la planche d’assaut. À gauche, petite porte dissimulée. Mobilier oriental et disparate.

 

 

Scène première

 

HECTOR, ÉMILE

 

Au lever du rideau, Hector se promène de long en large.

HECTOR.

Huit heures ! Voilà quatre heures que je l’attends !... Elle ne viendra pas... Elle ne viendra probablement pas !

ÉMILE, entrant avec une table de dîner.

Monsieur ?...

HECTOR.

Quoi ?

ÉMILE.

C’est le dîner... Monsieur doit se dépêcher, la fête est pour dix heures.

HECTOR.

Bah ! on n’arrivera pas avant neuf heures et demie. Servez-moi rapidement.

ÉMILE.

Voici, monsieur... Une tranche de pâté. Monsieur m’a dit qu’il mangerait légèrement à cause de l’assaut.

HECTOR.

Oui, ça va bien ! Il n’est rien venu pour moi ?

ÉMILE.

Si, monsieur.

HECTOR.

Un petit bleu ?

ÉMILE.

Deux, monsieur, deux !

Il lui tend les petits bleus.

HECTOR..

Donnez vite ! Voyons, cette fois-ci, voyons...

Lisant.

J’ai pu me rendre libre... Attendez-moi ce soir huit heures. Germaine. Ah ! Enfin ! C’est pour aujourd’hui ! Et l’autre ? Il est encore d’elle ? Je ne peux me rendre libre. Ne m’attendez pas. Germaine. Qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce qu’elle vient ? Est-ce qu’elle ne vient pas ? Elle a envoyé ces deux bleus en même temps. Elle n’a pas mis l’heure ! Quelle incertitude ! Quel supplice ? Émile ?

ÉMILE.

Monsieur ?

HECTOR.

Ces deux petits bleus sont arrivés ensemble ?

ÉMILE.

Je ne sais pas, monsieur. On me les a remis tout à l’heure, quand je suis rentré.

HECTOR.

Ah ! Quel est celui qui est arrivé le premier ?

ÉMILE.

Il n’y a qu’à voir l’heure, monsieur. Il n’y a qu’à voir l’heure.

HECTOR.

Où ça se voit-il ?

ÉMILE.

Sur le timbre, monsieur. C’est marqué.

HECTOR.

Regardez, Je n’y comprends rien.

ÉMILE, regardant.

Tenez, monsieur ! C’est celui-là le premier.

HECTOR.

Alors, c’est l’autre qui est le bon ? Voyons ? Vous en êtes bien sûr, Émile ?

ÉMILE.

Mais oui, monsieur ?

HECTOR.

Ah ! je tremble !...

Ouvrant le bleu.

Elle vient, Émile, elle vient !

ÉMILE.

Alors, je préviens madame Jacob, l’antiquaire ?

HECTOR.

Naturellement. Recommandez-lui, pour cette fois-ci, la plus extrême réserve !

ÉMILE.

Bien, monsieur.

Il sort par la petite porte de gauche.

 

 

Scène II

 

HECTOR, seul, puis MADAME JACOB, puis ÉMILE

 

HECTOR, prend une clef, ouvre un secrétaire, tire un coffret plein de bleus.

Mon supplice ! Un mois d’espoirs fous suivis do déceptions, rendez-vous accordés, contremandés un quart d’heure après ! Il est temps que cela finisse... ou plutôt que ça commence !

On frappe.

Elle ! déjà ? Elle est en avance !

Il ouvre la petite porte de gauche.

Comment ! C’est vous, madame Jacob ?

MADAME JACOB, des épées à la main.

Oui, monsieur Le Hercheur. Et je vous apporte une belle paire d’épées du seizième siècle... une paire d’épées ayant appartenu à...

HECTOR.

Eh ! il est bien question d’épées !... Vous n’avez donc pas vu mon valet de chambre ?

MADAME JACOB.

Oui, monsieur Le Hercheur... j’ai vu monsieur Émile.

HECTOR.

Il ne vous a donc pas dit qu’il allait venir une dame ?

MADAME JACOB.

Oui, il me l’a dit. Il va venir une dame dans ma boutique, n’est-ce pas ? Une dame avec une grande voilette épaisse. Elle demandera à voir des bibelots... elle m’en achètera un, puis, pendant que je détournerai complaisamment la tête, la dame prendra la petite porte du fond, grimpera l’escalier, et rentrera chez vous sans crainte d’être surprise. Il y a dix ans que j’ai loué la boutique et que tous les locataires de cet appartement se servent de ce petit truc pour recevoir les dames qui ne veulent pas entrer chez les garçons par la grande porte. Seulement, monsieur, je dois vous prévenir que je vais être obligée de la quitter, la boutique !

HECTOR.

Et pourquoi, madame Jacob ?

MADAME JACOB.

Parce que le propriétaire veut m’augmenter et que le commerce n’est plus possible ! Ainsi, par exemple, voici une paire d’épées du seizième siècle, ayant appartenu au célèbre baron Scarpia, que je ne peux pas arriver à vendre. Et elle est pour rien, la paire d’épées...

HECTOR, indifférent.

Ah !

MADAME JACOB.

Je la donnerais volontiers pour cinq cents francs... Je vous la laisse, n’est-ce pas ? Pourvu que j’aie les cinq cents francs demain à midi. C’est le jour du terme.

HECTOR.

Madame Jacob, voilà dix fois que vous me vendez cinq cents francs des objets qui n’ont d’autre valeur que celle que vous voulez bien leur accorder. Savez-vous de quel nom des malveillants appelleraient ce que vous faites, madame Jacob ?

MADAME JACOB.

Oui, monsieur, ils appelleraient ça du chantage. Mais cela prouverait qu’ils ne connaissent pas les difficultés du commerce moderne, et qu’ils parlent à tort et à travers.

HECTOR.

Parfaitement. Voici vos cinq cents francs, madame Jacob. N’oubliez pas votre terme...

MADAME JACOB, prenant les billets.

Merci, monsieur Hector...

HECTOR.

Descendez vite à votre boutique, madame Jacob... Il est l’heure !

MADAME JACOB, sur le pas de la porte.

Oui... Savez-vous à qui il louerait la boutique, le propriétaire, si je m’en allais ? À une librairie biblique, monsieur Hector ! Et je ne vois pas une librairie biblique favorisant...

Entre Émile.

Allons, je descends... Monsieur Hector, vous pouvez compter sur moi.

Elle sort.

HECTOR, tendant les épées à Émile.

Débarrassez-moi de ça... et desservez.

ÉMILE.

Alors, monsieur attend une dame ?

HECTOR.

Oui, Émile.

ÉMILE.

Avant l’assaut ? Ça regarde monsieur.

HECTOR.

Comme vous dites.

ÉMILE.

Et c’est la dame mystérieuse qu’on attend toujours et qui ne vient jamais ?

HECTOR.

Aujourd’hui, elle vient... Est-ce qu’on n’entend pas monter dans l’escalier ?

ÉMILE.

Non, monsieur... Je ferai observer à monsieur que c’est la seule de ses maîtresses que je n’aurai pas connue. Je n’aime pas beaucoup pour monsieur les dames mystérieuses...

HECTOR.

Épargnez-moi vos réflexions... Ah ! cette fois-ci, j’entends... Allez-vous-en, n’est-ce pas.

ÉMILE.

Bien, monsieur.

Il sort par la baie, en laissant les épées sur un meuble. Hector va à la petite porte qu’il entr’ouvre, guette un instant.

HECTOR, à demi sorti.

La voici ! La voici !

Il ouvre largement la porte. Germaine entre. Elle a des plats d’étain sous le bras.

 

 

Scène III

 

HECTOR, GERMAINE

 

HECTOR.

Vous ! Vous !

GERMAINE.

Oui, c’est moi ! Et comment suis-je ici ? Ça, je ne me l’expliquerai jamais. Enfin, j’y suis ! Fermez la porte ! Bien !... Et puis, que je me débarrasse de ça !

Elle pose les plats.

HECTOR, lui prenant les mains.

Germaine... ma Germaine !...

GERMAINE, se dégageant et relevant sa voilette.

Laissez-moi d’abord regarder où je suis... Quelle est cette pièce ?

HECTOR.

Un petit salon attenant à la salle d’armes.

Désignant la baie.

La salle d’armes est là...

GERMAINE.

Il n’y a personne, j’espère ?

HECTOR, avec reproche.

Comment ?...

GERMAINE.

Il n’y a pas de maître d’armes ?

HECTOR.

Pas encore ! La soirée est pour dix heures. Nous avons deux bonnes heures.

GERMAINE.

Comment, deux bonnes heures ! Vous vous imaginez que je resterai ici jusqu’à ce que mon mari arrive ?... Mais je resterai à peine un quart d’heure, pas une minute de plus. Et ce quart d’heure-là, vous le devez à une scène épouvantable que Julien m’a faite tantôt !

HECTOR.

Il vous a fait une scène ?... Et de quel droit ?

GERMAINE.

Ça couvait depuis un mois. Il est en pleins soupçons. C’est incroyable ! Lui qui a toujours été d’un caractère confiant, il ne pense plus qu’à vous, mon ami... Il ne me parle que de vous... Ah ! vous ne savez pas ce que vous lui devez !

HECTOR.

Je ne veux rien lui devoir.

GERMAINE.

Si ! si ! À mon retour d’Aix, je ne demandais qu’à vous oublier... Et j’y serais parvenue sans difficulté. Il n’y a pas eu moyen !... Il n’était question que de vous, à table, au spectacle, dans l’intimité... partout, enfin, partout !

HECTOR.

N’insistez pas... Et comprenez ce qu’il y a de blessant pour moi...

GERMAINE.

Ah ! très bien ! Moi qui croyais vous faire plaisir ! Enfin, n’importe... Tous les matins, depuis un mois, j’étais résolue à vous céder.

HECTOR.

Bien !

GERMAINE.

Mais, l’après-midi, mon mari me quittait, alors j’étais seule et je réfléchissais...

HECTOR.

C’était le moment de m’appeler !

GERMAINE.

Eh bien, mon ami, c’est juste à ces moments que je n’y pensais plus... Au fond, j’ai la vie la plus tranquille du monde, un peu banale, mais tranquille, je suis aussi heureuse que peut l’être une honnête femme. Qu’allais-je chercher de plus ? Qu’est-ce que vous me donnerez que je n’aie pas ?

HECTOR.

La passion !

GERMAINE.

Oui ! j’allais le dire... En effet, ça, ça me manque ! Et encore, ça ne me manque que si mon mari me fait des scènes.

HECTOR.

Je me perds dans toutes ces subtilités... je vous assure que je m’y perds !

GERMAINE.

Oui. Vous, en dehors de la passion, il ne faut rien vous demander.

HECTOR.

Voilà ! Vous me comprenez ?

GERMAINE.

Enfin, tantôt, j’avais fait une chose héroïque : je vous avais envoyé un petit bleu pour vous dire de ne pas compter sur moi.

HECTOR.

Sans reproche, c’est une chose héroïque que vous faites tous les jours, à trois heures, depuis un mois...

GERMAINE.

Sans doute, mais aujourd’hui, je l’avais faite avec plus d’énergie... Je l’avais faite cette fois-ci avec la certitude que c’était bien fini, que je ne vous céderais jamais... J’étais très contente de moi.

HECTOR.

Ah ! il y avait de quoi !

GERMAINE.

Oh ! ça, ça rentre dans l’ordre des choses qui ne sont pas de votre spécialité. Donc, je reviens chez moi, pour m’habiller. Je tombe sur mon mari qui m’attendait depuis une heure. Il avait quitté l’usine, poussé par ses soupçons habituels ; et il ose me demander : « D’où viens-tu ? »

HECTOR.

Il a osé vous demander ça, à vous ?

GERMAINE.

Oui, mon ami ! Et, en me le disant, il me regardait d’une drôle de façon...

HECTOR.

Oh ! on croit toujours que les maris regardent d’une drôle de façon ; ils vous regardent très naturellement... les maris, ce sont des gens comme nous.

GERMAINE.

N’importe, ça m’a troublée, ça m’a indignée. Et je lui ai répondu : « Ça ne te regarde pas ! »

HECTOR.

Bravo ! Ça, c’est un mot de femme... Et alors ?

GERMAINE.

Il est devenu très pâle... Et il est sorti en claquant la porte...

HECTOR.

Et puis ?...

GERMAINE.

C’est tout. Ça ne vous suffît pas ? Moi, ça m’a suffi... Il était vraiment trop injuste... Je ne pouvais pas rester là-dessus ! Toutes les idées de vengeance me sont montées à la tête, et, brusquement, j’ai décidé que je serais votre maîtresse...

HECTOR.

Ah ! Germaine ! Ah ! Germaine !

GERMAINE.

...que je serais votre maîtresse demain.

HECTOR.

Demain ?

GERMAINE.

Et je suis venue vous l’annoncer ce soir pour que ce soit bien convenu, pour me couper toute retraite, pour que vous ayez le droit de m’adresser des reproches sanglants si par hasard je manquais à ma parole...

HECTOR.

Mais vous n’y manquerez pas, Germaine, dites ?... vous n’y manquerez pas...

GERMAINE.

Si j’étais capable d’y manquer, croyez-vous que j’aurais fait cette chose stupide de venir ce soir, dans votre appartement, dans cet appartement où je vais me retrouver tout à l’heure avec mon mari ! Croyez-vous que je serais allée chez cette antiquaire, à qui j’ai acheté des plats d’étain, affreux, d’ailleurs ! À propos, vous trouvez ça très ingénieux, cette idée de passer par une boutique d’antiquaire pour venir chez vous ?

HECTOR.

Mais oui... De cette façon, si vous êtes reconnue, on ne peut pas s’étonner. Vous achetez des plats d’étain, il n’y a rien de plus innocent !

GERMAINE.

Vous avez peut-être raison... Mais c’était une impression. Cette boutique obscure ! Cette vieille dame trop respectable et qui a une façon de ne pas vous regarder, une façon de ne pas sourire : bien entendu, je n’insiste pas sur le prix des petits objets affreux qu’on lui achète, parce que ça c’est plutôt comique ! Et enfin cet escalier dérobé ! cette porte ! Vous direz ce que vous voudrez, mon ami, c’est suspect. Je ne sais pas si la grande porte ne vaut pas mieux !

HECTOR, lui prenant les mains.

Ma chérie ! ma chérie ! Ne pensons plus à ça, ne pensons plus qu’à nous ! Vous êtes là ! c’est vous ! Je ne peux pas y croire !

GERMAINE.

Moi non plus... C’est tellement stupide, ce que je fais en ce moment... sans compter ce que je vais faire demain !... Tenez ! tenez ! Dites-moi vite que vous m’aimez, que vous m’adorez, que, si je n’étais pas venue aujourd’hui, vous auriez été capable de toutes les folies !

HECTOR.

Oui, Germaine, oui... oui !

GERMAINE.

Dites-moi tout ce qu’il faut pour cacher l’absurdité de cette action... Dites-le-moi vite ! vite ! Dites-le-moi de façon que je n’en puisse pas douter ou je ne réponds plus de rien !

HECTOR, avec passion.

Je vous adore, Germaine... Je vous aime ! Je vous désire follement...

Il la prend dans ses bras.

GERMAINE.

Follement, n’est-ce pas ?

HECTOR.

Follement !

GERMAINE.

À la bonne heure !

HECTOR.

Oui, c’était fatal... Un amour comme le mien entraîne tout comme un torrent ! Je vous voyais hésiter, mais je me disais : « Nous ne pouvons échapper ni l’un ni l’autre à cette fatalité. »

GERMAINE.

Comme c’est vrai ! Vous avez raison. C’est idiot, ça va nous entraîner dans des complications sans nombre... Mais c’est fatal ! je commence à croire que c’est fatal.

HECTOR, lui embrassant les mains.

Ma chérie... À demain, n’est-ce pas ? Cette soirée va me sembler interminable... Heureusement que je vais dépenser de l’énergie, que je vais pour ainsi dire me battre... Et j’aurai ainsi l’impression que je me bats pour vous...

GERMAINE.

Et moi, pendant ce temps-là, je songerai à demain ! Et nous sommes déjà des complices... des complices d’un crime qui n’est pas encore commis.

HECTOR.

Ce sera magnifique... et compliqué !

GERMAINE.

Maintenant, laissez-moi. Ne m’embrassez plus... Je dîne rapidement chez Fernande, en garçons... Je suis capable d’être très émue ce soir. C’est là qu’on va se battre ?

HECTOR.

Oui... Voulez-vous jeter un coup d’œil ?

Il la mène à droite et allume. On aperçoit des rangées de chaises et une planche.

GERMAINE.

Volontiers. C’est impressionnant ! Ça fait passer un frisson. Il n’y a pas de danger, j’espère ?

HECTOR.

Aucun.

GERMAINE.

Oh ! je suis restée plus qu’un quart d’heure... Je suis en retard : Fernande m’attend... je me sauve ! À ce soir, mon ami.

HECTOR.

À ce soir... et à demain.

GERMAINE.

À demain. Au fait ! je vous enverrai peut-être deux ou trois petits bleus pour vous dire que je ne viens pas... mais je viendrai... je viendrai ! Vous avez ma parole. Ah ! rendez-moi mes plats. Qu’est-ce que je vais en faire ? Tiens ! je vais les donner à Tencier dont c’est demain la fête.

HECTOR.

Ah ! c’est sa fête ? Je n’y pensais plus. J’ai justement pour lui deux épées du seizième... du seizième siècle... C’est un amateur.

GERMAINE.

Merci pour lui !... Adieu ! À demain...

Se retournant au moment de sortir.

Si je ne venais pas demain, vous vous tueriez, n’est-ce pas ?

HECTOR.

Oui... je vous le jure !

GERMAINE.

Je viendrai, alors, je viendrai !... Adieu !

Elle sort par la petite porte de gauche.

 

 

Scène IV

 

HECTOR, ÉMILE, puis LA ROMBIÈRE, puis PIANOLI et D’ASTARAC

 

HECTOR, seul, allant sonner.

Plus j’aime cette femme, moins je la comprends !

Émile entre.

Émile, mon costume est préparé ?

ÉMILE.

Oui, monsieur. J’ai préparé le costume blanc comme monsieur me l’avait dit, celui qui fait valoir le torse et les jambes.

HECTOR.

Bien.

Faisant des pliés.

Je me sens d’ailleurs, ce soir, dans une forme extraordinaire.

LA ROMBIÈRE, qui est entre, annoncé par Émile.

En effet, mon ami... Vous êtes superbe ! Le poignet ?

HECTOR.

En fer, mon cher président ! tâtez plutôt !

LA ROMBIÈRE, tâtant.

Oui... Je viens de bonne heure parce que j’ai reçu la visite du professeur d’Astarac, notre maître d’armes. Il m’a dit que le chevalier Pianoli, hier, dans un assaut, avait nié les coups avec un cynisme révoltant. Il disait, toutes les fois :

Avec l’accent italien.

« Il a passé ! » Et d’Astarac est très ennuyé de tirer ce soir avec lui dans ces conditions-là.

HECTOR.

Rassurez-vous, j’ai trouvé le moyen d’arranger ça. On tirera à l’épée à pointe d’arrêt.

LA ROMBIÈRE.

Tenez, voici justement le chevalier Pianoli.

HECTOR, à Pianoli qui entre.

Mon cher chevalier, soyez le bienvenu. Vous êtes le héros de cette belle fête sportive, et qui marquera dans les annales de l’escrime... Tout Paris va vous acclamer ce soir.

PIANOLI.

Ze n’en doute pas, cer monsieur Le Hercheur... Nous savons, de l’autre côté des Alpes, que vous êtes oun amator di primo cartello ! Ze souis heureux de tirer ce soir avé lé professor d’Astarac.

LA ROMBIÈRE.

C’est une lame digne de vous.

PIANOLI.

Oui, zénéral-comte ! Mais il a une furieuse manie. Celle de nier les coups de bouton !

HECTOR.

Soyez tranquille, vous allez tirer à pointe d’arrêt. Vous savez ? les pointes qui dépassent et qui déchirent le plastron.

PIANOLI.

Ze n’osais pas vous le demander. Ze souis content : de cette façon, ze le mettrai en pièces ! Ah ! le voici.

D’ASTARAC, entrant.

Messieurs...

HECTOR, allant à lui.

Mon cher maître... Le chevalier nous disait toute sa joie de lutter ce soir avec vous.

D’ASTARAC, à Pianoli.

Chevalier !...

Il lui serre la main.

Ce sera le plus grand honneur de ma vie de m’être rencontré avec le champion de l’escrime italienne !...

PIANOLI.

L’honneur ne sera pas moins grandiose pour moi, illustrissime professor. Vous représentez pour nous cette écolo française, si belle, mais si difficile...

D’ASTARAC.

Pourquoi difficile ?

PIANOLI.

Parce qu’il faut toucher les gens au cœur, ou bien ça ne compte pas... On a beau avoir le ventre traversé, ça ne compte pas ! Le poumon, ça ne compte pas ! Le foie, la gorge, les cuisses, ça ne compte pas !

D’ASTARAC.

Et vous, vous êtes le chef de cette magnifique école italienne si pittoresque et si tumultueuse, où l’on bondit, où l’on rugit, où l’on se roule par terre, et qui a su réunir si heureusement le bâton et la course à pied !

PIANOLI.

Trop gracieux, illustrissime professer !

LA ROMBIÈRE.

Messieurs... si vous voulez essayer la planche !

PIANOLI.

À vos ordres, zénéral-comte.

LA ROMBIÈRE.

Je vous montre le chemin.

D’ASTARAC, s’effaçant.

Après vous, chevalier... À vous l’honneur...

PIANOLI.

Par obéissance.

D’ASTARAC.

Faites.

Tous trois sortent par la baie, entre Émile.

ÉMILE, à Hector.

Monsieur ! Madame la baronne de Kenler désire parler à monsieur à l’instant.

HECTOR.

Je ne la connais pas !

ÉMILE.

Eh ! si ! Monsieur la connaît parfaitement. C’est mademoiselle Julia Raisin.

HECTOR.

Allons donc ! Qu’elle entre, voyons, qu’elle entre !...

Émile introduit Julia.

 

 

Scène V

 

HECTOR, JULIA, puis TENCIER, puis BRANCOUR

 

JULIA.

Bonjour, mon chéri... Bonjour, mon bon Hector !

HECTOR, lui embrassant la main.

Ma petite Julia !... Comment, tu es baronne et je ne le savais pas !

JULIA.

Oui, j’ai fini par épouser le baron Kenler... Tu te rappelles ? Kenler que je quittais tout le temps pour me mettre avec toi ?

HECTOR.

Pardon ! Pardon ! C’est moi que tu quittais tout le temps pour te remettre avec lui.

JULIA.

Si tu veux ! À la longue, il en a eu assez ! Il m’a mise en demeure de choisir entre vous deux. Tu venais de me lâcher salement à Aix-les-Bains. Je n’ai pas hésité. Mais je suis très contente de te revoir. On peut t’embrasser ?

HECTOR.

Non, non, on ne peut pas m’embrasser. Je donne une grande fête ce soir.

JULIA.

Oui, je l’ai lu dans les journaux. Tu m’invites, j’espère ?

HECTOR.

Sans ton mari ! Ce n’est pas possible.

JULIA.

Oh ! j’ai l’intention de ne rester qu’un petit quart d’heure, le temps de voir quelques femmes du monde. D’ailleurs, je suis à l’Opéra avec des amis, je ne viens que dans un entr’acte. Ensuite, je dois aller rejoindre Kenler au cercle.

HECTOR.

Il n’est donc plus jaloux, Kenler ?

JULIA.

Au contraire, il m’a dit sévèrement : « Maintenant que nous sommes mariés, plus de ces allées et venues de moi à Le Hercheur et de Le Hercheur à moi. Je ne le souffrirais pas. »

HECTOR.

Il a raison, plus d’allées et venues, ce serait très imprudent. Allons, ma petite Julia, viens dans le salon, tu vas y retrouver nos camarades, tu seras bien gentille et tu t’en iras après l’assaut Pianoli-d’Astarac.

JULIA.

C’est ça. Laisse-moi t’embrasser, dis ?

HECTOR.

Non, non... pas ce soir. Voici du monde.

Entre Tencier.

TENCIER.

Monsieur Le Hercheur ! J’arrive un des premiers. Ce n’est pas que ce genre de spectacle m’intéresse beaucoup... Mais j’ai accompagné Julien.

HECTOR.

Ah ! Brancour est là ? Je vais lui montrer où l’on s’habille.

TENCIER.

Inutile ! Il est venu tout habillé. Il est très bien.

JULIA.

Est-ce qu’on peut le voir ?

TENCIER.

Mais regardez... Le voici !

BRANCOUR, entrant.

Chère madame... Bonsoir, Le Hercheur.

JULIA.

Mes compliments, monsieur Brancour. Vous êtes superbe !

HECTOR.

Il faut que je m’habille aussi... Venez, baronne, que je vous conduise au salon.

TENCIER.

Baronne ?

JULIA.

Oui... baronne Kenler... Je suis mariée.

HECTOR.

Ne dis donc pas ça à tout le monde ! Tu finiras par te faire du tort... Allons, viens...

Il l’entraîne.

 

 

Scène VI

 

TENCIER, BRANCOUR

 

TENCIER.

Te voilà déguisé en spadassin ! Ah ! tu es beau !

BRANCOUR.

N’est-ce pas ?

TENCIER.

Et c’est avec Le Hercheur que tu vas croiser le fer ?

BRANCOUR.

Tu le sais bien.

TENCIER.

Il est dix fois plus fort que toi, Le Hercheur !

BRANCOUR.

Je ne l’ignore pas.

TENCIER.

Et il te flanquera une raclée abominable !

BRANCOUR.

Je ne dis pas non.

TENCIER.

Cette idée a l’air de t’amuser !

BRANCOUR.

Elle ne me déplaît pas.

TENCIER.

Enfin, je t’ai donné mon opinion là-dessus en dînant : je me garderai d’y revenir. Tu te conduis avec la dernière maladresse et une imprudence sans égale. Tu vas te rendre ridicule devant tout le monde, et en particulier devant ta femme, et au profit de qui ? de Le Hercheur ! Tu entends ce que je te dis ?

BRANCOUR.

J’entends !

TENCIER.

D’ailleurs, il est absurde de ta part d’être venu ce soir chez Le Hercheur ! Je ne comprendrai jamais qu’on serre la main d’un monsieur qui fait la cour à votre femme ni qu’on accepte ses invitations. Tu me répondras que c’est du dilettantisme et de la confiance ! Mais, moi, je trouve que ces familiarités apparentes entre gens qui devraient se détester ont quelque chose d’immoral !

BRANCOUR.

Je ne déteste pas Le Hercheur.

TENCIER.

Tu as tort. Moi, il ne m’a jamais rien fait et je le déteste !

BRANCOUR.

Parce que tu es un sentimental. Je suis un homme plus positif que toi. Quand j’aurai une raison certaine de haïr Le Hercheur, sois tranquille... Mais je n’avais aucun prétexte valable, vis-à-vis de Germaine, pour refuser cette invitation que j’avais acceptée à Aix. C’eût été un acte de jalousie... et je ne suis pas jaloux, je ne veux pas l’être. Mais il y a une chose que je ne supporte pas, c’est l’indécision. Ce qui est capital, pour moi, vois-tu, ce n’est pas d’être trompé... C’est de n’en être pas sûr ! Oh ! si je suis trompé, je ne dis pas que je rirai aux éclats : mais, au moins, je serai fixé !

TENCIER.

Tu fais le malin. Si tu étais trompé, tu ferais comme les autres. Et je m’y connais ! Car j’ai de ces choses-là une expérience qui remonte à ma quinzième année, date où je fus trompé pour la première fois. J’ajoute que, depuis, je n’ai pas cessé de l’être.

BRANCOUR.

Mais, moi, je ne suis pas comme toi ! Je n’ai pas le temps de souffrir. Aussi, j’ai pris une résolution énergique !

TENCIER.

Et quelle bêtise as-tu faite ?

BRANCOUR.

J’ai risqué une démarche dont je ne suis pas autrement fier, d’ailleurs : depuis deux jours, j’ai fait suivre Germaine !

TENCIER.

Mais c’est abominable, mon ami !

BRANCOUR.

Tu n’as donc jamais employé ce moyen-là ?

TENCIER.

Si ! très souvent... Mais il s’agissait de mes maîtresses ! Ça n’a aucun rapport. Ta femme est incapable de te tromper.

BRANCOUR, tirant sa montre.

Je saurai ça dans dix minutes ; oui, mon vieux Tencier, dans dix minutes, je saurai, heure par heure, tout ce que ma femme a fait depuis deux jours. J’attends un monsieur très bien qui s’est chargé de cette petite besogne.

TENCIER.

Tu l’attends ici ?

BRANCOUR.

Ici même. Et quand je serai fixé, d’une façon ou d’une autre, je me remettrai au travail.

TENCIER.

Tant mieux ! Car c’est moi qui fais tout à la maison.

BRANCOUR.

Aussi, elle périclite de jour en jour.

Parait Colette.

 

 

Scène VII

 

TENCIER, BRANCOUR, COLETTE

 

COLETTE.

Eh bien, qu’est-ce que vous faites là, tous les deux ? On est arrivé ! Ça va commencer... Ça va être palpitant ! Moi, rien que ces costumes, ces épées, ça me fait battre le cœur !

BRANCOUR.

Vous êtes très impressionnable, Colette.

COLETTE, à Brancour.

Que je vous regarde, vous ! Je ne vous avais jamais vu dans cette tenue-là !

TENCIER.

Et comment le trouvez-vous ?

COLETTE.

Il me plaît beaucoup.

À Brancour.

Et moi, est-ce que je vous plais, ce soir ? Voyons ! Répondez ! C’est Tencier qui vous gêne ? On pourrait lui demander de nous laisser seuls un instant !

TENCIER.

Oh ! Avec plaisir ! Je ne tiens pas à assister à ces spectacles-là !

BRANCOUR.

Non ! Non ! tu n’es pas de trop.

COLETTE.

Mais si, il est de trop. Vous n’êtes guère gentil ce soir... Qu’est-ce que vous avez ? Des ennuis ?

BRANCOUR.

Justement.

COLETTE.

Racontez-les-moi... Qu’est-ce que je cherche, moi ? C’est un homme qui me raconte ses ennuis... parce que alors je le consolerais... Voilà des mois que je n’ai consolé personne... Voyons ! Julien... dites-moi que vous êtes malheureux, ça m’intéresse.

BRANCOUR.

Je ne suis pas malheureux pour le moment, mais ça peut venir, on ne sait pas.

COLETTE.

Et alors, vous penserez à moi ?

BRANCOUR.

Je vous le promets.

COLETTE.

Vous me donnerez la préférence ?

BRANCOUR.

Vous avez ma parole.

COLETTE.

Dites donc, Tencier, vous qui vous y connaissez ? Est-ce que je peux considérer ça comme une déclaration ?

TENCIER.

Moi, je n’appelle pas ça une déclaration. J’appelle ça un manque de respect sinon pour vous, du moins pour moi.

COLETTE.

Ça ne fait rien. J’ai sa parole, ça me suffit pour ce soir.

À Brancour.

Mais je vous préviens que, la prochaine fois, je serai plus exigeante.

Entre Germaine.

 

 

Scène VIII

 

TENCIER, BRANCOUR, COLETTE, GERMAINE

 

GERMAINE.

Ah ! Julien ! Bonsoir, Tencier... Vous avez dîné tous les deux !

TENCIER.

Oui, chère madame.

GERMAINE.

À la maison ?

TENCIER.

Chez vous. Et j’ai beaucoup regretté votre absence.

BRANCOUR.

Tu n’aurais pas été de trop.

GERMAINE.

J’ai dîné chez Fernande, tu le sais bien ! C’était convenu depuis hier.

BRANCOUR.

Vous êtes venues ensemble ?

GERMAINE.

Parfaitement !

Un temps.

C’est toi qui avais téléphoné à Fernande à huit heures ?

BRANCOUR.

En effet...

GERMAINE.

Pour savoir si j’étais bien là ?

BRANCOUR.

Non ! Pour t’accompagner, si tu n’avais pas voulu, par hasard, venir ici toute seule.

GERMAINE.

Je ne venais pas toute seule, je venais avec Fernande.

BRANCOUR.

Mais rien n’est plus naturel !

ÉMILE entre et tend une carte à Brancour, à part.

Ce monsieur demande monsieur Brancour.

BRANCOUR.

Ah ! bon ! j’y vais...

À Tencier.

C’est lui...

TENCIER.

Qui ça, lui ?

BRANCOUR.

Le monsieur très bien dont je viens de te parler.

TENCIER.

Tu as tort d’y aller ! je t’assure que tu as tort. Ta femme est la plus honnête de la terre !

BRANCOUR.

Je n’en doute pas. Mais j’aime mieux en être sûr.

TENCIER.

Je t’attends ici. Ma parole, je suis plus ému que toi !

GERMAINE, à Brancour.

On vient te chercher ici ?

BRANCOUR.

Oui... c’est une affaire de l’usine pour laquelle il faut que je donne une réponse ce soir... Tu permets que je te quitte un instant ?

Il sort.

GERMAINE, à Tencier.

Rien de grave, j’espère ?

TENCIER.

Rien que je sache.

 

 

Scène IX

 

TENCIER, COLETTE, GERMAINE, HECTOR, habillé, puis LA ROMBIÈRE, MONSIEUR et MADAME BRISSAUD, puis D’ASTARAC et PIANOLI, FERNANDE, INVITÉS

 

HECTOR, suivi de Pianoli et de d’Astarac.

Mesdames ! On va commencer ! Permettez-moi de vous présenter le chevalier Pianoli et le professeur d’Astarac qui vont avoir l’honneur de se mesurer devant vous.

PIANOLI.

Trop honoré, mesdames, de tirer devant une aussi flatteuse assistance et avec un si redoutable adversaire, gloire des armes françaises !

D’ASTARAC.

Vous me remplissez de confusion !

PIANOLI, à Colette et à Germaine.

Vous n’avez jamais assisté, mesdames, à ce spectacle passionnant ?

COLETTE.

J’en suis toute frémissante...

HECTOR.

Et voici mes amis, monsieur le vicomte de Frangy et monsieur La Chaux Braisée.

DE FRANGY.

Nous allons avoir l’honneur de reconstituer devant vous, mesdames, un de ces tragiques duels à l’épée et à la dague.

LA CHAUX BRAISÉE.

Un de ces duels dont nous regrettons chaque jour la disparition.

PREMIÈRE DAME.

C’est vrai, pourtant, que les duels de nos jours ne sont plus assez excitants !

DEUXIÈME DAME.

Ils avaient de la chance de se battre dans ces costumes.

TROISIÈME DAME.

Est-ce que ça ne finira pas par une reprise de boxe ?

HECTOR.

De la boxe chez moi, madame ? jamais !

LA ROMBIÈRE.

Messieurs les professeurs, quand vous voudrez !

MADAME BRISSAUD, à Hector.

C’est celui-là, le professeur Pianoli ?

HECTOR.

Lui-même.

MADAME BRISSAUD.

Vous ne pourriez pas m’obtenir sa signature pour mon éventail ?

PIANOLI.

J’ai entendu, madame. Vous permettez ? Immédiatement.

MADAME BRISSAUD.

Oh ! maître, que vous êtes bon !

Ils s’éloignent.

BRISSAUD, à Hector.

C’est vous qui tirez avec Brancour ?

HECTOR.

Oui, cher ami.

COLETTE.

Quel est le plus fort de vous deux ? C’est vous, n’est-ce pas ?

BRISSAUD.

Oh ! de beaucoup !

HECTOR.

Mais, pardon ! Brancour n’est pas un adversaire à dédaigner ! Il manque un peu d’entraînement, voilà tout !

À Brissaud.

Voulez-vous faire placer les invités, cher ami ? Mesdames, si vous voulez bien entrer par ici ?...

TENCIER, à Fernande.

Mademoiselle Fernande, je vous ai fait réserver une place près de moi, si cette proximité ne vous est pas désagréable !

FERNANDE.

Elle me charme, cher monsieur Tencier. Je suis ravie !

À Germaine.

Je ne vois pas Julien... où est-il donc ?

GERMAINE.

Il est sorti un instant, je ne sais pas trop pourquoi.

FERNANDE.

Il n’a pas fait d’observation sur notre petite escapade ?

GERMAINE.

Quelques mots aigres-doux, comme d’habitude.

FERNANDE.

Quel air avait-il en te trouvant ici ?

GERMAINE.

Celui qu’il a tout le temps, maintenant, glacial, soupçonneux et insupportable. Tu n’as pas remarqué ?

FERNANDE.

Mais non ! Je remarque seulement qu’il est un peu plus nerveux que d’habitude. Et c’est peut-être de ta faute ! Toi aussi, tu as un peu changé...

GERMAINE.

Moi ?... Jamais de la vie !

FERNANDE.

Si ! si ! Je te connais bien, va ! Et je te trouve un air bizarre, ce soir ! Tu ne me caches rien ?

GERMAINE.

Rien du tout !

FERNANDE.

Bien vrai ?

GERMAINE.

Je t’assure...

FERNANDE.

Tu n’es pas sur le point de faire une grosse bêtise ?

GERMAINE.

Ça m’étonnerait. Enfin ! tout est possible !

ÉMILE, s’approchant d’Hector.

Un petit bleu pour monsieur.

HECTOR, regardant le bleu.

C’est d’elle ! C’est encore d’elle ! Mais qu’est-ce qu’elle peut me dire ? c’est effrayant !

Voyant que Fernande a quitté Germaine, il s’approche.

Germaine ! Je reçois ça à l’instant... je n’ose pas le lire... Qu’est-ce qu’il y a encore ?

GERMAINE.

Ah ! C’est le pneu que je vous ai envoyé en sortant de chez vous...

HECTOR.

C’est affolant ! C’est terrible !

Il ouvre le bleu et lit.

Décidément, mon ami, ce serait une folie ! Ne comptez pas sur moi ! Adieu pour toujours. Oh !

GERMAINE.

Mais il y a un post-scriptum ! Lisez le post-scriptum.

HECTOR.

Ah ! c’est vrai...

Lisant.

Toutes réflexions faites, je viendrai. À demain. Merci, ma chérie, merci.

GERMAINE.

Vous ne trouvez pas que mon mari paraît, ce soir, plus nerveux que d’habitude ?

HECTOR.

Mais non ! Il est un peu ému parce qu’il va tirer avec moi : c’est tout naturel. Venez voir les préparatifs.

Ils s’éloignent. Les autres invités sont sortis par la baie, sauf Tencier qui est resté un peu en arrière. Entre Brancour.

 

 

Scène X

 

BRANCOUR, TENCIER, puis GERMAINE

 

TENCIER.

Eh bien ?

BRANCOUR.

Ah ! mon ami... Quelle joie ! quel soulagement ! On a beau dire, ça fait plaisir !

TENCIER.

Alors, tu es rassuré ?

BRANCOUR.

Entièrement, mon ami !

TENCIER.

Sacrebleu ! moi aussi.

BRANCOUR.

J’ai été stupide ! j’ai été aussi bête que toi. Germaine n’a fait depuis deux jours que les démarches les plus innocentes, les plus naturelles ! Et le louche gentleman qui me les énumérait ne pouvait pas se douter du dégoût et de la reconnaissance que j’avais pour lui ! Je ne regrette pas mon argent. Tiens ! j’ai envie de t’embrasser ou plutôt d’embrasser ma femme !

TENCIER.

J’aime mieux ça !

BRANCOUR, voyant entrer Germaine.

Et je vais le faire immédiatement.

Il s’avance vers elle les bras tendus.

GERMAINE.

Eh bien ! Qu’est-ce qui te prend ? qu’est-ce qui te prend ?

TENCIER.

Je vous laisse. Il va encore vous faire une scène !

Il sort. Émile ferme les rideaux.

 

 

Scène XI

 

BRANCOUR, GERMAINE

 

GERMAINE.

Encore une scène !...

BRANCOUR, riant.

Mais non, ma chérie, c’est une plaisanterie de cette brute de Tencier... Te faire une scène ? moi ! D’abord, je ne t’en ai jamais fait... J’ai pu te montrer parfois un peu de mauvaise humeur...

GERMAINE.

Un peu ! Tu appelles ça un peu ?

BRANCOUR.

Mais de là à une scène, à une vraie scène... il y a loin ! En tout cas, c’est fini !...

GERMAINE.

Alors, tu te rends compte que tu as été odieux depuis un mois ?

BRANCOUR.

Je m’en rends très bien compte... Et j’en suis navré... je m’en excuse... Ma petite Germaine, tu es la femme la plus exquise, la plus dévouée, la plus loyale ! Et moi, je ne suis qu’un imbécile et un être absurde d’avoir un instant douté de toi.

GERMAINE.

Comment ! tu as douté de moi ?

BRANCOUR.

Non... non... même pas...

GERMAINE.

Mais si ! mais si ! Et qu’est-ce qui te donnait ce droit ? Veux-tu me le dire ? Qu’avais-tu à me reprocher ?

BRANCOUR.

Rien ! rien ! J’ai eu tort... j’ai eu tous les torts ! Je me mets à ta discrétion. Que te faut-il de plus ?

GERMAINE.

Oui... tout ça est très gentil... tu es bien aimable... Seulement, je ne comprends pas... À propos de quoi cette explosion subite de tendresse et de confiance ? Je te quitte à sept heures, claquant les portes et me jetant des regards de colère. Je te retrouve trois heures après complètement transformé, tel que tu étais autrefois. Remarque... j’en suis enchantée. Mais je trouve cela singulier ! Qu’est-ce qui s’est donc passé depuis sept heures du soir ?

BRANCOUR.

Il ne s’est rien passé. Je suis revenu à la raison.

GERMAINE.

On ne revient pas à la raison sans raison. J’ai le droit de savoir... Quand tu me soupçonnais, je n’avais pas besoin d’explications... Mais, maintenant que tu ne me soupçonnes plus, il m’en faut une.

BRANCOUR.

À quoi bon ! Puisque tout cela est oublié !

GERMAINE.

Qu’est-ce qu’il y a d’oublié ? Qu’est-ce qu’il y a d’oublié ? Que signifie ce mot-là ? Tu avais donc quelque chose à oublier ! Je te prie d’être clair... J’en ai assez, à la fin, de ta défiance sournoise et de ces insinuations continuelles...

BRANCOUR.

Moi ! j’insinue ?...

GERMAINE.

Allons, sois franc une fois dans ta vie ! Voyons ? On t’a parlé de moi ! On t’a raconté des histoires sur mon compte ?

BRANCOUR, riant.

Mais non ! mais non ! On m’a dit que tu étais la plus honnête des femmes, et la plus fidèle...

GERMAINE.

Et qui est-ce qui s’est permis de dire ça de moi ?

BRANCOUR, riant.

Ce n’est pas une insulte.

GERMAINE.

On avait donc prétendu le contraire ? Tu as besoin maintenant de l’opinion des autres ? Tu n’es pas assez grand pour juger tout seul ?

BRANCOUR.

Mais ne te monte pas la tête !

GERMAINE.

Enfin ! il y a quelqu’un qui s’est occupé de moi ! Qui t’a donné des renseignements sur mon compte ! Quoi est-ce ? Ce n’est pas Fernande ? Celle-là, j’en suis sûre... C’est donc Colette ?

BRANCOUR.

Je te jure que non.

GERMAINE.

Je parie que c’est Tencier ! Ce ne peut être que lui ! Je le devine d’ailleurs, depuis quelque temps qu’il me surveille... Il est tellement méfiant, cet être-là, qu’il l’est aussi pour le compte des autres... Il t’a peut-être conseillé de me faire suivre, comme il faisait suivre toutes ses maîtresses ?

Un temps.

Tu ne m’as pas fait suivre, au moins ?

BRANCOUR.

Jamais de la vie ! Qu’est-ce que tu vas supposer là !

GERMAINE.

Et qui est cette personne qui est venue te demander tout à l’heure ?

BRANCOUR.

C’est de la part du contremaître... Pajot ! Le vieux Pajot.

GERMAINE.

Et c’est le vieux Pajot qui t’a fait réclamer ici, de cette façon mystérieuse ?

BRANCOUR.

Où prends-tu du mystère là dedans ? Une affaire de service assez pressée... C’est arrangé. Ah ! maintenant, rentrons là dedans... Ce n’est pas poli de notre part de rester ici pendant qu’eux...

GERMAINE.

Oh ! pardon ! pardon ! C’est à mon tour de causer un peu avec toi ! J’en suis sûre, maintenant. Tu m’as fait suivre !... Ah ! c’est joli ce que tu as commis là ! Toi ! me faire suivre ! Toi ! m’espionner !

BRANCOUR.

Pardonne-moi, ma chérie ! J’étais vraiment malheureux ! ma parole... Je me sentais injuste envers toi... et, alors, j’ai voulu avoir une preuve matérielle et définitive de cette injustice... Ce n’est pas pour me rassurer que j’ai employé ce procédé ignoble... c’est pour me punir de mes soupçons... Et je suis bien puni, je suis honteux !

GERMAINE.

Et il y a longtemps que dure ce petit jeu ?

BRANCOUR.

Il a commencé hier et il a fini ce soir. Et il ne m’a pas amusé, je t’assure !

GERMAINE.

Et qu’est-ce que j’ai fait, depuis deux jours ? Raconte-le-moi, pour voir si on ne t’a pas volé ton argent ?

BRANCOUR.

Je t’en prie... n’insiste pas.

GERMAINE.

Si ! si ! je veux le savoir... j’y tiens ! Hier ?

BRANCOUR, très gaiement.

Hier ? Tu es sortie à trois heures, tu es entrée dans le bureau de poste de la rue Boissy-d’Anglas, tu as envoyé un petit bleu...

GERMAINE.

C’est vrai... à Fernande !

BRANCOUR.

De là, tu es allée rue de la Paix, chez ta modiste. Puis tu as goûté chez madame Brissaud. Et tu es rentrée à la maison à sept heures moins le quart.

GERMAINE.

Et aujourd’hui ?

BRANCOUR.

Aujourd’hui, c’est tout aussi palpitant... Tu as envoyé également un ou deux petits bleus et tu es rentrée t’habiller à six heures pour aller dîner chez Fernande.

GERMAINE.

Oui...

BRANCOUR.

Et, en allant chez Fernande... ?

GERMAINE, émue.

Qu’est-ce que j’ai fait en allant chez Fernande ?

BRANCOUR.

Tu es allée dans ce quartier-ci, boulevard Malesherbes, chez la mère Jacob, antiquaire, et tu as acheté des plats d’étain que tu as fait porter par un commissionnaire chez Tencier.

GERMAINE.

C’est merveilleux !

BRANCOUR.

Oh ! je ne suis pas fier ?

GERMAINE.

Il n’y a pas de quoi, en effet ! Car, sans être coupable, j’aurais pu être victime d’une coïncidence. J’aurais pu rencontrer Le Hercheur, par hasard, dans la rue ! Je dis Le Hercheur, puisque c’est de lui que tu as la naïveté d’être jaloux ! J’aurais pu causer quelques instants avec lui, et, alors, tu aurais cru à un rendez-vous. Jamais je n’aurais pu te démontrer mon innocence ! Et j’étais perdue ! Voilà ce que tu as risqué !

BRANCOUR.

Je l’avoue, j’ai mal agi ! J’ai manqué de sincérité vis-à-vis de toi ! Il y a longtemps que nous aurions dû avoir une explication. J’ai été arrêté par une vanité imbécile ! Je n’osais pas me montrer tel que j’étais et j’ai peur, maintenant, de t’avoir blessée !

GERMAINE.

Non, mon chéri. Moi aussi, peut-être, j’ai eu des torts. Ta peine – car tu avais de la peine, ça se voyait – j’aurais dû la deviner. Et, au lieu de te délier, j’aurais dû te rassurer.

BRANCOUR.

Voilà ! voilà !

GERMAINE.

Tiens ! tu ne sais pas ce que nous devrions faire, pour effacer ce vilain souvenir, pour nous reprendre ? Nous devrions partir tous les deux, seuls, nous séparer de ce monde de potins, de malveillance, qui nous a aigris l’un contre l’autre et qui a failli nous désunir.

BRANCOUR.

Ah ! comme tu as raison, ma chérie, comme tu as du bon sens ! Voilà le remède ! Tiens ! je respire... C’est la première fois, depuis des semaines, que je ne suis pas mécontent de moi ! J’aperçois aujourd’hui toute l’erreur de ma vie... Je n’ai pas su créer, entre nous, l’intimité qui est la meilleure condition du bonheur ; j’ai trop envisagé le travail comme le but unique de l’existence. Je n’ai pas su te distraire. Quand je pense que nous n’avons pas encore eu le temps de faire notre voyage de noce ! Et que nous n’avons pas vu ensemble ni Venise, ni Florence, ni les lacs d’Italie ! Veux-tu que nous partions demain soir ?

GERMAINE.

Non. Pas demain soir. Demain matin. Parce que, l’après-midi, j’ai justement trois ou quatre rendez-vous que je veux m’offrir le luxe de manquer.

BRANCOUR.

Et moi, j’en manquerai encore plus que toi ! Et avec quel entrain !

Bruits d’applaudissements.

Tu entends ? Ils nous applaudissent !

GERMAINE.

Si nous regagnions nos places, maintenant ?

BRANCOUR.

Attends ! je vais voir si on peut rentrer sans déranger personne.

Lui tendant la main.

Amis ?

GERMAINE, lui prenant la main.

Amis.

Parait Julia Raisin par le fond à gauche.

 

 

Scène XII

 

BRANCOUR, GERMAINE, JULIA, ÉMILE

 

JULIA.

Ah ! là, là !

Appelant par la gauche.

Émile ! Émile !

GERMAINE, à Brancour.

Quelle est cette dame qui a l’air affolé ?

BRANCOUR.

Tu ne la connais pas ? C’est l’ancienne maîtresse de Le Hercheur.

GERMAINE.

Ah ! oui... mademoiselle Julia Raisin !

JULIA, à Brancour.

C’est bête ! Figurez-vous... je viens de descendre et j’ai aperçu M. de Kenler qui faisait les cent pas devant la maison. Il est jaloux... Vous savez ce que c’est qu’un homme jaloux... Il va s’imaginer des choses !...

À Émile qui entre.

Alors, j’ai pensé à la petite porte. Vous l’avez toujours, la petite porte ?

ÉMILE.

Je crois bien.

JULIA.

La mère Jacob n’est pas fermée à cette heure-ci ?

ÉMILE.

Elle ne ferme jamais, la mère Jacob...

BRANCOUR, étonné.

La mère Jacob ?...

GERMAINE.

Viens-tu ?

JULIA, sortant.

Au revoir, Émile.

ÉMILE.

Au revoir, madame... Bonne chance !

BRANCOUR, riant.

Vous avez donc une petite porte secrète, Émile ?

ÉMILE.

Oui, monsieur. C’est une particularité de l’appartement.

BRANCOUR.

Je l’ignorais... Et cette sortie donne sur le...

ÉMILE.

Sur le boulevard Malesherbes.

GERMAINE, écartant les rideaux.

Oh ! regarde... regarde le chevalier Pianoli... Quelle vigueur ! C’est magnifique !

BRANCOUR, à Émile.

Alors, cette maison communique avec le boulevard Malesherbes ?

ÉMILE.

En passant par la boutique d’une antiquaire.

BRANCOUR.

Madame Jacob ?

ÉMILE.

C’est ça !

Il s’éloigne.

BRANCOUR, à Germaine.

Tu as entendu ?

GERMAINE.

Oui. C’est curieux.

 

 

Scène XIII

 

BRANCOUR, GERMAINE

 

GERMAINE.

Eh bien, voilà une coïncidence qui est drôle !

BRANCOUR.

Oui... elle est bizarre... enfin, elle est surprenante. C’est une coïncidence des plus surprenantes !...

GERMAINE.

Il y en a bien d’autres dans la vie !

BRANCOUR.

Oui... oui... évidemment.

GERMAINE.

De quel air tu dis ça ! Je ne suppose pas que tu me soupçonnes d’avoir passé par la boutique de cette antiquaire pour me rendre chez Le Hercheur ?

BRANCOUR.

Jamais, ma chérie, jamais ! Ah ! non... je ne vais pas recommencer à m’inquiéter, à douter et à me torturer, comme je le fais depuis un mois... Assez de jalousie bête et assez de soupçons ! C’est fini !... De la bonne humeur ! de l’indulgence !

GERMAINE.

Voilà, mon ami, voilà !

BRANCOUR.

Nous vivons dans un monde où il ne faut s’indigner ni contre la facilité des mœurs ni contre l’inconscience... L’existence ne serait plus possible... Donc, à partir de maintenant, nous rentrons dans la sérénité ! Et tu aurais commis la petite faute de venir chez Le Hercheur à mon insu que, ma parole d’honneur, je n’y attacherais pas une importance exagérée...

GERMAINE, riant.

Tu dis ça... mais je crois que tu ferais une jolie musique !

BRANCOUR.

Pas du tout... j’admets parfaitement qu’une femme, poussée par la curiosité, par le dépit, par le besoin de prendre sur la mauvaise humeur d’un mari une sorte de revanche conjugale, risque une démarche inconsidérée, enfin commette une imprudence qui ne serait, bien entendu, qu’une imprudence !... Avec les mœurs actuelles, ces choses-là qui auraient paru exorbitantes autrefois deviennent toutes simples...

GERMAINE.

Le fait est, mon pauvre ami...

BRANCOUR.

Tu aurais donc commis cette imprudence toi-même que tu pourrais me l’avouer immédiatement... Et je ne me croirais pas le droit de te garder une rancune éternelle, à moins d’être le dernier des imbéciles... Me prends-tu pour le dernier des imbéciles ?

GERMAINE.

Non, le dernier, je le connais.

BRANCOUR, très gaiement.

Dis donc, Germaine, là, entre nous... Tu n’es pas venue tantôt chez Le Hercheur ?

GERMAINE, même jeu.

Jamais ! Tu es fou !

BRANCOUR.

J’aime mieux ça, d’ailleurs... Vrai ?

GERMAINE.

Vrai !

BRANCOUR.

Bien vrai ?

GERMAINE.

Bien vrai !

BRANCOUR.

Tu l’aurais fait, ce serait idiot de me le cacher... Je n’en tirerais aucune conséquence... Je suis tellement sûr que tu n’as pas de torts sérieux envers moi...

GERMAINE.

Ça, je te le jure !... Tu ris ?

BRANCOUR.

Oui, je ris.

GERMAINE.

Et pourquoi ?

BRANCOUR.

Quelle est la petite imprudente qui est venue à huit heures chez Le Hercheur, qui le regrette de tout son cœur et qui en demande pardon à son mari ?

GERMAINE, avec élan, mais riant aussi.

C’est moi... c’est moi ! Oui... mon chéri, et je t’en demande pardon... Mais je ne veux pas te cacher plus longtemps la vérité... Oui, j’ai eu la bêtise de venir ici... J’y suis restée un quart d’heure pendant lequel j’ai dû admirer de fausses épées du seizième siècle... et je te jure que je n’avais qu’un regret, celui de ne pas t’avoir emmené avec moi... Maintenant, si tu veux être bien gentil, tu ne me parleras plus jamais de Le Hercheur !

BRANCOUR.

C’est entendu... c’est entendu ! je ne t’en parlerai plus jamais... et je te sais gré de ta franchise...

Un temps.

je te sais gré de ta franchise...

Il se promène avec agitation, puis.

Combien de temps es-tu restée chez Le Hercheur ?

GERMAINE.

Je viens de te le dire, un quart d’heure.

BRANCOUR.

Et c’est ici, dans cette pièce qu’a eu lieu votre entretien ?

GERMAINE.

Ici même.

BRANCOUR.

Et c’est la première fois que tu y venais ?

GERMAINE.

Oh ! la première, ma parole ! Mais puisqu’il est convenu qu’on n’en parlera plus !

BRANCOUR.

Pardon ! pardon ! Il y a des détails que j’ai besoin de contrôler... que tu me permettras bien, j’espère, de contrôler !

GERMAINE.

Tant que tu voudras, mon ami.

BRANCOUR.

D’abord, ce n’est pas un quart d’heure que tu es restée chez Le Hercheur, c’est trois quarts d’heure !

GERMAINE.

Ça, non, par exemple !

BRANCOUR.

Le temps ne t’a pas semblé long ! Mais tu y es restée de huit heures à neuf heures moins le quart, ce qui fait bien trois quarts d’heure !

GERMAINE.

Tu exagères... Enfin, mettons, je ne veux pas te contrarier.

BRANCOUR, se montant peu à peu.

Oh ! c’est que je tiens à préciser ! Je n’insisterais pas s’il s’agissait d’une visite sans importance, comme une femme du monde a le droit d’en faire à un ami, cet ami fût-il célibataire ! Mais, en l’espèce, il ne s’agit pas d’un ami ! Il s’agit d’un homme qui te fait la cour depuis des mois...

GERMAINE, indignée.

Des mois !...

BRANCOUR, se montant toujours.

Parfaitement ! Ça a commencé à Aix-les-Bains, où ça faisait l’objet de toutes les conversations.

GERMAINE.

C’est trop fort !

BRANCOUR.

Ça a continué à Paris où tu as changé brusquement tes habitudes.

GERMAINE.

Mais tu rêves !

BRANCOUR.

Tu sortais sans raison ou sous des prétextes qui me paraissaient déjà suspects.

GERMAINE.

Oh !...

BRANCOUR.

Fernande était visiblement ta confidente. En voilà une qui connaît la vérité, mais elle ne la dira pas, bien entendu, et je n’aurai pas la naïveté de la lui demander...

GERMAINE.

Oh ! je vois où tu voulais en venir... je le vois trop tard ! Je t’admire, tu sais, je t’admire ! Et voilà comment tu interprètes ma franchise, mes regrets. Ah ! non... en voilà assez ! D’ailleurs, c’est bien fait pour moi, ça m’apprendra à dire la vérité. J’en avais le pressentiment, tout à l’heure. J’entendais une voix qui me criait : « Mais, petite dinde, on n’avoue pas ces choses-là ! Il ne faut jamais avouer ! Les hommes sont incapables de reconnaître un accent sincère ! Ce sont des égoïstes qui n’écoutent que leur sot orgueil et qui prennent toujours la vérité pour une insulte. » Oui, j’aurais dû nier ! j’aurais dû nier jusqu’au bout, comme une maîtresse prise en flagrant délit : et, alors, c’est toi qui aurais fini par me demander pardon !

BRANCOUR.

Tout ça est charmant... Seulement, ces raisons ne me suffisent pas, à moi ! Et tous les discours n’empêcheront pas qu’il y a un fait... un fait brutal qui autorise toutes les suppositions...

GERMAINE, le regardant.

Toutes ?

BRANCOUR.

Oui, toutes, sans en excepter une.

GERMAINE.

Eh bien, fais-les... Je ne songe pas à t’en empêcher. Car je sens que tout ce que je pourrais te dire ou rien ce serait exactement la même chose... C’est entendu ! Le Hercheur est mon amant... J’ai choisi, pour devenir sa maîtresse, le jour où il recevait cent personnes, et je me suis mise pour ça en toilette de soirée... Et la preuve qu’il est mon amant, et que je ne peux pas me passer de lui, c’est que je t’ai proposé il y a cinq minutes de partir pour l’Italie ! Tout cela est logique, irréfutable. Je suis confondue... J’avoue tout !

BRANCOUR.

Et d’ailleurs, quand même tu persisterais à nier ?... Et quand même ce ne serait pas vrai, qu’est-ce qui me le prouverait à présent ? Ton accent ? Tes regrets ? Est-ce de la sincérité ou de la perfidie ? Tu me jures que tu es venue aujourd’hui chez Le Hercheur pour la première fois ? Jamais tu ne pourras me le démontrer ? Est-ce que je sais ce qui s’est passé entre vous depuis un mois ?

GERMAINE.

Bon ! bon ! Ça m’apprendra... ça m’apprendra !

BRANCOUR.

Tu serais coupable, tu ne te serais pas conduite autrement ?

GERMAINE.

Comment donc !

BRANCOUR.

Tu aurais été aussi coquette avec Le Hercheur et aussi rouée avec moi ! Tu m’aurais fait les mêmes réponses... avec la même désinvolture et le même sourire ! Et si je n’ai pas la preuve matérielle que tu es la maîtresse de Le Hercheur, toi, tu ne me prouveras jamais qu’il n’a pas été ton amant !

GERMAINE.

Va ! va ! continue...

BRANCOUR.

Et comme je ne peux pas m’en prendre à toi puisque je n’ai pas de preuve suffisante, je vais m’en prendre à l’homme qui t’a désirée, attirée chez lui et compromise, et qui, par conséquent, m’a insulté !

GERMAINE.

Mais c’est idiot ! c’est idiot ! Les hommes sont stupides ! Qu’est-ce que tu vas faire ?

BRANCOUR.

Je vais le souffleter et, demain, on se battra, jusqu’à ce que tu sois débarrassée de l’un ou de l’autre !

GERMAINE.

Tais-toi, malheureux ! Tu vas faire un scandale affreux ! Et pour rien ! pour rien ! je te le jure !

BRANCOUR.

Tant pis... laisse-moi...

GERMAINE, l’arrêtant.

Non ! non ! je t’en empêcherai. Tu es dans un moment de folie ! Réfléchis une seconde ! Écoute-moi encore ! Pour toi, pour ta femme, tu ne peux pas causer un scandale ! Voyons... Julien !

Elle le prend par le bras.

 

 

Scène XIV

 

Le rideau s’ouvre. On voit : LA ROMBIÈRE, BRISSAUD, COLETTE, TENCIER, FERNANDE, qui applaudissent D’ASTARAC et PLANOLI qui se tendent la main, BRANCOUR, GERMAINE

 

LA ROMBIÈRE, s’avançant.

Magnifique assaut ! Étourdissant... Maintenant, messieurs... Brancour contre Le Hercheur ! Allons ! Brancour, c’est à vous !

BRANCOUR, s’avançant.

Avec plaisir !

GERMAINE, le prenant par le bras.

Julien !

BRANCOUR.

Oh ! n’aie pas peur, ce n’est pas pour ce soir !

Il saisit le masque que lui tend La Rombière.

HECTOR.

À nous deux, cher ami...

LA ROMBIÈRE.

Messieurs, en garde !

BRANCOUR.

Voilà ! Voilà !

Le combat commence.

TENCIER, qui est venu en scène.

Est-il bête de faire ça... est-il bête !

FERNANDE, qui s’est avancée vers Germaine.

Tu es toute pâle...

Lui prenant les mains.

Qu’est-ce que tu as à être tremblante comme ça ? Ils ne se battent pas, c’est pour rire, tu sais ?

GERMAINE.

Laisse-moi regarder !...

Brancour se fend avec fureur.

HECTOR.

Eh ! là... Eh ! là...

BRANCOUR, même jeu.

Vous en avez !

HECTOR.

Touché ! oh ! touché... Ah çà ! mais...

BRANCOUR.

Allez donc !

Hector se fend. Brancour pare.

PIANOLI.

Quelle fougue, ce chevalier Brancour ! Il joue le jeu italien...

D’ASTARAC.

Bravo !

COLETTE.

Il n’y a pas à dire... ça chatouille !

HECTOR, se fendant.

À vous !

BRANCOUR.

Je ne crois pas...

PIANOLI.

Ça a passé... Je l’ai vu passer...

BRANCOUR, se fendant.

Et celui-là !

PIANOLI.

En pleine poitrine... Sur le terrain, c’était un homme mort !

TENCIER.

Mais, sacrebleu, il flanque une pile à Le Hercheur... D’un côté, çà me fait plaisir.

LA ROMBIÈRE.

Messieurs, messieurs ! Pas de corps à corps ! Vous êtes des amateurs, vous n êtes pas des professionnels !

PIANOLI.

Laissez-les donc !

COLETTE.

Mais oui, mais oui ! c’est épatant !

D’ASTARAC.

Il entre dedans ! Il entre littéralement dedans !

PIANOLI.

Dites donc qu’il passe au travers, Per Bacco !

LA ROMBIÈRE.

Halte, messieurs... Voyons ! Brancour... j’ai dit halte !

Applaudissements. On se presse autour de Brancour.

GERMAINE.

Ah ! c’est fini ! Je respire !

FERNANDE.

Qu’est-ce que tu craignais donc ?

GERMAINE.

Je te raconterai ça demain.

PIANOLI, redescendant avec Brancour.

Cinq touches contre rien ! Mes compliments, illustrissime chevalier !

BRISSAUD.

C’est une révélation !

BRANCOUR, à Hector, à part, sur le devant de la scène.

Vous voyez... Je suis plus fort que vous et, sur le terrain, je ne vous craindrais pas !

HECTOR, étonné.

Qui dit le contraire ?

BRANCOUR, brusquement.

Germaine est venue chez vous, ce soir... Elle me l’a avoué... J’en suis sûr !

HECTOR.

Je vous donne ma parole que madame Brancour est innocente !

BRANCOUR.

Ça, ça me regarde ; si je ne vous provoque pas, c’est pour ne pas compromettre ma femme par un scandale. Mais je n’ai pas peur de vous ! Et que je ne vous retrouve plus sur ma route, ou je vous tue comme un lapin ! C’est compris ?

HECTOR.

Parfaitement, monsieur !

BRANCOUR.

Bien.

Haut.

Mon cher Le Hercheur, nous sommes obligés de vous quitter... Votre petite fête était charmante...

HECTOR.

Nous la recommencerons quand il vous plaira, mon cher Brancour.

BRANCOUR, remontant.

Viens-tu, Germaine ?

PIANOLI, à La Rombière.

C’est égal, général-comte, en Italie, on ne ferait pas ça au maître de la maison !...

 

 

ACTE III

 

Le cabinet de travail de Tencier.

Intérieur de vieux garçon. Porte d’entrée en pan coupé, à droite. Portes de dégagement à gauche et à droite, premier plan. Une table avec un téléphone. Au lever du rideau, sonnerie de téléphone.

 

 

Scène première

 

ANNA, TENCIER

 

ANNA, entrant.

Voilà ! Voilà !

Prenant le récepteur.

Allô ! Oui... c’est ici chez monsieur Tencier... Je ne sais pas s’il est réveillé... De la part de qui ? Ah ! de la part de mademoiselle Fernande Dauzet ! Oui, oui... monsieur est réveillé ! Il est toujours réveillé pour mademoiselle.

Paraît Tencier.

Voici monsieur ! Je lui donne l’appareil.

TENCIER.

Qu’est-ce que c’est, Anna ?

ANNA.

Mademoiselle Fernande.

Elle sort.

TENCIER.

Ah ! bien...

Prenant l’appareil.

Bonjour, mademoiselle Fernande ! Pas trop fatiguée de votre soirée ? Oui... oui... ça a été très bien ! Brancour superbe ! Quelle tournée il a flanquée à Le Hercheur ! J’en ai rêvé !

Un temps.

Hein ! Quoi ? Pour affaire importante ? Mais je crois bien que vous pouvez venir chez moi ! Comment, si je suis garçon ! Mais je vous prie de croire que je suis garçon ! Et je ne le serais pas que je le redeviendrais pour vous immédiatement... Quoi ? Je ne suis pas compromettant ! Soyez polie !... Alors, je vous attends. Dans cinq minutes, n’est-ce pas ?

Il raccroche le récepteur.

Anna !

ANNA, rentrant.

Monsieur ?

TENCIER.

Anna ! Mademoiselle Fernande va venir ici dans cinq minutes... Vous l’introduirez immédiatement.

ANNA.

Avec plaisir, monsieur ! J’aime beaucoup mademoiselle Fernande !

TENCIER.

On ne vous demande pas votre avis.

ANNA.

Et la soirée d’hier, chez monsieur Le Hercheur, ç’a été joli ?

TENCIER.

Très joli, Anna.

ANNA.

À propos, je souhaite à monsieur une bonne fête !

TENCIER.

Vous êtes bien aimable d’y avoir songé.

ANNA.

C’est que je ne suis pas la seule, monsieur... J’oubliais de dire à monsieur que madame Brancour avait envoyé hier soir deux beaux plats d’étain. Les voici.

Elle va prendre les plats et les donne à Tencier.

TENCIER, les regardant.

Ah ! ah ! Voyons un peu ! Il n’y a rien de plus laid !

ANNA.

Ce n’est pas tout, monsieur. Il y a encore ces épées, avec une carte de monsieur Le Hercheur.

TENCIER, lisant la carte.

Hector Le Hercheur. Épées du seizième siècle ayant appartenu au baron de Scarpia, avec ses meilleurs vœux.

ANNA.

Elles sont bien jolies... Où faut-il les mettre ?

TENCIER.

Laissez-les là... Je n’aime pas beaucoup recevoir ces deux cadeaux en même temps !...

ANNA.

Pourquoi, monsieur ?

TENCIER.

Vous n’avez pas besoin de le savoir... Je vais tout de même remercier Le Hercheur.

Il va à la table. On sonne.

Ah ! j’entends sonner... ce doit être mademoiselle Fernande... Allez lui ouvrir.

Anna sort. Tencier, seul, écrit.

Merci, mon cher Le Hercheur, pour votre superbe cadeau. Voilà.

Entre Fernande.

 

 

Scène II

 

TENCIER, FERNANDE

 

TENCIER, allant à la rencontre de Fernande.

Chère mademoiselle... Entrez... Asseyez-vous... Je suis très heureux de vous voir chez moi... Qu’y a-t-il pour votre service ? J’espère que vous ne venez pas me souhaiter ma fête ?

FERNANDE.

Non... non... Je vous la souhaite tout de même bonne et heureuse, mais il ne s’agit pas de ça. Germaine a passé chez moi tout à l’heure, je n’y étais pas. Elle m’a laissé un petit mot assez inquiétant où elle me disait, entre autres choses, qu’elle devait vous voir ce matin.

TENCIER.

C’est la première nouvelle.

FERNANDE.

Alors, comme j’étais très intriguée, je me suis permis de vous téléphoner.

TENCIER.

Et vous avez joliment bien fait. Nous allons attendre Germaine ensemble. Avez-vous une vague idée de ce qui se passe ?

FERNANDE.

Ce doit être grave, d’après ce que Germaine m’a laissé deviner hier soir. À mon avis, il doit y avoir eu une discussion entre elle et son mari.

TENCIER.

Je n’irai pas jusqu’à dire que cela m’étonne... Rien ne m’étonne dans cet ordre de choses... Vous comprendrez cette parole quand vous serez mariée, ce que, à l’occasion de ma fête, je vous souhaite le plus tard possible.

FERNANDE.

Quoi qu’il en soit, je ne suis pas tranquille.

TENCIER.

Voulez-vous mon opinion ? Nous n’avons pas à nous mêler de ça.

FERNANDE.

Mais vous n’êtes qu’un égoïste ! Jamais je n’aurais cru ça de vous !

TENCIER.

Ce n’est pas de l’égoïsme, c’est de la prudence... On peut brouiller des ménages, ça, c’est facile, mais on ne peut jamais les réconcilier.

FERNANDE.

Notre devoir serait de l’essayer.

TENCIER.

Mademoiselle Fernande, vous avez beaucoup de cœur, vous êtes une délicieuse jeune fille.

FERNANDE.

Et vous, un charmant petit vieux garçon... Ah ! voici Germaine.

Entre Germaine.

 

 

Scène III

 

TENCIER, FERNANDE, GERMAINE

 

GERMAINE.

Bonjour, Tencier...

À Fernande.

Tiens ! tu es là, toi ! Tu as trouvé mon petit mot ?

FERNANDE.

En rentrant... et j’avais hâte de te voir. Qu’y a-t-il donc ?

GERMAINE.

Oh ! mon Dieu ! c’est bien simple. Julien n’est pas rentré cette nuit à la maison.

TENCIER.

Allons donc !

FERNANDE.

C’est une infamie !

TENCIER.

Ne jugez pas si vite, mademoiselle, attendez un peu... Et où est-il allé, Julien ?

GERMAINE.

Je n’en sais absolument rien... Hier, nous sommes sortis de chez Le Hercheur sans nous parler. Il m’a mise en voiture et il a dit au chauffeur : « À la maison. » et il est parti à pied de son côté. Je l’ai attendu jusqu’à ce matin. Et voilà...

TENCIER.

C’est la première fois que ça lui arrive ?

GERMAINE.

Je pense bien !... Allons ! allons ! il n’y a pas d’illusions à se faire, il me croit coupable !...

FERNANDE.

Toi !

GERMAINE.

Oui... Oh ! je reconnais que les apparences sont contre moi. Mais je vous jure, Tencier, que je suis innocente.

TENCIER.

Je vous crois, ma chère Germaine... mais vous parlez d’apparences... Il y a donc eu des apparences ?

GERMAINE.

Oh ! mon Dieu ! je ne vois pas pourquoi je vous cacherais la vérité à tous les deux qui êtes mes amis...

À Fernande.

Hier soir, en allant dîner chez toi, j’ai fait une visite à Le Hercheur, une visite d’un quart d’heure !... Et Julien l’a appris par le plus grand des hasards !

TENCIER.

Vous ! Vous avez fait ça !

FERNANDE, avec reproche.

Oh ! Germaine.

GERMAINE.

Oui, je vois, c’est énorme !... Ou plutôt ça vous paraît énorme parce que vous ne savez pas toutes les bêtises que peut faire une honnête femme quand son mari est maladroit !... Tu verras, Fernande, tu verras... Seulement, il y en a une que nous ne ferons jamais, ni toi ni moi... parce que... c’est très difficile, je l’ai vu hier... C’est beaucoup plus difficile qu’on ne croit. L’esprit est faible, mais la chair est forte... Elle sait quelle appartient à un autre, la chair... et alors elle résiste, elle se cabre, et, finalement, elle s’en va comme elle était venue... Il n’y a qu’un malheur là dedans, c’est que, vous non plus, vous ne croyez pas un mot de ce que je vous dis...

TENCIER, faiblement.

Pardon ! pardon !... Je vous crois parce que je suis votre ami... parce que je ne suis que votre ami.

GERMAINE.

Ce qui signifie que si vous étiez mon mari ?...

TENCIER.

Dame !

FERNANDE.

Tu sais que, moi, je te crois, maintenant !

GERMAINE.

Mais, toi, tu es une femme !... Et, maintenant, ma petite Fernande, laisse-nous. J’ai à causer avec Tencier.

FERNANDE.

Tu me tiendras au courant ?

GERMAINE.

Je te le promets.

FERNANDE.

Au revoir, monsieur Tencier.

TENCIER, la reconduisant.

Au revoir, mademoiselle.

 

 

Scène IV

 

TENCIER, GERMAINE

 

GERMAINE.

Quelle charmante fille, cette Fernande !... Voilà la femme qu’il vous faudrait.

TENCIER.

Merci, ce n’est pas le moment de faire des mariages. Parlons de vous et de Julien.

GERMAINE.

Oui, c’est le plus pressé. Eh bien, vous allez prendre votre chapeau, courir après Julien et le ramener ici coûte que coûte !... Je suis innocente, à la fin ! et je n’accepte pas d’être punie d’une faute que je n’ai pas commise...

TENCIER.

Évidemment... évidemment...

GERMAINE.

Il ne peut pas refuser d’avoir une dernière explication avec moi... Je comprenais son indignation, hier soir... Je l’excuse dans une certaine mesure, mais il ne faut rien exagérer... Car, dans cette affaire-là, c’est lui qui finirait par avoir tous les torts !

TENCIER.

Il se rendrait odieux.

GERMAINE.

Dites-moi, Tencier ? Il y a quelque temps que je veux vous demander ça.

TENCIER.

Allez !

GERMAINE.

Julien ne fait la cour à aucune femme ?

TENCIER.

Ça, je peux vous le jurer...

GERMAINE.

Pas même à Colette ?

TENCIER.

Colette... ? Ce serait la dernière... ce serait la dernière... Elle, peut-être, ne s’y opposerait pas trop... Mais je réponds de Julien.

GERMAINE.

Car ça, par exemple, ce serait le comble ! Vous savez, Tencier, que jamais je ne le supporterais...

TENCIER.

Vous auriez bien raison.

GERMAINE.

J’aime mon mari, je veux le garder... et je vous préviens que ça ne se passerait pas comme ça !...

Coup de téléphone.

Ah ! c’est lui qui doit téléphoner...

TENCIER.

Attendez... attendez... Allô ! Hein ?

À Germaine.

Non, ce n’est pas lui, c’est Le Hercheur.

GERMAINE.

Qu’est-ce qu’il veut, celui-là ? Qu’est-ce qu’il veut ?

TENCIER, au téléphone.

C’est vous, Le Hercheur ? Et qu’est-ce que vous faites chez mon concierge ?

GERMAINE.

Il est chez le concierge ! C’est trop fort !

TENCIER, au téléphone.

En effet... madame Brancour est ici...

GERMAINE.

Il m’a suivie... comme mon mari... Ça, par exemple !

TENCIER, au téléphone.

Réfléchissez, mon cher... C’est impossible.

GERMAINE.

Que demande-t-il ?

TENCIER, fermant le téléphone.

Il voudrait vous voir !... Ça, je m’y oppose absolument, du moins chez moi !

GERMAINE, allant au téléphone.

Attendez... attendez... Il vaut mieux en finir ! Laissez-moi ! Allô ! Ah ! c’est vous ? Eh bien ! oui, j’y consens... vous pouvez monter !...

TENCIER.

Mais je m’y oppose !... Ce monsieur ici !

GERMAINE, au téléphone.

Oui... oui... Tencier ne demande pas mieux...

Elle raccroche le récepteur.

TENCIER.

Réfléchissez à ce que vous faites, Germaine !

GERMAINE.

Si je n’ai pas une explication définitive avec lui, je le connais, il ne me laissera jamais tranquille... Je veux m’en débarrasser une bonne fois... Autant le faire chez vous et tout de suite. Vous êtes un terrain neutre.

TENCIER.

Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte que c’est très désagréable pour moi. Je suis l’ami de Julien.

GERMAINE.

Vous pouvez assister à notre entretien si vous voulez.

TENCIER.

Moi ! je ne veux même pas le voir, Le Hercheur. J’ai horreur de cet être-là...

GERMAINE.

Alors, allez-vous-en et laissez-nous... On vous fera appeler si on a besoin de vous.

À Anna qui présente une carte.

Faites entrer...

À Tencier.

Au fait ! avez-vous reçu mes plats d’étain ? Ils sont affreux n’est-ce pas ?

TENCIER, sortant.

Je n’osais pas vous le dire.

 

 

Scène V

 

GERMAINE, HECTOR

 

HECTOR.

Germaine, c’est moi !

GERMAINE.

Ah ! oui... c’est vous... Et il faut que vous en ayez de l’aplomb pour me relancer jusque chez le concierge de Tencier !

HECTOR.

Je sais... oui, je sais tout ce que cette démarche a de délicat et même d’incorrect si vous voulez ! Mais on ne discute pas avec la passion... Depuis hier, je suis dans une inquiétude mortelle... Moi qui, d’ordinaire, ai un sommeil d’enfant, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit... Enfin ! que s’est-il passé hier soir ? Comment votre mari a-t-il appris ?

GERMAINE.

Oh ! non... non... ne nous perdons pas dans ces détails. Ce n’est pas pour vous raconter ça que je vous ai prié de monter chez Tencier... Oh ! je ne doute pas que je vais vous faire beaucoup de chagrin, mais il faut des situations nettes... Le Hercheur, nous ne devons plus nous revoir.

HECTOR.

Répétez... Vous dites ?

GERMAINE.

Je dis que nous ne devons plus nous revoir.

HECTOR.

Jusqu’à quand ?

GERMAINE.

Nous ne devons plus jamais nous revoir !...

HECTOR.

Jamais ?

GERMAINE.

Jamais !

HECTOR.

Germaine, s’il était dans mon caractère de rire de ces choses-là, je rirais !... Je vous aime depuis deux mois avec une ferveur et une sincérité dont je ne me croyais pas capable ; j’ai la certitude aujourd’hui que vous m’aimez et vous me demandez de renoncer à cet amour ! C’est un jeu, n’est-ce pas ? Ce ne peut être qu’un jeu !

GERMAINE.

Voyez-vous, Le Hercheur, je crois décidément qu’il y a un petit malentendu entre nous... Et je reconnais que c’est un peu de ma faute... Je suis venue chez vous, je vous ai dit que je vous aimais et je vous ai promis d’être votre maîtresse... Il n’en a pas fallu davantage pour que vous vous imaginiez des choses folles... Vous avez cru que je vous aimais vraiment et que je consentirais peut-être à vous appartenir un jour !...

HECTOR.

Je n’en ai pas douté une minute...

GERMAINE.

Alors, vous m’auriez attendue aujourd’hui ?

HECTOR.

J’avais votre parole.

GERMAINE.

Eh bien, mon ami, voilà justement où est le petit malentendu. Car maintenant, au contraire, j’ai la certitude que je suis incapable de tromper mon mari !

HECTOR.

Et moi, là dedans, qu’est-ce que je deviens ?

GERMAINE.

Vous, mon ami, vous êtes l’homme qui m’aurez permis d’acquérir cette certitude et je vous en garderai une reconnaissance infinie.

HECTOR.

Et vous vous imaginez que ça me suffit ! Vous supposez que je vais me résigner à jouer ce rôle pitoyable dans la vie d’une femme !... Non, Germaine, n’y comptez pas... D’ailleurs, permettez-moi de vous le dire, vous n’êtes qu’une enfant... et vous ne vous apercevez pas de la profondeur des sentiments que je vous ai inspirés... ni de la gravité de la situation.

GERMAINE.

La situation n’est pas grave le moins du monde.

HECTOR.

Elle est plus que grave, madame, elle est tragique !

GERMAINE, riant.

Elle est tragique ?

HECTOR.

Oui, madame... Je connais votre mari. C’est un de ces hommes qui ne pardonnent pas.

GERMAINE.

C’est ce que nous verrons !

HECTOR.

Et ne vous bercez pas de chimères : votre vie est brisée !

GERMAINE.

Vous êtes gai, Le Hercheur... Je ne vous voyais pas sous ce jour-là...

HECTOR.

Croyez-en mon expérience, Germaine... Votre situation est sans issue... Ou plutôt elle n’a qu’une issue... Ne riez pas, je vous en prie... Car je vais vous dire des choses qui méritent d’être écoutées. Après votre divorce, vous allez vous trouver seule dans l’existence...

GERMAINE.

Mon divorce ! Est-ce que vous n’êtes pas fou !

HECTOR.

Il est inévitable à la suite de l’éclat d’hier soir ! Si Brancour n’avait pas été décidé au divorce, pensez-vous qu’il ne m’eût pas provoqué ? Et moi, si je n’étais pas prêt à en accepter toutes les conséquences, est-ce que j’aurais supporté que votre mari me parlât sur ce ton ! Car il ma dit : « Je vous tuerais comme un lapin ! »

GERMAINE.

Il vous a dit ça ? J’aurais voulu l’entendre !

HECTOR.

Il m’a dit ça ! Et je n’ai rien répliqué. J’ai accepté cette fanfaronnade, parce que, tout de suite, j’avais aperçu mon devoir... Madame, je ne suis pas un homme qui fuit les responsabilités, je suis un homme qui les recherche... Je comprends ce qui se passe en vous... Vous avez des scrupules... Vous hésitez à me dire : « Je suis libre, voulez-vous de moi ? »

GERMAINE.

Voilà une chose à laquelle je ne pense pas...

HECTOR.

J’y pense pour vous... et je bondis de joie... et je suis prêt à renverser tous les obstacles qui se dressent devant notre amour.

GERMAINE.

Oh ! je sais que, pour renverser les obstacles, vous n’avez pas votre pareil !...

HECTOR.

C’est vrai ! Germaine, vous serez ma femme !

GERMAINE.

Moi ! Votre femme !

HECTOR.

Oh ! vous êtes étonnée, je m’y attendais... et vous doutez de moi ? Évidemment, ce n’est pas l’habitude. Quand on a compromis une femme, on n’a plus qu’une idée, c’est de s’en débarrasser... Et, jusqu’à présent, je m’étais moi-même conformé à cet usage... Mais je vous ai rencontrée, Germaine, et j’ai enfin compris ce que c’était qu’une honnête femme... C’est une femme qui ne se donne qu’à son mari... et si on veut qu’elle se donne à vous, il faut l’épouser. Je suis prêt !

GERMAINE.

Le Hercheur, ce que vous faites là est bien. Ça n’a pas le sens commun, c’est irréalisable, je ne serai votre femme sous aucun prétexte, mais c’est bien.

HECTOR.

N’est-ce pas ?

GERMAINE.

Ce sont de ces choses qu’on a beau trouver ridicules, elles vous flattent tout de même. Vous auriez été un amant déplorable, comme mari vous êtes en dehors de toute vraisemblance, mais comme ami, vraiment, vous pouvez rendre de grands services.

HECTOR.

Et voilà comment vous traitez un homme qui ne demande qu’à se faire tuer pour vous ! Mais n’importe, madame, je ne suis pas de ceux qui se découragent. Un amour comme le mien triomphera. Un jour, plus prochain que vous ne croyez, vous aurez besoin de mon bras et de mon épée.

GERMAINE.

Non, Le Hercheur, vous pouvez garder tout ça, le bras et l’épée... Et puisque vous ne voulez pas vous rendre à l’évidence, je vais vous mettre les points sur les i. J’ignore si je me réconcilierai avec mon mari, mais ce dont je suis sure, c’est que je ne serai jamais ni votre femme ni votre maîtresse. Tenez-vous-le pour dit !

HECTOR.

Ah ! c’est comme ça. Eh bien ! madame, je sais ce qui me reste. J ai l’honneur de vous saluer.

Il sort.

GERMAINE, seule.

Il est très gentil... Mais ce n’est qu’un héros !Et qu’est-ce que c’est aujourd’hui qu’un héros ?

Entre Tencier.

 

 

Scène VI

 

GERMAINE, TENCIER

 

GERMAINE.

Et maintenant, moi, je vais chez Colette ! À tout à l’heure, Tencier...

TENCIER.

Et si par hasard je vois Julien ?

GERMAINE.

J’ai comme une idée que je le verrai avant vous... Au revoir.

TENCIER.

Je vous reconduis, permettez, je vous reconduis.

Ils sortent. Dès qu’ils sont sortis, par la gauche, parait Brancour, par la droite.

 

 

Scène VII

 

BRANCOUR, puis TENCIER

 

BRANCOUR, parlant à la cantonade.

Anna, portez les malles et les valises dans la chambre...

TENCIER, rentrant.

Comment ! C’est toi !

BRANCOUR.

Oui, mon vieux, oui...

TENCIER.

Tu sais que Germaine sort d’ici ?

BRANCOUR.

Tu me l’apprends. Ta bonne, toujours discrète, ma dit que tu étais avec une femme, mais j’ignorais que ce fût la mienne... Ah ! d’abord, que je te souhaite ta fête.

Il lui tend la main.

Et puis je vais t’annoncer une bonne nouvelle. Je viens m’installer chez toi.

TENCIER.

Tu viens t’installer ?...

BRANCOUR.

Chez toi ! Oui, mon ami... Anna est en train de me dresser un lit dans la bibliothèque.

TENCIER.

Ah çà ! qu’est-ce qui te prend ? Tu ne vas pas réintégrer le domicile conjugal ?

BRANCOUR.

Non, mon ami, je n’ai plus qu’un domicile, le tien.

TENCIER, un temps.

J’en suis enchanté. Alors, tu crois que Germaine t’a trompé ?

BRANCOUR.

Oui.

TENCIER.

Avec Le Hercheur ?

BRANCOUR.

Oui.

TENCIER.

Tu en es bien sûr ?

BRANCOUR.

Non.

TENCIER.

Alors ?

BRANCOUR.

Mais elle est allée chez Le Hercheur... Ça, j’en suis certain... Elle me l’a avoué...

Avisant les plats d’étain.

Ah ! Ah !

Il prend la carte de Germaine et lit.

Germaine Brancour avec ses meilleurs vœux de fête. Tiens ! voilà le prétexte qui lui a servi à pénétrer chez Le Hercheur... par la boutique d’une revendeuse ! Mes compliments, tu fais un joli métier !

TENCIER.

Tu devais finir par me mettre cette affaire sur le dos... Mais ça m’est égal... L’important, c’est ce que, toi, tu as décidé ?

BRANCOUR.

Voici. D’abord, en quittant Germaine, hier soir, je suis allé au cercle où j’ai changé de vêtements...

TENCIER.

Tu as joué ?

BRANCOUR.

J’ai pris une banque et, tout en réfléchissant à la situation, j’ai perdu dix mille francs. Toi qui as passé par là, tu sais comme ces petites épreuves vous amollissent, et je suis allé coucher à l’hôtel, complètement abruti. Mais en me réveillant ce matin, je suis revenu à la réalité et j’ai examiné les différentes solutions.

TENCIER.

Voyons un peu ?

BRANCOUR.

La première était de prendre ça en souriant et d’accepter comme tant de maris cette belle devise du ménage moderne : « Jamais deux sans trois ! »

TENCIER.

Nous ne sommes pas de cette école-là...

BRANCOUR.

J’aurais pu aussi provoquer Le Hercheur et le tuer ce matin ou tout au moins le blesser à l’avant-bras...

TENCIER.

C’eût été un scandale.

BRANCOUR.

C’est ce que j’ai voulu éviter... Je me suis donc décidé pour la séparation.

TENCIER.

Mon pauvre Julien, tu vas être très malheureux !

BRANCOUR.

Non, parce que je vais enfin sortir de la période d’indécision. Et non seulement je ne vais pas être malheureux, mais j’ai l’intention de me distraire comme je ne l’ai jamais fait. Car je suis en train de m’apercevoir que je n’ai pas eu de jeunesse et que je n’ai possédé qu’une femme mariée : la mienne. Ça ne peut pas durer. Aussi ai-je pris une résolution énergique.

TENCIER.

Tu ne fais que ça... Et quelle est cette résolution ?

BRANCOUR.

C’est de me jeter immédiatement dans la débauche, ce qui est peut-être la meilleure revanche sur la trahison de la femme. As-tu essayé de la débauche, toi, vieux Tencier ?

TENCIER.

Oui, souvent.

BRANCOUR.

Et qu’est-ce que ça donne ?

TENCIER.

Des courbatures.

BRANCOUR.

Mais je te parle au point de vue moral...

TENCIER.

Au point de vue moral ça donne le dégoût de soi-même.

BRANCOUR.

Parfait. Quand je me dégoûterai, le monde me dégoûtera moins. Je vais donc essayer de me dégoûter avec Colette.

TENCIER.

Avec Colette ?... Toi ! Ce n’est pas une mauvaise idée !

BRANCOUR.

N’est-ce pas ? Je prévoyais ce que tu me répondrais. Aussi je lui ai donné rendez-vous chez toi.

TENCIER.

Chez moi !... Tu es fou ! Je ne veux pas que tu rencontres Colette ici !...

BRANCOUR.

Je ne te demande pas ton avis... Tu me donnes l’hospitalité avec tous les risques qu’elle comporte. J’ai téléphoné à cette enfant, et je l’attends d’un instant à l’autre.

TENCIER.

Je m’y oppose absolument...

BRANCOUR.

Il fallait me dire ça plus tôt... Tu es un terrain neutre.

TENCIER.

Encore !

BRANCOUR.

Tout doit se passer chez toi.

ANNA, entrant.

Une dame demande monsieur Brancour.

TENCIER.

Monsieur Brancour y va... Tu n’as pas la prétention de la recevoir ici ?

BRANCOUR.

Faites entrer, Anna...

À Tencier.

Reste, tu n’es pas de trop... Je veux que tu voies.

TENCIER.

Pour qui me prends-tu ?

Entre Colette.

 

 

Scène VIII

 

BRANCOUR, TENCIER, COLETTE

 

COLETTE, serrant la main de Brancour.

Vous m’avez téléphoné de venir à onze heures chez Tencier... Vous voyez, je suis exacte. Bonjour, Tencier... Comment ça va ? Je n’étais jamais venue chez vous... C’est très gentil... Je reviendrai.

TENCIER.

Bonjour, madame Colette.

COLETTE, à Brancour.

Et peut-on savoir pourquoi vous m’avez téléphoné ?

BRANCOUR.

Je vais vous le dire.

À Tencier qui fait mine de se retirer.

Quelle manie tu as de toujours vouloir t’en aller... Reste donc... tu es un terrain neutre.

Il le force à se rasseoir.

TENCIER.

Tu abuses... tu abuses...

COLETTE, à Brancour.

Eh bien ?

BRANCOUR.

Colette, je vous ai fait venir pour vous dire ce que je ne peux vous dire décidément que devant Tencier. Colette, je vous aime...

COLETTE.

Bien. Écoutez ça, Tencier, c’est très gentil...

TENCIER.

Ce qu’il faut entendre quand on est chez soi !...

BRANCOUR, à Colette.

Vous êtes jolie, vous êtes gaie, vous ne considérez pas avec une gravité exagérée les choses de l’amour... Vous êtes tout à fait la femme qu’il me faut en ce moment...

COLETTE, allant embrasser Tencier.

Merci, mon cher Tencier, merci...

BRANCOUR, continuant.

Pour des raisons qu’il serait trop long de vous expliquer, je vais habiter ici !

COLETTE.

Ah ! bah !

TENCIER.

Si je veux !

BRANCOUR.

Je suis déjà installé... Toute résistance serait inutile. C’est donc ici, Colette, que j’aurai le plaisir de vous rencontrer, si toutefois vous consentez à me rendre visite de temps en temps.

COLETTE.

Mais avec joie...

TENCIER.

Je ne vous gênerai pas ?

COLETTE.

Au contraire, mon ami, au contraire... J’ai beaucoup d’estime pour vous.

TENCIER.

Écoutez, mes enfants... j’ai une meilleure idée. Je vais vous laisser mon appartement qui ne tarderait pas à devenir inhabitable pour moi et je vais faire un petit voyage.

BRANCOUR.

Tiens ! tiens ! tiens ! moi aussi, j’ai une idée... Si nous laissions Tencier ici et si nous partions ?

TENCIER.

Ça, ça vaudrait mieux !

COLETTE, étonnée.

Ensemble ?

BRANCOUR.

Parfaitement.

COLETTE.

En voyage ?

BRANCOUR.

En voyage.

COLETTE.

C’est sérieux ?

BRANCOUR.

Très sérieux.

COLETTE, à Tencier.

C’est vrai, Tencier ?

TENCIER.

Il paraît.

COLETTE.

Mais, je suis ravie... Où allons-nous ?

BRANCOUR.

En Italie... Tiens ! si on allait en Italie ?... Êtes-vous déjà allée en Italie ?

COLETTE.

Non. Mon mari devait m’y mener, nous avons divorcé au moment de partir... Oh ! les lacs !... Et Venise ! Et Florence ! Et quand ce voyage ?

BRANCOUR.

Ce soir !

COLETTE.

C’est Germaine qui doit être contente ! C’était son rêve !

BRANCOUR.

Germaine ne vient pas avec nous...

COLETTE.

Comment ? Votre femme ne nous accompagne pas ?

BRANCOUR.

Ne vous occupez pas de ce détail.

COLETTE.

Mais c’est très grave, mon ami, c’est très grave !

TENCIER.

C’est le joli scandale parisien.

COLETTE, à Tencier.

Ils sont donc brouillés ?

TENCIER.

Mais je n’en sais rien... C’est insupportable, à la fin... Ce n’est pas à moi qu’il faut le demander, c’est à lui...

COLETTE, à Brancour.

Vous êtes brouillé avec Germaine ?

BRANCOUR.

Oui...

COLETTE.

Tout à fait brouillé ?

BRANCOUR.

Tout à fait...

COLETTE.

Qu’est-ce qui s’est donc passé ?

BRANCOUR.

Je vous raconterai ça en route. Ça nous fera un sujet de conversation. Voulez-vous partir, oui ou non ?

COLETTE.

Je ne demande pas mieux... je ne demande pas mieux...

BRANCOUR.

Vous n’avez pas l’air enthousiasmée.

COLETTE.

Si ! si !...

BRANCOUR.

Alors, ce soir sept heures et demie, gare de Lyon.

COLETTE.

À ce soir, mon ami, à ce soir...

Un temps.

Vous êtes bien décidé ?

BRANCOUR.

Tout ce qu’il y a de plus décidé... Vous me trouverez sur le quai à sept heures.

COLETTE.

Alors, à sept heures... Dites donc, Tencier ? Pourquoi ne viendriez-vous pas avec nous ?

TENCIER.

Ah ! non, par exemple !

COLETTE.

Vous ne trouvez pas ça un peu risqué, ce que nous allons faire là ?

TENCIER.

C’est tout simplement idiot !

COLETTE.

N’est-ce pas ?

BRANCOUR.

Je vais faire mes préparatifs... À sept heures, sur le quai, ma petite Colette.

COLETTE.

À sept heures, mon ami, à sept heures. Et le premier arrivé attendra l’autre.

Brancour lui serre la main et sort par le fond à droite.

 

 

Scène IX

 

TENCIER, COLETTE

 

TENCIER.

Voyons, Colette, nous sommes seuls... laissez-moi vous parler sérieusement. Est-ce que vous allez faire cette folie ?

COLETTE.

Mais il n’y a pas moyen de faire autrement, je suis pincée... Je m’étais pourtant bien promis de ne pas arriver à ces extrémités. Le ménage à trois, tant qu’il voudra... mais le ménage à deux, ça, c’est différent. Je sors d’en prendre...

TENCIER.

Écoutez, Colette, vous commencez à me devenir tout à fait sympathique.

COLETTE.

Nous en resterons là, voulez-vous ? Quelle histoire tout de même ! Je suis dans une impasse !...

Entre Anna.

ANNA, à Tencier.

Madame Brancour.

TENCIER.

Diable !

À Colette.

Vous ne tenez pas à la rencontrer ?

COLETTE.

Non, par exemple !

Réfléchissant.

Eh bien, si... J’ai une inspiration. Tencier, veillez à ce que Julien ne vienne pas nous déranger.

TENCIER.

Vous m’inquiétez.

COLETTE.

Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! C’est des affaires de femmes... Vous n’y comprendriez rien.

Elle le conduit à droite après avoir fait un signe à Anna. Entre Germaine.

 

 

Scène X

 

GERMAINE, COLETTE

 

GERMAINE.

C’est vous, Colette ? Qu’est-ce que vous venez faire ici ?

COLETTE.

Ma chère, je vous attendais...

GERMAINE.

Comme ça se trouve, je viens de chez vous... Et qu’avez-vous à me dire, chère Colette ?

COLETTE.

Oh ! mon Dieu ! ce sont de ces choses qui sont graves ou pas graves, suivant le point de vue auquel on se place...

GERMAINE.

Alors, elles doivent être graves. Je vous écoute, Colette, je vous écoute...

COLETTE.

D’abord, il faut me promettre de ne pas me demander de détails... ni de noms... Je vous dis tout, mais j’ai promis le secret.

GERMAINE.

Soyez tranquille, je le garderai.

COLETTE.

Voici. J’ai reçu ce matin... tout à l’heure... la visite d’une amie... d’une amie commune à nous deux, qui vous aime beaucoup. Car je vous affirme qu’elle a beaucoup d’amitié pour vous...

GERMAINE.

Vous me faites trembler.

COLETTE.

Et cette amie m’a raconté une histoire !...

GERMAINE.

Voyons, Colette, dépêchez-vous.

COLETTE.

Bref... elle a flirté avec votre mari...

GERMAINE.

C’est tout ce qu’on peut demander à une amie.

COLETTE.

Il paraîtrait même que le flirt est allé assez loin... pour que... Ma foi, tant pis ! Je vous raconte tout parce qu’on doit se soutenir entre femmes ! Votre mari doit partir ce soir avec elle pour l’Italie...

GERMAINE.

Tiens ! Tiens !

COLETTE.

M’a-t-elle menti ? Dit-elle la vérité ? Il n’y a que vous qui puissiez l’apprécier.

GERMAINE.

Vous êtes une bonne amie, Colette. Et quelle est votre opinion, vous qui êtes désintéressée dans cette affaire ?

COLETTE.

Mon opinion, c’est qu’ils font tous les deux une grosse bêtise... lui surtout... parce que, je peux bien vous le confier, cette femme ne vous vaut pas.

GERMAINE.

Vous êtes sévère... Et que feriez-vous à ma place ?

COLETTE.

Moi, il me semble que j’empêcherais coûte que coûte mon mari d’aller ce soir à la gare de Lyon...

GERMAINE.

Et après ? Si Julien aime cette femme et que cette femme aime Julien, ils partiront plus tard, voilà tout !

COLETTE.

Je ne le crois pas... Écoutez, ça, je ne le crois pas... À mon avis, il n’y a eu entre eux que de la coquetterie...

GERMAINE.

Oui... je connais ça...

COLETTE.

N’est-ce pas ?

GERMAINE.

On cause avec un monsieur... il ne vous déplaît pas... il ne vous plaît pas non plus... On le rencontre tout le temps sur son chemin, on finit par le traiter en camarade... on lui laisse dire des choses qu’on n’a pas l’air d’entendre et qu’on ne devrait pas écouter. On pense : « Bah ! il n’est pas dangereux, il est amusant, et je m’en débarrasserai quand je voudrai. » Et tout à coup, on s’aperçoit qu’il est dans votre intimité et qu’il n’en veut plus sortir... On croyait ne lui accorder que de petites faveurs sans importance, on lui a donné des droits. Et il suffit d’un hasard pour que tout ça devienne un drame.

COLETTE.

Oh ! comme c’est vrai !

GERMAINE.

Et alors, il faut se tirer de là ou sauter le pas ! Moi, je suis bien décidée à ne pas le sauter. Et vous ?

COLETTE, un temps.

Moi ? Qu’est-ce que vous insinuez ?

GERMAINE, tout à coup.

Regardez-moi bien dans les yeux, Colette. Ça ne vous dit rien d’aller voir les lacs d’Italie avec mon mari ! Hein ?

COLETTE.

Voulez-vous que je sois franche ? Eh bien, ça ne me dit rien du tout ! Au revoir, Germaine.

GERMAINE.

À la bonne heure ! J’avais deviné. Mais vous savez ? je vous remercie tout de même !

COLETTE.

Il n’y a pas de quoi !... Mais, moi, je suis une bonne fille, prenez garde aux autres... À propos, votre mari est là... il fait vos malles.

GERMAINE.

Eh bien, je vais l’aider... Au revoir, Colette.

 

 

Scène XI

 

GERMAINE, BRANCOUR

 

GERMAINE, à la porte.

Julien !... Tu es là ? Je peux te dire un mot ? Oh ! ce ne sera pas long...

BRANCOUR, arrivant.

Je suis là, en effet... Qu’y a-t-il ?

GERMAINE.

Il y a que tu n’es pas gentil, mon ami... C’est la première fois que tu pars en voyage et que tu ne me dis pas au revoir...

BRANCOUR.

Mais je ne pars pas... Qui t’a raconté çà ?

GERMAINE.

Voyons... pourquoi des cachotteries avec moi, maintenant ? Puisque nous sommes séparés... puisque tu as commencé à découcher... et puisque tu as pris une maîtresse !

BRANCOUR.

Pardon ! je n’ai pas pris de maîtresse.

GERMAINE.

Tu n’as pas eu le temps ? Ça ne tardera pas. Mais je ne t’adresse pas de reproches... Tu es dans ce que les maris ordinaires appellent leur droit... Tu vas donc partir avec une petite femme... très jolie, d’ailleurs. Tu aurais pu choisir plus mal parmi mes amies intimes. Tu as du goût, mes compliments...

BRANCOUR.

C’est Tencier qui t’a raconté cette histoire ?

GERMAINE.

Je l’ai devinée... Et je trouve ça excellent pour toi. Ça te fera du bien... Tu as besoin de connaître les femmes, car tu ne les connais pas ! Et celle-là est tout à fait ton affaire, tout à fait. En voilà une qui saura t’apprendre ce que c’est que la coquetterie et la trahison, la vraie... celle qui compte... Le cours supérieur, enfin ! Et quand elle aura fait ton éducation, ce sera à moi de te recueillir si je suis encore disponible, on ne sait jamais !

BRANCOUR.

Tu te trompes sur mes intentions. Tu affectes de rire, mais tu crois que j’agis par rancune... C’est une erreur, je n’ai plus aucune rancune contre toi et je ne songe pas à me venger. Je ne songe qu’à oublier et, pour cela, que veux-tu ? chacun a son caractère, il faut que je me sépare de toi pendant quelque temps... C’est la seule solution possible... Ensuite, nous verrons.

GERMAINE.

C’est parfait, mon ami, c’est parfait... Je ne te retiens pas. En fait de solution, moi, j’en avais envisagé une autre... Tu vas rire. Je me figurais, me retrouvant près de toi, repentante de ma coquetterie, de mon imprudence, si tu veux, navrée de t’avoir causé du chagrin... et décidée dorénavant à être gentille comme je ne l’avais jamais été... Crois-tu que j’étais romanesque et démodée ?... Heureusement, tu es là pour me redonner le ton !

BRANCOUR.

Pardon, c’est toi qui as commencé. Moi, je ne suis pas romanesque, évidemment... mais j’ai mes petites qualités. Je fais honneur à ma signature, et, quand je me méfie d’un associé, je n’y vais pas par quatre chemins, je retire mes fonds...

GERMAINE.

Et tu les portes dans une autre banque ?... Prends garde à la faillite ! Allons, je n’insiste pas... Tu raisonnes très bien... tu raisonnes en industriel.

BRANCOUR.

Tu n’as pas épousé un poète...

GERMAINE.

Non, mais je croyais avoir pris un mari et non un gérant !... Tu m’as administrée comme une entreprise de tout repos... Eh bien, non, mon ami... La femme la plus pure, la plus vertueuse a besoin d’une surveillance, d’une attention continuelle qui lui donne confiance en soi... Une femme, et même une femme légitime, ça ne se règle pas comme une machine, ça se soigne comme un objet d’art !...

BRANCOUR.

Il faut le temps, ma petite, et il faut vivre...

GERMAINE.

Le voilà, l’argument du travail, je l’attendais ! Il en a démoli des ménages, celui-là ! Vous autres, quand vous avez dit que vous travaillez, vous avez tout dit, vous vous croyez quittes ! Seulement, il y a des gens qui n’ont rien à faire, eux, que la cour à votre femme et que vous accueillez aimablement en pensant : « Bah ! ça l’occupera, et, pendant ce temps-là, je travaillerai tranquille ! » Et puis, quand ça nous occupe trop, vous devenez tout à coup enragés ! Vous perdez toute indulgence, toute notion de justice, vous cassez tout et vous filez avec la première petite femme venue !...

BRANCOUR.

Tu aurais pu me dire tout ça avant !

GERMAINE.

Avant, je n’y pensais pas !

BRANCOUR.

C’est dommage !

GERMAINE.

Ça va peut-être te gâter ton voyage, ce que je te débite-là... Mais, rassure-toi, une fois dans le sleeping, tu n’y penseras plus.

BRANCOUR.

D’abord, je ne suis pas encore parti !

GERMAINE.

Oh ! non, mon ami, non... tu ne peux plus te dérober... Un homme comme toi doit faire honneur à sa signature ! Tu as un client qui t’attend à sept heures sur le quai de la gare de Lyon... Ne le mécontente pas, il te quitterait...

On frappe.

Entrez.

Entre Anna.

ANNA.

Une lettre pour monsieur Brancour.

GERMAINE.

Ah ! Ah ! Lis ton courrier, mon ami...

BRANCOUR.

Tu permets ?

GERMAINE.

Comment donc !

Sort Anna.

BRANCOUR, lisant.

Ah ! par exemple !

GERMAINE.

Je sais de qui est cette lettre...

BRANCOUR.

Tu ne peux pas t’en douter.

GERMAINE.

Si ! Elle est de Colette.

BRANCOUR.

En effet.

GERMAINE.

Veux-tu que je te dise ce qu’il y a dedans ?

BRANCOUR.

Je serais curieux...

GERMAINE.

C’est très simple.

Elle récite en tournant le dos à Brancour et face au public.

Mon cher ami. Décidément, je ne veux pas faire notre malheur à nous deux et même à nous trois... Je ne vous aime pas et vous ne m’aimez pas davantage. Vous aimez votre femme et vous avez bien raison, car elle vaut mieux que moi. Je le lui ai dit tout à l’heure. Quant à vous, vous êtes un brave homme qui n’êtes pas fait pour toutes ces complications... Vous en arriveriez trop vite à regretter un mouvement de colère et d’orgueil blessé... Je préfère rester votre amie, même de loin. Cordialement à vous, Colette. Ce n’est pas ça à peu près qu’il y a dans la lettre ?

BRANCOUR.

Oui, mais elle résume en trois mots sur sa carte : Impossible de venir ce soir gare de Lyon.

GERMAINE.

C’est une femme qui ne sait pas développer ! Ah ! mon pauvre Julien... tu n’as pas de chance.

BRANCOUR.

Tant pis, je partirai seul... ou j’emmènerai Tencier !

GERMAINE, changeant de ton.

Allons, tiens ! Je veux bien te faire une concession, mais ce sera la dernière. Eh bien, si tu n’es pas un sauvage, c’est avec moi que tu partiras, tu entends ? c’est avec moi !

BRANCOUR.

Oui, n’est-ce pas ? et j’emporterai le doute insupportable que tu as été la maîtresse de Le Hercheur !... Et tu crois que je pourrai visiter les musées dans ces conditions-là.

GERMAINE.

Mais tu ne peux pas les visiter dans de meilleures conditions.

BRANCOUR.

Vraiment !

GERMAINE.

Il t’est arrivé une aventure inespérée, une de ces aventures qui font comprendre la vie... et qui éveillera en toi, simple industriel, le poète qui dormait... Tu avais trop de certitude, vois-tu ? et, par conséquent, aucune sensibilité. Il te manquait l’inquiétude et le doute, car on n’attache pas de prix au bien dont on est trop sûr... C’est ça, mon ami, qui faisait défaut à notre ménage...

BRANCOUR.

Et maintenant, je ne suis plus sûr de toi et tu n’es plus sûre de moi !

GERMAINE.

Parfaitement. Et comme nous n’avons pas cessé de nous aimer, nous serons tenus en éveil... Nous nous méfierons l’un de l’autre, et alors, nous nous méfierons de nous-mêmes, ce qui nous permettra de parvenir très unis et très défiants à une vieillesse avancée.

BRANCOUR.

Ah ! il y a tout de même quelque chose de meilleur dans une bonne certitude, et ce que je donnerais pour l’avoir !

La porte de droite s’ouvre. Paraissent Tencier et Hector.

 

 

Scène XII

 

GERMAINE, BRANCOUR, TENCIER, HECTOR

 

TENCIER, à Hector.

Mais pardon, mon ami, pardon... Vous envahissez ma maison ! Je suis ici chez moi !

HECTOR.

Ça m’est égal, monsieur, ça m’est égal... Monsieur Brancour est ici, il faut que je lui parle...

GERMAINE.

Encore vous, Le Hercheur !

BRANCOUR.

Flûte ! voilà d’Artagnan !

HECTOR.

Deux mots, monsieur... Veuillez m’écouter... Oh ! pardon, madame, vous ne m’empêcherez pas de parler... Je suis peut-être ridicule, mais je suis sincère, et, en outre, je suis un galant homme.

BRANCOUR.

Ah çà ! Le Hercheur... qu’est-ce que c’est que ces façons-là !

HECTOR.

Oh ! vous... ne faites pas le dilettante, je vous prie ! J’ai été ridicule un mois, c’est tout ce que je peux supporter. Je ne me laisserai pas berner davantage ! Madame vous a prouvé qu’elle était innocente, tant mieux, car c’est vrai ! Elle vous a dit qu’elle s’était moquée de moi et vous avez trouvé ça très comique, je ne le regrette pas ! Je lui ai même proposé de l’épouser et elle a refusé cette offre dans des termes que je ne vous pardonnerai jamais ! Enfin ! vous vous êtes réconciliés sur mon dos, c’est très bien ! Je n’ai donc plus rien à espérer, je suis libre et je viens vous dire : « Monsieur, vous m’avez insulté hier soir sans raison. Un de nous est de trop ! »

GERMAINE, à Brancour.

Mon chéri, mon chéri, vrai, je n’espérais pas ça !...

BRANCOUR.

Ni moi, par exemple, ni moi !

HECTOR.

Qu’est-ce que vous dites encore tous les deux !

BRANCOUR.

Je dis, Le Hercheur, que j’ai une envie folle de vous embrasser !

HECTOR.

Monsieur, je ne comprends pas l’ironie et, quand je la rencontre sur ma route, je la châtie !

BRANCOUR.

Ne vous emportez pas, Le Hercheur, je vous trouverai une compensation. Évidemment, je ne peux pas vous donner ma femme, j’en ai absolument besoin pour voyager...

GERMAINE.

Voulez-vous Colette ?

HECTOR, furieux.

Madame !

BRANCOUR.

Voulez-vous Fernande ?

TENCIER.

Ah ! non... je m’y oppose !

HECTOR.

Nous sommes dans la gaieté, monsieur. Je vois que vous refusez de vous battre !

BRANCOUR.

En effet. Le Hercheur, je ne me battrai pas avec vous parce que je ne vous en veux plus... Au contraire, j’ai une certaine admiration pour vous, car vous êtes une force de la nature !

HECTOR, à Germaine.

Ce qui signifie que je suis un idiot, n’est-ce pas ?

GERMAINE.

Pas du tout !... Vous êtes un homme très utile... Car ce sont les gens comme vous qui font comprendre aux femmes ce qu’il y a de délicieux dans le mariage et dans la vie simple de tous les jours !...

HECTOR.

Vous avez raison, madame, et je me rends compte de l’illusion dans laquelle j’ai vécu. Je ne suis pas un homme de ces temps-ci. J’aurais dû naître il y a deux ou trois siècles, quand l’honneur n’était pas un sujet de plaisanterie... Malheureusement, cela ne dépendait pas de moi. Madame, j’ai l’honneur de vous saluer.

Il sort.

TENCIER.

J’espère que vous allez me laisser mon appartement, maintenant !

BRANCOUR, à Germaine.

Tu me pardonnes, ma chérie ?

GERMAINE.

Nous verrons ça. 

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