Virginie (Jean-Galbert de CAMPISTRON)

Tragédie en cinq actes et en vers.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre Guénégaud, par la Troupe des Comédiens français, le 12 février 1683.

 

Personnages

 

APPIUS, l’un des Decemvirs de la ville de Rome

ICILE, chevalier Romain accordé avec Virginie

CLAUDIUS, chevalier Romain

PLAUTIE, mère de Virginie, et femme de Virginius

VIRGINIE, fille de Virginius, et de Plautie

CAMILLE, confidente de Virginie

FULVIE, confidente de Plautie

SÉVÈRE, affranchi d’Icile

FABIAN, affranchi d’Appius

PISON, capitaine des Gardes d’Appius

GARDES

 

La scène est à Rome, dans le Palais d’Appius.

 

 

À MONSEIGNEUR DE FIEUBET, PREMIER PRÉSIDENT DU PARLEMENT DE TOULOUSE

 

Monseigneur,

 

Si je prends la liberté de vous offrir cette Tragédie, je ne songe qu’à vous rendre des grâces publiques de la puissante et généreuse protection dont vous avez toujours honoré ma famille ; elle vous a des obligations infinies, et toute la reconnaissance que j’en puis marquer est de l’apprendre à tout le monde ; c’est l’unique dessein que je me suis proposé, Vous ne verrez aucun éloge dans cette épître, celui que je ferais de vous, Monseigneur, aurait trop peu de force pour un si grand sujet, et j’ai vu tant de gens plus habiles que moi échouer dans cette même entreprise, que je dois profiter de leur exemple, et me taire lorsqu’il est trop dangereux de parler. Mais quand je serais assez hardi pour entreprendre une chose si difficile, que pourrais-je dire de vous, Monseigneur, que toute la France ne sache aussi bien que moi ? Elle regarde avec admiration cette pénétration vive, et cette intégrité inébranlable qui après s’être consommées dans les plus importantes charges de la Robe vous firent choisir par Louis le Grand, pour être le Chef du second Parlement du Royaume, dans un âge où il n’est permis qu’aux hommes extraordinaires de prétendre à de pareilles dignités. Heureux sont les peuples qui peuvent voir briller de près vos éminentes vertus dans cette Auguste Place, et ressentir à toute heure les effets de votre Justice. Ils poussent sans doute des vœux continuels au Ciel pour la conservation d’une vie aussi glorieuse que la vôtre, et qui leur est si nécessaire ; mais c’est ce que je fais plus que tous, puisque je connais mieux que personne ces vérités éclatantes, et que je suis avec un profond respect.

 

Monseigneur,

Votre très humble, et très obéissant serviteur

 

C***

 

 

ACTE I

 

 

Scène première

 

APPIUS, CLAUDIUS, PISON

 

CLAUDIUS.

De ma témérité Rome entière surprise,

Demande les raisons d’une telle entreprise.

Le Peuple compatit à la juste douleur

D’un Amant éperdu, d’une mère en fureur.

Il est temps d’informer Rome, Icile et Plautie

Des droits qui m’ont permis d’enlever Virginie.

Qu’ils apprennent, Seigneur, et sans plus différer...

APPIUS.

Hélas !

CLAUDIUS.

Qui peut encor vous faire soupirer ?

Quel injuste chagrin et vous trouble et vous gêne ?

Que craignez-vous ?

APPIUS.

Je crains l’aspect d’une inhumaine.

Je crains de nos projets le succès dangereux.

Que puis-je attendre enfin d’un amour malheureux,

D’un amour dans mon cœur formé sans espérance,

Et dont le désespoir accroît la violence :

Je me laissai surprendre aux yeux qui m’ont charmé,

Sachant depuis longtemps qu’Icile était aimé.

Quand le don de leur foi, quand leur amour si tendre

Défendait à mes vœux de pouvoir rien prétendre.

Dieux ! Que n’entreprend point un cœur au désespoir ?

Je ne me souvins plus des lois de mon devoir,

Et pour semer entr’eux un éternel divorce,

Mon amour employa l’artifice et la force.

Je t’appris mes malheurs, ton amitié pour moi,

Déjà par cent efforts m’assurait de ta foi,

Et contre Icile enfin ta haine inexorable

Te rendait à mes vœux encor plus favorable.

Ainsi je t’engageai dans mes desseins secrets,

Ton zèle aveuglément a pris mes intérêts,

Cependant quand je vois l’entreprise avancée,

Mille périls divers s’offrent à ma pensée.

Mais je tremble sur tout qu’un odieux Rival,

Au repos de mes jours ne soit encor fatal.

CLAUDIUS.

De mon zèle pour vous assuré dès l’enfance,

Vous m’avez honoré de votre confiance,

Seigneur, et votre main par de nouveaux bienfaits

A semblé chaque jour prévenir mes souhaits.

Mais le plus grand de tous, Seigneur, je le confesse,

C’est d’avoir employé mes soins et mon adresse,

Pour rompre le bonheur qu’Icile s’est promis ;

Je le hais plus lui seul que tous mes ennemis.

Depuis que par sa brigue assurant ma disgrâce,

Je l’ai vu dans nos Camps commander en ma place ;

Et par l’injuste choix de Rome et du Sénat,

Des honneurs qu’on me doit obtenir tout l’éclat.

Que je serais heureux de le pouvoir détruire !

Je goûterai du moins le plaisir de lui nuire,

Puisqu’enfin vôtre amour me permet aujourd’hui

D’attacher à ses jours un éternel ennui.

Mais je n’aurais pas crû, quelque ardeur qui vous presse,

Que le cœur d’Appius fit voir tant de faiblesse.

Tout flatte vos désirs, tout succède à vos vœux,

Vous n’avez qu’à vouloir, Seigneur, pour être heureux.

Cependant un Rival que votre amour accable

Vous gêne et vous paraît encore redoutable.

Il vous le fallait craindre en cet instant cruel,

Que conduisant déjà Virginie à l’Autel,

Par les liens sacrez d’un heureux Hyménée,

Il allait à son sort joindre sa destinée,

Lors que tout était prêt, la coupe, le couteau ;

La victime, l’encens, le Prêtre, le flambeau.

Quand Plautie elle même à ses désirs propice

Pour l’hymen de sa fille offrait un sacrifice.

C’était alors, Seigneur, qu’on eût pu pardonner

Le trouble où votre cœur semble s’abandonner :

Mais j’ai mis à ces nœuds un invincible obstacle,

Et pour vous épargner ce funeste spectacle,

J’ai ravi la conquête à cet heureux Amant,

Dans le Temple, à l’Autel, dans le même moment

Qu’il formait ce lien à votre amour contraire ;

Et malgré les soupirs et les pleurs d’une mère ;

Malgré tous les efforts d’un Amant furieux,

J’ai conduit, j’ai remis Virginie en ces lieux.

Votre repos enfin de vous seul va dépendre,

Il ne vous reste plus, Seigneur, qu’à faire entendre

Une fausse équité qui soutiendra mes droits,

Et qui mettra le crime à l’ombre de nos lois.

Parlons, et publions enfin que Virginie,

N’est point du noble sang dont on la croit sortie,

Que chez moi d’un Esclave elle a reçu le jour,

Qu’elle doit être aussi mon Esclave à son tour ;

Et suivant le Destin de ceux qui l’ont fait naître,

Hériter de leurs fers, et m’accepter pour maître.

APPIUS.

Différons un éclat mortel à son honneur :

Seule encor de son sort elle sait la rigueur.

Peut-être se voyant au bord du précipice,

Son péril à mes vœux la rendra plus propice.

N’exposons point sa honte aux yeux de l’Univers.

Elle craint ; il suffit, de tomber dans les fers ;

Elle frémit des maux d’un sort si déplorable.

CLAUDIUS.

Profitez donc, Seigneur, de ce temps favorable,

Et donnant un cours libre à vos secrets soupirs ;

Courez à Virginie expliquer vos désirs.

APPIUS.

Je me suis tu longtemps et veux me taire encore,

Loin de faire éclater ce feu qui me dévore,

Je dois plus que jamais le cacher en ce jour.

Tout m’y contraint, l’honneur, mon devoir, mon amour.

Quel temps pour déclarer ma téméraire flamme ?

À quel trouble nouveau je livrerais son âme ?

Je ne ferais hélas ! qu’irriter ses douleurs,

Mes discours grossiraient la source de ses pleurs.

C’est assez qu’arrachée à l’amant qu’elle adore,

Captive dans ces lieux elle ait appris encore,

Qu’elle est prête à tomber dans la honte des fers,

Ce serait à la fois trop de malheurs divers.

Attendons pour lui faire un aveu si terrible,

Que le temps ait rendu sa douleur moins sensible.

Épargnons ses soupirs et cherchons un moment,

Où je trouve son cœur moins plein de son Amant,

Mais cachons-lui surtout que c’est moi qui l’opprime,

Et puisqu’enfin l’Amour me coûte un si grand crime,

Que j’en rougisse seul, ou que ma honte au moins

N’ait dans tous mes remords que tes yeux pour témoins.

CLAUDIUS.

Prenez garde, Seigneur, qu’une injuste contrainte

Ne renverse à la fin tout le fruit de ma feinte,

Vous nourrissez un feu prêt à vous consumer,

Vous languirez toujours...

APPIUS.

Cesse de t’alarmer :

J’ai mes raisons ; je veux qu’une action si noire,

Loin de finir ma vie en relève la gloire.

Déguisons ce forfait, couvrons-en la noirceur,

Et faisons admirer ce qui ferait horreur.

Si la vertu souvent passe pour imposture,

Le crime imite aussi la vertu la plus pure,

Et mon coupable amour sera mieux écouté,

Sous un prétexte adroit de générosité.

Je vais donc annoncer moi-même à Virginie

Qu’à la tirer des fers la gloire me convie,

Et que rien désormais ne la peut secourir,

Que la main et la foi que je lui viens offrir ;

Sous ces dehors flatteurs je cacherai mon crime,

Par là je gagnerai son cœur ou son estime,

Et l’on imputera par ce subtil détour,

À la seule pitié les effets de l’amour.

CLAUDIUS.

Je me rends au dessein que l’amour vous suggère,

De nôtre intelligence il couvre le mystère :

Mais il faudrait aussi pour ne rien négliger,

Éloigner un Rival qui cherche à se venger :

Prévenez les transports d’un Amant en furie,

Prêt à tout hasarder pour sauver Virginie.

APPIUS.

Eh c’est où je l’attends. J’ai su déjà prévoir !

Les effets de sa rage, et de son désespoir :

Mais à nôtre dessein sa colère est utile,

Aussi loin de bannir ce redoutable Icile,

Bien loin de lui cacher l’objet de son amour,

Je prétends qu’il la voie, et même dès ce jour.

Oui, je veux qu’il jouisse ici de sa présence

Afin de le porter à plus de violence :

Cet objet douloureux aigrira sa fureur,

Il voudra la venger et finir son malheur.

Ce Rival odieux pour servir ce qu’il aime,

À mes transports jaloux viendra s’offrir lui-même,

Et dès le moindre effort qu’il osera tenter,

Sans bruit dans ce Palais je le fais arrêter.

CLAUDIUS.

Ah ! je prévois...

 

 

Scène II

 

APPIUS, CLAUDIUS, FABIAN, PISON

 

FABIAN.

Plautie, aux pleurs abandonnée ;

Seigneur, à vous attendre est toujours obstinée ;

Elle veut vous parler, et ses fréquents soupirs...

APPIUS, à Fabian.

Qu’elle entre cependant pour flatter ses désirs,

Dans cet appartement conduisez Virginie,

Allez, et dites-lui qu’elle y verra Plautie,

À Claudius.

Vous d’une Mère en pleurs évitez les transports.

Éloignez-vous.

CLAUDIUS.

Seigneur, c’est mon dessein, je sors.

Ma présence sans doute aigrirait sa colère.

 

 

Scène III

 

APPIUS, PLAUTIE, FULVIE, PISON

 

PLAUTIE.

Ah ! Seigneur, écoutez les douleurs d’une Mère,

Et puisqu’après deux jours d’un mortel désespoir

Vous avez bien voulu consentir à me voir,

Pourrai-je me flatter ?

APPIUS.

Ne doutez point, Madame,

Que je ne sois frappé du trouble de votre âme.

J’ai craint avec raison de vous voir en ces lieux,

Et que votre douleur n’éclatât à mes yeux,

J’ai fait plus, j’ai tâché longtemps de me défendre

De causer tant de pleurs que je vous vois répandre,

Mais mon cruel devoir le plus fort dans mon cœur,

D’une pitié craintive est demeuré vainqueur,

J’ai cédé, j’ai suivi la sévère Justice.

Enfin que vouliez-vous, Madame, que je fisse ?

Chargé par tout l’état du pouvoir souverain...

 

PLAUTIE.

Osez-vous vous parer d’un prétexte si vain ?

Quoi ! Vous ordonne-t-il ce devoir téméraire

D’enlever sans pitié Virginie à sa Mère ?

Dans le temps que son Père à la guerre occupé

Peut-être va mourir pour ceux qui l’ont trompé.

Mais pourquoi dans ces lieux retenez-vous ma fille ?

Pourquoi l’arrache-t-on du sein de ma Famille ?

Pour quel crime commis vos barbares soldats

Viennent-ils la ravir au temple dans mes bras ?

Pourquoi...

APPIUS.

De son destin n’êtes-vous pas instruite ?

PLAUTIE.

Hélas ! Dans ce Palais tout le monde m’évite ;

En vain depuis deux jours errante dans ces lieux :

Les pleurs que j’ai versez ont épuisé mes yeux ;

En vain de tous côtés mes cris se font entendre :

De son Destin encor je n’ai pu rien apprendre,

Et je trouve par tout dans mes soins empressés.

Des Gardes interdits, des visages glacés,

Qui redoutent ma vue, et prêt à se confondre,

Se dérobent à moi, sans daigner me répondre,

Par vos ordres cruels...

APPIUS.

Cessez de m’accuser

Et ne me forcez pas de vous désabuser,

Quand je vous aurai dit...

PLAUTIE.

Quoi ! Que pourrez-vous dire ?

Expliquez-vous.

APPIUS.

Je sais qu’il faut vous en instruire.

Mais, Madame, je crains de redoubler vos pleurs ;

Je vais vous annoncer le plus grand des malheurs :

Cette fille, l’objet d’une amitié si tendre

Que vous me demandez, que vous venez défendre :

Cette fille qui fit vos plaisirs les plus doux ;

Un autre vous l’enlève, elle n’est plus à vous.

PLAUTIE.

Dieux ! qu’entends-je ? Comment ?

APPIUS.

Ce n’est plus un mystère.

Je suis de Virginie ici dépositaire :

Claudius sait enfin la noire trahison,

Qui la fit autrefois sortir de sa maison :

Où d’un Esclave infâme elle a reçu la vie.

Oui, Madame, voilà le sort de Virginie ;

Cet Esclave mourant, par ses remords pressé

N’a pu dissimuler tout ce qui s’est passé :

Le traître a déclaré que dans votre Famille,

Par un échange adroit il fit entrer sa fille,

Et plusieurs Citoyens appelez à sa mort

Sont prêts de confirmer son funeste rapport ;

Cet Étranger secret a droit de vous confondre.

PLAUTIE.

Je demeure stupide, et ne sais que répondre,

D’un autre, Virginie, aurait reçu le jour.

Non, non, elle est ma fille, et j’en crois mon amour,

Mon cœur frémit, mon sang s’émeut de cette injure,

Je sens trop fortement s’expliquer la nature,

Et je cède à la voix de ces instincts secrets,

Qui parlant à nos cœurs ne les trompent jamais.

Sur Virginie enfin, quoi qu’on ose entreprendre,

Contre tout l’Univers je saurai la défendre.

Ouvrez les yeux, Seigneur, un perfide aujourd’hui,

Pour me percer le cœur implore votre appui.

Et vous le soutenez ! Quoi ! votre propre gloire,

De mes sacrés aïeux l’immortelle mémoire,

De mon illustre Époux les éclatants exploits,

Son sang pour le pays répandu tant de fois,

Les égards que l’on doit à la vertu trahie,

N’ont pas dans votre cœur défendu Virginie.

Ah ! rendez-moi, Seigneur, ce trésor précieux,

Ma fille, seul présent que j’ai reçu des Dieux.

Avec tant d’amitié dans mon sein élevée,

De cent périls divers par moi seule sauvée,

Pour qui j’ai pris enfin, tant de pénibles soins ;

Seigneur, dont vos yeux même ont été les témoins.

APPIUS.

Madame, à vos désirs je voudrais satisfaire,

Inexorable loi d’un devoir trop sévère !

Qui nous fait bien souvent condamner à regret

Ceux pour qui notre cœur se déclare en secret.

C’est à vous d’éviter le coup qui vous menace.

Combattez Claudius, confondez son audace,

Madame, et vous verrez les supplices tous prêts

Vous venger d’un perfide, et punir ses forfaits :

Cependant Virginie en ce lieu se doit rendre,

On peut en liberté lui parler et l’entendre.

Vous la verrez, Madame, avant que de sortir,

Moi-même en ce moment je l’ai fait avertir.

Elle entre : je vous laisse.

 

 

Scène IV

 

PLAUTIE, VIRGINIE, FULVIE, CAMILLE

 

VIRGINIE.

Ah ! quel comble de joie ?

Madame, enfin le Ciel souffre que je vous voie.

Quel plaisir de pouvoir en ces heureux moments,

Oublier mes douleurs dans vos embrassements.

PLAUTIE.

Ma fille, ils seraient doux pour le cœur d’une Mère.

Mais hélas ! ils ne font qu’augmenter ma misère.

Une crainte mortelle en corrompt les douceurs.

Tremble, frémis, entends le plus grand des malheurs.

Le traître Claudius...

VIRGINIE.

J’ai tout appris Madame.

Si l’horreur de ce coup a pu frapper mon âme.

Revenue à l’instant de ce trouble soudain,

J’ai vu pour m’en parer le remède certain.

Ne craignez point pour moi l’horreur de l’esclavage,

Le sang a dans mon sein transmis votre courage :

Attentive aux leçons qu’ont tracé mes aïeux,

Leur exemple sans cesse est présent à mes yeux ;

De mes jours malheureux je finirai la course,

Sans qu’aucune faiblesse en ternisse la source,

Le plus cruel trépas me semblera trop doux,

Mourant avec le nom que j’ai reçu de vous.

PLAUTIE.

Non, non, je préviendrai ta funeste disgrâce,

J’admire de ton cœur la généreuse audace :

Le dessein de mourir pour conserver ton rang,

Est digne de ma fille, est digne de mon sang :

Mais je n’en puis souffrir la cruelle pensée ;

Rome dans ton destin est trop intéressée.

Virginius déjà par mes soins averti,

Pour te venir défendre est sans doute parti.

Dès le même moment que tu me fus ravie,

Sans prévoir les horreurs qui menacent ta vie,

J’envoyai vers le camp, et je ne doute pas,

Que ton père vers nous ne s’avance à grands pas,

Icile furieux, menace, prie, exhorte,

Aux plus hardis projets sa tendresse l’emporte.

Enfin pour te sauver il suffira de moi ;

Que ne pourrai-je point en agissant pour toi ?

Nous attendons beaucoup du secours de leurs armes :

Mais n’espère pas moins de celui de mes larmes,

De cet affreux Palais j’ouvrirai les chemins ;

Je servirai de Chef aux premiers des Romains,

Et mes brûlants soupirs verseront dans leur âme,

Cette bouillante ardeur qui m’anime et m’enflamme.

Adieu je cours...

VIRGINIE.

Hélas ! vous me quittez si tôt.

Madame...

PLAUTIE.

J’en frémis, mais ma fille il le faut.

VIRGINIE.

Est-ce trop peu de maux, dont je suis déchirée ?

Serai-je d’avec vous encore séparée ?

Après tant de soupirs, à peine je vous voi...

PLAUTIE.

Crois-tu qu’à te quitter je souffre moins que toi :

Quand à partir d’ici je me crois toute prête ;

Malgré tous mes efforts ma tendresse m’arrête :

Cet Amour toutefois ardent à ton secours,

Demande des effets, et non pas des discours.

Je te quitte, ou plutôt je vais tarir tes larmes,

Te rendre à ta famille, et finir nos alarmes,

Le soin de te sauver m’arrache de ce lieu.

On m’attend, et j’y vole, adieu ma fille, adieu.

 

 

Scène V

 

VIRGINIE, CAMILLE

 

VIRGINIE.

Camille connais-tu l’excès de ma misère,

Quel triste sort !

CAMILLE.

Je crains bien moins que je n’espère.

Les premiers des Romains se déclarent pour vous.

Contre votre ennemi le Peuple est en courroux.

Votre Père est aimé dans Rome, et dans l’armée.

Le jeune Icile enfin, dont vous êtes charmée,

Et qui doit par l’hymen s’unir à votre sort,

Ne fera pas pour vous un inutile effort,

Sans doute en ce moment...

VIRGINIE.

Excuse ma faiblesse.

Crois-tu qu’en ma faveur Icile s’intéresse ?

Crois-tu qu’il me conserve une fidèle ardeur ?

Mes disgrâces peut-être auront changé son cœur.

Ah ! si le mien privé seulement de sa vue,

Ne résiste qu’à peine au chagrin qui me tue.

Dieux ! contre ma douleur, où trouver du secours.

Camille, s’il fallait le perdre pour toujours ?

N’importe en ce moment, quoi que le Ciel ordonne

À ses ordres sacrez mon âme s’abandonne ;

Je respecte les traits qui partent de sa main,

Et je vais sans murmure attendre mon destin.

 

 

ACTE II

 

 

Scène première

 

ICILE, SÉVÈRE

 

SÉVÈRE.

Oui, vous pouvez, Seigneur, aussi bien que Plautie,

Entrer dans ce Palais, parler à Virginie,

Vous ne vous plaindrez plus de l’injuste pouvoir,

Qui vous a jusqu’ici défendu de la voir,

Dans cet appartement où l’on va la conduire,

De tous vos sentiments elle pourra s’instruire.

Mais pourquoi la revoir ? Mon esprit incertain,

Ne comprend pas encor quel est votre dessein,

Je ne sais que juger de votre impatience.

Quel intérêt vous porte à chercher sa présence,

Seigneur, est-ce un effet de la seule pitié,

Ou le simple devoir d’un reste d’amitié ?

Car je ne pense pas dans sa misère extrême,

Averti de son sort par Plautie elle-même :

Quand le Ciel l’abandonne au plus cruel malheur ;

Que vous sentiez pour elle une honteuse ardeur.

Non, je ne croirai point qu’un aussi grand courage,

Puisse avilir ses vœux jusques dans l’esclavage,

Qu’Icile jusques-là pût jamais s’abaisser.

ICILE.

Sévère que dis-tu ? Ciel ! Qu’oses-tu penser ?

Crois-tu de Claudius la noire calomnie ?

Mais quand les Dieux auraient fait naître Virginie,

Dans la honte des fers, et dans un rang plus bas,

Quel que fut son destin je ne changerais pas.

Plus on veut l’abaisser, plus je sens que je l’aime,

Si ses malheurs sont grands mon amour est extrême.

Qu’ai-je fait jusqu’ici pour lui prouver ma foi,

Je lui rendais des soins, qui n’eut fait comme moi ?

Tout ne flattait-il pas mes vœux, et ma tendresse,

Gloire, biens, dignités, pouvoir, crédit, noblesse ;

Sa main me donnait tout, qui n’eut pu présumer,

Que mon ambition me portait à l’aimer ?

Mais du moins aujourd’hui mon amour seul éclate,

Et mon ambition n’ayant rien qui la flatte.

Je ferai hautement triompher en ce jour,

La générosité, la constance, et l’amour.

SÉVÈRE.

Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Votre discours m’étonne,

À quel fatal projet l’amour vous abandonne,

Une fille sans nom, et qu’on va condamner...

ICILE.

Parce qu’on la trahit, dois-je l’abandonner ?

Et ne lui faisant voir qu’une amitié commune,

Régler ma passion au gré de la fortune.

S’il est des cœurs mal faits, et d’indignes Amants,

Qui suivent dans leurs vœux ces lâches sentiments,

Pour moi n’en doute point, quand j’aime Virginie :

C’est à d’autres objets que mon cœur sacrifie,

Les grandeurs que le sort peut ravir en un jour,

N’ont jamais attiré mes vœux ni mon amour,

La fermeté d’esprit, la grandeur de courage,

La pureté de cœur, voilà ce qui m’engage :

Ce qui dépend du sort est pour moi sans appas,

Et j’aime les vertus qui n’en dépendent pas.

SÉVÈRE.

Vous suivez trop, Seigneur, une aveugle tendresse.

ICILE.

Ah ! ne t’oppose plus à l’ardeur qui me presse.

Cependant Virginie est longtemps à venir ;

Quel obstacle nouveau pourrait la retenir.

Quand verrai-je cesser l’ennui qui me dévore,

Néglige-t-elle hélas ! Un Amant qui l’adore.

Dieux ! que puis-je penser de son retardement ?

Que je souffre de maux en ce cruel moment !

Que je suis déchiré ! Mais je la vois, Sévère :

Elle vient.

 

 

Scène II

 

ICILE, VIRGINIE, SÉVÈRE, CAMILLE

 

ICILE.

Le destin ne m’est plus si contraire,

Madame, je vous vois, et je puis en ce jour,

Faire encor à vos yeux éclater mon amour.

Qui l’eut crû que si prés d’un heureux Hyménée,

Notre amour à ces maux dut être condamnée.

Mais suspendez l’effort de toutes vos douleurs,

Que la joie un moment règne seule en nos cœurs.

Pour moi, je l’avouerai, quand le sort me menace,

Du bien que je reçois je lui dois rendre grâce,

J’étais absent de vous, inquiet, désolé :

Je vous vois, je vous parle, et je suis consolé.

Le trouble, la douleur qui déchirait mon âme,

Tout s’est évanoui devant vos yeux, Madame,

Ma présence fait-elle au moins dans votre cœur,

L’effet que votre vue...

VIRGINIE.

Eh ! le puis je, Seigneur ?

Puis-je de mes douleurs calmer la violence,

Je les sens augmenter même en votre présence,

Ce qui devrait causer mes plaisirs les plus doux,

Porte à mon triste cœur les plus sensibles coups.

Jugez dans quels malheurs le Ciel me précipite.

Oui je sens qu’à vous voir ma tristesse s’irrite.

Hélas ! j’en connais mieux la perte que je fais :

Car enfin, je vous perds, et vous perds pour jamais.

ICILE.

Ah ! Madame, éloignez cette injuste pensée,

Par ce cruel discours ma flamme est offensée,

Pourquoi perdre un espoir à notre amour si doux,

Qui peut nous séparer ?

VIRGINIE.

Hélas ! L’ignorez-vous

C’est le funeste effort du destin qui me brave,

Et si je sors du sang d’un malheureux Esclave ;

Je vois qu’à votre Hymen je ne dois plus penser,

Qu’à cet espoir si doux, il me faut renoncer.

Oui, Seigneur, nous cessons de vivre l’un pour l’autre.

Mais Dieux ! que mon malheur est différent du vôtre,

Vous ne perdez en moi qu’un cœur infortuné,

Au comble des horreurs par le sort condamné,

Et pour vous consoler de cette faible perte,

Il est plus d’une voie à votre amour offerte.

Je ne vous parle point d’un Hymen plus heureux,

Car je n’ose penser qu’un cœur si généreux,

Après les doux transports d’une ardeur mutuelle,

Puisse brûler jamais d’une flamme nouvelle,

Mais l’honneur immortel, qu’au milieu des combats,

Votre rare valeur promet à votre bras,

Le généreux désir de servir la Patrie,

Pourront de votre esprit effacer Virginie ;

Ou si ces nobles soins ne peuvent l’en bannir,

Pour en combattre au moins le triste souvenir ;

Vous pourrez opposer après votre victoire,

Aux chagrins de l’amour, les plaisirs de la gloire.

Mais moi désespérée, en l’état où je suis,

Je sens de toutes parts augmenter mes ennuis ;

Je perds l’heureux espoir d’un illustre Hyménée,

Et je perds avec lui le rang où je suis née,

Enfin, pour m’accabler dans ce funeste jour,

Je vois d’intelligence, et la gloire, et l’Amour.

ICILE.

Ainsi vous renoncez à ce juste Hyménée,

Que deviendra la foi que vous m’avez donnée ?

Lié par mes serments, et presque votre Époux,

N’aurai-je...

VIRGINIE.

Cette foi n’est plus digne de vous.

Le sort injurieux...

ICILE.

Eh bien, que peut-il faire ?

Son pouvoir ne peut rien contre un amour sincère.

VIRGINIE.

Penseriez-vous à moi dans cet état honteux.

ICILE.

Ah ! croyez-moi, Madame, un peu plus généreux :

Rendez plus de justice à mon ardente flamme ;

Votre mérite seul l’alluma dans mon âme,

Et je jure à vos yeux qu’il n’est rien que la mort,

Qui puisse désormais séparer notre sort ;

Que par tant de serments engagés l’un à l’autre.

Les Dieux même...

VIRGINIE.

Ah ! Seigneur, quelle erreur est la vôtre ;

Lorsque vous me verrez dans un rang odieux...

ICILE.

J’aurai le même cœur, j’aurai les mêmes yeux ;

Vous conserverez tout ce que mon cœur adore,

Vous aurez vos vertus ; et vous aurez encore,

Pour m’attacher à vous par un lien plus fort :

Vos craintes, vos douleurs, les injures du sort.

Oui, pour serrer les nœuds d’une chaîne si belle,

Vos disgrâces auront une force nouvelle.

Ah ! si c’est un devoir pour un cœur généreux,

De plaindre, de servir, d’aider les malheureux,

Pour mon cœur enflammé quelle douceur extrême,

De soulager en vous le digne objet qu’il aime,

De finir vos malheurs, et de pouvoir enfin,

Venger votre vertu des affronts du destin.

VIRGINIE.

Ah ! Seigneur, cet aveu rend mon âme charmée.

Quel plaisir de me voir si tendrement aimée :

Mais quand l’amour pour moi vous porte à vous trahir.

À vos vœux indiscrets, Seigneur, dois-je obéir ?

Non, non, remplissons mieux nos devoirs l’un et l’autre ;

Ma générosité doit seconder la vôtre,

Et refusant un bien que j’ai tant souhaité,

Faire connaître au moins que je l’ai mérité.

ICILE.

Que ce noble discours pleinement justifie,

Le véritable sang dont vous êtes sortie,

Un cœur dans l’esclavage, et d’un vil sang formé,

D’un courage si grand n’est jamais animé,

Et quelque fier qu’il soit toujours quelque faiblesse,

Découvre tôt ou tard sa première bassesse :

Mais finissez, Madame, un discours si cruel,

Et qui rend envers moi votre cœur criminel

Dieux ! est-ce là m’aimer que m’ôter l’espérance.

VIRGINIE.

Eh, qu’a-t-il ce discours, Seigneur, qui vous offense ?

Croyez que ce refus marque mieux mon amour,

Que tout ce que j’ai fait jusqu’à ce triste jour,

Ce n’est pas qu’en effet de mon dessein troublée,

Par ce coup généreux je ne sois accablée,

J’en frémis par avance, et jugez par mes pleurs...

ICILE.

Madame, par pitié cachez-moi vos douleurs,

C’est trop de mes ennuis, et de votre tristesse :

Mais je la finirai, croyez-en ma promesse,

Je perdrai vos Tyrans, et quel que soit leur rang,

Ces pleurs que vous versez leur coûteront du sang.

VIRGINIE.

Ah ! Seigneur arrêtez ! où courez-vous ?

ICILE.

Madame,

Ne vous opposez point à l’ardeur qui m’enflamme ;

Il faut que l’insolent qui vous ose insulter,

Apprenne désormais à vous mieux respecter.

VIRGINIE.

Mais, comment ?

ICILE.

C’est à moi de venger votre injure.

C’est à moi de convaincre, et punir l’imposture.

J’y cours : adieu, Madame.

 

 

Scène III

 

VIRGINIE, CAMILLE

 

CAMILLE.

Il court vous secourir,

Les Dieux se sont lassés de vous voir tant souffrir.

Madame, espérez tout du courage d’Icile.

VIRGINIE.

Ah ? Que me fais-tu voir, et qu’ai-je fait Camille ?

Dieux ! devais-je d’Icile accepter le secours,

Pour mes seuls intérêts j’ai hasardé ses jours ?

Que n’entreprendra point sa tendresse offensée,

De cent périls mortels sa vie est menacée ?

Hélas ! que ce serait un secours odieux,

S’il brisait ma prison en mourant à mes yeux !

Prévenons-le, essayons de finir ma disgrâce ;

Nous même détournons le coup qui nous menace ;

Hâtons-nous, empêchons mon amant de périr :

Courons voir Appius, il peut nous secourir.

Que ses yeux soient témoins de mes vives alarmes ;

Peut être, sera-t-il, attendri par mes larmes ?

Ne nous contraignons plus : le voici.

 

 

Scène IV

 

APPIUS, VIRGINIE, CAMILLE

 

VIRGINIE.

Quoi ! Seigneur,

Ne calmerez-vous pas le trouble de mon cœur ?

Rendez-vous aux soupirs que je vous fais entendre.

Perdrai-je tant de pleurs que vous voyez répandre ?

Et n’obtiendrai-je point un utile secours,

Qui des fers que je crains sauve mes tristes jours.

APPIUS.

Hélas n’en doutez point votre disgrâce extrême !

Plus que vous ne pensez me déchire moi-même ;

Et pour porter mon âme à finir vos malheurs,

Vous n’avez pas besoin du secours de vos pleurs.

Votre seule jeunesse, et les soins d’une Mère,

À qui mille raisons vous ont rendu si chère,

D’un Père si fameux les illustres exploits,

Lorsqu’ils parlent pour vous ont de puissantes voix :

Souvent par ces égards mon âme s’est émue,

De vous rendre à leurs cris elle était résolue ;

Si l’austère devoir d’un emploi glorieux,

Cette droite équité prescrite par les Dieux ;

Si la peur des remords qui suivent l’injustice,

M’eut permis de vous faire un si grand sacrifice ;

Et n’eut malgré l’effort d’une tendre pitié,

Fait durer des malheurs dont je sens la moitié :

Mais enfin plus je tâche à percer le mystère,

Plus je trouve à vos vœux la justice contraire ;

Témoins, indices, droit, tout parle contre nous.

VIRGINIE.

Eh vous me porterez de si funestes coups.

Hélas ! Seigneur...

APPIUS.

Mon âme est toujours incertaine,

La pitié me retient quand le devoir m’entraîne,

Surtout tant de vertus, tant de charmes divers,

Ne me semblent point faits pour languir dans les fers,

Ainsi je vous soutiens au bord du précipice,

Je crains de tous côtés de faire une injustice,

Auquel des deux partis que je donne ma voix ;

J’offense vos vertus, ou j’offense les lois.

VIRGINIE.

Hélas ! Pour me sauver, n’est-il aucune voie ?

APPIUS.

Madame, ouvrez la moi, j’y souscris avec joie.

Parlez, si je le puis sans blesser mon devoir,

Je ferai pour vous plaire agir tout mon pouvoir.

Inventez un moyen, ma puissance suprême,

Va tenter...

VIRGINIE.

Ah ! Seigneur, inventez le vous même ;

Que je vous doive tout faites un noble effort ;

Je remets en vos mains tout le soin de mon sort.

Hâtez-vous, rassurez mon âme impatiente.

APPIUS.

Hé, l’accepterez-vous, si je vous le présente ?

Si vous voulez sortir de cet affreux danger,

Je ne vois qu’un chemin pour vous en dégager :

Mais votre cœur peut-être à mes lois infidèle,

Osera m’opposer une fierté rebelle.

Cependant je vous jure, et j’atteste les Dieux,

Que mon dessein, Madame, est juste et glorieux,

Et que si vos refus le rendent inutile...

VIRGINIE.

Pour éviter les fers tout me sera facile.

Pourquoi balancez-vous à me le proposer ;

En ce funeste état puis-je rien refuser ?

Ne me le cachez plus, si la pitié vous touche,

Par où puis-je ?

APPIUS.

Il ne faut qu’un mot de votre bouche.

Oui, dès ce même jour vous briserez vos fers ;

Vous-même finirez tous vos malheurs divers,

Et porterez si haut l’éclat de votre vie,

Qu’aux premières de Rome il pourra faire envie.

Si vous voulez...

VIRGINIE.

Et quoi ?

APPIUS.

Me prendre pour Époux ;

Et par des nœuds sacrez m’attacher tout à vous.

Venez : allons au Temple ; et que mon Hyménée,

Répare le malheur de votre destinée.

Que Claudius contraint de respecter mon choix,

N’ose plus exposer ses téméraires droits.

Venez, en partageant ma puissance suprême,

Vous acquérir des droits sur Claudius lui-même,

Et prendre sur ses jours à couvert de ses coups,

La même autorité qu’il veut avoir sur vous.

VIRGINIE.

Qu’entends-je ! juste Ciel ! Et le pourrai-je croire ?

Que de soupçons, Seigneur, mortels à votre gloire.

Je vois enfin, je vois la cause de mes pleurs ;

Et je connais la main d’où partent mes malheurs.

Claudius n’a point seul commencé ma disgrâce,

C’est un bras plus puissant qui soutient son audace.

Seigneur, vous m’entendez.

APPIUS.

Ah ! que soupçonnez-vous ?

Au moment que ma main vous dérobe à ses coups.

Que pensez-vous de moi.

VIRGINIE.

Ce qu’il fallait vous-même,

Me déguiser toujours avec un soin extrême.

Mais c’est pousser trop loin ce funeste entretien.

Faites votre devoir, et je ferai le mien.

 

 

Scène V

 

APPIUS, CLAUDIUS

 

CLAUDIUS.

Qu’avez-vous fait, Seigneur, et que faut-il attendre ?

APPIUS.

Ah ! l’ingrate à mes vœux refuse de se rendre.

CLAUDIUS.

Quoi ! Seigneur, votre rang, vos soins, votre grandeur,

L’offre de votre main n’ont pu toucher son cœur.

APPIUS.

Si la seule grandeur satisfaisait une âme.

Hélas ! serais-je en proie à ma cruelle flamme ?

Inutile puissance ! Importune grandeur,

Qui ne peut m’assurer d’un solide bonheur.

Malgré tout mon pouvoir mon âme est à la gêne.

J’aime, j’offre ma main, je trouve une inhumaine :

Je me vois dédaigner, et mon amour confus,

Remporte seulement la honte d’un refus.

CLAUDIUS.

D’un discours imprévu, Virginie alarmée,

A suivi le penchant de son âme enflammée.

Mais ne vous troublez point de ce premier transport,

D’un amour irrité, c’est le dernier effort.

Laissez passer, Seigneur, sa première surprise ;

Laissez lui peser tout d’une âme un peu remise :

Lorsque d’un œil tranquille, et moins préoccupé,

Son cœur verra le coup dont il serait frappé :

D’un côté votre hymen, votre gloire en partage ;

De l’autre les horreurs qui suivent l’esclavage :

Son orgueil confondu par des emplois si bas.

Eh ! doutez-vous, Seigneur, qu’elle ne change pas ;

Quand même à votre Hymen il faudrait la contraindre,

De votre cruauté, pourrait-elle se plaindre ?

Vous ne la contraindrez, que pour la mieux servir,

À ses propres désirs il vous la faut ravir,

Et l’arrachant par force à cette erreur qu’elle aime,

Établir son bonheur en dépit d’elle-même.

APPIUS.

Je te dois tout, suivons ce conseil important,

Il détermine un cœur, irrésolu, flottant,

Ne nous contraignons plus par ce vain artifice ;

Tôt ou tard on saura quelle est mon injustice ;

Ne ménageons plus rien, satisfaisons nos vœux,

Et ne nous chargeons pas d’un crime infructueux :

De mon amour dépend le bonheur de ma vie ;

Il n’importe à quel prix j’obtienne Virginie.

Allons encor un coup lui présenter ma main :

Allons mettre à ses pieds le pouvoir souverain ;

Et si sa flamme encor la séduit ou l’abuse,

Forçons-la d’accepter l’honneur qu’elle refuse.

 

 

ACTE III

 

 

Scène première

 

PLAUTIE, FULVIE

 

FULVIE.

Madame, où courez-vous ? vous verrai-je toujours

D’une douleur mortelle entretenir le cours ?

Sourde à tous nos conseils, désespérée, errante,

Loin d’adoucir vos maux chaque instant les augmente ;

Un chagrin dévorant précipite vos pas ;

Vous courez en cent lieux où vous n’arrêtez pas :

Tantôt parmi le peuple, et tantôt solitaire,

Tout ce que vous voyez ne fait que vous déplaire,

Aux discours des Romains touchez de vos malheurs !

Vous avez seulement répondu par des pleurs.

Leurs soins officieux...

PLAUTIE.

Eh que puis-je répondre ?

Leurs discours et leurs soins ne font que me confondre.

Pour flatter ma disgrâce, ils m’en viennent parler,

Et leur zèle ne sert qu’à la renouveler,

Leur pitié m’assassine, et me devient funeste ;

Je ne vois point d’objet que mon cœur ne déteste :

En public, en secret, une égale douleur,

Accable ma raison, et déchire mon cœur.

Si je vais me cacher au sein de ma Famille,

Tout m’y semble odieux, je n’y vois plus ma fille ;

Sans elle mon Palais m’est un désert affreux,

Et quand pour adoucir un sort si rigoureux ;

Pleine de désespoir je cours, je vole au Temple.

Hélas ! par un destin qui n’eut jamais d’exemple,

Cet asile sacré contre tous nos malheurs,

Qui, toujours des humains soulage les douleurs.

La présence des Dieux irrite ma disgrâce,

Puisque mes tristes yeux y remarquent la place ;

Où ces Dieux ont permis que des monstres cruels,

M’aient ravi ma fille au pied de leurs Autels.

Comment calmer les maux où mon malheur m’expose,

Tout retrace à mes yeux la perte qui les cause ?

Quoi que je fasse enfin pour charmer mes ennuis,

Je rencontre par tout les horreurs que je fuis.

FULVIE.

Mais, Madame souffrez...

PLAUTIE.

J’ai tout perdu Fulvie,

Et ne puis que traîner une importune vie :

Tandis que Virginie a lieu d’appréhender,

Au sévère Appius je cours la demander :

Non que j’ose espérer qu’il daigne me la rendre,

Je ne veux seulement que l’obliger d’attendre,

Que mon Époux du Camp soit ici de retour.

Hélas ! ce seul espoir rassure mon amour ;

Si je puis le revoir, mes douleurs, et mes craintes,

Ne me donneront plus que de faibles atteintes.

Courrons donc essayer... Mais que vois-je ! grands Dieux !

Quel objet imprévu se présente à mes yeux ?

C’est Appius que suit mon ennemi perfide.

Ah ! je ne sais que trop le dessein qui le guide.

Il lui parle en secret... J’en frémis...

 

 

Scène II

 

APPIUS, PLAUTIE, CLAUDIUS, FULVIE, FABIAN, PISON

 

PLAUTIE.

Ah ! Seigneur,

Écoutez-vous encor la voix d’un imposteur ?

Que dit-il ? Ose-t-il comblant sa perfidie,

Vous presser d’opprimer la triste Virginie ?

Ne préviendrez-vous pas son funeste dessein ?

Prêterez-vous le bras pour me percer le sein ?

Me refuserez-vous le secours que j’implore ?

Seigneur, entre nous deux balancez-vous encore ?

Faudra-t-il qu’à mes pleurs on puisse reprocher,

Qu’ils n’ont pas eu la force, hélas ! de vous toucher ?

Dans le temps qu’à vos yeux je suis presque mourante.

Mon extrême douleur sera-t-elle impuissante ?

D’un barbare projet vous connaissez l’Auteur :

Et mes tristes soupirs, mes transports, ma fureur,

Mon désespoir mortel, mon ardente prière,

Tout vous prouve, Seigneur, l’amitié d’une Mère.

Faut-il d’autres raisons pour vous persuader ?

Il en est mille encore à qui tout doit céder.

Considérez Seigneur... Mais mon âme troublée,

Succombe à tant de maux dont elle est accablée,

Ma parole se perd... je cède à mes douleurs...

Hélas !... je ne vous puis parler que par mes pleurs.

CLAUDIUS.

J’ose encor me flatter malgré tant d’artifice,

Que vous suivrez, Seigneur, la sévère Justice :

Je ne vous dis plus rien pour soutenir mes droits.

Vingt témoins différents ont d’assez fortes voix.

Donnez-moi Virginie, et forcez au silence,

Une femme en fureur dont la plainte m’offense ;

Et qui s’autorisant de l’amour maternel,

Cache sous ce prétexte un dessein criminel.

Ne différez donc plus... venez...

PLAUTIE, à Claudius.

Tais-toi, parjure ;

N’ajoute point encor l’outrage à l’imposture.

À Appius.

Seigneur, si mes soupirs peuvent vous émouvoir,

Éloignez Claudius que je ne saurais voir,

Plus que tous mes malheurs sa funeste présence,

De mes profonds ennuis aigrit la violence,

Vous me verrez sans doute expirer en ces lieux

Si plus longtemps ce traître est présent à mes yeux.

APPIUS.

Oui, Madame, je vais soulager votre peine,

À Claudius.

Sortez. Retirez-vous dans la chambre prochaine,

Je saurai prononcer lorsqu’il en sera temps.

CLAUDIUS.

Vous différez encor, Seigneur, je vous entends,

Vous n’osez de Plautie augmenter la misère :

Mais un Chef des Romains doit être plus sévère,

Juste à récompenser, intrépide à punir ;

Il doit voir le passé sans craindre l’avenir ;

Sans qu’aucun intérêt le retienne ou l’anime,

Et la pitié d’un Juge est souvent un grand crime ;

Puisque la vôtre ici combat votre devoir.

Seigneur je vais d’un autre implorer le pouvoir,

Votre retardement me servira d’excuse,

Si je demande ailleurs le bien qu’on me refuse.

 

 

Scène III

 

APPIUS, PLAUTIE, FULVIE, FABIAN, PISON

 

APPIUS.

Vous le voyez, Madame, il va chercher ailleurs,

L’inévitable Arrêt qui comble vos malheurs.

J’ai craint de prononcer cet arrêt si funeste,

Et dans vos déplaisirs cette douceur me reste,

Qu’une autre main au moins vous portera les coups.

Dont mon cœur alarmé frémit déjà pour vous.

PLAUTIE.

Eh quoi ! votre pitié sera-t-elle inutile ?

Ne peut-elle, à mon sang assurer un asile ?

Ne peut-elle, Seigneur, détourner loin de moi,

Ces coups dont votre cœur a déjà quelque effroi ?

Dans mes justes désirs me seriez-vous contraire ?

Servirez-vous plutôt l’ennemi que la Mère ?

Il demande ma fille : et sur quoi ? Par quels droits ?

Son esclave a parlé ; mais il n’a point de voix.

Un homme que le sort dans les fers a fait naître,

N’a d’autre volonté que celle de son Maître,

Plutôt mort que vivant comblé d’un long ennui,

Il ne peut ni parler ni vivre que pour lui.

Seigneur, sans écouter ce suspect témoignage,

De l’amour d’un époux, rendez-moi le saint gage :

Pour prononcer au moins attendez son retour ;

Vous le verrez sans doute avant la fin du jour :

C’est lui qui soutiendra les droits de sa Famille

C’est à lui de défendre et de sauver sa fille.

Brisera-t-on des nœuds que le sang a formés,

Ces saints nœuds par l’Amour, par le temps confirmés,

En condamnant la fille on condamne le Père ?

Et peut-on lui ravir ce sacré caractère,

Que la forte nature a pris soin de graver,

Et dont même les Dieux ne sauraient le priver.

APPIUS.

Modérez les terreurs de votre âme craintive,

Puisque vous le voulez j’attendrai qu’il arrive.

Madame, mais enfin que fera votre Époux,

Que déjà ma pitié n’ait pas tenté pour vous,

Pour tacher de vous rendre une fille si chère,

Je n’ai pas attendu les larmes de sa mère.

J’avais formé tantôt un généreux dessein,

Et que les Dieux sans doute avaient mis dans mon sein.

J’allais avec éclat réparer sa misère :

Mais elle a refusé ce conseil salutaire,

Et préféré les fers qui menacent ses jours,

À la nécessité d’accepter mon secours.

PLAUTIE.

Que dites vous, Seigneur, l’ingrate Virginie,

Refuse le secours qui la rend à Plautie ?

Et sans égard pour vous, sans tendresse pour moi,

Elle aime mieux subir une si dure loi :

Elle se livre entière au Destin qui la joue.

Seigneur, s’il est ainsi mon cœur la désavoue :

Mais ne puis-je savoir ce dessein glorieux,

En faveur de ma fille inspiré par les Dieux.

APPIUS.

Je la vois qui paraît, elle peut vous l’apprendre :

Mais songez que des fers rien ne la peut défendre ;

Si toujours obstinée en son premier dessein,

Elle fuit les bienfaits qui partent de ma main.

 

 

Scène IV

 

PLAUTIE, VIRGINIE, FULVIE

 

PLAUTIE.

Qui pourra m’expliquer ce trouble et ce silence,

Du discours d’Appius, que faut-il que je pense ?

Ma fille, devais-tu refuser le secours,

Qui te rend à Plautie, et rassure tes jours ?

VIRGINIE.

Ah ! quand vous le saurez ce secours si funeste,

Vous le détesterez comme je le déteste.

Dieux ! à quel prix cruel, à quelle extrémité,

Le perfide Appius a mis ma liberté ?

Dure, dure toujours le malheur qui me presse,

Si je n’en puis sortir que par cette bassesse.

PLAUTIE.

Comment ? Que prétend-il ? Quel injuste dessein ?

VIRGINIE.

Me forcer malgré moi de lui donner la main.

Il n’a pu me cacher sa tyrannique flamme ;

Ses yeux et ses discours m’ont découvert son âme.

Que vous dirai-je enfin, vos craintes, mon malheur,

Sont les tristes effets de sa coupable ardeur ?

PLAUTIE.

Ô coup ! Ô trahison à jamais inouïe !

Peut-on jusqu’à ce point pousser la perfidie ?

Ô Ciel ! as-tu permis que le cœur d’un Romain,

Ait osé concevoir cet horrible dessein.

VIRGINIE.

Hélas ! dans quel état le Tyran m’a laissée,

Le plus sensible effort de ma douleur passée ?

Tout ce que j’ai souffert ne saurait égaler

Les maux dont son amour commence à m’accabler.

Mais grands Dieux ! Quel sera le désespoir d’Icile,

Quand de la trahison averti par Camille,

Il saura qu’Appius ne s’arme contre moi,

Qu’afin de me contraindre à violer ma foi ?

Ah ! pour tirer raison d’un si cruel outrage,

Que n’entreprendront point sa haine et son courage ?

Dans quels nouveaux périls se va-t-il engager ?

Sans doute en ce moment tout prêt à se venger.

Il va...

 

 

Scène V

 

ICILE, PLAUTIE, VIRGINIE, FULVIE, CAMILLE, SÉVÈRE

 

ICILE.

Consolez-vous et retenez vos larmes.

Madame, je sais tout, et conçois vos alarmes.

Mais les gémissements sont ici superflus ;

Appius périra, vous ne le craindrez plus.

Nos généreux amis partagent notre offense,

Et brûlent d’en tirer une prompte vengeance.

D’abord que le Tyran sortira du Palais,

Tout son sang répandu lavera ses forfaits.

Et dans le désespoir, Madame, qui me guide,

Moi seul je percerai le cœur de ce perfide :

Attendez cet effort de ma juste fureur.

PLAUTIE.

Ô Ciel ! quel doux espoir je sens naître en mon cœur ;

Vous allez immoler la main qui nous outrage.

Mais Dieux ! en quel dessein votre amour vous engage ?

Vous vous flattez en vain de pouvoir l’accabler.

VIRGINIE.

Cessez, Seigneur, cessez de nous faire trembler ;

De ce fatal projet vous seriez la victime,

Et quand vous perdriez le Tyran qui m’opprime.

Qu’Appius périrait, croyez que son trépas,

D’un esclavage affreux ne me sauverait pas.

Neuf Tyrans resteraient qui pour venger sa perte,

Prendraient pour nous punir l’occasion offerte.

Je verrais ces cruels armés contre vos jours,

Se prêter à l’envi de funestes secours.

Et présenter enfin à mon âme étonnée,

Votre mort, et les fers où je suis destinée.

ICILE.

Ne vous alarmez point, craignez moins leur pouvoir ;

Madame, j’ai prévu tout ce qu’il faut prévoir,

Perdre un de nos Tyrans sans accabler les autres,

Ce serait redoubler vos périls et les nôtres,

Pour terminer l’horreur de votre triste sort,

De tous les Decemvirs j’ai résolu la mort ;

Et sans borner mes coups à la perte d’un homme,

Je veux avec vos fers rompre encor ceux de Rome ;

Vous venger l’une et l’autre, et remplir en ce jour,

Les devoirs de ma gloire, et ceux de mon amour :

Je remarque à vos yeux quelle extrême surprise,

Jette dans vos esprits une telle entreprise,

Sans doute vous croyez que ce hardi projet,

Est de mon désespoir un téméraire effet,

Qu’aujourd’hui seulement j’en ai conçu l’idée :

Mais d’un noble courroux mon âme possédée,

A formé dès longtemps ce généreux dessein,

L’amour ne l’a point seul fait naître dans mon sein.

Seulement les malheurs que pour vous j’appréhende,

Me font précipiter une action si grande.

Quand je tremble pour vous, rien ne peut m’arrêter,

Et je suis assez fort pour tout exécuter,

Nos Tyrans séparés dans nos camps, dans la ville,

Rendent de ce projet le succès plus facile,

Horace, Numitor, Valère et Lœlius,

Doivent au Tribunal immoler Oppius.

Je dois accompagné d’une nombreuse escorte,

De ce Palais fatal environner la porte :

Dont Appius sortant par mille coups certains,

Nous préviendrons l’horreur de ses lâches desseins.

Les chefs, et les soldats n’attendent à l’Armée,

Que d’ouïr de nos faits parler la Renommée ;

Et dès le même instant de nos exploits jaloux,

Impatients, heureux, et hardis comme nous,

Vous les verrez poussez d’une ardeur magnanime,

Se disputer l’honneur d’abattre une victime ;

Et sur huit ennemis confondants leurs efforts,

À chacun des Tyrans assurer mille morts.

Le Peuple fatigué d’un pouvoir tyrannique,

Est tout prêt de finir la misère publique :

Déjà pour l’animer j’ai su peindre à ses yeux,

Les funestes horreurs qui désolent ces lieux ;

Les sacrés tribunaux ouverts à l’avarice,

Le commerce honteux qu’on fait de la Justice,

Le Sénat dépeuplé des anciens Sénateurs,

Leur puissance donnée à d’indignes flatteurs,

Le crime triomphant, l’innocence tremblante ;

Du sang de ses Héros Rome toujours fumante :

Les tragiques effets du fer et du poison,

La violence jointe avec la trahison ;

La pudeur exposée à de coupables flammes ;

Les Vestales en proie à des monstres infâmes :

Tous nos Temples détruits, déserts, ou profanés ;

Les augures confus, les Prêtres consternés.

Enfin, des maux plus grands, un joug moins supportable,

Que ne fut de Tarquin le règne abominable.

Le Ciel me favorise, et je puis en ce jour,

Servir la République en servant mon amour :

Si je reviens vainqueur, ma gloire est infinie ;

J’affranchis ma Patrie, et j’acquiers Virginie ;

Et s’il faut succomber dans un si noble effort,

Où pourrais-je trouver une si belle mort ?

VIRGINIE.

Je n’ose condamner l’ardeur qui vous entraîne ;

Je vous aime, et je crains : mais j’ai l’âme Romaine.

L’intérêt du pays doit ici prévaloir :

Tout cède dans mon cœur à ce premier devoir.

Je ne vous aurais pas hasardé pour moi-même :

Mais je consens pour lui d’exposer ce que j’aime.

Le généreux amour qui règne dans mon cœur,

Ne veut point d’un Amant enchaîner la valeur.

Je brûle comme vous de voir Rome sauvée,

De voir votre vertu jusqu’aux Cieux élevée :

Joignez tous les devoirs de Héros et d’Amant,

Ils se peuvent entre eux secourir puissamment,

Leur union vous offre une double victoire :

Du côté de l’amour, du côté de la gloire ;

De toutes parts enfin vous serez couronné,

Comme illustre Guerrier, comme Amant fortuné.

Les Romains admirant cette grande victoire,

Dresseront des Autels, Seigneur, à votre gloire.

Et moi n’en doutez point à votre heureux retour,

Je prends sur moi le soin de couronner l’amour.

ICILE.

Ah ! souffrez...

VIRGINIE.

Mais, hélas ! que je suis insensée,

Je me laisse séduire à ma douce pensée ;

Peut-être que le sort nous menace tous deux,

Le plus juste parti n’est pas toujours heureux.

N’importe ; allez Seigneur, et si la destinée,

Marque de votre mort cette triste journée.

Je jure que mon sang par ma main répandu,

Dans le vôtre aussitôt se verra confondu.

Que mon bras...

ICILE.

Éloignez cette funeste image,

J’accepte seulement votre premier présage ;

J’espère qu’aujourd’hui, content, victorieux.

Madame, je viendrai vous tirer de ces lieux.

Adieu.

PLAUTIE.

Je vous suivrai, Seigneur, et mon courage,

Veut avoir quelque part dans ce fameux ouvrage.

 

 

Scène VI

 

PLAUTIE, VIRGINIE, FULVIE, CAMILLE

 

VIRGINIE.

Quoi vous voulez vous-même...

PLAUTIE.

Oui, je veux que mes cris,

Réveillent la vertu des Romains assoupis.

Je veux leur inspirer les transports de mon âme,

Sans doute ils rougiront en voyant une femme,

Moins timide cent fois, et plus Romaine qu’eux,

Tâcher de ranimer cet esprit généreux,

Qu’a versé dans leur sein le sang de leurs ancêtres,

Sans cesse révolté contre d’injustes Maîtres.

Ah ! songe quel triomphe, et quel bonheur pour nous,

Si tandis que l’on voit mon invincible Époux,

Des périls du dehors, nous sauver, nous défendre,

L’on voit en même temps son épouse, et son gendre,

Affranchir Rome encor du joug des Decemvirs.

Et le sort secondant nos soins et nos désirs.

Notre famille seule assurant sa mémoire,

D’un Empire si Saint faire toute la gloire.

VIRGINIE.

Je conçois la grandeur d’un si noble dessein.

Mais hélas ! que je crains qu’on ne le tente en vain.

Je crains...

 

 

Scène VII

 

PLAUTIE, VIRGINIE, CAMILLE, FULVIE, SÉVÈRE

 

SÉVÈRE.

N’attendez plus un secours inutile.

Madame, c’en est fait, on nous enlève Icile.

Un traître qu’il croyait ferme en ses intérêts,

Vient d’instruire Appius de ses desseins secrets.

Dans le moment qu’Icile allait tout entreprendre ;

On l’a mis hors d’état de vous pouvoir défendre.

De sa juste colère on prévient les effets.

On le vient d’arrêter en sortant du Palais.

PLAUTIE.

Ô Ciel !

VIRGINIE.

Cruel destin ! Quelle persévérance ?

Puis-je après un tel coup avoir quelque espérance.

Vous le voyez, Madame, il n’est plus de secours,

Il est temps de finir mes déplorables jours :

Icile est arrêté, le Ciel nous est contraire,

Il nous prive à la fois de l’Amant et du Père.

C’en est fait, je me livre à mon seul désespoir.

PLAUTIE.

Ah ! prends sur toi ma fille un peu plus de pouvoir.

Mourir lorsque le sort rend la vie importune,

C’est l’ordinaire effet d’une vertu commune :

Mais vivre en essuyant ses plus funestes coups,

Lui faire voir un cœur plus grand que son courroux :

C’est là que la vertu doit briller davantage ;

Dans ces extrémités éclate un grand courage.

Que te dirai-je, enfin, tu dois par ces efforts,

Me prouver qu’en effet, c’est de moi que tu sors.

VIRGINIE.

Qu’exigez-vous de moi ? Pourquoi vouloir Madame,

Faire durer les maux qui déchirent mon âme,

La mort les eût finis : loin de vous alarmer ;

À ce juste dessein vous deviez m’animer.

Prête à souffrir des fers l’affreuse ignominie,

Rien ne semble à mon cœur si cruel que la vie :

Hélas ! pour me tirer du gouffre où je me voi,

Quelles mains ! Quels amis voudront s’armer pour moi.

PLAUTIE.

Tout les Romains, ta cause est la cause commune :

Il s’agit de leur sort comme de ta fortune ;

Le perfide Appius a commencé par nous :

Mais demain sur quelque autre il portera ses coups.

Si tous nos citoyens armez pour ta défense,

N’assurent leur repos en vengeant notre offense.

Je vais par un récit des maux que je prévoi,

Faire trembler les cœurs des Mères comme moi.

Je vais les alarmer pour toute leur Famille,

Par l’exemple inouï des malheurs de ma fille.

Je vais tout animer contre Appius, enfin,

Je cours périr moi-même, ou changer ton destin.

VIRGINIE.

Secondez Dieux puissants ce désir légitime !

Que si pour vous fléchir, il faut une victime.

Frappez me voilà prête, et par un prompt effort,

Épargnez-moi des maux plus cruels que la mort.

 

 

ACTE IV

 

 

Scène première

 

APPIUS, CLAUDIUS

 

 

CLAUDIUS.

Oui ce Rival heureux par la fin de sa vie,

Bientôt à vos transports livrera Virginie ?

Que tardez-vous, Seigneur, à le faire périr ?

Vengez-vous des tourments qu’il vous a fait souffrir :

Craignez-vous par sa mort de vous charger d’un crime,

Croyez-vous...

APPIUS.

Non, je crois sa peine légitime.

N’a-t-il pas hautement par un lâche attentat,

Assemblé ses amis, voulu troubler l’État ?

Sa perte en ce moment est juste et nécessaire :

Mais Virginie...

CLAUDIUS.

Eh bien craignez-vous sa colère

Détrompez-vous, Seigneur, peut-être qu’aujourd’hui,

Elle attend un prétexte à renoncer à lui.

Peut-être qu’en secret sensible à votre gloire ;

Son cœur déjà charmé vous cède la victoire :

Mais l’honneur fier Tyran de ses vœux les plus doux,

L’empêche seulement de s’unir avec vous.

Épargnez-lui, Seigneur, la cruelle contrainte,

D’entendre d’un Amant la pitoyable plainte,

Perdez-le, et par sa mort assurez-vous d’un cœur,

Déjà presque insensible à sa première ardeur,

Et qui pour se donner n’attend plus rien peut-être,

Que l’éclat d’un amour qui doit parler en maître.

APPIUS.

Quelle honte pour moi, s’il faut que mon amour,

Pour vaincre mon Rival lui ravisse le jour !

Quel triomphe pour lui ! quelle gloire immortelle,

De n’avoir jamais vu Virginie infidèle ;

D’avoir gardé son cœur, enfin d’avoir vaincu,

Ma grandeur, et mes feux tant qu’il aura vécu.

CLAUDIUS.

Et qu’importe, Seigneur ; quel scrupule vous presse ?

APPIUS.

J’aime pour mon malheur avec trop de tendresse.

Enfin de mon Rival je me vengerai mieux,

Si je puis épouser Virginie à ses yeux.

J’attends ici l’ingrate, et ne veux plus lui taire,

De nos desseins secrets le dangereux mystère.

Je vais tout employer pour ébranler sa foi ;

Prière, soin, respect, amour, menace, effroi.

J’espère que des fers l’épouvantable image,

Et qu’Icile mourant fléchiront son courage.

Je vais lui faire voir son Amant enchaîné,

Aux plus cruels tourments, à la mort condamné,

Il est instruit déjà que pour sauver sa vie,

Il doit en ma faveur parler à Virginie ;

Qu’il ne peut qu’à ce prix échapper à la mort ;

Peut-être mon Rival fera-t-il cet effort.

Que je serais heureux si par cette faiblesse,

Il ne méritait plus l’objet de sa tendresse,

Qu’en la tenant de lui j’eusse encor la douceur,

D’avoir flétri sa gloire, et fait trembler son cœur !

Cependant, cours ami, t’informer dans la ville,

Des discours, des desseins des Partisans d’Icile,

Examine avec soin, observe exactement,

Les démarches qu’ils font, leur moindre mouvement.

Vas, tu m’apprendras tout, comme témoin fidèle,

Virginie entre ; il faut m’expliquer avec elle.

 

 

Scène II

 

APPIUS, VIRGINIE, CAMILLE

 

APPIUS.

Madame, il faut enfin vous découvrir mon cœur :

Il faut de mon amour vous déclarer l’ardeur ;

En ce moment fatal je ne saurais plus feindre ;

Depuis assez longtemps je cherche à me contraindre.

Pour vous j’ai tout trahi gloire, devoir, emploi ;

L’amour fait tous mes soins, et mon unique loi.

Je suis les mouvements d’une aveugle tendresse,

Et si votre pitié pour moi ne s’intéresse,

Songez que rien ne peut ébranler mon dessein ;

Que je ne perdrai pas toute ma gloire en vain.

Songez...

VIRGINIE.

Vous m’aimez donc, Seigneur, et votre flamme,

Par d’illustres effets se déclare à mon âme.

Barbare, de quel front m’osez-vous présenter

Une main attachée à me persécuter ?

Je frémis à la voir cette main violente,

Qui m’arracha des bras d’une Mère tremblante,

Qui m’a déjà causé tant de malheurs divers,

Et pour toucher mon cœur me présente des fers :

Comment avez-vous crû qu’au mépris de ma gloire,

Mon cœur lâche et cédant une indigne victoire,

D’un si funeste Hymen voulût former les nœuds,

Et joindre l’innocence à vos crimes affreux ?

APPIUS.

Ah ! cruelle ! est-ce à vous de parler de mes crimes ?

Leur seule cause hélas ! les rend trop légitimes.

Est-ce à vous de montrer à mon cœur abattu,

Qu’il a souillé sa gloire et trahi sa vertu ?

M’osez-vous reprocher mon ardeur criminelle ?

Vous qui rendez mon cœur à son devoir rebelle :

Vous qui seule causez mes forfaits odieux,

Ah ! je puis justement en accuser vos yeux !

Leur demander raison des malheurs de ma flamme :

De mon repos perdu, du trouble de mon âme,

D’avoir de mon esprit malgré mes soins prudents,

Effacé les leçons de plus de quarante ans,

Et d’avoir fait enfin par un coup effroyable,

D’un Souverain heureux, un Amant misérable.

Aussi n’espérez pas de pouvoir m’abuser,

Je connais la raison qui vous fait m’accuser,

Pour un heureux Rival votre ardeur empressée,

Fait que de tous mes soins vous êtes offensée.

Cet Icile l’objet de vos ardents souhaits,

Me défend...

VIRGINIE.

Oui je l’aime autant que je vous hais.

Vous me tyrannisez, il m’a toujours servie ;

Il fait tout le bonheur ; vous l’horreur de ma vie.

Et je voyais enfin, dans cet illustre Époux,

Encor plus de vertus que de crimes en vous.

APPIUS.

On conserve sans peine une entière innocence,

Quand un bonheur constant, prévient notre espérance.

Icile satisfait dans ses vœux les plus doux ;

Tranquille, glorieux, enfin aimé de vous.

A-t-il pu jusqu’ici se charger d’aucun crime ?

Mais si de vos mépris déplorable victime ;

Accablé des tourments que mon cœur a soufferts,

Il avait ressenti tout le poids de mes fers.

Si vous l’aviez contraint d’aimer sans espérance,

Qu’il eut eu comme moi la suprême puissance.

Cet Icile à vos yeux digne de votre foi,

Serait peut-être encor plus coupable que moi.

Ah ! son bonheur allume un courroux dans mon âme.

Qui pourrait... mais songez à répondre à ma flamme.

Autrement malgré moi...

VIRGINIE.

Favorable retour.

Votre courroux me plaît bien plus que votre amour.

Menacez, accablez l’impuissante innocence ;

Je crains moins les tourments qu’un amour qui m’offense :

Je préfère mes maux à d’injustes bienfaits.

Armez votre fureur, j’en brave les effets.

APPIUS.

Hé bien, pour me venger de votre ingratitude,

Vos malheurs ne sont pas un supplice assez rude ;

Et je veux désormais vous porter d’autres coups,

Moins funestes pour moi ; mais plus cruels pour vous :

Je jure qu’il n’est rien que ma fureur ne tente ;

L’Amant me répondra des mépris de l’Amante.

C’est lui qui rend pour moi votre cœur si cruel,

Et puisque vous l’aimez, il est trop criminel.

Il faut par un seul coup accabler l’un et l’autre ;

Je percerai son cœur qui me ravit le vôtre,

Pour goûter à la fois le plaisir sans égal,

De punir vos dédains, et de perdre un Rival.

VIRGINIE.

Hélas ! Seigneur...

APPIUS.

Pour vous la menace est terrible.

Je vous frappe à la fin par votre endroit sensible :

Mais ne m’accusez point, c’est vous qui l’ordonnez,

Et c’est par vos mépris que vous l’assassinez.

VIRGINIE.

Il mourra donc, Seigneur, et c’est moi qui l’opprime :

N’importe, je suivrai cette chère victime ;

Et par ce grand effet d’une immortelle foi,

Je le vengerai bien si vous brûlez pour moi.

Votre esprit libre alors de sa jalouse envie,

Verra qu’un même coup aura fini ma vie,

Et j’aurai ce plaisir parmi tous mes malheurs,

Que la mort d’un rival vous coûtera des pleurs.

APPIUS.

Madame, prévenons un malheur si funeste,

Du temps que je vous donne employez mieux le reste.

Icile en ce moment va paraître à vos yeux :

J’ai moi-même ordonné qu’on l’amène en ces lieux.

Il vient.

 

 

Scène III

 

APPUIS, ICILE, VIRGINIE, CAMILLE, PISON, GARDES

 

APPIUS, à Icile.

Dérobez vous au coup qui vous menace,

Icile, par vos soins méritez votre grâce ;

À Virginie.

Madame, songez-y, vous savez mon dessein.

Il me faut dès ce soir son sang ou votre main.

Je sors pour un moment. Gardes qu’on se retire.

 

 

Scène IV

 

ICILE, VIRGINIE, CAMILLE

 

VIRGINIE.

Vous avez entendu ce qu’il vient de nous dire.

Cessons de nous flatter, voici le jour affreux,

Où l’on va pour jamais nous séparer tous deux.

De notre heureux Hymen l’espérance est perdue,

Je ne puis qu’un moment jouir de votre vue,

Et vous n’ignorez pas à quel funeste prix,

Ce dernier entretien vient de m’être permis.

ICILE.

Je sais que contre moi on met tout en usage,

Même pour essayer d’ébranler mon courage,

On a fait en passant étaler à mes yeux,

De mon trépas certain l’appareil odieux ;

Et les tristes apprêts des tourments redoutables,

Dont la rigueur des lois punit les grands coupables :

Mais parmi ces objets, mon cœur sans s’émouvoir,

N’a songé seulement qu’au plaisir de vous voir.

Madame qu’il m’est doux de vous parler encore,

De pouvoir attendrir la beauté que j’adore,

Et de voir une fois, au moins avant ma mort,

Vos yeux donner des pleurs à mon funeste sort :

Car ne présumez pas que mon âme étonnée,

Vienne vous conseiller un honteux hyménée.

Si le lâche Appius était digne de vous,

J’oserais vous prier d’en faire votre époux ;

Je vous immolerais mon amour et ma vie,

Je serais trop heureux de vous avoir servie,

Et d’avoir en mourant pu mettre entre vos mains,

La suprême puissance, et le sort des Romains.

Ne pensez pas aussi que je vienne, Madame,

Pour vous solliciter en faveur de ma flamme.

Votre bonté pour moi ferait tomber sur vous,

La fureur d’un Rival tout puissant et jaloux.

Sauvez-vous...

VIRGINIE.

Arrêtez, en ce malheur extrême,

Je prétends désormais me conseiller moi-même.

Je vois ce qu’il faut faire et ne balance plus,

Vos conseils et vos soins sont ici superflus.

Je sais par ou finir vos maux et ma misère ;

Et dès ce même jour...

ICILE.

Quoi ! que voulez vous faire ?

Par où prétendez vous nous pouvoir secourir ?

Qu’avez vous résolu, Madame ?

VIRGINIE.

De mourir.

ICILE.

Ah ! Ciel !

VIRGINIE.

Le sort nous force à périr l’un et l’autre.

Mais souffrez que ma mort précède au moins la vôtre :

Je le veux ; votre cœur ne doit point l’envier,

Le plus faible des deux doit mourir le premier :

J’ai du courage assez pour m’immoler moi-même,

Et n’en ai point pour voir expirer ce que j’aime.

ICILE.

Ah ! renoncez Madame, à ce cruel dessein !

J’en frémis...

VIRGINIE.

Vous tremblez, et vous êtes Romain.

ICILE.

Oui, je tremble sans doute, et je vous le confesse :

Mais mon cœur s’applaudit d’avoir cette faiblesse ;

Je verrais vos beaux yeux se fermer pour jamais.

Ah ! plutôt...

VIRGINIE.

Le trépas fait mes plus doux souhaits.

Mourons, puisqu’il le faut généreux et fidèles ;

Emportons au tombeau nos ardeurs mutuelles.

Servons de noble exemple aux siècles à venir,

D’une foi que la mort n’aura pu désunir ;

Remportons du tyran une entière victoire ;

Mourons, et me laissant partager votre gloire ;

Faisons que l’univers déplore notre mort,

Et forçons le Tyran d’envier notre sort.

ICILE.

Non, Madame, vivez... Mais le Tyran s’approche.

C’en est fait, de ma mort l’instant fatal est proche,

Le supplice m’attend au sortir de ce lieu,

L’appareil est tout prêt ; et pour jamais, adieu :

Je ne vous verrai plus... mais je vous prie encore,

C’est le dernier souhait d’un cœur qui vous adore,

De vouloir...

 

 

Scène V

 

APPUIS, ICILE, VIRGINIE, CAMILLE, FABIAN, PISON, GARDES

 

APPIUS.

Quel succès aura votre entretien,

Qu’avez vous résolu ? Parlez, Icile.

ICILE.

Rien.

APPIUS.

C’est donc là tout l’effet d’une telle entrevue ;

C’est ainsi que pour moi vous l’avez résolue ;

J’ai cru que par vos soins je recevrais sa foi.

ICILE.

Je n’ai pas seulement daigné penser à toi.

Comment t’es tu flatté que pour sauver ma vie,

Je viendrais pour tes feux parler à Virginie ?

J’ai dû mieux employer un temps si précieux,

Qu’à servir d’un Tyran les desseins odieux.

APPIUS.

Ah ! perfide ! ta mort, mais une mort cruelle,

Punira de ton cœur l’audace criminelle ;

Rien ne te peut sauver ; c’en est fait.

ICILE.

Hâte-toi.

La mort n’a rien d’affreux ni de triste pour moi.

Mais, que dis-je ? ma mort encor plus que ma vie,

De ton amour jaloux excitera l’envie.

Je mourrai plaint, heureux, et sans être trahi ;

Tu vivras criminel, malheureux, et haï.

VIRGINIE.

Cesse de te flatter, en vain ta tyrannie,

S’attache à séparer Icile, et Virginie :

En vain d’un feu si beau tu veux rompre le cours.

L’Amour plus fort que toi nous rejoindra toujours.

APPIUS.

Oui, vous serez unis... mais c’est vous faire grâce ;

Il faut bien autrement confondre votre audace.

Vous voulez m’irriter, un trépas éclatant,

Est le suprême bien que votre amour attend :

Mais vous vous abusez, mon adroite colère,

Par un long châtiment cherche à se satisfaire.

Je prétends que vos cœurs endurent chaque jour,

Mille tourments divers, mille maux tour à tour ;

Vous craindrez pour sa vie, il craindra pour la vôtre :

Ainsi vous tremblerez sans cesse l’un et l’autre,

Et pourvu que l’effet réponde à mes projets,

Vous mourez mille fois sans expirer jamais.

Aux Gardes.

Qu’on les remmène.

VIRGINIE.

Adieu, Seigneur.

ICILE.

Adieu, Madame.

 

 

Scène VI

 

APPIUS, seul

 

C’en est fait, bannissons la pitié de mon âme.

Ne songeons qu’à venger le mépris...

 

 

Scène VII

 

APPIUS, CLAUDIUS

 

CLAUDIUS.

Ah ! Seigneur.

Plautie...

APPIUS.

Et bien.

CLAUDIUS.

Craignez sa fatale douleur.

On la voit en tous lieux de Romaines suivie,

À tous nos Citoyens demander Virginie.

Ces femmes à l’envi par de tristes accords,

Expriment leurs regrets en des termes si forts,

Qu’il semble que chacune ayant perdu sa fille,

Déplore les malheurs de sa propre Famille :

Les unes par des pleurs exhalent leur courroux ;

D’autres pour animer le peuple contre vous,

Poussent jusques au Ciel mille cris pitoyables ;

Plusieurs pour éviter des disgrâces semblables,

Embrassent leurs enfants, et courent les cacher,

Craignant que de leurs bras on les vienne arracher.

Enfin à les sauver leur amitié s’empresse,

Et la peur de les perdre augmente leur tendresse ;

D’ailleurs les Partisans de votre heureux Rival,

Sèment partout un bruit qui vous serait fatal.

On dit que c’est l’amour, et non pas ma prière,

Qui vous fait enlever Virginie à sa Mère.

Pour vous justifier dans l’esprit des Romains,

Il faut dès ce moment la remettre en mes mains,

Attendant que ce bruit avec le temps s’efface...

APPIUS.

Viens, suis-moi, nous verrons ce qu’il faut que je fasse.

 

 

ACTE V

 

 

Scène première

 

PLAUTIE, PISON, FULVIE

 

PLAUTIE.

Quoi ! l’on me traîne ici ! Quel injuste projet.

PISON.

Aux ordres d’Appius j’obéis à regret ;

Madame, mais...

PLAUTIE.

Ô Dieux ! Quelle fureur l’anime,

C’en est fait, ce Tyran marche de crime en crime ;

Il retient Virginie, et me fait arrêter.

PISON.

Madame à cet effort il a dû se porter ;

Le soin de son salut l’a forcé d’y souscrire :

Il n’a pu s’en défendre, et j’oserai vous dire,

Que son cœur inquiet a longtemps balancé ;

Mais d’un péril trop grand il s’est vu menacé,

Vos pleurs étaient plus forts que les armes d’Icile.

Déjà de toutes parts on voyait dans la ville,

Les femmes à l’envi sur vos pas s’assembler.

Déjà...

PLAUTIE.

Quoi nos clameurs l’ont pu faire trembler,

Il craint notre douleur dont les plus fortes armes,

N’ont été que des vœux, des soupirs, et des larmes.

Mais voilà le destin des Tyrans tels que lui,

Ils traînent avec eux un éternel ennui ;

Et c’est des justes Dieux un ordre légitime,

Que la crainte sans cesse accompagne le crime :

Sa rage va sans doute éclater contre moi.

 

 

Scène II

 

PLAUTIE, VIRGINIE, PISON, FULVIE, CAMILLE

 

VIRGINIE.

Fuyons, Camille. Ah ! Ciel ! est-ce vous que je vois ?

Madame, quel dessein ici vous a conduite ?

PLAUTIE.

Mais toi-même : quelle est la raison de ta fuite ?

Qu’a fait notre ennemi ? Qu’est-ce qui s’est passé ?

VIRGINIE.

Madame, mon Arrêt vient d’être prononcé.

PLAUTIE.

Que dis-tu ?

VIRGINIE.

Le Tyran sans égard pour sa gloire,

De ses derniers serments oubliant la mémoire ;

A suivi les conseils de son funeste amour,

Et n’a pas de mon Père attendu le retour.

Par son ordre tantôt conduite en sa présence,

J’ai conçu les raisons de son impatience ;

J’ai jugé que l’excès d’un amour criminel,

M’allait abandonner au sort le plus cruel.

L’effet n’a point trompé mon présage sinistre,

Appius m’a livrée à son lâche Ministre ;

Il a fait Claudius le maître de mon sort,

Pour éviter les fers, je ne vois que la mort.

Il faut mourir, Madame, et que cette journée,

Termine mes malheurs avec ma destinée.

PLAUTIE.

Quel funeste dessein ! N’est-il point de secours ?

Dieux tous puissants...

VIRGINIE.

Les Dieux nous sont cruels et sourds.

Je n’espère plus rien, et mon âme assurée,

Au plus grand des tourments est enfin préparée.

Claudius me poursuit, des Gardes furieux,

Viendront dans un moment m’enlever de ces lieux.

Vous allez voir, Madame, une troupe barbare...

PLAUTIE.

Ah ! quel spectacle encor pour mes yeux se prépare !

Ma fille, je verrai de farouches soldats,

Une seconde fois t’arracher de mes bras.

Je t’entendrai gémir, et ma tendresse oisive...

Non, malgré leurs efforts, il faut que je te suive.

En vain ces inhumains voudront nous séparer.

VIRGINIE.

Madame, à cet effort il faut vous préparer ;

Je conçois par les pleurs dont votre amour m’honore,

Quelle vive douleur ? quel chagrin vous dévore ?

Et je ne vois que trop qu’une tendre pitié,

Vous fait de tous mes maux ressentir la moitié.

Cependant retenez vos soupirs et vos larmes,

Au fond de votre cœur renfermez vos alarmes.

Claudius va venir faites un noble effort ;

De tous vos déplaisirs modérez le transport.

Nos regrets, les ennuis où nous sommes en proie,

D’un ennemi cruel redoubleraient la joie.

Ne permettez donc pas que ses barbares yeux,

Jouissent des douleurs de nos derniers adieux :

Aussi bien près de lui la plainte serait vaine :

C’est l’amour d’Appius qui dans les fers m’entraîne.

J’avais tantôt prévu la rigueur de mon sort,

Et j’allais m’en sauver par une juste mort.

Vous n’avez pas voulu, vous vous êtes troublée,

Vos discours, vos soupirs, vos pleurs m’ont accablée,

Voyez le triste effet de vos funestes soins ;

J’ai souffert plus longtemps, je n’en mourrai pas moins ;

Et ce qui dans mon sort m’afflige d’avantage ;

Je mourrais libre alors, je meurs dans l’esclavage.

PLAUTIE.

Ne me reproche point ce funeste secours,

Que n’aurais-je point fait pour conserver tes jours ?

Je me flattais... Mais Ciel ! notre ennemi s’avance.

VIRGINIE.

Madame, au nom des Dieux évitez sa présence.

Laissez-moi seule ; allez, ne vous exposez pas,

Aux affronts d’un Perfide, aux transports des soldats,

Il ne reste plus rien pour combler ma misère,

Que de voir leur fureur outrager une mère.

PLAUTIE.

Moi, que je t’abandonne en cette extrémité ?

Que j’aille loin de toi chercher ma sûreté.

Ah ! plutôt le trépas...

 

 

Scène III

 

CLAUDIUS, PLAUTIE, VIRGINIE, FABIAN, PISON, FULVIE, CAMILLE, GARDES

 

PLAUTIE, à Claudius.

Tu viens ici perfide.

Quel dessein criminel te conduit et te guide ?

Monstre inhumain, viens-tu me déchirant le flanc ?

M’accabler, me ravir le plus pur de mon sang.

Ta barbare fureur jusqu’en ces lieux me brave.

Veux-tu ?

CLAUDIUS.

Je viens ici pour prendre mon Esclave.

Cette fille est à moi, je suis son maître enfin.

Appius à mes lois a soumis son destin.

Gardes qu’on la conduise.

PLAUTIE.

Ah ! quelle tyrannie !

Leurs criminelles mains vont saisir Virginie.

Aux Gardes qui veulent la saisir.

Osez-vous...

VIRGINIE.

Arrêtez, ne portez point vos mains,

Sur le sang glorieux des plus fameux Romains.

N’approchez point de moi, je vous suivrai sans peine

Dans le honteux état où le destin m’entraîne.

Trahie, abandonnée, en proie à vos fureurs ;

Je n’ai que ma vertu contre tous mes malheurs.

Mais elle me suffit : je puis tout avec elle.

Adieu, Madame : adieu, votre douleur mortelle,

Ébranle ma constance, et me fait plus trembler,

Que l’approche des fers qui me vont accabler.

Prenez soin de vos jours, j’aurai soin de ma gloire :

J’ose espérer qu’un jour ma déplorable histoire,

Apprenant ma disgrâce aux siècles à venir,

Laissera de mon sort un digne souvenir ;

Et fera confesser à la plus noire envie,

Que d’illustres Aïeux m’avaient donné la vie.

Adieu.

PLAUTIE.

Je cours...

PISON, en l’arrêtant.

Souffrez...

 

 

Scène IV

 

PLAUTIE, FULVIE, PISON, GARDES

 

PLAUTIE.

Quoi ! l’on m’ose arrêter ?

Inhumains, c’en est trop, je ne la puis quitter.

Souffrez que dans les fers je suive Virginie ;

Sans ma fille je hais, et mon rang, et ma vie.

Par rage ou par pitié, percez mon triste flanc,

Après m’avoir ravi la moitié de mon sang.

Achevez, répandez tout celui qui me reste.

Hélas ! heureuse encor en ce moment funeste,

Si je pouvais au moins par une prompte mort,

Arracher Virginie aux horreurs de son sort !

Ou tourner sur moi-même en m’exposant pour elle,

De son affreux destin l’influence cruelle.

Je ne puis la sauver, la suivre, ni mourir :

Cruels aucun de vous ne veut me secourir.

Mais que vois-je ? Comment...

 

 

Scène V

 

PLAUTIE, FULVIE, SÉVÈRE, FABIAN, GARDES

 

SÉVÈRE.

Tout a changé de face,

Madame, vous verrez finir votre disgrâce ;

Reprenez de l’espoir déjà les Dieux plus doux,

M’ont accordé le bien d’arriver jusqu’à vous.

Icile est libre enfin, sa prison est forcée :

J’ai vu par ses amis sa garde dispersée,

Et sans perdre de temps les armes à la main,

Vers l’injuste Appius il s’est fait un chemin.

Ils sont aux mains, Madame ; et le Ciel équitable,

Fera périr sans doute un Tyran détestable.

De votre esprit troublé dissipez la terreur :

Tout semble vous promettre un tranquille bonheur.

Appius prévenu d’une aveugle furie,

Par ses meilleurs Soldats fait garder Virginie ;

Et resté presque seul, abandonné, troublé,

Sous les efforts d’Icile il doit être accablé,

Contre tant d’ennemis il ne peut se défendre :

Icile m’a pressé de courir vous l’apprendre,

Et de vous avertir, Madame, qu’en ces lieux,

Vous le verrez bientôt venir victorieux,

Je cours le retrouver.

PLAUTIE.

Non, je prétends vous suivre.

Courons ; que j’aille voir la main qui nous délivre ;

Aussi bien dans ces lieux on ne me retient plus.

Je vois fuir à ce bruit mes Gardes éperdus.

Allons... mais c’en est fait, et mon âme ravie...

 

 

Scène VI

 

PLAUTIE, FULVIE, ICILE, SÉVÈRE

 

ICILE.

Oui, c’en est fait, Madame, Appius est sans vie ;

Je viens de le punir, enfin tout est sauvé,

Et déjà votre Époux dans Rome est arrivé.

PLAUTIE.

Virginius !

ICILE.

Madame on vient de me l’apprendre.

Le bruit de son retour partout s’est fait entendre.

Mais que fait Virginie ? On ne m’en a rien dit.

Elle seule sans cesse occupe mon esprit.

PLAUTIE.

Claudius escorté d’une troupe cruelle,

S’en est saisi, Seigneur.

ICILE.

Ah ! courons après elle !

Courons la délivrer, et qu’aux yeux des Romains,

Le traître Claudius soit puni par mes mains.

Que je puisse goûter le plaisir et la gloire,

Que prépare à mon cœur une pleine victoire.

 

 

Scène VII

 

ICILE, PLAUTIE, SÉVÈRE, FULVIE, CAMILLE

 

PLAUTIE, à Icile.

Hâtez-vous donc, Seigneur ?

À Camille.

Que viens-tu m’annoncer ?

Dis-moi, que fait ma fille ? où l’as-tu pu laisser ?

CAMILLE.

Votre fille ?

ICILE.

Apprenez-nous, où faut-il que je vole ?

Où sont nos ennemis, que mon bras les immole ?

Que Virginie enfin, ne les redoute plus.

Que j’aille...

CAMILLE.

Modérez des transports superflus,

Il n’est plus temps.

ICILE.

Comment ?

CAMILLE.

L’aimable Virginie.

PLAUTIE.

Eh bien ! Qu’est-ce ?

CAMILLE.

À mes yeux vient de perdre la vie.

PLAUTIE.

Ciel ! qu’est-ce que j’entends ? Ah ! destin rigoureux !

Quel coup !

ICILE.

De tous mes maux voici le comble affreux.

Que puis-je craindre après ce que je viens d’apprendre ?

Grands Dieux !

CAMILLE.

Virginius venait pour la défendre,

Au moment qu’il l’a vue au milieu des Soldats ;

Ce spectacle cruel a retenu ses pas.

Il s’arrête, et du peuple il apprend que sa fille,

Vient d’être pour jamais ravis à sa Famille ;

Qu’elle est soumise aux fers du traître Claudius,

Et sans doute exposée aux transports d’Appius :

À ce fatal récit son désespoir extrême,

Fait qu’il veut la sauver, ou se perdre lui-même ?

Il attaque lui seul plus de mille ennemis ;

Le succès répond mal à ce qu’il s’est promis ;

On le saisit d’abord, il se voit sans épée,

Hé que sert, a-t-il dit, à ma valeur trompée,

L’inutile bonheur de mes autres exploits,

Puisque je suis vaincu cette dernière fois.

Mais hélas ! permettez, cruels, dans ma disgrâce,

Si je perds Virginie, au moins que je l’embrasse,

De cet embrassement la puissante douceur,

D’un cœur désespéré flattera la douleur.

On le laisse, il y court, la joint malgré la presse,

Par ses embrassements il marque sa tendresse.

Je le suis, et j’entends qu’elle lui dit, Seigneur :

Ah ! donnez-moi la mort, et sauvez ma pudeur.

Virginius surpris, admire son courage ;

Il soupire à la fois, et d’amour, et de rage.

À tes désirs cruels, dit-il, puis-je obéir ?

Mais ne t’obéir pas ce serait te trahir.

Satisfaisons ton âme, et malgré ma faiblesse :

Dérobons ta pudeur au péril qui la presse.

Par un coup rigoureux prouvons notre amitié ;

Montrons-nous inhumains par excès de pitié ;

Et que tout l’univers sachant que je suis père,

Admire mon courage, et plaigne ma misère.

Après ces tristes mots, égaré, furieux ;

Il promène partout ses regards curieux.

Il voit, cherche avec soin, ah ! disgrâce imprévue !

Un funeste couteau se présente à sa vue.

Il le prend, et poussé d’une indiscrète ardeur,

De sa constante fille il veut percer le cœur.

Mais en vain pour ce coup son courage s’apprête.

Quand il croit l’achever sa tendresse l’arrête :

Car à peine a-t-il vu le couteau prés du sein,

Que la nature semble avoir glacé sa main.

Il demeure immobile, à ce triste spectacle.

On court, à son dessein chacun veut mettre obstacle.

Virginie en tremblant voit venir ce secours,

Qui hasarde sa gloire en conservant ses jours.

Elle se hâte alors de terminer sa vie,

S’élance sur le fer, et d’une main hardie,

Prend celle de son père, et poussant le couteau,

S’en frappe, tombe, et s’ouvre un chemin au tombeau.

PLAUTIE.

Hélas !

CAMILLE.

Virginius après ce sacrifice ;

De ce sang précieux demande la justice.

Il prend entre ses bras ce corps ensanglanté,

Le fait voir aux Romains, le peuple épouvanté,

Frémit en regardant cette victime offerte,

De tous les Decemvirs il conspire la perte.

Il court de tous côtés venger votre malheur :

Claudius a déjà ressenti sa fureur ;

Et moi je suis venue en ce lieu vous apprendre

Les funestes horreurs que vous venez d’entendre.

Heureuse si ma mort avait pu devancer,

La douleur que je souffre à vous les annoncer.

ICILE.

Ainsi pour mon amour, Virginie est perdue :

Voilà cette union que j’avais attendue.

Mourons : mais d’une mort qui soit utile à tous ;

Portons sur nos Tyrans ma rage avec mes coups.

Allons, Madame ; allons, et courons l’un et l’autre,

Faire parler par tout ma douleur et la vôtre.

Allons, que mille morts marquent ce triste jour.

Puisque Rome l’exige aussi bien que l’Amour.

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