Circé (Thomas CORNEILLE - Jean DONNEAU DE VISÉ)

Tragédie en cinq actes et en vers, ornée de Machines, de Changements de Théâtre, et de Musique.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Guénégaud, le 16 mars 1675.

 

Personnages du prologue

 

MARS

LA FORTUNE

LA RENOMMÉE

L’AMOUR

LA GLOIRE

 

Personnages de la Tragédie

 

JUPITER

NEPTUNE

LE SOLEIL

VÉNUS

GLAUCUS, Amant de Silla, Dieu Marin

PALÉMON, Confident de Glaucus, Dieu Marin

MÉLICERTE, Prince de Thèbes

CIRCÉ, Fille du Soleil

SILLA

DORINE, Nymphe de Circé

FLORISE, Nymphe de Circé

ASTÉRIE, Nymphe de Circé

CÉLIE, Nymphe de Silla

MÉLISSE, Nymphe de Silla

CINQ SATYRES

 

 

ARGUMENT

 

Le Sujet de cette Pièce est tiré du 14 Livre des Métamorphoses d’Ovide.

Glaucus de simple Pêcheur qu’il était, ayant été changé en Dieu marin, devint éperdument amoureux de Silla, Fille de Phorcus, et ne pouvant toucher son cœur, il alla implorer le secours de Circé, qui prit le parti pour elle, et employa tout le pouvoir de ses charmes pour s’en faire aimer. Le dépit de n’avoir pu en venir à bout, porta si loin son ressentiment, que pour se venger, elle empoisonna une Fontaine où Silla avait accoutumé de s’aller baigner. Cette malheureuse Nymphe ne s’y fut pas si tôt plongée, qu’elle vit naître des Chiens, qui s’attachant à son corps, l’effrayèrent par leurs aboiements ; et l’horreur qu’elle eut d’elle-même dans ce déplorable état, fut si forte, qu’elle s’alla précipiter dans la Mer, où elle fut changée en un Rocher qui a conservé son nom, et contre qui les flots se brisant, imitent par le bruit qu’ils font les aboiements des Chiens qui avaient fait son supplice. Je n’ai rien ajouté à cette Fable, que Mélicerte aimé de Silla, et cette même Silla changée en Néréide après tous ses malheurs, pour avoir lieu de finir la Pièce par un spectacle de réjouissance. Le succès en a été grand, et il ne s’en faut pas étonner, puisqu’on n’a rien vu jusqu’ici de si beau, ni de si surprenant, que les Machines qui en ont fait le principal ornement.

 

 

PROLOGUE

 

La toile qui cache le Théâtre étant levée, laisse paraître un Temple de riche architecture, que la Gloire a fait élever pour le Roi. L’Ordre en est composite, avec plusieurs Arcades et Colonnes de Jaspe d’Orient, dont les Bases et Chapiteaux sont d’or, aussi bien que les Modillons et les Fleurs de Lys qui sont les ornements des Corniches et des Frises. Le haut du Temple est fini par un Attique où se voit un Buste de Héros directement au-dessus de chaque milieu des Chapiteaux. Les Supports des Colonnes sont des Piédestaux qui représentent une partie des Conquêtes du Roi, et les superbes Bâtiments qui se sont faits, ou qui ont été embellis sous son Règne. Au-dessus de chaque Piédestal, il y a différentes Figures peintes en saillie et isolées, qui toutes ainsi que les Bustes, représentent par leurs attributs, ou les Vertus particulières que possède cet Auguste Monarque, ou les Arts qu’il prend soin de faire fleurir. L’effet que font ces Figures est d’autant plus beau, que se trouvant chacune entre deux Colonnes, elles forment une juste symétrie, qui ne saurait être que très agréable à la vue. Vers le milieu du Temple s’élève une manière d’Arc Triomphal, soutenu par huit Colonnes d’Ordre Ionique, avec une espèce d’Attique au-dessus de la Corniche, où le Roi est représenté. La Victoire et la Gloire sont à ses côtés, dont l’une lui présente une Couronne, et l’autre une branche de Laurier, le tout de marbre blanc. On voit dans le fond du Temple un Autel de marbre serpentin. Il est armé de Colonnes, Figures, Festons de fleurs et Trophées d’Armes.

Les yeux se sont à peine arrêtés sur toutes ces magnificences, qu’on découvre Mars dans un Char orné de tout ce qui peut le faire connaître pour le Dieu qui préside aux Combats. Il paraît au plus haut des nues, et s’abaissant vers le Temple, il y voit arriver la Fortune portée sur un nuage qu’elle quitte au même temps que Mars descend de son Char. Après avoir regardé ce Temple avec des marques d’indignation et de surprise, Ils commentent le Prologue ensemble.

 

 

Scène première

 

MARS, LA FORTUNE

 

MARS.

Quoi ? la Fortune sans bandeau ?

LA FORTUNE.

Je viens de l’arracher moi-même,

Pour voir l’éclat pompeux de ce Temple nouveau.

Mais d’où vient qu’à l’aspect d’un Ouvrage si beau,

Le dieu Mars fait paraître une douleur extrême ?

MARS.

Puis-je voir sans chagrin, qu’un Mortel à mes yeux,

Des honneurs qu’on me doit emporte l’avantage ?

Je sais bien que LOUIS est un Roi glorieux,

En qui mille Vertus, par un noble assemblage,

Offrent à révérer le plus parfait Ouvrage

Qui jamais ait marqué la puissance des Dieux ;

Mais parce qu’il se fait admirer en tous lieux,

Ai-je mérité qu’on m’outrage ?

Voyez ce que ce Temple ajoute à son renom.

Voyez sur cent Tableaux avec quel soin la Gloire

A tracé la brillante Histoire

Des merveilleux Exploits qui consacrent son nom.

C’est là que les plus grands Courages,

D’un zèle tout soumis écoutant la chaleur,

Viennent par d’assidus hommages

Honorer la Prudence unie à la Valeur.

Cependant mes Autels, où par toute la Terre

L’encens se prodiguait pour les moindres hasards,

Sont négligés de toutes parts.

On regarde LOUIS comme Dieu de la Guerre,

Et l’on ne songe plus à Mars.

D’un si honteux mépris c’est trop souffrir l’audace.

J’en punirai l’injure, et ce Temple détruit

Va dans le Monde entier étaler à grand bruit

Ce que peut faire un Dieu qui menace.

LA FORTUNE.

Si LOUIS des Mortels vous dérobe les vœux,

N’ai-je pas même plainte à faire ?

Tout le monde à l’envi, pour devenir heureux,

N’aspirait toujours qu’à me plaire ;

Mais depuis que la Gloire a par tout l’Univers

De cet auguste Roi fait briller le mérite,

Pour le suivre chacun me quitte,

Et je vois mes Temples déserts.

Cette foule qui plaît, quand même elle importune,

Dédaignant mes faveurs, brigue son seul appui.

Il me ravit mes droits, et ce n’est plus qu’en lui

Qu’on songe à chercher la Fortune.

Jugez à me voir sans honneurs,

Jusqu’où va l’ennui qui me presse,

Car c’est en vain que le nom de Déesse

Me fait attendre encor quelques Adorateurs.

De quelque rang qu’on soit, les biens seuls qu’on dispense ;

Nous attirent ces vœux pressants

Dont nous aimons la déférence ;

Et les Dieux qui sont sans puissance,

Ne reçoivent guère d’encens.

MARS.

Je vois venir l’Amour. Qu’aura-t-il à nous dire ?

LA FORTUNE.

La Renommée arrive aussi ;

Mais lorsque son emploi de tous côtés l’attire,

D’où vient qu’elle s’arrête ici ?

L’Amour et la Renommée paraissent portés chacun sur un nuage.

 

 

Scène II

 

MARS, LA FORTUNE, LA RENOMÉE, L’AMOUR

 

LA RENOMÉE.

N’en soyez point surpris ; le pénible voyage

Où jusqu’au bout de l’Univers,

Pour vanter ses Vertus chez cent Peuples divers,

Le Monarque des Lis de jour en jour m’engage,

M’a déjà tant de fois fait traverser les airs,

Qu’il faut qu’en m’arrêtant enfin je me soulage.

Dans les Siècles passés j’ai bien vu des Héros.

Alexandre et César m’ont donné de la peine,

Mais au moins dans leur course ils reprenaient haleine,

Et me laissaient quelque repos.

LOUIS n’en connaît point ; son âme toujours prête

À s’éprouver dans les combats,

À peine a médité la plus haute Conquête,

Qu’à la Victoire il fait suivre ses pas.

Chaque instant de sa vie est un nouveau miracle.

Vingt Princes dont il fut l’appui,

Arment vainement contre lui.

À ce qu’il entreprend rien ne peut mettre obstacle ;

Et ces jaloux de sa grandeur,

Forcés partout à céder la victoire,

Ne combattent jamais que pour lui faire honneur,

Et donner du lustre à sa gloire.

Ainsi pour m’acquitter de ce que je lui dois,

J’ai beau presser mon vol, et me hâter de dire

Ce qu’avec moi tout l’Univers admire.

Mes cent bouches pour lui s’ouvrent tout à la fois,

Et je n’y puis encor suffire.

MARS.

S’il faut ne rien dissimuler,

La plainte me paraît nouvelle.

Quoi, vous, qui si souvent sur des contes en l’air

Redites mille fois la même bagatelle,

Vous vous fâchez d’avoir à trop parler ?

LA RENOMÉE.

Je prends sans murmurer tout l’emploi qu’on me donne ;

Mais enfin j’ai peine à souffrir

D’être forcée à discourir

Toujours de la même Personne.

Sur chaque nouveauté, comme en tout elle plaît,

J’aime à dire ce que je pense ;

Et si je ne prends intérêt

Qu’à célébrer le nom du grand Roi de la France,

Tous les Exploits que les autres feront,

À ce compte demeureront

Ensevelis dans le silence.

Je veux bien toutefois ne parler que de lui ;

Mais ce qui cause mon ennui,

C’est de voir que quand je publie

Toutes ses grandes actions,

On les prend pour des fictions,

Et l’on m’accuse de folie.

Qui pourrait croire aussi ce qu’on a vu deux fois ?

Il paraît, et soudain une Province entière

Se fait un heureux sort de servir de matière

Au triomphe éclatant qui la met sous ses Lois ?

Je crois le voir encor, toujours infatigable,

Courant, volant partout, sans jamais s’arrêter,

Être Chef et Soldat, résoudre, exécuter,

Et seul à soi-même semblable,

Chercher dans le péril tout ce qui peut flatter

L’ardeur de gloire insatiable,

Qui porte les Héros à s’y précipiter.

Mais c’est peu que forcer de superbes murailles.

Voyez-le dans le même temps,

Par l’effroi de son Nom, gagner plus de Batailles

Qu’on n’en donnait autrefois en vingt ans.

Après cela que puis-je faire ?

Toutes ces grandes Vérités

Ne semblent-elles pas des Contes inventés,

Et lorsque je les dis, m’estime-t-on sincère ?

L’AMOUR.

Vous en donnez si souvent à garder,

Qu’il est bon qu’une fois vous en soyez punie ;

Mais par LOUIS quand ma gloire est ternie,

Moi, l’Amour, n’ai-je pas tout sujet de gronder ?

Depuis le pouvoir qu’il me vole,

Dont il use comme du sien,

Je suis une vraie Idole,

Qui ne semble bon à rien.

LA FORTUNE.

D’où ce chagrin vous peut-il naître,

Quand nous voyons que ce Grand Roi,

En gagnant tous les cœurs, chaque jour fait connaître...

L’AMOUR.

Mais c’est par lui qu’il s’en rend maître,

Et ce n’est pas mon compte, à moi

Car enfin je voudrais qu’il me dût quelque chose ;

Mais j’ai beau parmi tous mes traits,

Pour faire que des Cœurs par mon ordre il dispose,

En aller choisir tout exprès.

D’eux-mêmes à l’envi, sans qu’on les sollicite,

Des Cœurs tout à coup enflammés,

Se rendent tous à son mérite,

Et sans que je m’en mêle, ils s’en trouvent charmés.

MARS.

Et c’est à quoi l’Amour prend garde ?

Pourvu que tout vous soit soumis,

Que vos droits soient bien affermis,

Qu’importe...

L’AMOUR.

Passe encor pour ce qui me regarde ;

Mais ce qui fait tout mon ressentiment,

Et m’est une peine cruelle,

C’est que lorsque avec une Belle

J’ai fait l’union d’un Amant,

Et qu’elle en croit les nœuds serrés si fortement,

Que rien ne saurait plus l’arracher d’auprès d’elle,

Si LOUIS dans sa noble ardeur

Court où l’appelle son grand cœur,

L’Amant, quoique plein de tendresse,

Se reproche un honteux repos,

Et quitte aussitôt la Maîtresse,

Pour suivre les pas du Héros.

Elle s’en plaint, elle en soupire,

Et par sa disgrâce fait voir

La faiblesse de mon Empire.

LA RENOMÉE.

Que n’usez-vous alors de tout votre pouvoir,

Pour rappeler ceux que la Guerre attire ?

L’AMOUR.

Il ne tient pas à la vouloir ;

Mais j’ai beau faire, j’ai beau dire.

Charmés de voir LOUIS, de marcher sur ses pas,

Quelque flatteur que pour eux je puisse être,

C’est un Enfant qui parle, ils ne m’écoutent pas,

Et les combats

Auprès de leur Auguste Maître,

Ont pour eux plus d’appas,

Que les plus tendres feux qu’en leurs cœurs j’ai fait naître.

Ainsi la Guerre est un malheur

Qui me rend inutile, et c’est de quoi j’enrage.

Je me trouve accablé de honte et de douleur,

Et tandis que LOUIS fait briller sa valeur,

Je joue un méchant personnage.

Mais que vois-je ?

 

 

Scène III

 

LA GLOIRE, MARS, LA RENOMÉE, LA FORTUNE, L’AMOUR

 

L’AMOUR.

La Gloire, à qui le Ciel toujours

Donna les Héros à défendre.

De ce Temple où j’ai soin chaque jour de me rendre,

Je viens d’entendre vos discours.

En vain, Dieu des Guerriers, dont la fière puissance

Vous fait redouter des Mortels,

Vous prétendez détruire les Autels

Que j’ai fait élever au Héros de la France.

Il mérite encor plus, et n’est point comme vous

Incessamment rempli d’un aveugle courroux.

Lorsqu’il entreprend quelque Guerre,

C’est pour mieux maintenir de légitimes Droits,

Ou pour confondre ceux, qui méprisant les Rois,

Se veulent ériger en Titans de la Terre.

Rendez-lui donc justice, et dans tous ses combats

Vous-même accompagnez ses pas.

Ainsi de vos fureurs on ne pourra se plaindre,

Et secondant LOUIS, qui par tout sait charmer,

En même temps que vous vous ferez craindre,

En même temps vous vous ferez aimer.

À la Fortune.

La Fortune, je le confesse,

A sujet de se chagriner.

Elle est d’un Sexe à voir avec quelque tristesse

Que ses Adorateurs l’osent abandonner,

Mais qu’elle se fasse justice.

Ses bienfaits sont souvent suivis de trahison ;

Elle ne fait jamais de bien que par caprice,

Et le Dieu des Français n’en fait que par raison.

Il récompense le mérite,

Sans même qu’on l’en sollicite,

Et pour se rétablir, la Fortune aujourd’hui

Doit se ranger auprès de lui.

On oubliera son inconstance,

Et par un surprenant effet,

On lui croira de la prudence,

Et c’est ce qu’on n’a jamais fait.

À la Renommée.

Pour vous répondre aussi, Déesse,

Le travail est pénible à remplir votre emploi ;

Mais le charme qu’on trouve à parler d’un grand Roi,

Ne demande-t-il pas qu’on en parle sans cesse ?

Depuis que par l’ordre des Cieux

Vous publiez les merveilles

Et des Hommes et des Dieux,

En avez-vous jamais rencontré de pareilles,

Ni de qui le récit vous fût si glorieux ?

Quant aux Demi-Héros qui prennent pour offense,

Que de leurs noms obscurs vous fassiez peu d’état,

À quoi bon vous charger d’actions sans éclat,

Dont jamais l’Avenir ne prendra connaissance ?

Malgré le vain orgueil dont ils sont éblouis,

Laissez-les dans la poussière,

Et donnez-vous toute entière

À publier des Exploits inouïs.

Dites plus que jamais cent Héros n’ont pu faire,

Vous n’aurez qu’à nommer LOUIS,

Et dans tout l’Univers on vous croira sincère.

À l’Amour.

Vous souffrez, je le connais bien,

J’entre dans votre inquiétude.

Demeurez sans pouvoir, est un destin bien rude,

Et je plains fort l’Amour qui ne s’occupe à rien ;

Mais venez voir LOUIS, et tâchez de lui plaire.

Attachez-vous à le considérer,

À voir sa gloire, à l’admirer,

Et vous aurez assez à faire.

L’AMOUR.

Je veux suivre votre conseil.

LA FORTUNE.

Chacun doit déférer aux avis de la Gloire.

LA RENOMÉE.

Ainsi que vous je la veux croire.

MARS.

Voyons auparavant ce Temple sans pareil.

LA GLOIRE.

Vous pouvez l’admirer ensemble,

Il mérite bien vos regards.

Mais il faut qu’en ce lieu j’assemble

Les Plaisirs et les plus Beaux Arts.

Par mon ordre ils s’en vont paraître,

Et par leurs Chansons et leurs Jeux

Marquer au plus grand Roi que le Ciel ait fait naître,

Ce qu’ils doivent au soin qu’il daigne prendre d’eux.

Dans le temps que Mars et les autres Divinités qui ont paru dans le Prologue, s’avancent dans le Temple, pour en mieux examiner les beautés, la Musique sort d’un des côtés du Théâtre, avec un Livre de Tablature à la main. Elle est suivie des Arts, tant Libéraux que Mécaniques, que sont l’Agriculture avec un habit couvert d’Épis d’or, et tenant une Bêche ; la Navigation, vêtue d’un Taffetas de la Chine, à la manière des Matelots ; l’Orfèvrerie, chargée de chaînes d’or et de pierreries ; la Peinture, tenant une Palette et un Pinceau ; la Guerre, une Épée ; la Géométrie, un Compas ; L’Astrologie, un Globe ; la Sculpture, un Ciseau. La Comédie paraît de l’autre côté, tenant un Masque, et accompagnée des Plaisirs. La Chasse, qu’on met ensemble au nombre des Plaisirs et des Arts, se fait voir la première revêtue de vert et tenant un dard. La Mascarade la suit bizarrement habillée, avec un Cornet à la main. On voit ensuite la Pêche qui tient une Ligne ; La Paume, une Raquette ; le Jeu, des Cartes ; La Bonne chère, un Flacon d’Or ; et la Danse, une Poche. Après avoir par quelques figures, et par leurs différentes actions, donné des marques de ce qu’ils représentent, la Comédie et la Musique chantent ensemble le Dialogue suivant.

Dialogue de le Musique et de la Comédie.

LA COMÉDIE.

Pour divertir LOUIS, unissons-nous ensemble,
Il est le plus grand des Mortels,
Et quand pour lui la Gloire élève des Autels.
Il faut que la Musique assemble
Ce que ses tons les plus charmants
Peuvent à mon Théâtre ajouter d’ornements.

LA MUSIQUE.

Pour ce Grand Roi qui sur la Scène
Voit si souvent tes charmes éclater,
J’aimerais assez à chanter ;
Mais j’ai si peu de voix, qu’on ne m’entend qu’à peine.

CEUX DES COMÉDIENS qui représentent une partie des ARTS et des PLAISIRS.

Si tu nous veux souffrir, nous pourrons t’en prêter.

LA COMÉDIE et LA MUSIQUE ensemble.

Unissons-nous pour célébrer la Gloire
Dont brille l’Auguste LOUIS.

LA MUSIQUE, seule.

De son éclat partout les Peuples éblouis
Consacrent son grand Nom au Temple de Mémoire.

LA COMÉDIE et LA MUSIQUE, ensemble.

Unissons-nous pour célébrer sa gloire.

TOUS, ensemble.

Vantons ce grand Nom comme eux.
Jamais Exploits si fameux
Ne firent parler l’Histoire.

LA COMÉDIE et LA MUSIQUE, avec un Art.

Ils sont tels, que nos Neveux
Refuseront de les croire.

TOUS, ensemble.

Chantons, unissons-nous pour célébrer sa gloire.

LA MUSIQUE, seule.

Sur des Exploits moins glorieux,
On a placé parmi les Dieux
Les Héros dont le nom fut grand et redoutable.
LOUIS a droit plus qu’eux à l’immortalité ;
LOUIS qui tous les jours fait une Vérité
Des vains prodiges de la Fable.

LA COMÉDIE et LA MUSIQUE.

Ses Ennemis, de ses armes frappés,
Sont à vanter son nom eux-mêmes occupés,
Les voyant entasser Victoire sur Victoire.

TOUS, ensemble.

Vantons ce grand Nom comme eux
Jamais Exploits si fameux
Ne firent parler l’Histoire.

LA COMÉDIE et LA MUSIQUE, avec un des Arts.

Ils sont tels, que nos Neveux
Refusèrent de les croire.

TOUS, ensemble.

Chantons, unissons-nous pour célébrer sa gloire.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre du Prologue fait place à une Décoration moins régulière, mais qui dans son irrégularité ne laisse pas d’avoir des beautés qui plaisent également à la vue. Elle représente une Plaine, où diverses Ruines marquent les restes de quelques Palais démolis, et le tout dans une si agréable variété, qu’elle n’a aucune partie qui ne fasse paraître quelque chose de différent. Au bout de cette Plaine on découvre une Montagne d’une grandeur prodigieuse. Elle est fertile dans le bas en Plantes et Fleurs bâtardes ; et à mesure qu’elle s’élève, elle devient aride, formant des Rochers peu remplis de verdure, et entrecoupés de chemins. Le sommet laisse voir un Palais ruiné et désert, avec un grand Horizon tout autour, en sorte que la Montagne est isolée, et paraît naturelle aux yeux.

 

 

Scène première

 

GLAUCUS, PALÉMON

 

PALÉMON.

J’admire, à dire vrai, cette délicatesse.

Silla tient votre cœur charmé,

Vous n’aspirez dans l’ardeur qui vous presse,

Qu’à l’unique bonheur de vous en voir aimé ;

Et lorsque votre rang vous peut aider à plaire,

Vous vous obstinez à le taire.

Vous passez pour un Prince illustre et glorieux,

Que l’on révère dans la Thrace,

Et c’est choisir d’assez nobles Aïeux,

Que de faire Borée Auteur de votre Race.

Borée, en ces Cantons de frimas et de glace,

S’est acquis un renom qui fait bruit en tous lieux ;

Mais lorsque d’un Rival l’amour vous embarrasse,

Si l’aimable Silla savait qu’entre les Dieux

Le Destin vous a donné place,

Vos desseins n’en iraient que mieux.

Laissez là d’un Mortel la trompeuse apparence,

Et prenez de Glaucus la fière majesté.

Pour forcer un cœur qui balance,

L’éclat de la Divinité

Manque rarement de puissance.

GLAUCUS.

Ah Palémon, crois-tu qu’on puisse avoir jamais,

Quand on est bien touché, l’âme trop délicate,

Et quelque doux penchant qui pour nos cœurs combatte,

L’amour qui contraint les souhaits,

A-t-il quelque chose qui flatte ?

Si me faisant connaître pour Glaucus,

J’obtiens que Silla me préfère,

Pourrai-je m’applaudir de ses dédains vaincus,

Quand son ambition voulant se satisfaire,

Aura plutôt en moi, pour finir mon tourment,

Regardé le Dieu que l’Amant ?

Comme Prince et Mortel, dans mon amour extrême,

Je voudrais lui pouvoir faire agréer mes vœux,

Obtenir son cœur d’elle-même,

Et la voir sensible à mes feux,

Sans qu’elle sût que c’est un Dieu qui l’aime.

PALÉMON.

Si comme dans Borée il vous a plu choisir

Le sang que vous feignez vous avoir donné l’être,

Vous l’imitiez dans le brûlant désir

Que l’amour autrefois dans son âme fit naître,

Vous n’auriez pas le goût si différent du sien.

Charmé de la belle Orithie,

Il fit l’Amant soumis, en prit le doux maintien,

Et d’abord les soupirs furent de la partie ;

Mais voyant qu’auprès d’elle ils ne servaient de rien,

Sans tenir au respect la flamme assujettie,

Il employa la force, et s’en trouva fort bien.

GLAUCUS.

Ah, ne me parle point de suivre son exemple.

Moi, tâcher d’être heureux par un enlèvement !

PALÉMON.

Soupirez donc toujours, la matière est bien ample,

Quand un Rival en est le fondement.

Silla, vous le savez, regrette Mélicerte ;

Pour ce Prince Thébain son cœur est enflammé.

GLAUCUS.

Oui, je sais qu’il en est aimé,

Et c’est la cause de ma perte.

Mais enfin tout à coup disparu de ces lieux,

Sans l’avoir préparée aux chagrins de l’absence,

Par ce départ injurieux

Il semble qu’à mon espérance

Il abandonne un bien si précieux.

Il me faut ménager un temps si favorable.

Ainsi je veux, pour fléchir sa rigueur,

Lui jurer tout l’amour dont le plus tendre cœur

Se soit jamais trouvé capable ;

Et si les vifs transports d’une si belle ardeur

La laissent à mes vœux toujours inexorable,

Je ferai briller à ses yeux

L’honneur que j’ai reçu d’être au nombre des Dieux.

Peut-être que déjà la Nymphe Galatée,

Qui sait tout le secret de mon déguisement,

Aura nommé Glaucus à Silla pour Amant.

La chose entre elle et moi s’est ainsi concertée,

Pour découvrir son sentiment ;

Et pour peu que d’un Dieu l’hommage l’ait flattée,

Si comme Prince enfin je me vois sans espoir,

Parlant comme Glaucus, j’aurai quelque pouvoir.

Ce n’est pas qu’il soit sûr qu’elle veuille se rendre.

Il est d’orgueilleuses Beautés

Qui font gloire de se défendre

De l’amour des Divinités.

Apollon autrefois fut l’Amant le plus tendre,

Et l’offre de son cœur soumis, passionné,

Ne put toucher la trop fière Daphné.

PALÉMON.

Mais à quand découvrir que le Prince de Thrace

Cache en vous ce Glaucus que l’on ne connaît pas ?

GLAUCUS.

Laisse à ma flamme encor rendre quelques combats.

Malgré ce que je souffre à voir Silla de glace,

Je perds ce que l’amour a de plus doux appas,

Si Glaucus dans son cœur peut seul me donner place.

PALÉMON.

L’Être Divin sans doute est un grand bien,

Le privilège en est commode ;

Mais pour moi, je voudrais qu’au moins ce fût la mode,

Que les Dieux pussent tout, et ne souffrissent rien

GLAUCUS.

C’est l’arrêt du Sort ; nous ne sommes

En matières de passions,

Que ce qu’ici-bas sont les Hommes ;

Et si des Transformations

Les miracles nous sont possibles

L’heur d’être plus ou moins sensibles

Ne suit pas nos intentions.

Par nous les volontés ne sont jamais forcées,

Et quand l’Amour nous a touchés,

Pénétrer dans les cœurs, lire dans les pensées,

Sont droits qui nous sont retranchés.

Il est bon après tout qu’une telle impuissance,

Laissant craindre et douter, irrite le désir.

L’incertitude anime l’espérance,

Et nous aimerions sans plaisir,

Si nous n’aimions qu’avec pleine assurance

De ne trouver aucune résistance

Dans l’Objet que l’Amour nous aurait fait choisir.

PALÉMON.

Comme je n’aime pas la peine,

J’y serais, je l’avoue, un peu moins délicat ;

Et quoique vaincre sans combat

Ne soit pas pour une âme vaine

Un triomphe de grand éclat,

J’aimerais à trouver la Victoire certaine.

Témoin les Belles que voici,

Dont chacune avec moi prend différente route.

Je vois la fière, sans souci,

Et je ne fais le radouci

Qu’auprès de celle qui m’écoute.

 

 

Scène II

 

GLAUCUS, PALÉMON, CÉLIE, MÉLISSE

 

GLAUCUS.

Quoi, seules sans Silla ?

CÉLIE.

Derrière ce Coteau

Elle a trouvé la Nymphe Galatée,

Avec qui par respect elle s’est arrêtée.

GLAUCUS.

Sans cette occasion il m’eût paru nouveau

Que vous l’eussiez ainsi l’une et l’autre quittée.

Que m’en apprenez-vous, et que dois-je espérer

Du pur amour que je lui fais paraître ?

CÉLIE.

Sa fierté peut ne pas durer ;

Mais qui risque sur un peut-être,

A quelquefois longtemps à soupirer.

MÉLISSE.

Seigneur, si vous m’en voulez croire,

Vous cesserez d’aimer qui ne vous aime pas.

Vous devez cet effort au soin de votre gloire,

Et c’est vous ravaler trop bas,

Que de céder une victoire

Dont vous voyez qu’on fait si peu de cas.

CÉLIE.

Contre l’Amour Mélisse est toujours animée,

Et dit plus qu’elle ne ferait.

MÉLISSE.

Il est vrai que jamais je n’eus l’âme enflammée ;

Mais le dépit me guérirait,

Si j’aimais un moment sans que je fusse aimée.

GLAUCUS.

Non, vos conseils sont superflus.

Mélisse, il faut que j’aime, et le Destin l’ordonne ;

Mais lorsque tout mon cœur à Silla s’abandonne,

Qu’ai-je en moi qui me doive attirer ses refus ?

Mon Rival vaut-il tant qu’elle me le préfère,

Quand il s’agit de choisir un Époux ?

Et suis-je fait d’un air...

CÉLIE.

Non, Seigneur, au contraire,

Air, taille, mine, port, tout est brillant en vous ;

Et vous auriez le cœur de quelqu’une d’entre nous,

Si quelqu’une de nous avait l’heur de vous plaire.

MÉLISSE.

Qui cherche à prévenir d’un air si gracieux,

Doit se sentir d’humeur à ne se point défendre.

CÉLIE.

Sans doute, je tiendrais le parti glorieux,

Car comme vous je ne veux pas le prendre

Sur le ton fier et sérieux ;

Mais soit dit sans blesser le pouvoir de vos yeux,

Qui vous donnent droit de prétendre

Jusqu’à la tendresse des Dieux,

Celle qu’on voit qui se défend le mieux,

Est quelquefois la plus prête à se rendre.

PALÉMON.

Célie est sans façon, et je l’aime par là.

CÉLIE.

À quoi peut servir la grimace ?

GLAUCUS.

Quoi, toujours Mélicerte est aimé de Silla,

Quoique par son absence il m’ait quitté la place ?

Il l’ose abandonner, sans qu’on sache en quel lieu

Son ingratitude l’entraîne,

Point d’excuse, aucun adieu

Et les soupirs d’un Prince, et peut-être d’un Dieu,

Ne pourront contre lui révolter l’inhumaine ?

La constance est sans doute un peu hors de saison.

CÉLIE.

Voilà ce que c’est qu’une Femme.

Quand de l’amour le doucereux poison

S’est une fois emparé de son âme,

Il la brouille si bien avecque sa raison,

Que la plus noire trahison

Peut à peine éteindre sa flamme.

J’ai beau pour vous servir peindre votre Rival

De toutes les couleurs qui repoussent l’estime.

De son éloignement j’ai beau lui faire un crime.

Silla soutient que je le connais mal,

Et croit brûler pour lui d’un feu si légitime,

Que dans l’ardeur de le revoir

Elle veut de Circé faire agir le pouvoir.

GLAUCUS.

De Circé ! Quoi, Célie...

CÉLIE.

Oui, dès aujourd’hui même

Elle songe à se rendre au Palais de Circé.

GLAUCUS.

Je l’aperçois qui vient. Ciel, faut-il que je l’aime,

Si de son cœur par ma tendresse extrême

Mon indigne Rival ne peut être chassé ?          

 

 

Scène III

 

GLAUCUS, SILLA, PALÉMON, CÉLIE, MÉLISSE

 

GLAUCUS.

Qu’avez-vous résolu, Madame ?

Dois-je toujours languir, et languir sans espoir ?

SILLA.

Je vous l’ai déjà dit, j’estime votre flamme,

Prince, et vos vœux offerts auraient touché mon âme,

Si sur moi Mélicerte eût eu moins de pouvoir.

GLAUCUS.

Doit-il le conserver, ce pouvoir qui me tue,

Quand il aime assez peu pour vous abandonner ?

Sa fuite est-elle à pardonner ?

Il vous quitte, il renonce au bien de votre vue,

Et vous voulez vous obstiner

À lui garder la foi qu’il a reçue.

SILLA.

Qu’il en soit digne, ou non, tout est égal pour vous.

Je dois toujours l’aimer, s’il m’est toujours fidèle ;

Et si de son départ la cause est criminelle,

Tous les Hommes par lui méritent le courroux,

Où pour venger ma gloire un juste orgueil m’appelle,

Et je leur dois jurer à tous,

Pour le crime d’un seul, une haine éternelle.

GLAUCUS.

Quoi, regarder ce crime ainsi qu’un attentat

Que partagent tous ceux qu’un beau feu vous attire ?

SILLA.

De l’Amour une fois on peut suivre l’empire,

Au péril de faire un Ingrat ;

Mais dès qu’on est trompé, l’épreuve doit suffire,

Et pour peu qu’elle ait fait d’éclat,

Qui de nouveau peut croire un Amant qui soupire

N’a pas sur la fierté le cœur bien délicat.

GLAUCUS.

Rigoureuse maxime ! À quoi me réduit-elle,

Si rien ne vous la fait changer ?

SILLA.

Je n’ai pas l’esprit léger ;

Et si j’aime un infidèle ;

Jamais passion nouvelle

N’aura de quoi m’engager.

GLAUCUS.

Ah, si vous connaissiez jusqu’où pour vous la mienne

Pousse les transports de mon cœur !

SILLA.

Je les crois pleins de la plus vive ardeur ;

Mais que voulez-vous qu’elle obtienne,

Lorsqu’un Dieu même éprouve ma rigueur ?

Je viens de quitter Galatée,

Qui m’a peint de Glaucus le violent amour.

Je ne l’ai qu’à peine écoutée ;

Tout cède à Mélicerte, et j’attends son retour.

GLAUCUS.

Il est juste qu’un Dieu sur un Mortel l’emporte ;

Et si Glaucus brûle pour vous,

Ce choix à votre gloire importe,

Je le verrai sans en être jaloux.

Au moins ce me fera quelque chose de doux,

Que mon malheur au plus haut rang vous porte,

Et ma douleur sera moins forte

Par l’avantage de l’Époux.

SILLA.

Prince, l’ambition ne règle point ma flamme,

Et si j’avais encor à choisir un Amant,

Je ne m’attacherais qu’au seul empressement ;

Lui seul pourrait tout sur mon âme.

Ainsi tout Dieu qu’il est, si Glaucus écouté

De mon cœur se rendait le maître,

Ce serait moins par sa Divinité,

Que par l’amour qu’il me ferait paraître.

GLAUCUS.

Quoi, d’un Dieu pour Époux faire si peu de cas,

Qu’un Mortel lui soit préférable ?

SILLA.

C’est à force d’aimer que l’on se rend aimable,

Et je ne me figure pas

Que d’un amour solide et stable

Un Dieu chérisse assez l’appas,

Pour en être longtemps capable.

GLAUCUS.

C’est mal juger des Dieux, qu’avoir ce sentiment.

SILLA.

Leur flamme est sitôt amortie,

Qu’on les peut croire tous portés au changement.

Le Soleil n’a-t-il pas abandonné Clitie,

Lui qui semblait l’aimer si tendrement ?

Croyez-moi, leur amour n’approche point du nôtre.

Si c’est gloire qu’un Dieu, quand on l’a pour Époux,

Il en faut essuyer mille chagrins jaloux ;

Et Jupiter lui-même, à le dire entre nous,

N’est pas meilleur Mari qu’un autre.

GLAUCUS.

Mais par son peu d’amour quels ennuis aujourd’hui

Ne vous cause pas Mélicerte ?

SILLA.

Il est vrai, je soupire, et ce n’est que par lui

Qu’aux soupirs mon âme est ouverte.

Il s’est éloigné sans me voir,

Sans m’apprendre en quel lieu son mauvais sort l’exile.

À le faire chercher mon soin est inutile,

Je demande, m’informe, et n’en puis rien savoir.

Son incertaine destinée

À mon esprit flottant cause mile embarras.

Il peut être infidèle, il peut ne l’être pas.

Mais enfin je puis voir ma peine terminée,

Et sortir de ce mauvais pas.

Il est un sûr moyen d’éclaircir le mystère

De son départ précipité.

GLAUCUS.

Employez-le, Madame, et faites vanité

D’étaler à mes yeux ce qui me désespère.

Pour moi, qui vois que de vous plaire

Tout espoir désormais à ma flamme est ôté,

Je ne serai plus arrêté

Par un respect qui m’est contraire.

Je vais devenir téméraire,

Et pour réduire enfin votre ingrate fierté,

Il n’est rien que je n’ose faire.

SILLA.

C’est pour l’amour un assez doux appas,

Que de chercher à se faire craindre.

GLAUCUS.

Si le mien va trop loin, ne m’en accusez pas.

C’est vous qui le voulez contraindre

À recourir aux attentats.

Pour forcer vos désirs, je vais mettre en usage

Ce qu’en vain...

SILLA.

Adieu, Prince, il faut me retirer

Pour ne rien ouïr davantage.

Je vois que votre amour commence à s’égarer,

Et vous estime assez pour vouloir ignorer

L’indiscrète chaleur où son transport l’engage.

GLAUCUS.

Madame, encor un mot.

SILLA.

Je n’écoute plus rien.

GLAUCUS.

Je vous suivrai partout, et malgré vous sans cesse

Je me plaindrai de l’ennui qui me presse.

 

 

Scène IV

 

PALÉMON, CÉLIE

 

PALÉMON.

Tout de bon, Célie, est-il bien

De se montrer ainsi Tigresse ?

CÉLIE.

Silla se pique trop d’avoir le cœur constant

Pour un Ingrat qui l’a quittée.

Pour moi, qui serais rebutée,

Si l’on m’en avait fait autant,

Je prendrais sans façon l’offre de Galatée.

PALÉMON.

Ainsi l’amour d’un Dieu te toucherait le cœur !

CÉLIE.

N’en déplaise au Prince ton Maître,

Un Dieu, plus qu’un Mortel, en aimant fait honneur ;

Et si le moindre d’eux me montrait quelque ardeur,

Malgré ce qu’en mon âme un autre aurait fait naître,

Je m’en ferais, un sensible bonheur.

PALÉMON.

Voilà comme au brillant courent toutes les Femmes.

Elles ont beau jurer fidélité,

L’amour ne tient jamais contre la qualité

Et malgré les plus belles flammes,

L’Amant au plus rang monté

Est celui qui toujours peut le plus sur leurs âmes.

CÉLIE.

Va, va, tu n’en ferais pas moins.

Malgré ce que tu m’as débité de fleurettes,

Si parmi nos Nymphes coquettes

Quelqu’une était d’humeur à recevoir tes soins...

PALÉMON.

Tes affaires alors pourraient bien être faites,

Car tu veux qu’avec toi je parle franchement.

CÉLIE.

Sans doute ; mais Silla s’avance dans la Plaine,

Il me la faut rejoindre promptement.

PALÉMON.

Nous la rattraperons, ne t’en mets point en peine.

J’ai beaucoup à te dire, écoute seulement.

CÉLIE.

Pas deux mots.

PALÉMON.

Pas deux mots ! Quoi, refuser d’apprendre...

CÉLIE.

Si le cœur te dit d’en conter,

Ces trois Belles auront tout loisir de t’entendre,

Et je veux bien te laisser coqueter.

PALÉMON.

Elles pourront longtemps m’attendre,

Je t’aime trop, pour te pouvoir quitter.

 

 

Scène V

 

FLORISE, DORINE, ASTÉRIE

 

FLORISE.

Circé doit préparer un Charme d’importance,

Puisqu’en cette Montagne elle a voulu chercher

Les Herbes qu’elle-même elle vient d’arracher,

Et dont l’entière connaissance

Est un secret qu’elle aime à nous cacher.

ASTÉRIE.

Serait-ce que déjà lasse de sa conquête,

Au Prince Mélicerte elle manque de foi,

Qu’à s’en défaire elle s’apprête,

Et qu’elle cueille ici de quoi

Le métamorphoser en Bête ?

DORINE.

C’est de tous les Amants le déplorable sort.

Après les plus fortes tendresses

Dont elle est prodigue d’abord,

Un état mille fois plus fâcheux que la mort

Devient le fruit de ses promesses.

ASTÉRIE.

Voir les uns transformés en Loups.

Les autres d’un Lion endosser la figure,

C’est une terrible aventure.

DORINE.

Ne vaudrait-il pas mieux qu’à quelqu’une de nous

Quand Circé d’un Amant a juré la disgrâce,

Elle cédât les vœux dont l’offre l’embarrasse ?

ASTÉRIE.

Pour moi, je verrais sans courroux,

Si dans son cœur Mélicerte s’efface,

Qu’il me vînt faire les yeux doux,

Et je sens je ne sais quel mouvement jaloux

De ce qu’un autre Objet le rend pour moi de glace.

DORINE.

Ainsi, ma Sœur, vous croyez bonnement,

S’il pouvait à Circé devenir infidèle,

Que vous l’engageriez à quelque attachement ?

ASTÉRIE.

Et ne suis-je pas assez belle

Pour mériter son radoucissement ?

DORINE.

Pour moi, je vous admire, et ne vois pas comment

Écouter des douceurs peut donner tant de joie.

C’est bien du temps perdu que celui qui s’emploie

À tourner sur le tendre un fade sentiment,

Et je ne sache rien...

ASTÉRIE.

Ma Sœur, c’est vainement

Que votre pruderie avec nous se déploie.

À quoi bon ce déguisement,

Vous décriez l’Amour, et pensez autrement,

Car enfin votre cœur est fait comme le nôtre ;

Et s’il vous venait un Amant,

Vous le prendriez comme une autre.

DORINE.

En voici pour nous à choisir.

Trois satyres ici viennent pour nous surprendre.

ASTÉRIE.

Comme sans nul péril nous pouvons les entendre,

Il faut s’en donner le plaisir.

FLORISE.

Vous n’en craignez point l’insolence ?

ASTÉRIE.

Circé n’est qu’à dix pas de nous,

Et nous aurons par elle une sûre vengeance

S’ils méritent notre courroux.

 

 

Scène VI

 

FLORISE, DORINE, ASTÉRIE, TROIS SATYRES

 

PREMIER SATYRE.

Vous n’échapperez pas ; nous vous tenons, les Belles.

FLORISE.

Ah, ma Sœur.

SECOND SATYRE.

Contre nous vos efforts seront vains.

Le seul moyen de sortir de nos mains,

C’est de n’être point cruelles.

ASTÉRIE.

Vous êtes d’accommodement ?

Encor est-ce pour nous une assez bonne affaire.

Ça, regardons ce qu’il faut faire,

Mais surtout point d’emportement.

PREMIER SATYRE.

Il faut vivre pour nous, et chercher à nous plaire.

ASTÉRIE.

Il est bon de savoir comment.

Avec vous volontiers, en nous prenons pour Femmes,

Nous irons habiter les Bois.

TROISIÈME SATYRE.

C’est bien notre affaire à tous trois.

PREMIER SATYRE.

S’il ne tient qu’à cela, l’hymen joindra nos âmes ;

Voici celle dont je fais choix.

SECOND SATYRE.

Ne te hâte point tant, c’est celle

À qui je veux donner ma foi.

PREMIER SATYRE.

J’ai parlé le premier, je l’aurai.

SECOND SATYRE.

Bagatelle.

Tu prétends me faire la loi ?

PREMIER SATYRE.

C’est un arrêt donné sans retour.

TROISIÈME SATYRE.

J’en appelle.

PREMIER SATYRE.

Tu t’en veux mêler ?

TROISIÈME SATYRE.

Et pourquoi

Voudrez-vous tous deux la plus belle,

Étant tous deux plus laids que moi ?

SECOND SATYRE.

Je suis plus laid ? Voyez sa mine.

Mal figuré, trapu, courtaud.

TROISIÈME SATYRE.

À cause de sa taille, il veut le porter haut ;

Mais qu’il approche, il est d’une odeur fine

À mettre le cœur en défaut.

ASTÉRIE.

C’est pousser trop loin la querelle,

Je sais pour la finir un moyen glorieux.

Celui des trois qui chantera le mieux,

Choisira de nous la plus belle.

PREMIER SATYRE.

D’accord.

SECOND SATYRE.

Je le veux bien.

TROISIÈME SATYRE.

Rien ne peut être mieux.

PREMIER SATYRE.

Silence à ma chanson nouvelle.

Chanson du premier Satyre.

Deux beaux yeux me charment,
Leurs traits me désarment ;
Mais s’ils ne sont doux,
Nargue de leurs coups.
J’aime une Maîtresse
Qui me tend les bras.
Fi de la rudesse.
Avec mille appas
La Beauté tigresse
Ne me plairait pas.

Qu’est-ce ? et bien ? n’ai-je pas une voix qui résonne ?

ASTÉRIE.

Elle a de quoi nous charmer.

SECOND SATYRE.

Pour cesser de l’estimer,

Écouter comme j’entonne.

Chanson du second Satyre.

Un jour la jeune Lisette
Couchée à l’ombre d’un Bois,
Disait d’une triste voix,
Hélas ! hélas ! faut-il rêver seulette,
Et ne pourrait-on quelquefois
Se trouver deux à rire sur l’herbette ?
Un Berger survint
Qui lui tint
Bonne et douce compagnie.
Sur la rencontre au Bois, dès qu’on en eut le vent,
On fit jaser la Calomnie,
Qui mit cent contes en avant ;
Mais Lisette laissa médire.
Le Berger l’avait fait rire,
Elle y retourna souvent.
Ma voix ? est-il rien de si doux ?

DORINE.

Vous avez fait tous deux merveilles !

TROISIÈME SATYRE.

Ce n’est encor là rien, apprêtez vos oreilles.

 

 

Scène VII

 

FLORISE, DORINE, ASTÉRIE, TROIS SATYRES,  DEUX AUTRES SATIRES qui surviennent

 

QUATRIÈME SATYRE.

Ah, ah, Troupe gaillarde, il fait bon avec vous.

PREMIER SATYRE.

Halte-là.

CINQUIÈME SATYRE.

Vous pensiez avoir chacun la vôtre,

Mais vous n’avez qu’à décompter.

SECOND SATYRE.

Ah, s’il ne tient qu’à disputer...

QUATRIÈME SATYRE.

Prenez-en votre part, et nous donner la nôtre ;

Quand on parle raison, il la faut écouter.

ASTÉRIE.

Avec eux avant vous nos pactions sont faites ;

Sous les lois de l’hymen ils nous donnent leur foi.

CINQUIÈME SATYRE.

De l’hymen ? Ah, je m’en ris, moi,

Ce sont là de belles défaites.

TROISIÈME SATYRE.

Le pas est un peu hasardeux.

Si nous faisons jouer la massue...

QUATRIÈME SATYRE.

Pour n’avoir rien à débattre avec eux,

De ce côté tourne la vue,

Celle qui vient suffira pour nous deux.

Elle seule elle vaut plus que les trois ensemble.

CINQUIÈME SATYRE.

J’en suis charmé.

 

 

Scène VIII

 

FLORISE, DORINE, ASTÉRIE, CIRCÉ, CINQ SATYRES

 

CINQUIÈME SATYRE, à Circé.

Ma Reine, il se peut...

CIRCÉ.

Insolent.

C’est Circé qui paraît, que chacun de vous tremble.

ASTÉRIE.

L’amour à fuir ne les rend pas trop lents.

DORINE.

Voici pour eux des paroles terribles.

FLORISE.

Ils ne s’attendaient guère à ce fâcheux revers.

QUATRIÈME SATYRE.

Tenons bon.

CIRCÉ.

Contre moi ?

QUATRIÈME SATYRE.

Voir tant de biens offerts,

Et ne pas...

CIRCÉ.

C’en est trop. Vous, Esprits invisibles,

À qui je rends toutes choses possibles,

Portez-les loin d’ici par le milieu des airs.

Les cinq Satyres sont enlevés, deux dans les deux côtés du Théâtre, et les trois autres sur le Cintre.

ASTÉRIE.

C’est là pour nous tirer d’affaires

Prendre des chemins assez courts.

CIRCÉ, à ses Nymphes.

Allez, laissez-moi seule en ces lieux solitaires.

 

 

Scène IX

 

GLAUCUS, CIRCÉ

 

GLAUCUS.

Madame, je venais vous offrir du secours

Contre d’infâmes Téméraires ;

Mais le prompt châtiment que vient de recevoir

Leur insolence extrême,

Me convainc de votre pouvoir.

Vous n’avez eu contre eux que de vous-même,

Et d’un seul mot leur espoir renversé

Me fait connaître en vous la fameuse Circé.

CIRCÉ.

Vous ne vous trompez point, j’ai le Soleil pour Père,

Et je tiens de lui ce grand Art,

Qui dans tous les lieux qu’il éclaire,

Aux honneurs de son rang me donne tant de part.

Je ne puis cependant m’applaudir trop du zèle

Qui vous intéresse pour moi.

Il part de l’âme la plus belle,

Et je voudrais savoir à qui je dois

Ce qui rendra pour vous mon estime éternelle.

Si par ce qui brille à mes yeux,

L’air, le port, la taille, la mine,

Je puis de votre sang pénétrer l’origine,

La source en doit venir des Dieux,

Et pour vous le Destin...

GLAUCUS.

Je l’avouerai, Madame.

Le Destin m’a comblé d’honneurs jusqu’à ce jour,

Et le rang que je tiens dans une illustre Cour

Aurait de quoi satisfaire mon âme,

Si j’étais content de l’amour ;

Mais une Nymphe ingrate autant qu’elle est aimable,

Silla, la charmante Silla,

Par une rigueur incroyable,

Ne peut souffrir mes vœux, les rejette, et c’est là

De tous les maux pour moi le plus insupportable.

Son cœur d’un autre amour dès longtemps prévenu,

Traite mes plaintes d’indiscrètes.

Mélicerte...

CIRCÉ.

Ce nom ne m’est pas inconnu,

Et je sais par lui qui vous êtes.

Jusque dans mon Palais votre amour a fait bruit.

On y plaint le Prince de Thrace,

Que trop d’aveuglement réduit

À la honteuse et sensible disgrâce

De pousser des soupirs dont un autre a le fruit.

GLAUCUS.

Il n’en est point de plus cruelle.

Mes maux passent tous ceux qui se peuvent offrir ;

Mais est-il honteux de souffrir,

Lorsque la cause en est si belle ?

Tout ce qu’un rare Objet eut jamais de charmant,

Tout ce qui peut toucher une âme,

Silla...

CIRCÉ.

Vous parlez en Amant ;

Mais enfin vos chagrins naissant de votre flamme,

J’y puis donner quelque soulagement.

GLAUCUS.

Que me dites-vous ? Quoi, Madame,

Vous ferez que silla finisse mon tourment ?

CIRCÉ.

Je ferai que l’Amour propice

Répare vos transports jaloux

Par tout ce qu’il a de plus doux ;

Mais il faut que le Charme avec vous s’accomplisse,

Ce sont vos intérêts, je ne puis rien sans vous.

Dans mon Char je vous offre place.

Mes Dragons emplumés qui le tiennent en l’air,

Vers moi seront prêts à voler

Au moindre signe que je fasse.

Le voilà qui descend. Prince, ne craignez rien,

Lorsque Circé vous sert de guide.

GLAUCUS.

Est-il quelques périls dont l’amour s’intimide,

Quand il est fort comme le mien ?

Glaucus entre dans le Char de Circé, qui l’enlève par l’air avec elle dans son Palais.

 

 

ACTE II

 

L’Art et la Nature ont également part à ce qui fait la Décoration de cet Acte. Cette grande Montagne qui a paru dans le premier, s’abîme d’une manière aussi surprenante qu’elle s’était élevée, et laisse paraître en sa place un Jardin rempli de Berceaux, de Fontaines, de Plantes, de Fleurs, de Vases, sur lesquels sont des Enfants montés sur des Cygnes qui jettent de l’eau. On y voit encore d’autres Vases de porcelaine, de terre ciselée, et de marbre blanc. Les ornements en sont d’or, et ces Vases sont remplis d’Orangers, d’Arbres fruitiers, et de Fleurs naturelles.

 

 

Scène première

 

PALÉMON, FLORISE, DORINE, ASTÉRIE

 

FLORISE.

Allez rejoindre votre Maître,

Et nous laissez ici travailler en repos.

PALÉMON.

C’est me chasser un peu mal à propos.

Comme nouveau venu, peut-être

J’ai droit de vous dire trois mots.

ASTÉRIE.

Ma Sœur, quand il en dirait quatre,

Je crois qu’il n’en serait que mieux.

Pourquoi de votre sérieux

Ne vouloir jamais rien rabattre ?

Il faut rire, autrement les jours sont ennuyeux.

PALÉMON.

Vous avez le goût bon, ma chère,

La joie est toujours de saison.

DORINE.

Je le crois d’humeur...

PALÉMON.

À tout faire.

Badin, tant qu’il est nécessaire,

Même un peu plus que de raison.

ASTÉRIE.

Il faudra faire connaissance,

Après, ne soit point en souci ;

Les plaisirs semblent naître ici,

On les y trouve en abondance.

Mais qui t’a découvert qu’au Palais de Circé

Ton Maître parmi nous s’était laissé conduire ?

PALÉMON.

Quand dans le Char il s’est placé,

Je n’étais qu’à vingt pas, et venais pour l’instruire

Du départ de l’Objet dont son cœur est blessé.

Silla vers ce Palais a déjà pris sa route ;

Pour en donner avis je suis vite accouru.

DORINE.

Quoi, presque en un moment ?

PALÉMON.

Sans doute,

Circé sortait du Char lorsqu’ici j’ai paru.

Comme mon Maître est du sang de Borée,

Pour tous ceux de sa Suite il a des Vents Follets,

Qui pour les transporter où tendent leurs souhaits,

Sont une voiture assurée.

L’un d’eux d’un vol léger m’a mis dans ce Palais.

ASTÉRIE.

Pour ton Maître Silla va n’être plus à craindre,

Il est d’autres appas qui toucheront son cœur.

PALÉMON.

Je doute qu’à changer on le puisse contraindre.

Silla seule lui plaît, et malgré sa rigueur

Il chérit trop les feux pour les laisser éteindre.

DORINE.

Ce n’est pas avec nous qu’il doit faire le fier.

Pour confondre l’orgueil, le réduire aux prières,

Nos Herbes sont à craindre, et les âmes altières

Trouvent ici peu de quartier.

PALÉMON.

Faites de votre mieux, mon Maître a des lumières

Qui le rendront aussi Sorcier

Que vous pourrez être Sorcières.

ASTÉRIE.

Puisque tu nous braves pour lui,

Tu n’as qu’à l’avertir qu’il songe à se défendre.

PALÉMON.

J’y cours. Si vous voulez le forcer à se rendre,

Travaillez-y dès aujourd’hui,

Et garder seulement d’être prises sans prendre.

 

 

Scène II

 

FLORISE, DORINE, ASTÉRIE

 

DORINE.

Je ne sais s’il croit qu’au besoin

Son Maître contre nous aura de quoi suffire ;

Mais de nous épargner il ne prend guère soin.

FLORISE.

En badinant voilà ce qu’on s’attire.

Le grand plaisir de vous être fait dire

Qu’on ne vous craint ni de près, ni de loin !

Pour moi, qui me suis mise à composer un Charme

Pour guérir un Mari de son ombre jaloux,

Je pense avoir fait mieux que vous.

C’était un éternel vacarme,

Je l’apaise, et rejoins l’Épouse avec l’Époux.

ASTÉRIE.

La paix ainsi par moi n’aurait pas été faite ;

Et comme des Jaloux de tous temps on a ri,

Pour faire crever le Mari,

J’aurais rendu la Femme si coquette,

Que rien n’aurait jamais guéri

Les visions de son âme inquiète.

Après tout, qui voudrait de près y regarder,

C’est bien aux Maris à gronder,

Si quelquefois de tendres flammes

S’allument dans nos jeunes cœurs.

Que ne sont-ils les Galants de leurs Femmes ?

On n’en chercherait point ailleurs.

DORINE.

Tous les Maris n’ont pas tant de délicatesse,

Et j’en sais de moins scrupuleux,

Qui des Galants qui vont chez eux

Ménageant l’utile tendresse,

N’ont besoin de notre pouvoir

Que pour être sans yeux, quand il faut ne rien voir.

ASTÉRIE.

Que direz-vous d’un tas de Belles

Qui donnent le champ libre à cent regards errants.

Et qui pour voir leur Cour grossit de Soupirants,

Me font à tous moments pour elles

Faire des Charmes différents ?

Encor tout de nouveau j’en ai deux de commande

Pour reblanchir des Lis effacés par les ans.

À moins qu’avec nous l’on s’entende,

L’âge fait de vilains présents

Dont la beauté n’est pas bonne marchande.

FLORISE.

Ce sont là des emplois légers,

Les miens sont de plus d’importance.

Un Brave qui n’a pas une entière assurance,

Quand il s’agit d’affronter les dangers,

A mis en moi son espérance.

Pour le garantir de l’effroi

Qui rend des plus hardis la valeur étouffée,

J’ai promis de le rendre Fée.

Étant invulnérable, il trouvera de quoi

S’acquérir les honneurs du plus brillant Trophée ;

Et pour comblez ses vœux, Circé... Mais je la vois.

 

 

Scène III

 

CIRCÉ, FLORISE, DORINE, ASTÉRIE

 

CIRCÉ.

Allez dire au Prince de Thrace,

Que s’il veut me parler, je vais l’attendre ici.

Et vous, par qui la joie en tous lieux trouve place,

Préparez quelques Voix dont la douceur efface

Les chagrins que lui cause un amoureux souci.

Florise et Astérie rentrent.

DORINE.

Quand pour favoriser l’ardeur qu’il a de plaire

À l’Objet inhumain qui confond son espoir,

Vous employez votre pouvoir,

S’il m’est permis de ne rien taire,

Je crains bien qu’en vous laissant voir,

Vous-même n’empêchiez ce que vous pensez faire.

Vos yeux n’eurent jamais un si brillant éclat,

Pour le Prince déjà ma pitié s’en alarme.

Tout ce qu’a la Beauté de fin, de délicat...

CIRCÉ.

Tout de bon, trouves-tu que mes yeux...

DORINE.

C’est un charme.

CIRCÉ.

Te parais-je touchante ; et si dans cet état

À quelque cœur altier je vais livrer combat,

Penses-tu que je le désarme ?

DORINE.

N’en doutez point ; pour moi je ne le cache pas.

Quand mes plus tendres vœux offerts à quelque Belle,

M’auraient par cent serments soumis à ses appas,

Dès que je vous verrais, je serais infidèle.

CIRCÉ.

J’ai l’affront cependant (et tu m’en vois rougir)

Que le Prince m’ait vue, et ne m’est point aimée.

L’ardeur de le toucher a beau me faire agir,

Silla seule en est estimée ;

Silla l’occupe tout, et s’il pousse un soupir,

C’est Silla qui l’arrache à son âme charmée.

Je l’ai quitté d’abord pour lui donner le temps

De réfléchir sur ma rencontre ;

Mais en vain à ses yeux de nouveau je me montre,

Le nom de ce qu’il aime est tout ce que j’entends ;

Et quand Silla par moi devrait être effacée,

Silla plus que jamais règne dans sa pensée.

DORINE.

J’avais cru qu’exprès avec lui

Vous aviez suspendu le pouvoir de vos Charmes.

CIRCÉ.

Non, Dorine, et par là je juge de mon ennui.

Si mes yeux sont de sûres armes,

Pour l’attaquer j’en ai cherché l’appui.

Ils n’ont pu rien ces yeux à qui je dois la gloire

De m’assujettir tous les cœurs ;

Ils m’ont sur Mélicerte obtenu la victoire,

Lui pour qui, si je l’en veux croire,

Cette même Silla n’eut jamais de rigueurs ;

Et le Prince de Thrace aurait seul l’avantage

De ne pas soupirer pour moi ?

Non, non, il me viendra soumettre son hommage ;

C’est une indispensable loi

Dont il n’est rien qui le dégage.

Mon Art de sa fierté sera victorieux.

Je viens de m’en servir pour être plus aimable,

Et c’est de là que vient cet éclat redoutable

Que tu vois briller dans mes yeux.

Non que le Prince à tel point m’ait charmée,

Que la douceur d’en être aimée

Ait de quoi plus longtemps mériter mes désirs.

Ses peines seulement à mon cœur seront chères,

Et je mettrai tous mes plaisirs

À lui voir perdre des soupirs

Que j’aurai rendus nécessaires.

DORINE.

Et dans cet imprévu revers

Que deviendra l’amoureux Mélicerte ?

CIRCÉ.

Qu’il reprenne ses premiers fers,

Ils le pourront consoler de ma perte.

Pourquoi, quand par le temps l’amour est abattu,

Opposer la constance au dégoût qui l’accable,

Et ne pas s’affranchir, par un choix agréable,

De la ridicule vertu

D’aimer ce que le cœur ne trouve plus aimable ?

D’abord pour Mélicerte, il le faut confesser,

Tout mon plaisir était de le voir s’empresser

À me venir expliquer sa tendresse.

Ses soins ne pouvaient me lasser.

Je sens qu’enfin ce plaisir cesse ;

C’est assez pour permettre à l’amour de cesser.

DORINE.

Ainsi se piquer de constance,

N’est pas une vertu propre à nos jeunes ans ?

CIRCÉ.

Sans te dire ce que je pense

De ces feux tendres et constants

Dont tu veux prendre la défense,

Je m’en tiens à l’expérience.

Tout plaisir ne l’est plus, s’il dure trop longtemps.

L’habitude d’aimer porte à l’indifférence ;

Et si jamais deux cœurs en amour sont contents,

C’est seulement lorsqu’il commence.

DORINE.

Si l’amour en naissant charme tous nos désirs,

Il est malaisé... Mais, Madame,

Mélicerte...

CIRCÉ.

Il lui va coûter quelques soupirs,

S’il vient me parler de sa flamme.

 

 

Scène IV

 

CIRCÉ, MÉLICERTE, DORINE

 

MÉLICERTE.

Enfin vous voilà de retour,

Vous, ma Princesse, en qui je vis plus qu’en moi-même.

Je vous avais perdue. Hélas ! qu’un demi-jour

À passer sans voir ce qu’on aime,

Est un dur supplice à l’amour !

Depuis que vous êtes rentrée,

En vain j’ai fait deux fois le tour de ce Palais.

Toujours votre retraite a trompé mes souhaits,

Vous ne vous êtes point montrée.

Consolez-m’en, de grâce, et puisque tous mes soins

Regardent celui de vous plaire...

CIRCÉ.

J’avais cherché ce lieu pour rêver sans témoins,

Laissez-m’en la douceur, elle m’est nécessaire

Contre certain chagrin que j’attendais le moins.

MÉLICERTE.

De cet accueil que faut-il que j’augure ?

L’orage est prêt à s’élever ;

De la Foudre déjà j’entends le sourd murmure,

Madame...

CIRCÉ.

Je ne sais ce qui peut arriver ;

Mais qui n’a jusqu’ici demandé qu’à rêver,

Ne vous a pas fait grande injure.

MÉLICERTE.

Me le demandez-vous, quand vos désirs contents

Renfermaient votre joie au plaisir de m’entendre ?

Plus je cherchais à vous faire comprendre

Jusqu’où...

CIRCÉ.

Chaque chose a son temps ;

Puisque vous l’ignorez, je veux bien vous l’apprendre.

MÉLICERTE.

Ainsi je ne suis plus ce trop heureux Amant,

Dont l’amour semblait seul être digne du vôtre.

Vous allez oublier son tendre emportement,

Et ce qu’il eut pour vous de flatteur, de charmant,

Vous le sentirez pour un autre.

CIRCÉ.

L’Amant qui veut empêcher

Un changement qui l’irrite,

S’y prend mal de reprocher

Que pour un autre on le quitte.

Sans se montrer alarmé

De la peur qu’on ne préfère

Un Rival plus estimé ;

Qu’il trouve toujours à plaire,

Il sera toujours aimé.

MÉLICERTE.

Je suis pour vous toujours le même,

Toujours la même ardeur vous répond de ma foi ;

Mais que peut penser cet amour extrême,

À moins que votre cœur ne soit toujours pour moi ?

CIRCÉ.

S’il est vrai que malgré l’outrage

Qu’en recevront vos feux jaloux,

L’intérêt de mon cœur à vous quitter m’engage,

S’agissant de me faire un sort heureux et doux,

À qui de mon cœur, ou de vous,

Dois-je déférer davantage ?

MÉLICERTE.

Ah, puisque vous étiez capable de changer,

Pourquoi m’avoir tiré de mes premières chaînes ?

Le poids m’en paraissait bien léger ;

Et ravi que l’Amour m’en eût voulu charger,

J’ignorais qu’en aimant il pût être des peines.

M’enlevant en ces lieux, vous m’avez malgré moi

Fait à Silla manquer de foi...        

CIRCÉ.

Vous lui pouviez être fidèle ;

Mais c’est un feu facile à rallumer

MÉLICERTE.

Que je cesse de vous aimer !

Ah ! Plutôt...

CIRCÉ.

Non, suivez l’amour qui vous appelle.

Silla vaut ce retour ; elle est jeune, elle est belle,

Sait mieux que moi l’art de charmer,

Et je ne suis plus rien auprès d’elle.

MÉLICERTE.

Faites donc que les Dieux affaiblissent ces traits

Qui nous offrent en vous leur plus brillante image.

Rien n’est capable ailleurs d’attirer mes souhaits ;

Et comme un nouveau charme à qui tout doit hommage

Semble aujourd’hui de vos attraits

Avecque plus de force étaler l’avantage,

J’ai pour vous plus d’amour que je n’en eus jamais.

CIRCÉ.

C’est trop ; en attendant des réponses plus claires,

Songez qu’aux Importuns je sais ce que je dois,

Et que mes volontés étant ma seule loi,

Ce n’est pas le moyen d’avancer ses affaires,

Que de s’obstiner avec moi.

MÉLICERTE.

Madame...

CIRCÉ.

Allez, et craignez ma vengeance,

Si vous osez mériter mon courroux.

MÉLICERTE.

Ciel, à quoi me réduisez-vous,

S’il faut aimer sans espérance

De recevoir jamais un traitement plus doux ?

 

 

Scène V

 

CIRCÉ, DORINE

 

DORINE.

On est à moins inconsolable.

Quand à sa flamme il voit l’espoir ôté,

Vous vous montrez à ses yeux plus aimable

Que vous n’avez jamais été ;

Et vous voulez qu’il soit capable

De souffrir le coup qui l’accable,

Sans se plaindre qu’on l’a quitté ?

CIRCÉ.

Qu’il s’en plaigne, qu’il en murmure,

Je verrai ses ennuis d’un esprit satisfait,

Pourvu qu’à réparer ce qu’on m’a fait d’injure

Mon Charme ait son entier effet.

Le Prince en me voyant, ne m’a pas estimée

Digne de son attachement ;

Pour l’en punir, je veux en être aimée.

Je veux que le plaisir de traiter fièrement

Ce qu’un imprévu changement

Fera sentir d’ardeur à son âme enflammée,

Serve dans mon ressentiment

À venger ma gloire, alarmée

De n’avoir pu d’abord l’acquérir pour Amant.

DORINE.

Quand pour tâcher à vous rendre sensible

Vous le verrez à vos genoux,

Vous n’en croirez plus tant l’emportement jaloux

Qui contre lui vous montre tout possible ;

Et comme laisser vaincre un orgueilleux courroux

Est en amour quelque chose de doux,

Vous ne serez pas invincible.

CIRCÉ.

Tu verras si ma gloire oublie à se venger,

Quand elle a reçu quelque outrage.

Mais il vient, prenons un visage

Dont la douceur ait de quoi l’engager

À m’offrir de ses vœux le plus soumis hommage.

 

 

Scène VI

 

GLAUCUS, CIRCÉ, PALÉMON, DORINE

 

CIRCÉ.

Et bien, Prince ? avez-vous trouvé dans mon Palais

Les merveilles qu’on en publie,

Et l’heur d’y pouvoir vivre en paix

Peut-il mériter qu’on oublie

Qu’il soit ailleurs des biens à flatter les souhaits ?

GLAUCUS.

Ce qui s’offre à mes yeux passe toute croyance.

Tout brille ici partout d’un éclat sans pareil,

Et par plus de magnificence

L’illustre Fille du Soleil

Ne pouvait soutenir l’honneur de sa naissance

CIRCÉ.

Je puis à ce Jardin ajouter des beautés

Capables de toucher votre âme.

Naissez, Berceaux, et par vos raretés

Charmez si bien ses yeux, qu’il se plaise...

Un Berceau s’élève tout à coup, soutenu par des Statues de bronze qui le ferment, et en sont comme les Supports. Il est embelli d’un Bassin avec un Jet d’eau ; et environné de plusieurs Grenouilles, sur lesquelles il y a de petits Enfants assis.

GLAUCUS.

Ah, Madame,

Perdez cet obligeant souci ;

Il n’en faudrait pas tant pour me charmer ici.

Un seul bien...

CIRCÉ.

Quel qu’il soit, s’il est en ma puissance,

Parlez, je ne réserve rien.

GLAUCUS.

Après une telle assurance,

Quel bonheur est le mien ?

Oui, Madame, de vous dépend ce que j’espère.

C’est dans votre Palais que mon cœur satisfait

Peut n’avoir plus aucuns souhaits à faire,

J’y jouirai d’un heur parfait ;

Et si de vos bontés rien n’empêche l’effet,

Point de félicité qui puisse ailleurs me plaire.

Charmé, dégagé de souci,

Vous me verrez, par d’éternels hommages,

Tâcher de mériter les heureux avantages

Que je puis rencontrer ici.

DORINE, à Circé.

Il vous aime, en voilà d’assez clairs témoignages.

CIRCÉ.

Dorine, tout va bien, le Charme a réussi.

À Glaucus.

Sans m’expliquer votre reconnaissance,

Dites-moi seulement ce que je suis pour vous.

GLAUCUS.

Prendre pitié d’un feu dont les charmes trop doux

Ont trouvé mon cœur sans défense.

Tout ce que du Ciel en courroux

Peut la plus sévère vengeance,

C’est de faire qu’on aime avecque violence,

Sans être aimé de qui peut tout sur nous.

CIRCÉ.

Cet amour sur votre âme a-t-il assez d’empire,

Pour vous faire immoler à sa naissante ardeur...

GLAUCUS.

Quoi, vous doutez des transports qu’il m’inspire ?

Ah, si vous ne pouvez pénétrer dans mon cœur,

Croyez ce que mes yeux s’empressent de vous dire.

Voyez-les tout remplis de ce brûlant amour

Qui cherche par eux une voie

À pouvoir se montrer au jour.

J’ai su que Silla vient dans ce charmant séjour.

Daignez l’y retenir ; pourvu que je la voie,

Tous les plaisirs pour moi vont être de retour.

Vivre avec elle ici, me comblera de joie.

Malgré ses indignes mépris,

Mes soins fortifiés du secours de vos Charmes,

Forceront sa rigueur à rendre enfin les armes.

Souffrez l’espoir que j’en ai pris ;

Si vous êtes pour moi, ma flamme est sans alarmes.

CIRCÉ.

J’ai cru qu’ayant à faire choix...

Songez-vous que peut-être...

 

 

Scène VII

 

GLAUCUS, CIRCÉ, ASTÉRIE, PALÉMON, DORINE

 

CIRCÉ.

Approchez, Astérie,

Est-on prêt à chanter ?

ASTÉRIE.

Oui, Madame.

CIRCÉ.

La voix

M’a toujours fort touchée. Écoutons, je vous prie,

Vous me direz le reste une autre fois.

Dialogue de Sylvie et de Tircis, qui se chante.

TIRCIS.

Pourquoi me fuyez-vous, ô Beauté trop sévère,
Quand d’un si tendre amour j’ai le cœur enflammé !

SILVIE.

Je fuis ce que je sens qui commence à me plaire ;
Si je vous écoutais, vous pourriez être aimé.

TIRCIS.

Quoi, toujours, aimable Inhumaine,
Refuser de m’entendre ? Eh de grâce, deux mots.

SILVIE.

L’Amour cause de la peine,
Et je veux vivre en repos.

TIRCIS.

Est-il des plaisirs sans tendresses ?

SILVIE.

Est-il de l’Amour sans chagrin ?

TIRCIS.

Par l’Amour tout chagrin cesse.

SILVIE.

Tous les plaisirs par l’Amour prennent fin.

TIRCIS.

C’est une erreur ; dans le bel âge,
Il faut aimer pour vivre heureux.

SILVIE.

Ne me dites rien davantage.

TIRCIS.

Soulagez les ennuis de mon cœur amoureux.

SILVIE.

Que vous sert que le mien soupire ?

TIRCIS.

Ah Silvie !

SILVIE.

Ah Tarcis !

TOUS DEUX, ensemble.

Unissons nos soupirs.

TIRCIS.

Aimons-nous.

SILVIE.

Douce peine !

TIRCIS.

Agréable martyre !

SILVIE.

Il fait tout mon bonheur.

TIRCIS.

Il fait tous mes désirs.

TOUS DEUX, ensemble.

Pour goûter les plus doux plaisirs,
Ne nous lassons jamais de nous le dire :
Aimons-nous. Douce peine ! Agréable martyre !

SILVIE.

La liberté m’était un lien si doux !

TIRCIS.

Vaut-il ceux que l’Amour offre dans son Empire ?

SILVIE.

Je la perds, c’en est fait.

TIRCIS.

Vous en repentez-vous ?

SILVIE.

Ce n’est pas de quoi je soupire.

TIRCIS.

Ah Silvie !

SILVIE.

Ah Tircis !

TOUS DEUX, ensemble.

Unissons nos soupirs.

TIRCIS.

Aimons-nous.

SILVIE.

Douce peine !

TIRCIS.

Agréable martyre !

SILVIE.

Il fait tout mon bonheur.

TIRCIS.

Il fait tous mes désirs.

TOUS DEUX, ensemble.

Pour goûter les plus doux plaisirs,
Ne nous lassons jamais de nous le dire,
Aimons-nous. Douce peine ! agréable martyre !

CIRCÉ.

Vous voyez de quelles douceurs

L’Amour souffre aux Amants la flatteuse espérance,

Quand il prend soin d’unir leurs cœurs.

GLAUCUS.

On oublie aisément ce qu’il eut de rigueurs,

Lorsque cette union en est la récompense.

Par vous avec Silla je la puis espérer.

Vos Charmes n’ont jamais trouvé rien d’impossible ;

Et cette charmante Inflexible

Pour qui l’amour me force à soupirer,

Dès que vous parlerez, aura le cœur flexible.

CIRCÉ.

Si vous n’obtenez que par moi

L’heureux succès que votre amour espère,

Cette douceur aura-t-elle de quoi

Vous assurer ce qui doit seul vous plaire ?

Pour bien goûter le plaisir d’être aimé,

Il faut ne le devoir qu’à l’ardeur de sa flamme.

De Silla qui vous fuit êtes-vous si charmé,

Qu’un autre Objet dont vous toucheriez l’âme

Ne pût de vous être estimé ?

Laissez agir votre mérite.

Il est mille Beautés, qui pour vous rendre heureux,

Se plairont à répondre à vos soins amoureux ;

La gloire à changer vous invite.

GLAUCUS.

Est-il rien de plus rigoureux ?

Quel conseil ! à Silla devenir infidèle !

Silla qu’on ne peut voir sans se faire une loi...

CIRCÉ.

Elle a tout ce qui peut mériter votre foi ;

Mais si vous ne changiez pour elle,

Qu’afin de vous donner à moi,

Heureux par cet amour, auriez-vous tant de quoi

Nommer la Fortune cruelle ?

GLAUCUS.

La gloire d’être aimé de vous

Devrait m’être un bonheur sensible,

À remplir mes vœux les plus doux ;

Mais, Madame, l’amour par un charme invincible,

Dispose de nous malgré nous.

Quoique Silla me livre à cent peines secrètes,

Sille seule peut plaire à mon cœur amoureux.

Pour Silla seule il peut former des vœux,

Et toute aimable que vous êtes,

Vous ne pourriez me rendre heureux.

CIRCÉ.

Tremblez de l’aveu que vous faites,

Oser à mon amour préférer d’autres feux !

J’en dis trop, mais Circé n’est pas accoutumée

À contraindre des sentiments.

S’il me plaît de choisir, je n’ai que trop d’Amants ;

Mais lorsque je m’abaisse à souffrir d’être aimée,

C’est vouloir voir ma haine à punir animée,

Que m’opposer d’autres engagements.

Pour de moindres mépris j’ai répandu la honte

Du sort le plus injurieux,

Sur des Rois dont j’ai fait la terreur de ces lieux.

Il faut d’une vengeance aussi juste que prompte,

Étaler la peine à vos yeux.

On voit paraître divers Animaux, Lions,

Ours, Tigres, Dragons, et Serpents.

En Bêtes transformés, pour m’avoir su déplaire,

Voyez-les à regret souffrir encor le jour,

Et si vous dédaignez l’offre de mon amour,

Craignez l’horreur de ma colère.

GLAUCUS.

La menace, Madame, est pour se faire aimer

Un moyen dont je crois le succès un peu rare.

Je l’entends sans m’en alarmer,

Et quoi que ces Objets me fassent présumer

Du sort honteux qu’on me prépare,

L’amour règne en mon cœur, et l’a trop su charmer,

Pour souffrir lâchement que l’effroi s’en empare.

CIRCÉ.

Quoi, jusqu’à me braver vous poussez vos dédains,

Connaissant qui je suis, et ce que je puis faire ?

Encor un coup redoutez ma colère.

À me fléchir vos efforts seront vains,

Si j’écoute l’amour qui la force à se taire.

Je n’ai qu’à dire un mot, et ces fiers Animaux

Fondant sur vous pour venger mon injure,

De l’un d’eux aussitôt vous prendrez la figure.

Vous me regretterez, et pour comble de maux...

GLAUCUS.

Le Ciel pourra détourner l’aventure,

Et les forces dont les Dieux m’ont fait part,

Mettront peut-être obstacle au pouvoir de votre Art.

CIRCÉ.

De la témérité passer à l’insolence !

Prétendre que les Dieux appuyant vos projets...

Ah, c’en est trop, il faut punir cette arrogance,

Fiers Ministres de ma vengeance,

Avancez, il est temps, et je vous le permets.

GLAUCUS.

Et moi, qui sais confondre une injuste puissance,

Je vous défends de vous montrer jamais.

Tous les animaux sont engloutis dans la terre.

CIRCÉ.

Ciel ! que vois-je ? la Terre s’ouvre,

Et par ces Animaux employés vainement,

Ma faiblesse qui se découvre,

Le laisse triompher de mon ressentiment.

Quoi, voir par son pouvoir mes forces abattues ?

Non, non, animez-vous, immobiles Statues.

Les dix Statues de bronze qui servent de Supports au Berceau commencent à remuer.

GLAUCUS.

De ce que vous pouvez votre Art vous fait trop croire,

J’en saurai contre vous repoussez l’attentat,

Et ces vains Ennemis opposés à ma gloire,

Bien loin de la ternir, en accroîtront l’éclat.

Disparaissez, et sans combat,

Vous perdant dans les airs, cédez-moi la victoire.

Les Statues s’envolent, et le Berceau fond dans la Terre.

Par l’inutile essai qui suit votre courroux,

Sitôt qu’à ses transports ma volonté s’oppose,

Madame, vous voyez ce que j’ai fait pour vous,

Quand j’ai voulu vous devoir quelque chose.

 

 

Scène VIII

 

CIRCÉ, DORINE

 

CIRCÉ.

Est-ce une illusion, et suis-je encor Circé ?

Quoi, dans mon Art un autre me surmonte ?

Par un pouvoir plus fort cet Art est renversé,

Et tout ce qu’entreprend le courroux qui me dompte,

Pour venger mon honneur mortellement blessé,

Je ne l’entreprends qu’à ma honte ?

Ah Dorine !

DORINE.

Madame, un tel événement

A porté si loin ma surprise,

Que j’ai peine à sortir de mon étonnement.

Qu’à vous braver un Mortel s’autorise !

CIRCÉ.

Mes Charmes n’ont encor agi que faiblement.

Je voulais l’épargner, mais après l’avantage

Qu’il vient de s’acquérir sur moi,

Je n’ai plus recours qu’à ma rage ;

D’elle seule aujourd’hui je veux prendre la loi.

C’en est fait, contre lui je vais mettre en usage

Ce que moi-même j’envisage

Avec des sentiments d’effroi.

Viens, malgré ces dures atteintes,

Mon cœur doit être ferme, et j’ai lieu de rougir

De perdre le temps à des plaintes,

Quand l’honneur me presse d’agir.

 

 

ACTE III

 

Le magnifique Jardin qui a servi de Décoration à l’Acte précédent, fait place à un superbe Palais, dont l’Architecture est d’Ordre Corinthien, avec les Frises et Corniches. Les Palastres sont de lapis veiné d’or. Une Balustrade règne au-dessus en forme d’Attique. La masse du Palais est toute de marbre blanc, avec les chapiteaux des Pilastres et les bases d’or. On voit sur des Piédestaux qui sortent en saillie, des Vases d’or, de lapis, et de marbre ; et au bout de ce Palais on découvre un Jardin, avec ses ornements d’Arbres, de Fleurs, de Jets d’eau, et de Fontaines.

 

 

Scène première

 

MÉLICERTE, ASTÉRIE

 

MÉLICERTE.

Moi, me contraindre, moi ? Non, non, belle Astérie,

Quoi qu’ose le courroux où je puis l’engager,

Vous en voulez pour moi craindre en vain le danger.

Si je perds ce qui fait tout le bien de ma vie,

Mes jours sont-ils à ménager ?

Circé me quitte, m’abandonne,

Elle qui paraissait faire tout son bonheur

De l’empire absolu qu’elle avait sur mon cœur,

Et je dois recevoir la mort qu’elle me donne,

Sans me plaindre de sa rigueur ?

Partout j’en parlerai sans cesse ;

Sans cesse mes soupirs demanderont raison

De cette lâche trahison.

ASTÉRIE.

Et quel fruit espérer d’une telle faiblesse ?

Quant à moi, j’en voudrais user tout autrement ;

Et si l’on me venait apprendre

L’infidélité d’un Amant,

Sans lui donner le plaisir de m’entendre

Soupirer de son changement,

Fût-ce des amours le plus tendre,

J’irais dans le même moment

De mon cœur avec lui rompre l’engagement ;

Et s’agissant de le reprendre,

J’en aurais plus d’empressement,

Qu’il n’en aurait de me le rendre.

MÉLICERTE.

Hélas ! quel remède à m’offrir !

L’amour d’un tel effort rend-il nos cœurs capables,

Et dans des maux au mien semblables

N’a-t-on qu’à le vouloir, pour cesser de souffrir ?

ASTÉRIE.

Il n’en est guère d’incurables,

Quand on se met en tête d’en guérir.

J’en parle sans expérience,

Et je n’ai pas vécu ce qu’il faut pour avoir

Une parfaite connaissance

De ce que sur un cœur l’amour prend de pouvoir ;

Mais comme l’on soutient avec tant d’assurance,

Que toujours là-dessus on sait plus qu’on ne pense,

Sans savoir rien, je pense tout savoir.

MÉLICERTE.

Je connais d’où vient ma disgrâce.

L’Amour dans ce Palais, pour troubler mon bonheur,

A conduit le Prince de Thrace ;

C’est lui qui de Circé me dérobe le cœur.

J’aurais déjà puni ce Rival téméraire,

Si je n’avais appris qu’il l’ose dédaigner ;

Ainsi je le veux épargner,

Pour le livrer à sa colère.

Bizarre destinée ! à l’ardeur de ses vœux

J’abandonne Silla que je sais qu’il adore ;

Et lorsqu’ici ma retraite s’ignore,

Il vient malgré lui mettre obstacle à mes feux.

Malgré lui je le vois aimé de l’infidèle,

À qui j’ai su tout immoler.

ASTÉRIE.

Il est insensible pour elle,

C’est de quoi vous en consoler.

MÉLICERTE.

Mais au lieu d’écouter dans un pareil outrage

Le courroux qui doit l’animer,

S’il fallait, pour s’en faire aimer,

Qu’elle mît contre lui quelque Charme en usage ?

ASTÉRIE.

Avant le temps pourquoi vous alarmer ?

MÉLICERTE.

Sait-on ce qu’a produit leur dernière entrevue ?

ASTÉRIE.

Circé m’en a paru triste, toute abattue,

Mais j’ai pressé Dorine en vain de s’expliquer.

Elle était avec eux, et contre l’ordinaire

Il semble qu’elle veuille aujourd’hui se piquer,

De pouvoir entendre et se taire

MÉLICERTE.

Non, j’ai beau me flatter ; du bien que je poursuis

L’espérance m’est interdite.

Pour jouir du malheur où mes jours sont réduits,

Mon Rival de Circé connaîtra le mérite.

ASTÉRIE.

Et bien, alors, faite comme je suis,

Si vous me trouvez propre à guérir vos ennuis,

Vous oublierez pour moi l’Ingrate qui vous quitte.

Quoi que jeune, un peu folle, et ce qu’il vous plaira,

(Car il faut que chacun à son âge réponde,)

Je ferai pour qui m’aimera

De la meilleure foi du monde.

Tant que le cœur nous en dira,

Tendresse des deux parts à nulle autre seconde ;

Mais bonne clause aussi, que l’on se quittera

Sans souffrir que l’Amour en gronde,

Si tôt qu’on s’en dégoûtera.

MÉLICERTE.

Dans les vives douleurs où mon âme est en proie,

Vous pouvez me parler ainsi ?

ASTÉRIE.

Que voulez-vous ? j’ai le cœur à la joie,

Et quand je ris d’un Amoureux transi,

C’est mon penchant qui se déploie.

Mais enfin sortez de souci,

Vous brûliez pour Silla, le Ciel vous la renvoie.

Aujourd’hui même elle doit être ici.

MÉLICERTE.

Silla dans ce Palais ?

ASTÉRIE.

Elle est encor capable,

Quand vous la reverrez, d’attirer vos désirs.

MÉLICERTE.

Ah, ne m’en parlez point ; malgré tous les soupirs

Que m’a déjà coûtés le malheur qui m’accable,

Pour moi Circé est aimable ;

Et si vous lui vouliez peindre mes déplaisirs,

Elle ne serait pas peut-être inexorable.

ASTÉRIE.

Voici le Confident du Rival qui vous perd.

Laissez-moi découvrir par lui ce qui se passe.

Pour empêcher le coup dont l’amour vous menace,

Nous pourrons agir de concert,

Sil m’apprend que son Maître ait toujours même audace.

MÉLICERTE.

Parlez, je lui quitte la place ;

Heureux qu’un tel secours à mon feu soit offert.

 

 

Scène II

 

PALÉMON, ASTÉRIE

 

ASTÉRIE.

Approche, que fait-on ? que dit-on ?

PALÉMON.

Sur mon Maître

On a quelques prétentions,

Qui se font un peu trop connaître.

ASTÉRIE.

Quelque amour que Silla dans son cœur ait fait naître,

S’il est sujet aux belles passions,

Peut-être que Circé...

PALÉMON.

N’y mets point de peut-être.

Que Circé pour changer son cœur,

Fasse dans sa colère agir Charmes sur Charmes.

Ce seront d’impuissantes armes ;

Un autre objet s’en est rendu vainqueur,

Et son pouvoir lui cause peu d’alarmes.

Ce n’est pas qu’il ne fût à souhaiter pour moi

Que Circé le touchât de même qu’il la touche.

Pour ta Beauté je sens je ne sais quoi,

Et si tu n’étais point farouche,

Je m’apprivoiserais aisément avec toi.

ASTÉRIE.

Franchement, je ne sais quelle Étoile est la nôtre.

Si je te plais, tu ne me déplais pas ;

Et dans ce que pour moi ce penchant a d’appas,

Nous nous trouverions nés au besoin l’un pour l’autre.

Le Prince songe-t-il si tôt à nous quitter,

Qu’en vain nous prétendions établir connaissance ?

PALÉMON.

Sans Silla qu’il attend, je pense

Qu’ici l’on aurait beau le vouloir arrêter.

Comme il sait qu’elle vient, il se fait une joie

De pouvoir lui montrer qu’il dédaigne Circé.

Souvent, pour voir son feu récompensé,

Un pareil sacrifice est une sûre voie.

ASTÉRIE.

J’ai peur qu’il ne s’en trouve mal.

Circé n’est pas d’humeur à souffrir qu’on l’outrage ;

Il n’en faut pour témoin que ce pauvre Animal,

Dont, si pour moi l’amour t’engage,

Tu vas devenir le Rival.

On voit paraître un singe.

PALÉMON.

Moi, le Rival d’un singe ? Ah, crois que...

ASTÉRIE.

Sans colère.

C’est seulement depuis un mois,

Que d’Homme il est ce que tu vois ;

Pour son malheur je lui fus chère,

Circé l’aimait, il lui cacha son choix,

Et feignant, il sut si bien faire,

Qu’il semblait vivre sous ses lois,

Tandis que tous ses vœux n’aspiraient qu’à me plaire.

C’était le plus badin Amant

Qui jamais ait été capable de tendresse.

Il me parlait des yeux sans cesse,

S’il ne le pouvait autrement ;

Mais enfin malheureusement

De ses soins affectés Circé connut l’adresse,

Et le fit Singe en un moment.

Même destinée à deux Pages

Qu’au Palais parmi nous il avait amenés.

Les voici. Tous les trois par mille badinages

Semblent se tenir fortunés

De venir chaque jour me rendre leurs hommages.

La souplesse des sauts dont pour me divertir

Ensemble ils ont pris l’habitude,

Fait leur plus agréable étude.

Voilà comme l’amour ne se peut démentir.

PALÉMON.

La récompense est fort honnête.

Lorsque de quelque Amant ton cœur se trouve épris,

On le métamorphose en Bête.

ASTÉRIE.

Tu ne le voudrais pas acquérir à ce prix ?

PALÉMON.

Je me louerais du sortilège,

Pourvu qu’en Épagneul je pusse être changé.

Du moins par là j’aurais le privilège

De me voir jour et nuit entre tes bras logé.

Flatteur pour toi, pour toute autre farouche,

Sans cesse je tiendrais mes pattes sur ta peau,

Et j’aboierais d’un ton nouveau,

Lorsque tu frotterais ta bouche

Avecque mon petit museau.

ASTÉRIE.

Nous songerons à la métamorphose.

Cependant je veux bien te faire partager

Le plaisir qu’en sautant mon Singe Amant me cause.

Allons, mon Singe, il faut être léger,

S’il est vrai que de vous ma volonté dispose.

Les trois Singes font ici quelques sauts.

PALÉMON.

Rien ne peut être égal à son agilité ;

Mais lorsqu’il s’agit de te plaire,

Quoi qu’on veuille entreprendre, autant d’exécuté.

Si jamais de ton cœur je suis dépositaire...

Ah, Monsieur le Magot, vous êtes en colère.

ASTÉRIE.

Pour peu que l’on m’approche, il s’en montre irrité ;

Pour lui seul il veut de mes caresses.

Vois-tu comme il baise ma main ?

Mais il est temps que tu me laisses.

Circé vient, le reste à demain.

 

 

Scène III

 

CIRCÉ, DORINE, ASTÉRIE

 

CIRCÉ.

Vous parliez du Prince de Thrace ?

Que vous en a-t-on dit ?

ASTÉRIE.

Que malgré les mépris

Qui chaque jour augmentent sa disgrâce,

C’est toujours de Silla que son cœur est épris.

CIRCÉ.

Et Mélicerte, il vous a vue ?

ASTÉRIE.

Il m’a de ses ennuis longtemps entretenue ;

Mais en peut-on blâmer l’excès ?

Après mille serments d’une entière constance,

Voir son amour payé d’indifférence,

Est le déplorable succès

Qui suit sa crédule espérance.

CIRCÉ.

Un Charme par un autre aisément est détruit ;

Et si je suis la cause de ses peines,

Au moins de mon amour il tirera ce fruit,

Que je saurai le rendre à ses premières chaînes.

Faites lui toucher cet Anneau,

Et soudain oubliant qu’il m’ait jamais aimée,

Il se sentira de nouveau

Des Beautés de Silla l’âme toute charmée.

Sa guérison dépend de vous.

Allez, sans perdre de temps, mettre fin à ses plaintes.

 

 

Scène IV

 

CIRCÉ, DORINE

 

DORINE.

Ainsi pour lui vos flammes sont éteintes,

Et ces tendres ardeurs dont il vous fut si doux

De lui voir partager les sensibles atteintes,

N’ont plus aucun pouvoir sur votre cœur jaloux ?

Il est tout occupé de la juste colère,

Que du Prince de Thrace allument les refus.

CIRCÉ.

Il devrait l’être au moins, tant j’ai l’esprit confus

De l’affront que l’Ingrat à ma flamme ose faire ;

Mais en vain la vengeance a de quoi me charmer.

En vain elle me porte à résoudre sa peine ;

Malgré ce que je sais que je lui dois de haine,

Un fatal Ascendant me force de l’aimer,

Et plus à le punir je me veux animer,

Plus je sens que je cède à l’amour qui m’entraîne.

Il n’en faut point douter, l’implacable Vénus

Est toujours sensible à l’outrage.

Ce fut par le Soleil, par son seul témoignage,

Que ses feux avec Mars aux Dieux furent connus,

Et ce cruel amour qu’elle a mis dans mon âme

La venge sur moi de l’affront

Dont mon Père autrefois, en découvrant sa flamme,

Laissa la tache sur son front.

DORINE.

Vous devez espérer...

CIRCÉ.

Que veux-tu que j’espère ?

Malgré ce que ma gloire y courait de hasard,

Pour m’acquérir le cœur d’un Téméraire,

Ai-je rien épargné des secrets de mon Art ;

Moi qui cent fois d’un seul regard

Ai gagné des plus fiers l’hommage volontaire ?

Ce dernier Charme encor dont je viens à tes yeux

De faire l’inutile épreuve,

N’est-il pas de ma honte une trop forte preuve ?

Qu’a-t-il fait, qu’a-t-il pu sur cet Audacieux ?

Silla toujours pour lui n’est-elle pas la même ?

N’est-elle pas toujours l’objet de son amour ?

Ah, c’est trop en souffrir ; dans ma fureur extrême

Ne pouvant obtenir qu’il m’aime,

Satisfaisons ma gloire, en le privant du jour.

Les Charmes contre lui n’ont qu’une vaine amorce ;

Mais au moins ce doit m’être un bonheur assez doux,

Que s’il me plaît d’en croire mon courroux,

Il est des poisons dont la force

Donnera plein triomphe à mes transports jaloux.

Éteignons une ardeur fatale,

Qui de mon cœur troublant la paix...

 

 

Scène V

 

CIRCÉ, FLORISE, DORINE

 

FLORISE.

Silla, pour vous parler, entre dans le Palais.

CIRCÉ.

Silla ? Mon sang s’émeut au nom de ma Rivale.

Qu’on l’amène ; il faut voir ces dangereux attraits

Qui rendent ma puissance à la sienne inégale.

S’il est vrai que toujours le Prince dédaigné

Ait servi de victime à son humeur altière,

Je veux pour lui la rendre encor plus fière,

Et croirai dans ma perte avoir assez gagné,

S’il n’a pas sur ma flamme une victoire entière.

 

 

Scène VI

 

CIRCÉ, SILLA, DORINE

 

SILLA.

Ne vous étonnez point, Madame, de me voir

Mettre en vous tout l’espoir que mon malheur me laisse.

Je sais quel est votre pouvoir,

Et que si la pitié pour moi vous intéresse,

Vos bontés n’auront qu’à vouloir,

Pour finir l’ennui qui me presse.

J’aime ; avec moi tant d’autres ont aimé,

Que l’on doit faire grâce à l’ardeur qui m’anime ;

Et quand l’amour serait un crime,

On s’est à l’excuser si bien accoutumé,

Qu’on ne reprocherait à mon cœur enflammé

Qu’un faible que l’usage a rendu légitime.

Je ne vous dirai point sur quels flatteurs attraits

Du Prince qui m’aima je partageai la flamme.

L’hommage qu’il m’offrit méritait mes souhaits,

Et je laissai toucher mon âme

Au plus beau feu qui fut jamais.

Mais enfin sur le point qu’un heureux hyménée

Des soins qu’il me rendait allait être le prix...

CIRCÉ.

Le seul nom de Silla m’a d’abord tout appris ;

C’est assez, je connais quelle est sa destinée.

Mélicerte parti sans vous en consulter...

SILLA.

Oui, c’est de là que naît le trouble qui m’agite.

S’il s’est vu malgré lui forcé de me quitter,

Dites-moi quels lieux il habite,

Et rien pour le revoir ne pourra m’arrêter.

Que si son changement a causé sa retraite,

Pour me dégager d’un Ingrat,

Arrachez-moi du cœur cette flamme indiscrète

À qui je n’ai déjà souffert que trop d’éclat.

Voilà ce qui m’amène, et sur quelle espérance

J’ose recourir à votre Art.

CIRCÉ.

Prenez sur Mélicerte une entière assurance.

Quoi qu’à ne voir que l’apparence

Vous avez pu trouver du crime en son départ,

Je vous réponds de sa constance.

SILLA.

Ah, puisqu’il me garde sa foi,

Pour le trouver, Madame, où faut-il que je vole ?

CIRCÉ.

Et le Prince de Thrace ?

SILLA.

Il soupire pour moi ;

Mais il n’est rien que je n’immole

Au beau feu dont je suis la loi,

Et s’il espère encor, c’est un espoir frivole.

CIRCÉ.

Demeurez dans ses sentiments,

Et pour prix d’une ardeur si belle,

Je vais vous faire voir Mélicerte fidèle

Dans les plus vifs empressements

Que vous puissiez attendre de son zèle.

Suivez-moi.

 

 

Scène VII

 

GLAUCUS, CIRCÉ, SILLA, PALÉMON, DORINE

 

GLAUCUS.

Quoi, toujours vous me fuirez ainsi,

Belle Ingrate ?

SILLA.

Quelle surprise !

Voir le Prince de Thrace ici ?

GLAUCUS.

Écoutez-moi, de grâce, et d’un œil adouci

Regardez un Amant que sa flamme autorise...

CIRCÉ.

Quelle est votre témérité,

Prince ? Quoi, vous avez la coupable insolence

D’étaler à mes yeux un amour qui m’offense,

Un amour qui déjà n’a que trop mérité

Ma plus redoutable vengeance ?

GLAUCUS.

Pouvez-vous nommer crime un amour où toujours

Mon cœur a mis toute sa gloire ?

Et pour vous avoir voulu croire

Sur cet infaillible secours

Que devait à ma flamme assurer la victoire,

Ai-je dû mériter de vous

Les transports où vous jette un aveugle courroux ?

Voyez Silla, Madame, et la voyez pourvue

De tout ce qui jamais fut en droit de charmer.

Je l’aimais quand je vous ai vue,

Est-il en mon pouvoir de ne la plus aimer ?

J’en ai trop cru l’inutile promesse

Qui m’a fait vous suivre en ces lieux.

Votre Art devait forcer l’obstacle injurieux

Que sa rigueur oppose à ma tendresse,

Il me devait rendre aimable à ses yeux.

Peut-être un changement semblable

Aurait à votre gloire ajouté quelque éclat.

Vous pouvez tout encor, mon cœur n’est point ingrat,

Et vous savez de quoi je suis capable

Pour rompre un injuste attentat.

Songez-y de grâce.

SILLA.

Ah Madame,

Vous laissez-vous séduire contre moi ?

Et pour favoriser sa flamme,

Me forçant à manquer de foi,

Voulez-vous au parjure abandonner mon âme ?

CIRCÉ.

Non, n’appréhendez rien ; si de votre rigueur

Je me suis engagée à lui faire justice,

Je ne l’ai prétendu que par le sacrifice

Que je lui faisais de mon cœur.

Il l’ose refuser, je le vois avec honte ;

Quand je le cacherais, ma rougeur vous le dit,

Et si mon amour interdit

Ne souffre pas ma vengeance aussi prompte

Que la demande un violent dépit,

Elle est en est plus à craindre, et peut-être il suffit

Qu’en pouvoir l’Univers n’a rien qui me surmonte.

SILLA.

Prince, je ne vaux pas les malheurs que je crains.

Voyez-en le péril et rentrez en vous-même.

Oubliez qui vous fuit, pour aimer qui vous aime,

Et faites-vous enfin raison de mes dédains.

Un seul mot peut calmer l’orage qui s’apprête.

GLAUCUS.

Moi, qu’aux dépens d’un feu qui s’augmente toujours

Je cherche à garantir ma tête

Du fier éclat de la tempête

Qui vous fait trembler pour mes jours ?

Qu’elle gronde à loisir ; bien loin que je m’en plaigne,

J’aimerai d’autant plus à me trouver surpris

Des malheurs qu’on veut que j’en craigne,

Que pour tout autre Objet n’ayant que du mépris,

L’amour que j’ai pour vous semble augmenter de prix,

Par les périls que je dédaigne.

Ce tendre emportement ne peut-il mériter

Que pour moi la pitié vous touche ?

N’adoucira-t-il point cette rigueur farouche,

Et quand un peu d’espoir commence à me flatter,

Ne sauriez-vous ouvrir la bouche,

Que ce ne soit pour me l’ôter ?

CIRCÉ.

Joindre sans cesse outrage sur outrage !

Tombe la Foudre sur ces lieux,

Et puisse par un prompt ravage,

La flamme dévorant ce Palais à ses yeux,

Lui-même en même temps craindre et sentir ma rage ?

SILLA.

Ah, Prince, redoutez ce que peut faire son courroux,

Et voyez mieux ce que vous faites.

Ne l’entendez-vous pas dans son transport jaloux

Presser les Éléments...

GLAUCUS.

Non, Madame, où vous êtes

Je ne vois, je n’entends que vous.

C’est l’effet de votre présence.

CIRCÉ.

Quoi, la Terre, le Ciel, tout est sourd à mes cris ;

Et voyant à toute heure avorter ma vengeance,

L’Ingrat par de plus fiers mépris,

Triomphe de mon impuissance ?

Que me sert que du sang des Dieux

Avec éclat le Destin m’ait fait naître,

S’il me faut endurer qu’un lâche Audacieux

Confonde, en me bravant, la gloire de mon être ?

Mais de noires vapeurs obscurcissent les Cieux,

L’air se trouble, et pour moi ce sont d’heureux présages.

Soutenez mon espoir, Dieux, qui le connaissez.

On voit paraître en l’air plusieurs nuages ; qui s’étant ramassés pour enfermer Circé et Silla, leur donnent lieu à l’une et à l’autre de se dérober aux yeux de Glaucus. Ensuite le Nuage s’ouvre et se dissipe des deux côtés du Théâtre.

GLAUCUS.

Qu’espérez-vous de ces Nuages

Dans l’air par le vent dispersés ?

Ce sont pour vous de faibles avantages ;

Mais tout à coup je les vois ramassés.

Ils renferment Silla. Madame,

Des Charmes de Circé n’ayez aucun effroi,

Son Art ne tient point contre moi.

Accordez seulement quelque espoir à ma flamme,

Et je dissiperai... Mais qu’est-ce que je vois ?

Le nuage s’ouvre, il s’envole,

Et Silla, ni Circé... Quel pouvoir absolu

Rend le mien contre elle frivole ?

PALÉMON.

Pour cette fois vous manquez de parole,

Et la Magie a prévalu.

GLAUCUS.

Dorine.

DORINE.

Qui d’un mot fait descendre les nues,

A quelque pouvoir dans son Art.

GLAUCUS.

Vois ce qu’elles sont devenues.

DORINE.

Je vais chercher Circé ; mais à parler sans fard,

Ses vengeances me sont connues,

Vous y passerez tôt ou tard.

L’Amour seul vous en peut défendre.

Je vous en donne avis, c’est à vous d’y songer.

 

 

Scène VIII

 

GLAUCUS, PALÉMON

 

GLAUCUS.

Si jusque sur Silla sa fureur s’ose étendre...

Ciel !

PALÉMON.

Vous deviez la ménager.

GLAUCUS.

Sa retraite n’est point un effet de ses Charmes.

Si par l’air à sa suite un chemin s’est ouvert,

C’est un Dieu contre moi qui lui prête des armes,

Je ne l’ai que trop découvert.

PALÉMON.

Tant pis si quelque Dieu la sert,

J’en prendrais encor plus d’alarmes.

GLAUCUS.

Tu me verrais inquiété

De voir agir la Suprême Puissance,

Si je n’avais quelque assurance

D’avoir Divinité contre Divinité.

Vénus hait le Soleil, et prendra ma défense.

La voici qui paraît au milieu des Amours.

Venez, et par vos chants rendez-la moi propice,

Vous dont ici la voix m’est un charmant secours

Pour adoucir l’ennui qui cause mon supplice.

Ici on voit descendre Vénus dans son Palais, dont l’Architecture est composée et ornée de quantité d’Amours qui soutiennent la Corniche. Ils sont de marbre blanc jusqu’au milieu du corps, dont le bas se forme en Fleurons d’or, et se termine en Consoles enrichies d’ornements aussi d’or. Ils portent sur leurs têtes des Paniers de Fleurs, d’où pendent de grands Festons qu’ils retiennent avec leurs mains, en sorte qu’ils retombent entre les feuillages de leurs queues, et font une chute sur la Console. Le Piédestal se trouve directement dessous, orné de Panneaux d’azur veiné d’or. De grands Festons de Fleurs tombent du milieu des Frises, dans lesquelles d’espace en espace sont peints des Cœurs percés de Flèches, avec des Carquois et d’autres ornements. L’Optique représente deux Amours de même symétrie que les autres avec un Berceau soutenu par quatre Amours en forme de Termes qui le supportent. Il est fait de Feuillages et de Jasmins, au milieu desquels on voit une Table de marbre blanc, remplie de Corbeilles de Fleurs, et de Vases. Tandis que Vénus descend dans ce magnifique Palais, on chante les Paroles suivantes.

CHANSON.

Viens, ô Mère d’Amour, viens recevoir nos veux,
C’est toi qui nous fais vivre heureux,
Par les biens qu’à chérir le bel âge convie.
Tu disposes nos cœurs à se laisser charmer,
Et sans le doux plaisir d’aimer,
Est-il de beaux jours dans la vie ?

 

 

Scène IX

 

VÉNUS, sur le Globe environné d’Amours, GLAUCUS, PALÉMON

 

GLAUCUS.

Déesse, à qui ma flamme a toujours eu recours,

Vois ma peine, et daigne accorder ton secours.

Comme Dieu de la Mer j’ai sujet de l’attendre

De celle à qui les eaux ont servi de Berceau.

Ainsi toujours de quelque encens nouveau

L’odeur sur tes Autels soit prête à se répandre.

Par un pouvoir du mien victorieux,

Silla qui m’a coûté les plus tendres hommages,

À peine a paru dans ces lieux,

Que l’air s’est couvert de nuages,

Qui l’ont dérobée à mes yeux.

Où Circé la tient-elle ? apprends-le moi, de grâce,

Et sois favorable à mes vœux.

VÉNUS.

Le Soleil de sa Fille a soutenu l’audace,

Mais, Glaucus, persévère, et malgré la disgrâce

Qui semble attachée à tes feux,

Sors du trouble qui t’embarrasse.

De ces Amours que j’ai fait suivre exprès,

Ici de tous côtés la Troupe répandue

Aux desseins de Circé veillera de si près,

Qu’en vain elle croirait échapper à leur vue.

Amours, séparez-vous autour de ce Palais,

Et pénétrez si bien les lieux les plus secrets,

Qu’à Glaucus Silla soit rendue.

C’est tout ce que je puis pour remplir tes souhaits.

Les Amours s’envolent de tous côtés, et Vénus remonte dans son Globe.

GLAUCUS.

C’en est assez, Déesse, et je ne dois rien craindre,

Puisque enfin ta bonté s’intéresse pour moi.

Suis-moi, viens.

PALÉMON.

À ce que je vois,

Vous croyez n’être plus à plaindre ;

Tout vous rit, et Vénus qui jamais ne sut feindre,

Vous a parlé de bonne foi ?

GLAUCUS.

Oui, je cède à l’espoir qu’elle vient de me rendre.

Après ce qu’elle a dit, ce serait l’offenser,

Que de songer à m’en défendre.

PALÉMON.

Je crois qu’il en faut tout attendre ;

Mais fût l’Amour tout prêt à vous récompenser,

C’est courir longtemps sans rien prendre,

Et la peine au plaisir me ferait renoncer.

 

 

ACTE IV

 

Cet Acte qui se passe dans le lieu le plus désert du Palais de Circé, n’a point d’autre Décoration que de grands Arbres touffus, qui forment un Bois dont l’épaisseur semble être impénétrable à la clarté du Soleil.

 

 

Scène première

 

PALÉMON, ASTÉRIE

 

ASTÉRIE.

Te rencontrer ici ! ma surprise est extrême.

Que cherches-tu dans ces lieux écartés ?

PALÉMON.

L’Amour tient-il en place ? il va de tous côtés.

Je suis pour tes beaux yeux ce que tu fais, je t’aime,

Et dans l’heur de te voir, ces Bois inhabités,

Pour peu que tu fusses de même,

Auraient pour moi mille beautés.

Mais toi, quel est le sujet qui t’attire

Dans cet abandonné séjour ?

ASTÉRIE.

Je cherche Mélicerte, à qui sur son amour

J’ai pour Circé deux mots à dire.

Du Palais, mais en vain, j’ai fait déjà le tour ;

Et comme un Amant qui soupire

Assez souvent fuit le grand jour,

J’ai cru, pour conter son martyre,

Qu’il serait à ce Bois venu faire sa Cour.

PALÉMON.

Circé vient d’attraper mon Maître.

À silla devant elle il peignait son tourment,

Quand à mes yeux en un moment

L’une et l’autre a su disparaître.

ASTÉRIE.

Qu’il y songe, à la fin lui-même y sera pris.

Il est jeune, bien fait, et ce serait dommage,

Que faute de vouloir déguiser le mépris

Où Silla pour Circé l’engage,

Il se laissât changer en quelque vieux Loup gris,

Dont peut-être il jouera bientôt le personnage.

PALÉMON.

Que veux-tu ? c’est un Éventé

Qui ne croit jamais que sa tête.

Pour retrouver Silla dont il est la conquête,

En cent lieux différents j’ai déjà fureté,

Et tandis qu’en ce Bois j’en viens faire l’enquête,

Il la cherche de son côté.

Ne me diras-tu point où Circé l’a cachée ?

ASTÉRIE.

Mon âge incompatible avecque le secret,

Du conseil de Circé m’a toujours retranchée.

Je parais étourdie, et puis l’être en effet.

C’est un malheur pour moi, mais j’aurais grand regret,

Si la discrétion aux ans est attachée,

D’avoir l’esprit moins indiscret.

PALÉMON.

Fort bien ; quoique les ans donnent de la sagesse,

Tu n’as point hâte de vieillir.

ASTÉRIE.

L’automne est douce à qui s’empresse

D’avoir des fruits mûrs à cueillir ;

Mais quoi qu’exposer à faillir,

Je tiens toujours pour la jeunesse.

PALÉMON.

C’est bien fait, le Printemps est la belle saison.

Tu peux faire du tien un agréable usage.

ASTÉRIE.

Du moins quand je m’échappe à quelque badinage

Qui semble s’écarter un peu de la raison,

Je dis qu’un jour je serai sage,

Et j’aime assez à chanter sur ce ton.

Ah ! combien il en est dont les désirs partagent

L’état riant où je me vois,

Qui sans en rien dire envisagent,

Comme un sujet mortel d’effroi,

L’incommode sagesse où les ans les engagent.

Et qui de tout leur cœur enragent

De n’oser être aussi folles que moi !

Sur l’avenir je me trompe peut-être ;

Mais enfin je prétends, lorsque j’en serai là,

Pour fuir leur ridicule, assez bien me connaître...

Mais adieu, va chercher Silla.

Je vois Mélicerte paraître.

PALÉMON.

Que ton humeur me plaît !

ASTÉRIE.

De grâce, éloigne-toi

Il faut que je lui parle, et Circé me l’ordonne.

PALÉMON.

Je te quitte à regret. Friponne,

Si tu n’as rien à faire autre chose, aime-moi.

 

 

Scène II

 

MÉLICERTE, ASTÉRIE

 

ASTÉRIE.

À vous trouver j’ai bien eu de la peine

Depuis longtemps je vous cherche partout.

MÉLICERTE.

Confus, triste, inquiet, je sens que tout me gêne,

Et sans savoir ce que mon cœur résout,

J’entretiens dans ce Bois le chagrin qui m’y mène.

Mais enfin que m’apprendrez-vous ?

Parlez, belle Astérie, et s’il vous est possible,

Soulagez un Amant jaloux.

ASTÉRIE.

La Jalousie est un mal bien terrible ;

Mais n’importe, le Ciel vous voit d’un œil plus doux,

Et Circé n’est pas insensible.

MÉLICERTE.

Quoi, Circé me rendrait son cœur ?

D’un si prompt repentir Circé serait capable,

Et cette farouche rigueur

Qui la rendait inexorable,

Aurait fait place à la douceur ?

Je l’avais bien prévu, qu’en lui faisant comprendre

Le dur excès de mes ennuis,

Vous la forceriez à se rendre.

ASTÉRIE.

Toute badine que je suis,

J’ai le cœur tourné sur le tendre,

Et pour les malheureux je fais ce que je puis.

Voyez-vous cet Anneau que Circé vous envoie ?

MÉLICERTE.

Que ne dois-je point à vos soins ?

Donnez, de grâce, et de ma joie

Allons chercher mille témoins.

ASTÉRIE.

Voilà comme souvent l’Amour pour nous s’emploie,

Lorsque nous l’espérons le moins.

MÉLICERTE, ayant l’Anneau.

Il est vrai. Qui l’eût cru, que pour finir ma peine,

L’Amour dût amener Silla dans ce Palais ?

Mais n’en crois-je point trop mes amoureux souhaits,

Et la nouvelle est-elle bien certaine ?

L’a-t-on vue arriver ? est-elle avec Circé,

Et de sa part recherchez-vous Mélicerte ?

ASTÉRIE.

Le Portrait de Silla n’est donc pas effacé.

MÉLICERTE.

Non, toujours son image à mes yeux s’est offerte.

Que de temps à pleurer sa perte

S’est inutilement passé !

Sait-elle qu’en ce lieu l’Amour m’a fait l’attendre ?

Qu’on m’avait assuré qu’elle s’y ferait voir ?

ASTÉRIE.

C’est ce que par vous-même elle pourra savoir ;

Mais Circé, vous l’aimiez ? une amitié si tendre

Déjà sur vous est-elle sans pouvoir ?

MÉLICERTE.

Moi, qui chéris Silla d’une ardeur empressée

Qu’à peine égalerait le plus parfait Amant,

J’aurais pris pour Circé le moindre attachement ?

Du seul soupçon ma gloire est offensée.

Par où le méritai-je, et sur quel fondement

M’imputez-vous un changement

Dont je n’eus jamais la pensée ?

ASTÉRIE.

J’avais pris pour amour certains soins complaisants

Qu’à Circé je vous ai vu rendre.

On s’attache aux Objets présents,

Et pour peu que l’absence aide à se laisser prendre,

Les Hommes la plupart sont d’une foi si tendre,

Qu’il ne faut qu’un bel œil, et quelques jeunes ans,

Pour les réduire à ne se point défendre.

MÉLICERTE.

Non, si j’ai vu Circé, j’ai voulu seulement

Apprendre d’elle où Silla pouvait être.

Dans ces lieux à toute heure elle devait paraître,

Et j’attendais toujours ce bienheureux moment.

Enfin il est venu, mais suis-je encor moi-même ?

Elle est dans le Palais, et je m’arrête ici ?

 

 

Scène III

 

FLORISE, ASTÉRIE

 

FLORISE.

Seule avec Mélicerte ainsi ?

Dans un Bois ? C’est pousser la franchise à l’extrême.

Qu’en dira-t-on ?

ASTÉRIE.

Et bien, on dira que je l’aime.

Le grand malheur pour en être en souci !

FLORISE.

Vous tournez tout en raillerie ;

Mais, ma Sœur, à ne rien déguiser entre nous,

Si la même galanterie

Arrivait à d’autres qu’à vous,

Qu’en penseriez-vous, je vous prie ?

ASTÉRIE.

Que ce serait un rendez-vous.

Comme à suivre mon cœur ma bouche est toujours prête,

J’avouerai sans façon, qu’il n’est rien selon moi

De plus satisfaisant qu’un peu de tête à tête ;

Et quand on peut l’avoir, pourquoi

Voulez-vous qu’on soit assez bête,

Pour n’oser témoigner qu’on veut vivre pour soi ?

FLORISE.

Mais l’exacte vertu nous doit faire la loi,

Et le plaisant cède à l’honnête.

ASTÉRIE.

Voilà l’ordinaire chanson

De qui fait le métier de Prude.

Elle met son unique étude

À se garantir du soupçon ;

Et pour l’essentiel, en bonne solitude

Elle n’y fait point de façon.

FLORISE.

C’est se tirer avec adresse

D’un pas dont avec peine une autre sortirait.

Mais, ma Sœur, qui vous entendrait...

ASTÉRIE.

J’agis comme je parle, et jamais de finesse,

C’est le moyen de marcher droit.

Pour vous, qui n’avez point d’égale

En vertueux tempérament,

Et qui sur le moindre enjouement

Me faites la Mercuriale,

Dites-moi, de grâce, comment

Vous vous trouvez dans ce lieu solitaire ;

Car comme moi qui n’en fais point mystère,

Vous n’y cherchez point un Amant ?

FLORISE.

Je venais voir les aimables Dryades

Qui font leur demeure en ce Bois.

Les doux accents de leurs charmantes voix

Méritent bien les promenades

Que je fais ici quelquefois.

ASTÉRIE.

Ne viendrait-il jamais quelque Faune avec elles

Qui vous parlerait à l’écart ?

Avec un Mortel, c’est hasard

Si vous quittez le parti des Cruelles ;

Mais pour un Demi-Dieu, c’est une affaire à part.

FLORISE.

Il faut que votre humeur badine

Trouve toujours à s’exercer.

ASTÉRIE.

À croire en vous l’air prude qui domine,

De votre retenue on ne peut trop penser,

Mais rien n’est si trompeur quelquefois que la mine.

FLORISE.

La vôtre ne l’est point ; et vous voir une fois,

C’est assez pour juger qu’au talent de Coquette...

Mais Circé qui par l’air du palais s’est soustraite,

Amène Silla dans ce Bois.

Quel est son dessein ?

ASTÉRIE.

Pour l’apprendre,

Peut-être il ne faut qu’écouter.

 

 

Scène IV

 

CIRCÉ, SILLA, FLORISE, ASTÉRIE

 

CIRCÉ.

Votre amour en ce lieu n’a rien à redouter,

Nymphe ; puisque pour vous je veux tout entreprendre,

Aimez sans vous inquiéter.

SILLA.

J’aurais tort de garder encor quelques alarmes,

Après ce que je viens de voir.

Si l’air en nous cachant cède à votre pouvoir.

Quel sera celui de vos Charmes

Pour confondre un injuste espoir ?

D’abord, je l’avouerai, quand le Prince de Thrace

S’offrant tout à coup à mes yeux,

M’a fait voir qu’il m’avait prévenue en ces lieux,

J’ai craint que votre appui redoublant son audace

Ne rendit de ma foi son feu victorieux ;

Mais puisqu’à Mélicerte il vous plaît faire grâce,

Sûre de mon bonheur, je n’ai plus à souffrir

Que par la juste impatience

De voir finir une trop dure absence.

CIRCÉ.

Si vous souffrez par là, je puis vous secourir.

Mon intérêt est joint au vôtre.

Je vous l’ai fait connaître ; ainsi

Du succès de vos feux n’ayez aucun souci,

Je m’en charge. Allez l’une et l’autre,

Amenez Mélicerte ici.

Florise et Astérie sortent.

SILLA.

Vous m’allez rendre ce que j’aime ?

Madame, pardonnez si je ne vous dis rien,

Quoique pense l’Amour, quand la joie est extrême,

Jamais il ne s’explique bien.

Si vous savez aimer, jugez-en par vous-même.

CIRCÉ.

Puisque l’Amour vous rend Mélicerte si cher,

Pour voir de vos desseins le succès plus facile,

Il faut à son Rival quelque temps vous cacher,

Et de ses soins à vous chercher

Rendre dans un lieu sûr l’entreprise inutile.

Si l’obscur séjour de ce bois

N’arien pour vous de trop mélancolique,

D’un seul mot j’y puis faire un Palais magnifique,

Où les plaisirs naîtront à votre choix.

C’est là que le Prince de Thrace

Ne vous découvrira jamais,

Et dans votre cœur le trouble fera place

Aux charmes d’une douce paix.

Tandis que l’heureux Mélicerte

Dans Thèbes ira préparer

Les honneurs que l’hymen vous y doit assurer,

Dans cette demeure déserte

Vous serez à couvert du désespoir jaloux,

Qu’Amant dédaigné peut suivre contre vous.

SILLA.

Ma flamme en ce conseil trouve trop d’avantage,

Pour ne s’en pas faire une loi.

Mélicerte a reçu ma foi,

Et pour fuir son Rival, il n’est lieu si sauvage

Qui n’ait mille charmes pour moi.

Mais qu’entends-je ?

On voit paraître un Faune avec une Dryade qui sort en chantant, et qui veut se retirer quand elle aperçoit Circé.

CIRCÉ, à la Dryade.

D’où vient qu’en nous voyant paraître,

Vous détournez vos pas, et cessez de chanter ?

Continuez, de grâce ; il est doux d’écouter,

Quand on sait comme moi quel plaisir en peut naître.

À Silla.

Ce sont Nymphes et Demi-Dieux,

Qui dans ce Bois font leur demeure,

Et qui de leurs concerts les plus mélodieux

Vous viendront à l’envi divertir à toute heure.

Chanson de LA DRYADE.

Vous étonnez-vous
D’un peu de martyre ?
C’est quand on soupire,
Que l’amour est doux.
La plus belle chaîne
Ne saurait charmer,
Si l’on a de la peine
À se faire aimer.

J’aime les plaisirs
Qu’on me fait attendre ;
Un objet trop tendre
Éteint les désirs.
La plus grande gloire
Qu’on trouve en aimant,
C’est lorsque la victoire
Coûte un long tourment.

Cette Chanson est suivie de ces Paroles, qui sont chantées par un Faune, et par la même Dryade.

LE FAUNE.

Il n’est rien de si doux que de changer sans cesse,
L’Amour pour les cœurs inconstants
Ne peuvent avoir que d’heureux temps.
Toujours plaisirs nouveaux, et jamais de tristesse.
Il n’est rien de si doux que de chanter sans cesse.

LA DRYADE.

L’inconstance détruit les douceurs de l’Amour ;
Pour estimer un bien, il faut qu’il soit durable.

LE FAUNE.

L’Amour qui dure trop, est un mal véritable ;
Pour aimer sans chagrin, il faut n’aimer qu’un jour.

LA DRYADE.

Ridicule folie !

LE FAUNE.

Incommode sagesse !
Il n’est rien de si doux que de chanter sans cesse.

LA DRYADE.

Ridicule folie !

LE FAUNE.

Incommode sagesse !

LA DRYADE.

Il n’est rien de si doux qu’une longue tendresse.

LE FAUNE.

À cent Objets divers on doit faire sa cour.

LE FAUNE.

Ridicule folie !

LE FAUNE.

Incommode sagesse !

Tous deux ensembles.

LE FAUNE.

Il n’est rien de si doux que de chanter sans cesse.

LE FAUNE.

Il n’est rien de si doux qu’une longue tendresse.

SILLA.

La seule douceur de leur voix

Fait que pour ces beaux lieux déjà je m’intéresse.

CIRCÉ.

C’en est assez pour cette fois,

Allez. Que veut Dorine, et quel ennui la presse ?       

 

 

Scène V

 

CIRCÉ, DORINE, SILLA

 

DORINE.

Ah, Madame.

CIRCÉ.

Dorine.

DORINE.

À quel ardent courroux

Vous va porter ce qui se passe ?

Il n’est que trop certain. Vénus prend contre vous

Le Parti du Prince de Thrace.

En vain vous avez cru pouvoir l’assujettir.

Inquiet pour Silla qu’il a longtemps cherchée,

Il proférait son nom, le faisait retentir,

Quand deux Amours sont venus l’avertir

Que dans ce Bois vous la teniez cachée.

L’un d’eux prend soin de l’amener.

Vous l’allez voir ici paraître,

Et dans l’appui qu’il a, peut-être

Votre Art de son pouvoir, quoi qu’il veuille ordonner,

Aura peine à se rendre maître.

SILLA.

Madame, au nom des Dieux, ne m’abandonnez pas.

Vous pouvez tout pour moi dans un destin si rude.

CIRCÉ.

Le remède à ce mal veut de la promptitude,

Et votre seule fuite en d’éloignés Climats

Peut calmer votre inquiétude.

Thèbes où Mélicerte est aussi craint qu’aimé,

Par son hymen vous doit avoir pour Reine.

Par les routes de l’air souffrez qu’on vous y mène.

Il vous suivra de près, et de son cœur charmé

La conquête par là vous deviendra certaine.

SILLA.

Je m’abandonne à vous.

CIRCÉ.

Paraissez devant moi,

Esprits qui m’écoutez.

SILLA.

Ah Ciel ! Madame.

CIRCÉ.

Quoi,

Vous fuyez à les voir ? que rien ne vous étonne,

Je réponds de votre personne.

Vous pouvez les souffrir sans en prendre d’effroi.

Partez, et pour Silla faites ce que j’ordonne.

Quatre Esprits viennent enlever Silla ; et quand elle est au milieu de l’air, quatre Amours se détachent du haut du Cintre, et après avoir combattu quelque temps les Esprits, ils l’arrachent de leurs mains, et l’emporte dans le Palais de Vénus.

J’ai l’avantage au moins... Mais qu’est-ce que je vois ?

Dorine, les Amours à mes projets s’opposent.

DORINE.

L’obstacle me surprend, qui l’aurait pu prévoir ?

CIRCÉ.

Quoi, de tout mes Charmes disposent,

Et l’on entreprendra d’en borner le pouvoir ?

Animez-vous, Esprits, qui toujours invincibles,

M’avez fait triompher en cent divers Combats.

Forcez vos Ennemis, et ne vous rendez pas.

À ma gloire contre eux seriez-vous insensibles ?

Mais quoi ? vous reculez ? vous cédez Silla ? Dieux !

C’en est fait, les Amours l’enlèvent à mes yeux.

Tu l’emportes, Vénus, et je me vois réduite

Au plus mortel ennui qui pouvait m’accabler ;

Mais le lâche pour qui l’Amour m’a trop séduite,

Verra peut-être par la suite

Que qui m’outrage, a sujet de trembler.

Plus pour lui de tendresse ; il faut que de ma gloire

L’horreur de son destin réponde à ma fierté.

DORINE.

Armez-vous pour sa perte, il l’a trop mérité ;

Mais, Madame, j’ai peine à croire ;

Après l’heureux succès de sa témérité,

Que sur lui votre haine emporte la victoire.

CIRCÉ.

Je serais forcée à céder,

Moi qui puis, arrêtant les Fleuves dans leur course,

Les faire d’un seul mot remonter vers leur source ?

J’aimais, et cet amour a pu m’intimider ;

Mais puisque de mon Art la honteuse impuissance

M’oblige à recourir aux dernières horreurs,

Ma gloire veut une pleine vengeance.

Je m’abandonne à mes justes fureurs.

Sus, Divinités implacables,

Qu’autrefois l’Achéron engendra de la Nuit,

Terreur, désespoir, rage, et tout ce qui vous suit,

Quand pour des projets effroyables

À quitter les Enfers mon ordre vous réduit,

Hâtez-vous de sortir de vos Demeures sombres.

C’est Circé qui le veut.

Les Furies paraissent suivies des plus noires Divinités de l’Enfer ; et après avoir répandu dans le commencement de cette Scène, aux divers mouvements de Circé par leurs différentes actions, elles lui font connaître sur la fin, que le Ciel les a mises dans l’impuissance de la venger.

DORINE.

Madame.

CIRCÉ.

Tu le vois

Avec quel prompt transport du noir séjour des Ombres

Elles accourent à ma voix.

 

Je triomphe, et leur vue en me tirant de peine,

De cent plaisirs secrets me fait goûter l’appas.

 

Contre un Ingrat il faut servir ma haine ;

N’y consentez-vous pas ?

 

C’est assez ; pour punir un lâche qui m’outrage,

Je veux que dans son sein vous versiez à l’envi...

Quoi, cet Amant si cher me sera donc ravi ?

Cruelle, sais-tu bien ce qu’ordonne ta rage ?

 

Tendresse indigne de Circé !

On me brave, et je crains d’en trop croire ma haine ?

Allez, c’est... Qu’à nommer un Amant fait de peine,

Quand après son nom prononcé

On en voit la perte certaine !

 

Quelle indigne pitié tâche de m’arrêter ?

Les Éléments à ma voix obéissent,

La Lune en fuit d’effroi, les Enfers en frémissent,

Et le cœur d’un Mortel m’osera résister ?

Partez, courez, volez.

 

C’est le Prince de Thrace

Qui s’est noirci vers moi de mille trahisons.

Pour le punir de sa coupable audace,

Répandez dans son cœur vos plus mortels poisons.

 

Quoi, vous demeurer immobiles ?

Je parle, et n’obtiens rien de vous ?

 

Non, vous avez pour moi des craintes inutiles,

L’Amour est étouffé, croyez-en mon courroux.

 

Le Ciel pour me venger, vous défend de rien faire,

Et vous m’abandonnez dans cet affreux revers ?

 

Ah, refus qui me désespère !

Que ne peut ma fureur... Je m’égare, me perds.

 

Donc, pour avoir raison d’un téméraire,

Je ne trouve aujourd’hui qu’impuissance aux Enfers ?

Hélas ! fut-il jamais un sort plus déplorable ?

 

Vous me plaignez ? ah c’est trop m’outrager.

Fuyez ; votre présence et me gêne et m’accable,

Si vous ne pouvez me venger.

Les Furies disparaissent.

DORINE.

Tous vos Charmes détruits vous le font trop connaître.

Madame, vous tentez d’inutiles combats ;

Pour triompher de vous, Vénus arme son bras.

CIRCÉ.

Quoi, le Soleil de qui j’ai reçu l’être,

Lui voit chercher ma honte, et ne l’empêche pas ?

Il peut souffrir... Mais le moment s’approche

Où pour moi sa bonté va peut-être éclater.

Je le vois, c’est lui-même, il le faut écouter.

Le Soleil paraît dans son Palais. Ce Palais est d’or, composé avec des Colonnes torses d’or poli, qui sont revêtues de branches de Laurier qui les environnent, de couleur naturelle. Les chapiteaux sont d’or fin ciselé, et les bases des Colonnes de même matière, aussi bien que la frise et la corniche. Le corps du massif de ce Palais est de Pierres précieuses, et tous les Piédestaux de marbre blanc, au milieu desquels on voit de gros Rubis. Les Panneaux sont enrichis de veines d’or sur un fond de lapis. Au-dessus de la Corniche on voit, dans une espèce de petite Attique d’où naissent les Cintres, des Lires d’or, avec plusieurs ornements ; et dans le milieu des Voûtes sont peints de grands Soleils d’or poli, avec quantités d’autres ornements. L’Optique de ce Palais est toute transparente, et jette un éclat qui éblouit.

 

 

Scène VI

 

LE SOLEIL, dans son Palais, CIRCÉ, DORINE

 

LE SOLEIL.

Cesse ton injuste reproche,

Ma Fille, tes ennuis ont beau m’inquiéter.

Celui dont tu voudrais me voir punir l’audace,

N’est point sujet à m’en faire raison.

C’est un Dieu, c’est Glaucus, qui du Prince de Thrace

A pris le visage et le nom.

Ainsi ne pouvant rien contre lui par tes Charmes,

Contente-toi du plaisir de le voir

Languir sous les dures alarmes,

Dont l’Amour est suivi quand il est sans espoir.

 

 

Scène VII

 

CIRCÉ, DORINE

 

DORINE.

Enfin vous n’avez plus à vous faire une honte

Du peu de pouvoir de votre Art.

Si vous cédez, un Dieu seul vous surmonte ;

Et les Dieux ont leurs droits à part.

CIRCÉ.

Glaucus est Dieu, je le confesse ;

Mais si contre les Dieux mon Art ne peut agir,

Du côté de l’amour, ai-je moins à rougir,

D’avoir montré tant de faiblesse,

Sans pouvoir de Glaucus mériter un soupir ?

C’est là surtout ce qui m’outrage.

La Fille du Soleil tient-elle un rang si bas,

Qu’ayant offert son cœur, elle ne vaille pas

Qu’un Dieu comme Glaucus se fasse un avantage

De soupirer pour ses appas ?

Lui-même qui me traite avec tant d’arrogance,

Qu’était-il qu’un Pêcheur, avant que le Destin

Lui fît des Dieux partager la puissance ?

Ne nous démentons point, et jusques à la fin,

De l’affront qu’on me fait poursuivons la vengeance.

DORINE.

Que pouvez-vous contre l’être Divin ?

CIRCÉ.

Encor si Galatée, ou quelque Néréide

Avait disposé de son cœur,

Je me plaindrais de mon malheur,

Et du courroux du Ciel qui contre moi décide,

Le rang de ma Rivale adoucirait l’aigreur.

Mais que Silla sur moi l’emporte,

Qu’il m’ose de Silla...

DORINE.

Madame, je le vois.

Calmez l’ennui qui vous transporte,

Et contre une douleur si forte,

De vous-même pour vous daignez prendre la loi.

 

 

Scène VIII

 

GLAUCUS, CIRCÉ, DORINE

 

GLAUCUS.

Le Ciel enfin s’explique, et vous le devez croire,

Madame, contre vous il a donné l’arrêt.

Il veut que ma constance éternise ma gloire,

Et je dois pour Silla vouloir ce qui lui plaît.

J’ai su que dans ce Bois vous l’avez amenée.

Rendez-la moi, de grâce ; et puisque enfin les Dieux

À ma flamme l’ont destinée,

Faites-la paraître à mes yeux.

CIRCÉ.

Silla n’est plus en ma puissance.

Vénus par les Amours me la vient d’enlever,

Et n’a rien commencé, prenant votre défense,

Qu’elle n’ait dessein d’achever.

Mais un si grand secours n’était point nécessaire.

Vous n’aviez qu’à cesser de vous rendre inconnu.

Il n’est rien qu’aussitôt je n’eusse voulu faire,

Et Glaucus par lui-même aurait tout obtenu.

GLAUCUS.

Madame.

CIRCÉ.

Il ne faut point vous cacher davantage,

J’ai su par le Soleil votre déguisement,

Et ne m’étonne plus si j’ai mis en usage

Tout ce qui me devait assurer l’avantage

De vous acquérir pour Amant.

Le malheureux succès d’une flamme si prompte

A causé quelque peine à mon cœur abusé ;

Mais à quelque refus qu’il se soit exposé,

L’amour ne peut faire de honte,

Quand c’est un Dieu qui l’a causé.

GLAUCUS.

Vous savez quelles lois le Destin nous impose.

C’est sans nous consulter qu’il dispose de nous,

Et lorsque de l’amour nous ressentons les coups,

La nécessité qui le cause...

 

 

Scène IX

 

GLAUCUS, CIRCÉ, PALÉMON, DORINE

 

PALÉMON.

Venez vite, Seigneur, on a besoin de vous.

D’Amours en l’air environnée,

Silla vient avec eux de descendre au Palais,

Et je crains bien que pour son hyménée

Votre amour n’ait formé d’inutiles projets.

Elle a de loin reconnu Mélicerte,

Que deux Amours empêchent d’approcher.

Ravis de se revoir, ils n’ont pu se cacher

Le vif excès de joie où leur âme est ouverte.

Voilà ce qui m’a fait en hâte vous chercher.

GLAUCUS.

Quoi, les Amours qui pour moi s’intéressent,

Ne lui peuvent changer le cœur,

Et toujours avec même ardeur

Ses vœux pour mon Rival s’empressent ?

CIRCÉ.

C’est ainsi qu’en suivant un transport amoureux,

On a peu de douceurs qui ne soient inquiètes.

Un Rival vous alarme, et tout Dieu que vous êtes,

Sans moi vous aurez peine à devenir heureux.

Pour me venger du faux mystère

Qui m’a fait si longtemps méconnaître Glaucus,

J’aurais sujet dans ma juste colère

De vous abandonner aux soupirs superflus

Où vous réduit l’impuissance de plaire ;

Mais je suis bonne, allez, je ne m’en souviens plus,

Et ferai tout ce qu’il faut faire.

GLAUCUS.

Vous vous rendez enfin, et je puis espérer

Que Silla de ma flamme acceptera l’hommage ?

CIRCÉ.

Il suffit que pour vous j’ose me déclarer.

Laissez-moi seule ici ; j’ai pour ce grand ouvrage

Quelques Herbes à préparer,

Dont la recherche à vous quitter m’engage.

GLAUCUS.

Madame...

CIRCÉ.

J’agirai pour vous sans différer.

Ne demandez rien davantage.

 

 

Scène X

 

CIRCÉ, DORINE

 

DORINE.

Il s’en va tout rempli de l’espoir d’être aimé.

CIRCÉ.

Je viens de le promette, il le sera sans doute.

DORINE.

D’une telle promesse il doit être charmé,

Mais, Madame, je la redoute.

Un violent courroux n’est point si tôt calmé,

Et qui court où l’entraîne un transport enflammé,

Change malaisément de route.

CIRCÉ.

Moi changer ! Non, Dorine, à l’affront qu’il m’a fait

Je dois pour m’en venger une fureur extrême,

Dont tu verras bientôt l’effet.

Glaucus ne peut rien souffrir par lui-même,

Je veux à ce défaut qu’il souffre en ce qu’il aime ;

Et je n’aurais qu’un plaisir imparfait,

Si l’amour que Silla lui va faire paraître

N’augmentait pas le désespoir

Que dans son cœur doit faire naître

L’état épouvantable où je la ferai voir.

DORINE.

Vous puniriez Silla ? sa mort pourrait vous plaire ?

Quel crime a-t-elle fait ; et quelle dure loi

Autorise contre elle un arrêt si sévère ?

CIRCÉ.

Elle s’est fait aimer, et je ne l’ai pu faire.

N’est-ce pas un crime envers moi

Digne de toute colère ?

DORINE.

Mais, Madame, songez...

CIRCÉ.

Viens, c’est trop écouter.

La vengeance où l’honneur engage

Est un torrent dont le ravage

Redouble d’autant plus qu’on cherche à l’arrêter.

 

 

ACTE V

 

Une longue Allée de Cyprès qui forment une Perspective très agréable à la vue, succède au Lieu désert qui a paru dans l’Acte précédent.

 

 

Scène première

 

SILLA, FLORISE, ASTÉRIE

 

SILLA.

Où donc est le Prince de Thrace ?

Plus sans le voir je passe de moments,

Plus mon impatience a pour moi de tourments ;

Dans mille vains soucis mon esprit s’embarrasse,

Et de ces lieux, quoique charmants

Il semble que sans lui tout l’ornement s’efface.

FLORISE.

Ravi de voir enfin par un heureux retour

Votre cœur à ses vœux sensible,

Circé l’autorisant, il veut dans ce grand jour

Avec tout l’appareil possible

De sa félicité rendre grâce à l’Amour.

La pompe qu’il prépare à quelque ordre l’oblige,

Qui l’a forcé de vous quitter.

SILLA.

Je le sais, mais de lui quelques soins qu’elle exige,

Il s’y devrait moins arrêter.

FLORISE.

Vous le verrez bientôt, mais craignez Mélicerte.

Son Rival préféré l’a mis au désespoir.

Il se plaint, il murmure, et surpris de vous voir...

SILLA.

Si par là de mon cœur il répare la perte,

Les plaintes sont en son pouvoir.

FLORISE.

Quoi, l’Amour sans regret souffre ainsi qu’on se quitte ?

SILLA.

Mais peut-on être juste, et voir d’un œil égal

Le fort et le faible mérite ?

Regardons Mélicerte auprès de son Rival.

La différence est-elle si petite,

Que ce soit m’y connaître mal,

Qu’écouter contre lui ce qui me sollicite ?

Oui, sans doute, et mon cœur y doit prendre intérêt.

Ce Rival n’est que trop digne qu’on le préfère ;

Une noble fierté fait briller ce qu’il est,

Et sur son front est peint le caractère...

ASTÉRIE.

Enfin, Madame, il suffit qu’il vous plaît,

C’est tout en amour que de plaire.

SILLA.

Quand par accueil obligeant

Mon cœur pour lui s’est fait connaître,

Quelle joie à vos yeux n’a-t-il pas fait paraître ?

Que ne m’a-t-il point dit de flatteur, d’engageant ?

J’ai dû, j’ai dû me rendre, et toute autre en ma place

Dès l’abord l’aurait préféré.

Il ne s’est pas encor tout à fait déclaré,

Mais si j’en crois l’image qu’il me trace

Du bonheur qui m’est préparé,

Un plus haut rang par lui m’est assuré,

Que celui de Reine de Thrace.

Vous l’avez entendu toutes deux ?

FLORISE.

Il est vrai ;

Et ce qui me ferait soupçonner quelque chose,

C’est que des Amours il dispose.

De son pouvoir sur eux vous avez fait l’essai.

ASTÉRIE.

Vénus toujours un peu coquette

Ne pourrait-elle pas avoir aimé sans bruit,

Et fait quelque intrigue secrète

Dont il aurait été le fruit ?

Ce qu’il a fait ici, sent bien son parentage

Avecque la Divinité.

SILLA.

Je ne pénètre point dans cette obscurité.

Il m’aime, c’est assez ; après cet avantage

Rien ne saurait manquer à ma félicité.

ASTÉRIE.

Reposez-vous sur moi ; je saurai le mystère,

S’il est du mystère à savoir.

De ses secrets certain Dépositaire

Sur qui mes yeux ont tout pouvoir,

Pour peu que je le presse, aura peine à se taire.

Mais vers vous Mélicerte...

SILLA.

Ah Dieux !

Quel malheur ici me l’envoie ?

 

 

Scène II

 

SILLA, MÉLICERTE, FLORISE, ASTÉRIE

 

MÉLICERTE.

Ma présence ne peut que déplaire en ces lieux,

Madame, et je vois trop que m’offrir à vos yeux,

C’est venir troubler votre joie.

SILLA.

Si vous le connaissez, vous pouvez m’épargner

Ce qu’un fâcheux Objet cause d’impatience.

MÉLICERTE.

Quoi, jusque-là me dédaigner !

De mon fidèle amour est-ce la récompense ?

Après avoir pour vous si longtemps soupiré,

Après...

SILLA.

Finissons là, de grâce.

Quand vous aurez bien murmuré

De voir un Rival préféré,

Les choses ne sont pas pour prendre une autre face.

Si pour vous un autrefois mon cœur s’est déclaré,

Ce cœur sent aujourd’hui qu’un autre vous efface,

Et ce trouve contraint, quoiqu’il vous ait juré,

À donner au Prince de Thrace

Ce qui vous semblait assuré ?

MÉLICERTE.

Quel aveu ! Quoi, Madame, il se peut que vous-même

Vous m’osiez prononcer l’arrêt de mon trépas ;

Et malgré mon amour extrême,

La honte de changer a pour vous tant d’appas,

Que vous la regardez comme un bonheur suprême

Qui remplit tous vos vœux ? Hélas !

Quand malgré les Amours dont l’injuste puissance

M’empêchait de vous approcher,

Vous m’assuriez tantôt d’une entière constance,

Ce Rival qui vous est si cher

Méritait-il la préférence,

Lui qui jamais n’avait su vous toucher ?

SILLA.

Les Amours l’ont cru nécessaire ;

Et si mon cœur change de vœux,

Ce changement n’arrive que par eux,

Leur conseil m’autorise à ce que j’ose faire.

Ils m’ont fait voir votre Rival

Toujours ferme, toujours glorieux de ses peines,

Tandis que refroidi, lâche, faible, inégal,

Par un éloignement fatal

Vous cherchiez à briser mes chaînes.

Ils m’ont fait voir... mais pourquoi m’excuser ?

Je ne vous blâme point d’avoir fui ma présence.

Vous avez au dégoût qu’elle a pu vous causer

Cherché remède par l’absence ;

C’est ainsi qu’il en faut user.

Nous n’avons point un cœur pour le tyranniser,

Et, rien n’est tant à nous que notre complaisance.

MÉLICERTE.

Ah, ne vous armez point de ces fausses raisons

Pour tâcher à rendre plausible

La plus noire des trahisons.

Jamais autre que vous ne m’a trouvé sensible,

Et malgré votre éloignement

J’ai fait gloire toujours du nom de votre Amant.

Mais croyez-moi, Madame, il entre ici du Charme ;

On contraint vos désirs, je le connais trop bien.

Si jamais votre amour fut satisfait du mien,

Daignez craindre ce qui m’alarme,

Et pour vous et pour moi ne précipitez rien.

SILLA.

Le charme est grand, je le confesse,

Puisqu’en votre Rival il m’a fait découvrir

Tout ce qui peut mériter ma tendresse.

Mais adieu, ce discours vous blesse,

Et c’est trop vous faire souffrir.

 

 

Scène III

 

SILLA, MÉLICERTE, PALÉMON, FLORISE, ASTÉRIE

 

SILLA.

Où pourrai-je trouver ton Maître ?

PALÉMON.

Circé qui l’entretient, l’arrête en ce Jardin

D’où vous voyez la Mer paraître.

Silla sort.

MÉLICERTE.

Je vous suivrai partout, et jusques à la fin

J’approfondirai mon Destin,

Quelque rigoureux qu’il puisse être.

Mélicerte sort.

FLORISE.

Je plains le malheur qui le suit.

Quand l’Anneau de Circé le rend à ce qu’il aime,

Il trouve que pour lui Silla n’est plus la même,

Et qu’en son cœur l’absence l’a détruit.

Insensible aux ennuis que traîne sa disgrâce,

Elle ferme les yeux...

ASTÉRIE.

N’a-t-elle pas raison ?

Nommez son changement parjure, trahison,

Quand le cœur n’en dit plus, que voulez-vous qu’on fasse ?

Comme on ne doit chercher que la joie en aimant,

Tant qu’on s’en trouve bien, j’approuve que l’on aime

Avec l’entier attachement

Que demande un amour extrême ;

Mais pour ne pas vouloir chagriner un Amant,

Quand on ne sent plus rien, s’obstiner fortement

À se faire enrager soi-même !

Il faut avoir perdu le jugement.

PALÉMON.

C’est bien dit, la constance est d’une âme grossière

Qui voudrait du vieux temps ramener les vertus.

Mais Circé, qu’est-ce ? a-t-elle emporté le dessus,

Elle qui faisait tant la fière ?

ASTÉRIE.

À dire vrai, je ne m’y connais plus.

PALÉMON.

Rien n’est si dangereux qu’une jeune Sorcière

Qui comme toi sait l’art de vaincre les refus.

L’entreprise en est meurtrière ;

Mais craindre des Herbes, abus.

FLORISE.

Vous n’en parlez ainsi que sur la confiance

D’un suprême pouvoir qui nous est inconnu.

Depuis qu’en ce Palais votre Maître est venu,

Circé de ce qu’elle est n’a plus que l’apparence,

Et son Art, dont cent fois elle a tout obtenu,

Semble réduit à l’impuissance.

PALÉMON.

Nous sommes gens, s’il faut ne cacher rien,

Fort sûrs partout de la victoire.

Mon Maître... sur sa mine on a peine à le croire ;

C’est le plus grand Magicien

Dont jamais on ait eu mémoire,

Et pour peu que tu fisses gloire

De me vouloir un peu de bien,

Je t’en dirais toute l’histoire

FLORISE.

L’honneur défend que j’aime, il n’y faut point songer.

Toute intrigue m’effraie, et j’ignore...

ASTÉRIE.

Courage.

À te donner leçon je veux bien m’engager.

Il ne t’en coûtera qu’un droit d’apprentissage

Qui te paraîtra si léger,

Que tu croiras me devoir davantage.

Malgré ton point d’honneur, tu n’es pas si sauvage.

Qu’à n’être plus farouche on ne pût t’obliger.

FLORISE.

Sans perdre temps à m’entreprendre,

Si vous avez des douceurs à conter,

Ma Compagne est toujours en humeur d’écouter,

Et saura mieux que moi...

ASTÉRIE.

Pourquoi vous en défendre ?

Est-ce que vous craignez d’avoir l’âme si tendre,

Que vous ne puissiez résister ?

FLORISE.

Mais c’est vous faire tort...

ASTÉRIE.

Tort, ou non, sans querelle.

Si j’étais ce qu’il est, je serais de son goût.

Pour un cœur que l’amour au vrai triomphe appelle,

Une Prude adoucie est un friand ragoût,

Et je vous en voudrais plutôt qu’à la plus belle.

FLORISE.

Si je n’ai pas ce vif éclat

Dont votre jeunesse vous flatte,

Qu’il nous juge, et qu’il dise...

PALÉMON.

Entre vous le débat.

La question est délicate,

Et c’est plus que vider une affaire d’État.

ASTÉRIE.

Fais-nous donc part de ta Magie,

Et nous dis d’où ton Maître en a pu tant savoir.

PALÉMON.

Si de le révéler j’avais fait folie,

Jamais il ne me voudrait voir.

J’ai la langue liée.

ASTÉRIE.

Attends, j’ai tout pouvoir.

Il faut que je te la délie.

Viens ça.

PALÉMON.

Non.

ASTÉRIE.

Viens, ou crains. Je puis quand il me plaît    

À tout mutin faire connaître,

Qu’en ce que je souhaite on doit prendre intérêt.

PALÉMON.

Adieu, je vais trouver mon Maître ;

Juge par là de ce qu’il est.

Palémon s’élève en l’air tout à coup, et s’envole.

FLORISE.

Qu’en pensez-vous, ma Sœur ?

ASTÉRIE.

Je n’en fais aucun doute,

Voici de la Divinité.

Avec tant de légèreté

Prendre par l’air ainsi sa route,

C’est l’effet d’un pouvoir qui n’est point limité.

 

 

Scène IV

 

DORINE, ASTÉRIE, FLORISE

 

ASTÉRIE, à Dorine.

Ah, ma Sœur, savez-vous quelle est notre surprise ?

DORINE.

J’en viens de voir assez pour me l’imaginer ;

Mais apprenez qu’un Dieu parmi nous se déguise,

Et cessez de vous étonner.

Celui qui passe ici pour le Prince de Thrace,

C’est Glaucus, à qui dans sa Cour          

Parmi les Dieux Marins Neptune a donné place.

Vous connaissez l’Objet de son amour,

Vous en a-t-on appris la funeste disgrâce ?

FLORISE.

Quoi, qu’est-il arrivé ?

DORINE.

J’en tremble encor d’horreur.

Par un supplice épouvantable

Silla vient d’éprouver tout ce qu’en sa fureur

L’Amour qu’on brave trop, a de plus redoutable.

Glaucus dans le Jardin rendait grâce à Circé,

D’avoir fait que pour lui Silla devînt sensible,

Quand vers eux d’un pas empressé,

Avecque cette Nymphe autrefois inflexible,

Mélicerte s’est avancé.

Sur Glaucus, dont Silla reçoit d’abord l’hommage,

Il jette un regard furieux,

Et tout rempli de la secrète rage

De les voir à l’envi l’un et l’autre à ses yeux

Se donner de leur flamme un tendre témoignage,

Il s’emporte, il menace, il accuse les Dieux,

Et demandant raison de cet outrage.

Rejette sur Circé le changement fatal

Qui fait triompher son Rival.

Circé ne fait sur lui qu’étendre sa baguette,

Il devient Arbre au même instant.

Dans le Tronc qui l’enferme il murmure, on l’entend.

Silla voit le prodige, et tremblante, inquiète,

Semble prévoir le malheur qui l’attend.

Circé, pour apaiser ce qu’elle prend d’alarmes,

Lui fait connaître un Dieu caché dans son Amant,

Et par un prompt éloignement ;

La laisse en liberté de goûter tous les charmes,

Que doit avoir pour elle un si doux changement.

Témoin du tendre amour qui possédait leurs âmes,

Des rigueurs de Circé je murmurais tout bas,

De n’être favorable à de si belles flammes,

Que pour livrer Glaucus à de plus durs combats,      

Quand tout à coup... Hélas ! comment vous dire

Ce que j’ai peine encor moi-même à concevoir ?

Une Source s’élève, et l’eau qu’elle fait choir

Ayant enveloppé Silla qui se retire,

À Glaucus, comme à moi, la rend hideuse à voir.

Ce n’est plus cette Nymphe aimable

Sur qui le Ciel versa les plus riches trésors.

Des Monstres par ce Charme attachés à son corps ;

Font de leurs cris affreux un mélange effroyable,

Dont l’horreur à Silla tient lieu de mille morts

Elle s’en désespère, et sa disgrâce est telle,

Qu’en vain Glaucus s’efforce à lui prêter secours ;

Le Charme a commencé de faire effet sur elle,

Il n’en peut plus rompre le cours.

Il se plaint, il s’afflige, et si de sa vengeance

Circé voulait le rendre elle-même témoin,

Sans doute elle aurait peine en ce pressant besoin

À ne pas... Mais vers nous je la vois qui s’avance.

 

 

Scène V

 

CIRCÉ, DORINE

 

CIRCÉ, à Florise et à Astérie.

Laissez-nous l’une et l’autre. Et bien, Dorine, enfin

Ai-je assez rétabli ma gloire ?

DORINE.

Triompher du pouvoir Divin,

C’est emporter la plus haute victoire.

Mais, Madame, Silla...

CIRCÉ.

Quoi, Silla ?

DORINE.

Dois-je croire

Que vous ne plaignez pas son malheureux destin ?

CIRCÉ.

Elle méritait peu ce que j’ai fait contre elle ;

Mais lorsque l’on se venge on n’examine rien,

Et fût la peine encor mille fois plus cruelle,

Je doute que son cœur souffre autant que le mien.

Pour haïr, oublier un Ingrat qui m’outrage,

J’ai beau de ses dédains me peindre la fierté,

J’ai beau m’en faire une honteuse image ;

Malgré toute l’indignité

Des refus où pour moi ma Rivale l’engage,

Mon cœur est plus à lui qu’il n’a jamais été.

Je te l’ai déjà dit, Vénus sur moi se venge        

De ses feux pour mon Père autrefois découverts,

Et puisque sous ses lois l’Amour exprès me range,

Plus d’espoir que mon destin ne change,

Sans cesse malgré moi je traînerai mes fers.

Tout ce que je puis faire en l’état déplorable

Où me réduit un feu dont j’ai trop cru l’appas,

C’est de cacher si bien le tourment qui m’accable

Que Glaucus n’en jouisse pas.

Le voici qui vers moi précipite ses pas

Voyons de quoi sa douleur est capable.

 

 

Scène VI

 

GLAUCUS, CIRCÉ, DORINE

 

GLAUCUS.

Venez, venez, Barbare, il manque à vos fureurs,

Pour goûter pleinement votre lâche vengeance,

D’offrir à vos regards les indignes horreurs

Qui confondent mon espérance.

Hélas ! c’est donc ainsi que l’orage est calmé ?

Silla dont vous deviez m’assurer la tendresse,

Silla dont à mon cœur charmé

Vous promettiez...

CIRCÉ.

L’effet a suivi ma promesse.

Si vous aimez Silla, n’êtes-vous pas aimé ?

GLAUCUS.

Je le suis, il est vrai, mai c’est pour mon supplice.     

C’est pour la voir par de tendres soupirs

Me demander la fin des cruels déplaisirs

Où de votre rigueur l’expose l’injustice.

Devenir ce qu’elle est, quoique sans rien souffrir,

À tous insupportable, odieuse à soi-même,

C’est plus mille fois que mourir.

Jugez si ma peine est extrême.

J’ai causé son malheur, je l’adore, elle m’aime,

Et je ne puis la secourir.

CIRCÉ.

Vous réduire à cette impuissance,         

C’est faire tort à la Divinité ;

Mais vous n’ignorez pas ce qu’il faut que j’en pense,

De ce que vous pouvez j’ai fait l’expérience,

Et sais ce qu’il m’en a coûté.

J’ai vu deux fois mon Art contre vous inutile.

Deux fois par vous mes projets avortés

De surprise à vos yeux m’ont laissée immobile ;

Et pour Silla vous vous épouvantez ?

Montrez dans la disgrâce une âme plus tranquille.

Le prompt effet qui suit vos volontés,

Pour changer son destin, vous rendra tout facile

GLAUCUS.

Ah, cessez d’insulter aux ennuis d’un Amant

Qui frémit de votre vengeance.

Contre moi, contre un Dieu vous manquez de puissance,

Et je puis d’un seul mot détruire en un moment        

Ce qu’une crédule espérance

Offrirait pour me nuire à votre emportement.

Mais le Destin vous rend maîtresse de vos Charmes,

Quand ce n’est qu’un Mortel qu’attaque leur pouvoir,

Et si dans le malheur où Silla vient de choir

Je puis soulager mes alarmes

Par quelque faible ombre d’espoir,

Il n’est plus qu’à vous émouvoir,

De la seule pitié j’emprunte ici les armes.

De grâce, renoncez à vos transports jaloux,

Et pour laisser calmer leur aveugle furie,

Songez que deux Amants n’espèrent que par vous,

Qu’ils veulent vous devoir leur bonheur le plus doux,

Et que c’est un Dieu qui vous prie.

CIRCÉ.

Il n’est rien qu’on ne doive aux Dieux,

Et sur nos volontés leurs droits si loin s’étendent,

Qu’à la moindre prière on se tient glorieux

D’accorder tout ce qu’ils demandent ;

Mais comme entre eux et moi l’amour rend tout pareil,

Quand vous m’avez refusé votre hommage,

Songiez-vous que par cet outrage

C’était la Fille du Soleil

Dont vous aigrissiez le courage ?

Tout entier à Silla, vous avez dédaigné

D’adoucir, de flatter ma peine.

Contre vous à mon tour toute entière à ma haine,

J’ai suivi ses transports, et n’ai rien épargné

Pour rendre ma vengeance et sensible et certaine.

Mes vœux ont réussi, vous souffrez, et pour moi

C’est un plaisir que rien n’égale.

Allez aux pieds de ma Rivale

Par de nouveaux serments signaler votre foi.

Un temps si long perdu loin d’elle

Ne se peut réparer que par un prompt retour.

Courez, on vous attend, faites bien votre cour,

Et recevez le prix de cette ardeur fidèle

Qui vous a fait dédaigner mon amour.

GLAUCUS.

D’un outrage forcé me faites-vous complice,

Et connaissant l’Être Divin,

Aurez-vous toujours l’injustice

De m’imputer ce qu’a fait le Destin ?

Quand d’Europe, d’Io, de Sémélé, d’Alcmène,

L’amoureux Jupiter a chéri les appas,

Dépendait-il de lui de ne soupirer pas,

Et pour toucher leurs cœurs eût-il pris tant de peine

Si le sien libre à s’enflammer

Eût pu se défendre d’aimer ?

C’est de cet Ascendant la fatale puissance

Qui vers Silla m’entraîne malgré moi.

Obéir au Destin qui m’en fait une loi,

Est-ce avoir oublié ce que votre naissance

Vous pouvait faire attendre de ma foi ?

Si j’ai par mes refus excité la colère

Qui contre ce que j’aime arme votre rigueur,

Songez que ce n’est point un crime volontaire,

Et que si je pouvais disposer de mon cœur,

Ce cœur mettrait tous ses soins à vous plaire.

CIRCÉ.

Non, Silla les a mérités ;

Et comme la raison éclaire enfin mon âme,

J’estime trop une si belle flamme,          

Pour vouloir mettre obstacle à vos félicités.

Jouissez d’un amour qui ferme, inviolable,

Ne finira qu’avec ses jours.

Mon Art vous en est responsable,

Et s’il ne faut qu’en prolonger le cours,

Pour rendre plus longtemps votre bonheur durable

Vous êtes sûr de mon secours.

GLAUCUS.

Achevez, Inhumaine, et par cette menace

Montrez qu’on peut braver les Dieux impunément.

D’un triomphe si fier je vois le fondement.      

Le Soleil est d’accord de tout ce qui se passe,

Et ce fatal enchantement

Qui me fait de Silla déplorer la disgrâce,

À votre cœur altier souffrirait moins d’audace

S’il n’appuyait votre ressentiment.         

Mais tout change, et peut-être ai-je le sujet d’attendre

Après une si lâche et noire trahison...

Ciel, qu’ai-je encor à craindre, et que vient-on m’apprendre ?

 

 

Scène VII

 

GLAUCUS, PALÉMON, CIRCÉ, DORINE

 

PALÉMON.

Un malheur qui va vous surprendre.

Des fureurs de Circé Silla s’est fait raison,        

Elle n’est plus.

GLAUCUS.

Silla n’est plus !

PALÉMON.

Désespérée

De l’affreux changement qui causait ses soupirs,

Sans me vouloir entendre, elle s’est retirée

Où la Mer qu’elle voit offre à ses déplaisirs

L’heureux secours d’une mort assurée.

Là, d’un fixe regard envisageant les flots,

Après quelques moments d’un calme qui m’abuse,

Fais-moi, dit-elle, ô Mer, rencontrer le repos

Que depuis si longtemps la Terre me refuse.

À ces mots tout à coup je la vois s’élancer.       

L’onde s’entrouvre, et frémit de sa chute,

Et finissant les maux où sa vie est en butte,

Cache l’horreur du sort qui l’y fait renoncer.

GLAUCUS.

Et bien, êtes-vous satisfaite ?

Votre vengeance a-t-elle un succès assez doux ?        

CIRCÉ.

Non, sa trop prompte mort l’a rendue imparfaite.

Je la voulais vivante, et que souffrant par vous,

Elle en fît mieux sentir à votre âme inquiète

L’ennui d’avoir sur elle attiré mon courroux.

Votre peine finit quand la mienne redouble.

Silla ne vivant plus, dégage votre foi.

D’un calme heureux faites-vous une loi,

Et tâchez, pour n’avoir jamais rien qui le trouble,

À ne vous souvenir ni d’elle, ni de moi.

Circé disparaît ainsi que son Palais. Le Théâtre change, et Glaucus se trouve sur le bord de la Mer.

 

 

Scène VIII

 

GLAUCUS, PALÉMON

 

GLAUCUS.

Quel charme en un moment nous met sur ce rivage.

Le Palais de Circé disparaît à nos yeux ;

Mais hélas ! pour changer de lieux ;

En sentirai-je moins la rage,

D’avoir perdu ce que j’aimais le mieux ?          

Toi qui vois ma douleur, si jamais, ô Neptune,

De quelque aimable Objet ton cœur fut enflammé,

Prends pitié de mon infortune,

Et me rends, s’il se peut, ce que j’ai tant aimé.

Il m’entend, sur les flots je le vois qui s’élève.

Toute la Cour le suit, j’en puis bien espérer.

 

 

Scène IX

 

NEPTUNE, sur les flots, GLAUCUS

 

NEPTUNE.

Je plains les durs ennuis qui te font soupirer ;

J’ai commencé déjà, si Jupiter achève,

L’heureux sort de Silla pourra les réparer.

Ce rocher qui s’offre à ta vue,

Servira sous son nom d’éternel monument,

Qu’en son sein la Mer l’a reçue,

Et c’est là qu’à jamais de cet événement

Mille vaisseaux brisés par de fréquents naufrages

Rendront d’éclatants témoignages.        

Cependant si le Ciel qui lit dans le Destin,

Souffre que de silla ma volonté décide,

Pour t’assurer un bien qui n’ait jamais de fin,

Je l’arrache à la mort, et la fais Néréide.

GLAUCUS.

Ah, je n’en doute point, le Ciel sera pour moi.

J’en vois la marque, il s’ouvre, et Jupiter lui-même

Va prononcer l’arrêt suprême,

Qui rendra justice à ma foi.

On voit ici paraître Jupiter dans son Palais, qui est d’une Architecture composée. Elle forme de grands Piédestaux, sur lesquels sont en saillie des Aigles tout rehaussés d’or fin, qui supportent une Corniche solide, dans la frise de laquelle sont peintes des Pommes de Pin d’or ciselé. Au-dessus de la Corniche se forment des Cintres surbaissés, enrichis de quantités d’ornements, avec des Festons d’or qui pendent au-dessous des Cintres, et s’attachent au milieu et aux angles. Toute la masse du Palais est peinte de deux manières différentes, aussi bien que les Corniches et les Piédestaux : l’une est de Porphyre, et l’autre de Lapis. Au milieu des Piédestaux sont de gros Festons de feuilles de Chêne d’or ciselé. On voit dans le fond du Palais un Tronc tout d’or, et orné de Pierres précieuses.

 

 

Scène X

 

JUPITER, dans son Palais, NEPTUNE, sur les flots, GLAUCUS

 

JUPITER.

Le Destin pour Silla permet tout à Neptune,

Et touché de son désespoir,         

Lui donne par moi le pouvoir

De la combler de gloire après son infortune ;

Mais dans l’être nouveau qu’elle va recevoir,

Glaucus, contente-toi du plaisir de la voir,

Sans l’accabler encor d’une flamme importune.          

Quelques droits que Circé t’ait acquis sur son cœur,

Ce Charme dissipé te défend l’espérance,

Et tu croirais en vain par ta persévérance

Venir à bout de sa rigueur.

GLAUCUS.

Et bien, je forcerai mon amour au silence.        

Qu’elle vive ; la voir est l’unique douceur

Que presse mon impatience.

NEPTUNE.

Viens lui prêter la main pour la tirer des flots.

 

 

Scène XI

 

NEPTUNE, GLAUCUS, SILLA

 

GLAUCUS.

Enfin les Dieux, en vous sauvant la vie,

Daignent assurer mon repos.

SILLA.

À m’acquitter vers eux ce bienfait vous convie.

La surprise où me met l’inespéré bonheur.

De voir par leur bonté ma disgrâce arrêtée,

Ma laisse peu capable...

NEPTUNE.

Ils connaissent ton cœur,

C’est assez, va, prends place auprès de Galatée,        

Tandis que pour te faire honneur,

Les Nymphes et les Dieux des Campagnes prochaines

Te viendront applaudir sur la fin de tes peines.

Avancez, Faunes et Sylvains,

Et par quelque brillant spectacle,

De ce jour fortuné célébrant le miracle,

Honorez du Destin les Décrets Souverains.

Les Faunes, les Sylvains, les Dryades, et les autres Divinités Champêtres, se mêlent ensemble par différentes figures qui sont accompagnées des Chansons suivantes, dont la première fait voir, par l’exemple de Glaucus, que la froideur des eaux est un vain obstacle contre les feux de l’Amour.

Chanson D’UN SYLVAIN.

Tout aime
Sur la Terre et dans les Cieux.
L’Amour par un pouvoir suprême        
Asservit Hommes et Dieux,
Tout aime.
Jusque dans les eaux, il échauffe les cœurs,
Et malgré leur froideur extrême
Il fait ressentir ses plus vives ardeurs ;
Rien n’échappe à ses douces langueurs,
Tout aime.

CHŒUR DE DIVINITÉS.

Les Plaisirs sont de tous les âges,
Les Plaisirs sont de toutes les saisons.
Pour les rendre permis, on sait que les plus sages     
Ont souvent trouvé des raisons.
Rions, chantons,
Folâtrons, sautons.
Les plaisirs sont de tous les âges,
Les plaisirs sont de toutes les saisons.

Ce chœur étant fini, les Faunes et les Sylvains témoignent leur joie par des sauts surprenants ; et les Divinités de la Mer, accompagnées de plusieurs Fleuves, donnent pareillement des marques de leur allégresse par plusieurs Figures extraordinaires ; ce qu’ils font à différentes reprises, et même après les deux premiers Couplets de la Chanson suivante.

Chanson D’UN SYLVAIN et D’UNE DRYADE, ensemble.

Il n’est point de Plaisir véritable,
Si l’Amour ne l’assaisonne pas.
On a beau dans le bien le plus stable
Rechercher de sensibles appas.
Il n’est point de Plaisir véritable,
Si l’Amour ne l’assaisonne pas.

Ses langueurs n’ont rien que d’agréable,
On se perd dans ses tendres hélas.
Il n’est point de Plaisir véritable,
Si l’Amour ne l’assaisonne pas.

À l’Amour il faut rendre les armes,
Tôt ou tard il triomphe de nous.
Plus on veut résister à ses charmes,
Plus on doit redouter son courroux.
À l’Amour il faut rendre les armes,        
Tôt ou tard il triomphe de nous.

De ses maux ne prenons point d’alarmes,
S’ils sont grands, le remède en est doux.
À l’Amour il faut rendre les armes,
Tôt ou tard il triomphe de nous.

Les Faunes et les Sylvains recommencent leurs sauts, qui sont accompagnés de postures surprenantes ; et pendant qu’un Chœur de Divinités chante les Ders suivants, les Fleuves et les Divinités de la Mer font plusieurs figures différentes, en se mêlant avec le Chœur.

CHŒUR DE DIVINITÉS.

Les Plaisirs sont de tous les âges,
Les Plaisirs sont de toutes les saisons.
Pour les rendre permis, on sait que les plus sages
Ont souvent trouvé des raisons.
Rions, chantons,
Folâtrons, sautons.
Les plaisirs sont de tous les âges,
Les plaisirs sont de toutes les saisons.

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