Le Corricolo (Eugène LABICHE - Alfred DELACOUR)

Opéra comique en trois actes.

Musique de M.F. Poise.

Représenté pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre impérial de l’Opéra-Comique, le 27 novembre 1868.

 

Personnages

 

HECTOR DE LUSSAN

GASTON DE NERVILLE

LE PODESTAT DE BERGAME

PLANTUREUX

LE TRÉSORIER

MATTEÏ

CAROLINE DE LUSSAN

NINETTA

GARDES

PEUPLE

 

La scène se passe au siècle dernier, le premier acte dans un petit village en Italie, les deux autres à Bergame.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente l’entrée d’une auberge en Italie. À gauche, la porte de l’auberge ; à droite, des tables. Au fond, une palissade ; une porte charretière au milieu. Au lointain, un riant paysage ; devant la porte de l’auberge, des tables.

 

 

Scène première

 

PAYSANS, PAYSANNES, arrivant par le fond

 

Introduction.

CHŒUR.

Eh ! lon lan la ! c’est jour de fête !
Vite, mettez vos beaux habits,
Vos habits de fête.
Entendez nos chants et nos cris,
C’est jour de fête !

LES FILLES.

Holà ! Ninetta, jeune fillette !

LES GARÇONS.

Holà ! les joyeux amoureux !

TOUS.

L’amour vous rend-il sourds tous deux ?
Eh ! lon lan la ! c’est jour de fête !
Holà ! holà !
Ninetta !

 

 

Scène II

 

PAYSANS, PAYSANNES, MATTEÏ et NINETTA, sortant de l’auberge et se disputant

 

NINETTA.

Fi, le jaloux,
Le vilain jaloux !
Quel caractère
Atrabilaire !
Qu’espérer d’un futur époux,
Qui déjà se montre jaloux ?

MATTEÏ.

Je suis jaloux,
Oui, très jaloux.
Il faut, la belle,
Être fidèle.
Mais avant d’être ton époux,
J’ai déjà lieu d’être jaloux.

LE CHŒUR, se mettant entre eux.

Tout doux,
Ah ! calmez-vous !
La paix, la belle,
Point de querelle !

MATTEÏ.

Mais c’est horrible... c’est affreux !
Je ne veux pas que l’on t’embrasse !

NINETTA.

Monsieur dit déjà : Je veux !
Quel aplomb et quelle audace !

MATTEÏ.

Me trahir effrontément !
Je ne saurais le permettre.

NINETTA.

C’est trop fort assurément
D’oser me parler en maître !
Quels soupçons !... c’est infâme !

MATTEÏ.

Me malmener ainsi !

NINETTA.

Va, cherche une autre femme !...

MATTEÏ.

Cherche un autre mari !

NINETTA, pleurant.

Quelle tendresse vive et pure
J’avais pour lui !
J’en mourrai... c’est fini,

MATTEÏ, pleurant.

Ah ! je l’aimais bien, je le jure,
Mais c’est fini !
J’en mourrai... c’est fini !   

LE CHŒUR, riant.

Pour toujours c’est fini...

 

 

Scène III

PAYSANS, PAYSANNES, MATTEÏ, NINETTA, CAROLINE, PLANTUREUX

 

CAROLINE, entrant par le fond.

On se dispute ici... ce sont les amoureux.
Entre deux fiancés cela ne dure guère...
Sans doute le motif n’est pas très sérieux.

NINETTA.

Madame, il est jaloux, jaloux et volontaire.

CAROLINE, souriant à Matteï.

Ah ! c’est fort mal à vous !

MATTEÏ.

  Madame, elle est coquette, oui, coquette et légère.

CAROLINE, de même à Ninetta.

Ah ! c’est fort mal à vous !

Les prenant tous les deux par la main et les rapprochant.

À Ninetta.

Approche, Ninetta,
Allons, que tout s’oublie.

À Matteï.

Qu’on se réconcilie,
Prenez cette main-là !
C’est bien comme cela !
Le joli couple que voilà !

À Matteï.

Mais qu’a-t-elle donc fait, de grâce ?

MATTEÏ.

Ce Français... ce voyageur
À chaque instant il l’embrasse...
Pour moi quel tableau flatteur !

CAROLINE.

  Mais en France c’est l’usage !

MATTEÏ.

  Eh bien qu’en France il voyage !

Couplets.

I.

CAROLINE.

Un baiser par-ci, par-là !
Ah ! le grand mal que voilà !

À Matteï.

Si doucement on lui vole
Un doux baiser qui console,
Ah ! ne dis rien... on le paiera.
Un baiser par-ci, par-là,
Ah ! le grand mal que voilà !

LE CHŒUR, NINETTA.

  Ah ! le grand mal que voilà !

II.

  Un baiser par-ci, par-là,
  Ah ! le grand mal que voilà !
  Demain il se peut qu’il parte :
  Mets les baisers sur la carte...
  Ah ! cela te consolera !
  Un baiser par-ci, par-là,
  Ah ! le grand mal que voilà !

TOUS.

Ah ! cela te consolera.

CAROLINE, à Matteï.

À quand la noce ?...

MATTEÏ.

Dans huit jours,

À Ninetta.

Si tu consens encor...

NINETTA.

Toujours.

PLANTUREUX.

Je meurs de faim... et maintenant j’espère,
Madame, nous déjeunerons.

CAROLINE.

Votre appétit, mon oncle, n’attend guère.

NINETTA.

  De grand cœur nous vous servirons...

PLANTUREUX.

Des œufs et du laitage,
Surtout pas de fromage !

NINETTA, MATTEÏ.

De grand cœur nous vous servirons.

LE CHŒUR.

Eh ! lon lan la, c’est jour de fête,  etc.

Les Paysans et les Paysannes s’éloignent.

CAROLINE, parlé, sur la musique qui s’éteint peu à peu.

Mon oncle, vous vous occuperez aussi de notre départ.

MATTEÏ.

Comment, madame, vous partez ?

NINETTA.

Déjà ?

CAROLINE.

Ce soir même, pour Bergame...

NINETTA.

Bergame ! J’y vais aussi... acheter ma toilette de noce... mon bouquet de fleurs d’oranger.

CAROLINE.

Tu viendras avec nous... Je t’offre une place dans notre voiture.

NINETTA.

Dans votre corricolo ! Quel honneur !

PLANTUREUX.

Corricolo !... Ces gens-là parlent une langue !...

CAROLINE.

C’est convenu... maintenant... songeons à notre déjeuner.

NINETTA.

C’est l’affaire d’une minute...

PLANTUREUX, la retenant.

Un instant, je me méfie...

À part.

Ils assaisonnent tout au fromage dans ce pays-ci.

Haut.

Des œufs à la coque, du chocolat et des oranges...

À part.

Comme ça, je suis tranquille... ils ne pourront pas en fourrer là dedans...

Ninetta et Matteï sortent.

 

 

Scène IV

CAROLINE, PLANTUREUX

 

PLANTUREUX.

Madame est-elle contente de mes services ?...

CAROLINE.

Non !... vous jouez très mal votre rôle !

PLANTUREUX.

Comment ?...

CAROLINE.

Vous êtes beaucoup trop respectueux devant le monde. Que vous a dit mon oncle le général ?

PLANTUREUX.

Le général m’a remis un passeport sur lequel il y avait : Monsieur Plantureux, officier en retraite, voyageant avec sa nièce.

CAROLINE.

Eh bien.

PLANTUREUX.

Eh bien ! La particule me gêne, le grade aussi... Quand on a été valet de chambre toute sa vie... Il me prend à chaque instant des envies féroces d’essuyer les meubles et de brosser les habits.

CAROLINE.

Gardez-vous-en bien !

PLANTUREUX.

Oui... je me contiens !... Le général m’a ordonné de vous accompagner jusqu’à Venise en qualité d’oncle... il a ajouté : « Plantureux, tu laisseras pousser tes moustaches afin d’être formidable... Tu veilleras sur madame... tu lui obéiras en toutes choses... Tu m’en réponds sur ta tête ! »

CAROLINE.

C’est bien cela... arrivée à Lyon, mon oncle le général m’a fait comprendre qu’une femme ne pouvait pas voyager seule... et, comme il lui était impossible de m’accompagner...

PLANTUREUX.

Il a la goutte !

CAROLINE.

Il m’a confié son plus gros valet de chambre pour me servir de porte-respect.

PLANTUREUX.

Un tel honneur !...

CAROLINE.

Vous êtes fidèle, dévoué, je le reconnais... mais vous n’êtes pas familier... vous me parlez à la troisième personne... vous m’appelez, madame... un oncle !...

PLANTUREUX.

Excusez-moi... mais le manque d’habitude...

CAROLINE.

Appelez-moi Caroline ! Ce n’est pas difficile.

PLANTUREUX.

Ah ! je n’oserai jamais !...

CAROLINE.

Ah ! il le faut !... par ordre supérieur... Voyons, essayez...

PLANTUREUX.

C’est que...

CAROLINE.

Eh bien ?

PLANTUREUX.

Oui... Caro... Caroline !...

CAROLINE.

À la bonne heure ! Vous me ferez prévenir quand le déjeuner sera prêt...

PLANTUREUX.

Oui, madame...

Se reprenant.

Oui, Caroline, oui, Caroline.

CAROLINE.

Très bien, vous y arriverez en travaillant.

Elle entre dans l’auberge.

 

 

Scène V

PLANTUREUX, puis NINETTA

 

PLANTUREUX, seul.

Appeler Caroline une belle dame qu’on ne connaît pas... ça ne vient pas tout d’un coup.

Il prend une serviette laissée sur la table et se met à épousseter machinalement.

C’est égal je voudrais bien savoir si elle est dame ou demoiselle, ou veuve, ma nièce !

NINETTA, à la cantonade.

Oui, madame, je vais chercher partout ! Tiens ! qu’est-ce que vous faites donc avec ça ?

PLANTUREUX.

Rien... j’étais en train d’épousseter pour me distraire !

NINETTA.

Madame votre nièce est dans une grande inquiétude.

PLANTUREUX.

Caroline !...

À part.

Je m’y habitue !

NINETTA.

Elle vient de s’apercevoir que, ce matin, dans sa promenade, elle a perdu une jarretière avec une agrafe en diamants.

PLANTUREUX.

Ah ! bah !... Il faut retrouver ce bijou à tout prix !... je vais courir... promettre une récompense, retardez vos œufs à la coque...

Il sort vivement par le fond.

 

 

Scène VI

 

NINETTA, puis GASTON DE NERVILLE

 

NINETTA.

C’est très imprudent de porter des jarretières en diamants... Si les voleurs le savaient...

Gaston entre par le fond, s’approche doucement de Ninetta et l’embrasse. Ninetta sans se retourner.

Ah ! je sais qui !... qu’est-ce que vous voulez pour votre déjeuner ?

GASTON.

Ce que tu voudras...

Il l’embrasse de nouveau.

NINETTA.

Enfin, chaque peuple à ses usages.

GASTON, tirant une jarretière de sa poche.

Mais quelle est la princesse des Mille et une Nuits qui peut porter des diamants à ses jarretières ?

NINETTA.

Ah ! vous l’avez trouvée ?...

GASTON.

Oui... dans la montagne...

NINETTA.

Elle appartient à une jeune dame qui habile l’hôtel... et qui est bien inquiète... Donnez-la-moi, je vais la lui porter...

GASTON.

Est-elle jolie, cette dame ?

NINETTA.

Charmante.

GASTON.

Puisqu’elle est jolie... je ne la remettrai qu’à elle-même...

NINETTA.

En voilà une idée !

GASTON.

Je la crois bonne, et j’y tiens !

Couplets.

NINETTA.

Ainsi, parce qu’elle est jolie,
Vous voulez la faire rougir...
Ah ! de grâce, pas de folie !
Vous pourriez vous en repentir...
Si c’était son gant, son bouquet,
Un éventail, un bracelet,
Cela se pourrait ;
Mais lui rendre un pareil objet,
Y pensez-vous ? c’est indiscret !
Très indiscret !

GASTON, parlé.

Cela ne te regarde pas.

NINETTA.

Il faut bien que monsieur le sache,
Cette fois on n’embrasse pas...
Elle a même un oncle à moustache
Qui la suit partout pas à pas.
Si c’était son gant, son bouquet,
Un éventail, un bracelet,
Cela se pourrait,
Mais lui rendre un pareil objet,
V pensez-vous ? c’est indiscret,
Très indiscret !

GASTON.

Allons, dépêche-toi !

NINETTA.

Puisqu’il le faut... je vais la prévenir... mais, je vous le répète, on n’embrasse pas... il y a un oncle... avec des moustaches... on n’embrasse pas !

GASTON.

Mais toi, c’est différent.

Il l’embrasse.

NINETTA.

Il est incorrigible !

Elle sort.

 

 

Scène VII

 

GASTON, puis NINETTA

 

GASTON.

J’avoue que voilà une façon assez originale de faire connaissance avec une jeune et jolie femme... Nous allons causer jarretières... c’est la situation qui le veut !...

NINETTA, rentrant.

Monsieur ?

GASTON.

Eh bien !... cette dame ?

NINETTA.

Eh bien, cette dame n’ose pas venir... Elle vous prie d’avoir l’obligeance de me la remettre.

GASTON.

Non, non, je ne la remettrai qu’à elle seule !

NINETTA.

Mais...

GASTON.

Dis-lui que je suis très entêté.

NINETTA.

Ah ! oui... vous l’êtes...

Elle rentre.

 

 

Scène VIII

 

GASTON, puis CAROLINE, puis PLANTUREUX

 

GASTON, seul.

Pauvre petite femme ! elle doit être bien embarrassée ! bien troublée...

Apercevant Caroline qui entre.

Elle ! ravissante !...

CAROLINE, très intimidée.

Monsieur... c’est moi.

GASTON.

Enchanté, madame !... Mais permettez-moi d’abord de me présenter : Le chevalier de Nerville.

Ils échangent une révérence.

Un compatriote... car vous êtes Française, je crois ?...

CAROLINE.

Oui, monsieur.

GASTON.

De Paris ?

CAROLINE.

Oui, monsieur.

GASTON.

Vous allez ?

CAROLINE.

Mais...

GASTON.

Oh ! pardon !... on m’a dit, madame, que vous avez égaré quelque chose.

CAROLINE.

En effet, monsieur.

GASTON, avec sang-froid.

Quoi, madame ?

CAROLINE, très embarrassée.

Mais... vous savez bien... je croyais que Ninetta...

Duo.

GASTON.

  Eh bien ! dépeignez moi la chose.

CAROLINE.

  C’est une agrafe en diamant.

GASTON.

Désignez plus exactement,
Ce n’est pas tout... je le suppose...

CAROLINE, à part.

Hélas !
Quel embarras !
Je n’ose pas.

GASTON.

De son embarras
Je ris tout bas.
Il faut, je le vois bien, que je vienne à votre aide ;
Ce bijou que je possède,
En le trouvant, ce doux objet,
Voici le rêve que j’ai fait :

I.

Je rêvais, je rêvais
Que j’étais roi d’Angleterre,
Je rêvais que je créais
L’ordre de la Jarretière ;
Pardon, madame, je rêvais.

II.

Je rêvais, je rêvais,
Cet ordre, ce doux emblème,
Je rêvais que je gardais
Le droit de l’attacher moi-même.
Pardon, madame, je rêvais.

Il rend la jarretière. Caroline remonte.

  Vous partez ?

CAROLINE.

  Il le faut. Tous mes remercîments.

GASTON, à part.

  Partir ainsi déjà ?...

Haut.

  Vous retournez, en France ?

CAROLINE.

  Non... je vais à Venise...

GASTON , à part.

  À Venise ! quel contretemps !

À Caroline.

C’est vraiment n’avoir pas de chance,
Car moi j’en arrive aujourd’hui.

CAROLINE.

  Quoi ! de Venise ?

À part.

Eh ! mais, j’y pense,
Si je l’interrogeais... Je puis avoir par lui
Quelque nouvelle
De l’infidèle.

GASTON, à part.

On ne part pas... c’est fort heureux,
Bientôt pour moi... tout ira mieux !

CAROLINE.

Auriez-vous rencontré, par hasard, à Venise,
Un artiste français, un peintre de talent ?

GASTON.

  Son nom ?

CAROLINE.

  Hector de Lussan.

GASTON.

Oui... vraiment...
C’est mon meilleur ami, et voyez la traîtrise,
Il m’a ravi la Fioretta.

CAROLINE.

  Que dites-vous ? la Fioretta ?

GASTON.

  Une chanteuse à l’Opéra.

CAROLINE.

Il trahit sa foi,
Il se rit de moi,
Malgré ma tendresse !
Hélas ! l’ingrat me délaisse !

GASTON.

  Cet Hector de Lussan vous tiendrait-il au cœur ?

CAROLINE.

  Je ne le connais pas...

À part.

Cachons bien ma douleur.
De mon mari que vais-je apprendre ?...

GASTON.

  À votre amour, peut-être, Hector osa prétendre.

CAROLINE.

  Jamais !

GASTON, à part.

C’est fort heureux,
Cela va mieux, bien mieux.

CAROLINE.

Il trahit sa foi, etc.

PLANTUREUX, paraissant.

Madame... Caroline !... le déjeuner est servi...

CAROLINE.

Je suis à vous !...

À Gaston.

Mon oncle... que je vous présente...

GASTON, saluant.

Monsieur !...

CAROLINE.

Un ancien officier du roi !... Il était à la prise de Mahon.

PLANTUREUX, à part, étonné.

Moi ?

Haut.

Oui, monsieur, j’y étais... et plutôt deux fois qu’une...

GASTON, à part.

Il n’a pas l’air commode, l’oncle... Bah ! je lui ferai raconter ses campagnes.

CAROLINE, à Plantureux.

Dans un instant... je vous rejoins !...

GASTON, à part.

C’est elle qui l’éloigne !

PLANTUREUX.

Bien, Caroline, bien, Caroline.

Il sort.

CAROLINE, à Gaston.

De quoi parlions-nous ? Ah ! de cette chanteuse !

GASTON.

La Fioretta !

À part.

Est-ce qu’elle serait jalouse de quoi ?...

Haut, avec feu.

Je vous jure, madame, que je ne l’ai jamais aimée... Nous avons fait quelques promenades en gondole... promenades de politesse... mais jamais mon cœur...

CAROLINE.

Et vous disiez que monsieur de Lussan ?...

GASTON.

Le traître me l’a enlevée !

CAROLINE.

Lui !... ah ! c’est indigne !...

GASTON.

Il faut l’excuser... il a épousé une vieille femme !

CAROLINE, vivement.

Une vieille femme ?

GASTON.

Laide et méchante... d’un caractère affreux.

CAROLINE.

Mais qui vous a conté tout cela ?

GASTON.

Pardieu ! lui... Hector... bien souvent... J’ai même une lettre à lui remettre en arrivant à Paris, à cette pauvre vieille.

CAROLINE, à part.

Une lettre ?

GASTON.

Mais je ne suis plus sûr d’y aller, à Paris : on veut m’y marier... j’ai eu la faiblesse d’y consentir...

La regardant.

et depuis cinq minutes la pensée de quitter l’Italie, de me séparer des merveilles qu’on y rencontre... J’ai modifié mon itinéraire... et je crois, madame, que je vais retourner à Venise.

CAROLINE.

Eh bien ! et votre lettre ?

GASTON.

Oh ! je la mettrai à la poste... un jour ou l’autre... la petite vieille attendra.

CAROLINE.

J’ai justement un courrier à envoyer en France, et j’y joindrai votre missive, si vous voulez bien me la confier.

GASTON.

Ah ! que vous êtes bonne !

Lui remettant la lettre, et avec feu.

Ah ! madame, je ne sais comment vous exprimer ma reconnaissance !... Non !... ce ne sera pas assez de toute ma vie...

CAROLINE, riant.

Comment, monsieur, pour une lettre !

GASTON.

Excusez-moi, je ne sais plus ce que je dis... je deviens fou !... Je ne vais plus en France, madame, je retourne à Venise.

CAROLINE.

Mais, monsieur....

GASTON.

Permettez que j’aille donner des ordres pour mon départ.

Saluant.

Madame !

CAROLINE, saluant.

Monsieur !

GASTON, à part, en sortant.

Le diable m’emporte ! me voilà amoureux !

Il sort.

 

 

Scène IX

CAROLINE, puis NINETTA

 

CAROLINE, seule.

Hector... il me trahirait... non, c’est impossible... voyons sa lettre... Ah ! je tremble... je n’ose pas...

Air :

Ô gentille et mignonne lettre !
Au moment de t’ouvrir, je sens battre mon cœur.
Petite lettre !
Sous tes plis tu caches peut-être
Une preuve de mon malheur !
Ah ! sans doute tu vas me dire
Qu’il m’adore plus que jamais...
Hélas ! quoi qu’il ait pu m’écrire,
Je doute de lui désormais ;
Hier encor ces lignes serrées
Auraient vite trouvé le chemin de mon cœur,
Et je les aurais dévorées
En les baisant avec ardeur.
Ô gentille et mignonne lettre !
Au moment de t’ouvrir, je sens battre mon cœur !
Petite lettre ! etc.

Allons, allons du courage.

Elle lit.

« Ma chère petite femme... »

Parlé.

Sa chère petite femme !...

Lisant.

« Si tu m’aimes ne viens pas me rejoindre... car je ne pourrais jouir de ta présence... je suis enfermé dans un couvent de Chartreux où les dames ne sont pas admises. »

Parlé.

Ah ! c’est trop fort !

Lisant.

« Je peins la vie de saint Bruno... elle est très longue... je ne serai libre que dans six mois... Je couche sur une planche, je ne mange que des légumes cuits à l’eau... mais ton souvenir me soutient et la solitude semble encore augmenter mon amour ! »

Froissant la lettre.

Ah ! le traître ! l’hypocrite ! le perfide !... Je comprends maintenant pourquoi il me tenait éloignée... ma présence l’aurait troublé dans ses amours avec cette chanteuse... cette Fioretta... C’est décidé... je continue mon voyage... je vais à Venise...

NINETTA, entrant.

Madame !

CAROLINE.

Que voulez-vous ?

NINETTA.

Le déjeuner est servi dans le jardin... monsieur votre oncle vous attend.

CAROLINE.

C’est bien ! j’y vais.

À part en sortant.

Dans trois jours je serai à Venise.

 

 

Scène X

 

NINETTA, HECTOR DE LUSSAN, GASTON, MATTEÏ

 

NINETTA, seule.

Quel drôle de déjeuner ! des œufs à la coque... du chocolat... des oranges... tout ça sans fromage... ça ne sera pas bon.

Gaston entre avec Hector suivi de Matteï, qui tient son porte-manteau.

GASTON, à Hector.

Toi ici ?... quel hasard !... quelle rencontre !... Qui t’amène dans cette auberge ?...

HECTOR.

Parbleu ! un charmant corricolo qui s’y arrête tous les jours... Ah ! je viens de faire, mon ami, le plus ravissant voyage !

GASTON.

Ah ! bah ! vraiment ?

Air.

HECTOR.

Entendez le joyeux grelot
Du gai corricolo !
Voilà le gai corricolo !
Il vient, et dans sa course folle
En plein soleil il vole, vole !
Clic, clac, ohé ! clic, clac, ého !
Voilà le gai corricolo !
Quels torrents de poussière !
Et que de cris confus !
– C’est notre heure dernière !
Ah ! nous sommes perdus ! –
– Rassurez-vous, ma voisine,
Dit le voisin en pressant
Une main tremblante et fine
Que par frayeur on lui tend.
Le fouet claque dans l’espace
Et couvre en résonnant
Le bruit d’un baiser qui passe
Et qu’emporte le vent !
Entendez, etc.

NINETTA, entrant, à Gaston.

Monsieur le voyageur !

HECTOR, apercevant Ninetta.

Ah ! la belle enfant !... une chambre s’il vous plaît.

Il l’embrasse.

MATTEÏ.

Ah ! encore !

NINETTA, bas à Matteï.

Puisque c’est un Français !

MATTEÏ.

Mais cependant...

NINETTA.

Tenez, vous êtes ridicule... vous feriez mieux de venir m’aider...

Ils entrent dans l’auberge en se disputant.

GASTON.

Voyons, toi que j’ai laissé à Venise, que tu ne voulais pas quitter, comment se fait-il ?

HECTOR.

C’est bien simple... La Fioretta est en représentation à Milan, et je vais l’y rejoindre... Mais toi, je te croyais galopant sur la route de France.

GASTON.

Oh ! j’ai changé aussi d’idée.

HECTOR.

Comment !... Et ton mariage ?...

GASTON.

Ah ! je t’en supplie, ne me parle pas de ça ! mon ami... je suis amoureux !

HECTOR.

Ah ! bah !

GASTON.

Je viens de voir dans cette auberge une femme ravissante... qui va à Venise... alors j’y retourne !...

HECTOR.

Pas possible !

GASTON.

Quant à ta lettre, sois tranquille, je l’ai remise en mains sûres !

HECTOR.

Ah ça ! j’espère que tu vas me présenter à cette beauté foudroyante.

GASTON.

C’est facile... elle déjeune là... dans le jardin ; regarde...

HECTOR, s’approchant.

Voyons... je suis curieux...

Regardant.

Ah ! ventrebleu !

GASTON.

Elle est belle, n’est-ce pas ?

HECTOR.

Elle ici ! mais je ne me trompe pas ! Ah ça ! je te défends de penser à elle.

GASTON.

Pourquoi ?

HECTOR.

Parce que... parce que c’est ma femme !

GASTON, riant.

Ta femme !

HECTOR.

Légitime... ma parole d’honneur !

GASTON.

Allons donc, toujours ton système... dès que je regarde une femme, c’est une de tes parentes.

HECTOR.

Mais je te jure !...

Duetto.

GASTON.

Ta, ta, ta, je devine !
C’est encore une cousine !

HECTOR.

  Tu te moques, j’imagine.

GASTON.

À Venise rappelle-toi
Cette Française si jolie,

HECTOR.

Je me souviens même, je croi
Que tu l’aimais à la folie.

GASTON.

Tu me dis : Respecte ma sœur.
Je t’obéis et je m’incline ;
Mais huit jours après, serviteur,
Elle n’était que la cousine !

HECTOR.

Soit... j’ai quelque peu menti,
Mais je te jure aujourd’hui !

GASTON, riant.

  Ta, ta, ta, je devine !
  C’est encore une cousine.

HECTOR.

  Ce n’est pas une cousine.

Allant au fond.

Mais regarde donc, malheureux,
C’est une beauté sans pareille !

HECTOR.

Des traits charmants de jolis yeux,
C’est un trésor merveille !

GASTON.

Mais tu m’as dit plus de cent fois
Que ta femme était vieille.

HECTOR.

  Comment, j’ai dit cela...tu crois ?

GASTON.

   Je m’en souviens à merveille !

HECTOR.

Pour m’excuser, mon ami,
J’avais quelque peu menti.

GASTON, riant.

Ta, ta, ta, je devine !
C’est encore une cousine !

HECTOR.

  Tu te moques, j’imagine !

GASTON.

Mais je te préviens que tu n’arriveras pas facilement à ton but... elle a un gardien... elle voyage avec un vieux militaire qui n’a pas l’air tendre.

HECTOR.

Son oncle !

GASTON.

Comment ! tu le connais ?

HECTOR.

Le général ! c’est lui qui a fait notre mariage... je l’ai grisé le jour de la noce... il m’adore...

 

 

Scène XI

 

NINETTA, HECTOR, GASTON, MATTEÏ, PLANTUREUX

 

PLANTUREUX, entrant ; à lui-même.

Personne pour nous servir... Où diable est passé le garçon ?

GASTON, à part.

Ah ! son oncle.

PLANTUREUX, les apercevant et les saluant.

Ah ! messieurs...

HECTOR, le saluant avec indifférence.

Monsieur !

GASTON, à part, étonné.

Tiens ! il ne le connaît pas plus que ça ?

PLANTUREUX, au fond.

Garçon !

GASTON, bas, à Hector.

Tu me disais donc que le général était un père pour toi ?

HECTOR.

Ah ! mon ami, il doit nous laisser toute sa fortune... tu vas le voir me sauter au cou.

GASTON.

Vraiment !

À part.

Je ne suis pas fâché de le faire causer un peu avec son oncle.

À Plantureux.

Monsieur, permettez-moi de vous présenter un de mes amis qui arrive de Venise ; vous vous y rendez, et si vous avez besoin de quelques renseignements...

HECTOR, à Plantureux.

Monsieur... tout à vos ordres.

PLANTUREUX.

Ah ! monsieur arrive de Venise ?... On dit que c’est gentil !

HECTOR.

Superbe !... la ville des doges !

PLANTUREUX, à Hector.

Je me suis laissé raconter que les rues étaient des vières et qu’il y avait beaucoup de lacunes.

HECTOR, le reprenant.

Lagunes !

PLANTUREUX.

Non ! lacune... la terre manque, c’est une lacune...

HECTOR.

C’est juste !

À part, le quittant.

Qu’est-ce que c’est que cet imbécile-là ?...

Il remonte.

PLANTUREUX, bas, à Gaston.

Je ne le crois pas très instruit, monsieur votre ami.

GASTON.

C’est un peintre !

Bas, à Plantureux.

Auriez-vous l’obligeance de prévenir madame votre nièce qu’une personne de sa connaissance désire lui parler ?

PLANTUREUX.

Une personne...

GASTON.

Monsieur Hector de Lussan, qui a une communication importante à lui faire.

PLANTUREUX.

Une communication importante... j’y vais tout de suite.

Il sort.

 

 

Scène XII

 

GASTON, HECTOR, puis PLANTUREUX et CAROLINE

 

GASTON, à Hector.

Eh bien !

HECTOR.

Quoi ?

GASTON.

Hector, mon ami, tu manques complètement des sentiments de famille.

HECTOR.

Moi ?

GASTON.

Tu viens de causer cinq minutes avec ton oncle !... et tu as été d’une froideur...

HECTOR.

Cet imbécile... je ne le connais pas...

GASTON.

Parbleu ! je l’ai bien vu... et quant à sa nièce ?...

HECTOR.

Ma femme ! c’est différent... Tu vas voir... je cours.

GASTON.

C’est inutile.

Caroline entre suivie de Plantureux.

Quatuor.

GASTON, à part.

La voilà... la voilà...

HECTOR, à part.

C’est elle !

GASTON, à part.

Comme elle est belle !

CAROLINE, à part.

Le voilà ! le voilà !

HECTOR, à part.

C’est bien elle !

CAROLINE, à part.

Vengeons-nous de mon infidèle !

HECTOR, à Gaston.

Tu vas la voir se jeter clans mes bras !

CAROLINE, à Plantureux.

Mon oncle... ici... qui me demande ?...

HECTOR.

C’est moi...

CAROLINE.

Pardon, monsieur, je ne vous connais pas.

GASTON, riant.

J’en étais sûr...

HECTOR.

Ah ! ma surprise est grande !
Comment ! vous ne me connaissez pas ?

CAROLINE.

Non !

HECTOR.

  Vous ne m’avez jamais vu ?

CAROLINE.

  Non !

HECTOR.

Et vous ne portez pas mon nom ?

CAROLINE.

Non ! cent fois non ! mille fois non !
Monsieur, vous perdez la raison.
Ah ! quelle effronterie !
Cette plaisanterie
Ne me plaît pas du tout,
Elle est de mauvais goût.

GASTON.

Tu voulais nous en faire accroire !
Mon cher, invente une autre histoire !

PLANTUREUX, à Caroline.

Quel est donc cet audacieux
Qui vous parle ainsi sous mes yeux ?...

CAROLINE.

Monsieur, celle plaisanterie
Ne me plaît pas du tout, du tout,
Elle est de mauvais goût.

GASTON et PLANTUREUX.

Ah ! quelle effronterie !
Cette plaisanterie
Ne nous plaît pas du tout,
Elle est de mauvais goût !

HECTOR.

Ah ! quelle effronterie !
Cette plaisanterie
Ne me plaît pas du tout,
Elle est de mauvais goût !

HECTOR, à Gaston.

Tu vas voir.

À Caroline.

Madame... veuillez m’entendre.

CAROLINE.

Je vous écoute... monsieur...

Mélodie.

I.

HECTOR, à Caroline, très bas et comme en confidence.

Rappelez-vous le temps heureux,
L’heure envolée,
Où nous allions rêver tous deux
Sous la feuillée,
Tout se taisait autour de nous
Hors la fauvette,
Qui disait son chant triste et doux,
Sa chansonnette.
Vous uriez de n’être qu’à moi,
Vous étiez émue, attendrie ;
Faut-il sitôt trahir sa foi !
Faut-il que sitôt on oublie !

II.

La rosée avait, ce jour-là,
Parmi les branches,
Semé, jeté, par-ci, par-là,
Ses perles blanches...
Comme deux enfants, en riant
De notre rire,
Nous nous promenions doucement...
Sans rien nous dire !
Ah ! vous vouliez n’être qu’à moi,
Vous étiez émue, attendrie,
Faut-il sitôt trahir sa foi !
Faut-il que sitôt l’on oublie !

CAROLINE, haut.

Ah ! pour jouer la comédie
Vous possédez un merveilleux talent.

HECTOR.

  Mais c’est trop fort !

GASTON, riant.

Mauvais plaisant,
Tu vois bien qu’on te congédie.

PLANTUREUX, à part.

Si cela ne doit point finir,
Je suis forcé d’intervenir.

CAROLINE.

Ah ! monsieur, cette plaisanterie
Ne me plaît pas du tout, du tout,
Elle est de mauvais goût.

HECTOR.

Ah ! quelle effronterie !
Cette plaisanterie
Ne me plaît pas du tout,
Elle est de mauvais goût !

GASTON, PLANTUREUX.

Ah ! quelle effronterie !
Cette plaisanterie
Ne nous plaît pas du tout,
Elle est de mauvais goût !

CAROLINE, à Plantureux.

Délivrez-moi des importunités de ce monsieur, général...

PLANTUREUX, à part.

Général !...

Haut.

J’en fais mon affaire... rentrez, Caroline...

HECTOR, à Caroline qui sort.

Un mot, madame...

PLANTUREUX.

Rentrez, Caroline... votre oncle le général saura vous faire respecter...

CAROLINE.

Très bien, général !

Elle sort.

PLANTUREUX, à Hector.

Il y a des gens, monsieur, qui oublient ce qu’on doit aux dames ! c’est une lacune !... je répète le mot... c’est une lacune !...

Il entre majestueusement dans l’auberge où est entrée Caroline.

 

 

Scène XIII

 

GASTON, HECTOR

 

HECTOR.

C’est incroyable ! et je ne puis comprendre.

GASTON.

Allons...ta ruse est éventée... garde la Fioretta... et laisse-moi ma conquête.

HECTOR.

Par exemple !

GASTON.

Une femme adorable !... De l’esprit... du cœur... des yeux... une main... et une jambe...

HECTOR.

Quoi ? une jambe !...

GASTON.

D’une distinction !... Elle porte des jarretières en diamant... je l’adore... j’en suis fou !...

Il sort vivement.

 

 

Scène XIV

 

HECTOR, puis CAROLINE

 

HECTOR, Seul.

Il a vu ses jarretières ! Allons donc, un fat qui se vante... c’est un fat, sans doute... mais c’est égal... recevoir un pareil aveu en pleine poitrine, ça trouble un mari.

Caroline paraît sur le seuil de la porte.

CAROLINE, à part.

Il est seul !

HECTOR.

Ah ! vous voilà, madame... me ferez-vous enfin l’honneur de me reconnaître ?

CAROLINE.

Volontiers... il n’y a pas de témoins...

HECTOR.

Comment ?

CAROLINE.

Si j’avais eu l’imprudence d’avouer devant le monde que vous êtes mon mari... je vous aurais donné des droits sur ma personne... et, en ce moment, j’ai besoin de toute ma liberté...

HECTOR.

Votre liberté... et qu’en voulez-vous faire ?

CAROLINE.

J’ai projeté un petit voyage... je veux aller à Venise... pour prendre des renseignements sur certaine chanteuse.

HECTOR, à part.

Aïe !...

CAROLINE.

Dont on parle beaucoup...

HECTOR.

Une chanteuse...

CAROLINE.

La Fioretta ?

HECTOR.

Je ne connais pas...

CAROLINE.

Oh ! vous êtes si occupé à peindre la vie de saint Bruno... dans votre couvent des Chartreux, où l’on dort sur une planche...

HECTOR , à part.

Elle se moque de moi !

CAROLINE.

Tenez, avouez tout... et peut-être pourrais-je vous pardonner...

HECTOR.

Moi !... je n’ai rien à avouer... je ne sais ce que vous voulez dire.

CAROLINE.

C’est votre dernier mot ?...

HECTOR.

Certainement.

CAROLINE.

Très bien... je pars pour Venise !

HECTOR.

Permettez... Il serait au moins convenable de me demander mon consentement.

CAROLINE.

À quoi bon ?

HECTOR.

Mais, je suis votre mari..

CAROLINE.

Mon mari, vous !... Non, vous êtes le mari d’une femme vieille, laide, acariâtre... vous l’avez dit partout, et cela crie vengeance !...

HECTOR.

Mais...

CAROLINE.

Mon passeport et mon signalement sont en règle, je voyage avec mon oncle monsieur de Plantureux ; quant à vous... une rencontre d’auberge... je ne vous connais pas.

HECTOR.

Ah ! c’est trop fort ! Et puisqu’il en est ainsi, puisque vous me poussez à bout, je vous jure, madame, que vous ne partirez pas ! Serviteur !

Il salue et sort.

 

 

Scène XV

 

CAROLINE, puis NINETTA, MATTEÏ et GASTON

 

CAROLINE, seule.

Je vous jure, moi, que je partirai.

Elle appelle.

Ninetta ! Ninetta !

Ninetta, Matteï et Gaston accourent, au bruit.

NINETTA.

Ce bruit !...

GASTON.

Qu’y a-t-il ?

CAROLINE.

J’avance l’heure de mon départ.

À Matteï.

Que tout soit prêt dans cinq minutes !

MATTEÏ.

Tout de suite, madame !

Il sort.

GASTON.

Les routes ne sont pas sûres... Me sera-t-il permis, madame, de vous accompagner ?

CAROLINE.

Comment donc !... Mais avec plaisir... un jeune homme distingué, noble, bien élevé !...

À part.

Hector en mourra de jalousie.

GASTON.

Ah ! madame !... Ce n’est pas assez de toute ma vie !...

CAROLINE.

Oui, plus tard !

À Ninetta.

Venez m’aider à fermer mes malles.

Elle entre dans l’auberge suivie de Ninetta.

 

 

Scène XVI

GASTON, puis HECTOR

 

GASTON, seul.

Un jeune homme, distingué, noble, bien élevé !... Je crois que c’est assez clair ! Décidément, je ne me marie plus... je vais écrire à ma mère que je n’ai pas l’âge.

Il se met à une table, tire son calepin et écrit. Hector entre par le fond avec une roue de voiture qu’il fait rouler devant lui comme un cerceau.

Finale.

HECTOR.

Entendez le joyeux grelot
Du gai corricolo.

GASTON, parlé sur la musique.

Qu’est-ce que tu fais là ?

HECTOR.

Tu le vois... J’ai démonté la roue de son corricolo et je vais la brûler... comme cela, ta belle inconnue ne partira pas...

Il sort en faisant rouler la roue comme un cerceau d’enfant.

 

 

Scène XVII

 

GASTON, puis NINETTA, MATTEÏ, CAROLINE, PLANTUREUX, puis HECTOR, PAYSANS et PAYSANNES

 

GASTON, parlé sur la musique.

Tiens ! ce n’est pas maladroit, ce qu’il fait là... mais j’y songe ! Il ruine tous mes projets... impossible de partir maintenant... Ah ! quelle idéel... Je suis sauvé...

Ninetta entre avec les paquets ; Gaston l’embrasse et sort vivement par le fond en disant :

Je suis sauvé !

MATTEÏ, qui entre par le fond.

Encore un !... quelle inconvenance !

MINETTA.

Mais puisque c’est l’usage en France !
Voilà nos voyageurs, silence devant eux.

MATTEÏ.

Soit ! Je me tais... mais je suis furieux !

CAROLINE, entrant.

Allons, mettons-nous en route !

PLANTUREUX.

En route !

MINETTA.

En route !

CAROLINE, à Matteï.

Ça le corricolo n’est-il pas prêt ?

MATTEÏ.

Sans doute,
Moi-même j’avais attelé.

CAROLINE.

Eh bien ! mettons-nous en route.

MATTEÏ.

C’est que... quelqu’un nous a volé
Une roue...

CAROLINE.

Et qui donc ?

MATTEÏ.

Je n’ai pu le savoir...
Nous voici retenus ici jusqu’à ce soir...

CAROLINE.

Jusqu’à ce soir...

TOUS.

Jusqu’à ce soir !

GASTON, venant de la droite en faisant router devant lui une roue de voiture.

Entendez le joyeux grelot
Du gai corricolo.

CAROLINE, étonnée.

Comment ? une roue !

GASTON.

Et qui tourne a ravir,
Ce cher Hector avait volé la vôtre.
Et pour m’en procurer une autre
J’ai pris la sienne... et nous allons partir.

Il disparaît.

TOUS.

Ah ! quelle étrange aventure !

CAROLINE.

Hector comptait nous retenir,
Je vois d’ici sa figure,
Quand il nous verra partir.

TOUS, riant.

Ah ! la drôle d’aventure !

GASTON, reparaissant un fouet à la main.

En voiture !... En voiture !
C’est l’heure de partir !

À Caroline.

Daignez accepter ma main,
Montons... mettons-nous en chemin...

TOUS.

Montons... mettons-nous en chemin.

On monte, on s’installe ; puis le corricolo part. Le bruit des grelots du cheval s’éteint peu à peu.

CAROLINE, au loin.

Un baiser, par-ci, par-là,
Ah ! le grand mal que voilà !
Si par hasard on lui vole
Un doux baiser qui console,
Ah ! ne dis rien, on le paiera !
Ah ! le grand mal que voila !

HECTOR, entrant.

Tiens ! ce voyageur n’est plus là...

MATTEÏ.

Votre ami... Il vient de partir avec cette jeune dame... et ma fiancée.

HECTOR.

Et c’est toi... qui as favorisé leur fuite !

Le prenant à la gorge.

Misérable.

MATTEÏ.

Ah ! l’on m’égorge... à l’assassin !

LES PAYSANS, accourant.

Pourquoi cette rage ?
Quel est ce tapage ?

HECTOR.

C’est ma femme... Je suis le mari !...

CHŒUR, se moquant de lui.

Ah ! le tour, est bon sur mon âme ;
Quoi ! vraiment c’était sa femme
Qu’il se laisse prendre ainsi ?
Ah ! le drôle de mari !

HECTOR.

Je suis le mari,
Je l’atteindrai, Dieu merci !

CAROLINE, au loin.

Un baiser par-ci, par-là !
Ah ! le grand mal que voilà !

LE CHŒUR, riant.

Ah ! ah ! ah !

 

 

ACTE II

 

Le théâtre représente une place publique. À gauche, l’entrée de la demeure du Podestat. À droite, la porte d’une hôtellerie, avec perron et balcon au-dessus. Au fond, le mur de la ville : et à gauche, une grande porte. Un banc adossé à la maison de Podestat.

 

 

Scène première

 

PAYSANS, PAYSANNES, puis LE PODESTAT, LE TRÉSORIER

 

Introduction.

Chœur.

LES PAYSANS.

Comme à la fête de Noël,
À notre saint, pour rendre hommage
Nous apportons, selon l’usage,
Des bouquets, des fruits et du miel !

TOUS.

On dansera cette semaine,
De saint François c’est la neuvaine !

LES PAYSANNES.

Nous quittons la plaine et les champs,
Menant, dans un joyeux cortège,
Un agneau plus blanc que la neige,
Couvert de fleurs et de rubans.

TOUS.

On dansera cette semaine,
De saint François c’est la neuvaine !

LES PAYSANNES, allant au fond.

Mais regardez là-bas ?
Ne le voyez-vous pas ?

TOUS.

Comme il trotte,
Saute,
Notre podestat !
Honneur à ce grand potentat !

LE PODESTAT, entrant, suivi du Trésorier, qui porte un grand sac vide.

Duetto.

Quel état !
D’être podestat,
On croit que c’est facile
J’en deviens imbécile.

LE TRÉSORIER.

Imbécile !

LE PODESTAT.

Cette nuit, quand tout reposait,
J’ai vu le dix de trèfle en rêve ;
Rêver trèfle, chacun le sait,
C’est signe d’argent, je me lève.
Nous partons.

LE TRÉSORIER.

Nous trottons !

LE PODESTAT.

Nous nous disons en route,
C’est l’impôt...

LE TRÉSORIER.

Qui bientôt
Va nous rentrer sans doute.

LE PODESTAT.

Quelle erreur ! L’un me dit : Demain ;
L’autre me dit : Voyez mes poches.
Le boulanger m’offre du pain
Et le pâtissier des brioches.
Boutiquiers.

LE TRÉSORIER.

Et rentiers,
Nous font même réponse.

LE PODESTAT.

Pas d’argent.

LE TRÉSORIER.

Pour l’instant,
À la fin j’y renonce !

LE PODESTAT.

Et je rentre brisé.

LE TRÉSORIER.

Moulu !

LE PODESTAT.

Énervé, mécontent.

LE TRÉSORIER.

Fourbu !

LE PODESTAT.

Pourtant j’ai rêve trèfle.

LE TRÉSORIER.

Erreur !

LE PODESTAT.

C’est bien un pronostic.

LE TRÉSORIER.

Menteur !

ENSEMBLE.

Nous n’avons rien dans la sacoche,
Rien dans les mains, rien dans la poche.

LE PODESTAT.

Podestat !
Quel état !
On croit que c’est facile,
J’en deviens imbécile.

LE TRÉSORIER.

Imbécile !

LE PODESTAT.

Le diable vous emporte !
Me traiter de la sorte !
Me laisser sans un sou,
C’est à devenir fou.

LE CHŒUR.

Grand podestat, excusez-nous,
Voyez nos tourments, notre peine.
De saint François c’est la neuvaine,
Et notre saint passe avant vous.

Fin de l’introduction.

Les Paysans et Paysannes sortent.

LE PODESTAT.

Ah ! les brigands ! ah ! les pendards ! me laisser ainsi !

LE TRÉSORIER.

Calmez-vous, monseigneur, calmez-vous !

LE PODESTAT, prenant le sac vide des mains du trésorier.

Voilà le trésor public !

Il en tire un mouchoir de poche.

C’est tout ce qu’il y a dedans... et Venise, dont je relève, me presse d’acquitter le tribut annuel que je lui dois... j’ai déjà reçu une dépêche aigre-douce...

LE TRÉSORIER.

Mais je ferai observer humblement à monseigneur le Podestat qu’il a chargé, il y a deux mois, son neveu le marquis Jacintafioraventipantanello de porter à Venise les six mille sequins que nous lui devons.

LE PODESTAT.

Mon neveu est un scélérat, un bandit... il a fait en route la connaissance d’une créature de théâtre... et ils ont ensemble croqué le tribut.

LE TRÉSORIER.

Est-il possible ?

LE PODESTAT.

Aussi j’ai tous les gens de théâtre en horreur... J’ai fait fermer toutes les salles de spectacle dans mes États.

LE TRÉSORIER.

Ces pauvres ténors...

LE PODESTAT.

Ils étaient fatigués. Je les ai rendus à l’agriculture ; mais comme cela ne comblait pas le déficit... j’ai été obligé de créer de nouveaux petits impôts... J’ai imposé les voyageurs, leurs malles, leurs chevaux ; malheureusement il ne passe personne, – les routes sont si mauvaises !

LE TRÉSORIER.

Si vous les faisiez réparer.

LE PODESTAT, éternuant.

Et avec quoi ?... Passe-moi le trésor... je crois que je m’enrhume...

Il prend le sac, en tire son mouchoir et se mouche de nouveau.

Alors, je me suis retourné sur mon peuple... impôt sur les duels, les sérénades, les blanchisseuses, les rendez-vous, les déclarations d’amour... Je vais augmenter... notre tarif... je veux te consulter... viens me voir déjeuner...

Il entre dans le palais ; le Trésorier se dispose à le suivre.

LE TRÉSORIER.

Ah ! monseigneur, que de bonté !

LE GARDE.

Qui vive ?

LE TRÉSORIER, revenant en scène.

Hein ?... Qu’y a-t-il ?

LE GARDE.

Ce sont des voyageurs qui arrivent.

LE TRÉSORIER.

Des voyageurs... courons prévenir le Podestat.

Il entre dans le palais.

 

 

Scène II

 

CAROLINE, GASTON, PLANTUREUX, NINETTA, puis LE TRÉSORIER

 

PLANTUREUX.

Enfin nous voilà arrivés !

NINETTA.

Oui, nous voilà à Bergame !

CAROLINE.

Mon oncle, voyez donc à nous trouver une hôtellerie.

PLANTUREUX.

Ah ! nous passons la nuit ici ?

CAROLINE.

Oh ! non ! j’ai donné ordre au corricolo de se tenir prêt à repartir dans deux heures.

GASTON.

Mais ce n’est pas un voyage... c’est une course.

CAROLINE.

Je tremble toujours de voir apparaître votre ami... monsieur Hector.

GASTON.

Oh ! vous n’avez rien à craindre, je l’ai mis dans l’impossibilité de nous poursuivre.

PLANTUREUX.

Ah ! c’est un bon tour !... lui prendre sa roue.

GASTON.

Et comme il a brisé la nôtre...

MINETTA.

Le voilà obligé de s’en faire confectionner une.

CAROLINE.

Il doit être furieux ! Mais il ne se tiendra pas pour battu... il ne tardera pas à courir sur nos traces.

PLANTUREUX.

Je l’en défie bien...

CAROLINE.

Pour plus de sûreté ne disons à personne qui nous sommes.

PLANTUREUX.

C’est convenu.

À Gaston.

Pardon, vous avez un peu de poussière sur votre habit.

Prenant son mouchoir pour épousseter.

Voulez-vous permettre ?...

GASTON, se défendant.

Oh ! général... je ne souffrirai pas...

PLANTUREUX, époussetant.

Si ! si ! vous ne sauriez croire combien ça me fait plaisir !

CAROLINE, bas à Plantureux.

Est-ce que vous perdez la tête ? Remettez tout de suite votre livrée.

PLANTUREUX, remettant son mouchoir dans sa poche.

C’est juste... j’oublie toujours...

LE TRÉSORIER, paraissant et annonçant.

Monseigneur le Podestat !

 

 

Scène III

CAROLINE, GASTON, PLANTUREUX, NINETTA, LE TRÉSORIER, LE PODESTAT

 

LE PODESTAT, saluant.

Mesdames... Messieurs... enchanté de vous voir dans cette ville.

PLANTUREUX.

C’est trop d’honneur, monsieur le podestat.

Tirant son, mouchoir, à part.

Il a aussi de la poussière.

CAROLINE, bas à Plantureux.

Prenez garde !

PLANTUREUX, remettant son mouchoir dans sa poche.

C’est juste !

Sextuor bouffe.

LE PODESTAT.

Quelques mots d’interrogatoire,
Car, modèle des podestats...

LE TRÉSORIER.

  Des podestats !

LE PODESTAT.

J’aime à savoir, je m’en fais gloire,
Qui je reçois dans mes États.

LE TRESORIER.

  Dans mes États !

CAROLINE, à Gaston.

  Cachons-lui qui nous sommes...

LE PODESTAT.

  Êtes-vous nobles ou vilains ?

GASTON.

  Nous sommes gentilshommes.

LE PODESTAT.

  Très bien... alors, c’est deux sequins.

TOUS, se récriant.

  Deux sequins !

LE PODESTAT.

Par personne.
Qu’il faut que l’on me donne.
Consultez le tarif.

LE TRÉSORIER.

  Le tarif.

GASTON.

  Huit sequins pour nous quatre !

LE PODESTAT.

Je n’en puis rien rabattre.
C’est le tarif !

Le Trésorier leur passe une petite planchette.

TOUS, après examen du tarif.

C’est positif,
C’est le tarif !

LE PODESTAT.

Comme de vils croquants sans doute,
À pied vous n’être pas venus ?

CAROLINE.

Notre voiture est sur la route.
Nos deux chevaux étaient rendus.

LE PODESTAT.

  Hein ? Deux chevaux avez-vous dit ?

PLANTUREUX.

  L’un grand et l’autre tout petit.

LE PODESTAT.

  C’est un sequin par bête.

LE TRÉSORIER.

  Par bête.

LE PODESTAT.

  Je veux dire par tête.

LE TRÉSORIER.

  Par tête.

LE PODESTAT.

  Consultez le tarif !

TOUS, après avoir regardé la petite planchette que leur donne le Trésorier.

C’est positif,
C’est le tarif.

LE PODESTAT.

Vous voyagez, je le pense,
Par plaisir.

CAROLINE.

  Pour notre agrément.

LE PODESTAT.

  Bien ! Et vous arrivez ?...

CAROLINE.

  Silence.

GASTON.

  Un peu de partout.

LE PODESTAT.

Ah ! vraiment !
Et vous allez ?

CAROLINE.

À l’aventure,
Admirant la belle nature !

CAROLINE, NINETTA, PLANTUREUX, GASTON, à part.

Ah ! voyez l’allure,
La bonne figure
De ce grand potentat.
Il a bonne mine,
Mais il nous ruine,
Ce charmant podestat !

LE PODESTAT.

La bonne aubaine,
La bonne semaine !
Payez, c’est le tarif,
C’est positif !

LE TRÉSORIER.

  La bonne aubaine !

LE PODESTAT.

  Vous voyagez incognito ?

CAROLINE.

  Complètement.

LE PODESTAT.

  Tous ?

TOUS.

  Tous !

LE PODESTAT.

Bravo !
Quatre incognitos... sans enfants,
Quatre sequins de suppléments.

GASTON.

  Comment, encor ?

LE PODESTAT.

Point de débats,
Payez et ne marchandez pas.
Moi, je suis très rond en affaire,
Incapable de vous surfaire,
D’ailleurs, consultez le tarif.

Ensemble.

CAROLINE, NINETTA, PLANTUREUX, GASTON.

Ah ! voyez l’allure,
La bonne figure
De ce grand potentat.
Il a bonne mine,
Mais il nous ruine,
Ce charmant podestat.

LE PODESTAT.

La bonne aubaine,
La bonne semaine !
Payez ! c’est le tarif,
C’est un peu vif !

LE TRÉSORIER.

  C’est le tarif !

CAROLINE, NINETTA, PLANTURELX, GASTON.

  Payons, c’est le tarif !

CAROLINE.

Payez, mon oncle !

PLANTUREUX, payant.

C’est égal... la vie est chère à Bergame...

LE PODESTAT.

Maintenant, je dois vous prévenir que dans mes États, on ne badine pas avec la morale... le moindre écart se paye huit sequins... et il y en a de plus chers.

PLANTUREUX.

Monsieur le podestat voudrait-il mettre le comble à son obligeance en nous indiquant une hôtellerie pour nous reposer quelques heures ?...

LE PODESTAT.

Volontiers !... Tenez, là !... en face.

PLANTUREUX.

On y est bien ?

LE PODESTAT.

Non... on y est très mal... mais l’hôtelier me doit une année d’impôts... et un écart... Vous me payerez, à moi, votre dépense.

PLANTUREUX.

Enfin, pour quelques heures... entrez, mesdames.

Caroline, Ninetta et Plantureux entrent, dans l’hôtellerie.

GASTON, au Podestat.

Pardon. Je désirerais offrir une sérénade à la dame qui vient de sortir.

LE PODESTAT, regardant.

Une sérénade !... non !... ah ! si, c’est dans le tarif... deux sequins.

GASTON.

Auriez-vous la bonté de me dire où je pourrais trouver des musiciens ?

LE PODESTAT.

Très facile... Nous avons ici un entrepreneur de sérénades... Antonio Capucini... Il est aussi pâtissier, Strada Cattiva... vous demanderez...

GASTON.

Merci... j’y cours.

LE PODESTAT, le rappelant.

Ah ! un mot... vous me payerez à moi... il me doit deux sequins pour cinq gifles données à sa femme.

GASTON.

Ah ! ce n’est pas cher !

LE PODESTAT.

Le tarif est d’un sequin par gifle... mais comme c’est un habitué, je lui fais une remise.

GASTON, à part, sortant.

Il est à mettre sous verre... ce podestat !

Il sort.

 

 

Scène IV

 

LE PODESTAT, LE TRÉSORIER, puis HECTOR, puis CAROLINE, au balcon de l’hôtel

 

LE PODESTAT, au Trésorier, qui s’est endormi sur une chaise.

Monsieur le trésorier.

Le Trésorier s’éveille et se lève.

Eh bien ! ça rentre !... ça rentre !... Voilà ce que c’est que de rêver trèfle !

LE TRÉSORIER.

La journée commence bien.

LE PODESTAT.

Je pourrai bientôt donner un à-compte à la cupide Venise.

UN FACTIONNAIRE, à la porte de la ville.

Qui vive ?

LE PODESTAT.

Qu’est-ce que c’est ?

LE FACTIONNAIRE.

Un voyageur.

LE PODESTAT.

Qu’il soit le bienvenu !

HECTOR, entrant, à part.

Je suis rompu... brisé... douze lieues à chevai, et quel cheval !...

Le Podestat et le Trésorier se sont rapprochés de lui et lui ont fait force saluts, À part.

Ah ! des mendiants !... On ne rencontre que ça dans ce pays...

Au Podestat.

Dis-moi, mon ami.

LE PODESTAT, à part.

Il me tutoie !

HECTOR.

As-tu vu passer ce matin un corricolo avec des voyageurs ?

LE PODESTAT.

Ils arrivent à l’instant... Deux dames et deux gentilshommes.

HECTOR.

Ah !

À part.

Enfin, je les ai rejoints !

Haut.

Et où sont-ils descendus ?

LE TRÉSORIER.

Là... dans cette hôtellerie !

HECTOR.

Merci...

Donnant de l’argent au Trésorier.

Voilà pour toi !

LE PODESTAT, lui barrant le passage.

Pardon !

HECTOR, impatient.

Ah ! j’ai donné pour les deux !

LE PODESTAT.

Monsieur est-il vilain ou gentilhomme ?

HECTOR.

Gentilhomme, parbleu !

LE PODESTAT.

Très bien... voyageur de première classe... c’est deux sequins.

HECTOR.

Quoi ?

LE PODESTAT, montrant une petite planchette.

Voilà le tarif.

HECTOR, à part.

Tiens !... des employés de la douane... je me suis trompé.

Payant.

Voilà.

LE PODESTAT.

Je suppose que vous n’êtes pas venu à pied comme un simple croquant ?

HECTOR.

Je suis venu à cheval... malheureusement... car l’animal était d’un dur !

LE PODESTAT.

Oh ! dur ou doux... c’est le même prix... Vous comprenez, le tarif ne peut pas entrer dans ses nuances-là !

LE TRÉSORIER.

C’est impossible !

LE PODESTAT.

C’est un sequin par bêle !

Se reprenant.

Par tête !

HECTOR, payant ; à part.

Ah ! il commence à m’agacer !

LE PODESTAT.

Maintenant, d’où venez-vous ? où allez-vous ?

HECTOR, perdant patience.

Ah çà ! me laisseras-tu tranquille, animal !

LE PODESTAT, joyeux.

Il m’a appelé animal !... c’est un sequin !

HECTOR.

Encore !

LE PODESTAT, montrant le tarif.

Pour insulte à l’autorité.

HECTOR.

Tiens !... en voilà deux... imbécile.

LE PODESTAT, sautant de joie.

Imbécile !

HECTOR.

Eh bien ! quoi ?... je l’ai payé d’avance.

LE PODESTAT.

C’est juste !

LE TRÉSORIER.

C’est juste !

LE PODESTAT.

Ça rentre... je suis très content.

Au Trésorier.

Je t’invite à assister à mon déjeuner... passe devant.

LE TRÉSORIER.

Ah ! monsieur le podestat ! quel honneur !...

Ils se dirigent vers le palais.

HECTOR, à part.

Le podestat ! ça...

Courant après le Podestat et l’arrêtant.

Pardon... c’est à monseigneur le podestat que j’ai l’honneur de parler ?

LE PODESTAT.

Sans doute !

HECTOR.

Veuillez m’excuser... je suis confus de n’avoir pas deviné...

LE PODESTAT.

Je vois ce qui vous a trompé... c’est ce négligé du matin... un pourpoint que je mets pour aller en recette...

HECTOR.

J’aurais, monsieur le podestat, une consultation à vous demander !

LE PODESTAT, consultant le tarif.

Une consultation !... Non ! ce n’est pas dans le tarif... mais je l’y mets, c’est un sequin... Parlez... mais soyez bref !

HECTOR.

Voilà, en deux mots... Quel moyen dans vos États la loi donne-t-elle à un mari pour faire rentrer dans le devoir une femme qui s’en éloigne ?

LE PODESTAT.

Précisons... Il y a différentes manières de s’éloigner de son devoir ! cela dépend de la distance.

HECTOR.

Je veux parler d’une femme qui s’enfuit avec son ravisseur.

LE PODESTAT.

Oh ! un écart de première classe ! c’est douze sequins !

HECTOR.

Oui, mais quels moyens ?

LE PODESTAT.

C’est très simple... La loi met à la disposition du mari la force publique.

HECTOR, repoussant cette idée.

La force ! la violence ! oh ! non !

À part.

Tiens, au fait ! Excellent moyen de l’effrayer.

Haut.

Eh bien ! monsieur le podestat, j’invoque l’appui de la force publique contre la dame qui est descendue ce matin dans cette hôtellerie et qui est ma femme !

LE PODESTAT.

Comment ! votre femme... pour tout de bon ?

HECTOR.

Mais certainement, ma femme... ma véritable femme !

Air :

Ah ! n’est-ce pas, c’est étonnant !
Cela ne se voit pas souvent
Un mari qui réclame
Sa femme !
En chevalier courtois,
Comme un preux d’autrefois,
Je cours après ma dame !
Ah ! rendez-moi ma femme !
Ma femme !
Du toit conjugal elle a fui !
Malgré mon chagrin, mon ennui,
Je l’aime encore au fond de l’âme !
Bien des maris, en pareil cas,
Se diraient : Le bon débarras !
Vais moi je l’aime et la réclame
Rendez-moi ma femme !
Ma femme !

LE PODESTAT, joyeux.

C’est charmant, il y a longtemps que nous n’avons eu une pareille distraction ! Mais qui prouve que cette dame est votre femme ?

HECTOR.

Ma parole, d’abord, et... puis, je payerai ce qu’il faudra !

LE PODESTAT.

Il est évident que vous êtes son mari... vous ne payeriez pas pour la femme d’un autre.

CAROLINE, paraissant sur le balcon, et reconnaissant Hector ; à part.

Lui !... ici !... Il cause avec le podestat.

LE PODESTAT, à Hector.

Nous disons que vous réclamez le concours de la force armée pour rentrer en possession de madame votre épouse.

CAROLINE, à part.

La force armée !

LE PODESTAT.

Combien voulez-vous de sbires ?

HECTOR.

Dame !

LE PODESTAT.

Est-elle forte ?

HECTOR.

Nerveuse.

LE PODESTAT.

Nerveuse ! Huit sbires... ça vous va-t-il ?

HECTOR.

Va pour huit sbires !...

LE PODESTAT.

Je vais donner des ordres... Avant une heure, je vous ramène votre petite escouade.

HECTOR.

Je vous attends.

LE PODESTAT, s’arrêtant au moment de sortir.

À propos... désirez-vous des menottes ?

HECTOR.

Oh ! c’est inutile...

CAROLINE, à part.

Ce n’est pas malheureux !...

LE PODESTAT, sortant.

De bonnes petites menottes, ça n’est pas cher !

En sortant.

Huit sbires... sans supplément !

 

 

Scène V

 

HECTOR, CAROLINE, au balcon

 

HECTOR.

Elle va être terrifiée.

CAROLINE, éclatant de rire.

Ah ! le charmant petit mari ! qu’il est galant ! qu’il est aimable !

HECTOR.

Comment, vous écoutiez ?

CAROLINE.

On l’embrasserait de grand cœur...

HECTOR.

Ah ! vous vous moquez...

CAROLINE.

De vous et de vos soldats... L’oiseau s’est échappé de la cage... et vous ne le tenez pas encore.

HECTOR.

Oui dà... bel oiseau moqueur !

CAROLINE, riant encore plus fort.

Ah ! ah !

Nocturne.

HECTOR, à Caroline.

Bel oiseau, fauvette blanche,
Sous le ciel d’été,
Que faites-vous, là-haut, sur la branche ?

CAROLINE.

  Je chante ma liberté !

HECTOR.

Comme le loriot, je gage,
Vous chantez un refrain vainqueur,
Mais votre air sera moins sauvage
Et votre rire moins moqueur.

CAROLINE.

Fuyant vos plaintes éternelles,
Je me moque de votre loi !

HECTOR.

Mais je saurai couper vos ailes
Et vous ramener sous mon toit.
Bel oiseau, fauvette blanche,
Sous le ciel d’été,
Que faites-vous, là-haut, sur la branche ?

CAROLINE.

Je chante ma liberté !

HECTOR, se moquant.

Bel oiseau perché sur la branche
Bientôt je prendrai ma revanche.

CAROLINE, idem.

Nenni dà ! C’est ce que l’on verra !

HECTOR.

Rira bien qui le dernier rira !

 

 

Scène VI

 

HECTOR, GASTON, puis LE PODESTAT, GARDES, PEUPLE

 

HECTOR, seul.

Elle se moque de moi... mais patience !

GASTON, entrant, suivi de ses musiciens.

Signor Capucini... placez vos hommes sous cette terrasse... et attendez mes ordres.

Apercevant Hector.

Comment, toi ici ?

HECTOR.

Tu ne m’attendais pas.

GASTON.

Ah ça ! mais c’est une persécution... poursuivre ainsi une dame qui ne te connaît pas... qui, j’ose le dire, ne te témoigne aucune sympathie.

HECTOR.

Oh ! cela peut venir... Tu sais, les femmes...

GASTON, à part.

Allons ! il faut en finir !... d’un coup je vais ruiner toutes ses espérances...

Haut.

Mon ami, je suis obligé de te faire un aveu qui, je l’espère, arrêtera tes projets, et ne laissera place dans ton cœur qu’à un seul sentiment... celui du respect...

HECTOR.

Parle !

GASTON.

Apprends donc que mademoiselle Caroline...

HECTOR.

Ah ! elle est demoiselle ?

GASTON.

Oui... que mademoiselle Caroline est ma fiancée... je dois l’épouser.

HECTOR.

Pas possible !

GASTON.

Tout est d’accord... l’oncle consent... et tu comprends que dans une pareille situation...

HECTOR.

Je n’ai plus qu’à m’incliner... la femme d’un ami... c’est trop juste...

À part.

C’est égal, il me tarde de voir arriver le podestat avec sa petite troupe.

GASTON, qui a donné quelques ordres aux Musiciens, à Hector.

Tu permets... C’est une sérénade que j’offre à ma fiancée.

HECTOR.

Fais donc... fais donc... ne te gêne pas...

Gaston prend une guitare des mains d’un Musicien et chante. Les Capucini l’accompagnent avec leurs guitares.

GASTON.

Sérénade.

Dans mon cœur tout était sombre,
Ton regard a fait le jour
Ta beauté, dissipant l’ombre,
Dans ma nuit porte l’amour.
Ô doux moment !
Heure bénie !
C’est un amant
Qui chante et prie.
Ô doux moment !

HECTOR, parlé.

Continue... Tu n’es pas assez entraînant...

À part.

Donnons au podestat le temps d’arriver !...

GASTON.

Ton amour sera ma vie,
Mon seul bien, mon seul trésor.
Si ton cœur un jour m’oublie,
Ton oubli sera ma mort.
Ô doux moment ! etc.

On entend une marche, puis le Podestat parait, suivi d’une foule nombreuse.

GASTON.

On vient ! Ô surprise fâcheuse !

HECTOR.

C’est monseigneur le podestat,
Suivi d’une foule nombreuse.
Il vient signer à ton contrat.

LE PODESTAT.

Entrez là... mes amis,
Une femme est en ce logis.
Malgré sa résistance
Qu’on la conduise devant moi.

GASTON.

Mais, monseigneur...

LE PODESTAT.

Silence !
Ouvrez, de par la loi !

TOUS, excepté Gaston.

Allons, allons, pas de résistance !
Ouvrez... de par la loi !

 

 

Scène VII

 

HECTOR, GASTON, LE PODESTAT, CAROLINE, NINETTA, PLANTUREUX, GARDES, PEUPLE

 

CAROLINE, paraissant sur le seuil de la porte.

Parmi vous, j’espérais demeurer inconnue,
Mais ce bruit, cet éclat, cette foule accourue...

HECTOR, à Caroline.

Tout vous oblige à vous trahir.

CAROLINE, à Hector.

Puisque vous l’exigez, je dois en convenir.

À la foule.

Braves habitants de Bergame,
Devant vous tous, je le proclame,
Je suis...

HECTOR.

Vous y voilà !... ma femme !

CAROLINE.

Je suis la prima donna
Que l’autre soir encor Venise couronna.

HECTOR.

Comment ?

CAROLINE.

Je suis la Fioretta.

TOUS.

La Fioretta.

CAROLINE.

Pour preuve ici voulez-vous que je chante ?

LE CHŒUR.

Chante, chante, Fioretta !

CAROLINE.

Comme l’alouette,
Courrière d’amour,
Ma vive ariette
Saluera le jour.
Comme la cigale
Sur le frêle épi,
Ma voix inégale
Chantera midi ;
Et toujours fidèle
À son désespoir,
Comme Philomèle
Gémira le soir !
Comme l’alouette
Courrière d’amour,
Ma vive ariette
Saluera le jour !

LE CHŒUR.

Quelle douce voix ! brava !
C’est bien la célèbre actrice !
Vive notre cantatrice,
La charmante Fioretta !

PLANTUREUX, à part.

  La Fioretta... ma nièce.

HECTOR, au Podestat.

Ici, l’on vous abuse
Mais je vais dévoiler la ruse...
Non, ce n’est pas la Fioretta...

Désignant Gaston.

  Ainsi que moi monsieur vous le dira...

LE PODESTAT.

  Voyons !...

HECTOR, à Gaston.

  Tu connais la Fioretta ?

GASTON.

Oui, vraiment !

HECTOR.

À Florence, à Venise,
Tous les soirs tu l’applaudissais...

GASTON.

Sans doute...

HECTOR.

Allons, dis-nous si tu la reconnais...

GASTON, à qui Caroline fait des signes.

Puisqu’il faut parler avec franchise...

HECTOR.

Eh bien ?

LE PODESTAT.

Eh bien ?

GASTON.

Je la reconnais !

HECTOR, étonné.

Ah ! c’est trop fort !

LE PODESTAT.

Silence !
Ou je punis votre insolence !

HECTOR, au Podestat.

Il veut rire..

NINETTA, à qui Caroline fait des signes.

Mais non... c’est la Fioretta !
Ici chacun vous le dira !

HECTOR, se récriant.

Comment ! elle aussi !

PLANTUREUX, à qui Ninetta fait des signes.

C’est la Fioretta !
Ici chacun vous le dira !

TOUS.

C’est la Fioretta ! c’est la Fioretta !

HECTOR, au Podestat.

N’en croyez rien...

LE PODESTAT.

De par la ville
J’ai vu bien souvent ses portraits.
Je ne suis pas un imbécile,
le la reconnais !

TOUS.

Il la reconnaît !

LE PODESTAT.

Je la reconnais !

CAROLINE, à part.

Il faut de la malice,
Un peu d’artifice.
Pour eux je suis la célèbre actrice.

NINETTA, GASTON, PLANTUREUX, à part.

Je vois sa malice
Et son artifice.
On la prend pour la célèbre actrice.

HECTOR, à part.

Je vois sa malice
Et son artifice,
Non, ce n’est point la célèbre actrice.

LE CHŒUR.

Non, ce n’est point un artifice,
Ce sont bien ses traits purs et doux.
Vive la grande cantatrice
Qui daigne habiter parmi nous !

CAROLINE, à la foule.

Merci, je vous rends grâce.

HECTOR, à part.

Quel aplomb, quelle audace !

CAROLINE, à Gaston.

Vous allez sans retard
Préparer mon départ.

À la foule.

Venise me rappelle
À mon engagement
Je dois être fidèle.

LES FEMMES, à Caroline.

Oh ! la mauvaise nouvelle !
Vous partez, mademoiselle ?

CAROLINE.

  Oui, je pars à l’instant.

Reprise de l’ensemble.

Tous sortent, excepté Hector, Caroline et les Soldats.

 

 

Scène VIII

 

HECTOR, LE PODESTAT, CAROLINE.

 

LE PODESTAT, à Caroline, avec une colère contenue.

Ah ! vous êtes la Fioretta ! Enfin, je vous tiens ! Dieu soit loué !

CAROLINE, effrayée.

Quoi donc ?

LE PODESTAT.

Voilà donc la créature qui a croqué six mille sequins d’or à mon neveu le marquis del Jacintafioraventipentanello.

CAROLINE.

Moi ?...

HECTOR, à part, riant.

Comment ! il croit...

LE PODESTAT.

Vous vous êtes dit : Venise s’en passera, le podestat en enverra d’autres... il mettra des impôts sur sa bonne petite ville de Bergame ! Il vendra ses chevaux, il portera des pourpoints usés... mais qu’est-ce que cela me fait ?... Je suis la diva... croquons... croquons toujours.

CAROLINE, effrayée.

Je vous jure.

LE PODESTAT, d’une voix terrible.

Mais vous êtes tombée dans la gueule du loup !

CAROLINE.

Ah ! mon Dieu ! Monsieur le Podestat !

LE PODESTAT.

Vous ne savez donc pas que j’ai rendu une ordonnance qui m’autorise à incarcérer tous les comédiens qui mettront le pied dans mes États ?

CAROLINE.

J’ignorais !...

LE PODESTAT.

Comédiens et comédiennes !...

CAROLINE, à Hector.

Parlez pour moi, monsieur ?

HECTOR.

Moi ?... Je n’ai aucun titre.

LE PODESTAT.

Je vous tiens et je ne vous rendrai votre liberté que lorsque vous aurez réintégré dans les caisses de l’État les six mille sequins que vous avez croqués au marquis del Jacintafioraventi, etc...

HECTOR, à part.

Prisonnière !...

CAROLINE.

Six mille sequins ; mais comment voulez-vous... ?

LE PODESTAT.

Ça ne me regarde pas, vous avez des amis, des protecteurs... des diamants... Je vous cloître dans un couvent jusqu’à ce que vous ayez réintégré...

CAROLINE.

Au couvent !...

À Hector.

Monsieur...

HECTOR, bas.

Mais je ne puis rien, madame... je ne suis pour vous qu’un étranger.

LE PODESTAT, à Caroline.

Je vais foire préparer votre cellule... quatre murs... et pas de rideaux aux fenêtres.

CAROLINE.

Mais, monsieur le podestat...

LE PODESTAT, au Trésorier, qui a reparu.

Faites tambouriner que j’ai une grande nouvelle à annoncer à mon peuple...

Au fond.

Gardes !... vous me répondez de madame !...

Il sort suivi du Trésorier.

 

 

Scène IX

 

HECTOR, CAROLINE

 

HECTOR.

Eh bien ! madame, il faut s’exécuter... avez-vous six mille sequins dans votre sac de voyage ?

CAROLINE, à part.

Je crois qu’il ose se moquer de moi !...

HECTOR.

Allons, vous n’avez qu’un moyen de recouvrer votre liberté... C’est de me supplier de vous reconnaître pour ma femme.

CAROLINE, à part.

Il me tient !...

Haut.

Soit !... mais à une condition.

HECTOR.

Des conditions !... Enfin... je veux être généreux... parlez !

CAROLINE.

Vous reviendrez immédiatement en France avec moi.

HECTOR.

Je le voudrais... mais j’ai entrepris des travaux importants à Venise...

CAROLINE.

Très bien... vous me croyez à votre discrétion... je saurai bien trouver un moyen...

HECTOR.

À votre aise, madame... Le podestat va vous faire enfermer dans un petit couvent... bien muré !... il protégera mon honneur, qui paraît en avoir besoin... Mais rassurez-vous... je veillerai à ce que rien ne vous manque... et dans six mois, quand j’aurai terminé mes travaux... je viendrai savoir si vous avez changé d’avis...

La saluant.

Madame !...

CAROLINE.

Vous partez... vous allez retrouver cette femme.

HECTOR.

Je ne sais de quelle femme vous voulez parler ; je vais à Venise, madame !

CAROLINE, à part.

Comment le retenir ?

Roulement de tambour... Tous les habitants accourent.

 

 

Scène X

 

HECTOR, CAROLINE, GASTON, NINETTA, PLANTUREUX, LE PODESTAT, suivi du TRÉSORIER, des GARDES et HABITANTS

 

Final.

GASTON, NINETTA, PLANTUREUX.

Que va-t-il nous dire,
Ce vieux sot,
Ce magot ?

LE CHŒUR.

Que va-t-il nous lire,
Ce vieux sot,
Ce Magot ?

LE PODESTAT, au Trésorier.

Que parlent-ils de magot ?

LE CHŒUR.

Le vieux sot !

LE PODESTAT, de même.

Que parlent-ils de vieux sot ?

LE CHŒUR.

Le magot.

LE TRÉSORIER, parlé.

Silence !

LE CHŒUR.

Mais écoutons... ne disons plus un mot.

LE PODESTAT, mettant ses lunettes et lisant.

Au couvent de San Felice,
Mandons... mandons et cetera...
Jusqu’à nouvel ordre on enfermera
La célèbre cantatrice
Que l’on nomme Fioretta...
De par la justice !

LE CHŒUR.

De par la justice !

CAROLINE.

Grand merci, monseigneur,
Mais je puis à l’instant m’acquittez de grand cœur...

Désignant Hector.

  Ordonnez qu’on l’arrête.

HECTOR.

Hein ? moi ! mais vous perdez la tête.

CAROLINE.

Par crainte des brigands.
J’ai remis en ses mains mon or, mes diamants.

HECTOR.

À moi !... Mensonge que cela !

CAROLINE, désignant Gaston, auquel elle fait des signes.

  Interrogez monsieur... monsieur vous le dira.

GASTON.

  Parfaitement.

À Hector.

Rappelez-vous la chose.
Une cassette... en bois de rose...
Et des bijoux... du plus grand prix.
De l’or... des perles... des rubis.

CAROLINE.

Allons, la feinte est inutile...

HECTOR.

Mais...

CAROLINE.

C’est un directeur habile...
Mon impresario.

HECTOR.

Mensonge que cela !

CAROLINE, désignant Gaston.

Interrogez monsieur... monsieur vous le dira.

GASTON.

Oui... c’est un directeur habile.
Un grand impresario.

TOUS, excepté Hector.

Un grand impresario !

LE PODESTAT.

Emparez-vous de cet homme...

HECTOR.

Bravo,
C’est bien joué, mes compliments, madame.

GASTON, bas à Caroline, parlé sur la musique.

Nous restons libres... nous vous délivrerons.

CAROLINE, de même.

Oh ! bien vite.

HECTOR, à part.

Ah ! il incarcère les comédiens !... À mon tour.

Au Podestat.

Il est vrai, monseigneur,
Que je suis directeur...
Et voici mes chanteurs que partout on acclame,
Ou, du moins, mes premiers sujets.

NINETTA, GASTON, PLANTUREUX.

Qui ? nous ?

HECTOR.

Tous artistes parfaits !

Désignant Gaston.

Le ténor, le Léandre,
Murmurant d’une voix douce et tendre,

Des refrains amoureux !

GASTON, parlé.

Tu n’y penses pas !

HECTOR, désignant Plantureux.

Là, ma basse profonde,
Dont la voix tonne et gronde
Dans un morceau fameux.

PLANTUREUX, parlé.

Qui, moi ? une basse profonde ?

HECTOR, désignant Ninetta.

Ici, ma Colombine,
Œil vif et pied mutin...
On la trouve divine
Vêtue en Arlequin.

NINETTA, GASTON, PLANTUREUX.

Mais il est fou !

LE PODESTAT.

Quel scandale !
Quoi ! des comédiens dans cette capitale,
Des chenapans qui se moquent de nous !
En prison menez-les tous !

CAROLINE.

En prison ! En prison !
Mais vous perdez la raison.

NINETTA, GASTON, PLANTUREUX, LE CHŒUR.

En prison ! En prison !
Mais vous perdez la raison.

LE PODESTAT, LES GARDES, HECTOR.

En prison ! En prison !
Il leur faut une leçon !

CAROLINE, NINETTA, au Podestat.

Écoutez une parole,
Une bonne parole.
En prison, j’en deviens folle.

GASTON, PLANTUREUX, au Podestat.

Écoutez une parole,
Une bonne parole.
Voyez, elle en devient folle !

LE PODESTAT.

Je suis sourd... Taisez-vous-tous.

LES GARDES.

Vous nous rompez la tête.
En prison !

LE CHŒUR.

Mais pour qu’on les arrête
II faut dire la raison.

LE PODESTAT.

Fi ! des comédiens.

CAROLINE, NINETTA.

Écoutez-nous, de grâce !

LE PODESTAT.

Fi ! des comédiens !
Des vauriens !

PLANTUREUX.

Mais sacrebleu !

LE PODESTAT.

Silence, vous, la basse !

CAROLINE et NINETTA.

Écoutez-nous, de grâce !

CAROLINE.

La plaisante méprise !
Pour eux quelle surprise !
Enfermés sans raison.
Ah ! le tour est perfide,
Ce podestat stupide
Nous met tous en prison !

GASTON, PLANTUREUX, NINETTA.

Quel est donc notre crime ?
Pour nous mettre au régime
D’une horrible prison ?
Ah ! le tour est perfide,
Ce magistrat stupide
Nous punit sans raison.

HECTOR.

Vous connaissez leur crime,
Mettez-les au régime
D’une sombre prison.
Je ris de leur surprise,
Mais que cette méprise
Leur serve de leçon !

LE CHŒUR.

Mais quel est donc leur crime,
Pour les mettre au régime
D’une horrible prison ?
Ah ! le tour est perfide,
Ce magistrat stupide
Les punit sans raison.

 

 

ACTE III

 

Le théâtre représente la plate-forme d’un château-fort. À gauche, premier et deuxième plans, portes donnant sur des cellules. Au fond, des créneaux. À droite, troisième plan, au pan coupé, une porte fermée par une grille. À droite, premier plan, porte d’une chapelle, une table, des bancs.

 

 

Scène première

 

CAROLINE, NINETTA, LE TRÉSORIER, puis LE PODESTAT

 

LE TRÉSORIER, introduisant Caroline et Ninetta.

Allons ! venez ! le règlement vous accorde une demi-heure de promenade sur cette terrasse.

CAROLINE.

Pardon, monsieur...

LE TRÉSORIER.

Quoi ?...

CAROLINE.

Est-ce que les autres prisonniers ne vont pas venir ?

LE TRÉSORIER.

Les femmes d’abord... les hommes ensuite... Ici les sexes se promènent séparément.

Il sort.

NINETTA.

Il est sec !... ce monsieur !

CAROLINE.

Nous ne sommes pas obligées d’en faire notre société... Mais qu’as-tu donc ? tu pleures ?

Duetto.

NINETTA.

Hélas ! malgré moi je pense
À Matteï qui m’attend
Que dit-il de mon absence ?
Que fait-il en ce moment ?

CAROLINE.

Sa peine n’est pas bien grande.
Qu’il attende !
Les maris sont faits pour ça !
Il attendra !

NINETTA.

Vous le croyez, il attendra !
Cependant, si l’infidèle,
Pour me punir dès demain
Allait à quelque autre belle
Offrir son cœur et sa main !
Quels regrets ! quel chagrin !

CAROLINE.

L’amour ne va pas si vite,
Ma petite,
En songeant à Ninetta
Il attendra !

NINETTA.

Vous le croyez, il attendra.

CAROLINE.

Il attendra !

Je t’assure que cette prison est charmante... une vue superbe... On domine toute la campagne...

NINETTA.

C’est bien haut !...

CAROLINE.

Bah ! l’air est plus vif.

Apercevant la porte à droite, premier plan.

Tiens, une chapelle ! c’est très complet !

À part.

Mon mari pourra y faire pénitence.

NINETTA.

C’est égal... j’aimerais mieux être chez nous.

CAROLINE.

Moi, je me trouve admirablement installée...

À part.

Mon cher époux me gardera sa foi !... il est sous les verrous... il doit être dans un état d’exaspération...

LE TRÉSORIER, paraissant et annonçant.

Monseigneur le podestat...

Le Podestat paraît.

CAROLINE et NINETTA, s’approchant de lui.

Monsieur le podestat...

LE PODESTAT, se reculant.

Arrière, femmes de théâtre !... Vos sortilèges n’agiront pas sur moi... Je ne suis pas le marquis Jacintafioraventipantanello.

CAROLINE, à part.

Qu’est-ce qu’il a donc ?...

LE PODESTAT.

Je suis venu pour procéder à une confrontation...

Au Trésorier.

Qu’on amène les prisonniers...

Le Trésorier sort.

CAROLINE, à part.

Mon mari !... Je me fais une fête de cette entrevue !

LE PODESTAT, à part, les lorgnant.

Elles sont gentilles... très gentilles !... La première chanteuse surtout... la soubrette aussi.

Haut, d’une voix très douce.

Eh bien ! mes toutes belles, vous a-t-on servi un souper convenable, hier soir ?

LES DEUX FEMMES, s’approchant.

Oui, monsieur le podestat, mais...

LE PODESTAT, vivement.

N’approchez pas !...

CAROLINE.

Nous n’avons qu’à nous louer des attentions qu’on a pour nous.

LE PODESTAT.

Vraiment... elle a une voix pénétrante.

NINETTA.

Certainement, monsieur le podestat.

LE PODESTAT, à part.

Elles ont toutes deux une voix pénétrante... mais pas de faiblesse... je ne pourrais plus me faire rembourser... Les voilà donc ces femmes qui enlacent la jeunesse dans leurs replis tortueux.

Couplets.

I.

Est-il, par hasard, un pauvre jeune homme
À l’air innocent
Ève s’en empare et lui tend la pomme,
Et vite il la prend !
S’il a de l’argent, bien vite on le croque !
Et puis du nigaud on se moque !

II.

Un petit nez rose, une fraîche mine
Et du noir aux yeux !
C’est avec cela que l’on vous ruine
Nos pauvres neveux.
S’ils ont de l’argent, bien vite on le croque !
Et puis des nigauds on se moque !...

 

 

Scène II

 

CAROLINE, NINETTA, LE PODESTAT, HECTOR, LE TRÉSORIER, PLANTUREUX et GASTON, GARDES

 

LE TRÉSORIER.

Voici les prisonniers.

HECTOR.

Vous nous avez fait demander, monsieur le podestat ?

LE PODESTAT.

Oui, je désire vous confronter avec votre première chanteuse...

HECTOR, saluant Caroline.

Madame...

CAROLINE, lui faisant une longue révérence.

Monsieur...

LE PODESTAT.

Nous allons procéder à l’instruction... Persistez-vous, madame, à déclarer que monsieur est dépositaire de vos diamants et de vos valeurs ?

CAROLINE.

Certainement, je persiste !... Et je vous demande de ne mettre monsieur en liberté que lorsqu’il les aura rendus.

LE PODESTAT.

Soyez tranquille !

À Hector.

Qu’avez-vous à répondre, monsieur l’Impresario ?

HECTOR.

Rien... en présence d’une affirmation aussi positive... je ne puis nier plus longtemps...

CAROLINE, à part, étonnée.

Hein ?... Il avoue !

HECTOR.

Madame m’avait, en effet, remis ce dépôt... mais voyageant à cheval... la crainte des voleurs... la poussière... les brouillards... je l’ai confié à mon tour à Gaston... notre premier ténor...

GASTON, très surpris.

À moi !...

HECTOR, à part.

Je ne suis pas fâché de lui repasser ça !

CAROLINE, à part.

Ah ! c’est trop fort !

LE PODESTAT.

Ça commence à s’éclaircir.

À Gaston.

Jeune ténor... je vous enjoins d’avoir à restituer immédiatement les diamants qui vous ont été confiés par monsieur.

Il indique Hector.

GASTON, embarrassé.

Quels diamants ?...

HECTOR, à Gaston.

Les diamants de madame... vous savez bien... la petite cassette... en bois de rose...

GASTON.

La cassette ?

LE PODESTAT.

Dans votre intérêt, ne cherchez pas à nier plus longtemps... vous me forceriez à employer des moyens... que la civilisation réprouve peut-être...

CAROLINE, à part.

Ah ! mon Dieu !...

GASTON.

Mais je ne nie rien, monsieur le podestat... du moment que monsieur affirme m’avoir remis une cassette...

HECTOR.

En bois de rose...

GASTON.

Je le reconnais...

CAROLINE, à part.

Comment ! il avoue aussi !

GASTON.

Seulement, je ne l’ai plus.

LE PODESTAT.

Allons donc !

GASTON.

Voyageant en voiture... La crainte des voleurs... la poussière... le brouillard... Je l’ai confiée à la basse !

À part.

Il s’en tirera comme il pourra !

PLANTUREUX.

À moi ?

LE PODESTAT, à Plantureux.

Où sont les diamants ?

PLANTUREUX.

Hein ? s’il vous plaît ?...

LE PODESTAT.

Où sont les diamants ?

PLANTUREUX.

Est-ce que je sais ?... Je ne connais pas d’autres diamants que les jarretières de madame.

Il indique Caroline.

LE PODESTAT.

Madame porte des jarretières en diamants... Nous allons voir ça !... Holà ! Gardes !...

CAROLINE, se reculant très effrayée.

Jamais ! jamais !...

GASTON, vivement.

Inutile, monsieur le podestat, ces diamants... sont en imitation.

HECTOR.

C’est du faux !

LE PODESTAT, à Hector el à Gaston.

Comment le savez-vous ?

HECTOR.

Un présent...

GASTON.

Que nous avons fait à madame...

LE PODESTAT.

Tous les deux ? chacun sa jarretière...

S’emportant.

Mais tout cela ne me donne pas mes six mille sequins !... Il faut qu’on retrouve cette cassette... Vous me promenez du ténor à la basse et de la basse à...

HECTOR.

Du calme, monsieur le podestat... Veuillez me laisser cinq minutes seul avec madame... et j’espère que tout va s’arranger...

GASTON, à part.

Il veut rester seul avec elle !

Haut.

Moi aussi, monsieur le podestat, laissez-moi cinq minutes avec madame.

LE PODESTAT.

Alors ça ferait dix minutes... Je n’ai pas le temps.

À Hector.

Je vous accorde cinq minutes... mais pas une de plus... Ça commence à s’éclaircir...

Aux autres.

Venez, vous autres !... Qu’on me suive !

Il sort suivi de tous, excepté de Caroline et d’Hector.

 

 

Scène III

 

HECTOR, CAROLINE

 

CAROLINE.

Voyons, monsieur... qu’avez-vous à me dire ?

HECTOR.

Il faut en finir avec cette plaisanterie... à moins que vous ne teniez à rester dans cette prison...

CAROLINE.

Mais je m’y trouve fort bien... Rien ne me rappelle au dehors... Je n’ai pas de travaux à exécuter à Venise... On ne m’attend dans aucun couvent de chartreux...

HECTOR.

Eh ! madame...

CAROLINE.

D’ailleurs, le bonheur pour une femme n’est-il pas de vivre près de son mari... Un mari sous clef... c’est une garantie...

Duo.

HECTOR.

Ne raillez pas ainsi, je vous offre la paix
Plus de querelle désormais ;
Votre main, allons.

CAROLINE.

Pas si vite.
Avouez et nous verrons ensuite.

HECTOR.

Je n’ai rien à me reprocher... non.

CAROLINE.

Non !... Alors nous restons en prison.
Avouez !

HECTOR.

On n’est pas toujours maître
De soi-même...

CAROLINE.

Avouez !       

HECTOR.

On n’est pas sans défaut.

CAROLINE.

Avouez !

HECTOR.

Votre cœur pardonnera.

CAROLINE.

Peut-être.
Avouez ! Avouez !

HECTOR.

Allons, puisqu’il le faut,
Je suis un grand coupable !...

CAROLINE.

Ah ! je sais tout enfin ; monsieur, point de pardon !

HECTOR.

C’est une trahison.
Voyez, le remords qui m’accable...
Ce n’est plus, madame, un époux
C’est un amant qui vous supplie,
Puisque l’avenir est à nous,
Qu’à jamais le passé s’oublie.
Votre bonheur sera ma loi.
Pardonnez-moi. (Bis.)
Cet amour qu’au pied de l’autel
Me jura votre âme attendrie,
Je l’ai perdu, ce don du ciel,
Rendez-le moi, je vous en prie,
Mon seul amour c’est vous, c’est toi.
Pardonne-moi. (Bis.)

CAROLINE.

Allons, puisqu’il le faut, je veux bien être bonne ;
Mais sachez à quel prix je pardonne.

HECTOR.

Ordonnez, à tout je souscris.

CAROLINE.

Plus de long voyage,
De triste veuvage !
En mari soumis
Rentrer au logis !
Dire à l’Italie
Adieu pour la vie
N’y plus revenir,
Même en souvenir ;
M’adorer sans cesse
Me rendre en tendresse
Tout le temps perdu,
Et qui m’était dû.

À ce prix-là je vous pardonne.
Ah ! je vous pardonne !
Désormais plus de chagrin,
Sans regrets je vous donne
Je vous donne ma main.

CAROLINE.

Maintenant, comment allons-nous sortir des griffes de ce podestat ?

HECTOR.

C’est bien simple... nous allons lui dire qui nous sommes... et il n’aura plus aucun motif de nous retenir.

 

 

Scène IV

 

HECTOR, CAROLINE, LE PODESTAT

 

LE PODESTAT, entrant, à Hector.

Les cinq minutes sont expirées... Vous m’avez dit : Tout s’arrangera... Parlez... je vous écoute...

HECTOR.

Monsieur le podestat, excusez-nous... nous vous avons fait un petit mensonge... Je ne suis pas impresario, et madame n’est pas la Fioretta.

LE PODESTAT, se tordant.

Ah ! vous me faites bien rire... pas la Fioretta !... Mais puisque tout le monde l’a reconnue... moi-même... sans l’avoir jamais vue...

CAROLINE.

Comment !... il ne nous croit pas...

LE PODESTAT.

Ah çà !... vous me prenez donc pour un imbécile ?... mais je suis très fin...

HECTOR.

Nous avons des papiers... des passeports...

LE PODESTAT.

Ah ! des passeports !... je connais ça... j’en fabrique... c’est dans le tarif...

CAROLINE.

Mais, encore une fois...

LE PODESTAT.

Suivez bien mon raisonnement... Ou vous êtes la Fioretta, et vous me rendrez mes six mille sequins... ou vous ne l’êtes pas... et alors vous vous êtes moqués de moi... Or, pour ce chef, je vous condamne à six mille sequins d’amende... choisissez...

HECTOR.

Diable !...

CAROLINE.

Nous voilà bien.

LE PODESTAT.

J’ajouterai encore un mot... je suis bon, mais cruel, quand il le faut...

CAROLINE.

Hein ?

HECTOR.

Comment ?

LE PODESTAT, sévèrement.

Je consens quelquefois à me moquer des autres... mais je ne permets jamais la réciproque... Si vous m’avez trompé, je vous fais tous descendre dans un fond de basse-fosse réservé aux malfaiteurs.

CAROLINE.

Ah ! mon Dieu !

HECTOR.

Vous ne feriez pas cela !

LE PODESTAT.

L’air y est malsain... le soleil n’y pénètre jamais... et on y est nourri de temps en temps...

CAROLINE.

C’est horrible !...

LE PODESTAT.

Maintenant... répondez-moi sans crainte... qui êtes-vous ?...

CAROLINE, à part.

Il n’y a pas à hésiter.

Haut.

Je suis la Fioretta.

HECTOR.

Moi aussi...

LE PODESTAT.

À la bonne heure !... rien ne vaut la vérité !...

On entend des cris au dehors.

Quel est ce bruit ?

 

 

Scène V

 

HECTOR, CAROLINE, LE PODESTAT, LE TRÉSORIER, suivi de GASTON, NINETTA et PLANTUREUX

 

LE TRÉSORIER.

Monseigneur... le peuple forme des groupes sur la place et pousse des cris confus...

LE PODESTAT.

Est-ce que ce serait ma fête ?... Allons voir ce que c’est...

Il sort suivi du Trésorier.

 

 

Scène VI

 

HECTOR, CAROLINE, GASTON, NINETTA, PLANTUREUX

 

GASTON.

Eh bien ?... avez-vous fléchi le podestat ?

HECTOR.

Il ne veut rien entendre.

CAROLINE.

Et il de vient féroce...

NINETTA.

Mais je suis pressée d’aller me marier...

PLANTUREUX.

Chut !... j’ai un moyen de sortir d’ici...

HECTOR.

Lequel ?

PLANTUREUX.

C’est de nous évader.

CAROLINE.

Comment ?

PLANTUREUX.

En nous échappant.

TOUS, lui tournant le dos.

Ah !...

GASTON.

La chose n’est pas impossible... j’ai déjà gagné deux soldats !

PLANTUREUX.

Moi, j’ai fait mieux que cela... Je me suis mis bien avec le geôlier... Il avait de la poussière sur son habit, je l’ai brossé...

GASTON.

Ah ! général !

PLANTUREUX.

Ensuite, je lui ai donné un diamant... faux.... en échange de cette clef...

Il tire une grande clef de sa poche.

HECTOR.

Quelle est cette clef ?...

PLANTUREUX.

C’est une fausse clef... je lui ai donné un diamant faux, il m’a donné une fausse clef... nous sommes quittes... Elle ouvre la seconde porte qui donne sur la campagne...

GASTON.

Bravo ! partons !...

HECTOR, désignant la porte d’entrée.

Mais c’est la clef de cette grille qu’il nous faudrait.

PLANTUREUX.

Ah ! pour celle-là, impossible ! J’ai offert un second diamant... mais cette clef, le podestat ne s’en sépare jamais... il la porte toujours à sa ceinture.

CAROLINE.

Alors, tout est perdu.

PLANTUREUX.

Non !... il faut la lui arracher...

TOUS.

Comment ?

PLANTUREUX.

Les femmes par la grâce et la douceur, les hommes par la force et la violence... Il va revenir... et en lui sautant adroitement à la gorge.

NINETTA.

Chut !... le voici !...

Le Podestat paraît, suivi de son Trésorier et de ses Gardes.

PLANTUREUX, à part.

Pas moyen... il est entouré de sa garde...

 

 

Scène VII

 

HECTOR, CAROLINE, GASTON, NINETTA, PLANTUREUX, LE PODESTAT, LE TRÉSORIER, LES GARDES

 

LE PODESTAT, au Trésorier.

Je n’y ai rien compris... Ils crient tous à la fois qu’est-ce qu’ils demandent ?

LE TRÉSORIER.

Le peuple, sachant que la Fioretta est votre prisonnière, demande une représentation sur le théâtre de Bergame, fermé depuis six mois.

LE PODESTAT.

Une représentation dans la chaste Bergame !... jamais !

LE TRÉSORIER.

Mais le peuple...

LE PODESTAT.

Laisse-moi donc... un peuple qui ne paye pas...

PLANTUREUX, bas aux autres.

Voyez-vous sa gredine de clef...

GASTON.

Je ne la perds pas de vue.

LE PODESTAT.

Ah ! quel trait de lumière !

LE TRÉSORIER.

Quoi donc ?

LE PODESTAT, bas.

Un moyen de rentrer dans mes six mille sequins...

Indiquant le groupe des prisonniers.

Ils feront salle comble, et la recette sera pour moi...

LE TRÉSORIER.

C’est un trait de génie.

VOIX au dehors.

La Fioretta!... la Fioretta !

LE PODESTAT, s’approchant des créneaux et parlant à la foule.

Oui... oui, mes enfants... ce soir, grande représentation.

LA FOULE.

Bravo !... bravo !

LE PODESTAT.

Le prix des places sera doublé...

Murmures du peuple.

Et si une représentation ne suffit pas, on en donnera deux...

LE PEUPLE.

Vive le podestat !... vive le podestat !...

LE PODESTAT, redescendant.

Il est doux de se faire aimer... et d’empocher une bonne recette.

Aux prisonniers.

Allons, c’est décidé... vous nous donnez, ce soir, une représentation de la Minerva... le grand opéra en vogue...

GASTON.

Comment... nous ?

CAROLINE.

C’est impossible !

LE PODESTAT.

Personne ne le connaît à Bergame... pas même moi.

HECTOR.

Mais nous n’en savons pas un mot...

PLANTUREUX.

C’est-à-dire qu’il me serait plus facile d’aller décrocher la lune....

LE PODESTAT.

Vous l’avez chanté à Venise, il n’y a pas huit jours...

Montrant Caroline.

Et madame y a obtenu un succès.

CAROLINE.

Sans doute... mais...

LE PODESTAT, s’impatientant.

Ah çà ! êtes-vous une troupe de chanteurs... oui ou non ?... Parlez, madame ! vous connaissez mes dispositions.

CAROLINE.

Nous chanterons, monsieur le podestat.

HECTOR, vivement.

Nous chanterons, monsieur le podestat... ce soir...

Bas aux autres.

D’ici là, nous aurons décampé...

LE PODESTAT.

Très bien...

Au Trésorier.

Va faire poser les affiches...

LE TRÉSORIER.

Oui, monseigneur.

Il sort.

LE PODESTAT.

Et maintenant, pour vous mettre en voix, vous allez me donner une petite répétition de la Minerva... sans vous fatiguer...

GASTON.

Nous ?....

CAROLINE.

Pardon, monsieur le podestat... c’est que... je ne chante jamais le matin quand je dois jouer le soir...

HECTOR.

Moi, non plus...

PLANTUREUX.

C’est contraire à tous les usages !

LE PODESTAT.

Alors, vous ne voulez pas chanter...

TOUS.

Impossible !

LE PODESTAT.

Très bien... nous avons, pour réduire les prisonniers récalcitrants, des petits moyens...

GASTON.

Quels moyens ?...

LE PODESTAT, à part.

La civilisation les réprouve peut-être... mais, bah !

À un Garde.

Allez chercher les instruments...

HECTOR.

L’orchestre... C’est inutile...

LE PODESTAT.

Non... le brodequin... les tenailles...

HECTOR, vivement.

Des instruments de torture...

TOUS.

Oh !

LE PODESTAT.

Je suis bon, mais cruel quand il le faut.

CAROLINE.

Torturer des femmes !... c’est indigne !

LE PODESTAT.

Oh ! non !... Les femmes... on leur coupe les cheveux...

CAROLINE et NINETTA, effrayées.

Hein !...

LE PODESTAT, criant.

Apportez les ciseaux...

CAROLINE, vivement.

Nous chanterons... nous chanterons, monsieur le podestat.

NINETTA.

Tant que vous voudrez...

HECTOR, à part.

Ah ! quelle idée !...

Aux autres.

Nous aurons la clef...

TOUS, bas.

Comment ?

HECTOR, bas.

Laissez-moi faire... nous sommes sauvés...

LE PODESTAT.

Ils repassent leurs rôles !

GASTON, bas.

Qu’est-ce que nous allons chanter ?

CAROLINE.

Je ne connais pas la Minerva.

NINETTA.

Ni moi...

HECTOR, désignant le Podestat.

Ni lui... chantons n’importe quoi... mais chantons...

PLANTUREUX.

Je ne sais qu’un air...

CAROLINE.

Eh bien !... nous chanterons celui-là.

LE PODESTAT.

Eh bien ! y sommes-nous ?...

HECTOR.

Puisque vous le désirez, monsieur le podestat. – Répétition générale de la Minerva.

LE PODESTAT.

Allons donc.

HECTOR, parlant au fond.

Les accessoires... un banc.

On apporte un banc, que l’on place à droite.

LE PODESTAT.

Avant de commencer, mettez-moi en deux mots au courant de la situation.

HECTOR.

Voilà... une épidémie... ravage la ville... de Thèbes...

CAROLINE.

L’oracle de Delphes a parlé.

PLANTUREUX.

La scène se passe en Normandie...

On le fait taire.

HECTOR.

L’oracle a décidé que l’archonte Mesopotamos...

LE PODESTAT.

Où est-il, l’archonte ?

HECTOR.

Là-bas.

Il désigne Plantureux.

Devait offrir sa fille en sacrifice à Minerve... la Minerva...

LE PODESTAT.

C’est horrible !...

HECTOR.

C’est le moment où moi... le grand prêtre... je viens chercher la victime pour la conduire au temple...

LE PODESTAT.

Pauvre fille !...

HECTOR.

Sa famille l’entoure et lui fait ses adieux... Son vieux père s’avance... et fondant en larmes, il exhale sa douleur.

LE PODESTAT.

Pauvre père !

HECTOR, à Plantureux.

Allez... c’est à vous...

PLANTUREUX.

Moi...

HECTOR.

Votre air...

Musique sombre. Tous les personnages prennent une attitude désolée. Plantureux s’avance vers Caroline avec les démonstrations de la plus grande douleur, et se met à chanter d’une voix émue :

Il pleut, il pleut, bergère !

TOUS, surpris.

Hein ?...

HECTOR, à part.

Oh ! saprelotte !

PLANTUREUX, continuant.

Presse tes blancs moutons...
Allons dans ma chaumière,
Bergère, vite allons...

CAROLINE.

J’entends sur le feuillage
L’eau qui tombe à grand bruit,
Voici venir l’orage,
Voici l’éclair qui luit...

Reprise en quintette, avec variations.

Il pleut, il pleut, bergère, etc.

LE PODESTAT, s’essuyant les yeux.

C’est admirable !...

HECTOR.

Attention ! le grand prêtre s’avance.

Bas aux autres.

C’est l’instant de la délivrance.

Haut à Caroline, avec majesté.

Devant tout ce peuple assemblé
Tu vas quitter bientôt ce pays de misère,
L’éternité pour toi n’aura plus de mystère,
Et d’un monde inconnu tu vas avoir la clé.

LES AUTRES, à part.

La clé !...

HECTOR.

Ils s’avancent sur une marche lugubre vers la porte grillée.

Qu’on ouvre les portes du temple.

TOUS, insistant.

Qu’on ouvre les portes du temple.

LE PODESTAT.

Eh bien ! ouvrez donc... Est-ce qu’ils sont sourds ? ouvrez donc.

UN GARDE.

Il n’y a pas de clef.

HECTOR.

La clef !...

LES AUTRES.

La clef !...

PLANTUREUX, au Podestat.

La clef !... la clef !... vous allez faire manquer l’effet !

LE PODESTAT, criant.

La voilà !... la voilà !... continuez... ça va très bien !

On fait passer la clef. Le Garde ouvre la porte.

HECTOR, aux Gardes.

À genoux ! à genoux !
Thébains, à genoux !

LE PODESTAT, parlé.

À genoux donc... Thébains... à genoux !

Les Gardes se mettent à genoux et présentent les armes.

LES GARDES et LE PODESTAT.

À genoux ! à genoux !
Inclinons-nous tous.

Hector passe au milieu d’eux en emmenant Caroline. Ils sortent tous, laissant le Podestat et les Gardes à genoux.

 

 

Scène VIII

 

LE PODESTAT, LES GARDES, puis LE TRÉSORIER

 

LE PODESTAT, applaudissant.

Bravo ! bravo ! c’est une très belle situation ! je vais faire tripler le prix des places.

Il remonte et se rencontre avec le Trésorier, qui entre.

LE TRÉSORIER.

Monseigneur... une lettre du grand provéditeur.

LE PODESTAT.

Qu’est-ce qu’il me veut ?

Après avoir jeté les yeux sur la lettre.

Ah ! grand Dieu !... qu’on arrache les affiches ! la représentation n’aura pas lieu !

LE TRÉSORIER.

Comment !...

LE PODESTAT, s’adressant à la porte du fond.

Rentrez !... On ne répète plus.

LE TRÉSORIER.

Que va dire le peuple ?

LE PODESTAT.

Mon peuple ! il se couchera à neuf heures.

LE TRÉSORIER.

Mais pourquoi ce changement ?

LE PODESTAT.

Le grand provéditeur s’oppose formellement à la représentation... il paraît que nous sommes dans le carême. Je l’avais oublié.

LE TRÉSORIER.

Moi aussi ! c’est dommage, la location marchait bien !

LE PODESTAT, qui a achevé sa lettre.

Je suis sauvé !... Un autre moyen de satisfaire la cupide Venise... le grand provéditeur, un saint homme, désirant voir mettre une fin à la conduite désordonnée de la Fioretta, me charge de lui promettre six mille sequins d’or si elle consent à se marier sérieusement... un joli parti, je te l’offre !

LE TRÉSORIER.

Ah ! monseigneur, que de bonté !

LE PODESTAT.

Seulement, je garde la dot... pour Venise !

LE TRÉSORIER.

Ah ! permettez... du moment que les six mille sequins ne sont pas pour le mari !...

LE PODESTAT.

Tu refuses ?... Tu ne l’épousais donc que par intérêt !... J’en trouverai un autre... Ah ! le jeune ténor qui donne des sérénades... Va dans la chapelle... commande les préparatifs de la cérémonie... et dis qu’on se dépêche.

LE TRÉSORIER.

Oui, monseigneur.

Il entre dans la chapelle.

LE PODESTAT, s’adressant à la porte du fond.

Rentrez... Eh bien ! qu’est-ce qu’ils font ! Rentrez... On ne répète plus ! Mais je ne vois personne... Ils sont partis !... Vite... courez... qu’on les ramène...

Les Gardes sortent.

Et c’est moi qui leur ai donné la clef... Ils m’ont mis dedans avec leur porte du temple...

Croyant parler au Trésorier.

Pourquoi ne m’as-tu pas prévenu !... Il n’est plus là... je perds la tête... heureusement que j’ai des gardes fidèles et des poternes solides.

 

 

Scène IX

 

LE PODESTAT, LES GARDES, CAROLINE, GASTON

 

UN GARDE.

En voici toujours deux.

LE PODESTAT.

Le ténor et la première chanteuse... Ça me suffit !

GASTON, à part.

Impossible de sortir !... il y a une troisième porte !

LE PODESTAT, à Gaston et à Caroline.

Approchez... je sais que vous vous aimez depuis longtemps, et je vous marie !

CAROLINE, effrayée.

Comment !... Ensemble !

GASTON.

Avec plaisir... tout de suite !

CAROLINE.

Mais c’est impossible !

LE PODESTAT.

J’entends que ce mariage ait lieu immédiatement.

CAROLINE.

Écoutez-moi !...

LE PODESTAT.

Je n’écoute rien... je n’aime pas qu’on me résiste...

 

 

Scène X

 

LE PODESTAT, LES GARDES, CAROLINE, GASTON, LE TRÉSORIER

 

LE TRÉSORIER, sur le seuil de la chapelle.

Tout est prêt... monsieur le podestat.

LE PODESTAT, à Gaston.

Très bien... le bras à votre fiancée...

GASTON, vivement.

De grand cœur !

CAROLINE.

Jamais...

LE PODESTAT.

Ah ! de la rébellion ! Gardes ! conduisez madame...

CAROLINE, très effrayée.

C’est impossible !

À part.

Mais que faire ?... Hector qui n’est pas là !

Elle entre dans la chapelle entraînée par Gaston et suivie par les Gardes.

 

 

Scène XI

 

LE PODESTAT, PREMIER GARDE, LE TRÉSORIER, HECTOR, PLANTUREUX, NINETTA

 

LE PODESTAT, regardant dans la chapelle.

Elle résiste... elle se débat... mais les gardes la font asseoir... Mon Dieu ! on ne peut pas appeler ça un mariage d’inclination... mais cela fera peut-être un excellent ménage plus tard.

LE TRÉSORIER, sur le seuil de la chapelle.

Monsieur le podestat, on demande les témoins !

LE PODESTAT.

C’est juste... j’avais oublié.

DEUXIÈME GARDE, ramenant Hector, Ninetta et Plantureux.

Voici les autres !

LE PODESTAT, au Trésorier.

Des témoins ! combien en faut-il ?

LE TRÉSORIER.

Deux !

LE PODESTAT, désignant Ninetta, Hector et Plantureux.

En voici trois... Entrez là... vous serez les témoins !

HECTOR.

Témoin... de quoi ?

LE PODESTAT.

Du mariage de la Fioretta.

HECTOR.

La Fioretta se marie !... Où ?

LE PODESTAT.

Là !...

Hector se précipite dans la chapelle ; le Podestat poussant Ninetta et Plantureux.

Entrez donc !...

PLANTUREUX.

Caroline se marie !

Ils entrent.

LE PODESTAT.

Ça marche... je toucherai mes six mille sequins !...

LE GARDE, désignant un Envoyé qui paraît au fond.

Un envoyé du Conseil des Dix.

L’Envoyé remet un parchemin scellé au Podestat. Il sort.

LE PODESTAT, ouvrant la dépêche.

La cupide Venise me demande de l’argent...

Lisant :

« Le fils du Doge s’est enfui de Milan avec la Fioretta ; il se fait passer pour son impresario... et prétend l’épouser ! Hein !...

Continuant.

Défense formelle de prêter les mains à ce mariage, sous peine de passer devant le Conseil des Dix... »

Effrayé.

L’impresario, c’est le fils du Doge... ce jeune homme qui sort d’ici... il l’aime ! et il est là avec elle... Courons... On sort de la chapelle...

 

 

Scène XII

 

LE PODESTAT, HECTOR, CAROLINE, GARDES, PLANTUREUX, NINETTA, puis Le TRÉSORIER, FOULE

 

LE PODESTAT, voyant entrer Hector qui donne la main à Caroline. Sur la musique en sourdine. À Gaston.

Eh bien ! vous êtes marié ?

GASTON.

On m’a tout expliqué... C’est monsieur qu’elle vient d’épouser.

LE PODESTAT.

Ah ! mon prince !... vous m’avez perdu !

HECTOR, étonné.

Un prince... moi !...

LE PODESTAT.

Lisez cette dépêche de monsieur votre papa.

HECTOR, à part, parcourant la lettre.

Il me prend pour le fils du Doge !... La Fioretta en fuite avec le prince !... Ma foi ! bon voyage...

Rassurez-vous, monsieur le Podestat,
Ce n’est pas moi qu’on cherche dans Bergame..
Je suis Français... artiste par état,
Je vous présente ici ma femme.

GASTON.

Sur le livre du chapelain
Vous verrez leurs vrais noms...

HECTOR.

  Signés de notre main.

LE PODESTAT.

  Que dites-vous ? Eh ! quoi, madame...

CAROLINE.

  Rien n’est plus vrai !

LE PODESTAT.

   Que béni soit le ciel !

LE TRÉSORIER, parlé.

Monsieur le podestat.

LE PODESTAT.

Quoi ?

LE TRÉSORIER.

Et l’argent de la location, faut-il le rendre ?

LE PODESTAT.

Jamais... Pour Venise.

CAROLINE.

Pour nous commence
Une autre lune de miel,
Que nous allons passer en France.

GASTON.

  Nous partirons bientôt.

HECTOR.

  Tu viendras avec nous dans le corricolo.

TOUS.

Entendez le joyeux grelot
Du gai corricolo.
Clic, clac, eh ! ho !
Voilà le gai corricolo.

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