Geneviève (Eugène SCRIBE)

Comédie-Vaudeville en un acte.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Gymnase-Dramatique, le 30 mars 1846.

 

Personnages

 

CLÉRAMBOURG, négociant à Marseille

GENEVIÈVE, sa fille

ADRIEN, premier commis de Clérambourg

 

La scène se passe à Marseille dans la maison de Clérambourg.

 

Un appartement servant de cabinet de travail à M. Clérambourg. Porte au fond, deux portes latérales ; à gauche un guéridon ; à droite une table chargée de papiers.

 

 

Scène première

 

ADRIEN, puis GENEVIÈVE

 

ADRIEN, devant la table à droite. Il écrit, s’arrête, cache un instant sa tête dans ses mains.

Même en travaillant je pense encore à elle ! Mon Dieu ! donnez-moi la force de me taire... dussé-je en mourir...

Apercevant Geneviève qui entre.

Ah !

Il se remet vivement à écrire.

GENEVIÈVE, entrant du fond, allant écouter à la porte à gauche.

Il n’est pas encore levé !... Déjà ici, monsieur Adrien... déjà à l’ouvrage ?...

ADRIEN, se levant.

Oui, Mademoiselle... j’étais là, dans le cabinet de travail de M. votre père... mais je me retire... si je vous gène...

GENEVIÈVE.

Du tout... je désirais au contraire vous parler à vous seul.

ADRIEN, à part, avec crainte.

Ah ! mon Dieu !...

GENEVIÈVE.

Et puisque voilà une bonne occasion, je me hâte d’en profiter... Est-ce que mon père éprouverait dans ses affaires... quelques pertes... quelques malheurs ?...

ADRIEN.

Lui ! M. Clérambourg ! le premier négociant de Marseille ! jamais sa position n’a été plus belle ! Aimé et honoré de tous... des capitaux immenses... un crédit... idem... hier encore...

Air du Pot de fleurs.

De deux vaisseaux que l’on nous expédie
Nous arrivait la riche cargaison !
Et les trésors de l’Inde et de l’Asie
S’entassent dans notre maison.
Le jour se passe à compter des espèces ;
Et si chez nous, je vous le dis tout bas.
Il existe quelqu’embarras
Ce n’est que celui des richesses !

J’en sais quelque chose, moi, le caissier de votre père et son premier commis.

GENEVIÈVE.

Je sais, Adrien... que, malgré votre jeunesse... il a en vous une entière confiance ; c’est pour cela que je m’adressais à votre amitié ! Mon père, qui est la bonté même, semble ne vivre que pour moi ! Je ne lui ai jamais vu de chagrin que lorsqu’il craignait que je ne fusse malade... ou bien quand je lui exprimais un désir... ou un caprice qu’il ne pouvait satisfaire.

ADRIEN, vivement.

C’est vrai ! c’est vrai !... mais aussi, jamais un père a-t-il eu une fille plus attentive, plus dévouée, plus adorable.

GENEVIÈVE, lui faisant signe de se taire.

Ne parlons pas de ça, Adrien ! c’est mon devoir et mon plaisir !... Il a tant veillé sur moi... que je puis bien à mon tour m’inquiéter pour lui !... Depuis deux jours, j’en suis certaine... il a quelque chagrin secret qui le tourmente. Il a reçu avant-hier, devant moi, une lettre dont la lecture lui a causé une grande agitation... Savez-vous ce que c’était ?

ADRIEN.

Non, mademoiselle... quand vous avez été partie, il l’a relue une seconde fois avec colère, et l’a jetée au feu.

GENEVIÈVE.

Depuis deux jouis... il aime à rester seul ici... dans ce cabinet.

Savez-vous pourquoi ?

ADRIEN.

J’étais entré hier sur la pointe du pied, pour ne pas le déranger... je l’ai aperçu là, dans son grand fauteuil... lisant cette brochure... qui, sans doute, l’amusait ou l’intéressait vivement... car il avait une figure riante et épanouie... et il s’interrompait de temps en temps pour dire : Très bien !... bravo !... c’est cela même.

GENEVIÈVE, courant au guéridon.

C’est là... ce livre ?...

ADRIEN.

Oui, Mademoiselle...

GENEVIÈVE, lisant.

Tableaux de Famille...

Jetant la brochure.

Quelques idées de bonheur qui lui rappelaient sa fille... C’est là sa seule pensée !

ADRIEN.

Tout le reste de la journée je l’ai vu uniquement occupé...

GENEVIÈVE, vivement.

De quoi ?

ADRIEN.

De ce bal où vous alliez le soir ! C’était presque votre première entrée dans le monde... il voulait que vous fussiez superbe.

GENEVIÈVE, à part.

Ô mon bon père !

ADRIEN.

Et vous l’étiez... Je vous ai vue au moment de votre départ... Aussi l’on dit que vous avez eu à ce bal un succès...

GENEVIÈVE.

Mais oui !... j’étais si heureuse de danser !... ce ne peut être cela qui ait fâché mon père.

ADRIEN.

Au contraire !... son unique bonheur, c’est qu’on trouve sa fille si belle...

Avec hésitation.

et son seul rêve, sans doute, c’est de rencontrer pour elle un brillant établissement ! un des premiers partis de France...

GENEVIÈVE, froidement.

Il ne m’en a jamais parlé.

ADRIEN, de même.

Je conçois sa peine... il ne trouvera jamais rien digne de vous !... rien d’assez beau... d’assez élevé !... C’est là, peut-être, ce qui le tourmente...

GENEVIÈVE, de même.

C’est possible !... il y a des gens qui ont trop d’ambition... il y en a d’autres qui n’en ont pas assez !... Vous, par exemple, monsieur Adrien.

ADRIEN.

Moi ! Mademoiselle.

GENEVIÈVE.

Il me semble que vous pourriez songer davantage à vos intérêts, à votre avenir !... Et puis... vous ne sortez jamais... vous travaillez trop !... ce n’est pas raisonnable... beaucoup de gens vous trouvent changé... et ce n’est pas étonnant !... la nuit dernière, à trois heures du matin... vous étiez encore au bureau...

ADRIEN.

Votre père... était dehors... il était avec vous à ce bal... et il m’aurait été impossible de dormir avant qu’on ne fût rentré...

Vivement.

parce que, voyez-vous, Mademoiselle...

S’arrêtant.

votre père avant tout...

GENEVIÈVE, avec embarras.

Je vous remercie de l’affection que vous lui portez...

ADRIEN.

Vous êtes bien bonne, Mademoiselle.

GENEVIÈVE.

Voici mon père...

ADRIEN, à part.

Ah ! tant mieux.

 

 

Scène II

 

GENEVIÈVE, CLÉRAMBOURG, ADRIEN

 

CLÉRAMBOURG, sortant de la porte à gauche avec des papiers à la main, et parlant à la cantonade.

Est-ce que cela me regarde ? de l’argent à recevoir... des comptes à régler, à réviser ! adressez-vous à Adrien, mon caissier.

L’apercevant.

Ah ! te voilà ! on te demande de tous les côtés, et quand tu n’es pas là, on ne s’y reconnaît plus dans cette maison.

GENEVIÈVE.

Dame ! Adrien vous est si nécessaire.

CLÉRAMBOURG.

Dis donc indispensable !

Air : Tout le long de la rivière.

C’est le modèle des caissiers :
Avare en tout de mes deniers,
Il dispute sur chaque somme !
Il est, d’honneur, trop économe.

ADRIEN.

  Et vous, Monsieur, trop généreux.

GENEVIÈVE.

  Aussi vous faites à vous deux
  Une excellente maison de finance :

Montrant Adrien.

  Voici la recette.

Montrant son père.

  Et voici la dépense.
  Oui, c’est la recette et la dépense.

CLÉRAMBOURG.

En outre, il n’y a pas dans Marseille de négociant plus intelligent et plus habile !... c’est moi qui l’ai formé !  et quand je pense que c’est toi qui me l’as recommandé, il y a bientôt quinze ans !

Se retournant vers Adrien.

Car c’est elle !...

GENEVIÈVE, voulant empêcher son père de parler.

Il le sait bien, mon père.

CLÉRAMBOURG.

C’est égal ! cette histoire-là me fait toujours plaisir, et à lui aussi ! d’ailleurs, si je ne répétais pas de temps en temps mes histoires... je les oublierais ; et je me vois encore sur la grande route, en chaise de poste, en tête-à-tête avec Geneviève qui avait alors quatre ans, car depuis la mort de ma femme, je ne la quittais plus. Je dormais, tout en la tenant sur mes genoux où elle mangeait des cerises, quand un pauvre orphelin qui mourait de faim, un petit mendiant... tout déguenillé... c’était toi !

GENEVIÈVE, voulant l’interrompre.

Mon père !

CLÉRAMBOURG.

Vint lui tendre la main en suivant la voiture. Voilà Geneviève qui lui jette son panier de cerises, qui se met à crier pour me réveiller ; et bon gré, mal gré, il fallut obéir à son caprice, faire monter à côté de nous le petit mendiant : c’était son idée, sa volonté ! elle en avait déjà !

GENEVIÈVE.

Et déjà, mon père, vous aviez l’habitude d’y céder.

ADRIEN.

Ce que vous n’ajoutez pas, Monsieur, et ce que l’orphelin n’oubliera jamais, c’est que depuis ce jour, vous ne l’avez plus abandonné, qu’il a été élevé par vous, comme l’enfant de la maison...

CLÉRAMBOURG, avec impatience.

C’est bon ! c’est bon ! ça ne tient plus à l’histoire de la grande route...

Interrompant un nouveau geste d’Adrien.

Et puis on te demande au bureau et à la caisse... tiens... à toi tous ces papiers.

Lui donnant ceux qu’il tient à la main.

Il y a là deux ou trois affaires difficiles et embrouillées en diable !

ADRIEN.

Merci, Monsieur !

GENEVIÈVE, à Adrien, qui fait quelques pas pour sortir.

Air de Robin ou de Giselle.

Voulez-vous bien dire que de mon père.
Le déjeuner ici soit apporté.

CLÉRAMBOURG.

  Un poulet froid !

GENEVIÈVE.

  Non, le docteur sévère.
  Pour le matin, vous a prescrit le thé.

CLÉRAMBOURG.

  Toujours du thé.

GENEVIÈVE.

  Recette souveraine.

CLÉRAMBOURG.

  Au diable soit la Faculté !
  Son ordonnance...

GENEVIÈVE.

  Est en tout point la mienne...

CLÉRAMBOURG.

  Alors, morbleu ! qu’on nous serve du thé !

Ensemble.

CLÉRAMBOURG.

Ah ! c’est vraiment un pouvoir arbitraire,
Mais qui, pour ça, n’est pas moins respecté,
Et vous voyez qu’avec plaisir son père
Fait en tout point ici sa volonté.

ADRIEN.

Quel précepteur et charmant et sévère !
Pouvoir aimable autant que respecté !
Heureux ainsi, qui peut, comme son père,
Faire en tout point ici sa volonté.

GENEVIÈVE.

  Oui, c’est ainsi que j’entends l’arbitraire !
  Que sur-le-champ on nous serve le thé.
  Et c’est très bien que mon excellent père
  Fasse en tout point ici ma volonté.

Adrien sort.

 

 

Scène III

 

GENEVIÈVE, CLÉRAMBOURG

 

GENEVIÈVE.

C’est bien à vous de m’avoir obéi ! c’est une bonne idée que vous avez eue là !

CLÉRAMBOURG.

J’en ai souvent comme ça.

GENEVIÈVE.

Et si j’osais, je vous en proposerais encore une.

CLÉRAMBOURG.

Pour toi ?

GENEVIÈVE.

Non, pour lui, pour Adrien.

CLÉRAMBOURG.

Qu’est-ce qui lui manque ? N’est-il pas depuis longtemps mon premier commis ?

GENEVIÈVE.

C’est vrai ! depuis longtemps, par son travail et par son zèle, il contribue à notre fortune... et c’est justement pour cela qu’il faudrait peut-être penser à la sienne.

CLÉRAMBOURG, étonné.

Hein ?...

GENEVIÈVE.

Car enfin, il n’a rien !... et si vous lui prêtiez quelques capitaux... il pourrait élever, à son tour, en son nom, une maison de banque... devenir riche et aspirer à tout !

CLÉRAMBOURG.

Lui ! Adrien... qu’il s’en aille... qu’il nous quitte !... Est-ce de sa part que tu me fais une pareille demande ?

GENEVIÈVE.

Il ne s’en doute même pas !... Je vous l’ai dit... c’est une idée à moi !

CLÉRAMBOURG.

C’est donc toi qui le bannis, qui le renvoies de la maison !...

GENEVIÈVE.

Dans son intérêt, mon père !

CLÉRAMBOURG.

Eh bien !... et moi !... c’est non seulement mon commis... mais c’est mon ami, mon confident... il n’y a que lui avec qui je parle de toi... j’en parle toute la journée ! Les autres ça les ennuierait !... mais lui... jamais ! c’est tout simple... il a été élevé avec toi... c’est l’enfant de la maison... et l’année dernière, quand tu as été si malade... il était aussi malheureux que moi... il était toujours là, sur l’escalier... ou à ta porte à guetter l’arrivée ou la sortie du médecin... D’un coup d’œil nous échangions nos craintes ou nos espérances... d’un serrement de main nous nous entendions ! Même en ton absence, je n’étais pas seul !... et tu veux que je renonce à tout cela ?...

GENEVIÈVE, avec émotion.

Non, non, mon père...

Air du Piège.

Je lui voulais un sort indépendant ;
Mais je connais votre cœur et votre âme,
Je suis tranquille ! Et pardon maintenant
De cette apparence de blâme.

CLÉRAMBOURG.

Non ! j’avais tort ! Et que veux-tu ?
L’amitié seule en fut la cause ;
Il n’a rien ! mais j’étais riche ; j’ai cru
Qu’alors c’était la même chose.
Pour lui c’était la même chose.

Dis-lui de prendre ce qu’il voudra... ou plutôt tu arrangeras cela avec lui... c’est à toi, c’est ta fortune... tu lui donneras toi-même les appointements qu’il voudra...

GENEVIÈVE, baissant les yeux.

C’est que peut-être... les appointements qu’il voudrait...

CLÉRAMBOURG.

Eh bien !

GENEVIÈVE, vivement.

Enfin, mon père, je ferai de mon mieux !

CLÉRAMBOURG.

À la bonne heure !... et maintenant que nous avons parlé affaires, que je te regarde un peu à mon aise, et à moi tout seul... car hier, à ce bal... tu étais à tout le monde ! que diable ! c’est à mon tour !

GENEVIÈVE.

C’est bien le moins ! mais convenez que c’est une belle chose qu’un bal.

CLÉRAMBOURG.

Pas pour les pères !

GENEVIÈVE.

Allons donc ! les pères sont très heureux...

CLÉRAMBOURG.

Oui, debout ! derrière tout le monde ! et une foule si grande que je pouvais à peine t’apercevoir. Obligé pour m’asseoir de jouer au wisth... vingt francs la fiche, et j’ai eu, j’en conviens, un beau moment !

GENEVIÈVE.

Celui où vous avez gagné ?

CLÉRAMBOURG.

Non ! on causait derrière moi, et l’on disait : « Quelle est donc cette charmante jeune fille avec une couronne de bluets qui a l’air si modeste et si gracieux ! – C’est la fille de Clérambourg... ce riche négociant... – Parbleu !... ce Clérambourg est un homme bien heureux ! – Prenez donc garde... il est là, derrière nous, qui joue au wisth. » C’était vrai ! j’écoutais... ce qui me faisait couper un roi... et perdre la partie : c’est le seul agrément que j’aie eu de la soirée.

GENEVIÈVE.

Elle était cependant si animée, si séduisante ! un si bel orchestre !... Par exemple, vous avez voulu partir de trop bonne heure !

CLÉRAMBOURG.

Près de trois heures du matin.

GENEVIÈVE.

C’est égal, je serais restée encore... C’est la première fois que vous m’avez refusé.

CLÉRAMBOURG, brusquement.

Parce qu’il s’agissait de ta santé ! n’avoir manqué ni une contredanse, ni une valse !...

Avec défiance.

Et quel était ce jeune monsieur... tu sais... une petite moustache, une croix d’honneur, et qui t’invitait toujours ?

GENEVIÈVE.

Toujours !... trois fois !

CLÉRAMBOURG.

Je croyais que ce n’était que deux.

GENEVIÈVE.

Trois !... une contredanse et deux valses !... il valse si bien... surtout la valse à deux temps !

CLÉRAMBOURG.

Ah ! il valse bien... et quel est-il ?

GENEVIÈVE.

Le colonel de Sacy.

CLÉRAMBOURG, vivement.

Le colonel de Sacy !

GENEVIÈVE.

Qu’avez-vous donc ?

CLÉRAMBOURG, se remettant.

Rien !... tu en es bien sûre ?...

GENEVIÈVE.

Certainement... tenez, c’est un de ceux qui nous ont reconduits jusqu’à notre voiture.

Entrée du valet.

CLÉRAMBOURG.

C’est possible ! je n’ai pas remarqué... j’ai été entouré toute la soirée de tant de jeunes gens qui m’ont accablé de prévenances... de glaces et de sorbets.

GENEVIÈVE, se retournant.

Voici le déjeuner...

CLÉRAMBOURG.

Ah ! c’est heureux !

GENEVIÈVE, regardant à côté du thé sur le plateau apporté par le domestique.

De plus... des lettres et des journaux !...

CLÉRAMBOURG.

Que nous lirons plus tard... déjeunons d’abord.

GENEVIÈVE. Ils s’asseyent.

C’est prudent... car il y a parfois telle mauvaise nouvelle qui vous ôte l’appétit... témoin, avant-hier, cette lettre que vous avez reçue... et qui vous a si fort contrarié.

CLÉRAMBOURG.

Moi...

GENEVIÈVE.

J’étais là... je l’ai bien vu.

Lui présentant une tasse au moment où il fait un geste d’étonnement.

Prenez donc garde, vous allez renverser votre tasse de thé.

Mettant du beurre sur des rôties.

Je ne vous ai pas demandé ce que contenait cette lettre.

CLÉRAMBOURG.

Tu as bien fait.

GENEVIÈVE.

Parce que j’étais certaine que vous me le diriez.

CLÉRAMBOURG.

Moi !

GENEVIÈVE.

Vous faites toujours tout ce que je veux et vous avez bien raison... ce qu’il y a de plus mal au monde, c’est de désobéir à sa fille.

CLÉRAMBOURG.

Tu crois ?

GENEVIÈVE.

Oui, mon père !

CLÉRAMBOURG, avec embarras.

Eh bien... eh bien, c’était une lettre de madame de Sancerre... de cette sœur à moi qui habite Paris.

GENEVIÈVE, négligemment et accommodant toujours ses tartines.

Une lettre de ma tante qui vous contrarie ? et pourquoi donc ?

CLÉRAMBOURG, avec embarras.

Pourquoi ?... parce que depuis deux ans elle veut, tu le sais, que je t’envoie passer quelques mois chez elle... à Paris.

GENEVIÈVE.

Voyage de convenance et d’obligation !...

CLÉRAMBOURG.

Que j’ai éludé jusqu’à présent !... mais cette année... je ne sais quel prétexte lui donner, et voilà ce qui m’inquiète et me tourmente...

GENEVIÈVE, d’un air de doute.

En vérité !... Eh bien, mon père... c’est moi qui écrirai à ma tante, et, rassurez-vous, je trouverai un moyen pour ne pas vous quitter...

CLÉRAMBOURG, avec chaleur.

Ah ! c’est tout ce que je veux... tout ce que je désire... pour toi... car moi, dont on envie la richesse, moi que chacun trouve si heureux, je ne le suis, vois-tu bien, qu’ici, dans mon intérieur, avec toi ! De tous mes trésors, le seul auquel je tienne, c’est toi ! mais un trésor dont je suis avare, et, comme tous les avares, j’ai toujours peur qu’on ne me l’enlève.

GENEVIÈVE.

Est-ce que c’est possible !... et qui donc peut vous inspirer ces craintes ? est-ce que nous avons des ennemis ?

CLÉRAMBOURG, avec impatience et grommelant entre ses dents.

Ce ne sont pas ceux-là que je crains... c’est au contraire, les...

GENEVIÈVE.

Comment cela ?

CLÉRAMBOURG, l’interrompant.

Lis-moi maintenant, si tu le veux, les journaux et la correspondance... je t’écoute.

GENEVIÈVE, prenant une lettre pendant que son père boit sa tasse de thé.

D’abord une lettre.

CLÉRAMBOURG.

Qu’est-ce qu’elle dit ?

GENEVIÈVE, la parcourant.

On sollicite votre souscription à un ouvrage dont on vous a adressé dernièrement la première livraison... Tableaux de Famille.

CLÉRAMBOURG, vivement.

Je l’ai là !... un ouvrage superbe... admirable... qui doit être d’un des princes de la littérature... son nom ?

GENEVIÈVE.

Gringochard.

CLÉRAMBOURG.

Je suis fâché qu’il s’appelle Gringochard.

GENEVIÈVE.

Gringochard, maître d’études, rue des Orties, au sixième.

CLÉRAMBOURG.

C’est incroyable !...

GENEVIÈVE.

Quoi donc ?

CLÉRAMBOURG.

Que le mérite demeure aussi haut !... c’est égal ! je souscris pour cinq cents francs... tu diras à Adrien de les lui envoyer de ma part.

GENEVIÈVE.

Oui, mon père !... c’est donc bien beau ?

CLÉRAMBOURG.

C’est sublime !... il y a tel passage si vrai, si naturel, qu’en le lisant, il me semblait l’avoir écrit ! j’aurais cru que c’était de moi ! et cependant je ne me suis jamais mêlé de littérature... heureusement pour elle !... Continue ! Quel est ce petit billet satiné ?

GENEVIÈVE, ouvrant une lettre.

« Monsieur, c’est sous les auspices de madame de Sancerre, votre sœur... »

CLÉRAMBOURG, lui arrachant vivement la lettre.

C’est bien ! c’est bien !

À part et regardant la signature.

Le Colonel de Sacy... dont elle me parlait tout à l’heure... et les autres...

Prenant des mains de Geneviève les lettres qu’elle tient encore.

Encore sur le même sujet peut-être !

Il se lève.

GENEVIÈVE.

Qu’avez-vous donc ?...

CLÉRAMBOURG, se promenant avec agitation.

Rien !... je n’ai rien !...

À part.

Il faut se défier de tout maintenant.

Le domestique rentre et enlève la table.

GENEVIÈVE.

Et votre déjeuner que vous n’achevez pas ?

CLÉRAMBOURG.

Je n’ai plus faim !...

À part, et parcourant la lettre du colonel.

Il me demande un rendez-vous... un entretien à moi... aujourd’hui... à midi...

On entend sonner midi à la pendule.

Les voici... impossible de ne pas le recevoir... impossible maintenant de lui envoyer un contre-ordre... ou une excuse... d’ailleurs il faudra toujours bien... et ma fille qui est ici... je le recevrai au salon... Adieu, mon enfant.

GENEVIÈVE.

Mais d’où vient cette agitation !

CLÉRAMBOURG.

De l’agitation... je ne sais pas où tu en vois ; je me promène, je suis tranquille, je suis calme.

GENEVIÈVE.

Ce calme m’effraye !

Air du Tuteur de vingt ans.

Oui, oui, oui.
Vous avez quelque chose :
Quelle est la cause
De votre humeur ?
Oui, je voi
Qu’un chagrin vous agite.
Ou vous irrite :
Dites-le-moi.

CLÉRAMBOURG, s’efforçant de rire.

  Non, non, non,
  Je n’ai rien, je suppose !...
  Rien ne s’oppose
  À mon humeur.

À part.

Malgré moi,
Cette étrange visite
D’avance excite
Tout mon effroi !

GENEVIÈVE.

Je ne vous quitte pas.
Je veux suivre vos pas.

CLÉRAMBOURG, à part.

  Me suivre : quels tourments !

Haut.

  Moi ! je vous le défends.

Ensemble.

GENEVIÈVE.

Quoi ! c’est lui
Qu’ici je viens d’entendre !
Me le défendre.
C’est inouï !

CLÉRAMBOURG, avec colère.

  Eh bien, oui !
  C’est facile à comprendre !
  Tu dois m’entendre :
  Demeure ici.

Il sort par le fond.

 

 

Scène IV

 

GENEVIÈVE, seule

 

Je vous le défends ! c’est la première fois que je lui entends me dire ce mot-là... et il faut qu’il soit bien inquiet... bien tourmenté... bien malheureux pour sortir ainsi de ses habitudes... qu’a-t-il donc, mon Dieu ?

S’asseyant près du guéridon.

et d’où viennent ses chagrins ? N’aurai-je pas l’esprit de le découvrir, moi qui donnerais tout ou monde pour lui épargner une peine... ou seulement un instant de contrariété...

Regardant le livre qui est sur la table, et poussant un cri.

Ah ! ce livre dont il parlait ce matin, cet ouvrage... où il retrouvait, disait-il, ses plus fidèles pensées... si je pouvais y découvrir celle qui le préoccupe... ou du moins la deviner...

Prenant le livre et l’ouvrant.

Voyons donc ! les feuillets sont coupés jusque-là...

Montrant le couteau d’ivoire qui est resté dans le livre.

et voici l’endroit où il était resté.

Lisant.

« En quittant la maison paternelle, la jeune fille qui se marie est presque perdue pour son père... l’amour d’un époux, le bonheur du ménage... sa tendresse pour ses enfants, ouvrent son cœur à des sentiments nouveaux et bien plus vifs... le pauvre père est oublié, ou son souvenir, du moins, ne vient plus qu’en troisième ligne. » Ô ciel ! il me semble qu’à cet endroit... une larme est tombée... oui, en voici la trace ! Serait-ce donc là le secret qu’il cache au fond de son cœur... qu’il n’ose m’avouer... Mon pauvre père ! quoi ! il m’aimerait tant, que sa tendresse ombrageuse et défiante serait jalouse de toute autre affection !... Oh ! non, non : ce n’est pas possible... je ne puis le croire... et je m’abuse sans doute !

 

 

Scène V

 

GENEVIÈVE, ADRIEN

 

ADRIEN, rentrant.

Ah ! mademoiselle Geneviève !

GENEVIÈVE, se retournant.

C’est Adrien !... Qu’avez-vous donc ?... comme vous êtes pâle !

ADRIEN.

Je crois bien ! si vous saviez... j’étais dans mon bureau qui touche au petit salon... et j’ai entendu votre père à voix haute... bien plus... il était en colère, et c’était si nouveau pour moi que j’ai écouté... j’ai peut-être eu tort.

GENEVIÈVE.

Du tout... il y a des moments... où c’est un devoir...

ADRIEN.

N’est-ce pas ? car il disait : Non, monsieur le colonel... Donc, il se disputait avec un militaire...

GENEVIÈVE.

Se disputer, lui !... à son âge !...

ADRIEN, avec impatience.

Eh non ! c’est bien pis !... j’ai compris à leur conversation... que le colonel de Sacy... autorisé par votre tante...

GENEVIÈVE, vivement.

C’est bien cela... justement ce que tout à l’heure... achevez !...

ADRIEN.

Eh ! mon Dieu ! dans quel trouble... je vous vois.

GENEVIÈVE.

Peu importe !... achevez, de grâce !

ADRIEN.

Eh bien !... Mademoiselle... le colonel venait demander à votre père... vous... vous-même... en mariage !

GENEVIÈVE, vivement.

Plus de doute !...

Avec inquiétude.

Et vous dites que mon père a refusé ?

ADRIEN, l’observant avec émotion.

Non... Mademoiselle... non, rassurez-vous ! il n’a pas refusé... mais il a répondu avec une impatience... une aigreur qui était toute naturelle : « Croyez-vous donc, monsieur le colonel, que l’on marie ainsi sa fille... du jour au lendemain, sans connaître son gendre, ses mœurs, son caractère... » Ce qui est vrai... car enfin... il y a tant de colonels qui plaisent, qui séduisent parce qu’ils ont une épaulette...

GENEVIÈVE, vivement.

Il ne s’agit pas de cela... mais de mon père !... Il s’est donc fâché... emporté ?

ADRIEN.

Il a été encore trop bon.... et moi, à sa place...

GENEVIÈVE.

Je ne vous parle pas de vous, Adrien... mais de lui... comment cela s’est-il terminé ?

ADRIEN.

Ainsi donc, s’est écrié le colonel, malgré madame de Sancerre votre sœur, qui me connaît, m’estime et me protège... vous me refusez ? – Je n’ai pas dit cela, a répondu votre père avec une colère toujours croissante... mais je verrai... je m’informerai... je demande du temps... beaucoup du temps... il faut que je consulte ma fille.

GENEVIÈVE.

Moi...

ADRIEN, essayant de sourire.

Oui, Mademoiselle, c’est vous... et s’il n’y a pas d’autre obstacle...

GENEVIÈVE.

C’est bien ! laissez-moi !

ADRIEN.

Air : Voici déjà l’aurore (Code Noir).

  À vos ordres fidèles
  Je vous laisse et m’en vas !
  Adieu, Mademoiselle.

À part.

Elle ne m’entend pas !
C’est à lui qu’elle pense ;
Elle est auprès de lui :
Allons, plus d’espérance,
Pour moi tout est fini !

Ensemble.

GENEVIÈVE, rêvant, à part.

Oui, je dois avec zèle
L’examiner, hélas !
À mon regard fidèle
Il n’échappera pas !

ADRIEN.

  À son ordre fidèle,
  Sans la troubler, hélas !
  Je puis m’éloigner d’elle :
  Elle ne me voit pas.

Adrien sort par le fond.

 

 

Scène VI

 

CLÉRAMBOURG, rentrant par la porte à droite, GENEVIÈVE, se tenant au fond à l’écart

 

CLÉRAMBOURG.

J’en étais sûr... non seulement ce colonel... mais ces deux lettres... deux demandes encore... menez donc une jeune fille au bal...

GENEVIÈVE, l’examinant de loin.

Comme il est agité !...

CLÉRAMBOURG, en parlant, il va s’asseoir près de la table à droite.

Et il va encore m’en arriver d’autres... tous ces jeunes gens qui, hier à cette soirée, m’entouraient et me faisaient la cour... ce n’était pas pour moi... c’était pour ma fille... de là les compliments... les glaces... les verres de punch... que sais-je ? et moi qui les remerciais ! ah ! je suis entouré ! Jusqu’à ma sœur... qui protège ce colonel... et m’écrit de Paris qu’il est temps de marier Geneviève ! qu’elle a dix-huit ans ! c’est-à-dire qu’il y a dix-huit ans que j’entoure Geneviève de mes soins et de mon amour, et qu’il faut quitter ma fille, qu’il faut l’abandonner, qu’il faut la jeter dans les bras d’un inconnu... d’un homme que j’ai à peine vu... et elle aussi... d’un homme... d’un ennemi qu’on appelle un gendre... et que le lendemain peut-être elle aimera mieux que moi !... jamais !... Ah ! ce livre-là a bien raison.

Se retournant et voyant Geneviève qui s’est tout doucement approchée de lui.

Dieu !... ma fille.

Essayant de sourire.

Ah ! tu étais là...

GENEVIÈVE.

Oui, mon père... j’arrive.

CLÉRAMBOURG, essayant de rire.

Tant mieux... car il faut que je t’apprenne une nouvelle... qui, comme moi, va bien te faire rire... et dont tu ne te doutes pas. Ah ! ah ! ah ! on vient de te demander à moi en mariage... qu’est-ce que tu en dis ?

GENEVIÈVE, froidement.

Que je ne tiens pas à me marier...

CLÉRAMBOURG.

Est-il possible !...

GENEVIÈVE.

Auprès de vous, mon père, mon sort me semble si heureux et si doux, que je n’ai nulle envie de le changer.

CLÉRAMBOURG, la serrant dans ses bras.

Ma fille !... ma fille chérie !

S’arrêtant.

Permets donc... cependant... permets, Geneviève... ce n’est pas pour te contraindre... mais un jour il faudra pourtant y songer... Voilà ma sœur... voilà d’autres amis encore qui prétendent déjà que je ne veux pas te marier... moi qui dans ce moment ai trois prétendants pour toi... et je venais seulement te demander une chose, c’était de choisir ! mais tu ne veux pas...

GENEVIÈVE.

À moins cependant.

CLÉRAMBOURG.

Quoi ! que veux-tu dire ?

GENEVIÈVE.

À moins que vous-même... ne l’exigiez ou ne le désiriez...

CLÉRAMBOURG.

Je ne le désirerais... que si tu avais une idée... une préférence...

GENEVIÈVE, vivement.

Est-il possible !

CLÉRAMBOURG, vivement.

C’est donc vrai ?... tu me l’as donc caché ?... tu n’as donc plus de confiance en moi !... il y a donc quelqu’un que tu préfères ?

GENEVIÈVE, lui prenant la main.

Oui... vous avez raison, il y a quelqu’un que j’aime avant tout : c’est vous, mon père !

CLÉRAMBOURG.

Ah ! ce mot-là me désarme, et pour un rien je te demanderais pardon.

GENEVIÈVE.

Et de quoi donc ?

CLÉRAMBOURG.

D’un mauvais mouvement... d’une faiblesse involontaire ; mais que veux-tu.

Air de Turenne.

Il est des amants infidèles,
Il est des maris inconstants.
Le temps emporte sur ses ailes
Bien des vœux et bien des serments,
Et fleur d’amour ne dure qu’un printemps !
Mais ma tendresse à moi, dès ton enfance,
Croît et redouble, et tu l’éprouveras :
L’amour d’un père est le seul ici-bas
Qui ne connaît pas l’inconstance.

Mais c’est égal, je te chercherai un mari... si je peux jamais en trouver un qui soit digne de toi ! Après cela tu ne l’aimerais pas éperdument qu’il n’y aurait pas grand mal. Une affection tranquille et raisonnée, voilà ce qu’il y a de mieux pour être heureuse en ménage ; toutes ces grandes passions... ces amours exagérées qui nous absorbent... finissent toujours mal. C’est pour cela justement que je redoute les mariages d’inclination... Aussi, sois tranquille, je m’arrangerai, je te le promets, pour ne faire qu’un bon choix ! jusque-là, tu resteras avec moi, qui tâcherai de te rendre la plus heureuse des filles... Quels sont les privilèges, les avantages d’une femme mariée ?... d’avoir une maison, des gens, de belles robes, des diamants... tu les auras... ou plutôt tous mes trésors t’appartiennent déjà, car c’est pour toi que je les ai gagnés. Fais donc ce que tu voudras, ma fille ; dépense, commande, ordonne à tout le monde, à commencer par moi, qui serai trop heureux de t’obéir.

GENEVIÈVE.

Non, mon père, à vous seul le soin de mon avenir et de mon bonheur. Ce que vous déciderez sera ma loi ; et la position, pour moi, la plus désirable et la plus heureuse sera celle que vous-même aurez choisie.

Elle sort par la porte à gauche.

 

 

Scène VII

 

CLÉRAMBOURG, seul avec joie

 

Choisir... choisir moi-même ! cette chère enfant !... c’est à moi qu’elle s’en rapporte !... Oh ! je la marierai... ne fût-ce que pour démontrer à ma sœur que tous ses reproches sont absurdes !... La seule difficulté... c’est de trouver quelqu’un qui me convienne... et à elle aussi ! Mais enfin... et puisque, grâce au ciel, elle n’aime personne... nous avons le temps !

 

 

Scène VIII

 

CLÉRAMBOURG, ADRIEN

 

CLÉRAMBOURG, d’un air joyeux.

Ah ! te voilà, mon cher Adrien !... Viens donc vite !... j’ai grand besoin d’ami et de conseil.

ADRIEN.

Vous ! Monsieur ?

CLÉRAMBOURG, de même.

Moi-même !... je suis bien malheureux et bien embarrassé.

ADRIEN.

Vous n’en avez pas l’air...

CLÉRAMBOURG.

C’est pourtant la vérité... Trois partis qui se présentent pour ma fille... trois à la fois !

ADRIEN, à part.

Ô ciel !...

CLÉRAMBOURG.

Le colonel de Sacy, que recommande ma sœur... le fils de notre préfet, que recommande son père... et enfin un neveu du ministre, un jeune pair de France, qui se recommande de lui-même... Les trois demandes viennent de m’arriver ce matin, et presque en même temps.

ADRIEN.

C’est là ce qui vous tourmente et vous embarrasse ?...

CLÉRAMBOURG.

D’autant plus que ma fille s’en rapporte entièrement à moi et me laisse le droit de prononcer... ce qui est fort difficile... fort délicat... Je finirai, tu le verras, par ne pas marier cette enfant-là !

ADRIEN, vivement.

Vous croyez ?

CLÉRAMBOURG.

Que veux-tu, ces trois partis étant également convenables, je ne vois aucune raison pour préférer l’un et me faire ainsi des ennemis des deux autres... Si encore ma fille m’aidait un peu... si elle avait quelque goût... quelque inclination pour un des prétendants... je serais trop heureux... cela me guiderait !... Moi, je voudrais qu’elle eût fait un choix, qu’elle préférât quelqu’un... mais non... elle me laisse toute la responsabilité... elle n’aime personne...

ADRIEN.

Je crois, Monsieur, que vous vous trompez.

CLÉRAMBOURG, vivement.

Que veux-tu dire ?

ADRIEN.

Ce serait mal à moi de vous cacher ce que je sais... ou du moins ce que j’ai cru voir... Oui, Monsieur... vous me rappeliez encore ce matin que votre fille était ma première bienfaitrice... que je ne serais rien sans elle... et son bonheur avant tout.

CLÉRAMBOURG, brusquement.

Achève donc !...

ADRIEN, cherchant à cacher son trouble.

Eh bien ! Monsieur... réjouissez-vous, votre tâche sera moins difficile que vous ne le pensiez... mademoiselle Geneviève aime quelqu’un.

CLÉRAMBOURG, avec colère.

Eh! qui donc ? ce jeune pair de France ?

ADRIEN.

Non, Monsieur.

CLÉRAMBOURG.

Le fils de notre préfet ?... je mon suis toujours douté !

ADRIEN.

Eh ! non !

CLÉRAMBOURG.

Le colonel ! J’en étais sûr !... mais qui te l’a dit ! qui te le fait croire ?

ADRIEN.

Tout à l’heure... quand je lui ai appris que M. de Sacy était venu pour vous demander sa main... si vous aviez vu son trouble... son émotion... sa crainte qu’il ne fût refusé par vous...

CLÉRAMBOURG.

Et elle ne m’en a rien dit !...

ADRIEN, avec chaleur.

Ni à moi non plus !... mais c’était si facile à deviner... sa main tremblait, elle pâlissait... elle était prête à se trouver mal...

CLÉRAMBOURG.

Et je ne me suis douté de rien !

ADRIEN, avec explosion.

Vous ! mais moi !...

Se reprenant.

Moi qui vous suis dévoué...

CLÉRAMBOURG, lui prenant les mains.

Merci, mon ami... merci... Mais ce colonel, d’où le connaît-elle ? où l’a-t-elle vu ?

ADRIEN.

Hier... à ce bal.

CLÉRAMBOURG.

Quoi, parce qu’il est brillant, élégant... parce qu’il valse bien !... parce qu’elle a valsé deux fois avec lui, la valse à deux temps !

ADRIEN.

C’est indigne !

CLÉRAMBOURG.

C’est affreux.

ADRIEN.

Je n’en puis revenir.

CLÉRAMBOURG.

Ni moi non plus ! conduisez donc les jeunes filles au bal ! Voilà !

Il remonte.

ADRIEN, descendant à droite.

Voilà !

Se retournant.

Qu’importe après tout... vous désiriez un gendre... un gendre qu’elle aimât.

CLÉRAMBOURG.

Je ne dis pas non.

ADRIEN.

Et vous voilà furieux !

CLÉRAMBOURG.

Furieux... du mystère qu’elle m’en a fait... furieux du secret qu’elle a gardé avec moi, son père... sans compter, vois-tu bien, que si elle a craint de m’avouer une pareille préférence... c’est qu’il y a des raisons... c’est qu’elle sait, comme nous, que ce beau colonel est un brillant séducteur... qui fait ainsi chaque jour de nouvelles conquêtes.

ADRIEN.

En vérité !

CLÉRAMBOURG.

Parbleu ! toutes les femmes en raffolent, et Geneviève est déjà comme elles... Et ma fille sera malheureuse... elle adorera un indigne mari... et son pauvre père... et nous ses amis... elle nous oubliera !... Écoute, Adrien, il faut que tu la voies, que tu lui parles... puisqu’elle a déjà eu confiance en toi...

ADRIEN.

Mais elle ne m’a rien dit.

CLÉRAMBOURG.

C’est égal... de ta part ce ne sera pas suspect et ce le serait de la mienne... elle croirait que c’est par haine pour le colonel... Dis-lui adroitement... tout le mal que tu sais de lui...

ADRIEN.

Je n’en sais pas. Monsieur.

CLÉRAMBOURG, avec impatience.

Allons donc !... il est évident qu’un militaire... parbleu, c’est connu !... et si quelqu’un peut lui faire entendre raison... c’est toi avec qui elle a été élevée... toi qu’elle regarde et qu’elle aime comme un frère, va la trouver... je t’en prie...

ADRIEN.

Ça m’est impossible... Monsieur... car je venais ici en ce moment... vous dire... que des nouvelles inattendues et cruelles pour moi...

CLÉRAMBOURG, le regardant.

En effet... je n’avais pas remarqué le changement de tes traits.

ADRIEN.

Ce n’est rien, Monsieur, mais ces nouvelles m’obligent... à partir pour Paris...

CLÉRAMBOURG.

Alors, reviens au plus vite... car tu vois bien que je ne peux pas me passer de toi.

ADRIEN.

Aussi c’est bien malgré moi que je viens vous rendre les clefs de votre caisse... mais il le faut... Mon bienfaiteur et mon père, adieu pour toujours.

CLÉRAMBOURG, le retenant pas la main.

Qu’est-ce que j’entends là !... toi sur qui j’avais compté... toi que je regardais comme ma seule consolation... tu m’abandonnes au moment où tout le monde me délaisse on me trahit.

Air de Lantara.

Toi, me quitter ! c’est impossible !
Et me quitter sans motifs, sans raison !

ADRIEN.

Si vraiment ! un motif terrible
M’oblige à fuir cette maison.

CLÉRAMBOURG.

  S’il est ainsi, dis-le-moi, parle donc !
  Loin d’un ami quel caprice t’entraîne ?
  Que le faut-il ? Est-ce de l’or ?

Lui présentant la clef de sa caisse.

  Prends, partageons !

Le regardant.

  Aurais-tu quelque peine ?

Lui ouvrant les bras.

Alors, viens donc, et partageons encor !
Oui, si ton cœur renferme quelque peine,
Viens sur le mien et partageons encor.

ADRIEN, s’élançant vers Clérambourg.

Ah ! Monsieur...

S’arrêtant.

Non... non, c’est impossible... Adieu...

CLÉRAMBOURG, regardant Adrien qui s’éloigne.

Tu as raison !... va-t’en !... va-t’en !... car toi aussi tu n’es qu’un ingrat !

ADRIEN, revenant sur ses pas.

Moi, un ingrat... vous vous trompez, Monsieur... c’est parce que je vous ai juré reconnaissance et respect... c’est parce que je ne suis pas un ingrat... que je quitte cette maison... J’aime votre fille... je l’adore...

CLÉRAMBOURG.

Toi ?

ADRIEN.

À en perdre la raison... il faut donc que je m’en aille... car cet amour dont je ne suis plus maître... est une offense pour vous, mon bienfaiteur... qui ne pouvez jamais l’approuver.

CLÉRAMBOURG.

Pourquoi pas ?

ADRIEN.

Hein ?

CLÉRAMBOURG.

Qu’est-ce que j’étais donc, quand j’ai commencé ma fortune ?... un noble ou grand seigneur ? non ! un commis comme toi. J’avais pour réussir du courage... du talent... et de la probité... tu as tout cela : nos deux, maisons peuvent marcher de pair... et si une telle alliance ne dépendait que de moi...

ADRIEN, poussant un cri.

Est-il possible !

CLÉRAMBOURG, vivement.

Oui, sans cet amour qu’elle a dans le cœur... amour, qui fera son malheur et le mien, je te dirais sur-le-champ : touche là, mon gendre.

ADRIEN.

Ah ! Monsieur, quelle reconnaissance ! mais par malheur je ne puis jamais être aimé d’elle.

CLÉRAMBOURG.

Je le sais bien ! c’est égal, essaye toujours, c’est ton affaire... ça te regarde !... Tâche de lui faire oublier son colonel...

ADRIEN, avec chaleur.

Et si je pouvais y parvenir... vous consentiriez ?...

CLÉRAMBOURG, avec embarras.

Certainement... nous verrions !... En attendant... je t’aiderai s’il le faut de mon aveu... de ma protection.

ADRIEN, avec reconnaissance.

Ah ! Monsieur !...

CLÉRAMBOURG.

Tais-toi ! c’est elle !

 

 

Scène IX

 

GENEVIÈVE, CLÉRAMBOURG, ADRIEN

 

CLÉRAMBOURG.

Depuis que tu m’as quitté, mon enfant... j’ai pesé mûrement les avantages et les inconvénients de tous les partis... il faut que tu te maries, je l’exige... je le veux... Cependant, et quoique tu m’eusses permis de choisir... quoique j’aie mon idée à moi... rien ne se fera sans ta volonté...

GENEVIÈVE.

Dites-moi donc quelle est la vôtre ?

CLÉRAMBOURG, avec embarras.

La mienne... dame ! la mienne... si tu me la demandes... je te dirai franchement que je ne tiens guère à la fortune... quand il s’agit de ton bonheur : ce qui fait que j’ai jeté les yeux sur un honnête homme... dont je suis sûr, et que j’appellerais toujours mon fils... même quand tu ne l’accepterais pas pour mari...

GENEVIÈVE, tremblante d’émotion.

Eh ! qui donc ?

CLÉRAMBOURG.

Adrien !

GENEVIÈVE, poussant un cri de joie qu’elle cherche à retenir.

Ah ! est-ce bien là, mon père... votre volonté ?

CLÉRAMBOURG, vivement.

Tu peux toujours refuser... tu es la maîtresse... mais quant à moi

Avec émotion.

c’est mon désir... le plus grand.

GENEVIÈVE, qui pendant ce temps a regardé son père avec attention, dit à part.

Je ne le pense pas !

CLÉRAMBOURG.

Celui-là, du moins, ne t’emmènera pas à son régiment ou dans les pays lointains... tu resteras avec moi... tu ne me quitteras pas...

GENEVIÈVE.

Je vous l’ai dit, mon père... dès que cela vous plaît... et vous convient... cela me suffit.

CLÉRAMBOURG, avec inquiétude.

Comment... tu acceptes donc... c’est fini ?...

GENEVIÈVE.

Écoutez-moi, mon père... vous vous rappelez mes paroles de ce matin... vous êtes font pour moi.

Regardant de temps en temps Adrien.

Et tout ce que j’aime... tout mon bonheur est ici avec vous...

CLÉRAMBOURG.

En vérité !...

GENEVIÈVE, d’une voix caressante.

Il n’y en aurait plus pour moi... s’il fallait séparer mon existence de la vôtre et vous quitter un instant.

CLÉRAMBOURG.

Ma Geneviève... mon enfant bien-aimé !

GENEVIÈVE.

Quant à M. Adrien, je l’ai toujours regardé comme un frère...

CLÉRAMBOURG, avec joie.

C’est bien !

GENEVIÈVE.

J’ai pour lui l’amitié... l’estime la plus vraie.

CLÉRAMBOURG, de même.

C’est très bien.

GENEVIÈVE.

Mais je dois, avant tout, lui parler franchement... mon affection à moi sera toujours calme et tranquille...

CLÉRAMBOURG.

Tant mieux... c’est plus durable...

GENEVIÈVE.

Pour des sentiments exaltés... et romanesques, je n’en ai pas.

CLÉRAMBOURG, gaiement à Adrien.

C’est vrai ; car elle me proposait ce matin de t’éloigner d’ici, de t’établir ailleurs.

ADRIEN, regardant Geneviève avec douleur.

Est-il possible ?

GENEVIÈVE, vivement.

Dans votre intérêt, Monsieur !

CLÉRAMBOURG, à Adrien.

Et par raison !... la raison avant tout ! c’est l’essentiel en ménage... aussi, mes enfants, mes chers enfants... c’est ce que je demande... ce que je veux...

ADRIEN, qui jusque-là a écouté avec une impatience qu’il a cherché vainement à calmer.

Et moi, Monsieur, c’est ce que je ne veux pas.

CLÉRAMBOURG.

Que dites-vous ?

ADRIEN.

Que je refuse ! je l’aime trop pour ne la devoir qu’à l’obéissance !... sa froideur causerait mon désespoir, et ma tendresse à moi lui serait importune ! Un tel mariage... ferait deux malheureux... il vaut mieux qu’il n’y eu ait qu’un, et que ce soit moi...

CLÉRAMBOURG.

Allons ! c’est comme une fatalité... je le disais tout à l’heure... je ne pourrai jamais marier cette enfant-là !

GENEVIÈVE.

Mais, mon père.

CLÉRAMBOURG.

Ah !...

Ensemble.

Air : Ô rage, ô colère ! (La Barcarolle.)

ADRIEN.

Je vous remercie.
Mon âme attendrie,
Veut toute la vie
Bénir vos bienfaits.
Mais moi votre gendre,
Ah ! mon cœur trop tendre
N’y saurait prétendre :
Adieu pour jamais.

CLÉRAMBOURG.

Mais quelle folie !
D’une âme attendrie,
Il me remercie
De tous mes bienfaits.
Et quand pour mon gendre,
Je voulais le prendre
Voyez quel esclandre !
Il part pour jamais.

GENEVIÈVE.

Ah ! quelle folie,
Quelle frénésie,
Quand mon père oublie
Pour lui ses projets !
Lorsque pour son gendre
Il veut bien le prendre,
Lui, sans me comprendre,
Me perd pour jamais.

Clérambourg sort par la porte du fond.

 

 

Scène X

 

ADRIEN, qui s’est jeté dans un fauteuil près du bureau à droite, GENEVIÈVE, s’approchant de lui après un instant de silence

 

GENEVIÈVE.

Il faut convenir, monsieur Adrien, que vous êtes bien singulier et bien impatientant...

ADRIEN.

Moi !

GENEVIÈVE.

Si j’avais un peu d’amour-propre... je ne vous regarderais plus... je ne vous adresserais pas même la parole... Comment, il ne tient qu’à vous de m’épouser ! mon père dit oui... moi, je ne dis pas non ! on vous offre ma main, et vous la refusez !

ADRIEN.

Parce que vous ne m’aimez pas... et moi je vous aime tant... Vous ne saurez jamais, Geneviève, tout ce qui s’est passé dans mon cœur de souffrances et de combats.

GENEVIÈVE.

C’est ce qui vous trompe encore... je sais tout.

ADRIEN.

Et qui a pu vous l’apprendre ?

GENEVIÈVE, le regardant.

Quelqu’un... en qui j’ai confiance.

ADRIEN.

Qui a pu trahir un secret que seul je possédais ?

GENEVIÈVE.

Vous-même !

ADRIEN.

Quoi ! malgré mon silence...

GENEVIÈVE.

C’est peut-être lui qui m’a tout dit... et depuis longtemps...

ADRIEN.

Depuis longtemps alors cet amour vous offense... et vous me haïssez.

GENEVIÈVE.

Je n’ai pas dit cela, Monsieur, je n’ai pas besoin de m’expliquer là-dessus... mais si vous voulez réparer vos torts, il faut me jurer... une soumission aveugle et absolue...

ADRIEN.

Je le jure.

GENEVIÈVE.

Écoutez-moi donc !... il y a des cœurs trop tendres ou trop susceptibles... dont on doit, par devoir, ménager et cacher les faiblesses... et surtout celles d’un père.

ADRIEN.

Que dites-vous ?

GENEVIÈVE.

C’est un secret que moi, sa fille, je dois garder et respecter. Il faut donc vous fier à moi... me laisser faire... et quoi qu’il arrive... ne pas vous fâcher... comme tout à l’heure... à propos de rien.

ADRIEN.

De rien ! quand vous déclarez ne pas m’aimer !

GENEVIÈVE.

Et quand je vous détesterais...

Air de Mademoiselle Garin.

Il faut, Monsieur, je dois vous en instruire,
Croire très peu ce que vous entendez ;
Et croire un peu ce que l’on craint de dire :
Mais pour le reste, en silence attendez !
Quoi d’un délai, dont le temps vous effraie,
Vous, négociant, vous redoutez les frais !
Qu’importe enfin ! si plus tard ou vous paie
Le capital avec les intérêts.

ADRIEN.

Mais cependant...

GENEVIÈVE, vivement, à demi voix.

Oui, Monsieur, pour votre bonheur il faut que vous me soyez tout à fait indifférent, que mon père en soit bien persuadé, et vous-même aussi... car si vous pouviez seulement supposer le contraire, il y aurait dans votre air quelque chose d’heureux et de triomphant qui perdrait tout... et il faut que vous m’épousiez...

ADRIEN, vivement.

Ah !... avec amour...

GENEVIÈVE.

Non ! avec désespoir...

ADRIEN.

Je ne vous comprends pas.

GENEVIÈVE.

Tant mieux...

ADRIEN.

Mais, en attendant, si seulement je pouvais entrevoir une lueur d’espérance...

GENEVIÈVE.

Maintenant, aucune !... plus tard, je ne dis pas...

ADRIEN.

Ah ! c’est qu’être aimé de vous, est un bonheur si grand... un rêve si doux... qu’à peine à présent oserais-je y croire même si je l’entendais...

GENEVIÈVE.

Impossible... ce mot-là, si je le prononçais, nous perdrait tous les deux.

ADRIEN.

Et moi, pour l’entendre, je consentirais à ma perte.

Air : J’ai reçu ta promesse (Finale du Serment).

ADRIEN.

Ce mot seul, je vous prie,
Et dussé-je en mourir,
Même au prix de ma vie,
Je voudrais l’obtenir !

GENEVIÈVE.

Taisez-vous, je vous prie.
Et laissez-moi partir ;
Calmez une folie
Qui pourrait nous trahir.

ADRIEN.

Oui, Geneviève, au nom de mon amour extrême...

GENEVIÈVE.

Relevez-vous, et ne demandez rien !

ADRIEN.

Au nom de mes tourments, ce mot, ce mot suprême.
Et je puis tout braver si de vous je l’obtiens.

GENEVIÈVE.

Puisque vous l’exigez, oui, Monsieur, je vous aime
Depuis longtemps... et je n’aime que vous !

 

 

Scène XI

 

ADRIEN, GENEVIÈVE, CLÉRAMBOURG

 

CLÉRAMBOURG.

  Qu’est-ce que j’entends-là ?

GENEVIÈVE, à part.

  Grand Dieu ! c’est fait de nous !

Ensemble.

GENEVIÈVE.

La frayeur m’a saisie,
Qu’allons-nous devenir !
Il croira, je parie,
Qu’on voulait le trahir.

CLÉRAMBOURG, à part.

À ma vue obscurcie,
Quel tableau vient s’offrir !
Mensonge et perfidie,
On voulait me trahir !

ADRIEN, avec joie.

  À mon âme ravie,
  Quel bonheur vient s’offrir !
  Même au prix de la vie,
  On voudrait l’obtenir,

Courant à Clérambourg.

Oui, Monsieur, partagez mon bonheur, je suis le plus heureux des hommes... Elle m’aime, elle me l’a dit.

GENEVIÈVE, à part.

Imprudent !

CLÉRAMBOURG, cherchant à cacher son émotion sous un rire forcé.

Oui... je viens de l’entendre... et il paraît qu’elle a en vous une confiance... qu’elle n’a pas en moi... car elle me l’avait laissé ignorer... elle ne m’en avait jamais parlé...

GENEVIÈVE, bas, à Adrien.

Que vous avais-je dit ! tout est perdu.

ADRIEN, à part.

Ô ciel !...

Haut.

Et comme vous aviez la bonté, la générosité de consentir à ce mariage... comme tout à l’heure encore... vous m’aviez dit...

CLÉRAMBOURG.

Certainement... tout à l’heure encore... je ne demandais pas mieux, et même, vous le savez, je vous ai conjuré d’accepter.

ADRIEN.

Tout à l’heure, Monsieur, vous daigniez me tutoyer et m’appeler votre fils...

CLÉRAMBOURG.

C’est vrai... c’est vrai ! peut-être, sans m’en rendre compte, ai-je été froissé... de ton obstination... de ton refus... qui m’a affligé dans le premier moment, et maintenant plus encore...

ADRIEN.

Comment cela ! Monsieur ?

CLÉRAMBOURG, avec impatience.

Comment... comment... parce que je ne pouvais pas être à tes ordres... à tes caprices... il me fallait prendre un parti... et voyant que tu refusais la main de ma fille... au moment même où le colonel revenait chez moi chercher une réponse définitive...

ADRIEN.

Eh bien ?...

CLÉRAMBOURG.

Eh bien... je n’avais aucune raison de l’éloigner davantage... je l’ai accueilli... je lui ai dit...

ADRIEN, poussant un cri.

Ô ciel !...

CLÉRAMBOURG.

Que diable aussi !...

ADRIEN.

Je ne me plains pas, Monsieur, je n’accuse personne que moi ; mais je sais ce qui me reste à faire... Adieu !

Ensemble.

Air : C’en est trop, mon honneur doit punir cet outrage (de Philippe).

Plus d’espoir, de bonheur !
J’ai perdu ce que j’aime ;
Le dépit, la douleur
S’emparent de mon cœur.
Insensé, j’ai moi-même
Refusé tant d’appas ;
À ma douleur extrême,
Je ne survivrai pas !

GENEVIÈVE.

Plus d’espoir, de bonheur.
Oui, je perds ce que j’aime ;
Le regret, la douleur
S’emparent de mon cœur !
Oui, c’est lui, c’est lui-même,
Qui me refuse, hélas !
À sa douleur extrême
Il ne survivra pas.

CLÉRAMBOURG, à part.

Je n’ai plus de frayeur,
Et dans ma joie extrême,
D’espoir et de bonheur,
Je sens battre mon cœur.
Comme un autre moi-même,
Ici, tu resteras,
Et la fille que j’aime.
Ne me quittera pas.

CLÉRAMBOURG, à Adrien.

J’en suis fâché, mon cher, mais une fois qu’on donne
Sa parole...

ADRIEN.

  J’entends ! et n’accuse personne
  Que moi, moi seul !

À part.

  Mais à présent, morbleu !
  Je sais ce qui me reste à faire.

Haut.

  Adieu !

À Geneviève.

  Adieu !

GENEVIÈVE.

  Quel est son dessein, ô mon Dieu !

Reprise de l’ensemble.

Adrien sort.

 

 

Scène XII

 

CLÉRAMBOURG, GENEVIÈVE

 

GENEVIÈVE, à part.

Comment faire à présent que mon père est lié et engage avec le colonel ?

CLÉRAMBOURG, regardant Adrien qui est sorti et se rapprochant de sa fille.

À nous deux, maintenant, et puisqu’il n’est plus là... puis-je savoir ce que cela signifie... connaitrai-je enfin la vérité ?...

GENEVIÈVE.

Je vous l’ai dite ce matin... je vous l’ai dite toujours.

CLÉRAMBOURG.

Voilà qui est fort... et vous saurez, Mademoiselle, que je suis indigné... que je suis outré...

GENEVIÈVE, vivement.

Et moi aussi.

CLÉRAMBOURG, étonné.

Toi ?...

GENEVIÈVE, avec fermeté.

Moi...

CLÉRAMBOURG.

Par exemple, au moment où j’allais me mettre en colère... c’est elle...

GENEVIÈVE, de même.

Oui, mon père... parce que c’est moi qui ai le droit de me plaindre et d’être fâchée... je vous déclare ce matin... que je ne veux pas nous quitter, que je veux rester près de vous... et depuis ce moment, par un fait exprès et comme pour me contrarier, vous semblez prendre à tâche de rassembler... de me présenter successivement... une foule de prétendants.

CLÉRAMBOURG.

Je ne dis pas non... mais...

GENEVIÈVE.

Est-ce moi qui les demande ?... je n’en veux pas... je n’en veux aucun.

CLÉRAMBOURG.

Mais cependant Adrien...

GENEVIÈVE.

Je le refuse.

CLÉRAMBOURG.

Et le colonel ?...

GENEVIÈVE.

Je le refuse... je n’en veux pas... je les déteste... je les déteste tous...

CLÉRAMBOURG, tout à fait radouci.

Ne te fâche pas, Geneviève, ne te fâche pas, et tâchons de nous entendre ! explique-moi alors pourquoi Adrien était tout à l’heure à tes genoux ?

GENEVIÈVE.

Lui... vous croyez ?

CLÉRAMBOURG.

Je l’y ai vu ! Et pourquoi lui disais-tu : Je vous aime !... je n’aime que vous ?

GENEVIÈVE, ingénument.

Lui ai-je dit cela ?

CLÉRAMBOURG.

Parbleu !... je l’ai bien entendu !

GENEVIÈVE.

C’est possible ! il menaçait de se tuer, si je ne lui faisais un pareil aveu... et vous le connaissez, il est capable de tout !

CLÉRAMBOURG, effrayé.

Bonté du ciel !

GENEVIÈVE.

Aussi je lui aurais dit tout ce qu’il aurait voulu.

CLÉRAMBOURG, troublé.

Tu as bien fait... Ainsi donc ce n’est pas lui que tu aimes ?

GENEVIÈVE.

Non !

CLÉRAMBOURG, avec inquiétude.

C’est donc... le colonel ?

GENEVIÈVE.

Non !

CLÉRAMBOURG, avec joie.

Eh bien... eh bien.

À demi voix.

Rassure-toi, je ne me suis pas engagé avec lui... je n’ai rien dit... je suis resté dans le vague et l’indécision !

GENEVIÈVE, avec un cri de joie étouffé et portant la main à son cœur.

Ah !

CLÉRAMBOURG.

Ainsi, je peux donc faire encore tout ce que tu veux ?

GENEVIÈVE, avec fermeté.

Ce que je veux, mon père...

 

 

Scène XIII

 

CLÉRAMBOURG, GENEVIÈVE, UN DOMESTIQUE, apportant une lettre

 

CLÉRAMBOURG.

Une lettre !... l’écriture du colonel !

GENEVIÈVE, se levant vivement.

Du colonel !

CLÉRAMBOURG.

Eh bien ! oui, du colonel... Qu’est-ce que tu as donc ?

GENEVIÈVE.

Rien, mon père... lisez donc.

CLÉRAMBOURG, lisant.

« Monsieur. Votre jeune commis, M. Adrien, qui jamais, je crois, n’a touché une épée, veut absolument me tuer ou se faire tuer par moi !... »

GENEVIÈVE, qui est debout près de la table à droite, se laisse tomber dans le fauteuil qui est derrière elle.

Ah !...

CLÉRAMBOURG, à gauche, continuant la lecture de la lettre, sans s’apercevoir que sa fille vient de s’évanouir.

« Il me faut accepter, et bien contre mon gré, un combat que vous, Monsieur, vous pouvez empêcher d’un seul mot, en choisissant définitivement entre nous deux ; mais ce mot, hâtez-vous de l’écrire, car nous partons. »

Avec agitation.

Choisir !... choisir ! sans avoir seulement un instant à soi pour se décider !...

Allant à sa fille.

Dis-moi alors toi-même, Geneviève...

La regardant.

Ô ciel ! elle est sans connaissance !... elle ne m’a pas dit la vérité... ce colonel... c’est clair ! c’est évident !... c’est lui !

Avec amertume.

Ah !

Prenant les mains de Geneviève qu’il serre dans les siennes.

Ma fille !... ma fille chérie, reviens à toi ! tu l’auras, tu l’épouseras !...

Se retournant vers le domestique.

Mais allez donc, allez vite chercher du secours !

Au domestique qui fait un pas pour sortir.

Non... non... elle revient à elle.

Se frappant le front.

Et ce combat qui va avoir lieu si je n’écris pas !...

S’approchant du guéridon à gauche.

Ah ! quel tourment, quel tourment d’être père... Attendez ! il le faut ! c’est un sacrifice qu’elle voulait me faire... et je serais assez cruel, assez égoïste pour l’accepter !... non, c’est à moi de me sacrifier.

Au valet.

Tenez... tenez... ce mot au colonel... parlez !

Le domestique sort.

 

 

Scène XIV

 

CLÉRAMBOURG, GENEVIÈVE

 

GENEVIÈVE, qui pendant les dernières lignes de la scène précédente, a rouvert les yeux et est revenue à elle peu à peu.

Qu’est-ce ? qu’est-il donc arrivé ? il devait se battre !

CLÉRAMBOURG, s’approchant d’elle.

Rassure-toi ! on ne se battra pas ! il n’y aura rien ! tout est arrangé, arrangé par moi... d’une manière que tu approuveras.

GENEVIÈVE.

Vous m’assurez qu’il n’y a plus de danger... pour personne ?

CLÉRAMBOURG.

Aucun, je te le jure ! le colonel et Adrien seront ici tantôt, tous les deux ; à dîner avec nous.

GENEVIÈVE.

Et comment avez-vous fait ?

CLÉRAMBOURG.

D’ici là, je t’en prie, ne parlons plus de cela, qu’il n’en soit plus question... car moi, vois-tu... cela m’a fait bien mal !

GENEVIÈVE, courant à son père qui vient de s’asseoir près du guéridon.

Vous avez raison, mon père, occupons-nous d’autre chose ; c’est à moi de vous calmer... de vous distraire...

CLÉRAMBOURG, regardant Geneviève qui est en face de lui, de l’autre côté du guéridon.

Te voir là... près de moi... cela me suffit ! mets-toi là !

GENEVIÈVE, regardant sur le guéridon près duquel elle est assise.

Ah !... ce livre que vous aimez tant... voulez-vous...

CLÉRAMBOURG.

Comme tu voudras... pourvu que je te regarde à moi seul et à mon aise !

GENEVIÈVE, lisant en regardant de temps en temps son père.

« C’est surtout quand elle est mariée que la jeune fille comprend et apprécie la tendresse de ses parents.

CLÉRAMBOURG.

Hein ?

GENEVIÈVE, même jeu.

« Jusqu’alors, elle ne s’en doutait pas... mais les soins qu’elle est obligée de donner à sa jeune famille lui apprennent ceux qu’on lui a prodigués... les inquiétudes ou les tourments qu’elle éprouve lui rappellent ceux qu’elle a causés... »

CLÉRAMBOURG.

Qu’est-ce que tu me dis là ?

GENEVIÈVE.

« Heureuse, elle a besoin de raconter à son père le bonheur qu’elle lui doit. »

CLÉRAMBOURG, avec émotion.

Ô ciel !

GENEVIÈVE, même jeu.

« Malheureuse ! c’est à lui qu’elle vient confier ses peines... »

CLÉRAMBOURG, écoutant avec intérêt.

C’est vrai !...

GENEVIÈVE, de même.

« Les larmes que le mari a fait couler... c’est la main paternelle... qui les essuie !... »

CLÉRAMBOURG, de même.

C’est vrai ! c’est vrai...

GENEVIÈVE, s’interrompant.

Vous trouvez !

CLÉRAMBOURG, avec impatience.

Continue...

GENEVIÈVE, continuant, mais d’un ton plus gai.

« Sans compter qu’en manant sa fille, le bon père n’a pas perdu, mais augmenté son trésor... cette nouvelle famille qui l’entoure lui rappelle les traits et la tendresse de son enfant... son amour à lui s’étend et se multiplie... sans s’affaiblir ! À d’autres le soin d’élever ou de corriger leur jeune âge... lui n’a rien à faire qu’à les aimer... »

CLÉRAMBOURG, avec émotion.

C’est bien !

GENEVIÈVE, de même.

Aimer tous ses petits enfants...

CLÉRAMBOURG, les larmes aux yeux.

C’est bien... c’est très bien... ce que tu me dis là !... Moi qui n’avais jeté les yeux que sur la première feuille.

GENEVIÈVE, souriant.

C’est qu’en tout... il y a le revers...

À Clérambourg, qui lui a pris le livre des mains.

Et mais, que faites-vous ?

CLÉRAMBOURG.

Air de Colalto.

  Laisse-moi lire de nouveau.
  Ce dernier passade, ma fille !
  Et surtout ce riant tableau
  Du vieux grand-père, au sein de sa jeune famille.
  Ces sentiments si doux que j’ai rêvés
  Et qu’à l’instant, tu me lisais, ma chère,

Feuilletant le livre.

Je cherche en vain, où sont-ils ?

GENEVIÈVE, portant la main à son cœur.

  Là, mon père.
  Par mon amour, c’est là qu’ils sont gravés,
  Et pour toujours c’est là qu’ils sont gravés.

C’est là que vous pourriez les lire... sans le voile qui couvre vos yeux... et que mon amour ne peut écarter.

CLÉRAMBOURG, avec émotion.

Ah ! toi seule as raison !... toi seule... tu sais aimer... Tu te sacrifierais pour me rendre heureux... et moi... dans mon égoïsme... dans ma jalousie !...

GENEVIÈVE, voyant son père qui tend les bras vers elle en suppliant, et qui se met presque à genoux.

Mon père, que faites-vous ?

CLÉRAMBOURG.

Pardon, mon enfant, pardon !... car je suis bien coupable !

GENEVIÈVE.

Vous... mon Dieu !

CLÉRAMBOURG.

Air : Je n’ai point vu ces bosquets de lauriers.

Oui, ton amour, ma fille, est un trésor,
Dont je ne puis supporter le partage ;
C’est mon seul bien, et tout à l’heure encor,
Quand il fallait, signant ton mariage,
Me prononcer et choisir à l’instant,
Ce colonel... vois... quel sort est le nôtre !
Ce colonel était si séduisant...

GENEVIÈVE.

  Eh bien ! mon père...

CLÉRAMBOURG.

  Enfin, tu l’aimais tant...
  Que malgré moi, j’ai choisi l’autre.

Sur un cri de Geneviève.

Pardonne-moi ! j’ai choisi l’autre !

Mais je m’en punirai... je te le jure... J’irai trouver Adrien... je le supplierai de me rendre ma promesse, et d’accepter en échange... la moitié de ma fortune...

GENEVIÈVE.

Lui ! il ne voudra jamais...

CLÉRAMBOURG.

Que faire alors ?

GENEVIÈVE.

Ce que doit faire un loyal négociant... tenir votre parole.

CLÉRAMBOURG, hésitant.

Mais... mais l’autre qui te plaisait ?...

GENEVIÈVE, souriant.

Oui... au bal !... mais vous vous y connaissez mieux que moi... et je suis persuadée qu’Adrien fera un meilleur mari.

CLÉRAMBOURG.

Vraiment !...

GENEVIÈVE, avec joie.

Vraiment ! je suis enchantée de l’épouser...

Rencontrant un regard inquiet de Clérambourg.

parce qu’au moins je resterai ici... nous ne nous quitterons pas ! rien ne sera changé !... Oui, mon père... vous ne vous apercevrez même pas que je suis mariée... ni moi non plus...

CLÉRAMBOURG, avec joie.

À la bonne heure... et à cette condition-là...

GENEVIÈVE, à part, avec joie, et apercevant Adrien.

Adrien !

 

 

Scène XV

 

ADRIEN, CLÉRAMBOURG, GENEVIÈVE

 

ADRIEN, près de la porte, tremblant de joie, et n’osant entrer.

Est-ce vrai... Monsieur... est-ce vrai ? cette lettre que vous venez d’écrire au colonel... et où vous lui disiez que c’est moi... que vous choisissez ?

CLÉRAMBOURG.

Eh ! oui... Et à moins que tu ne refuses encore de faire honneur à ma signature...

ADRIEN, entrant vivement.

Oh ! non, Monsieur...

Avec timidité.

mais Mademoiselle...

GENEVIÈVE, regardant Adrien avec tendresse.

Mademoiselle... obéit comme toujours à son père !

Adrien veut s’élancer vers elle pour la remercier ; elle l’arrête  d’un geste.

CLÉRAMBOURG, avec joie, et prenant le bras de sa fille.

Et tu fais bien, ma fille... tu fais bien ! Quant à l’époque du mariage... nous verrons... nous en reparlerons...

GENEVIÈVE, tranquillement.

Oui... nous en reparlerons... rien ne presse !

ADRIEN, à voix basse.

Mais, Mademoiselle...

GENEVIÈVE, vivement.

Taisez-vous donc !

CLÉRAMBOURG.

D’ici... à un mois... ou doux...

GENEVIÈVE, froidement.

Ou trois... Je profiterai de ce temps-là pour me rendre à Paris... chez ma tante.

CLÉRAMBOURG, vivement.

Toi, me quitter ?...

GENEVIÈVE.

Puisqu’elle m’attend... et qu’il n’y a pas de prétexte pour ne pas partir.

CLÉRAMBOURG, avec impatience.

Mais situ te mariais cependant...

GENEVIÈVE.

Ah ! c’est différent... ce serait elle alors qui serait forcée de venir... et ça la dérangerait peut-être.

CLÉRAMBOURG, de même, et tenant toujours sa fille sous le bras.

Qu’est-ce que ça me fait... je vais lui écrire... lui faire part de ton mariage...

GENEVIÈVE.

À la bonne heure...

CLÉRAMBOURG, emmenant toujours sa fille sous le bras.

Et lui apprendre qu’il aura lieu... d’ici à huit jours.

Adrien fait un geste de joie.

GENEVIÈVE, froidement.

Comme vous voudrez...

En parlant ainsi, Clérambourg a emmené sa fille jusqu’à la porte du fond. Il se retourne alors, et aperçoit Adrien qui est resté seul sur le devant du théâtre, à gauche.

CLÉRAMBOURG, à Geneviève.

Et ton mari qui resté là ?...

GENEVIÈVE, d’un air naturel.

C’est vrai.. je l’oubliais.

CLÉRAMBOURG, à sa fille, et d’un air de reconnaissance.

C’est gentil ce que tu me dis là...

À Adrien.

Allons, viens donc.

GENEVIÈVE, tendant la main à Adrien.

Eh ! oui, Monsieur... venez donc !...

Adrien se précipite sur la main de Geneviève, qui la lui donne à baiser, pendant qu’elle donne toujours le bras à son père.

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