Méléagre (Edme BOURSAULT)

Tragédie en cinq actes et en vers.

Mise en musique par Lully.

Non représentée.

 

Personnages du Prologue

 

LE DESTIN

LES PARQUES

THÉMIS

MINERVE

MERCURE

AMOURS

GRÂCES

JEUX

PLAISIRS

CHŒUR, etc.

 

Personnages de la tragédie

 

LA NUIT

BORÉE

Plusieurs ASTRES MALINS

DIANE

L’AURORE

ŒNÉE, Roi de Calydon

ALTHÉE, Femme d’Œnée

MÉLÉAGRE, Fils d’Œnée, et d’Althée, Amant d’Atalante

ATALANTE, Fille de Jasius, Roi d’Arcadie

HÉSIONE, Nièce d’Althée, et Fille de Toxée

TOXÉE, Frère d’Althée

BACCHUS et sa suite

PAN et sa suite

CÉRÈS et sa suite

NYMPHES

BERGERS

GRECS, etc.

 

La Scène est Calydon, Ville d’Ætolie.

 

 

ARGUMENT

 

Ce Sujet est tout entier dans le huitième livre des Métamorphoses d’Ovide. Althée, femme d’Œnée, Roi de Calydon, au moment de la naissance de Méléagre, son fils, aperçut les Parques qui décidaient de la durée de sa vie ; et leur ayant demandé si le cours en serait long, elles lui répondirent qu’elle ne durerait ni plus ni moins qu’un Tison qui brûlait alors ; dont cette mère fut si touchée qu’elle se saisit promptement de ce Tison fatal, l’éteignit, et le conserva précieusement. Il arriva dans la suite du temps qu’Œnée, père de Méléagre, ayant rendu grâces à tous les Dieux d’une récolte abondante, oublia uniquement Diane. Cette Déesse fut si offensée de ce mépris, qu’elle envoya un Sanglier horrible sur les terres de Calydon, qui pendant assez longtemps y fit de si grands ravages que toute la Grèce assembla ce qu’elle avait de plus vaillants Princes pour délivrer ce malheureux pays d’un monstre si dangereux. Atalante, fille de Jasius, Roi d’Arcadie, qui n’avoir rien des faiblesses de son sexe, fut de la partie ; et même ce fut elle qui blessa la première le Sanglier. Méléagre qui en était éperdument amoureux, ayant achevé de tuer le Monstre, lui en présenta la dépouille ; mais Agénor et Toxée, tous deux Oncles de Méléagre, et frères d’Althée, en furent si jaloux qu’ils la lui ôtèrent. Leur insolence ne demeura pas sans punition : Méléagre outré de l’affront qu’ils avaient fait à sa Maîtresse, les tua tous deux ; et Althée était au Temple, où elle remerciait les Dieux de la victoire de son fils, lorsqu’on lui apprit la mort de ses frères. Elle changea à l’instant ses vœux en imprécations, et s’abandonna toute entière à la rage qui la possédait. Il ne lui importée quel prix elle appaise les Mânes de ses frères ; et son fils coupable de leur mort est un monstre à ses yeux, plus effroyable que celui qu’il a vaincu. Elle n’hésita point sur la résolution qu’elle avait à prendre. Le Tison qu’elle avait en son pouvoir lui offrit de quoi satisfaire sa vengeance y et après plusieurs combats, qu’elle ne put refuser à la nature, elle abandonna aux flammes ce Tison funeste, où était attachée la vie de son fils, qui diminuait à mesure qu’il se consumait, et qui finit entièrement lorsqu’il n’en resta plus aucune étincelle.

 

 

PROLOGUE

 

LE DESTIN, LES PARQUES, THÉMIS, MINERVE, MERCURE, AMOURS, GRÂCES, JEUX, PLAISIRS, CHŒUR

 

LE DESTIN.

On pouvoir absolu, que respectent les Dieux,

S’étendait autrefois sur la terre et sur l’onde ;

La Paix, ce bien délicieux,

Qui de mille autres biens est la source féconde,

Ne descendait jamais des cieux

Sans avoir consulté ma sagesse profonde.

Mais un Héros laborieux,

Qui voit tout de ses propres yeux ;

Un Héros qu’en tous lieux la Victoire seconde,

A brisé du Destin le joug impérieux :

Et par des exploits glorieux

Sa valeur aujourd’hui fait le Destin du monde.

CHŒUR.

Un Héros qu’en tous lieux la Victoire seconde,

A brisé du Destin le joug impérieux ;

Et par des exploits glorieux

Sa valeur aujourd’hui fait le Destin du monde.

THÉMIS et MINERVE.

Parques, qui filez ses jours,

Accomplissez notre envie ;

De son auguste Vie

Éternisez le cours.

Que les jours précieux du plus grand des Monarques

Ne trouvent jamais de fin ;

Et qu’il soit maître des Parques

Aussi bien que du Destin.

LE DESTIN, LES PARQUES, MERCURE, et tout le reste des Acteurs.

Que les jours précieux du plus grand des Monarques

Ne trouvent jamais de fin ;

Et qu’il soit maître des Parques,

Aussi bien que du Destin.

THÉMIS.

C’est de tous les Héros le plus infatigable :

En quelque lieu qu’il soit j’en suis inséparable ;

Je marche à ses côtés contre ses ennemis.

Où manque la justice il ne voit point de gloire ;

Et sous ses étendards Bellone et la Victoire

Suivent les ordres de Thémis.

MINERVE.

Quoi que fasse ce Prince, adoré de la terre,

Les plus hautes vertus ne le quittent jamais ;

Si sa justice fait la guerre,

Sa clémence donne la paix.

Sans cesse au bien public ce Héros s’abandonne :

Il caresse Minerve au défaut de Bellone,

Et depuis que des Arts on le voit le soutien,

Il n’a besoin du secours de personne.

Et par tout l’univers on a besoin du sien.

MERCURE.

Venez, Jeux, Plaisirs et Grâces,

Accourez, tendres Amours,

Qui laissez presque toujours

Partout où vous passez de dangereuses traces :

Pour célébrer le retour de la Paix,

Chantez, dansez ; le Destin vous l’ordonne ;

Et par vos foins méritez les bienfaits

Du Héros qui vous la donne.

MINERVE et THÉMIS.

Charmante Paix qu’on vous rend de justice

Lorsque de tous les biens on vous croit le plus doux.

Mais comment voulez-vous, hélas ! qu’on en jouisse,

Puisque vous ramenez les Amours avec vous ?

Contre les plus insensibles

Ils lanceront mille traits ;

Il n’est point de cœurs paisibles.

Quand l’Amour en est si près.

UN SUIVANT DU DESTIN.

Ô l’heureux sort d’être aimé quand on aime !

Et qu’il est doux de l’éprouver soi-même :

Que de plaisirs on goûte à tous moments !

Tendre jeunesse,

Aimez sans cesse :

Mille enjouements

Rendront vos jours charmants :

Quand on s’engage

Dans le bel âge,

Ô l’heureux sort d’être toujours amants :

 

Il faut aimer, ou renoncer à vivre ;

Jamais penchant ne fut plus doux à suivre ;

Les jeunes cœurs sont faits pour les amours :

Si l’on soupire

Sous leur empire,

Ils ont toujours

D’agréables retours :

Jusques aux larmes

Tout a des charmes ;

Il faut aimer pour avoir de beaux jours.

CHŒUR DE GRÂCES.

La Paix a beaucoup de charmes ;

Pour avoir de beaux jours

Elle est d’un grand secours ;

Mais sa tranquillité ne vaut pas les alarmes

Que causent les Amours.

DEUX GRÂCES et UN PLAISIR.

Sans l’Amour, les Plaisirs, et les Jeux,

Il est bien mal aisé d’être heureux ;

Sans les Jeux, les Plaisirs, et l’Amour

Que fait-on tout le jour ?

Les moments

Sont des ans

Fatigants,

À nos sens

Languissants :

Du Destin en courroux

Nous sentons tous les coups ;

Maux, chagrins, foins, dégoûts ;

Et les biens les plus doux

Ne sont pas faits pour nous.

LE DESTIN.

De ces amusements interrompons la suite.

 

Pour divertir un Conquérant

Sous qui toute la terre un jour sera réduite,

Il faut un Spectacle si grand

Qu’un Dieu même en ait la conduite.

MERCURE.

J’accepte avec plaisir ce glorieux emploi.

Vous touchez, de mon cœur l’endroit le plus sensible.

Pour divertir les foins d’un si grand Roi,

Je ne sais rien d’impossible.

Je vais dans un moment retracer à ses yeux,

Le sort d’un jeune Prince issu du sang des Dieux ;

Qui des plus grands Héros avait toutes les marques ;

S’il n’eut jamais eu d’amour,

Jamais le courroux des Parques

N’eût pu le priver du jour.

LE DESTIN.

Hâtez-vous de donner un Spectacle à la terre,

Qui n’ait point eu d’égal, et qui n’en ait jamais.

Joignez, aux doux chants de la Paix

Les bruyants concerts de la Guerre,

Divertissez un Roi sur qui seul aujourd’hui

De l’Univers entier tout le bonheur se fonde :

Il prend de si grands soins pour le repos du monde.

Qu’on n’en peut trop prendre pour lui.

CHŒUR.

Divertissons un Roi sur qui seul aujourd’hui

De l’Univers entier tout le bonheur se fonde :

Il prend de si grands soins pour le repos du monde,

Qu’on n’en peut trop prendre pour lui.

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

LA NUIT, BORÉE

 

Le Théâtre représente une Nuit, et dans le fond l’on voit la Lune qui éclaire, et qui marche imperceptiblement.

BORÉE.

Nuit, si favorable aux tranquilles amours,

Prolonge un peu ton cours.

Aux plaisirs innocents ta présence est plus chère

Que l’éclat des plus beaux jours :

C’est toi qui du repos es la paisible Mère.

Ô Nuit, si favorable aux tranquilles amours,

Prolonge un peu ton cours.

Diane, que tu vois briller sur l’Hémisphère,

Avant le retour de son frère

A besoin de ton secours.

 

Du Roi de Calydon l’injurieuse offrande

Lui cause une douleur si grande,

Qu’au souvenir fatal de ce mortel affront

Le Sanglier affreux, plus craint dans cette terre

Que la faim, la peste et la guerre,

N’offre pas à sa haine un secours assez prompt.

 

Quoi que sa rage

Mette en usage

Pour la venger d’un si cruel outrage,

Les vœux qu’elle a formés ne sont pas satisfaits :

Son inflexible courage

Pour achever son ouvrage

Veut de plus sanglants effets.

LA NUIT.

Je sais quelle raison rend Diane alarmée.

Le Soleil qui las doit amener le jour

Où toute la Grèce est armée,

Pour rétablir le calme en ce triste séjour.

Méléagre, Jason, Castor, Pollux, Thésée,

Les uns des demi-Dieux, les autres des Héros,

Trouveront une voie aisée

D’y faire revenir la joie et le repos.

BORÉE.

S’ils osent s’en flatter leur espérance est vaine :

La Déesse offensée est puissante en ces lieux.

Eh ! que peut la valeur humaine

Contre la puissance des Dieux !

LA NUIT.

Eh ! sied-il bien aux Dieux d’en user de la sorte,

Et de pouffer un malheureux à bout !

BORÉE.

Que leur importe !

Ils sont au dessus de tout.

 

Les Puissances du ciel, et celles de la terre,

Qu’on doit craindre en toute saison,

Quand il leur plaît ont en main le Tonnerre

Pour imposer silence à la raison.

Mais Diane occupée à fournir sa carrière,

M’a fait doubler le pas,

Pour t’avertir que sa lumière

Pans un moment doit s’éteindre ici bas.

 

Pour rendre sa vengeance affreuse,

Et répandre en ces lieux les maux les plus cuisants.

Voici la troupe dangereuse

De tous les Astres malfaisants.

 

 

Scène II

 

LA NUIT, BORÉE, Plusieurs ASTRES MALINS chantants, Plusieurs ASTRES MALINS dansants, CHŒUR DES ASTRES

 

UN ASTRE MALIN.

Destiné par les Dieux pour annoncer au monde

Leur redoutable courroux,

Je fais mon plaisir le plus doux

D’être de tous les maux une source féconde :

Les funestes événements

Me font passer d’heureux moments.

CHŒUR DES ASTRES.

Les funestes événements

Nous font passer d’heureux moments.

UN ASTRE MALIN.

Quand je vois deux États dans use paix profonde,

Je sens d’un dépit jaloux

Les plus épouvantables coups ;

Et je n’ai de plaisir qu’où le malheur abonde.

Les funestes événements

Me font passer d’heureux moments.

CHŒUR DES ASTRES.

Les funestes événements

Nous font passer d’heureux moments.

DEUX ASTRES MALINS.

Servons la colère

Du Ciel tout puissant ;

Qui peut lui déplaire

N’est point innocent.

 

Que les meurtres, les perfidies,

Les déluges, les incendies,

Et s’il se peut encor des malheurs plus cruels,

Vengent le mépris des autels.

LA NUIT.

J’aperçois la Déesse.

À son auguste aspect,

Modérez votre allégresse

Pour montrer votre respect.

 

 

Scène III

 

DIANE, LA NUIT, BORÉE, LES ASTRES MALINS, CHŒUR

 

BORÉE, à Diane.

Pour remplir vos désirs tout me paraît facile :

Mais, Déesse, apprenez-moi

À quoi je vous suis utile.

Éole qui des Vents est l’impétueux Roi

Ne veut point qu’on soit tranquille ;

Et de tous ses sujets j’ai le premier emploi.

C’est moi qui dans les airs

Excite tant d’orages ;

C’est moi qui sur les mers

Cause tant de naufrages ;

C’est moi qui par mes tourbillons

Dérobe aux laboureurs l’espoir de leurs filions.

UN ASTRE MALIN.

À venger votre affront tous les Astres conspirent ;

Votre juste courroux nous peut tout ordonner.

Nous sommes prêts d’empoisonner

L’air que vos ennemis respirent.

Mais hâtez le moment fatal

Où doit commencer leur disgrâce :

Je languis dans une place

Où je ne fais point de mal.

DIANE.

Allez, troupe fidèle,

Courez en ma faveur signaler votre zèle.

Que Borée agite les airs,

Pour faire différer la Chasse où l’on s’apprête.

Et vous, Astres malins, que lien ne vous arrête,

Assemblez plus de maux qu’on n’en souffre aux enfers ;

Et formez-en une tempête

Dont frémisse tout l’univers.

Borée s’envole, et les Astres malins vont annoncer les malheurs que doit causer la vengeance de Diane.

 

 

Scène IV

 

DIANE, LA NUIT

 

LA NUIT.

Aurore va bientôt renaître,

Son retour doit nous séparer :

Jamais en même lieu l’on ne nous voit paraître.

D’abord qu’elle se montre, il faut me retirer.

Mais lorsque tout se prépare

À servir votre courroux,

Avant qu’elle nous sépare,

Que puis-je faire pour vous ?

DIANE.

Va trouver de ma part la malheureuse Envie

Qui se ronge elle-même en son affreux séjour :

Fais-la venir en cette Cour

Avec toute l’horreur qui l’a toujours suivie.

La fureur que je sens ne peut être assouvie,

À moins qu’elle ne m’aide à finir ce grand jour.

LA NUIT.

Jamais à la vertu les Dieux ne font la guerre,

Et de votre courroux Méléagre est exempt :

Ce Prince généreux est le plus beau présent

Que le ciel ait fait à la terre.

C’est un astre naissant adoré de sa Cour,

Qui partout sur ses pas fait marcher la Victoire,

Et de qui les soupirs feraient tous pour la gloire ?

Si l’on se dispensait d’en donner à l’amour.

DIANE.

Plus il est magnanime,

Plus il est en danger :

Je ne veux point me venger

Sur une indigne victime :

L’autel que par mépris on vient de négliger,

En veut une exempte de crime.

 

Mais les Bergers d’alentour,

Suivis des Nymphes de Flore,

De la charmante Aurore

Annoncent le retour.

Pour hâter ma vengeance

Fais ce que je t’ai dit.

LA NUIT.

Vous commandez, il suffit,

Mon zèle vous répond de mon obéissance.

L’Aurore descend, et répand pep à peu sa lumière sur le Théâtre. Diane et la Nuit se retirent.

 

 

Scène V

 

DEUX BERGERS affligés, CHŒUR DE NYMPHES, CHŒUR DE BERGERS

 

DEUX BERGERS affligés.

Belle Aurore, qui de vos pleurs

Arrosez le sein de la terre,

Le ciel depuis longtemps nous déclare la guerre,

Ne vous lassez-vous point d’éclairer nos malheurs ?

 

Quand de notre parti les Immortels se rangent,

Qu’ils nous assistent faiblement !

Et lorsqu’une fois ils se vengent,

Qu’ils se vengent cruellement !

LE CHŒUR.

Quand de notre parti les Immortels se rangent,

Qu’ils nous assistent faiblement !

Et lorsqu’une fois ils se vengent,

Qu’ils se vengent cruellement !

 

 

Scène VI

 

L’AURORE dans un Char, BERGERS, NYMPHES

 

L’AURORE.

Si le Monstre cruel qui vous poursuit toujours,

Est l’unique sujet qui cause votre peine,

Le Ciel à vos malheurs promet un prompt secours ;

Le jour que je vous ramené

Est le dernier de ses jours.

L’Aurore s’en va, et laisse les Nymphes, et les Bergers dans une si grande joie de ce qu’elle leur vient d’apprendre, qu’ils l’expriment tous par des danses agréables, et par les paroles.

TOUS ENSEMBLE.

Ciel ! quelle heureuse nouvelle !

Qu’elle est grande ! qu’elle est belle !

Que nous en femmes contents !

Qu’à l’envi chacun se presse

De montrer son allégresse

Par des transports éclatants.

Ciel ! quelle heureuse nouvelle !

Qu’elle est grande ! qu’elle est belle !

Que nous en sommes contents !

UN BERGER.

Nos mauvais jours sont passés,

On fait cesser nos alarmes :

Amours, qu’on avait chassés

Ramenez ici vos charmes ;

Venez essuyer les larmes

Des yeux qui nous ont blessés.

 

Désormais que les Zéphyrs

Viendront rafraîchir nos plaines,

Ne poussons plus de soupirs

Que pour d’amoureuses chaînes ;

Le ciel qui finit nos peines

Recommence nos plaisirs.

DEUX BERGÈRES.

Nous ne sommes plus à plaindre,

Nos maux vent finir leur cours :

Nos Bergers sans se contraindre

Nous pourrons voir tous les jours ;

Nous n’avons plus rien à craindre,

Que de nouvelles amours.

 

 

ACTE II

 

Le Théâtre représente les superbes Jardins de Calydon, où Diane avait un magnifique Temple.

 

 

Scène première

 

ALTHÉE, HÉSIONE

 

ALTHÉE.

Ne vous obstinez point à vous trahir vous-même ;

Méléagre est mon fils, et doit suivre mes lois :

Cet ingrat, qui pour vous eut un amour extrême,

Me doit le jour plus d’une fois.

HÉSIONE.

Charme de tant d’appas quelles lois peut-il suivre ?

Il est vrai qu’à vos soins il doit plus que le jour :

Sans vous presqu’en naissant il eût cessé de vivre ;

Mais sont-ce des raisons qu’examine l’amour.

ALTHÉE.

C’est un amour qui se doit taire

Puisque je ne l’approuve pas.

HÉSIONE.

Il le devrait ; mais, hélas !

L’amour fait-il toujours tout ce qu’il devrait faire ?

ALTHÉE.

Je vous ai de son sort confié le secret.

Ce Fils, qui m’est si cher, ignore que les Parques,

Qui de leur cruauté laissent partout des marques,

Lui souffrent la vie à regret.

Il ne sait pas qu’à sa naissance

Elles étaient d’intelligence

Pour lui ravir le jour avant qu’il le pût voir.

Quand du Tison fatal il saura le mystère,

Atalante à son cœur fut-elle encor plus chère,

Il consultera son devoir.

HÉSIONE.

Il m’avait promis, l’infidèle,

De ne rompre jamais une chaîne si belle,

Et de perdre le jour avant que de changer ;

Cependant le cruel me quitte.

Hélas ! pour m’en venger s’il faut que je l’imite,

Que ma vengeance est en danger !

ALTHÉE.

Quoi que le dépit entreprenne

Pour se venger d’un inconstant,

On voit toujours d’un œil content,

Un captif que l’amour ramène.

 

 

Scène II

 

LE ROI, ALTHÉE, HESIONE, SUITE

 

LE ROI.

Pour aller attaquer le Monstre furieux

Qui désole ces lieux,

Des Princes assemblés la troupe est toute prête :

Sur leurs fronts belliqueux brille un noble courroux ;

Et ce qui m’a touché d’un spectacle si doux,

Méléagre marche à leur tête

Qui les efface tous.

À Hésione.

Mais Princesse charmante.

Je croirais outrager le sexe d’Atalante,

Si je ne publiais l’éclat de ses appas :

Tout le peuple charmé de sa beauté naissante,

Pour la voir plus longtemps accompagne ses pas ;

Elle surprend, ravit, enchante ;

Et joint à ses attraits une grâce engageante,

À quoi l’on ne résiste pas.

HÉSIONE.

Quel supplice pour une Amante !

Mais, ô Dieux ! Méléagre en ce lieu la conduit.

Que de cœurs ses charmes captivent !

Elle a mille amants qui la suivent :

Je n’en avais qu’un, il me fuit.

 

 

Scène III

 

MÉLÉAGRE, LE ROI, ALTHÉE, HÉSIONE, ATALANTE, TOUS LES PRINCES GRECS, CHŒUR DE GRECS, SUITE

 

MÉLÉAGRE.

Seigneur, de ces Héros l’ardeur impatiente,

Ne peut voir plus longtemps leur valeur languissante ;

C’est trop laisser oisifs leurs bras victorieux :

Pendant que je vous sollicite

À vouloir consentir au repos de ces lieux,

Nous perdons des moments dont le Monstre profite,

Et dont on est comptable aux Dieux.

CASTOR, POLLUX, JASON, THÉSÉE.

Grand Roi, dont les vieux ans trahissent la vaillance,

Vous savez par expérience

Que le supplice des Héros

Est de languir dans le repos.

Un nom si fameux que le vôtre

Est sur de l’immortalité :

Offrez-nous un moyen de transmettre le nôtre

À la postérité.

CHŒUR DE GRECS.

Offrez-nous un moyen de transmettre le nôtre

À la postérité.

ATALANTE, au Roi.

Seigneur, puis-je à mon tour...

LE ROI.

Non, divine Princesse,

Je n’exposerai point votre heureuse jeunesse

Aux périls d’un combat dont je pâlis d’effroi.

L’Amour qui dans vos yeux fait régner tant de charmes,

Ne vous donne de telles armes,

Que pour assujettir les cœurs sous votre loi.

ATALANTE.

Je méprise l’éclat dont tout mon sexe brille ;

Mes Dards, mes Javelots sont mes plus chers appas.

Quoi ! faut-il pour être fille

Que l’on n’ait ni cœur ni bras !

 

De la raison naissante à peine eus-je l’usage,

Que parmi les forêts j’essayai mon courage ;

Peur habiter les bois j’abandonnais la Cour :

En épuisant mes traits sur des Bêtes cruelles,

Mon cœur sauvage comme elles

Évitait ceux de l’amour.

MÉLÉAGRE.

Personne n’échappe

Aux traits de l’Amour ;

Il attrape

Et frappe

Chacun à son tour.

ALTHÉE.

Il n’est rien qui ne cède à son pouvoir suprême ;

Des plus grands cœurs du monde il trouble le repos :

Mais un Héros, quand il aime,

Ne doit aimer qu’en Héros.

HÉSIONE.

Quelque doux que l’Amour puisse être ;

Heureux qui sans le connaître

Passe de tranquilles jours !

En naissant il charme ;

Plus grand il alarme ;

Et ne dure pas toujours.

CASTOR, POLLUX, JASON, THÉSÉE, au Roi.

Seigneur, plus votre âme chancèle.

Plus vous soupçonnez notre zèle,

Ou doutez de notre valeur.

LE ROI.

Hé bien ! partez, troupe invincible,

Allez d’un Monstre horrible

Avancer le malheur,

À beaucoup de valeur joignez beaucoup d’adresse ;

À Atalante.

Surtout, adorable Princesse,

N’augmentez point notre douleur.

Le Roi, Althée, et Hésione sortent.

 

 

Scène IV

 

MÉLÉAGRE, ATALANTE, PRINCES GRECS, CHŒUR

 

DEUX PRINCES GRECS.

À cet aveu plein de charmes

Aux armes, Amis, aux armes ;

Éprouvez vos Javelots,

Et faites voir un prélude

Du combat sanglant et rude,

Qui va dans ces climats rétablir le repos.

Les Grecs pour s’animer à combattre le Sangler, essayent leurs armes, et font une Entrée de Combattants, pendant que Castor et Thésée chantent sur le même air de l’Entrée.

CASTOR et THÉSÉE.

Courez, à la gloire,

Généreux Guerriers ;

Et méritez que l’Histoire

Prenne soin de vos lauriers.

Poussez,

Percez,

Terrassez,

Fracassez,

Et jamais ne vous lassez.

Voyez sans terreur

Toute l’horreur

Que peut répandre la fureur.

Que les coups

Qui tombent sur vous,

Redoublent votre courroux.

Après la Victoire

Tous les maux sont doux.

 

 

Scène V

 

LE GRAND PRÊTRE DE DIANE, MÉLÉAGRE, ATALANTE, PRINCES GRECS, CHŒUR DES GRECS

 

LE GRAND PRÊTRE.

Interrompez un combat si profane ;

Ce lieu terrible et saint veut un profond respect :

C’est le Temple de Diane,

Frémissez à son aspect.

 

Vous aurez sur le Monstre une victoire aisée :

Mais que de maux, hélas !

Vont suivre son trépas,

Si Diane n’est apaisée.

 

Unissons-nous

Pour calmer son courroux.

TOUS ENSEMBLE.

Unissons-nous, unissons-nous.

Pour calmer son courroux.

LE GRAND PRÊTRE.

Diane !... Juste Ciel, je sens trembler la terre !

Quels éclairs ! Quels vents ! Quel tonnerre !

On ne voit dans les airs que des torrents de feux :

Ce qui s’offre à mes yeux n’a jamais eu d’exemple :

Mais peut-être est-ce dans son Temple

Que la Déesse attend nos vœux.

Entrons...

À peine le Prêtre est-il entré que le Temple tombe et fait un fracas épouvantable.

MÉLÉAGRE.

Que vois- je ! ô Ciel, que Diane est cruelle !

Aux Grecs.

Amis, portez au Roi cette triste nouvelle,

Observez de son cœur les mouvements secrets ;

Je vous suivrai de près.

 

 

Scène VI

 

MÉLÉAGRE, ATALANTE

 

MÉLÉAGRE.

Vous me fuyez, belle Atalante ?

Hélas ! pourquoi me fuyez-vous ?

Vous voyez que du ciel la fureur éclatante...

ATALANTE.

Est-il en mon pouvoir d’appaise son courroux ?

MÉLÉAGRE.

Hélas !

ATALANTE.

Expliquez-vous.

MÉLÉAGRE.

Je vous crains.

ATALANTE.

Vous, ma craindre ?

MÉLÉAGRE.

Depuis que vos beaux yeux brillent dans cette Cour,

On ne m’a point ouï soupirer, ni me plaindre :

À leur premier aspect je conçus un amour

Que toute ma raison ne m’a pu faire éteindre ;

Je l’ai contraint jusqu’à ce jour ;

Mais je ne puis plus le contraindre.

ATALANTE.

Ô Ciel ! que m’avez-vous appris ?

MÉLÉAGRE.

Je fais à vos appas une mortelle injure :

Je leur offre un Captif inconstant et parjure,

Qui doit attirer vos mépris.

Malgré nia trahison Hésione est fidèle ;

Ce que je sens pour vous, je l’ai senti pour elle ;

Pendant que je l’aimai, je l’aimai tendrement.

Enfin, je bornais mon envie

À lui sacrifier ma vie ;

Mais l’amour qui peut tout en ordonne autrement.

ATALANTE.

Eh ! Qu’espérez-vous en m’aimant ?

Pour peu qu’à votre amour ma faiblesse réponde,

Plus coupable que vous de votre changement,

Je viole les droits les plus sacrés du monde.

Moi que l’on considère en cette auguste Cour,

En bannir la paix et l’amour :

Quelle indigne reconnaissance !

Redonnez votre cœur à son premier lien ;

Et si d’un feu nouveau j’ai causé la naissance,

Hélas ! ne m’en apprenez rien,

De peur que nos désirs ne soient d’intelligence.

MÉLÉAGRE.

M’aimeriez-vous, Princesse ? Et puis-je, concevoir...

ATALANTE.

Je ne sais pas encor ce qu’on sent quand on aime,

Et je veux ? si je puis, ne le jamais savoir.

Partout où je vous vois je sens un trouble extrême.

Que j’aime mieux sentir que cesser de vous voir :

Je voudrais que le ciel vous pût rendre à vous-même

Sans offenser votre devoir ;

Je ferais mon bonheur suprême

De quelque apparence d’espoir.

Non, non, je ne sais pas ce qu’on sent quand on aime,

Et je veux, si je puis, ne le jamais savoir.

MÉLÉAGRE.

C’est de trop de bontés honorer mon audace.

Allons : Nous touchons à l’instant

Où l’on doit commencer la chasse.

J’ignore le sort qui m’attend ;

Mais de quelque péril dont le ciel me menace,

Après ce que je sais je dois mourir content.

 

 

ACTE III

 

Le Théâtre représente une Forêt fort épaisse.

 

 

Scène première

 

HÉSIONE, seule

 

Sombre Forêt, retraite affreuse,

Asile impénétrable à la clarté du jour,

Hélas ! que je serais heureuse

Si mon âme eût pu l’être aux charmes de l’amour !

 

Avant qu’il sût aimer mon cœur était paisible :

Exempt de passions, il l’était de douleurs.

Ô Ciel ! quand on devient sensible,

Qu’on se prépare de malheurs !

Elle élève un peu sa voix, et l’on répète.

Amour... ...Amour.

 

Qu’entends-je ? Est-ce que l’on m’écoute ?

Non, c’est l’Écho sans doute.

Écho, tout le bonheur dont mon cœur a joui,

Est-il évanoui ?... ...Oui.

 

Voici l’endroit fatal où charmé de t’entendre,

Mon infidèle Amant séduisait ma raison :

N’y reviendra-t-il plus, l’âme sensible et tendre ?

Te faire répéter mon nom ? ...Non.

 

Ô réponse cruelle !

Je sais que ma Rivale a de charmants appas :

Mais avant qu’à mes lois son amant fut rebelle,

L’ingrat ne m’en trouvait-il pas ?

Qui pourra de nous deux le rendre plus fidèle ! ...Elle.

 

Elle ? Ô Ciel ! que ce mot me va coûter de pleurs !

Ô toi, de mes soupirs seul dépositaire,

Fidèle Écho, que dois-je faire

Pour m’épargner d’inutiles clameurs ? ...Meurs.

 

Et quel autre conseil désormais puis-je suivre ?

Quand d’un objet aimable on s’est lassé charmer,

Qui ne peut s’en faire aimer

Ne doit plus aime à vivre.

 

Mais le bruit des Chasseurs annonce leur retour ;

Cachons-leur le désordre où m’expose l’amour.

Elle se retire.

 

 

Scène II

 

JASON, L’UN DES CONDUCTEURS DE LA CHASSE, TROUPE DE CHASSEURS

 

JASON.

Le Monstre a pris cette route ;

Ami, ne le manquez pas ;

De son sang à chaque pas

On rencontre quelque goûte.

L’honneur d’avoir blesse ce Monstre furieux

N’est dû qu’à l’illustre Atalante ;

Le pouvoir de son bras, et l’éclat de ses yeux

La rendent partout triomphante.

TROUPE DE CHASSEURS.

Qu’il lui doit être doux

D’être si vaillante !

Qu’il lui doit être doux

D’être si charmante !

Qu’il lui doit être doux

De voir tout céder à ses coups !

DEUX CHASSEURS.

Que la valeur et les charmes

Font de progrès sur les cœurs !

Lorsqu’à des attraits vainqueurs

On joint le secours des armes,

Que la valeur et les charmes

Font de Progrès sur les cœurs !

 

 

Scène III

 

THÉSÉE, AUTRE CONDUCTEUR DE LA CHASSE, JASON, TROUPE DE CHASSEURS GRECS, TROUPE D’HABITANTS DE CALYDON

 

THÉSÉE.

Redoublez votre allégresse,

Et du bruit de vos concerts

Annoncez à l’univers

La mort du Monstre affreux qui désolait la Grèce.

Méléagre, sensible à vos justes douleurs,

A fini vos malheurs.

 

Pour célébrer la victoire,

Chantez, dansez.

CHŒUR DE CHASSEURS et D’HABITANTS.

Chantons, dansons.

THÉSÉE.

Chantez, dansez : et que sa gloire

Soit le sujet de vos chansons.

CHŒUR DE CHASSEURS et D’HABITANTS.

Chantons, dansons ; et que sa gloire

Soit le sujet de nos chansons.

THÉSÉE.

Mes yeux ont vu le Monstre étendu sur la terre ;

Son œil étincelant respire encor la guerre ;

De sa gueule entre-ouverte il sort une vapeur,

Qui fait mourir l’herbe naissante :

Mais en vain désormais sa fureur épouvante ;

Méléagre en est le vainqueur.

 

Pour célébrer sa victoire

Chantez, dansez.

CHŒUR.

Chantons, dansons.

THÉSÉE.

Chantez, dansez ; et que sa gloire

Soit le sujet de vos chansons.

CHŒUR.

Chantons, dansons : et que sa gloire

Soit le sujet de nos chansons.

THÉSÉE et JASON.

Que Méléagre et qu’Atalante

Puissent jouir tous deux d’une gloire éclatante,

Dont jamais le Destin n’interrompe le cours ;

Et toujours amoureux, toujours l’âme constante,

Passer ensemble d’heureux jours.

 

 

Scène IV

 

PAN, SUIVI DE FAUNES, DE SILVAINS et DE DRIADES, THÉSÉE, JASON, CHŒURS DES GRECS et DES HABITANTS DE CALYDON

 

PAN.

Ces bois, où le Dieu Pan a choisi sa retraite,

Ravagés par le Monstre étaient d’affreux déserts ;

Déjà depuis sa défaite

Les arbres semblent plus verts ;

Et des Silvains en paix la troupe satisfaite

En faveur du Vainqueur vient joindre la Musette

À la douceur de vos concerts.

 

 

Scène V

 

CÉRÈS suivie de NYMPHES et DE BERGERS, PAN, THÉSÉE, JASON, CHŒURS DE GRECS, D’HABITANTS, DE SILVAINS, DE DRYADES, etc.

 

CÉRÈS.

Cérès dont le pouvoir rend la terre féconde,

Cérès, la fertile Cérès,

Voyait avec douleur dépouiller ses guérets,

Des biens dont tous les ans elle enrichit le monde :

Mais, grâce au plus grand des Guerriers,

Elle ramène ici la joie et l’abondance ;

Et par reconnaissance

Promet à sa valeur des moissons de lauriers.

 

 

Scène VI

 

BACCHUS accompagné de CORIBANTES et DE MÉNADES, CÉRÈS, PAN, THÉSÉE, JASON, CHOEURS DE GRECS, D’HABITANTS, DE SILVAINS, DE DRYADES, DE BERGERS, etc.

 

BACCHUS.

Quelle grande Victoire

Chers enfants de Bacchus !

L’intrépide Héros dont je chante la gloire,

Nous promet des progrès qu’on aura peine à croire :

Que de Peuples soumis ! Que de Monstres vaincus !

On comptera ses jours par des exploits insignes :

Sa valeur en tous lieux bravera les dangers ;

Et surtout sauvera nos Vignes

De l’avide fureur des Monstres étrangers.

BACCHUS, PAN, CÉRÈS, etc.

Silvains, Faunes, Dryades,

Nymphes, Bergers, Ménades ;

Exprimez votre joie en diverses façons ;

Pendant que d’un Héros digne de notre zèle

Nous chantons la gloire immortelle,

Dansez au bruit de nos chansons.

La suite de Bacchus, de Pan, de Cérès, se réjouissent avec les Grecs et les Habitants de Calydon, de la victoire de Méléagre, et font diverses Entrées.

DEUX DRYADES.

Amants, qui dans un lieu sombre

Cherchez le prix de vos soins,

Et ne voulez de témoins

Que l’amour, le calme et sombre :

Ces bois offrent leurs secours

Aux tendres vœux que vous faites ;

C’est dans les sombres retraites

Que se plaisent les amours.

Après que les danses sont finies, ils se rassemblent tous pour chanter ce qui suit.

PAN.

Que jamais du Vainqueur la fortune ne change.

CÉRÈS.

Que son auguste nom soit célébré à jamais.

BACCHUS.

Que Bellone et la Gloire étendent ses hauts faits

Du Couchant à l’Aurore, et du Danube au Gange.

THÉSÉE.

À ces lieux désolés il rend tous leurs attraits.

JASON.

Où régnait le désordre il fait régner la paix.

LES HABITANTS DE CALYDON.

De tous nos maux passés c’est lui seul qui nous venge.

PAN et SA SUITE.

C’est lui qui rend le calme aux hôtes des Forêts.

CÉRÈS et SA SUITE.

Il met en sûreté les trésors de Cérès.

BACCHUS et SA SUITE.

Il flatte notre espoir d’une heureuse vendange.

TOUS ENSEMBLE.

Après tant de bienfaits

Disons à sa louange,

Que si le juste ciel écoute nos souhaits,

Il faut que sous ses lois tout l’univers se range.

 

 

ACTE IV

 

Le Théâtre représente l’Antre de l’Envie, où rampent et sifflent plusieurs Serpents.

 

 

Scène première

 

L’ENVIE, SUITE DE L’ENVIE

 

L’ENVIE.

Quelque plaisir que mon cœur puisse avoir

Quand j’infecte quelqu’un du poison que je donne,

Je suis au désespoir

De ce qu’on me l’ordonne :

C’est obliger Diane ; et je voudrais pouvoir

Faire du mal, sans obliger personne

Parlant à sa suite.

N’importe, servons son courroux.

C’est toujours un plaisir pour nous

De causer des ennuis, des douleurs, des alarmes :

Ce plaisir, il est vrai, nous semblerait plus doux,

Si pour cette Déesse il avait moins de charmes :

Mais pour favoriser ses mouvements jaloux,

Faire couler du sang, et répandre des larmes,

C’est toujours un plaisir pour nous.

CHŒUR DE L’ENVIE.

Faire couler du sang, et répandre des larmes,

C’est toujours un plaisir pour nous.

 

 

Scène II

 

DIANE, L’ENVIE, SUITE DE L’ENVIE

 

DIANE.

Approche, malheureuse Envie ;

Cache-moi de tes yeux le funeste poison.

Au Monstre, à qui ma haine avait donné la vie,

Méléagre l’a ravie,

Il faut m’en faire raison.

 

Je ne crois pas te contraindre

Quand je t’envoie à la cour :

C’est-là, pour parler sans feindre,

Ton véritable séjour :

C’est-là que mille grimaces

Cachent mille Ambitieux :

Et plus on y fait de grâces,

Plus on y voit d’Envieux.

L’ENVIE.

Dites-moi promptement ce qu’il faut que je fasse

Pour contenter votre désir :

Vous avez des attraits dont l’éclat m’embarrasse ;

Plus je les aperçois, moins j’y prends de plaisir.

Si vous n’étiez immortelle,

Pour arrêter mon courroux,

Mon cœur jaloux

De vous voir si belle,

De sa fureur naturelle

Ferait un essai sur vous.

DIANE.

Fais à mes ennemis acheter leur victoire ;

Dans le cœur de Toxée insinue un poison

Qui puisse en un moment corrompre sa raison,

Et lui persuader qu’on lui vole sa gloire.

Obéis sans réplique à ce commandement.

L’ENVIE.

Je croyais recevoir un ordre plus funeste.

DIANE.

Obéis seulement.

Et j’aurai soin du reste.

Va dans les sombres lieux

Y former un poison tel que je le demande.

L’Envie, avec toute sa suite, enfonce dans les Enfers.

Et vous, affreux objets qui me blessez les yeux,

Disparaissez ; Diane le commande.

L’Antre de l’Envie disparaît, et fait place à une autre Décoration d’Arcs de Triomphe, de Trophées, et de toutes les autres marques de victoire.

 

 

Scène III

 

DIANE

 

Méléagre sans doute adresse ici ses pas.

De peur d’être attendrie évitons sa présence.

Parmi tant de plaisirs il ne présume pas

Qu’il vient s’offrir à ma vengeance.

 

 

Scène IV

 

MÉLÉAGRE, ATALANTE, PRINCES GRECS, TOXÉE, CHŒUR DU PEUPLE

 

CHŒUR DU PEUPLE.

Vive, vive à jamais

Méléagre, Atalante !

Leur valeur triomphante

Ramené ici la paix.

MÉLÉAGRE et ATALANTE.

Vive, vive à jamais.

ATALANTE.

Méléagre.

MÉLÉAGRE.

Atalante.

TOUS DEUX.

Sa valeur triomphante

Ramené ici la paix.

ATALANTE.

Monuments somptueux de valeur et de gloire,

Couronnes, Festons et Lauriers,

Digne salaire des guerriers,

Repos, Honneurs, Plaisirs qui suivez la Victoire ;

Ornements si pompeux et si bien entendus,

Voilà le bras à qui vous êtes dus.

TOUS DEUX.

Voilà le bras à qui vous êtes dus.

THÉSÉE.

Peuples, venez rendre grâces

À de si grands Vainqueurs :

Souhaitez que le ciel qui finit vos disgrâces,

Unisse deux si grands cœurs ;

Et leur donne des successeurs,

Qui puissent marcher sur leurs traces.

CHŒUR DU PEUPLE.

Ô Ciel ! écoute notre voix :

Joins deux cœurs que l’amour a formés l’un pour l’autre.

MÉLÉAGRE.

Quel bonheur pour le mien de vivre sous vos lois !

ATALANTE.

Eh ! vous est-il permis de disposer du vôtre !

CHŒUR DU PEUPLE.

Ô Ciel ! écoute notre voix.

ATALANTE.

Oubliez-moi, Seigneur ; la gloire vous l’ordonne.

MÉLÉAGRE.

Un plus heureux que moi sera-t-il votre époux ?

ATALANTE.

Après vous avoir vu, je ne verrai personne

Que je puisse aimer tant que vous.

UN PRINCE GREC.

Jeunes Amants, qui sentez dans vos âmes

De naissantes flammes,

Cardez-vous bien de rebuter l’amour.

Aimez lorsqu’il vous en convie ;

On ne peut en toute sa vie

Racheter la perte d’un jour.

 

Dans l’heureux temps où le cœur est sensible,

Il est impossible

De résister aux attraits de l’Amour.

Aimez lorsqu’il vous en convie,

On ne peut en toute sa vie

Racheter la perte d’un jour.

On pose la dépouille du Sanglier au milieu du Théâtre, et l’on danse alentour.

DEUX JEUNES GUERRIERS, aux Filles de la suite d’Atalante.

Gardez-vous d’être inhumaines ;

Usez mieux de vos beaux ans ;

Si vos amants dans vos chaînes

Trouvent leurs maux trop cuisants,

Pour leur faire aimer leurs peines

Rendez leurs fers moins pesants.

Gardez-vous d’être inhumaines ;

Usez mieux de vos beaux ans.

DEUX FILLES de la suite d’Atalante.

Aimons, aimons,, c’est un plaisir extrême ;

Les autres soins sont des soins superflus :

Qui fuit l’Amour quand il s’offre lui-même,

Le cherche après, et ne le trouve plus.

 

Heureux qui plaît quand il est temps de plaire !

C’est pour charmer que sont faits les appas :

Qui fuit l’Amour attire sa colère,

Et c’est un Dieu qui ne pardonne pas.

MÉLÉAGRE offre la dépouille du Sanglier à Atalante.

Recevez ce tribut, Princesse magnanime ;

Aucun de ces Guerriers n’en paraîtra jaloux.

ATALANTE.

Pour le Victorieux ce prix est légitime.

TOUS DEUX ENSEMBLE.

N’est-ce pas dire assez qu’il n’appartient qu’à vous ?

MÉLÉAGRE.

Vous avez la première ensanglanté vos armes

Dans le flanc du Monstre en courroux.

ATALANTE.

Vous l’avez terrassé du premier de vos coups,

Et des Chasseurs tremblants dissipé les alarmes.

MÉLÉAGRE.

La Victoire nous fuyait tous,

On ne savait quel parti prendre :

Vous ayant reconnue elle a penché vers nous.

ATALANTE.

Votre seule valeur l’a forcée à se rendre.

TOUS DEUX ENSEMBLE.

Quelque prix qu’on en doive attendre,

Généreux Méléagre il n’appartient qu’à vous. 

Généreuse Atalante il n’appartient qu’à vous.

L’Envie passe en l’air, et secoue son flambeau sur Toxée.

TOXÉE.

J’ai voulu me contraindre à garder le silence,

Et dans ce vain débat paraître indiffèrent,

Pour voir à quel point d’insolence

On oserait porter ce que l’on entreprend.

Et quels droits avez-vous dans l’offre que vous faites ?

Je suis Vainqueur comme vous l’êtes :

Et me suis au péril exposé sans effroi,

À Méléagre.

Ton crime est assez grand d’avoir quitté ma fille,

En qui plus de vertu, plus de mérite brille ;

Sans ajouter l’insulte à ton manque de foi.

MÉLÉAGRE.

Rendez grâces, téméraire,

Au sang qui me joint à vous ;

Je vous immolerais à ma juste colère,

Si nous n’étions unis par des liens si doux.

TOXÉE.

Loin qu’au sang dont tu sors je veuille rendre grâces,

Je brise tous les nœuds qui peuvent nous unir :

Et pour répondre à tes menaces,

Je porte à mon côté de quoi les prévenir.

Signale, si tu veux, ta coupable tendresse

Envers ta chère Maîtresse ;

Mais cherche des présents qui dépendent de toi :

Celui que tu lui veux faire

Du plus vaillant guerrier doit être le salaire ;

Et tu n’ignores pas qu’il t’est moins du qu’à moi.

MÉLÉAGRE.

C’en est trop, malheureux, et de ton insolence

Tu vas sentir l’effet.

Ils mettent l’épée à la main, et Méléagre tue Toxée.

CHŒUR.

Juste Ciel, quelle violence !

TOXÉE, se sentant blessé.

Ah, Traître !

MÉLÉAGRE.

Cette vengeance

Était due à ton forfait.

ATALANTE et LE CHŒUR.

Juste Ciel, quelle violence !

Méléagre, qu’avez-vous fait ?

 

 

Scène V

 

ALTHÉE, HÉSIONE, MÉLÉAGRE, ATALANTE, PRINCES GRECS, CHŒUR, etc.

 

ALTHÉE, à Méléagre.

Ne vous offensez pas si je suis la dernière

À montrer à vos yeux le plaisir que je sens :

Dans le rang que je tiens je devais la première

À tous les Immortels adresser de l’encens.

Quitte de ce devoir, sensible à votre gloire,

Je viens de votre victoire

Vous offrir le digne prix ;

Elle lui présente Hésione.

Le Monstre à votre Hymen a mis un long obstacle,

Mais enfin... Justes Dieux ! quel funeste spectacle

Se présente à mes yeux surpris ?

ALTHÉE et HÉSIONE.

Althée.

C’est mon Père ! Ah ! mon fils, montrez-moi l’homicide.

Hésione.

C’est mon Frère ! Ah ! mon fils, montrez-moi l’homicide.

MÉLÉAGRE.

Il est devant vos yeux : c’est moi.

ALTHÉE et HÉSIONE.

C’est toi, Perfide !

MÉLÉAGRE.

C’est moi : rien n’est plus constant ;

Je me suis rendu justice :

Je devais à ma gloire un si grand sacrifice ;

Et tout autre en ma place en aurait fait autant.

 

 

Scène VI

 

HÉSIONE, ALTHÉE

 

HÉSIONE.

Est-il une douleur plus stupide, et plus grande !

Mes yeux saisis d’effroi me refusent des pleurs :

Et j’en obtiens, hélas ! plus que je n’en demande

Lorsqu’il n’en faut donner qu’à de faibles douleurs.

Quel coupable silence ! ô devoir ! ô nature !

Quoique souffre mon cœur il ne peur soupirer.

Ah ! je m’aperçois bien par les maux que j’endure,

Que les grandes douleurs n’ont jamais su pleurer.

ALTHÉE et HÉSIONE.

Apaisons une ombre si chère ;

Ne laissons point languir notre ressentiment.

Mon Père était votre Frère ;

Mon Frère était votre Père ;

Le crime qu’on vient de faire

Nous en prive également.

Apaisons une ombre si chère ;

Ne laissons point languir notre ressentiment.

 

 

ACTE V

 

Le Théâtre représente un Temple, où l’on a érigé un magnifique Tombeau à Toxée.

 

 

Scène première

 

ALTHÉE, tenant une Urne

 

Cendres, qu’avec respect ma douleur considère,

Précieux restes de mon frère,

Faites-moi souvenir de mon triste devoir.

Hésione en secret déplore sa misère ;

Elle n’ose en ce lieu montrer son désespoir :

Sa douleur me paraît sincère ;

Mais elle a plus d’amour qu’elle n’en croit avoir

Pour l’ingrat qui la désespère ;

Et je veux la venger de la mort de son père,

Avant qu’elle ait le temps de ne le plus vouloir.

 

En vain pour calmer ma colère

Avec empressement le Roi cherche à me voir ;

Plainte, menace, prière,

Rien ne me peut émouvoir.

Si ma tendresse de mère

Sur mon cœur chancelant prenait trop de pouvoir,

Cendres, qu’avec respect ma douleur considère,

Précieux restes de mon frère,

Faites-moi souvenir de mon triste devoir.

 

 

Scène II

 

LE ROI, ALTHÉE

 

LE ROI.

Vous verrai-je toujours les yeux baignés de larmes ?

Et la grâce d’un fils qui finit nos alarmes

Est-ce un bien que votre époux

Ne puisse obtenir de vous ?

Je sais quelles raisons votre douleur m’oppose ;

Mon fils à votre frère a fait perdre le jour ;

Mais l’amour en est la cause :

Est-on maître de soi quand on a de l’amour ?

C’est votre sang qui l’anime ;

De son emportement perdez le souvenir :

Si l’amour lui coûte un crime,

Est-ce à vous à l’en punir ?

ALTHÉE.

Ah, mon fils !

LE ROI.

Ce soupir lui promet-il sa grâce ?

D’un si juste courroux le sang est-il vainqueur ?

Méléagre dans votre cœur

Reprend-il sa première place ?

ALTHÉE.

Oui, Seigneur, c’en est fait ; vos souhaits sont remplis.

Pardon, Mânes errants de mon généreux frère :

La tendresse de sœur cède à celle de mère ;

Je ne balance plus entre vous et mon fils.

LE ROI.

Je reconnais Althée à sa vertu suprême :

Du vaillant Méléagre elle efface le sort.

Avoir vaincu le Monstre est un illustre effort ;

Mais c’en est un plus grand de se vaincre soi-même.

 

Achevez de combler nos désirs ;

Rappeliez ici l’allégresse :

Le retour de votre tendresse

Doit causer le retour des plaisirs.

ALTHÉE.

Avant que de passer dans le Royaume sombre,

Où règne un éternel repos ;

Mon frère attend de moi pour apaiser son Ombre,

Les devoirs qu’on doit rendre aux Mânes des Héros.

Aux bords de l’Acheron son Ombre encor errante,

Ne peut être reçue au séjour ténébreux,

Que l’on n’ait rempli son attente

Par un sacrifice pompeux.

Que l’heureux Méléagre, et la belle Atalante,

Viennent joindre leur zèle à mes sincères vœux :

Je crois ouïr sans cesse une voix menaçante

Qui me fait trembler pour tous deux ;

Et je ne ferai point contente

Que je n’aie achevé ce que je fais pour eux.

LE ROI.

Touché de la tendresse extrême

Que vous me témoignez pour ces jeunes amants,

Je vais à vos genoux les amener moi-même

Jouir de la douceur de vos embrassements.

 

 

Scène III

 

ALTHÉE, seule

 

Que tu pénètres mal dans le fond de mon âme !

De ta crédulité je vais me prévaloir :

Tu ne sais pas ce que c’est qu’une femme,

Et je prétends te le faire savoir.

Le fer, le poison, la flamme,

Tout sert à son désespoir.

 

Ô vous, qui n’épargnez ni Bergers, ni Monarques,

Venez, à mon secours, impitoyables Parques,

Venez contre un perfide animer mon courroux :

Quelque tendres retours que le sang me suggère,

À mon coupable fils je veux être une mère

Plus impitoyable que vous.

 

Eh quoi ! perdre un Héros à qui j’ai donné l’être !

Contre quelle victime ai-je le bras armé ?

Est-il dans l’univers un Prince plus aimé,

Et qui soit plus digne de l’être ?

Qu’ai-je au monde de plus cher

Qu’un fils si couvert de gloire ?

On l’a vu sur le Monstre emporter la victoire ;

Et sa mère en est un qu’il ne saurait toucher !

 

Oui je verrai ta mort sans en être touchée ;

Quel que soit ton supplice, il t’est justement du ;

J’ai le Tison fatal où ta vie attachée

Me doit faire raison de mon sang répandu.

Tendresse, amour, pitié, dont j’entends le murmure,

Dans ma juste fureur laissez-moi m’affermir ;

Si mon fils par son crime étonna la Nature,

J’en veux, faire un si grand qu’il la fasse frémir.

 

Le voici. Je pouvais me venger sans l’attendre,

Et ne pas m’exposer à l’horreur de le voir ;

Mais la part qu’à sa mort Atalante doit prendre

Augmente le plaisir que je vais recevoir.

 

 

Scène IV

 

LE ROI, ALTHÉE, MÉLÉAGRE, ATALANTE, THÉSÉE, JASON, CHŒUR DES PRINCES GRECS, CHŒUR DU PEUPLE DE CALYDON

 

MÉLÉAGRE, à Althée.

Malgré tous les remords que ma douleur exprime,

Je ne puis à vos yeux me montrer sans effroi ;

Jamais ressentiment ne fut plus légitime

Que celui qui vous anime ;

Votre frère à venger est pour vous une loi.

S’il vous faut une victime,

J’ai moi seul commis le crime,

Ne vous vengez que sur moi.

ATALANTE, à Althée.

Si jamais ce Héros si grand, si magnanime,

N’eût pris pour moi que de l’estime,

Il n’eût point mis de trouble à la Cour d’un grand Roi :

Il n’eût point fait de tache à ù vertu sublime :

Jamais à sa Maîtresse il n’eût manqué de soi.

S’il vous faut une victime,

Je suis la cause du crime,

Ne vous vengez que sur moi.

ENSEMBLE, à Althée.

S’il vous faut une victime.

Atalante.

Je suis la cause du crime.

Méléagre.

J’ai moi seul commis le crime

Ensemble.

Ne vous vengez que sur moi.

ALTHÉE.

Approchez-vous, mon fils, et n’ayez, plus d’alarmes :

Ce combat m’arrache des larmes,

Et fait expirer mon courroux.

Au feu dont vous brûlez je vais rendre justice,

Et de parfait amant vous faire heureux époux :

Commençons le sacrifice

Où je dois faire voir ce que je sens pour vous.

 

La perte d’un moment m’inquiète et me gène :

Pour hâter mon bonheur joignez vos vœux aux miens.

LE ROI, MÉLÉAGRE, ATALANTE, LES PRINCES GRECS, LE CHŒUR DU PEUPLE, TOUS ENSEMBLE.

Ô Dieux ! qui dispensez et les maux, et les biens,

Exaucez les vœux de la Reine.

ALTHÉE.

Recommencez encor, et ne vous lassez pas :

Votre zèle adoucit ma peine.

LE ROI, MÉLÉAGRE, ATALANTE, etc.

Ô Dieux ! qui gouvernez toute chose ici bas,

Exaucez les vœux de la Reine.

ALTHÉE.

C’est assez ; dans un instant

Mon frère sera content.

Bas.

Ombre, pour qui j’obtiens une grâce si grande,

Ne te plains plus de moi :

Je te fais une offrande

Assez digne de toi.

Althée met au feu, sans qu’on s’en aperçoive, le Tison où est attaché le sort de Méléagre.

MÉLÉAGRE.

Quelle subite horreur me saisit et me trouble !

Je brûle... Juste Ciel, quelles vives douleurs !

Plus je veux me contraindre, et plus mon mal redouble.

Je n’en puis plus, je meurs !

LE ROI.

Méléagre !

ALTHÉE.

Mon fils !

ATALANTE.

Cher Prince !

MÉLÉAGRE.

Ma Princesse,

Les Dieux font sur ma tête éclater leur courroux :

En m’accordant votre tendresse,

Vous les avez rendu jaloux ;

Mais je meurs trop heureux, quelque mal qui me presse,

Puisque je meurs aimé de vous.

ATALANTE.

Hélas ! pour quels dangereux charmes

Avez-vous conçu de l’amour !

MÉLÉAGRE.

Si ma mort vous coûte des larmes,

Pour quel plus digne objet puis-je perdre le jour ?

 

Mon cœur faible et mourant n’a plus rien qui l’anime.

Au Roi.

Consolez-vous, Seigneur : de plus dignes enfants

Seront l’appui de vos vieux ans.

À Althée.

Vous, ma mère, oubliez votre offense, et mon crime.

Laissez-moi vous quitter sans vous être odieux ;

Un fils expirant vous en prie ;

Et pour comble d’honneur, qu’une main si chérie

Ait soin de me fermer les yeux.

ALTHÉE, bas.

Ah ! spectacle imprévu, dont je suis attendrie !

Pourquoi m’écoutiez-vous, impitoyables Dieux ?

LE ROI.

Ô Ciel ! qui me ravis un fils si magnanime,

Comparable en valeur aux plus fameux guerriers,

Ne l’as-tu couvert de lauriers

Que pour en faire ta victime ?

Hélas ! mon fils, n’est-il aucun secours

Qui puisse prolonger votre vie et mes jours ?

LE ROI, ATALANTE, CHŒUR DES PRINCES, etc.

Hélas ! n’est-il aucun secours

Qui puisse prolonger votre vie et nos jours ?

MÉLÉAGRE.

Les pleurs que vous versez rendent digne d’envie

Mon déplorable sort :

Vous me faites aimer la vie

Jusques dans les bras de la mort.

 

Chère Atalante, j’expire ;

Éloignez-vous de ce lieu.

La voix me manque, et j’ai peine à vous dire...

ATALANTE.

Adieu mon cher Prince, adieu.

On emporte Méléagre, et Atalante le suit.

LE ROI.

Ô Ciel insensible !

Dieux muets et sourds !

Mon fils à découvert vient d’arrêter le cours

Des malheurs qu’en ces lieux causait un Monstre horrible ;

Et vous avez, cruels, emprunté le secours,

De quelque Furie invisible,

Pour terminer de si beaux jours.

ALTHÉE.

C’est moi qui suis la Furie

Qui dérobe à la terre un bien si précieux.

Oui, mon cher fils, cette main si chérie

Que tu choisis pour te fermer les yeux,

Est la cruelle main de qui la barbarie

Te prive pour jamais de la clarté des cieux.

LE ROI.

Quoi ! vous auriez eu l’âme assez noire, assez dure...

Votre douleur vous interdit.

ALTHÉE.

Non, non ; ce que je vous ai dit

Est la vérité toute pure.

 

Le sort de Méléagre était en mon pouvoir ;

Il a tué mon frère, et méprisé sa fille ;

Tant d’affronts à ma famille,

M’ont réduite au désespoir.

J’ai vengé la mort de mon frère

Sur le sang d’un Héros qui me devait le jour :

Je vais le venger à son tour,

Sur le sang de sa propre mère.

Elle sort furieuse.

LE ROI.

Gardes, de sa fureur garantissez ses jours.

Que d’un remords vengeur elle soit la victime.

Il faut pour expier son crime

Qu’elle s’en souvienne toujours.

 

Ô jour ! qui promettais de me combler de gloire,

Et qui m’accables de douleur,

Puisse tout l’avenir détester ta mémoire ;

Que ton nom prononcé présage un prompt malheur ;

Et ne soit jamais dans l’histoire

Que pour inspirer de l’horreur !

Prince, pour qui la gloire a de si puissants charmes,

Qu’aux dépens de vos jours vous suivez ses conseils,

Ne vous contraignez point, versez des flots de larmes :

Il sied bien aux Héros de pleurer leurs pareils.

 

Et vous, Peuple fidèle au sang de vos Monarques,

Si mon fils envers vous a rempli son devoir,

Donnez-lui de sensibles marques

D’un véritable désespoir.

Une Entrée de Désespérés, et une Symphonie accommodée au sujet, expriment la douleur universelle que cause la mort de Méléagre.

 

 

Scène V

 

UNE FEMME AFFLIGÉE DE LA SUITE D’ATALANTE, LE ROI, LES PRINCES GRECS, CHŒUR DU PEUPLE, CHŒUR DES FEMMES AFFLIGÉES

 

UNE FEMME AFFLIGÉE.

La tendre et fidèle Atalante

Succombe sous le poids de ses vives douleurs ;

À force de verser des pleurs,

Auprès de Méléagre elle est morte, ou mourante ;

L’excès de son amour

Lui fait perdre le jour.

CHŒUR DES FEMMES AFFLIGÉES.

L’excès de son amour

Lui fait perdre le jour.

LE ROI.

Quoi ! les injustes Dieux, qui me sont si funestes,

N’ont pas sur Méléagre assez lancé de coups !

Les larmes qu’on lui donne attirent leur courroux !

C’est un digne sujet des vengeances célestes !

 

Dérobons Atalante à la rigueur des Dieux ;

Volons à son secours, l’honneur nous y convie ;

C’est un effort glorieux

Que de lui sauver la vie.

 

Est-ce un crime si grand que d’avoir de l’amour,

Qu’on doive l’expier par la perte du jour ?

CHŒUR DES PRINCES GRECS.

Est-ce un crime si grand que d’avoir de l’amour,

Qu’on doive l’expier par la perte du jour ?

LE ROI, encore une fois.

Est-ce un crime si grand que d’avoir de l’amour,

Qu’on doive l’expier par la perte du jour ?

TOUS ENSEMBLE.

Est-ce un crime si grand que d’avoir de l’amour,

Qu’on doive l’expier par la perte du jour ? 

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