ANCELOT (Virginie)


ANCELOT (Virginie) 1792-1875

 

Biographie

Née à Dijon, au plus fort de la Révolution et de ses excès, Virginie Ancelot, née Marguerite Chardon (Dijon, 15 mars 1792 - Paris, 20 mars 1875) est une femme de lettres dont la vie et la personnalité, à travers son salon et son œuvre théâtrale et romanesque, ont marqué ses contemporains.

Entrée dans le monde parisien grâce à ses talents de peintre, Virginie se révèle très tôt une femme de salon habile, qui épaule avec efficacité son mari, Jacques Ancelot (Le Havre, 9 janvier 1794 - Paris, 7 septembre 1854), propulsé par le succès de ses premières tragédies, dans les années 1815-1820, au sein de la jeune génération romantique sur laquelle s’appuie alors la Restauration.
Il est vrai qu’elle a de qui tenir : sa mère, Barbe-Edmée de Vernisy, issue d’une vieille famille parlementaire et elle-même miniaturiste confirmée, l’a dès son enfance plongée dans l’atmosphère cultivée et raffinée de cette forme de sociabilité mondaine héritée de l’Ancien Régime.

Très tôt, la vie de Virginie Ancelot se construit donc autour des salons et pendant plus de quarante ans, de 1820 à sa mort, par-delà les bouleversements politiques incessants, elle côtoie et accueille en effet le Tout Paris. 
Dans son salon, dont l’influence est à son apogée sous la monarchie de Juillet, les personnalités les plus diverses croisent ainsi l’élite littéraire (d’Alfred de Vigny, Victor Hugo, Mérimée, Charles Nodier ou Stendhal jusqu’à Alphonse Daudet, dans les dernières années), artistique (des peintres comme Eugène Delacroix, Jean-François Heim, mais aussi des personnalités du monde théâtral comme mademoiselle Mars ou Rachel) et politique (du duc de Raguse à Guizot).
Elle a retracé un portrait particulièrement vivant de sa vie de salon dans deux volumes de mémoires très précieux, Les Salons de Paris. Foyers éteints (Paris, Tardieu, 1857) et Un salon de Paris. 1824-1864 (Paris, Dentu, 1866) ; son petit-fils, Georges Lachaud a lui aussi bien décrit cette vie de salonnière dans l’ouvrage qu’il a consacré à sa mère, Louise Lachaud (Paris, 13 février 1825 -Paris, 11 mars 1887), la fille unique de Virginie, Histoire d’une âme (Paris, impr. Fontaine, 1888).

L’originalité et la réussite exemplaires du salon de Virginie Ancelot tiennent au fait qu’il est conçu, dans cette période troublée qu’est le XIXe siècle, comme un espace de stabilité et de pouvoir, le cadre privilégié d’une puissance occulte féminine, qui se dilue et se diffuse au cœur de la société, lieu clos sur la famille, qu’il protège, et en même temps ouvert sur le monde, dont il attire l’élite. 
Le salon de Virginie, qui va épouser les aléas de la carrière d’Ancelot, brutalement remise en cause par la révolution de 1830, devient en effet au fil des années un outil de réussite sociale. Au service de la carrière littéraire, il abandonne en effet, après 1824, le militantisme romantique pour devenir un cercle qui se veut une sorte de vitrine d’une littérature promue par le succès et la reconnaissance académique : « l’Idéal matériel », ironisera plus tard Musset. 

Virginie parvient ainsi à créer un lieu à la mode, qui lui permet de mettre en place une véritable stratégie de promotion. De la presse, dont la toute-puissance en essor se fait déjà oppressante sur les réputations, au monde politique, elle courtise toutes les formes de pouvoir. Elle aide ainsi Ancelot à relever sa carrière, en le poussant vers les petits théâtres et le vaudeville, où sa prolixité lui vaut le surnom d’ « incontournable Ancelot » et sa réussite la direction du Théâtre du Vaudeville, de 1842 à 1845.

Mais, plus que le succès, c’est l’Académie qui, à ses yeux, consacre l’apogée d’une carrière : elle est le prolongement officiel des cercles d’esprit que sont les salons. Virginie fait par conséquent du quai Conti l’aboutissement de sa stratégie. Et les réseaux de relations sont essentiels dans le système des élections académiques.

Le 28 février 1841, après cinq candidature malheureuses, Ancelot est élu à l’Académie.

Virginie dispose dès lors d’un atout majeur et peut alors nettement affirmer ce lien entre son salon et l’Académie : elle le met à profit pour ses amis les plus proches, comme Alfred de Vigny, élu au terme de plusieurs campagnes difficiles le 8 mai 1845 ; elle imagine même de susciter des candidatures, suggérant ainsi de briguer un siège à son vieil ami Stendhal, en 1842, ou, plusieurs années après, à un jeune auteur qu’elle admire, Alfred de Musset...

Si le salon est l’œuvre de sa vie, au centre de sa conception de la femme et de ses aspirations à une société pacifiée, enfin libérée des menaces révolutionnaires, elle se consacre parallèlement à l’écriture, pour le théâtre mais aussi pour le roman.
Elle raconte ainsi, dans ses souvenirs, que c’est en soutenant son mari, après 1830, qu’elle est venue à l’écriture et d’abord au théâtre. 
La collaboration des deux époux se révèle très rapidement fructueuse : non seulement elle lance définitivement Ancelot, « le fécond des féconds », dans la voie du succès, mais elle fait naître chez elle une véritable esthétique de la comédie. Prudente, c’est d’abord sous le nom de son mari qu’entre 1832 et 1836, elle fait lire puis jouer les premières pièces nées sous sa plume. Le succès immédiat et retentissant à la Comédie Française la convainc de se lancer dans une carrière indépendante.

Sa bibliographie dramatique et romanesque révèle ainsi vingt ans d’écriture, vingt ans de représentations, vingt ans de succès : production des plus importantes pour une femme du XIXe siècle, devenue au fil des années une « enfant gâtée du succès », comme la désigne la presse contemporaine. 
Elle est l’auteur de vingt-six comédies et de plus de seize romans et nouvelles, sans compter les collaborations à la presse. 
Par petites touches prudentes, elle impose, sur scène et même, dans ses romans, au fil des pages, une réflexion sur la femme et le mariage. Dans des intrigues sentimentales relativement conventionnelles sont soulevées les interrogations les plus radicales sur la condition féminine et, partant, sur la société bourgeoise. À travers une mystique du dévouement, aux accents très balzaciens, elle propose un modèle – féministe avant la lettre – de femme active et responsable, agissant sur sa famille et son salon, pierre d’angle d’une société enfin pacifiée.
Derrière les luttes politiques incessantes et les bouleversements économiques et sociaux qui parcourent tout le XIXe siècle, il y a, suggère-t-elle, une seule problématique, celle qui oppose matérialisme et spiritualité ; derrière la souffrance de la femme de ce siècle, il y a l’aporie d’une civilisation. Influencée par l’utopie saint-simonienne, elle affirme l’importance de l’éducation féminine, soulignant les bienfaits, pour la société tout entière, de l’indépendance intellectuelle de la femme. Il ne s’agit pas pour elle de revendiquer quelque droit qui bouleverse l’organisation sociale, mais tout en préservant le cercle familial, d’inscrire la femme dans l’évolution générale qui, par l’éducation, doit faire de l’égalité le principe de la civilisation future :
il faut le dire et le répéter, la seule égalité qui existe en ce monde est celle de l’intelligence, de l’éducation et du savoir : jamais un homme ignorant et grossier ne sera l’égal d’un homme instruit et bien élevé, et chacun d’eux sentira la distance qui le sépare de l’autre ; aussi rien n’est plus étonnant à mon gré que de mettre l’égalité dans la loi sans y mettre l’éducation générale. C’est donc à cette égalité de lumière et de vertu que chacun doit contribuer de son mieux… Alors ! […] toute la France ne sera qu’un vaste salon rempli d’égaux qui se tiendront par la main.

Sophie Marchal
Université Paris IV-Sorbonne

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