Abenhamet (MÉLESVILLE)

Mélodrame en trois actes.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de l’Ambigu-Comique, le 16 septembre 1815.

 

Personnages

 

BOABDIL, roi de Grenade

ALMANZOR, son fils

ABENHAMET, chef des Abencerrages

ALMAÏDE, amante d’Abenhamet 

ISMÈNE, jeune esclave attachée à Almaïde

SAHEB, chef des Zégris

OSMIN, Abencerrage

LESBIN, jeune pâtre

UN OFFICIER

UN OFFICIER ABENCERRAGE

UN SOLDAT

ZÉGRIS

PEUPLE

SOLDATS ESPAGNOLS

 

La Scène est à Grenade et dans les environs.

 

 

ACTE I

 

Le théâtre représente la cour des lions dans l’Alhambra. Tout est disposé pour une fête ; des festons et des guirlandes de fleurs sont suspendus autour de la galerie qui forme l’enceinte du théâtre : au milieu, et vers le fond, on voit la fontaine et la célèbre coupe d’albâtre qui est soutenue par des lions de même matière.

 

 

Scène première

 

SAHEB, seul, sa démarche est agitée

 

L’image d’Abenhamet me suit partout... Je suis donc condamné à rencontrer sans cesse les monuments de sa gloire et les triomphes qu’on lui prépare !... Dans les camps, le soldat bénit son nom et, ne jure que par sa vaillance ; à la cour, une foule de flatteurs exalte son courage ; le peuple le nomme son sauveur : enfin, l’hymen le plus brillant va combler l’orgueil de ce chef des Abencerrages ; et moi, que ma naissance, mon rang, mes services appelaient à sa place ; moi, chef des nobles Zégris, on oublie mes exploits pour célébrer les siens !... Je supporterais un pareil abandon !... Non, je saurai bientôt recouvrer ma puissance, mon crédit !... Déjà, par mes discours adroits, j’ai réussi à m’emparer de la confiance du roi ; la trêve qui expire aujourd’hui même, me fournira l’occasion de faire naître ses craintes, ses alarmes... C’est à moi de multiplier les obstacles, d’éloigner le moment de la cérémonie... Mais quel bruit ?... on ouvre les portes de l’Alhambra !... Le peuple vient sans doute orner la cour des lions, et préparer la fête que le roi donne aux deux époux... Fuyons, et cherchons les moyens de suspendre cet hymen odieux.

Il sort.

 

 

Scène II

 

ALMAÏDE, ISMÈNE, PEUPLE

 

Le peuple entoure Almaïde en formant des danses ; de jeunes filles, chargées de corbeilles de fleurs, les placent, autour de la galerie : on suspend les chiffres d’Abenhamet et d’Almaïde au-dessus de la cuve d’albâtre ; Almaïde entre, précédée d’Ismène et de ses femmes.

ALMAÏDE, au peuple.

Mes amis, que votre empressement me touche ! Almaïde ne vous est donc pas indifférente, puisque vous prenez part à son bonheur ?

UN HOMME DU PEUPLE.

Vous, indifférente au peuple de Grenade ! Ah ! madame, il faudrait qu’il eût perdu la mémoire de tous les bienfaits dont votre famille l’a comblé ! Votre père, le brave et vertueux Hassan, n’est-il pas mort en défendant les murs qui nous protègent encore contre les fureurs du Castillan ?

ALMAÏDE, en soupirant.

Mon père ! quel souvenir !

L’HOMME DU PEUPLE.

Votre mère n’a-t-elle pas été, pendant sa vie, l’ange tutélaire de tous les malheureux ? Ne la remplacez-vous pas dans ce pieux devoir ?

ALMAÏDE.

Je remplis ses dernières volontés ; elle ne pouvait m’en dicter de plus douces.

L’HOMME DU PEUPLE.

Enfin, notre héros, celui que l’on nomme déjà votre époux...

ALMAÏDE.

Abenhamet !... eh bien ?

L’HOMME DU PEUPLE.

Il ne se passe pas un jour qu’il ne nous fasse du bien en votre nom.

ALMAÏDE.

En mon nom !

L’HOMME DU PEUPLE.

Tantôt, c’est un vieillard enfermé pour dettes qu’il rend à sa famille ; tantôt, ce sont de jeunes amants séparés par l’intérêt, qu’il rapproche en les dotant.

ALMAÏDE.

Cher Abenhamet !

L’HOMME DU PEUPLE.

Aussi, il n’est personne dans Grenade qui n’appelle sur vous deux les bénédictions d’Allah. 

ALMAÏDE.

Qu’il est doux de vous inspirer un attachement si tendre ! Privée de ma famille dès mes plus jeunes ans, séparée d’un père chéri, d’une mère adorée, c’est parmi vous seuls que j’ai trouvé de véritables amis.

L’HOMME DU PEUPLE.

Le roi a juré de vous servir de père, madame ; et sa bonté...

ALMAÏDE, troublée.

Le roi !

À part.

Ah ! grand Dieu !

ISMÈNE.

Quel trouble !... madame...

ALMAÏDE, au peuple.

Mes amis, éloignez-vous un moment ; j’ai besoin d’être seule... Abenhamet va bientôt venir... Vous nous accompagnerez à l’autel ; je veux être environnée de tous ceux qui m’aiment : allez.

Le peuple sort.

 

 

Scène III

 

ALMAÏDE, ISMÈNE

 

ALMAÏDE.

Respirons un moment... Est-ce bien mon hymen qui s’apprête ?Est-ce bien Abenhamet que je vais nommer mon époux ? Je tremble toujours qu’une illusion n’égare mes sens !

ISMÈNE.

Quoi ! madame, lorsque le peuple fait éclater ses transports ; quand le monarque lui-même, étouffant l’amour que vous lui avez inspiré, vous fait le sacrifice de sa passion et consent à votre hymen, vous seule fuyez le spectacle de l’ivresse publique ?

ALMAÏDE.

Chère Ismène, ce superbe appareil ne saurait calmer le trouble qui me poursuit : au moment de voir combler tous mes désirs, je ne puis éloigner de mon cœur de tristes pressentiments !

ISMÈNE.

De la crainte, vous, madame !

ALMAÏDE.

Hélas ! telle est ma situation, qu’Abenhamet doit toujours l’ignorer ; son salut en dépend.

ISMÈNE.

Le roi aurait-il rétracté sa parole ?

ALMAÏDE.

Ah ! je l’accuse bien moins que son perfide favori ! Sans les conseils de ce Saheb, du chef des farouches Zégris, des ennemis mortels de notre tribu, Boabdil se laisserait fléchir... Mais ce vil courtisan, jaloux des honneurs que l’on accorde à mon amant, jaloux d’une gloire qu’il ne peut atteindre, de vertus qu’il ne peut imiter, accable de sa haine un héros qui lui porte ombrage.

ISMÈNE.

Quoi ! vous pensez...

ALMAÏDE.

L’amour est clairvoyant ; c’est en vain que Saheb veut me cacher ses sentiments secrets ; je sais qu’il a juré la ruine d’Abenhamet, et l’amour du roi favorise ses coupables desseins.

ISMÈNE.

Mais le consentement que Boabdil donne aujourd’hui à votre hymen ?

ALMAÏDE.

Ne peut me rassurer : sous prétexte de combattre l’Espagnol, il occupait mon amant loin des murs de Grenade, et le confiant Abenhamet, croyant servir un bienfaiteur, eût versé avec joie tout son sang pour l’ingrat qui le trahissait. Effrayée d’un amour aussi impérieux, je laissai éclater mes reproches, j’osai même le menacer de tout découvrir au prince Almanzor.

ISMÉNE.

À son fils !

ALMAÏDE.

Tu sais combien il respecte les vertus de ce jeune prince : confié dès sa plus tendre enfance aux soins d’Abenhamet, c’est près de lui qu’il s’est formé au noble apprentissage des armes, c’est à ses côtés qu’il a cueilli ses premiers lauriers : aussi Abenhamet est il son guide, son frère, son héros, et si le jeune Almanzor connaît l’orgueil, c’est lorsqu’il célèbre los exploits et la gloire de son ami.

ISMÈNE.

prince est donc instruit de l’amour de son père pour vous ?

ALMAÏDE.

Non : peine eus-je prononcé le nom d’Almanzor, que le Roi resta confondu ; il demeura quelque temps plongé dans un sombre silence, puis il me dit :Almaïde, c’en est assez ; oubliez mon erreur ; qu’elle soit toujours un secret pour mon fils ; songez qu’un seul mot imprudent perdrait Abenhamet : votre bonheur sera le prix de mon pardon. Depuis lors je ne l’ai pas revu ; il m’a cependant tenu sa promesse. À peine Abenhamet fut-il de retour, qu’il céda à ses sollicitations, et consentit à notre hymen... mais te l’avouerai-je, Ismène, cette tranquillité apparente ne rassure pas mon cœur, et je tremble qu’il ne médite sa vengeance.

ISMÈNE.

Ah ! madame, pourquoi douter de sa sincérité ? Le Roi,  jusqu’à présent généreux, magnanime, n’a pu changer en si peu de temps, et une passion passagère n’éteint point les vertus dans un cœur tel que le sien...

ALMAÏDE.

On vient... c’est Abenhamet et le prince.

ISMÉNE.

Encore quelques instants, et toutes vos craintes seront dissipées.

 

 

Scène IV

 

ALMAÏDE, ISMÈNE, ABENHAMET, ALMANZOR

 

ABENHAMET, à Almaïde.

Chère Almaïde, je vois enfin le jour qui va couronner ma tendresse ; c’est le dernier instant que la gloire sacrifie à l’amour. La trêve qui m’a ramené dans ces murs, expire dans deux heures ; demain il faudra voler à de nouveaux combats ; venez, l’autel est prêt, que j’emporte avec moi le nom de votre époux.

ALMAÏDE.

Ah ! seigneur, il m’est donc permis de partager votre impatience ; mais le vertueux Almanzor ne daigne-t-il pas vous accompagner au temple ? La fête nous en serait plus chère.

ALMANZOR.

Moi, belle Almaïde, m’éloigner un seul instant d’Abenhamet, de mon maître, de mon compagnon d’armes ! je ne l’ai jamais quitté au milieu des combats, et je m’en séparerais au plus beau moment de sa vie !

ABENHAMET.

Digne Almanzor je ! n’ai plus qu’un vœu à former : puisses-tu trouver une Almaïde.

ALMANZOR.

Je n’envie point ton sort : jusqu’à présent l’amitié me suffit ; elle remplit mon cœur... toute mon ambition est de partager tes périls et ta gloire.

ALMAÏDE.

Qui ne connait vos vertus, seigneur ! chacun bénit d’avance le prince que le ciel destine au trône de Grenade.

ALMANZOR, vivement.

Ne parlez point de trône, vous ignorez quels chagrins l’environnent... oh ! mes amis ! mon bonheur serait parfait, sans les craintes que mon père m’inspire.

ABENHAMET.

Le Roi !

ALMAÏDE.

Que dites-vous, prince ?

ALMANZOR.

Je ne puis en douter, son caractère n’est plus le même ; quelque chagrin profond est la cause de ce changement : en proie a la plus sombre mélancolie, il languit et s’éteint chaque jour : le monde lui fait horreur, il fuit ses courtisans et ne me voit qu’avec contrainte.

ABENHAMET.

Se peut-il !

ALMAÏDE, avec crainte.

Et vous n’avez pu pénétrer le motif ?...

ALMANZOR.

J’ai vainement tenté de lui arracher son secret ; mais le silence le plus obstiné est sa seule réponse... Almaïde, Abenhamet, il faut m’aider ; à le sauver de cette solitude effrayante ; peut-être que nos soins...

ABENHAMET.

Ah ! le ciel m’est témoin que je donnerais ma vie pour lui.

ALMAÏDE, à part.

Quelle situation !

ALMANZOR.

Pardon, Almaïde ; je vous afflige, je vais réparer mes torts, je veux qu’Abenhamet vous reçoive des mains de l’amitié.

ISMÈNE, à Almaïde.

Madame, le peuple impatient de vous présenter ses hommages, attend la permission de commencer la fête qu’il vous a préparée.

ALMAÏDE.

Si le prince y consent... 

ALMANZOR.

Sans doute ; la gaité de ces braves gens est une preuve de leur attachement pour vous, et je les en aime davantage.

Almaïde fait signe à Ismène que la fête peut commencer.

ALMANZOR, au premier officier.

Vous, allez avertir le Roi que le temple est paré, et que l’on n’attend que sa présence.

L’officier sort. Almaïde se place entre Almanzor et Abenhamet ; elle reçoit les fleurs que lui offrent les jeunes filles. Une d’elles s’avance et lui demande la permission de commencer leurs jeux en sa présence : elle y consent. Ballet. On exécute plusieurs danses ; des esclaves Maures se mêlent aux jeunes filles. Le ballet devient vif et animé : il est interrompu par l’arrivée de l’officier.

 

 

Scène V

 

ALMAÏDE, ISMÈNE, ABENHAMET, ALMANZOR, L’OFFICIER

 

ALMANZON.

Eh bien... le Roi ?

L’OFFICIER.

Seigneur, n’espérez-pas le voir. Il nous défend l’entrée de son palais ; ce jour semble avoir redoublé ses tourments : la lumière lui paraît odieuse.

ALMANZOR.

Que dis-tu ?

ALMAÏDE, à part.

Je devais le prévoir.

L’OFFICIER.

C’est à vous, Prince, que le roi confie aujourd’hui le soin de le remplacer à la fête ; il veut que vous présentiez les deux époux au temple, et que son absence ne soit point un obstacle à leur union.

ALMANZOR, pensif.

Quel est donc ce noir chagrin qu’il dérobe à ma tendresse ?

ABENHAMET, pensif.

Quelle peut être la cause de son désespoir ?

ALMAÏNE, à part.

Je ne la connais que trop.

ISMÈNE, bas.

Au nom d’Abenhamet, madame, craignez de vous trahir.

ALMANZOR, au peuple.

Mes amis, suivez-moi tous au temple ; Dieu ne sera pas insensible à nos prières... Il rendra un monarque, un père à ses enfants,

ABENHAMET.

Il sera touché de ses malheurs.

ALMANZOR.

Mais, avant tout, je dois acquitter un devoir sacré. Cher Abenhamet, belle Almaïde, venez recevoir la récompense de votre fidélité ; c’est à l’amitié à recueillir les serments de l’amour.

Les danses recommencent ; le cortège se met en marche. Les jeunes gens précèdent les époux en dansant et jouant de divers instruments. Le peuple suit ; la musique s’éloigne peu-à-peu, et doit peindre en finissant l’entrée du roi.

 

 

Scène VI

 

BOABDIL, seul

 

Ils s’éloignent enfin !... Quoi ! ces chants de bonheur me poursuivront jusque dans mon palais !... Infortuné ! je n’avais point assez souffert de la fureur de mes ennemis, des rigueurs de la fortune ; il fallait encore que l’amour vînt combler tous mes maux !... Heureux Abenhamet ! que ton sort est différent ! Chéri du peuple, estimé même du Castillan, époux d’Almaïde... d’Almaïde ! et je le souffrirais ! Insensé !... il n’est plus en mon pouvoir de suspendre leur union !

 

 

Scène VII

 

BOABDIL, SAHEB

 

SAHEB, à part.

Le roi est seul : profitons du dernier instant qui me reste ; il faut perdre Abenhamet, ou me perdre moi-même.

BOABDIL.

Ah ! cher Saheb, tu viens de les voir ; sont-ils déjà au temple ? Parle, de grâce ; ai-je perdu toute espérance ?

SAHEB.

Seigneur, quelle espérance pouvez-vous conserver encore ? Ne vous êtes-vous pas sacrifié vous-même ? n’avez-vous pas donné votre consentement ?

BOABDIL.

Il est trop vrai !... Saheb, juge de la violence de ma passion, puisque j’ai pu balancer un moment à être juste. Je l’avoue en rougissant ; au milieu du désordre de mon esprit, le croiras tu ? vingt fois j’ai été prêt à fuir de Grenade ; je voulais vivre dans des lieux ignorés, pour ne pas être témoin du bonheur d’un autre et mourir vertueux : mais mon fatal amour a tant d’empire sur mon cœur, que la présence d’Almaïde suffisait pour une faire rejeter un tel projet. Dès que je la vois, vertus devoirs, j’oublie tout, et je ne songe plus qu’aux moyens de la posséder.

SAHEB.

Quoi, seigneur, lorsqu’il s’agit de votre repos, vous pouvez hésiter ? Vous tremblez de faire couler quelques larmes ? Et pour qui ? pour un sujet orgueilleux, comblé de vos bienfaits, et qui les paiera bientôt par la plus lâche trahison !

BOABDIL.

Saheb, que dis-tu ? ton zèle t’égare : Abenhamet m’à consacré son bras, et je dois à son courage la splendeur de mon règne.

SAHEB, rapidement.

Il m’en coûte de détruire votre illusion, seigneur ; mais cet aveuglement peut nous perdre tous : déjà vos sujets murmurent hautement ; chacun voit avec peine que vous donnez à l’ambitieux Abenhamet tous les moyens de satisfaire ses coupables desseins. Les Abencerrages, fiers de leur chef, ont séduit, en sa faveur, presque toute l’armée ; ses soldats, dans leur admiration pour lui, l’élèvent au-dessus des rois ; ses amis le jugent digne du trône et parlent de vous en faire descendre.

BOABDIL.

Les perfides !

SAHEB.

Enfin, le prince Almanzor lui-même ne voit plus que par les yeux de son ami ; trop jeune pour démêler les vrais projets de l’Abencerrage, il se laisse entraîner à des démarches coupables, et...

BOABDIL.

Arrête Saheb :Abenhamet peut me trahir ; mais jamais Almanzor, jamais mon fils bien-aimé ne partagera son crime.

SAHEB.

Le prince est sans doute aveuglé, et je suis loin de l’accuser...Mais, seigneur, devez-vous encore des ménagements au traitre qui cherche à vous enlever votre fils ?

BOABDIL, troublé.

Des ménagements !... Non... non, il connaîtra Boabdil.

Avec embarras.

Peut-être est-il trop tard... ils sont sans doute unis...

SAHEB, cachant à peine sa joie.

Dites un mot, seigneur, et j’amène Almaïde à vos pieds.

BOABDIL, vivement.

Il serait encore temps ! tu le crois, cher Saheb ?... Mais quels motifs pourront excuser une pareille violence ?

On entend les trompettes.

SAHEB.

Ce signal des combats vous annonce que la trêve vient d’expirer. Il serait dangereux de laisser paraître vos soupçons sur Abenhamet ; dissimulez pour assurer votre vengeance. Les Espagnols s’avancent avec le terrible Gonzalve... ils menacent vos états... Suspendez la cérémonie ; ordonnez qu’Abenhamet rejoigne à l’instant vos guerriers.

BOABDIL.

Je t’entends... cours ne perds pas un seul moment, sauve Almaïde d’un hymen que je redoute plus que la mort ; je sens que je ne saurais vivre sans elle.

SAHEB, à part.

Superbe Abenhamet, je serai vengé de tes triomphes !

Il sort.

 

 

Scène VIII

 

BOABDIL, seul

 

Abenhamet serait-il vraiment coupable ? son ambition pourrait-elle conspirer contre moi ? Je voudrais me le persuader et me justifier à mes propres yeux. Ah ! qu’on trouve aisément des torts à ceux qu’on hait !

Moment de silence.

Non, je ne puis le croire. Les vertus de ce jeune héros, son amour pour ses rois ne détruisent que trop des bruits calomnieux... Et ce pendant je vais lui enlever le seul prix qu’il ambitionnait !... Ô délire honteux !... Comment triompher de vous, et revenir à la vertu ?

On entend une musique éloignée.

Qu’entends-je ? ces chants de joie et de bonheur !... Ils sont au temple ; ah ! grand Dieu ; Saheb m’a flatté d’un faux espoir... il n’est plus temps... Courons moi-même...

Il s’arrête brusquement.

Qui, moi ? dévoiler ma faiblesse aux yeux de tout mon peuple ! aux yeux d’un fils ! le forcer à rougir de son père... Ah ! plutôt mourir cent fois de mon indigne amour !... Le bruit semble s’approcher... les chants ont fait place à des cris...

Avec joie.

Ils viennent... Saheb m’a tenu parole ; Almaïde est libre, et je puis espérer...

On entend un grand bruit.

La voici : quel moment !

 

 

Scène IX

 

BOABDIL ALMANZOR, ABENHAMET, ALMAÏDE, ISMÈNE, SAHEB, GARDES, PEUPLE

 

Almaïde est entre Abenhamet et Almanzor qui la défendent.

ABENHAMET.

Soldats, n’approchez pas.

ALMANZOR.

Traîtres : vous méconnaissez votre prince !

ALMAÏDE, à Boabdil.

Ah ! seigneur, je me jette à vos pieds ; vengez-nous de l’insolence de Saheb, vengez-nous de sa cruauté.

BOABDIL.

Levez-vous, Almaïde. !

ALMAÏDE.

Non, seigneur, je ne quitterai point cette place, que votre justice n’ait prononcé : on ose se servir de votre nom pour violer les droits les plus sacrés !... Ni mes pleurs, ni les cris de la foule indignée, ni les menaces d’Abenhamet n’ont pu arrêter l’audace de ce chef des Zégris ; Saheb, sans respect pour la sainteté du lieu, suspend la cérémonie et m’entraine à l’Alhambra... Ah ! seigneur, parlez, je vous en conjure ; ne souffrez point qu’on me sépare de l’époux que vous m’avez choisi.

BOABDIL, avec embarras.

Almaïde, calmez-vous ; j’ai dû différer votre hymen : l’intérêt de l’état ne nous permet plus de songer à des fêtes. Grenade est menacée ; remettons votre union à des temps plus tranquilles, la pompe nuptiale s’effraye d’un appareil guerrier...

ABENHAMET, se contenant à peine.

L’intérêt de l’état ! Boabdil, je ne connais pas la dissimulation, un soldat sait mal cacher sa pensée ; je le vois, tu me trompes...

BOABDIL.

Moi, te tromper !

ABENHAMET, vivement.

Tu me trompes, te dis-je ; mais je ferai valoir tes serments... Boabdil, chacun de ses états est scellé de mon sang. Je ne me repens pas de l’avoir versé pour toi ; je le répandrais encore avec joie pour assurer la puissance et ta gloire ; mais ne m’ôte pas la récompense qui m’était promise : de quel droit d’ailleurs prétends-tu me priver d’Almaïde ? Son père, en expirant, ne m’a-t-il pas nommé son fils ? Est-il en ton pouvoir de m’enlever ce titre ?

BOABDIL.

Et c’est toi qui me tiens, ce langage ? Ignores-tu donc que toutes les Castilles ont juré la destruction de Grenade ; ignores-tu que des peuples entiers s’approchent de nos murs ? Quel moment pour un hymen... Tandis que tu couleras tes jours au sein du repos et des plaisirs, l’ennemi dévastera nos champs, égorgera nos soldats !

ABENHAMET.

Nomme-moi l’époux d’Almaïde, et de l’autel, je vole combattre l’audacieux Gonzalve.

BOABDIL.

Non, Almaïde est d’un prix qu’une seule victoire ne saurait mériter.

ABENHAMET.

Oseras-tu l’arracher de mes bras ?

BOABDIL.

Téméraire !

ALMANZOR.

Ah ! seigneur, pardonner à son trouble, à son amour... vous aviez vous-même fixé ce jour pour son hymen...

SAHEB.

Quoi le prince Almanzor pourrait sacrifier l’intérêt de Grenade à son amitié !

ALMANZOR, fièrement.

Saheb, je parle au Roi.

Saheb se retire dans le fond.

BOABDIL.

Almanzor !

ALMANZOR.

Eh ! seigneur, qui défendra Abenhamet, si ce n’est son ami ? avez-vous donc oublié que son exemple, ses leçons guidèrent mes premiers pas et formèrent ma jeunesse ? qu’il a conservé vos états, qu’il ne demande que la main d’Almaïde, pour aller encore prodiguer son sang pour vous ?... ô mon père, repoussez les conseils des méchants qui vous environnent, n’écoutez que votre conscience ; elle vous guidera mieux, que des ministres perfides...

BOABDIL.

Prince, je veux bien excuser votre ami : je pardonne un outrage que tout autre ne m’eût point fait impunément ; mais qu’il se montre digne de ma clémence : Gonzalve, le plus terrible de nos ennemis, s’avance avec rapidité ; ses victoires ont déjà signalé son entrée dans mes états ; qu’Abenhamet rassemble mon armée, qu’il vole à sa rencontre ; le jour qui le ramènera vainqueur de Gonzalve, sera celui de son hymen.

ABENHAMET.

Eh quoi ! toujours de nouveaux obstacles.

BOABDIL.

C’est le dernier sacrifice que j’impose à ton amour.

ABENHAMET, vivement.

Non, je ne partirai que l’époux d’Almaïde ; ce titre m’est promis, je l’exige avant tout. Si je ne puis l’obtenir, si tu méconnais mes droits et tes serments, je renonce à la gloire qui m’est offerte : un autre ira repousser tes ennemis.

ALMANZOR.

Abenhamet, que dis-tu ?

BOABDIL.

Insensé !

ALMANZOR.

Non, mon ami, non, tu ne souilleras pas ta gloire par une faiblesse indigne d’elle. Obéis à ton Roi, obéis à la voix de l’honneur, à l’intérêt de ton amour lui-même... viens combattre Gonzalve.

ABENHAMET.

Moi, quitter Almaïde !

ALMANZOR.

Grenade te l’ordonne, ton ami t’en conjure.

ABENHAMET.

Almanzor, cher Almanzor, que tu sais bien le chemin de mon cœur... je ne puis plus te résister, quand tu parles de Grenade et de ton amitié.

À Boabdil.

Boabdil, j’obéis à tes ordres, je cours chercher Gonzalve, le vaincre, et je reviens aussitôt réclamer la main d’Almaïde.

BOABDIL.

Tu l’obtiendras : je le jure par Mahomet.

ABEHNAMET.

J’accepte ton serment. Tremble, redoutable Gonzalve Boabdil vient de prononcer la mort !

ALMAÏDE, bas à Ismène.

Grand dieu ! sa perte est préparée sans doute ?

SAHEB, à part.

Je respire ! mon triomphe est certain !

BOABDIL, à un officier.

Qu’on apporte l’étendard sacré du prophète ; qu’il soit le signe de la faveur que j’accorde à ce jeune héros.

ALMANZOR, à Abenhamet.

Cher Abenhamet, je vais donc partager tes dangers ! ah puissè-je aux dépens de ma vie conserver des jours si précieux la belle Almaïde !

BOABDIL.

Prince, vous ne pouvez suivre Abenhamet ; l’absence de nos deux chefs compromettrait la sûreté de Grenade.

ALMANZOR, vivement.

Me séparer d’Abenhamet, seigneur ! Le laisser combattre sans moi !

BOABDIL.

Je vous le répète, Almanzor, la prudence exige que vous demeuriez dans nos murs : votre Roi vous l’ordonne.

ALMANZOR, tristement.

J’obéis.

ALMAÏDE, bas à Ismène.

On éloigne le prince ! ah ! voilà ce qui justifie mes craintes !

 

 

Scène X

 

LES MÊMES, LE PEUPLE

 

L’on apporte avec pompe l’étendard sacré. Le Roi le saisit, et le présente à Abenhamet.

BOABDIL.

Abenhamet, reçois ce signe révéré du salut de Grenade ; je le confie à ta valeur... songe que c’est à sa conservation que sont attachées les destinées de mon trône, et que nos lois condamnent au dernier supplice celui qui se laisse enlever ce dépôt précieux.

ABENHAMET, relevant l’étendard.

Roi de Grenade, je te le rapporterai plus brillant après la défaite de Gonzalve !

À ses soldats.

Fidèles Abencerrages, jurez tous de mourir avec moi, avant que l’Espagnol nous arrache l’étendard de la foi !

Les soldats lèvent leurs épées vers lui.

Nous le jurons !

SAHEB, à part.

Sa perte est assurée !

ALMANZOR, à part.

Et je ne puis le suivre !

Les trompettes sonnent à plusieurs reprises.

ABENHAMET.

Amis, se signal nous appelle : suivez-moi ; tout nous promet la victoire ; Dieu, notre courage et l’étendard sacré !

BOABDIL, bas à Saheb.

Veille sur Almaïde.

SALEB, bas.

Elle est à vous, seigneur ; l’absence d’Abenhamet vous favorise : il faut aujourd’hui même qu’elle vous nomme son époux.

BOABDIL, bas.

Silence !

Haut.

Partez.

Musique guerrière. Abenhamet, à la tête de ses Abencerrages, défile devant le Roi ; il baisse avec respect l’étendard devant lui. Almaïde le suit des yeux, avec inquiétude : le peuple l’entoure à sa sortie. Boabdil et Saheb, sur le devant de la scène, se parlent bas et observent Almaïde et Abenhamet. Ce dernier, au moment de sortir, s’arrête pour jeter un dernier regard sur Almaïde : elle veut s’avancer, Almanzor la soutient ; elle étend ses mains vers Abenhamet : Le Roi frémit.

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente le camp des Maures. La tente d’Abenhamet est à droite ; un groupe de soldats est à gauche. Au fond, quelques fortifications.

 

 

Scène première

 

Abenhamet dans sa tente ; officiers, soldats groupes à gauche du théâtre et occupés à écouter un vieux soldat qui tient une flûte à la main.

Après le solo de flûte.

UN SOLDAT.

Bravo ! mon cher Osmin ! Comment diable ! malgré tes soixante ans, tu l’emportes, encore sur tous nos jeunes troubadours.

OSMIN.

Eh ! eh ! je me souviens de mon jeune temps ; vous voyez qu’il m’en reste quelque chose.

TOUS LES SOLDATS.

Bravo ! bravo !

OSMIN.

Allons, mes amis, de la gaieté ! le jour d’une bataille est un jour de fête pour un vieux soldat. La seule idée d’une victoire me rajeunit de vingt ans.

UN SOLDAT.

Notre général paraît bien triste !

OSMIN.

C’est tout simple : il quitte sa maîtresse et la laisse au milieu d’une foule de courtisans qui ne seraient peut-être pas très fâchés de la lui souffler.

UN SOLDAT.

Par Mahomet, si je le savais !

OSMIN.

Patience ; commençons par battre Gonzalve...

UN SOLDAT.

C’est que je donnerais ma vie pour mon brave général !

TOUS LES SOLDATS.

Nous aussi !

OSMIN.

Et moi donc ! moi... qui l’ai vu naître, qui l’ai porté dans mes bras, et qui ai remporté vingt victoires sous ses ordres !... je défie que quelqu’un l’aime plus que moi.

ABENHAMET, dans sa tente.

Cruelle séparation !... au moment d’être unis !

OSMIN.

Il soupire !... allons, allons, tâchons de l’égayer.

Aux soldats.

Mes enfants, vous avez sans doute laissé vos maîtresses à Grenade : écoutez la romance d’Olivier, et apprenez à suivre son exemple.

Romance.

Musique de M. Quaisain.

Vous qui combattez pour la gloire,
Vaillant soldat, jeune guerrier,
Ne flétrissez point le laurier
Que vous présente la victoire.
Sachez, comme le Troubadour,
S’il le faut, perdre votre amie :
Il sut immoler son amour,
Pour le salut de sa patrie !

CHŒUR.

Il sut immoler, etc.

ABENHAMET, dans sa tente.

Leur gaieté déchire mon cœur.

Osmin continue.

Deuxième couplet.

Olivier aimait Isabelle,
Qui le payait d’un doux retour.
Loin de l’objet de son amour,
Las ! bientôt la guerre l’appelle
Olivier vole au champ d’honneur ;
Il abandonne son amie :
Il sut immoler son ardeur
Pour le salut de sa patrie !

CHŒUR.

Il sut immoler, etc.

ABENHAMET, dans sa tente.

Ah ! c’est trop écouter l’intérêt de ma flamme, je ne dois penser qu’à l’honneur !

Osmin continue.

Troisième couplet.

Enfin, plus tendre et plus fidèle,
Le brave et vaillant Olivier
Revint, et l’heureux chevalier
Fut couronné par Isabelle.
Méritons par notre valeur
Un prix aussi digne d’envie ;
Soldats, combattons pour l’honneur,
Pour l’amour, et pour la patrie !

CHŒUR.

Soldats, combattons, etc.

ABENHAMET, sortant de sa tente.

Amis, cessez vos chants : que chacun retourne à son poste ; Gonzalve n’est pas loin de nous.

OSMIN.

Tant mieux, mon général ; nous aimons à le voir de près.

ABENHAMET.

Préparez vos armes, rassemblez vos soldats ; que dans une heure tout soit disposé pour exécuter mes ordres.

OSMIN.

Tout est prêt, mon général, et je vous réponds d’avance de la victoire.

Aux soldats qui l’entourent.

Suivez-moi, vous autres ; et par la mort !... souvenez-vous bien que le premier qui broncherait, aurait affaire à moi.

Ils sortent.

 

 

Scène II

 

ABENHAMET, seul

 

Non je ne me suis point abusé ; Almaïde me cachait un secret. Ses larmes, son trouble, qu’elle s’efforçait de dissimuler... elle semblait m’avertir par ses regards qu’on menaçait mes jours... Au moment de me quitter, elle a pensé trahir ce mystère... je m’y perds, et ne puis deviner.

 

 

Scène III

 

ABENHAMET, UN SOLDAT

 

LE SOLDAT.

Seigneur ?

ABENHAMET.

Que veux-tu ?

LE SOLDAT.

Un jeune homme, un pâtre des environs de Grenade, s’est introduit dans le camp ; on vient de l’arrêter. Il prétend avoir un papier à vous remettre.

ABENHAMET.

Qu’il vienne.

Le soldat sort.

Gonzalve s’avance : ah ! puissé-je bientôt joindre ce fier Castillan, le vaincre et réclamer ensuite le prix qu’on me promet !

 

 

Scène IV

 

ABENHAMET, LESBIN, LE SOLDAT

 

LESBIN, au soldat.

Eh ! mon Dieu, que de cérémonie ! allez, je saurai bien parler tout seul.

ABENHAMET.

Approche, jeune homme.

Il fait un signe au soldat qui sort.

LESBIN, à part.

Celui-ci a l’air plus honnête que les autres.

ABENHAMET.

Eh bien, que veux-tu de moi ?

LESBIN.

Pardon, monseigneur ; mais c’est bien vous qui êtes le général ?

ABENHAMET.

Sans doute : aurais-tu quelque chose à lui demander ?

LESBIN.

Oh ! bien au contraire, monseigneur ; c’est moi qui viens vous rendre service.

ABENHAMET.

Toi ?

LESBIN.

Oui, monseigneur ; tenez, voilà comme la chose m’est arrivée. Il y a environ deux heures que je conduisais mes chèvres sur la petite colline ; je m’étais adossé contre la grande tour ; et là, tout en regardant paître ces pauvres animaux, je pensais à ma petite Zulmé, qui est bien la plus jolie fille du canton, sauf votre respect, monseigneur... et que son père ne veut pas me donner, parce qu’il dit que je suis pauvre.

ABENHAMET.

Après, après.

LESBIN.

Voilà que tout-à-coup une flèche tombe à mes pieds ; je la ramasse et j’y vois un papier attaché tout au bout.

ABENHAMET.

Eh bien ce papier ?...

LESBIN.

Oh ! monseigneur, moi je ne sais pas lire : je l’ai porté à notre vieux berger qui déchiffre tout cela, lui, et qui m’a dit que c’était un billet adressé au général Abenhamet. C’est bien vous, n’est-ce pas, monseigneur ? 

ABENHAMET.

Eh ! donne vite.

LESBIN, lui donnant le papier.

Tenez ; personne ne l’a lu.

ABENHAMET, le regardant.

Ciel ! l’écriture d’Almaïde !

Il baise le papier.

Ô bonheur !... bonheur inespéré !

À Lesbin, lui donnant une bourse.

Toi qui m’as conservé ces caractères chéris, tiens, prends cet or, prends, tout est à toi.

LESBIN, sautant de joie.

Oh ! quelle est lourde !...quelle fortune !... ô ma petite Zulmé, tu ne garderas plus tes chèvres, tu n’habiteras plus ta vilaine cabane ; te voilà riche, moi aussi, nous pourrons enfin nous marier !

ABENHAMET, lisant.

Dieux ! qu’ai-je lu !... Almaïde dans les fers ; on prétend disposer de sa main !... Barbares !

LESBIN, à part en tremblant.

Mon Dieu ! que ces grands seigneurs sont drôles !... ils vous font des amitiés, et puis l’instant d’après...

ABENHAMET, furieux et lisant.

Saheb !... ah ! traître !... je t’arracherai le cœur !

LESBIN, effrayé.

Monseigneur... si ce papier contient quelque chose qui vous ait offensé, je vous jure qu’il n’y a pas de ma faute.

ABENHAMET, sans l’écouter.

Devais-je m’attendre à cette perfidie !

LESBIN.

Dame, monseigneur, moi je ne sais pas ce que c’est qu’une perfidie... mais puisque ce billet vous cause tant de chagrin, je m’en vais vous rendre votre bourse : je vois bien que ma nouvelle ne vaut pas tout l’argent que vous m’aviez donné... Tenez...

ABENHAMET, vivement.

Moi, reprendre cette récompense, lorsque ton zèle me sauve du plus grand péril !... Ah ! garde cet or, toute ma fortune ne paierait point le service que tu viens de me rendre. Sans toi, j’étais victime du complot le plus abominable... Sans toi, j’allais perdre un bien qui m’est plus cher que la vie.

LESBIN.

C’est-il possible ?... oh ! quel bonheur !

ABENHAMET.

Mais je n’ai pas un moment à perdre...Laisse-moi, mon ami, j’ai besoin d’être seul.

LESBIN.

Oui, mon général, je vous laisse. Adieu ! adieu !...Souvenez-vous de Lesbin, qui vous est dévoué à la vie et à la mort.

Il sort.

 

 

Scène V

 

ABENHAMET, seul

 

Boabdil !... Saheb !... ô trahison !

Il relit.

« Rien ne peut sauver Almaïde... elle saura subir son sort... Abenhamet, le Roi me force de choisir, du trône ou du supplice. Mon choix est fait. »

Il ferme la lettre.

Ô suprême justice, viens me guider : que résoudre ? Comment prévenir les desseins criminels de Boabdil ? ah ! si je n’écoutais que ma rage !... mais quoi, abandonner mes soldats ! fuir devant l’Espagnol ! souiller ma gloire par l’apparence d’une lâcheté !...Grand Dieu ! l’infamie deviendrait le partage d’Abenhamet !... Mais Almaïde elle m’attend ; elle m’implore !... si je tarde un instant, elle m’est ravie pour toujours... Boabdil me l’enlève !... Ne puis-je, à l’insu de l’armée, courir défendre ses jours, sa liberté... et revenir vaincre Gonzalve ?... Ah ! c’en est fait, je n’écoute que ma fureur !... oui dussè-je commettre un crime, je vole où m’appelle mon amour.

Il voit Almanzor.

Ciel ! Almanzor !

 

 

Scène VI

 

ABENHAMET, ALMANZOR, UN SOLDAT

 

ALMANZOR, au soldat.

Vas retourne auprès du Roi ; je me repose sur ton zèle du soin de lui cacher mon absence.

Le soldat sort. À Abenhamet.

Ami, tu me revois ; je n’ai pu résister au désir de venir partager tes dangers et ton triomphe.

ABENHAMET, à part.

Ah ! qu’il ignore le crime de son père... il en mourrait !

Haut.

Vous ici, prince ?

ALMANZOR.

C’est contre l’ordre du Roi ; mais je l’apaiserai. Me condamnerais-tu à rester spectateur oisif des combats que tu vas livrer ? ma place n’est-elle plus la même dans ton cœur ?

ABENHAMET, préoccupé.

Des combats... oui... oui, ils seront terribles.

ALMANZOR, l’observant.

Quels sombres regards ! que signifie ce trouble, ces soupirs étouffés ?

ABENHAMET, à part.

Ah ! grand dieu !

ALMANZOR.

 Tu ne me réponds pas... tu détournes les yeux...

Avec sentiment.

Abenhamet, est-ce ainsi que tu accueilles Almanzor ?

ABENHAMET, vivement.

Ah ! pardonne au plus infortuné des hommes. Mon cœur n’est pas coupable ; mais un malheur imprévu, le désordre de mes esprits... oh ! mon ami si tu savais ce que je souffre !

ALMANZOR.

Un malheur, et je l’ignore ! ingrat ! tu te dis mon ami, et tes secrets ne sont plus les miens !

ABENHAMET.

Au nom du Ciel, Almanzor, respecte ce mystère : mon silence est la plus grande preuve que je puisse te donner de mon amitié.

ALMANZOR.

Non, ce silence est un outrage dont mon cœur est blessé... Redouterais-tu quelque danger ?... l’espagnol...

ABENHAMET.

Ah ! si je n’avais à craindre que les ennemis de Grenade !... mais il en est un qui se cache et qui frappe dans l’ombre.

ALMANZOR, avec feu.

Nomme le moi.

ABENHAMET, effrayé.

Almanzor... que demandes-tu ?

ALMANZOR.

On ose t’attaquer, et tu n’es pas vengé ! quel est le traitre ?

ABENHAMET.

Moi, te le nommer... jamais.

ALMANZOR.

Je l’exige ; j’en ai le droit... si tu me refuses encore, je renonce... je cesse de croire à ton amitié.

ABENHAMET.

Je ne puis.

ALMANZOR.

Achève.

ABENHAMET, hésitant.

Ô mon ami !... Almaïde !...

ALMANZOR.

Eh bien !

ABENHAMET, vivement.

On me l’enlève.

ALMANZOR.

Qui ?

ABENHAMET.

Un traître...

ALMANZOR.

Son nom ?... et je cours l’immoler.

ABENHAMET, effrayé.

Toi ?... juste ciel !

ALMANZOR.

Ce bras ne te trahira pas.

ABENHAMET.

Ah ! qu’allais-je faire ?

ALMANZOR.

Son nom encore une fois ? 

ABENHAMET.

Si tu savais quel est mon ennemi ?

ALMANZOR, avec feu.

Quel qu’il soit, sa mort est assurée ! fais-le moi connaître, et je jure que ma main...

ABENHAMET, lui saisissant la main.

Arrête, malheureux !

ALMANZOR.

Tu frémis !

ABENHAMET, dans le plus grand trouble.

Rétracte ton serment.

ALMANZOR.

Douterais-tu de moi ?

ABENHAMET, toujours plus troublé.

Almanzor, par pitié ne m’interroge pas, épargne ton ami, laisse-moi ; ta vue fait mon supplice !

ALMANZOR.

Non, non, tu prétends en vain m’éloigner ; je ne te quitte, pas que tu ne m’aies nommé le perfide...

ABENHAMET, après un silence.

Tu le veux, infortuné !... tu vas avoir horreur de ton propre sang, tu vas frémir du serinent abominable...

ALMANZOR.

Ah ! c’en est trop... parles.

ABENHAMET, lui donnant le papier.

Ce papier t’apprendra tout : tiens, lis.

Il feint d’entrer dans sa tente, et s’éloigne furtivement.

Courons délivrer Almaïde, ou mourir à ses yeux !

 

 

Scène VII

 

ALMANZOR, seul

 

Il lit la lettre.

Que vois-je ?... ô funeste mystère !... c’est mon père !... c’est lui que mon bras offrait de punir ?... Juste ciel ! hâtons-nous de combattre sa passion criminelle, et de sauver sa gloire en triomphant d’un amour qui le déshonore !

Il cherche Abenhamet.

Abenhamet, mon ami... Mais, grand Dieu ! je ne le vois plus... il ne me répond pas... je crains tout de son désespoir...

On entend un bruit de guerre.

 

 

Scène VIII

 

ALMANZOR, LES OFFICIERS derrière la coulisse

 

LES OFFICIERS, en-dehors.

Aux armes ! aux armes !

ALMANZOR.

Quel bruit ?

PREMIER OFFICIER, entrant précipitamment.

Seigneur, Gonzalve paraît à la tête de ses Castillans.

ALMANZOR.

Gonzalve !

L’OFFICIER.

Nos soldats brûlent d’en venir aux mains ; ils demandent à grands cris leur général et le signal du combat... Mais, hélas ! le malheureux Abenhamet...

ALMANZOR, vivement.

Que lui est-il arrivé ?

L’OFFICIER.

Il a quitté le camp... je viens de le voir, égaré, hors de lui, sur le chemin qui conduit à Grenade : j’ai tenté de le suivre ; mais il s’est élancé aussitôt sur un coursier, et je l’ai perdu de vue.

ALMANZOR, troublé.

Se pourrait-il ?... Il est perdu !... que faire ?... Ô ciel !

L’OFFICIER.

Ses officiers s’avancent.

ALMANZOR, bas.

Ami, le plus profond silence sur Abenhamet.

L’OFFICIER.

Comptez sur mon dévouement.

ALMANZOR, dans le plus grand trouble et à part.

Ô désespoir ! sa mémoire flétrie !... son nom couvert d’un opprobre éternel !...

Comme frappé d’une idée subite.

Ah ! sauvons-lui du moins l’honneur, si je ne puis sauver sa vie !

Il entre dans la tente d’Abenhamet.

L’OFFICIER, seul.

Quel peut être son dessein ? Espère-t-il cacher à l’armée l’absence de notre chef ? Déjà les soldats l’appellent à grands cris, pour l’opposer à Gonzalve. Toute leur force, tout leur courage n’existent que dans la présence d’Abenhamet. Le prince osera-t-il leur annoncer une fuite qui doit les consterner ? Ah ! sans doute, son âme généreuse va tout tenter pour conserver l’honneur de son ami... Mais, grand Dieu, j’aperçois les officiers Abencerrages qui viennent prendre les ordres d’Abenhamet... tout est perdu !

Plusieurs officiers Abencerrages viennent se ranger près de la tente d’Abenhamet. Almanzor reparaît.

ALMANZOR, revêtu des armes d’Abenhamet, et portant l’étendard.

Amis, l’Espagnol nous attend ; marchons, et qu’il apprenne à nous connaître !

OSMIN.

Mais Abenhamet ne paraît point... au moment du combat... Quel motif ?...

ALMANZOR.

Gardez-vous d’accuser son courage : son absence est un piège qui doit perdre Gonzalve.

Montrant l’étendard.

Reconnaissez cet étendard, c’est le gage du pouvoir qu’il m’a confié. Vous reverrez bientôt votre général ; mais, jusqu’à son retour, jurez-vous d’obéir à mes ordres ?

TOUS.

Oui, oui ; nous le jurons !

ALMANZOR, à part.

Ô puissance éternelle ! viens soutenir mon amitié... Je bénirai ma mort, si je puis le sauver de l’ignominie !

TOUS.

Marchons.

ALMANZOR, aux officiers.

Fidèles Abencerrages, ayez soin de cacher aux soldats l’absence de votre chef ; ses armes, dont je viens de me couvrir, favoriseront mes projets et tromperont toute l’armée. Suivez-moi, et qu’à notre aspect les Castillans perdent l’espoir de nous asservir.

Ils sortent.

 

 

Scène IX

 

BOABDIL, SAHEB

 

Ils entrent du côté opposé.

BOABDIL, entrant précipitamment.

Non, te dis-je, laisse-moi.

SAHEB.

Seigneur...

BOABDIL.

Laisse-moi fuir des lieux qu’Almaïde me fera détester.

SAHEB.

Eh ! quoi, vous voulez perdre en un instant le fruit de tant de soins ?

BOABDIL.

Je ne me connais plus... L’orgueil, la honte se succèdent tour-à-tour dans mon âme ! je voudrais me cacher au monde entier... je crains les regards de mon fils... je crains qu’il ne lise sur mon front la faiblesse de son père !... Dans le trouble qui me poursuit, j’ai cru que le tumulte des camps distrairait ma douleur, et maintenant je tremble de m’être trop éloigné d’Almaïde ; je ne vois qu’elle seule, je ne songe qu’au danger de la perdre !

SAHEB.

Une garde fidèle et nombreuse veille sur la tour où je l’ai renfermée.

BOABDIL.

Mais Almanzor !

SAHEB.

Depuis l’ordre que vous avez donné au prince de ne point quitter Grenade, votre fils, retiré dans son palais, se dérobe à tous les yeux.

BOABDIL.

Ô ciel ! craindre les regards d’un fils que je chéris !... Que n’ai-je le courage d’abjurer ma funeste passion... mais tous mes efforts sont impuissants : lorsque je descends dans mon âme, je n’y retrouve qu’Almaïde et l’amour !... Dans ce moment, je l’aime, je l’adore plus que jamais !

SAHEB, avec intention.

Et cependant, seigneur, si le fier Abenhamet revient triomphant, il réclamera la promesse solennelle que vous lui avez faite ; il faudra renoncer à la belle Almaïde. Verrez-vous d’un œil tranquille leur bonheur ?... leur tendresse mutuelle ?

BOABDIL, vivement.

Leur tendresse... non, cette épreuve est au-dessus de mes forces !... Abenhamet !... je brûle de me délivrer d’un rival odieux !

SAHEB, mystérieusement.

Eh bien, seigneur, s’il était perdu sans espoir ?... si sa vie était dans vos mains ?

BOABDIL.

La vie d’Abenhamet !... explique-toi.

SAHEB.

Seigneur, je ne dois plus vous déguiser ce que non zèle m’a dicté pour servir votre amour.

BOABDIL.

Parle.

SAHEB.

L’étendard sacré qu’Abenhamet doit défendre, est un dépôt dont il répond au peuple, quelque soit le sort des armes : S’il se laisse enlever ce gage de notre gloire, nos lois le condamnent au supplice.

BOABDIL, inquiet.

Eh bien ?

SAHEB.

Je viens d’assurer sa perte ; il lui sera enlevé. Gonzalve est prévenu ; vos fidèles Zégris l’ont fait avertir secrètement qu’ils doivent abandonner Abenhamet au milieu du combat.

BOABDIL.

Qu’entends-je ?

SAHEB.

 Ce chef insolent et ses Abencerrages, ne pourront résister aux efforts des Castillans, et sa défaite vous rend maître de ses jours : doutez-vous qu’Almaïde, pour sauver son amant...

BOABDIL, furieux.

Malheureux ! qu’as-tu fait ?... Moi, sacrifier l’intérêt de ma couronne, au plaisir de me venger d’un rival !

SAHEB.

Ah ! daignez m’écouter.

BOABDIL.

Perfide !... compromettre le sort de mes états !... c’est ta haine que tu as servie, et non l’amour de ton maître !... Je lis enfin au fond de ton âme, j’en découvre toute la noirceur.

SAHEB.

Pourriez-vous penser...

BOABDIL.

Oui, je suis trahi ; mais ma vengeance sera terrible !

SAHEB.

Devais-je m’attendre...

BOABDIL vivement.

Il n’est pas temps de prononcer ton châtiment !... Cours, misérable, cours te mettre à la tête de tes Zégris, tu peux encore réparer ta trahison ; que l’étendard de Grenade soit sauvé, qu’il ne devienne pas la proie de ces Castillans, et je te laisse la vie !... Mais si Gonzalve est victorieux, s’il nous enlève ce gage de la foi, si ta perfidie obtient le succès que tu désires, ton supplice suivra de près ma défaite...

SAHEB.

Seigneur...

BOABDIL, vivement.

Tu balances, traître... obéis, et ne réparais devant moi que vainqueur de Gonzalve, ou je fais rouler ta tête à mes pieds.

Saheb sort désespéré.

 

 

Scène X

 

BOABDIL, seul

 

Par quelle fatalité ce Saheb a-t-il pu triompher de ma raison ! Ah ! quelle que soit sa perfidie, je dois moins l’accuser encore que mon amour insensé ! Mais ces regrets sont inutiles ; en ce moment, peut-être, l’étendard sacré nous est ravi... Courons mourir, s’il le faut... Mais quels cris ! juste ciel !...

 

 

Scène XI

 

BOABDIL, PREMIER OFFICIER, suivi de ses SOLDATS

 

L’OFFICIER.

Ah ! seigneur, éloignez-vous, la sûreté du camp est menacée ! nos soldats n’ont pu soutenir le choc terrible des Castillans ; entrainé par les infâmes Zégris qui ont pris ouvertement la fuite, ils viennent de se précipiter au milieu des retranchements que Gonzalve fait attaquer par tous les siens.

BOABDIL.

Et l’étendard sacré ?

L’OFFICER.

Les Abencerrages et leur chef intrépide lui font un rempart de leurs corps ; la plaine est déjà couverte du sang de cette vaillante tribu ; mais je tremble qu’ils ne puissent soutenir les efforts de toute l’armée espagnole.

BOABDIL, mettant l’épée à la main.

Volons à leur secours !

L’OFFICER.

Seigneur, y pensez-vous ? exposer votre personne !...

BOABDIL.

Suivez-moi... mais que vois-je ?... l’étendard de Mahomet fuir devant nos ennemis !

 

 

Scène XIΙ

 

LES MÊMES, ABENCERRAGES, ZÉGRIS

 

Ils entrent en désordre et comme poursuivis par les Espagnols.

BOABDIL se précipitant au milieu d’eux.

Arrêtez, lâches ; vous fuyez !... Gonzalve est-il donc invincible ?... Arrêtez, où votre roi se frappe à vos yeux !

Almanzor paraît, suivi de plusieurs Abencerrages. L’un d’eux tient l’étendard d’une main et se défend de l’autre ; une troupe d’Espagnols l’entoure, le presse, tandis qu’Almanzor, le roi et les Abencerrages sont entraînés de différents côtés ; ils font de vains efforts pour percer jusqu’au porte-étendard ; le nombre les accable. Le porte-étendard est sur le devant de la scène ; il soutient quelque temps ce combat inégal, il reçoit plusieurs blessures ; tombe sur un genou ; un Espagnol se précipite sur lui pour lui arracher le drapeau ; l’Abencerrage se relève vivement et renverse l’Espagnol à ses pieds. On l’attaque avec plus de vivacité ; il sent qu’il va succomber : il s’enveloppe de l’étendard, et tombe mort en l’embrassant. Les Espagnols s’en emparent aussitôt ; Almanzor survient avec ses Abencerrages ; les Espagnols prennent la fuite.

ALMANZOR, aux siens.

Grand Dieu !... l’étendard de la foi nous est arraché !... Amis, volons recouvrir notre gloire !

Almanzor et ses Abencerrages se précipitent sur les Espagnols, qui fuient devant eux.

 

 

Scène XIII

 

BOABDIL, sans épée, suivi de quelques soldats qui restent dans le fond

 

C’en est fait ! ma honte est à son comble ! Le destin, les Zégris... tout me trahit à-la-fois ! ô jour d’opprobre et d’infamie !...

À ses soldats.

Quoi, malheureux, votre pitié cruelle m’a soustrait à la mort que je demandais !... Venez seconder votre roi ; peut-être est-il temps encore de sauver l’honneur de Grenade !

 

 

Scène XIV

 

LES MÊMES, SAHEB

 

Les soldats sont dans le fond.

SAHEB.

Seigneur...

BOABDIL.

Perfide ! oses-tu bien reparaître devant moi ? après avoir vendu tes frères, viens-tu insulter au malheur de ton maître ?

SAHEB.

Ah ! seigneur, pardonnez, j’avais cru vous servir ; j’en atteste le Dieu de Mahomet, mon dévouement pour vous a seul causé mon crime ; mais je puis réparer ma faute : un danger que vous êtes loin de soupçonner menace en ce moment votre trône et vos jours ; le peuple de Grenade vient de se soulever.

BOABDIL.

Que dis-tu ?

SAHEB.

Je vous l’avais prédit, seigneur : l’adroit Abenhamet s’est emparé de l’esprit des premiers de la ville, il dirige, à son gré, les mouvements de l’armée, et si votre sévérité n’arrête son insolence...

BOABDIL.

Tu me trompes encore, traître, et de haine pour Abenhamet a tissé cette fable.

SAHEB.

Disposez de ma vie, si ma bouche en impose.

BOABDIL.

Quoi, Abenhamet ?... et quelles preuves de son crime ?...

SAHEB, lui remettant un papier.

Cet avis que le gouverneur de Grenade vient de m’adresser...

BOABDIL.

Se pourrait-il, juste ciel !

SAHEB.

Lisez, seigneur.

BOABDIL, lisant.

« Les partisans d’Abenhamet se répandent dans Grenade et soulèvent les esprits en sa faveur. On se menace, oh court aux armes : déjà plusieurs troupes de factieux se sont dirigés vers la tour qui renferme Almaïde ; le nom d’Abenhamet vole de bouche en bouche. On parle de trahison, de vengeance... Le sang n’a pas encore coule… mais tout annonce qu’avant une heure, nous serons attaqués. Envoyez-moi vos Zégris. »

SAHEB.

Eh bien, seigneur ?

BOABDIL.

Quelle trame abominable ! Je ne puis concevoir un tel excès d’audace !

SAHEB.

Et voilà celui que votre bonté accablait d’honneurs, de richesses et de distinctions !

BOABDIL.

Cours donner les ordres nécessaires ; qu’il vienne sur-le-champ, qu’on éloigne ses Abencerrages : je veux l’accabler de reproches, jouir de son désespoir, de sa confusion, le livrer aux mains des bourreaux et marcher sur Grenade, précédé de l’appareil des supplices.

SAHEB.

Seigneur, contenez-vous ; j’aperçois une troupe d’Abencerrages, ils viennent sans doute implorer votre clémence.

BOABDIL.

Leurs prières n’obtiendront rien de moi.

 

 

Scène XV

 

LES MÊMES, TROUPE D’ABENCERRAGES

 

BOABDIL.

Abencerrages ; l’Espagnol est repoussé loin du camp ; mais il emporte avec lui notre honneur, Grenade est frappée dans sa gloire ; nos dépouilles ornent en ce moment les trophées de Gonzalve. Je lis dans vos regards consternés la honte qui vous dévore... Je suis loin d’accuser votre valeur ; mais votre général osera-t-il reparaître devant moi sans le dépôt sacré que je lui avais confié ? Il avait juré de mourir pour sa défense.

L’OFFICIER.

Son sort est dans vos mains ; mais il n’est point coupable, je le jure.

BOABDIL.

Rien ne peut le sauver.

L’OFFICIER.

Votre clémence.

BOABDIL.

Je dois un exemple à l’armée.

L’OFFICIER.

Ses exploits passés...

BOABDIL.

Je suis juge et ne vois que son crime.

 

 

Scène XVI

 

LES MÊMES, ALMANZOR entouré de SOLDATS

 

Ils approchent lentement : Boabdil ne voit point son fils.

SAHEB.

Il approche, seigneur.

BOABDIL.

J’ai porté son arrêt !

S’avançant.

C’est la mort !

Au moment où il prononce ces mots, il reconnaît son fils.

Que vois-je ? Almanzor !

SAHEB, confondu.

Le Prince !...

ALMANZOR, s’avançant.

Moi-même. 

BOABDIL, à part.

Ô surprise ! je croyais perdre Abenhamet.

ALMANZOR.

Oui, c’est Almanzor que votre bouche vient de condamner, et qui bénit le ciel d’une erreur qui sauve son ami !

BOABDIL.

Quel mystère ! Je tremble de l’éclaircir. Répondez, Almanzor, pourquoi ce déguisement ? Vous venez de combattre, Abenhamet, ne paraît point, et je vous vois revêtu de ses armes.

ALMANZOR.

Je vous ai désobéi, seigneur, je le confesse ; mais la gloire de Grenade m’en a fait un devoir, et sans la lâcheté des Zégris...

BOABDIL.

Mais Abenhamet, vous ne m’en parlez point.

ALMANZOR.

Je ne dois plus vous le cacher, il a quitté l’armée. Saheb, ce brave et fidèle sujet, peut vous en apprendre la cause.

BOABDIL.

Qu’entends-je ?

SAHEB.

N’en doutez plus, seigneur ; Abenhamet est à Grenade, et c’est lui qui soulève le peuple pour attenter à votre puissance.

ALMANZOR, vivement.

Misérable imposteur ! Je n’ai qu’un mot à dire pour te confondre.

BOABDIL.

C’est trop ménager un rebelle, gardez-vous de le défendre.

ALMANZOR.

Abenhamet n’a plus que moi, et je l’abandonnerais ! Non, mon père, mon sort est lié au sien : innocent, je dois le justifier ; coupable, je l’aimerais encore et je m’immolerais. pour lui !

BOABDIL.

Le justifier, lui ! qui pourrait l’espérer ?

ALMANZOR.

Moi : voilà la preuve de son innocence.

Il tire la lettre d’Almaïde.

BOABDIL.

Ce papier ?

ALMANZOR.

L’honneur d’Abenhamet est compromis, je ne saurais balancer.

BOABDIL.

Quel est donc cet écrit ? Pourquoi ce trouble qui t’agite ?

ALMANZOR.

Lisez.

BOABDIL.

Je frémis malgré moi.

Il ouvre la lettre.

Ciel ! que vois-je ? l’écriture d’Almaïde !

SAHEB, à part.

D’Almaïde !...serait-il vrai ?

ALMANZOR, pendant que son père lit.

Le voilà ce secret que j’aurais voulu dérober à tout l’univers ; oui, voilà le véritable crime de mon ami !... Ah ! mon père, daignez m’écouter : je vous en conjure par tout ce que vous ayez de plus cher !... ne souillez point une si belle vie par la plus cruelle injustice... pourriez-vous payer ainsi le sang d’Abenhamet ? pourriez-vous devenir, en un jour, barbare, ingrat, parjure ? non, non, le malheur, l’abaissement, la mort même me serait préférables à cet excès de honte !

BOABDIL, à part.

Quel horrible tourment !

ALMANZOR.

Vous ne répondez rien ?... Abenhamet...

BOABDIL.

On ne peut le soustraire au châtiment que sa trahison mérite... qu’a-t-il fait de l’étendard sacré ?

ALMANZOR.

Qu’a-t-on fait de son Almaïde ?

BOABDIL, offense.

Almanzor !

ALMANZOR.

Ah ! pardon, pardon, mon père... le désespoir m’égare ; mais les jours de mon ami sont menacés. Si l’étendard, confié à sa valeur, est tombé entre les mains de Gonzalve, ne punissez que moi ; c’est moi qui ai méconnu vos ordres ; pour combattre à la place d’Abenhamet, et je dois supporter seul la peine d’une faute qu’il n’a point partagée.

 

 

Scène XVII

 

LES MÊMES, UN OFFICIER

 

L’OFFICIER, au Roi.

Seigneur, Abenhamet, à la tête de quelques-uns des siens, attaque avec fureur la tour de Grenade, et veut en arracher Almaïde. Paraissez, ou bientôt il ne sera plus temps de l’arrêter... ses efforts sont ceux du désespoir, et déjà plusieurs des nôtres ont péri sous ses coups.

BOABDIL.

Le perfide !... voilà donc la cause de notre défaite !... il a vendu sa patrie !

ALMANZOR.

Lui, mon père ! 

BOABDIL.

Suivez-moi ; vos yeux seront témoins de sa mort.

ALMANZOR.

Non, il ne mourra point ; c’est moi que la loi condamne.

BOABDIL.

Je t’accorde la vie.

ALMANZOR, à ses pieds.

Vous ne pouvez prononcer ma grâce, sans prononcer celle d’Abenhamet.

BOABDIL.

Laisse-moi.

ALMANZOR, avec désespoir.

Mon père ! mon père nous sommes perdus... qu’allez-vous faire !

BOABDIL.

J’ai juré son trépas.

ALMANZOR, se trainant à ses pieds.

Pensez à votre gloire si c’est la flétrir pour jamais ! 

BOABDIL.

Laisse-moi, te dis-je.

ALMANZOR.

Non je, ne vous quitte pas.

BOABDIL,  avec fureur.

C’en est fait.

ALMANZOR, vivement et se relevant.

Vous voulez l’immoler ?... eh bien, je ne vous arrête plus ! allez ; mais craignez, coups de rencontrer ma tête !

BOABDIL, frémissant.

Quel tableau ! juste ciel !

ALMANZOR.

Je vole à ses côtés ; c’est là que vous trouverez Almanzor, et vous ne parviendrez au cœur de mon ami, que sur le corps de votre fils !

Il sort.

BOABDIL, aux siens.

Que l’on suive ses pas : je crains tout de son égarement.

À Saheb et aux Zégris.

Vous, courez vous emparer du traître Abenhamet ; qu’il soit chargé de fers, plongé dans un cachot. Avant la fin du jour, son supplice aura satisfait à nos lois, puni tous ses forfaits et vengé mon amour !

Il sort, suivi de ses soldats.

 

 

ACTE III

 

Il fait une nuit sombre. Le théâtre représente une forêt. À droite est la cabane de Lesbin, sur un roc assez élevé ; elle est entourée d’une chaine de rochers, au milieu des quels on voit quelques pins et d’autres arbres : à gauche, t’entrée d’un souterrain ; au fond une montagne.

 

 

Scène première

 

ABENHAMET, seul

 

Arrêtons-nous ici. C’est dans cette forêt, qui touche aux portes de Grenade, qu’Almanzor m’a recommandé de l’attendre. Voilà donc désormais mon seul asile ! des déserts, des forêts... Cruel Boabdil, jouis de mon abaissement, abreuve-toi des larmes d’une femme, ces plaisirs sont dignes de toi !... Almaïde, je n’ai pu te sauver, et je respire encore !... au moment où j’allais briser tes fers, saisi, traîné dans un cachot, je n’ai dû mon salut qu’aux soins généreux d’Almanzor... forcé de fuir, je n’ai pu me dérober à tous les yeux qu’à la faveur de la nuit, et couvert des vêtements du dernier de mes soldats !... on vient ; c’est sans doute Almanzor : armons-nous de courage.

 

 

Scène II

 

ABENHAMET, ALMANZOR, appelant Abenhamet

 

ALMANZOR.

Abenhamet ! c’est ton ami, c’est Almanzor qui t’appelle.

ABENHAMET.

Est-ce toi, cher ami ? ah ! je te presse sur mon sein ! mais parle : qu’est devenue Almaïde ?

ALMANZOR.

Almaïde...

ABENHAMET.

Achève.

ALMANZOR.

Almaïde doit être l’épouse du Roi.

ABENHAMET.

Son épouse !

ALMANZOR.

Le Roi avait mis ta grâce à ce prix ; ton arrêt était porté, tu devais subir la mort ; Almaïde n’a point balancé : en ce moment peut-être ils prononcent l’un et l’autre des serments éternels.

ABENHAMET, avec l’expression de la plus vive douleur.

Elle n’existe plus pour moi ! ah ! pourquoi ta généreuse amitié a-t-elle brisé mes fers ?

Il tombe dans ses bras.

ALMANZOR.

Mon ami !

ABENHAMET.

L’infortunée ! elle à cru sauver mes jours, je n’en doute pas : Cet espoir seul à pu la décider.

Amèrement.

Comme elle s’est trompée !

ALMANZOR.

Je m’attendais à tes regrets ; mais j’espérais aussi trouver le cœur d’un guerrier, et non la faiblesse d’un amant.

ABENHAMET.

Quoi tu voudrais qu’après ce coup mortel !...

ALMANZOR.

Je veux que ton courage se montre au-dessus des caprices de la fortune... mes prières n’ont pu te sauver de l’exil, Grenade te repousse, te méconnait. Eh bien, nous saurons trouver une patrie moins ingrate.

ABENHAMET.

Tu me suivrais dans ma disgrâce ?

ALMANZOR.

Ne dois-je point la partager.

ABENHAMET.

Et j’accepterais un pareil sacrifice ! moi, je t’enlèverais à ta famille, à ton pays. Non ; non, trop généreux Almanzor, d’autres infortunés réclament ton appui ; va cours remplir ta destinée, abandonne un proscrit...

ALMANZOR, avec feu.

T’abandonner !... je le pouvais, lorsque l’hymen et les honneurs semblaient te promettre le sort le plus brillant : tu n’avais plus besoin de moi alors ! Mais aujourd’hui, quand tout te trahit à-la-fois, aucune puissance au monde ne pour rait m’éloigner de toi un jour, un seul instant ; je renonce à tout, ta fortune est la mienne, ton offense, la mienne.

ABENHAMET, attendri.

Almanzor !

ALMANZOR, avec sentiment.

Tu es malheureux, je ne te quitte plus.

ABENHAMET.

Mon ami... malgré moi tu fais couler mes larmes ; je ne croyais plus en répandre.

ALMANZOR.

Ce ne sont plus des larmes qu’il nous faut.

ABENHAMET, se remettant.

N’espère rien de moi.

ALMANZOR.

Que prétends-tu ?

ABENHAMET.

Mourir !

ALMANZOR.

Insensé !

ABENHAMET.

Almaïde m’oublie !... mon pays me rejette...

ALMANZOR.

Ingrat ? et tu ne me dois rien à moi ?...

ABENHAMET, vivement.

Pardonne... pardonne, je rougis de ma faiblesse.

ALMANZOR.

Ah ! c’est trop l’écouter : hâtons-nous de fuir une patrie infortunée. Tes esclaves et les miens m’attendent à l’entrée de la forêt, je cours leur donner la liberté ; seuls, sans autres soutiens que notre courage et la vertu, nous irons chercher un autre ciel. Dans notre noble pauvreté, je veux que les rois mêmes nous portent envie !

L’observant.

Abenhamet, je te retrouverai dans ces lieux ?

ABENHAMET, avec calme.

Je te le jure.

ALMANZOR.

Je suis content : adieu.

Il le serre dans ses bras.

Abenhamet, l’amitié est tout pour Almanzor : crois-moi, ce sentiment doit suffire au bonheur.

Il sort.

 

 

Scène III

 

ABENHAMET, seul

 

Elle n’existe plus pour moi, et j’ai promis de vivre !... Ah ! je le sens, cet effort est impossible !... Almanzor, rends-moi mon serment, ou rends-moi Almaïde !

Il s’avance au fond du théâtre.

Je ne me trompe pas, à la clarté des rayons de la lune, à travers ce feuillage, j’aperçois les remparts de Grenade ; je distingue ces murs qui m’ont vu naître et qu’il faut quitter pour toujours !... ô mon pays...

Il tombe accablé sur un banc ; on entend une musique villageoise.

 

 

Scène IV

 

ABENHAMET, LESBIN

 

LESBIN, chantant dans les coulisses.

Tra la la la la la...

Il entre en sautant.

Ah ! mon Dieu ! que le jour tarde donc à paraître ! j’ai beau chanter, il ne vient pas plus vite.

ABENHAMET, se croyant seul.

Plus d’espoir !

LESBIN.

Comme la nuit me paraît longue !... c’est pour demain... Oui, à demain, a dit le père de Zulmé !... Dam ! à présent (37) il n’ fait pas l’ fier ; une bourse d’or, ça lui a tout de suite donné un cœur paternel.

ABENHAMET, se levant.

J’entends quelqu’un, je crois.

LESBIN, l’apercevant.

Oh mon Dieu !

ABENHAMET.

Ne crains rien mon ami.

LESBIN, tremblant.

Qu’y a-t-il pour vot’ service, monsieur l’soldat ? Voyez, cherchez, je ne cache point d’ennemis dans ma cabane.

ABENHAMET.

Cette cabane est la tienne ?

LESBIN.

Oui, monsieur l’ soldat ; j’y demeure seul encore aujourd’hui ; mais demain, ma petite Zulmé l’habitera avec moi.

ABENHAMET.

Veux-tu m’y laisser reposer quelques instants ? je saurai récompenser...

LESBIN.

Oh ! à présent, je suis si riche, qu’au lieu de recevoir du bien, je ne veux plus songer qu’à en faire aux autres... Parlez, commandez chez moi.

ABENHAMET, à part.

C’est parmi les rochers que j’aurai rencontré un cœur compatissant !

LESBIN.

Dites-moi, monsieur l’soldat ; vous connaissez sûrement le général Abenhamet ?

ABENHAMET.

Oui, mon ami.

LESBIN.

Le verrez-vous bientôt ?

ABENHAMET.

Pourquoi ?

LESBIN.

Oh ! dès que vous l’approcherez, dites-lui, je vous prie, que vous avez rencontré le pauvre pâtre qui lui a remis un billet... ce matin, au bout d’une flèche... et qu’il a enrichi pour toute sa vie... il saura bien ce que c’est...Dam ! voyez-vous, je le porte dans mon cœur, le général Abenhamet ; et si jamais je deviens Roi, je le fais général de tous mes soldats... entrez donc dans ma cabane.

ABENHAMET, à part.

Il me reconnaîtrait !

Haut.

Mon ami, je veux encore respirer ici la fraicheur du matin.

LESBIN.

À votre aise, M. le soldat’ ; dans votre état, on aime le grand air. Attendez, restez sur ce banc, je vais aller traire de mon meilleur lait, et je vous l’apporterai avec du bon pain de maïs.

Il entre dans sa cabane.

ABENHAMET, seul.

L’exil ! voilà les bienfaits d’un Roi reconnaissant !... l’exil !...

Il écoute.

qu’entends-je ? on porte ici ses pas !... j’entrevois des flambeaux !... je voudrais me dérober aux regards de tous les hommes... Cette chaumière n’est point sûre pour moi, ce jeune homme lui-même, me trahirait sans le vouloir. Entrons dans cette caverne : une retraite aussi sombre convient à ma douleur.

Il entre dans le souterrain, à gauche des spectateurs.

 

 

Scène V

 

BOABDIL, SAHEB, SOLDATS avec des flambeaux

 

BOABDIL.

Toutes nos recherches sont vaines : parjure Almaïde ! comme elle m’a trompé !

À ses soldats.

Vous l’avez vue se jeter dans cette forêt !

SAHEB.

Plusieurs gardes du palais l’ont suivie jusqu’au pied de cette montagne ; elle n’était accompagnée que de sa fidèle Ismène, et d’un esclave qu’ils ont arrêté près de ces lieux.

BOABDIL.

Cet esclave, il fallait l’interroger.

SAHEB.

Il a tout avoué, seigneur ; Almaïde suivant le traitre que vous avez banni.

BOABDIL.

Abenhamet !... Ainsi, elle ne feignait d’écouter mon amour, de céder à mon impatience, que pour mieux me trahir et protéger sa fuite !

SAHEB.

Seigneur, la fuite d’Almaïde doit vous éclairer sur le péril qui vous menace.

BOABDIL.

Que puis-je craindre ?

SAHEB.

Abenhamet, retiré dans ce bois, n’attend, sans doute, qu’un instant favorable pour faire éclater sa vengeance ; c’est ici qu’Almaïde et lui vont se réunir : déjà, peut-être, l’heureux Abenhamet conduit les pas de la perfide !... Ils s’applaudis sent de leur triomphe !... Ils se rient de votre colère !

BOABDIL.

Que dis-tu ?

SAHEB.

Peut-être même préparent-ils sourdement les moyens de renverser votre puissance, de rassembler leurs partisans.

BOABDIL, avec fureur.

Si je le savais !

SAHEB, avec intention.

Croyez-moi, seigneur ; la mort d’Abenhamet est nécessaire à la sûreté de votre trône. Tant que vous laisserez vivre ce sujet orgueilleux, il cherchera à venger l’injure faite à son amour :profitez de l’occasion que le destin vous offre ; le traître, ne peut nous échapper : il va tomber entre nos mains. Si vous l’ordonnez, ayant une heure vous serez délivré d’un rival aussi dangereux.

BOABDIL, après l’avoir fixé.

Moi, commander une lâcheté !... Tu ne sais conseiller que des crimes.

SAHEB.

Est-ce un crime d’affermir votre puissance ?

BOABDIL.

L’affermir par une trahison !

SAHEB.

Dites un juste châtiment.

BOABDIL.

C’est à moi seul à prononcer sur son sort : qu’on respecte ses jours, je le veux ; tremble de me désobéir.

SAHEB, à part.

Quel peut être son dessein ?

BOABDIL.

Disposez mes gardes autour de cette montagne ; qu’ils s’emparent de toutes les avenues, des chemins qui conduisent hors de ce bois... La fatigue m’accable, laissez-moi seul, je veux me reposer un moment dans cette chaumière.

SAHEB.

J’obéis...

À part.

Je saurai de servir, en dépit de ses ordres... L’existence d’Abenhamet est va supplice pour moi.

Il sort, suivi de ses soldats.

 

 

Scène VI

 

BOABDIL, seul

 

Dans quel abime de honte et de tourment ce misérable m’a-t-il plongé !... Infâme Saheb !... c’est à toi que je dois, tous mes malheurs... lâche et vil courtisan !... tu n’as encouragé mes faiblesses et flatté mes passions, que pour satisfaire les tiennes !... Mais je pourrai te punir des remords qui me déchirent, et que les conseils ont fait naître ! infortuné !... sans amis, sans soutien... mon fils même m’abandonne !... Ce coup est affreux pour mon cœur. Almanzor !... ah ! reviens, reviens près de ton malheureux père !

Il s’appuie contre un arbre.

 

 

Scène VII

 

BOABDIL, ABENHAMET, sortant du souterrain

 

ABENHAMET, se croyant seul.

Ils sont partis !...

Il aperçoit Boabdil.

Mais, quel est ce guerrier !... je ne me trompe pas... ces vêtements somptueux... c’est lui !... c’est Boabdil ! seul, sans gardes ; c’est le ciel lui-même qui le livre à ma fureur ! Vengeons-nous.

BOABDIL, se croyant seul.

Plus d’amour... abjurons une erreur trop funeste.

ABENHAMET, s’approchant.

Avançons.

BOABDIL.

Quelle vieillesse l’avenir me-prépare.

ABENHAMET, saisissant son poignard.

Qui peut donc m’arrêter ?... mon cœur est ému... je céderais à la pitié !... l’a-t-il écoutée, lorsqu’il a versé sur moi tous les maux, toutes les infortunes ?...

Il fait un pas et s’arrête épouvanté.

Grand dieu ! un assassinat ! 

BOABDIL.

Mon fils !... Almanzor !... 

ABENHAMET, jetant son poignard.

Almanzor !... ah ! ce nom me désarme ! je lui sacrifie ma vengeance

Bas derrières Boabdil.

Je suis maître de tes jours, barbare !... mais je rougirais d’imiter tes cruautés. C’est Abenhamet que tu as persécuté, proscrit, qui te donne la vie. 

 

 

Scène VIII

 

BOABDIL, ABENHAMET, LESBIN, portant un vase rempli de lait

 

Abenhamet reste dans le fond.

LESBIN, au Roi qu’il prend pour Abenhamet.

Ne vous impatientez pas : me voici ; tenez, prenez ce lait, il est délicieux. Je ne pourrais pas l’offrir meilleur, quand ce serait pour le général Abenhamet.

BOADDIL.

Abenhamet ! que dis-tu ? le connaitrais-tu ? serait-il dans ces lieux/

LESBIN.

Ah, mon dieu ! mon dieu ! ce n’est plus lui !

BOABDIL.

Réponds.

LESBIN, tremblant.

Volontiers... volontiers... tout à l’heure, à cette même place, un Abencerrage a promis de m’attendre.

BAOBDIL.

Et cet Abencerrage ; était-ce Abenhamet ?

LESBIN.

Oh ! je ne m’y serais pas trompé ! je le connais bien le général Abenhamet, j’ai de bonnes raisons pour ne pas l’oublier, et pour l’aimer toujours. ! C’est par lui que je serai marié : je vivrais seul dans ma cabane, maintenant j’aurai une femme et des enfants qui partageront mes peines et mes plaisirs.

BOABDIL.

Des enfants... ah ! grand dieu !

Avec force.

Et moi, je n’aurai pas un ami pour me pleurer, pas un fils pour me fermer les yeux ! que dis-je ! on bénira ma mort... on insultera à ma mémoire... Cette pensée est affreuse ! Abenhamet, Almaïde... ah ! vous êtes trop vengés !

 

 

Scène IX

 

BOABDIL, ABENHAMET, LESBIN, PREMIER OFFICIER conduit par un soldat

 

L’OFFICIER, au Roi.

Je vous cherche, seigneur ; Gonzalve, fier de ses premiers succès, a surpris votre camp et repoussé notre armée et désordre sous les murs de Grenade. Instruit que votre majesté en personne, suivie d’une garde peu nombreuse, parcourait cette forêt, il vient de la faire entourer par ses Castillans ; il espère, en se rendant maître du Roi de Grenade, terminer sans retour une guerre longue et désastreuse. Qu’ordonnez-vous, seigneur, les instants sont précieux.

LESBIN, à part.

Ah ! mon dieu ! c’est le Roi ! j’ai fait de belles affaires !

Abenhamet est toujours dans le fond.

BOABDIL.

Qu’on détache des colonnes sur tous les points qui environnent le bois, afin d’observer les mouvements de l’ennemi, et l’inquiéter dans sa marche, que le centre de l’armée soit dirigé sur cette montagne.

Il désigne celle du fond.

Qu’on garde les hauteurs, qu’on éteigne les feux... L’ennemi n’attaquera pas, sans doute, avant le jour... il verra bientôt s’il est si facile de s’emparer du Roi de Grenade !

L’OFFICIER.

Ceux des Abencerrages qui ont survécu à leurs frères d’armes, brûlent de venger l’affront fait à leur tribu : ils demandent l’honneur de marcher les premiers.

BOABDIL.

Qu’ils combattent !

L’OFFICIER.

Ils n’ont plus de chef.

BOABDIL.

Ils le choisiront parmi eux.

ABENHAMET, à part.

Quel espoir vient m’enflammer !... oui, voilà, la vengeance digne de moi.

Boabdil aux deux soldats.

Vous, venez à l’instant me rejoindre avec les soldats que j’ai laissés à l’entrée de la forêt : je vous attends dans cette cabane.

Abenhamet bas à l’officier.

Ami, reconnais Abenhamet : je cherche la mort, je la désire : c’est au milieu de mes fidèles Abencerrages que je veux la trouver ; conduis moi.

L’OFFICIER, bas.

Ah ! seigneur ; paraissez, et je réponds de la victoire !

Ils sortent tous deux.

 

 

Scène X

 

BOABDIL, LESBIN

 

LESBIN.

C’est le Roi !... comment faire à présent ?... je n’oserai jamais lui offrir...

BOABDIL.

Funeste passion ! tu ne me domineras plus. Ce cœur va reprendre sa fierté et son indépendance !... il est las de se voir le jouet d’une femme !... oui, le soin de ma gloire remplira seul toute ma pensée.

LESBIN.

Il ne me voit pas... seigneur, avez-vous besoin de moi ?... Il ne m’entend pas... au reste, seigneur, je suis le pâtre de cette cabane ; au premier signe que vous ferez, je serai à vos ordres.

Il entre dans sa cabane.

BOABDIL, seul.

Mais, mon fils, où peut-il être ?... m’aurait-il abandonné dans un danger si pressant ?

 

 

Scène XI

 

BOABDIL, ALMANZOR, ALMAÏDE, vêtue très simplement

 

ALMANZOR, à Almaïde.

Venez, madame, venez rassurer mon malheureux ami ; qu’il jouisse du hasard fortune qui m’a fait rencontrer vos pas. Le voilà.

Il lui montre Boabdil ; qu’il prend pour Abenhamet.

BOABDIL, à part.

Quelle voix !

ALMAÏDE.

Abenhamet, est-ce toi que je revois ? toi, que je croyais perdu sans retour ?

Boabdil se découvre.

Dieu ! le Roi !

ALMANZOR.

Mon père !

ALMAÏDE.

Ah ! fuyons.

BOABDIL.

Arrêtez, Almaïde ; ne craignez rien de moi, j’oublie tout en ce moment : plus tard, vous connaîtrez tous deux mes projets et ma volonté. Aujourd’hui nous ne devons songer qu’à vaincre les ennemis de Grenade. Gonzalve n’est pas loin.

ALMANZOR.

Gonzalve !

BOABDIL.

Cette forêt est entourée par ses Castillans : ils osent se flatter de compter bientôt Boabdil au nombre de leurs esclaves.

On entend un cri dans la cabane de Lesbin.

BOABDIL.

Quel cri !

 

 

Scène XII

 

BOABDIL, ALMANZOR, ALMAÏDE, LESBIN, sortant de sa cabane

 

LESBIN.

Ah ! Sire... votre majesté... je les ai vus, sauvez-vous !

BOABDIL.

Que veux-tu dire ?... quelle frayeur !

LESBIN.

Vous n’avez qu’un moment, ils sont-là, vous dis-je.

BOABDIL.

Qui ?

LESBIN.

Les Espagnols... Gonzalve.

ALMANZOR, tirant son épée.

Il vient chercher la mort !

LESBIN.

J’étais dans mon petit jardin... j’ai vu briller au loin des casques et des lances... Je les ai reconnus : ils ne sont plus qu’à deux cents pas d’ici. Encore une fois, votre majesté, je suis sûr qu’ils n’en veulent qu’au Roi.

BOABDIL, mettant l’épée à la main.

Me sauver ! ils verront le Roi, puisqu’ils veulent le connaître.

ALMANZOR.

Almaïde, dérobez-vous aux regards des Castillans.

ALMAÏDE.

Moi, vous quitter !

BOABDIL.

Il le faut.

À Lesbin.

Jeune homme, tu as du courage, je puis compter sur toi ?

LESBIN.

Ah ! parlez, votre majesté, je serais si heureux de vous servir !

BOABDIL.

C’est à toi que je confie la garde d’Almaïde pendant le combat ; je sais que tu portes de la reconnaissance à Abenhamet.

LESBIN.

Oh ? pour ça, je l’aime comme mon père.

BOABDIL.

Eh bien, en veillant sur Almaïde, tu t’acquittes envers lui.

ALMAÏDE, vivement.

Ah ! seigneur, qu’avez-vous dit ?

ALMANZO.

Mon père, serait-il vrai ?

BOABDIL.

Il n’est pas temps de m’expliquer... il faut vaincre avant tout.

LESBIN.

Comment, cette belle dame intéressé le général Abenhamet... Ah ! votre majesté, vous avez bien raison, ils me tueront dix fois avant de l’approcher.

BOABDIL.

Entrez, Almaïde, et attendez notre retour.

Il lui donne la main, elle entre dans la cabane.

LESBIN.

Seigneur, vos soldats ne doivent pas être éloignés.

BOABDIL.

Je les attends ici.

LESBIN.

J’ai mon cor dans ma cabane, je vais en sonner de toutes mes forces ; ça les fera venir.

BOABDIL.

Malheureux, tu t’exposes !...

LESBIN, vivement.

Eh ! qui pourrait faire moins ? je me suis point soldat ; mais on est toujours assez brave quand il faut sauver les jours de son Roi. 

Il rentre en courant.

 

 

Scène XIII

 

BOABDIL, ALMANZOR

 

BOABDIL.

Ils approchent !

ALMANZOR, lui tendant les bras.

Mon père, je puis succomber...

BOABDIL.

Viens sur mon cœur !

Ils s’embrassent.

 

 

Scène XIV

 

BOABDIL, ALMANZOR, QUATRE ESPAGNOLS

 

LES ESPAGNOLS.

C’est lui ! c’est le Roi !

BOABDIL.

Venez, lâches, votre heure est arrivée !

Ils se battent. Le Roi est attaqué par deux Espagnols ; Almanzor par deux autres. Dès le premier choc, Almanzor en jette un à ses pieds, le second recule ; Almanzor le presse vivement ; il se laisse emporter en le poursuivant, et disparaît bientôt. Lesbin sur le toit de sa cabane sonne du cor avec violence. Deux autres espagnols viennent se joindre à ceux qui pressent le Roi, Boabdil s’adosse à un arbre et se défend quelque temps contre ses quatre assaillants : il est prêt de succomber, lorsqu’Abenhamet, vêtu en simple Abencerrage, et la visière baissée, paraît et vole à sa défense. Il renverse deux Espagnols aux pieds du Roi ; les deux autres prennent la fuite.

 

 

Scène XV

 

BOABDIL, ABENHAMET, TROUPE DE SOLDATS qui accourent

 

BOABDIL, à Abenhamet.

Brave et fidèle Abencerrage, ton Roi te doit la vie !... prends cet anneau, tu me le rapporteras après la bataille ; je saurai t’offrir un prix digne de ton dévouement.

Il tire, un anneau de son doigt et le lui donne : Abenhamet s’incline, prend l’anneau et disparaît.

 

 

Scène XVI

 

BOABDIL, SUITE

 

BOABDIL.

Suivez-moi, mes amis ; c’est à nous maintenant à surprendre Gonzalve.

Une troupe d’Espagnols paraît sur la montagne. Le combat s’engage : Boabdil et les siens sont entraînés hors de la scène.

 

 

Scène XVII

 

LESBIN, dans sa cabane

 

Ah ! mon Dieu ! quel tapage de ce côté !... Les Espagnols sont repoussés, ils fuient... eh bien qu’est-ce qu’ils vont donc faire avec leurs flambeaux ? oh ! les enragés ! les voilà qui mettent le feu à la forêt, pour arrêter les nôtres ; ils viennent sur ma cabane !... pauvre Almaïde ! elle est perdue !

Il reprend son cor et sonne plus fort.

 

 

Scène XVIII

 

Des Espagnols, armés de flambeaux et de torches, paraissent dans le plus grand désordre : ils sont poursuivis par les Maures. Le combat s’engage sur la montagne et sur le devant de la scène. Les Espagnols tiennent leur épée d’une main et un flambeau de l’autre. Deux Espagnols veulent pénétrer dans la cabane ; ils enfoncent la porte, Lesbin paraît, armé d’un bâton ferré, et les repousse. Plusieurs Abencerrages veulent s’y réfugier à leur tour. Les Espagnols, ne pouvant parvenir à les en chasser, prennent le parti d’y mettre le feu. Ils lancent plusieurs torches allumées par les fenêtres et par la porte ; la cabane s’embrase, le feu gagne : les Abencerrages font une sortie et repoussent vivement les Espagnols. Cependant des tourbillons de flamme sortent du premier étage : Almaïde paraît à la lucarne d’en haut ; Lesbin, qui l’aperçoit, jette un cri d’effroi : il veut s’élancer dans sa cabane, un tourbillon de feu le repousse. Almaïde lui tend les mains. Lesbin paraît frappé d’une idée subite, et rassemble plusieurs soldats, il les dispose par échelons sur la crête du rocher qui environne la chaumière ; les soldats se groupent de manière qu’ils composent un véritable escalier, dont le degré le plus élevé, formé par un soldat qui tient un bouclier au-dessus de sa tête, se trouve un peu au-dessous de la saillie de la lucarne où l’on voit Almaïde. Lesbin grimpe sur l’arbre qui est contre la chaumière ; il détache sa ceinture, la jette à Almaïde : celle ci s’en empare ; elle sort de la lucarne, pose un pied sur le bouclier qui forme le premier degré, s’appuie sur une lance que le second soldat lui tend : et parcourt ainsi cette chaine jusqu’au dernier soldat, qui la porte sur un banc où elle s’évanouit. Au moment même où Almaïde est descendue de la lucarne sur le premier bouclier, et qu’elle est soutenue d’un côté par la ceinture que lui tend Lesbin, et de l’autre par la lance du second soldat, la chaumière s’écroule embrasée. Dans le même instant, on entend des cris de victoire ; on voit paraître Abenhamet dont la visière est toujours baissée tenant l’étendard de Grenade, suivi d’Almanzor et des siens. À cette vue, les Espagnols ne font plus qu’une faible résistance, ils sont vaincus. Almaïde est soutenue par Lesbin sur le devant de la scène. Boabdil, sans casque et sans épée, tend les bras de son fils et à l’inconnu. Ses soldats s’occupent à arrêter les progrès de l’incendie.

 

 

Scène XIX

 

BOABDIL, ALMANZOR, ABENHAMET, ALMAÏDE, LESBIN, SUITE

 

TOUS.

Victoire ! victoire !

BOABDIL.

Mon fils... mais que vois-je ? l’étendard sacré !

ALMANZOR.

Un héros nous le rend.

ABENHAMET, montrant l’étendard.

Voici le gage de nos serments ; il fut un instant le partage du Castillan... un traitre le livra... il est scellé du sang de chaque Abencerrage. Reconnais aussi cet anneau que tu m’as confié, il t’apprendra, sans doute, à mieux juger Abenhamet.

Il lève sa visière.

TOUS.

Abenhamet !

ALMAÏDE, courant à lui.

Ah ! mon cœur ne m’a point trompée.

LESBIN.

Que je suis content !

BOABDIL.

Abenhamet ! je t’avais deviné ; toi seul étais capable d’immoler ton juste ressentiment au salut de ton Roi et de ta patrie !... qu’Almaïde soit ton épouse, je le verrai sans envie.

ABENHAMET.

Ah ! seigneur, j’ai pu supporter l’exil ; mon âme avait des forces pour braver l’infortune : elle n’en a point assez pour tant de bienfaits !

BOABDIL.

Oubliez une erreur que je brûle de réparer.

À Abenhamet.

Abenhamet, viens reprendre un rang qui t’est dû, et montrer à mes peuples le héros qu’ils adorent,

À Almanzor.

et toi, mon fils !

ALMANZOR, tombant à ses pieds et lui baisant la main.

J’ai retrouvé mon père, voilà le plus beau jour de ma vie !

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