CORNEILLE (Pierre)


CORNEILLE (Pierre) 1606-1684

 

Biographie

Pierre Corneille, né le 6 juin 1606 à Rouen, est l’aîné des six enfants d’une famille aisée de gens de robe. Au collège jésuite de sa ville natale, il découvre la rhétorique latine, les héros de l’Antiquité et le théâtre. Entré en 1628 comme avocat au barreau de Rouen, mais trop timide pour plaider, il obtient une double charge d’avocat du roi au siège des Eaux et Forêts et à la Table de marbre du Palais, qu’il occupera jusqu’en 1650. En 1629, un amour malheureux l’amène à rimer des poèmes, puis à écrire sa première comédie, Mélite. Les sept années suivantes, il fera jouer Clitandrela Veuvela Galerie du Palaisla Suivantela Place RoyaleMédée etl’Illusion comique. Leur succès vient de leur construction sur le thème pastoral, et peut-être autobiographique, de l’amitié trahie par l’amour. La transposition de ce dernier dans l’univers urbain de Mélite est aussi une nouveauté de taille. Au lieu de bergers, le théâtre met en scène, pour la première fois de manière plausible, la société. Surtout, ce reflet se trouve caricaturé ou embelli dans la mesure où toute la construction dramatique repose sur le déploiement d’un moi de théâtre, égoïste et passionné jusqu’à la folie (Mélite), l’aveuglement (Clitandre) ou la caricature (la Galeriela Suivantel’Illusion). La Place Royale avec AlidorMédée avec le rôle-titre font de cet égoïsme souverain le fondement conscient du héros cornélien, tandis que l’Illusion rompt avec le monde étroit des comédies parisiennes et qu’éclate dans ces trois œuvres la tentation de la tragédie déjà présente depuis Clitandre. Corneille découvre que l’univers tragique sied mieux au passionné: le rideau peut se lever sur la longue carrière d’un dramaturge (il mourra à Paris en 1684).

Richelieu a réuni une équipe de cinq auteurs chargés de mettre en forme des canevas qu’il imagine : Boisrobert, Colletet, L’Estoile, Rotrou et Corneille ; ce dernier rompt avec cette société et fait scandale en 1637 avec sa tragi-comédie du Cid, puis paraît se rallier à l’esthétique du Cardinal en donnant coup sur coup trois tragédies régulières : HoraceCinna et Polyeucte. Revirement, mais non reniement : Corneille n’acceptera jamais la subordination du théâtre à la politique, ni le rôle de poète officiel du régime pour lequel il a été sollicité dès 1633. Cette fausse conversion au classicisme est à comprendre pour des raisons dramaturgiques : elle intervient lorsque la tragi-comédie est moribonde, que le public se lasse de tant de romanesque. Elle obéit aussi à des motifs élevés : montrer, après la querelle du Cid, que l’on est capable d’intégrer les sujets les plus fameux de l’Antiquité classique, ou le drame des premiers chrétiens.

Plus fondamentalement, le choix des sujets postule l’insertion du héros aristocratique dans le cadre monarchique. En un temps où Richelieu paraît un monstre, ces quatre apologies du serviteur noble ne sont susceptibles d’aucune récupération par le Cardinal. Au contraire, parce qu’il exalte la haute noblesse (le Cid) , qu’il rappelle que l’auxiliaire du roi n’est pas au-dessus des lois (Horace), qu’il montre un monarque osant retrouver sa gloire autrement que par des représailles (Cinna), qu’il reprend l’idée chrétienne que le vrai royaume n’est pas de ce monde (Polyeucte), le théâtre cornélien s’oppose à sa manière à la politique contestée du Cardinal ; mais parce qu’il fait du roi l’arbitre suprême que dans la réalité il n’est pas, Corneille la sert malgré lui et prépare les esprits à la monarchie absolue du règne suivant. À un pathétique fondé sur l’émergence du roi s’en substitue un autre fondé sur la révélation graduelle du héros et du roi, placés dans de grandioses perspectives historiques. Après avoir été tragédie d’un mythe (Médée), le couple roi-héros s’incarne dans une série de tragédies de fondation d’un royaume, qu’il s’agisse de l’Espagne chrétienne ou de la Rome légendaire. Mais ce temps des certitudes est trop lié à la stabilité de la France pour survivre à Richelieu.

De 1643 à 1651, du décès du Cardinal au plus noir de la Fronde, le théâtre cornélien reflète à sa manière la crise d’identité que traverse la France sous la régence d’Anne d’Autriche. Au-delà du Menteur et de sa Suite, il fait plus qu’imiter le théâtre espagnol. Après le règlement de comptes avec Richelieu qu’est la Mort de Pompée, il prend à son propre répertoire sa tragique ambiguïté pour la pousser à l’extrême : Théodore est une « tragédie de saint » sans Dieu, Rodogune (1644) une tragédie de la démesure et de la guerre civile, Héraclius,Don Sanche et Andromède reprennent les variations à l’espagnole sur le thème du roi caché. Au temps des tragédies de fondation, comme Horace et Cinna, s’opposent à présent les tragédies d’interrogation sur la nature même du roi, qui peut ne pas se connaître lui-même, n’étant plus à l’abri du vent de l’histoire. Un nouveau pathétique se crée, qui subordonne le roi aux vicissitudes du sort, lui faisant gagner en humanité ce qu’il perd en gloire.

Symétriquement, l’écrivain s’engage dans le combat politique pour le maintien de la monarchie avec deux tragédies, Nicomède et Pertharite, qui tentent de faire la part des torts des deux camps. Mal perçu, cet engagement entraîne son retrait du théâtre après l’échec de Pertharite (1652). Il faudra l’apaisement de la guerre civile et la diplomatie de Fouquet pour faire revenir Corneille dans un monde où, pour lui, le roi a cessé d’être une inaccessible idole. Beaucoup plus qu’une mode encouragée à l’origine par Anne d’Autriche, la dramaturgie espagnole est pour Corneille le moyen d’exprimer ses plus secrètes hantises. Ce qui l’intéresse, c’est la possibilité baroque de faire voir dans un héros plusieurs êtres : le roi, l’homme, celui qui ne se sait pas roi. Il en a résulté des œuvres âpres et fortes débouchant sur la remise en question de la royauté.

Après dix ans de retraite employés à traduire en vers l’Imitation de Jésus-Christ, à établir une édition complète de ses œuvres, accompagnée de Trois Discours sur le poème dramatique et d’Examens sur ses pièces, Corneille met en chantier une « pièce à machines » (c’est-à-dire qui privilégie la mise en scène et les « effets spéciaux »),la Toison d’or, pour le marquis de Sourdéac. De 1659 à 1674, il revient ainsi au théâtre et donne Œdipela ToisonSertoriusSophonisbeOthonAgésilasAttilaTite et BérénicePsychéPulchérie et Suréna. Mais il lui faut compter avec la concurrence du ballet de cour, de l’opéra, de Quinault, puis de Racine. Le théâtre musical permet à Corneille d’innover : le prologue de la Toison d’or sera imité par Lully. La métrique d’Agésilas et celle de Psyché, tragi-comédie-ballet avec intermèdes pour laquelle Corneille collabore avec Molière et Quinault, répondent par leur souplesse aux déclamations chantées de Benserade, Guichard et Cambert.

Face à Racine, Corneille choisit un pathétique de l’exemplaire très marqué par la Fronde. Ses héros restent purs, mais ils sont condamnés parce qu’incompatibles avec un monde en paix, jugé étroit et machiavélique (Sertorius, Sophonisbe, Othon). De plus, en faisant du roi le héros d’un pathétique de devoir (Agésilas, Tite et Bérénice), en déplaçant la tragédie vers le problème de la succession au trône (Pulchérie, Suréna) et des fins dernières (Attila), Corneille s’aliène un public jeune, désireux d’émotions plus humaines, qu’il croira trouver chez Racine. D’Œdipe à Suréna, sans que le loyalisme cornélien soit remis en cause, un malentendu de plus en plus grand se creuse entre l’auteur et son public.

De l’émergence du moi héroïque par amour-propre caractéristique de l’avant-Cid, Corneille est ainsi passé après 1637 à un cycle de tragédies dominé par l’émergence du héros noble compris comme auxiliaire du roi. Ce système dramaturgique construit sur la révélation du héros se fonde, après la mort de Richelieu, sur la révélation du roi caché. Le monarque devient un personnage dépendant de ses passions, mais demeure irremplaçable. Retrouvant le théâtre, Corneille ose des œuvres qui aboutissent à la tragédie lyrique (Agésilas, Psyché), mais revient à un héroïsme ancré cette fois sur l’irrévocable opposition du héros et du monde, et sur l’incompatibilité de la charge royale avec le droit au bonheur : un théâtre du renoncement se met en place dont l’aspect le plus poignant, de Sertorius à Suréna, n’a pas fini de fasciner.

Oeuvres

Théâtre

Pièces contre Corneille ou en son honneur

Pièces ayant Pierre Corneille comme personnage