DIDEROT (Denis)


DIDEROT (Denis) 1713-1784

 

Biographie

De l'émancipation parisienne à l'Encyclopédie

La famille de Diderot appartient à la petite bourgeoisie provinciale. Denis, ayant reçu la tonsure, et destiné, après ses études de théologie, à succéder à son oncle chanoine, échappe aux jésuites chez qui son père l'avait enfermé. Se détournant de sa famille, il s'enfuit à Paris et épouse secrètement une jeune lingère, Antoinette Champion (1710-1795).
Il mène alors une vie de bohème littéraire : prodigieusement doué, avide de nouveautés, l'étudiant prolongé s'informe des cours tenus par les professeurs célèbres, lit beaucoup, d'Homère àVoltaire et Swift, y compris les auteurs clandestins en copies manuscrites (Boulainvilliers, Meslier). Il fréquente les salles de théâtre, et ne quitte pas les hauts lieux de la nouvelle intelligentsia, les cafés Procope et de la Régence. Il fait la connaissance des personnalités en devenir : d'Alembert, Condillac, La Mettrie.
Ses traductions de l'anglais le sortent de l'anonymat : l'Histoire de Grèce (1743) de Temple Stanyan, l'Essai sur le mérite et la vertu (1745) de Shaftesbury. Il publie en 1746 les Pensées philosophiques, condamnées aussitôt à être brûlées. Il rédige l'année suivante la Promenade du sceptique, dont le manuscrit est saisi quelque temps plus tard. L'ancien étudiant en théologie s'achemine vers le matérialisme et l'athéisme.
Ces diverses compétences le désignent pour animer à partir de 1747 l'Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751-1772), conçue d'abord par le libraire André-François Le Breton (1708-1779) comme l'adaptation française de la Cyclopaedia (1728) d'Ephraim Chambers. L'entreprise va rapidement s'émanciper de ce modèle tandis que Diderot s'affirme comme un penseur intrépide.
À partir de 1748, le chantier encyclopédique accapare Diderot. Mais cette activité le familiarise avec les secteurs les plus divers du savoir et l'ouvre à de nombreuses formes d'écriture. Elle lui permet de composer des œuvres philosophiques majeures : la Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient paraît en 1749 (laLettre sur les sourds et muets paraîtra en 1751). Le « Prospectus » de l'Encyclopédie qu'il rédige est un acte de foi dans le progrès des connaissances. De telles positions ne pouvaient laisser indifférentes les autorités : Diderot est arrêté en 1749. Il passe un mois enfermé au donjon de Vincennes. C'est là que Rousseau lui rend visite et discute avec lui de la question du progrès des sciences et des arts, qui nourrira le Discours sur les sciences et les arts (1750) du citoyen de Genève.

Littérature et esthétique

Se réconciliant avec sa famille à Langres, Diderot fait la connaissance d'une jeune femme, Sophie Volland, qui devient sa maîtresse, sa confidente, et avec laquelle il entretient une abondante correspondance. C'est l'époque également où il se tourne vers le théâtre et invente des formes nouvelles de critique d'art.
L'œuvre dramatique de Diderot associe la réflexion critique et la pratique proprement littéraire. Ainsi, en 1757, paraît le Fils naturel ou les Épreuves de la vertu, comédie en cinq actes et en prose, accompagnée de troisEntretiens sur le Fils naturel.
Un dispositif identique est reproduit l'année suivante : Diderot publie un nouveau drame, le Père de famille,suivi d'un discours, De la poésie dramatique. Cette défense et illustration d'un nouveau « drame bourgeois », ou « genre sérieux », fait date. La recherche de Diderot se poursuit dans des traductions ou adaptations de l'anglais. L'expérience du style du comédien David Garrick, qu'il relate dans un article de 1769 (Garrick et les acteurs anglais), nourrit une longue réflexion qui aboutira au Paradoxe sur le comédien (écrit entre 1769 et 1777, publié en 1830), défense d'un jeu raisonné contre l'inefficacité d'une spontanéité pulsionnelle.
La recherche sur le théâtre s'intègre chez Diderot à une pensée esthétique qui s'interroge sur les différents arts. En musique, mêlé à la querelle des Bouffons, il se prononce en faveur de l'opéra italien ; en 1771, il éditera les Leçons de clavecin et principes d'harmonie d'Antoine Bemetzrieder. Mais c'est dans les Salons que Diderot s'affirme comme créateur d'un genre. Tous les deux ans, de 1759 à 1771, puis en 1775 et en 1781, il compose pour la Correspondance littéraire du baron Melchior de Grimm un compte rendu des œuvres exposées au Louvre.

Déploiement de la pensée et ouverture sur l'Europe

Abandonnant le caractère abstrait du dialogue philosophique classique, Diderot fait sortir la philosophie du cabinet d'étude et l'ouvre au romanesque de la vie quotidienne. En 1769, le Rêve de d'Alembert met en scène un débat sur le matérialisme et ses conséquences morales. À l'exposé linéaire et dogmatique sont préférées une exposition éclatée et une recherche foisonnante nourrie d'hypothèses.
Le problème moral reparaît dans le Supplément au Voyage de Bougainville (1773). Les liens qui unissent dialogue et récit, roman et théâtre, sont soulignés par le regroupement qui rapproche en un triptyque le Supplément...,Ceci n'est pas un conte (achevé en 1772) et Madame de La Carlière (id.).
À partir de 1760, Diderot explore ce mélange des genres dans la Religieuse (publié en 1796) : il insère le récit de son héroïne dans une trame épistolaire, la faisant dialoguer avec son protecteur. La Vie et les Opinions de Tristram Shandy (1759-1767), le roman de l'Irlandais Laurence Sterne, forme l'une des sources de Jacques le Fataliste et son maître (composé en 1771, publié en 1796). Mais le modèle est vite oublié dans cette éblouissante mosaïque qui mêle la réflexion philosophique et le plaisir de conter le récit des aventures de Jacques et de son maître et les propos adressés par Diderot à son lecteur. Enfin, l'art du dialogue de l'écrivain culmine avec son roman satirique le Neveu de Rameau (composé de 1762 à 1774).
Par l'intermédiaire du baron allemand Melchior de Grimm, Diderot était entré en contact avec la cour de Russie. En 1765, Catherine II lui achète sa bibliothèque. À l'invitation de l'impératrice, il arrive en Russie en 1773. Mais, prenant conscience des limites du despotisme éclairé, il renonce à son projet d'encyclopédie russe et rentre en France un an après. Jusqu'à la fin de ses jours, grâce aux pensions attribuées par l'impératrice, il mène une existence confortable et studieuse. À sa mort, manuscrits et livres partiront pour Saint-Pétersbourg.

Oeuvres

Théâtre