Encore une nuit de la Garde nationale (Eugène SCRIBE - Charles-Gaspard DELESTRE-POIRSON)

Tableau-Vaudeville en un acte.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le 15 décembre 1815.

 

Personnages

 

L’OFFICIER du poste

LE SERGENT

LE CAPORAL

UN CAPORAL d’un autre poste

M. PATTU, pâtissier

M. LOISEAU, tailleur

LE PÈRE VIEILLE-LAME

BENJAMIN

M. CASSIS

RLI, tambour

RLAN, tambour

GARDES NATIONAUX formant le poste

MILITAIRES

PEUPLE

 

À Paris.

 

Le poste d’une Barrière.

 

 

Scène première

 

GARDES NATIONAUX, PATTU, LOISEAU, L’OFFICIER, LE SERGENT, LE CAPORAL

 

Au lever du rideau, ils sont différemment groupés ; les uns sont sur le lit de camp, les autres dorment ou lisent ; plusieurs sont autour de M. Pattu qui achève un récit.

PATTU.

Et l’inconnu ne répondit rien, mais continua toujours à marcher devant lui...

L’OFFICIER, en riant.

Ah çà, monsieur Pattu, êtes-vous bien sûr de ce que vous nous contez là ?...

PATTU.

Comment ? si j’en suis sur... c’est de notre portière que je le tiens...

L’OFFICIER.

De votre portière ?...

PATTU.

Si vous voulez bien permettre...

LOISEAU, aux autres.

Eh ! sans doute ; laissez donc achever !

PATTU.

Il faut vous dire qu’il faisait un temps affreux ; la pluie, le vent... bou, bou... et le tonnerre qui faisait un effet... Je ne peux pas vous rendre cet effet-là. Ils marchaient donc tous deux en silence au milieu du tapage, lorsqu’au détour d’une petite rue bien noire, l’inconnu s’arrête ; et, tout à coup, voilà que le jeune homme entend...

LA SENTINELLE, en dehors.

Qui vive ?...

LOISEAU et PATTU.

Ah ! mon Dieu !

UNE VOIX, en dehors.

Patrouille !

LA SENTINELLE.

Caporal, hors la garde, reconnaître patrouille !

PATTU.

C’est étonnant qu’à la barrière on ait autant de patrouilles... voilà la seconde qui m’interrompt... Mais, comme je vous disais, il entend donc...

L’OFFICIER.

Et cette patrouille qu’il faut reconnaître, au lieu d’être là à causer...

Tous s’éloignent.

PATTU.

Il entend donc...

Regardant autour de lui.

Eh bien ! ils ne m’entendent plus... C’est égal, il faut que je leur achève...

À un garde qui dort sur le lit de camp.

Dites donc, camarade, vous savez que c’est là ma place... oui, là, à côté de vous, si vous voulez bien permettre. Vous direz qu’elle est retenue.

Le garde ronfle.

C’est bon, dès que vous me promettez... Je m’en vais leur achever...

 

 

Scène II

 

GARDES NATIONAUX, PATTU, LOISEAU, L’OFFICIER, LE SERGENT, LE CAPORAL, UN CAPORAL d’un autre poste, LES SOLDATS du poste qui rentrent

 

LE CAPORAL du poste.

Camarade, voulez-vous entrer signer la feuille ?

LE CAPORAL étranger.

Très volontiers, nous avons fait une fameuse ronde ! Je vous demanderai à me chauffer un instant.

Il s’approche du poêle ; l’officier veut lui céder sa place qu’il refuse.

PATTU, à Loiseau et aux autres.

Ah çà, je vous disais donc... Nous étions dans le moment où il entend...

L’OFFICIER.

C’est bon, c’est bon ; une autre fois...

Au caporal étranger.

Est-ce que vous venez de loin, camarade ; quel est votre poste ?

LE CAPORAL.

Bonne-Nouvelle...

PATTU.

Ah ! contez-nous donc ça... Je vous dirai la mienne après, si vous voulez bien permettre.

LE SERGENT.

Quartier Bonne-Nouvelle, on vous dit...

PATTU.

Ah, ah ! eh bien ! justement, j’ai un cousin qui y demeure... Oui, monsieur, mon propre cousin, si vous voulez bien permettre.

L’OFFICIER.

Comment va la nuit, camarade ?

LE CAPORAL.

Fort bien ; tout est tranquille, et nous n’avons rien rencontré.

LE SERGENT.

Ce n’est pas comme la dernière fois. Nous avons eu une alerte... c’était un de mes créanciers qui était mêlé dans une querelle.

PATTU.

Et vous l’avez arrêté ?

LE SERGENT.

C’est là le meilleur...

Air du vaudeville de l’Écu de six francs.

Il était bien loin, je vous jure.
De soupçonner un pareil tour.

LE CAPORAL.

Eh bien ! plus plaisante aventure
À moi m’arriva l’autre jour :
Jugez de ma surprise extrême :
À mon poste, un mien créancier
S’adresse à moi pour me prier
De venir m’arrêter moi-même !

Il prenait un garde national pour un huissier !

TOUS.

Ah, ah ! celui-là est trop fort !

LOISEAU.

Pardi, c’est vrai, car c’était moi.

LE CAPORAL.

Ah ! c’est vous, monsieur Loiseau, le plus honnête tailleur de Paris. C’est lui qui demeure aux Ciseaux-Volants.

L’OFFICIER.

Et il tient ce que promet l’affiche.

LE CAPORAL.

Ah ! monsieur n’est pas charlatan. Ah çà, vous ne m’en voulez plus depuis que mon mémoire est soldé...

LOISEAU.

Comment donc ! vous avez de trop bonnes façons...

LE CAPORAL.

Vous voulez parler des vôtres, monsieur Loiseau.

LOISEAU.

Vous êtes trop honnête, et mes ciseaux sont tout à votre service.

LE CAPORAL.

Vous devriez bien les employer à rogner vos mémoires... Ah çà, signons-nous la feuille ?...

Tout en signant.

Comment vont les draps, monsieur Loiseau ?

LOISEAU.

Il y a sur les Louviers une hausse de 4 fr. 23... mais les Elbeufs se soutiennent toujours.

LE CAPORAL, toujours signant la feuille.

Ah ! les Elbeufs se soutiennent... Vous pourrez bien avoir dans la nuit une ronde d’officiers... Et les Louviers 4 fr. 25... Au revoir, monsieur Loiseau ; bonne nuit, camarades !

Il sort.

TOUS.

Bonne nuit !

Pendant qu’ils le reconduisent, un garde national, qui était près du poêle, s’approche du lit de camp, et se couche à la place que Pattu avait retenue.

 

 

Scène III

 

GARDES NATIONAUX, PATTU, LOISEAU, L’OFFICIER, LE SERGENT, LE CAPORAL, LES SOLDATS

 

L’OFFICIER, regardant sa montre.

Voilà les deux heures écoulées... Est-ce que vous ne songez point à relever le factionnaire ?

LE CAPORAL, du poste.

Si, vraiment, mon officier... Allons, messieurs, qu’est-ce qui monte de minuit à deux heures ?

Un soldat se présente ; le caporal le mène relever la sentinelle.

PATTU.

Ce n’est pas moi, toujours, si vous voulez bien permettre ; ma faction est faite, et je m’en vais m’en donner toute la nuit.

Il s’approche du lit de camp, et trouve sa place prise.

Hein ! dites donc, camarade... Eh bien ! il est sans gène... la place était gardée.

LE SERGENT.

Eh bien ! qu’est-ce que vous avez à dire ? elle l’est encore.

PATTU.

Oui, mais pas par moi... Eh ! camarade, si vous vouliez bien permettre.

LE CAPORAL.

Vous pouvez être sur qu’à présent on ne la prendra pas.

PATTU.

Que c’est désagréable !... Il n’en arrive jamais d’autre aux barrières... Je ne veux plus y monter... Je l’ai déjà dit à mon sergent-major...

LOISEAU.

Écoutez donc, pourquoi êtes-vous biset ?

PATTU.

Biset ! Eh bien ! qu’est-ce que ça dit ?

Air : Oui, je suis gourmand, moi. (Le Gourmand.)

Oui, je suis biset, moi !
Qu’importe la forme ?
On peut bien servir, je crois.
Sans être en uniforme ;
À quoi bon, dans cet état,
Une allure guerrière ;
Puisqu’au fond l’on est soldat
Sans être militaire ?
Oui, je suis biset, moi !

D’ailleurs, ça vous va bien, à vous ! Qu’est-ce que vous êtes donc ?

LOISEAU.

Ce que je suis... Je suis sur le point d’être habillé, moi... C’est bien différent... Encore un habit d’uniforme, et j’en aurai un. Il ne me manque qu’une demi-basque.

PATTU.

C’est juste, vous vous retirez sur la quantité ; je crois que vous vous entendez en habits.

LOISEAU.

Il m’en est tant passé par les mains, qu’il faut bien qu’il m’en reste quelque chose...

PATTU, regardant vers le lit de camp.

Attendez... je crois qu’il a fait un mouvement ; s’il pouvait se lever !... Comme il est lent à dormir !... moi qui dors si vite !

LOISEAU, au sergent.

Mon sergent, avez-vous vu M. Pigeon, au Vaudeville ?... C’est M. Pattu qu’on a voulu peindre... un Pigeon-Pattu.

Air de La Bourbonnaise.

La drôle de tournure !
La drôle de figure ! (Bis.)
C’est bien lui, je vous jure,
Trait pour trait, le voilà !
Ah ! ah !

PATTU, à Loiseau.

Voisin, vous voulez rire :
D’où vient donc ce délire ?
C’est vous, s’il faut le dire,
Que peint ce portrait-là.

LOISEAU et PATTU.

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

 

 

Scène IV

 

GARDES NATIONAUX, PATTU, LOISEAU, L’OFFICIER, LE SERGENT, LE CAPORAL, LES SOLDATS, CASSIS

 

CASSIS.

Air : Je revenons dans un instant. (M. Croûton.)

Allons donc, mes chers enfants,
Qu’on en prenne,
Qu’on m’étrenne !
Allons donc, mes chers enfants ;
Ils sont tout chauds, tout brûlants.

Mon établissement et moi
D’puis une heure j’sommes en roule,
Et ben mieux qu’au café d’Foi,
On peut, pour deux sols qu’ ça coûte,
Boire la goutte. (Bis.)

Allons donc, mes chers enfants, etc.

LE CAPORAL.

Eh ! c’est M. Cassis...

CASSIS.

Allons, messieurs, des bons petits pains, des liqueurs fraîches...

Il met son panier sur le poêle.

PATTU, à Loiseau.

Si nous jouions une partie de dominos en attendant une place vacante ?

LOISEAU.

Ah ! volontiers.

PATTU, à Cassis qui lui offre des petits pains.

Non, merci... Je fais venir de chez moi... Je suis même étonné que Gertrude ne m’ait pas envoyé...

LOISEAU, jouant aux dominos.

Elle est toujours jolie, mademoiselle Gertrude ?

PATTU, jouant aux dominos.

Si vous voulez bien permettre... et puis c’est sage, c’est honnête, et puis c’est... blanc partout... Ce petit coquin de Rli, notre tambour, se sera amusé en route...

CASSIS, à Loiseau.

Et vous, monsieur, vous en faut-il ?

LOISEAU, toujours jouant.

Non ; puisque M. Pattu attend son souper, je partagerai avec lui.

PATTU, de même.

C’est ça... À moi la pose... À les entendre, quand il y en a pour un, il y en a pour...

LOISEAU, jouant.

Deux et trois... Du deux et du trois, en avez-vous ?

PATTU, faisant la grimace.

Non, je boude !

CASSIS.

Au moins un verre d’eau-de-vie, de cassis, des liqueurs fraîches...

Il prend son panier qui était sur le poêle.

LOISEAU.

À la bonne heure ! c’est le perdant qui paiera... Combien ?

CASSIS.

Cinq sols, parce que c’est vous ! car c’est tout au plus si là-dessus j’en gagne...

PATTU.

Quatre... du quatre, en avez-vous ?

Buvant.

Qu’est-ce que vous dites donc, liqueurs fraîches... elles sont en ébullition...

CASSIS.

Vous êtes le premier qui s’en plaigne...

Air : Vent brûlant d’Arabie.

Mon commerce est prospère,
J’ contente mes chalands ;
Et grâce à Dieu, j’espère
M’enrichir en peu d’ temps.
J’ ne manq’rai pas, j’ parie.

LE SERGENT, qui a pris un petit pain qu’il s’efforce de mordre.

D’avance, j’en réponds ;
Car moi, je vous défie
De manger votre fonds.

CASSIS.

Si ou peut dire que ces gâteaux-là sont durs ! nous sommes aujourd’hui... Qu’est-ce que nous sommes aujourd’hui ? le 20... Eh bien, je peux vous jurer qu’ils sont...

PATTU, jouant toujours.

Du six et du quatre.

CASSIS.

Comment, du six et du quatre ! Apprenez, monsieur...

PATTU.

Eh ! qui est-ce qui vous parle ?

CASSIS.

Apprenez qu’ils sortent de la fabrique de M. Pattu, le premier pâtissier de la rue des Amandiers.

PATTU, se levant.

Comment, M. Pattu ?... Le connaissez-vous, ce Pattu, pâtissier ?

CASSIS.

Pardi, si je le connais ! tous ces gâteaux sortent de sa fabrique.

PATTU.

Quoi ! vous osez prendre le nom d’une maison de commerce respectable pour débiter des marchandises de contrebande !... C’est moi, monsieur, ce Pattu !

CASSIS.

Vous ?

PATTU.

Si vous voulez bien permettre.

Air : Courons aux Prés Saint-Gervais.

Oui, c’est blesser tous les droits ;
C’est attentatoire
À ma gloire ;
Et pour moi, j’aurai, je crois.
Les gourmands et les gens de lois.
Je veux vous apprendre à vivre,
De ce trait j’aurai raison ;
Et je prétends vous poursuivre
En contrefaçon.

TOUS.

Oui, c’est blesser tous ses droits.
C’est attentatoire
À sa gloire ;
Il aura pour lui, je crois
Les gourmands et les gens de lois.

Cassis sort.

 

 

Scène V

 

GARDES NATIONAUX, PATTU, LOISEAU, L’OFFICIER, LE SERGENT, LE CAPORAL, LES SOLDATS, RLI, chargé de différents paquets

 

RLI.

Air : Écoutez la prière. (Le Bachelier de Salamanque.)

C’est moi que tout regarde ;
Et je porte en tout temps,
Et des billets de garde,
Et des billets galants.
Avec moi, le mystère
Ne court aucun danger.
D’emploi, de caractère,
Toujours prêt à changer,
De Mars et de Cythère
Je suis le messager ;
De Mars et de Cythère
Voilà, le messager !

TOUS.

Voilà, voilà le messager !

PATTU.

Eh bien... et mon carrick ?

RLI.

Comment, votre carrick ? vous ne m’en aviez par parlé... Si vous m’en aviez seulement coulé z-un mot, mamzelle Gertrude me l’aurait donné.

PATTU.

Comment, mon carrick ventre de biche ! Vous savez bien, monsieur Loiseau ? c’est vous qui me l’avez fait.

LOISEAU.

C’est une des plus belles coupes qui soient sorties de mon atelier.

RLI.

Il est trop tard maintenant. Mamzelle Gertrude a fermé la boutique devant moi. Mais j’irai vous le chercher ce matin de bonne heure : v’là tout ce que je peux faire.

PATTU.

Et cette nuit ?... Que c’est contrariant ! J’en ferai un rhume ; avec ça que je suis déjà pris du cerveau. Mais je ne conçois pas comment Gertrude, qui est si attentive, n’y a pas pensé.

RLI.

Dame ! quand on est à la tête d’une maison aussi conséquente que la vôtre, on a tant de choses plus intéressantes qu’un carrick...

L’OFFICIER.

Comment ? c’est mademoiselle Gertrude, la jolie pâtissière de la rue des Amandiers...

PATTU, s’inclinant.

Si vous voulez...

LE SERGENT.

Qui a de si bons gâteaux et de si jolis yeux ?

PATTU, s’inclinant.

Si vous voulez bien...

L’OFFICIER.

Et qui ne veut jamais...

PATTU.

Bien permettre...

L’OFFICIER.

Qu’on l’embrasse... C’est cela. C’est qu’elle est à croquer !

Air : Fidèle ami de notre enfance.

J’ai vu ce temple magnifique
Dont Gertrude fait les honneurs ;
Là, chaque jour, votre art s’applique
À charmer tous les connaisseurs :
Là tout engage là pratique ;
Mais, quoique tout soit attrayant,
Elle est encor de sa boutique
Le morceau le plus friand !

Ah ! vous êtes un gaillard, monsieur Pattu !

PATTU.

Monsieur, c’est ma nièce et ma gouvernante. Ce n’est pas que des jeunes gens, et j’ dis des plus huppés, ne lui fassent les doux yeux... Mais c’est une des vertus du quartier !

L’OFFICIER.

C’est égal, vous en triompherez, monsieur Pattu.

LOISEAU, à l’officier.

J’ai déjà entendu parler de mariage.

PATTU.

Eh, eh ! qui est-ce qui vous a dit ça ? J’en pourrai faire la folie. Je n’ai que cinquante-deux ans tout au plus, si vous voulez bien le permettre. Et elle m’aime, elle m’aime, c’est inconcevable. Si vous saviez, quand je suis de garde, combien elle est...

LOISEAU.

Désolée ?

PATTU.

Non pas... mais inquiète... d’une inquiétude... Elle craint toujours que je ne manque à l’appel.

Air : On dit que je suis sans malice. (Le Bouffe et le Tailleur.)

À partir elle m’encourage,
En ferait-elle davantage
Lorsque, je serais son mari ? (Bis.)
Bien plus que moi ça la tourmente ;
Elle n’est mêm’ vraiment contente
Que quand elle me voit parti. (Bis.)

L’OFFICIER.

Ah mon Dieu !... et la patrouille ; allons donc, messieurs !

Tous s’éloignent.

PATTU.

Il faut que je vous conte... Imaginez-vous... Eh bien ! où sont-ils donc ?

L’OFFICIER.

Six hommes, et le sergent ?

TOUS.

Voilà, voilà, mon officier !

LE SERGENT.

Parbleu ! en revenant, il faudra que je passe sous les fenêtres de mademoiselle Gertrude.

Bas au caporal.

Rue des Amandiers, vous dites ?

LE CAPORAL, de même.

Oui, mon sergent ; vous pouvez même frapper pour avoir des gâteaux ; quand on a marché deux heures on a faim.

LE SERGENT.

Comment donc... je me sens déjà là un appétit... Si elle pouvait ouvrir elle-même...

« Je crois la voir d’ici dans le simple appareil
« D’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil. »

Partons !

L’OFFICIER.

Air du Pas des trois Cousines. (La Dansomanie.)

Messieurs, sur votre vigilance
On peut compter, en pareil cas ;
Que le bon ordre et la prudence
En tous lieux marchent sur vos pas.

LE SERGENT.

Amis, en faisant cette ronde,
Songeons au repos des époux.
Si nous veillons pour tout le monde,
Demain l’on veillera pour nous !

TOUS.

Messieurs, sur notre vigilance, etc.

 

 

Scène VI

 

GARDES NATIONAUX, PATTU, LOISEAU, L’OFFICIER, LE SERGENT, LE CAPORAL, RLI

 

PATTU.

Ah ! les voilà partis ! Au moins ça fait des places vides.

LOISEAU.

Et vous allez dormir ?

PATTU.

Si vous voulez bien le permettre !

Il s’arrange, met son bonnet de coton et va pour se coucher.

Ah ! maintenant que nous sommes tranquilles, si je vous achevais mon histoire...

LOISEAU.

Laquelle ?...

PATTU.

Ah ! la première, si vous voulez bien permettre ! Nous verrons l’autre après...

LOISEAU.

À la bonne heure !...

PATTU.

Nous en étions au moment où le jeune homme entend... Voilà donc que tout à coup le jeune homme entend...

 

 

Scène VII

 

GARDES NATIONAUX, PATTU, LOISEAU, L’OFFICIER, LE SERGENT, LE CAPORAL, RLI, RLAN

 

RLAN.

Pardon, excuse, mon officier ! vous savez bien le bal qui a eu lieu chez ce grand seigneur... là ous qu’il y a eu une trentaine de voitures à la porte... en voilà une qui, en s’en allant, a renversé un pauvre homme, et il a l’air d’être bien blessé !

L’OFFICIER.

Comment, morbleu !... Allons, messieurs !...

LOISEAU.

Mais on n’a là personne pour le transporter.

L’OFFICIER.

Et nous, donc ?

Air : Époux imprudent, fils rebelle. (Monsieur Guillaume.)

Secours à tous est notre loi suprême ;
Allons, vers lui guide nos pas.

LOISEAU.

Eh quoi ! mon officier, vous-même ?

L’OFFICIER.

Comme vous n’ai-je pas des bras ?
Nous veillons tous au repos de la ville ;
Si nous avons un grade différent,
Moi, morbleu ! je n’ai plus de rang
Dès qu’il s’agit d’être utile.

Allons, allons, monsieur Pattu, tout le monde.

PATTU.

Là ! encore des événements.

Au tambour, en montrant le lit de camp.

Tu diras que la place est gardée... entends-tu ?

Ils sortent tous ; l’officier porte la civière avec un autre garde.

 

 

Scène VIII

 

RLI, RLAN, LA SENTINELLE dans le fond

 

RLI.

Ah bien oui... sa place ! qu’il n’ait pas peur... ce n’est pas celle-là que je voudrais lui prendre !

RLAN.

Ah çà, qu’est-ce que t’as donc z’en définitif ?... J’ te fisquais c’ matin ! En battant l’ rappel, on aurait dit qu’ tu soignais un’ retraite !

RLI, soupirant.

C’est l’effet du sentiment ! Tiens, Rlan... je ne sais pas sur quelle étoile j’ons marché... mais tout me tourne à mal dans mes inclinations. Tu as su mes infortunes au vis-à-vis d’ Javotte, quand j’étais à la tête du dixième de ligne... Ah, Rlan ! qu’ tes t’heureux d’êt’ insensible, et que je voudrais t’être en ton lieu z’et place !

Air Tyrolien.

C’est charmant,
Quand votre belle.
Vous est fidèle ;
C’est charmant,
Quand votre belle
N’a qu’un amant.

Mais je vois que la mienne
En agit autrement ;
Je vois que l’inhumaine
Plaît à tout l' régiment ;

C’est charmant,
Quand votre belle, etc.

Mais hélas ! quand elle aime
Du sergent au tambour,
Et qu’on n’a qu’un douzième,
Ça refroidit l’amour.

C’est charmant,
Quand votre belle, etc.

J’ sais bien qu’elle était tendre ;
Mais quand j’mourais d’amour,
C’était cruel d’attendre
Que ce fût à mon tour.

Quels tourments,
Quand votre belle
Est peu fidèle ;
Quels tourments,
Quand votre belle
À tant d’amants !

RLAN.

T’étais fait d’amitié !

RLI.

Eh bien, c’t’ inhumaine-là... c’est elle la cause que je me suis jeté dans la garde nationale, ousqne j’espérais trouver l’indifférence !... Eh bien, nix. J’sis encore amoureux d’une passion que tout le monde partage.

RLAN.

Est-te que ce serait mademoiselle Gertrude ? J’ te vois toujours en estatue devant sa boutique.

RLI.

Juss ! Quand j’ te dis qu’il m’est impossible de m’ rencontrer tout seul dans une inclination !

RLAN.

Est-ce que tu craindrais m’sieu Pattu ?

RLI.

Tais-toi donc, joufflu, y en a ben d’aut’ d’sur les rangs, et le mal est que je n’sis que tambour... car sans ça all’ me distingue assez ! Si l’avais vu hier de quel air elle m’a vendu z’un baba !

RLAN.

Bah !

 

 

Scène IX

 

RLI, RLAN, LA SENTINELLE, BENJAMIN

 

LA SENTINELLE.

Qui vive ?

BENJAMIN, au dehors.

Bourgeois !

Il est enveloppé d’un grand carrick vert, et entre mystérieusement dans le corps de garde.

Je ne vois personne... abordons ! M. Pattu n’est-il pas ici ?

RLI.

Non, m’sieu !

BENJAMIN, à part.

Je m’en avais douté.

Haut.

Diable ! je croyais qu’il était de garde ?

RLI.

Oui, m’sieu !

RLAN.

Il va rentrer dans l’instant !

BENJAMIN.

Ah bien ! c’est bon... alors je m’en vais !

RLI.

Mais pisque vous v’là !

BENJAMIN.

C’est pas la peine... Je venais pour m’en aller !

RLI.

Est-ce quelque chose qu’on puisse lui dire ?

BENJAMIN.

Eh bien, oui... Alors dites-lui ça.

RLAN.

Et quoi, encore ?...

BENJAMIN.

Ce que vous disiez... ça sera bien ! ça suffira.

RLI.

Mais je n’ disais rien !

BENJAMIN.

Eh bien, encore... ça ne sera pas mal, ne dites rien !

RLI.

Qu’est-ce que c’est donc que c’ malin-là ?

BENJAMIN.

Ah çà ! vous m’assurez qu’il y est, quoiqu’il n’y soit pas... c’est tout ce que je vous demande... c’est clair, ne vous dérangez pas... Il n’y est pas ! mais il y est... Adieu, mes petits... je vous demande le plus grand secret.

D’un air mystérieux, et comme quelqu’un préoccupé d’un grand dessein.

Air de Calpigi. (Tarare.)

Rien ne s’oppose à mon triomphe ;
Mais n’allez pas me compromettre :
Parlez pourtant, si vous voulez,
Mais surtout soyez circonspects :
Là-d’sus je m’en rapporte à vous.
Si quelque jour je vous rencontre...
Une heure trois quarts sonne à l’horloge,
Soyez sûrs que je vous dirai...
Je suis bien votre serviteur. (Bis.)

Il sort.

 

 

Scène X

 

RLI et RLAN

 

RLI.

Tiens, à quoi que ça rime ?

RLAN.

Voyez donc ce bel oiseau bleu avec son plumage vert !

RLI.

Attends donc, v’là qui me revient. Il m’ semble que je l’ai vu z’aussi voltiger z’à l’entour de mamzelle Gertrude.

RLAN.

Quoi ! ce serait aussi un de ses godelureaux ?

RLI.

Eh ! oui, coco. Il vient roussir ses ailes à son four... mais ce n’est pas pour lui qu’il chauffe. Ah ! si je l’avais su, au lieu de li répondre honnêtement, comme j’ vous l’aurais blagué !

LA SENTINELLE.

Qui vive ?

VOIX, en dehors.

Soldats du poste !

 

 

Scène XI

 

RLI, RLAN, L’OFFICIER et deux GARDES NATIONAUX, ils rapportent la civière et la mettent sous le lit de camp

 

L’OFFICIER, riant aux éclats.

Ah ! ah ! ah ! l’aventure est impayable, et nous en sommes pour notre course.

RLI.

Comment donc ?

L’OFFICIER.

Sans doute... Vous avez vu avec quel zèle nous étions partis ! Nous avons trouvé le blessé entouré de personnes généreuses, qui faisaient pour lui une collecte.

Air du Ballet des Pierrots.

Pour secourir ce misérable ;
Nous arrivons tous pleins d’ardeur ;
On craignait que le pauvre diable
Ne succombât à sa douleur !
Mais en voyant notre escouade,
Il s’est débattu comme un fou,
Et soudain le pauvre malade
A pris ses jambes à son cou.

Et il court encore !

RLI.

Eh bien ! on ne voit que de ces accidents-là ; des malins qui s’ cassent les jambes pour être mieux sur leurs pieds.

L’OFFICIER.

Mais, en revanche, nos gens ramènent un gaillard qui n’est pas trop solide sur les siens.

 

 

Scène XII

 

RLI, RLAN, L’OFFICIER, PATTU, LOISEAU, GARDES NATIONAUX, LE PÈRE VIEILLE-LAME

 

L’OFFICIER.

Allons, par ici !

VIEILLE-LAME, à Pattu qui tient mal son fusil.

L’arme un peu plus haute !

PATTU, déposant son fusil.

Au contraire, bas les armes ! Comment peut-on se mettre dans un pareil état !...

Il se couche sur le lit de camp.

VIEILLE-LAME.

C’est par sensibilité. N’y a pas un de vous qui n’en ferait autant.

PATTU, sur son séant.

Par exemple !...

VIEILLE-LAME.

J’ sais bien c’ que j’ dis !... Non, n’y a pas un de vous qui n’en ferait autant, et je le prouve ! Figurez-vous donc qu’un ami vient me chercher... Quand j’ dis un ami... c’est-à-dire cinq amis qui viennent me chercher avec du vin... Ah ! ah !... parce que un ami... en amène un autre... Ils m’emmènent souper avec eux... et là, ils ont tous bu à la prospérité de la France. Je vous demande à ma place ce que vous auriez fait !

Air : Ah ! que de chagrins dans la vie. (Lantara.)

Quoiqu’ la liqueur soit bien vermeille,
Quand on est, en triste buveur,
Tout seul auprès de sa bouteille,
Se griser, fi ! c’est une horreur !
Mais lorsqu’un ami me convie.
Et qu’avec lui, prompt à me mesurer,
J’ bois au bonheur de ma patrie,
Je rougirais de ne pas m’enivrer.
Oui, quand je bois, au bonheur d’ ma patrie,
Je rougirais de ne pas m’enivrer.

Ç’aurait été ma honte !

L’OFFICIER.

Allons, le motif est louable !

Il rentre dans sa chambre.

VIEILLE-LAME.

Je les ai tous mis sous la table, et je me suis acheminé chez moi d’un pas ferme.

LOISEAU.

Du train dont vous y alliez, vous auriez été longtemps avant d’arriver... vous étiez par terre...

VIEILLE-LAME.

C’était pas moi !...

LOISEAU.

C’était pas vous... Je vous ai bien relevé, peut-être !

VIEILLE-LAME.

C’était pas moi... qui m’y avais mis ! c’était un malin en... Comment qu’ils appellent cela... en carrick ! il courait comme un ennemi en déroute !

RLI.

En carrick vert, n’est-ce pas ?

VIEILLE-LAME.

Ah ! la couleur n’y fait rien !... la nuit tous les... tous les hommes  sont gris.

Faisant un faux pas.

Vous le voyez bien.

RLI.

Eh ben ! tenez, couchez vous là... voulez-vous que je vous soutienne, mon brave ?

VIEILLE-LAME.

Ça n’est pas de refus.

Air : Le magistrat irréprochable. (Monsieur Guillaume.)

De grâce, excusez, camarades,
Si dans cet état l’on me voit,
Je puis le dire sans bravades,
Depuis longtemps je marche droit ;
Un soldat, en sortant de boire,
Peut chanceler, quoique Français ;
Mais dans le chemin de la gloire,
Morbleu ! je ne bronch’rai jamais !

Il se couche près de Pattu.

PATTU se trouvant mal à son aise, se lève sur son séant.

Ou, ou, ou, c’est étonnant, comme il fait froid, quand vient le matin... Je ne peux pas dormir sans redingote. Dis donc, Rli ?

RLI.

Quoi que c’est ?

PATTU.

Il faut que tu retournes rue des Amandiers ; l’atelier sera ouvert, tu feras réveiller mademoiselle Gertrude pour qu’elle te donne mon carrick ventre de biche. Avec ça que mon tour revient de sept à neuf du matin, et je monterai avec... Je te donnerai pour boire.

RLI.

Sufficit...

À part.

Si je pouvais entrevoir Gertrude... et lui couler z’un petit mot de sentiment...

Haut.

J’y vas, not’ maître.

Il sort avec Rlan.

 

 

Scène XIII

 

L’OFFICIER, PATTU, LOISEAU, GARDES NATIONAUX, LE PÈRE VIEILLE-LAME

 

PATTU se lève et rencontre Loiseau près du poêle.

Ah ! ah ! vous ne dormez pas, voisin !

LOISEAU.

Non, ma foi... je ne peux pas dormir !

PATTU.

Ici, moi non plus... Pardi ! si je vous achevais mon histoire...

LOISEAU.

Vous avez raison !... ça pourra peut-être...

PATTU.

Vous savez bien où nous en sommes...

LOISEAU.

Eh ! oui...

PATTU.

Voilà donc que tout à coup le jeune homme entend...

 

 

Scène XIV

 

L’OFFICIER, PATTU, LOISEAU, GARDES NATIONAUX, LE PÈRE VIEILLE-LAME, GARDES, en dehors

 

VOIX, en dehors.

Air : Quel carillon.

Ça, venez donc !
Suivez-nous au corps de garde
Ça, venez donc,
Sans faire tant de façon.

LA SENTINELLE.

Qui vive ?

VOIX, en dehors.

Patrouille rentrante.

PATTU, avec joie.

Ah ! v’là du bruit, v’là du bruit !... je m’en vais avertir l’officier...

Revenant à Loiseau.

Soyez tranquille, je reviens vous l’achever... vous n’en perdrez rien !

Il entre dans la chambre de l’officier.

 

 

Scène XV

 

L’OFFICIER, PATTU, LOISEAU, GARDES NATIONAUX, LE PÈRE VIEILLE-LAME, LE SERGENT, LE CAPORAL, SOLDATS de la première patrouille, BENJAMIN, qu’ils ramènent, puis L’OFFICIER

 

Benjamin est sans chapeau, un peu en désordre, et porte un carrick ventre de biche qui lui vient à moitié des jambes.

TOUS.

Air : Quel carillon.

Ça, venez donc !
Suivez-nous au corps de garde,
Ça, venez donc,
Sans faire tant de façon.

BENJAMIN.

Mais un instant.
Messieurs, que l’on me regarde ;
Convenez en,
N’ai-je pas l’air d’un innocent ?

Ensemble.

TOUS.

Ça, venez donc,
Suivez-nous au corps de garde,
Ça, venez donc,
Sans faire tant de façon.

BENJAMIN.

Finissez donc,
Qu’ai-je à faire au corps de garde ?
Finissez donc,
Je ne suis pas un fripon.

L’OFFICIER, sortant de sa chambre, suivi de Pattu, un instant après.

Qu’y a-t-il donc, messieurs ?

BENJAMIN.

Quand je vous dis que je ne suis pas un voleur !

LE SERGENT.

Jugez-en vous-même, mon officier... Nous revenions de notre ronde par la rue des Amandiers...

LE CAPORAL, à part.

Pour acheter des gâteaux.

LE SERGENT.

Lorsqu’une fenêtre s’ouvre, et c’est monsieur qui saute dans la rue d’un air effrayé et dans l’état où le voilà.

BENJAMIN.

Mais quand je vous dis...

LE SERGENT.

Chez le commissaire !

TOUS.

Chez le commissaire, chez le commissaire !

PATTU, riant.

Ah ! ah, rue des Amandiers.

S’avançant et apercevant Benjamin.

Eh ! c’est toi, Benjamin ? que fais-tu ici, mon garçon ?

BENJAMIN.

Ciel ! M. Pattu !

PATTU.

Lui-même... si vous voulez bien permettre. Comment, tu te laisses arrêter ?

LOISEAU.

Pardi ! c’est un voleur.

PATTU.

Non pas, non pas, j’en réponds.

LE SERGENT.

Mais nous l’avons surpris sautant par une fenêtre !

PATTU.

C’est égal, c’est égal, j’en réponds. Et je le défends, si vous voulez bien le permettre... Ah ! ah ! quelque malice ! je te reconnais là.

BENJAMIN.

Monsieur !...

PATTU.

Ah ! ah ! c’est du quartier !... le voisin d’en face, n’est-il pas vrai ?... Je t’y vois toujours, c’est bienfait, c’est bien fait. Coquin ! conte-nous ça ? je t’en dirai aussi une, moi, d’un jeune homme... Le jeune homme qui entend... Celle-là vaut bien la tienne... demande à ces messieurs.

Aux deux gardes.

Laissez donc, messieurs, quand je vous dis que j’en réponds moi-même ; c’est un des gros bonnets du quartier... un garçon établi !

LE SERGENT, en riant.

Ah ! des que vous en répondez !

BENJAMIN.

Pardine, je suis bien heureux de vous avoir trouvé là ; je ne m’y attendais pas.

PATTU.

Eh ! eh, petit fripon...

Le regardant.

Tiens, tu as là un drôle de carrick...

BENJAMIN, à part.

Ah ! mon Dieu !

PATTU.

J’en ai un tout pareil... N’est-ce pas, monsieur Loiseau ?

LOISEAU, d’un air capable.

Oui... à peu près... mais le vôtre est d’un bien plus beau drap. Quelle différence ! En général, tout ce que je fournis...

PATTU.

Il t’est un peu court... mais le mien aussi.

LOISEAU.

C’est la mode.

PATTU, à Loiseau.

Est-ce que vous vous ménageriez aussi un carrick pour aller avec l’uniforme ?

 

 

Scène XVI

 

L’OFFICIER, PATTU, LOISEAU, GARDES NATIONAUX, LE PÈRE VIEILLE-LAME, LE SERGENT, LE CAPORAL, SOLDATS, BENJAMIN, L’OFFICIER, RLI, arrivant avec un paquet roulé

 

RLI.

T’nez, monsieur Pattu, v’là votre carrick.

PATTU.

Ah ! c’est bon... nous allons voir. Gertrude était-elle réveillée ?

RLI.

Non, m’sieu ; on l’a réveillée z’exprès.

PATTU.

C’tte pauvre petite Gertrude !

RLI.

Dame, à peine s’il fait jour ; et elle s’est levée sans lumière pour me donner ce paquet. Elle était même fâchée.

À part.

Et moi aussi ; à peine si j’ai eu le temps de lui dire un mot.

PATTU.

Eh bien !... je m’en vais le mettre tout de suite !

Rli aide à lui passer le carrick. À Loiseau.

Vous allez voir comme il est court.

Sentant les manches traîner.

Tiens ! est-ce qu’il est rallongé ?

Le regardant, et voyant qu’il est vert.

Ah ! mon Dieu, il a changé de couleur !

TOUS.

Air : Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah ! (Bastien et Bastienne.)

Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
L’étrange chose que voilà !
La, la.
Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
Qui nous expliquera cela,
La, la.

PATTU, à Rli.

Est-ce qu’en route tu aurais passé chez le teinturier ?

RLI, apercevant Benjamin.

Eh ! c’est ce finot de tantôt !... Eh bien ! il a aussi changé de couleur.

BENJAMIN.

Je suis sûr que je palis.

L’OFFICIER, le sergent, et les AUTRES, riant.

Ah ! ah ! ah ! ah !

LOISEAU, à Pattu.

Compère, il y a quelque chose là-dessous !

PATTU, posant la main sur le carrick.

En effet, je sens là du papier.

Fouillant dans sa poche et lisant.

À M. Benjamin.

BENJAMIN.

Aïe ! je suis perdu.

PATTU, ouvrant la lettre.

Tiens ! de l’imprimé ! c’est mon billet de garde, à moi ! comment se trouve-t-il là ?...

Lisant.

M. Pattu, biset... se rendra le 20 à sa mairie avec ses armes en bon état, petite tenue, pour de là monter sa garde à la barrière. Faute par lui de se rendre audit appel, etc. Ah ! de l’écriture plus bas ! « Vous voyez par le billet ci-joint que M. Pattu est de garde... il ne tient qu’à vous que nous causions sur notre prochain mariage ! » Signé... signé « Gertrude ! » Ah ! que c’est traître !

RLI.

Ah ! que c’est vexant !

PATTU, montrant Benjamin.

Qu’on arrête cet homme !

LE SERGENT.

Ah ! vous en avez répondu.

PATTU.

C’est égal, dans la fureur où je suis, je ne réponds de rien.

BENJAMIN.

Grâce, monsieur Pattu ! Je devais me déclarer aujourd’hui même, et vous demander mademoiselle Gertrude, votre nièce, en mariage.

PATTU.

Quoi ! tu prétends l’épouser ?

BENJAMIN.

Si vous voulez bien permettre. Ma femme reste à la boutique, je deviens votre associé...

L’OFFICIER.

Nous demeurons vos pratiques, et vive la jolie pâtissière !

PATTU.

Allons donc, puisqu’il le faut, qu’elle soit madame Benjamin !

RLI.

Là, encore z’un rival heureux à ma barbe ! j’ vous demande si je ne suis pas né pour les infortunes de la passion !

PATTU.

Ça me fera une aventure de plus à raconter... Mais je demande au moins qu’on me laisse achever la mienne, si vous voulez bien permettre.

LOISEAU.

Oh ! c’est trop juste.

Ils entourent tous Pattu.

PATTU.

Voilà donc... vous vous rappelez bien... voilà donc que tout à coup le jeune homme entend...

VOIX, en dehors.

Air de La Trajan.

Venez, accourez tous, ce sont eux !
Les voilà de retour eu ces lieux !
Mes amis, par nos chants joyeux,
Fêtons ce retour heureux.

 

 

Scène XVII

 

L’OFFICIER, PATTU, LOISEAU, GARDES NATIONAUX, LE PÈRE VIEILLE-LAME, LE SERGENT, LE CAPORAL, SOLDATS, BENJAMIN, L’OFFICIER, RLI, RLAN, accourant

 

RLAN.

Ohé ! ohé !... vous restez là, vous autres, et voilà tout le monde qui va au-devant d’eux... Les gardes nationaux des postes voisins, les habitants de la barrière et les paysans des environs qui leur apportent des fleurs... Est-ce que vous n’entendez pas leur musique ?

Reprise de l’air.

L’OFFICIER.

Et qui donc ?

RLAN.

Le dixième de ligne qui arrive.

PATTU.

Là ! il faut que le colonel de ce régiment-là m’en veuille... arriver exprès pour m’interrompre !

RLAN, à Rli.

Eh bien, qu’est-ce que t’as donc ?

RLI.

Le dixième de ligne !... Ah, Rlan ! soutiens-moi. Je vais revoir c’te perfide Javotte !

Ils sortent tous pour prendre leurs armes. Le théâtre change et représente l’extérieur de la barrière. Ballet. Ronde finale.

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